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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Date : 20110114

Dossier : IMM-2940-10

Référence : 2011 CF 43

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

OLGA BORISOVNA ABBASOVA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défenderesse

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Pour décideurs, de toutes instances, l’équité procédurale nécessite un signal d’alarme rarement entendu; lequel, il faut entendre pour ne pas perpétrer une injustice.

[2]               Ceci est un cas exceptionnel, un cas d’espèce démontrant une femme qui aurait été abusée ou persécutée sur la base de sa condition de femme. Dans le cadre d’une décision d’un agent de l’Examen des risques avant renvoi (ERAR), les Directives no 4– Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, entrée en vigueur le 13 novembre 1996 (qui s’appliquent également aux agents d’ERAR selon la jurisprudence) indiquent qu’une difficulté pour une demanderesse de témoigner soit étudiée avec sensibilité. Dans ce type de cas, le système quasi-judiciaire et judiciaire devient, selon les Directives, d’une certaine façon, la voix de ceux qui n’auraient pas ou qui n’ont pas de voix.

 

II.  Introduction

[3]               L’agent d’ERAR ne mentionne pas dans sa décision pourquoi il écarte le début de la nouvelle preuve psychologique dont il n’a pas eu l’opportunité de discuter avec les parties dans le cadre d’une audience. Tel que l’a fait remarquer le juge Léonard Mandamin dans une décision portant sur l’équité procédurale, la preuve psychologique devrait être pertinente dans le cas de femmes réfugiées :

[19]      La preuve documentaire démontre que les femmes sont très à risque d’être victimes d’agression sexuelle et d’autres crimes fondés sur le sexe en raison du conflit en Colombie. La demanderesse est une femme vulnérable qui est une victime connue de viol. Dans ces circonstances, les directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, établies par le président conformément à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR, s’appliquent et l’évaluation psychologique devrait être pertinente. L’agente d’ERAR n’a pas justifié pourquoi elle n’a pas tenu compte de l’évaluation psychologique à venir de la demanderesse, et elle n’a pas tenu compte des directives du président. (La Cour souligne).

 

(Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 765, [2010] ACF no 935 (QL/Lexis)).

 

[4]               Les Directives no 4 représentent un instrument désormais bien ancré dans les décisions en matière d’immigration; elles ont pour but de favoriser l’adoption d’une approche cohérente quant au traitement des revendications de femmes craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[5]               Les Directives no 4 abordent la question des femmes qui revendiquent le statut de réfugié ou qui, selon une jurisprudence, passent devant l’agent d’ERAR et font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Les femmes qui ont été victimes de violence familiale peuvent tomber sous cette catégorie. Ces femmes peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom du syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner.

 

[6]               Les Directives no 4 réfèrent à la discussion bien connue de la Cour suprême du Canada sur le syndrome de la femme battue présentée dans l’arrêt R c Lavallée, [1990] 1 RCS 852, 108 NR 321. La juge Bertha Wilson y traite des mythes et autres stéréotypes entourant la violence familiale :

[54]      Une autre manifestation de cette forme d'oppression est apparemment la réticence de la victime à révéler l'existence ou la gravité des mauvais traitements [...]

 

[7]               La Cour a expliqué que la preuve d’expert peut alors apporter une aide ayant pour but de détruire les mythes et apporter une explication sur les raisons pour lesquelles une femme battue demeure dans sa situation qui équivaut à un cycle de souffrances.

 

[8]               En plus, un passage de la preuve documentaire déposée par la demanderesse devant l’agent d’ERAR démontre que la violence familiale envers les femmes est un problème encore répandu en Russie :

... Violence against women and children, including domestic violence, remained a significant problem ...

 

...

 

Domestic violence remained a major problem. As of March the Ministry of Internal Affairs maintained records on more than 4 million perpetrators of domestic violence. The ministry estimated that a woman died every 40 minutes at the hands of a husband, boyfriend, or other family member and that 80 percent of women had experienced domestic violence at least once in their lives. The ministry also estimated that 3,000 men a year were killed by wives or girlfriends whom they had beaten. However, the reluctance of victims to report domestic violence meant that reliable statistical information on its scope was impossible to obtain. Official telephone directories contained no information on crisis centers or shelters. Law enforcement authorities frequently failed to respond to reports of domestic violence.

 

(U.S. Department of State – 2009 Human Rights Report : Russia, Country Reports on Human Rights Practices, March 11, 2010).

 

III.  Procédure judiciaire

[9]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (LIPR), de la décision d’un agent d’ERAR, rendue le 7 avril 2010, à l’effet que la demanderesse ne risque pas d’être persécutée en Russie ni qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle serait personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à la vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités dans son pays.

 

IV.  Faits

[10]           La demanderesse, madame Olga Borisovna Abbasova, de nationalité russe, est née le 25 novembre 1983. Elle allègue que sa vie serait menacée si elle retournait vivre en Russie, et qu’elle risque des traitements cruels et inusités par son ex-conjoint de fait, monsieur Victor Gatin. Ce dernier, policier de profession, l’aurait maltraitée et aurait, à plusieurs reprises, posé des actes de violence envers elle entre 2003 et 2006. De plus, à son arrivée au Canada, elle aurait été flouée par monsieur Yafim Goikhberg, qui se serait fait passer pour un avocat spécialisé en droit de l’immigration, stratagème ayant pour seul but de soutirer de l’argent à la demanderesse.

 

[11]           La demanderesse aurait obtenu un visa de visiteur le 19 juin 2006, sur invitation du Père Johns, fondateur de Le Bon Dieu dans la Rue, et serait arrivée au Canada le 25 juin 2006, munie de ce visa de visiteur.

 

[12]           Dans une décision, datée du 2 février 2009, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger et que sa demande ne comporte même pas de minimum de fondement. La SPR a jugé que la demanderesse n’était pas crédible ni n’a réussi à établir son identité. Le 1er juin 2009, la demande d’autorisation de réviser cette décision fut rejetée par la Cour fédérale.

 

[13]           Le 4 août 2009, la demanderesse a déposé une demande d’ERAR. Le 7 avril 2010, l’agent d’ERAR a rendu sa décision à l’effet que la demanderesse ne risquait pas d’être torturée ou persécutée, de subir des traitements ou un châtiment cruels ou inhabituels ou de voir sa vie menacée advenant son renvoi vers la Russie.

 

[14]           Le 8 juin 2010, la Cour fédérale a accordé un sursis à l’exécution du renvoi de la demanderesse en direction de la Russie, son pays d’origine.

 

V.  Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[15]           L’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir, au moyen de preuve probante, qu’elle a été victime de violence conjugale, ni que son ex-conjoint faisait partie de la police. En outre, l’agent d’ERAR n’a pas accordé de force probante à la nouvelle preuve déposée par la demanderesse dans le cadre de la demande d’ERAR, soit la documentation publique traitant de la violence policière, ainsi que des problèmes d’impunité et de corruption en Russie, car cette preuve, selon l’agent d’ERAR, n’est pas liée au cas personnel de la demanderesse, mais plutôt à toute la population russe.

 

VI.  Questions en litige

[16]           (1) L’agent d’ERAR a-t-il pris en compte la totalité des éléments de preuve pertinents au moment de rejeter la demande d’ERAR de la demanderesse?

(2) L’agent ERAR a-t-il erré en fait et en droit en n’appliquant pas dans sa décision les Directives no 4 sur les femmes craignant d’être persécutées en raison de leur sexe?

 

VII.  Dispositions législative pertinentes

[17]           L’article 113 de la LIPR traite de l’examen des risques avant renvoi :

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[18]           Les Directives no 4 traitent de problèmes spéciaux susceptibles de survenir lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié :

D. PROBLÈMES SPÉCIAUX LORS DES AUDIENCES RELATIVES À LA DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

 

1.              Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l'épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles-mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité.

 

2.              Les femmes provenant de certaines cultures où les hommes ne parlent pas de leurs activités politiques, militaires ou même sociales à leurs épouses, filles ou mères peuvent se trouver dans une situation difficile lorsqu'elles sont interrogées au sujet des expériences de leurs parents de sexe masculin.

 

3.              Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l'objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner. Dans certains cas, il conviendra de se demander si la revendicatrice devrait être autorisée à témoigner à l'extérieur de la salle d'audience par affidavit ou sur vidéo, ou bien devant des commissaires et des agents chargés de la revendication ayant reçu une formation spéciale dans le domaine de la violence faite aux femmes. Les commissaires doivent bien connaître les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées publiées par le comité exécutif du HCR.

 

(La Cour souligne).

D. SPECIAL PROBLEMS AT DETERMINATION HEARINGS

 

 

Women refugee claimants face special problems in demonstrating that their claims are credible and trustworthy. Some of the difficulties may arise because of cross-cultural misunderstandings. For example:

 

 

1.              Women from societies where the preservation of one's virginity or marital dignity is the cultural norm may be reluctant to disclose their experiences of sexual violence in order to keep their "shame" to themselves and not dishonour their family or community.

 

 

 

 

2.              Women from certain cultures where men do not share the details of their political, military or even social activities with their spouses, daughters or mothers may find themselves in a difficult situation when questioned about the experiences of their male relatives.

 

 

3.              Women refugee claimants who have suffered sexual violence may exhibit a pattern of symptoms referred to as Rape Trauma Syndrome, and may require extremely sensitive handling. Similarly, women who have been subjected to domestic violence may exhibit a pattern of symptoms referred to as Battered Woman Syndrome and may also be reluctant to testify. In some cases it will be appropriate to consider whether claimants should be allowed to have the option of providing their testimony outside the hearing room by affidavit or by videotape, or in front of members and refugee claims officers specifically trained in dealing with violence against women. Members should be familiar with the UNHCR Executive Committee Guidelines on the Protection of Refugee Women.

 

 

 

[19]           Les Directives no 8 sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), entrée en vigueur le 15 décembre 2006, définissent les caractéristiques d’une personne vulnérable :

2.   Définition d'une personne vulnérable

2.1  Pour l'application des présentes directives, une personne vulnérable s'entend de la personne dont la capacité de présenter son cas devant la CISR est grandement diminuée. Elle peut, entre autres, être atteinte d'une maladie mentale; être mineure ou âgée; avoir été victime de torture; avoir survécu à un génocide et à des crimes contre l'humanité; il peut aussi s'agir d'une femme qui a été victime de persécution en raison de son sexe.

 

2.2  La définition de personnes vulnérables peut s'appliquer à certaines personnes qui présentent un cas devant la CISR, notamment les demandeurs d'asile (SPR), les appelants (SAI), les étrangers ou résidents permanents (SI). Dans certaines circonstances, des membres de la famille proche qui présentent également leur cas devant la CISR peuvent aussi être considérés comme étant des personnes vulnérables à cause de la manière dont ils ont été touchés par la situation de l'être cher.

 

2.3 Les personnes qui comparaissent devant la CISR trouvent souvent le processus difficile pour diverses raisons, notamment à cause des contraintes de langue et de culture et parce qu'elles ont peut-être vécu des expériences traumatisantes qui sont à l'origine d'une certaine vulnérabilité. Les procédures de la CISR ont été conçues pour reconnaître la nature même du mandat de la CISR qui, de façon inhérente, fait intervenir des personnes pouvant être vulnérables. Dans tous les cas, la CISR prend des mesures pour assurer l'équité des procédures. Les présentes directives abordent des difficultés qui vont au-delà de celles auxquelles se heurtent habituellement la plupart des personnes qui comparaissent devant la CISR. Elles visent les personnes qui éprouvent des difficultés particulières et qui doivent faire l'objet de considérations spéciales sur le plan procédural dans le traitement de leur cas. Elles s'appliquent aux cas de vulnérabilité les plus sévères.

 

2.4 Lorsque c'est raisonnablement possible, la vulnérabilité doit être étayée par des éléments de preuve crédibles et indépendants déposés auprès du greffe de la CISR.

2.   Definition of Vulnerable Persons

2.1 For the purposes of this Guideline, vulnerable persons are individuals whose ability to present their cases before the IRB is severely impaired. Such persons may include, but would not be limited to, the mentally ill, minors, the elderly, victims of torture, survivors of genocide and crimes against humanity, and women who have suffered gender-related persecution.

 

 

 

 

2.2 The definition of vulnerable persons may apply to persons presenting a case before the IRB, namely, to refugee protection claimants (in the RPD), appellants (in the IAD), and foreign nationals or permanent residents (in the ID). In certain circumstances, close family members of the vulnerable person who are also presenting their cases before the IRB may qualify as vulnerable persons because of the way in which they have been affected by their loved one's condition.

 

 

 

2.3 Persons who appear before the IRB frequently find the process difficult for various reasons, including language and cultural barriers and because they may have suffered traumatic experiences which resulted in some degree of vulnerability. IRB proceedings have been designed to recognize the very nature of the IRB's mandate, which inherently involves persons who may have some vulnerabilities. In all cases, the IRB takes steps to ensure the fairness of the proceedings. This Guideline addresses difficulties which go beyond those that are common to most persons appearing before the IRB. It is intended to apply to individuals who face particular difficulty and who require special consideration in the procedural handling of their cases. It applies to the more severe cases of vulnerability.

 

 

 

 

 

 

2.4       Wherever it is reasonably possible, the vulnerability must be supported by independent credible evidence filed with the IRB Registry.

 

VIII.  Positions des parties

[20]           La demanderesse allègue que l’agent d’ERAR aurait tenu compte dans son analyse de la décision de la SPR, laquelle présente un déni de justice. Le droit de justice naturelle d’être pleinement entendu de la demanderesse aurait été violé par le fait qu’elle croyait être représentée par avocat, c’est-à-dire par monsieur Goikhberg, alors que celui-ci n’était pas véritablement ce qu’il affirmait être.

 

[21]           Selon le défendeur, le contrôle judiciaire de la demande d’ERAR n’est pas le recours approprié pour la réclamation de la demanderesse. Le défendeur suggère plutôt que la demanderesse devrait attendre la décision de la SPR quant à sa requête en réouverture reçue par la Cour le 30 juillet 2010, ou devrait déposer une nouvelle demande d’ERAR.

 

IX.  Norme de contrôle

[22]           Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 62, la première étape à franchir pour déterminer la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (également, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 53).

 

[23]           Dans la décision Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 361, 343 FTR 291, la Cour fédérale a traité de la norme applicable dans le cadre d’une décision d’ERAR :

[9]        La Cour a conclu que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait d’un agent d’ERAR et aux questions mixtes de fait et de droit est la norme de la décision raisonnable : voir Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407, [2008] A.C.F. n546 (QL), et Elezi c. Canada, 2007 CF 240, 310 F.T.R. 59. Dans Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 843, 170 A.C.W.S. (3d) 140, au paragraphe 18, j’ai jugé que, lorsqu’un demandeur émet des doutes quant au fait qu’un agent d’ERAR a pris dûment en considération la totalité des éléments de preuve au moment de rendre une décision, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable.

 

[10]      Par conséquent, la Cour contrôlera les conclusions de l’agente d’ERAR en ayant égard à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 372  N.R. 1, au paragraphe 47). Cependant, si l’agente d’ERAR omet de motiver convenablement la décision de ne pas prendre en considération de nouveaux éléments de preuve pertinents, importants et probants, le tribunal considérera alors qu’une erreur de droit doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte.

 

[24]           Quant à l’application des Directives, une décision de la Cour révisant une conclusion de la SPR a déterminé que « [l]a question de savoir si la SPR a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe sera donc contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable. » (Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 890, [2010] ACF no 1107 (QL/Lexis) au para 12).

 

X.  Analyse

(1) L’agent d’ERAR a-t-il pris en compte la totalité des éléments de preuve pertinents au moment de rejeter la demande d’ERAR de la demanderesse?

 

[25]           Conformément à l’alinéa 113a) de la LIPR, le demandeur ne peut soumettre que des éléments de preuve nouveaux, survenus depuis le rejet de la demande devant la SPR. L’ERAR doit étudier les risques de renvoi de la personne dans son pays d’origine, à la lumière de faits nouveaux qui n’auraient pas été déposés devant la SPR (Alvarez c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 143, [2005] ACF no 164 (QL/Lexis), au para 6).

 

[26]           Dans la décision Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] ACF no 1632 (QL/Lexis), au paragraphe 13, la Cour d’appel fédérale a résumé les critères à prendre en considération pour déterminer lorsqu’une preuve est « nouvelle » :

1.             Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2.             Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3.            Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

 

a)               à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

 

b)               à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

 

c)               à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les con[s]idérer.

 

4.            Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les con[s]idérer.

 

5.            Conditions légales explicites :

 

a)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les con[s]idérer.

 

b)           Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

[27]           À la lumière de ces critères, il appert à la Cour que l’agent d’ERAR a omis de prendre sous étude une preuve nouvelle qui avait été déposée à son attention, soit la preuve de l’état psychologique de la demanderesse.

 

[28]           Dans sa décision, l’agent d’ERAR mentionne que : « [c]omme nouveaux éléments de preuve, la demanderesse soumet de la documentation publique traitant de la violence policière, ainsi que des problèmes d’impunité et de corruption en Russie » (Décision de l’agent d’ERAR à la p 5). Il fait référence à l’un des documents soumis par la demanderesse, soit un article de La Presse du 2 mars 2010. L’agent d’ERAR a conclu que les renseignements font simplement écho à des renseignements produits antérieurement et qu’ils ne sont pas liés à la situation personnelle de la demanderesse (Décision de l’agent d’ERAR aux pp 5-6).

 

[29]           Selon la Cour, l’appréciation de l’agent d’ERAR à l’égard de cette preuve est raisonnable; la situation des femmes battues et les problèmes d’impunité au sein des forces de l’ordre constituent deux phénomènes qui n’ont guère changé en Russie depuis la date de la décision de la SPR, selon la preuve produite. Dans sa décision, l’agent d’ERAR amorce également une analyse sur la protection adéquate ou non de l’État pour conclure :

La violence conjugale reste un problème grave en Russie, bien que la loi la condamne. Néanmoins, en l’espèce, la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir, au moyen de preuve probante, qu’elle a été victime de violence conjugale ni que son ex-conjoint faisait partie de la police.

 

(Décision de l’agent d’ERAR à la p 6).

 

[30]           Outre la preuve documentaire, la demanderesse a également déposé une nouvelle preuve relative à son état psychologique. Dans sa décision, l’agent d’ERAR mentionne que « [l]a demanderesse n’apporte également pas de nouvel élément de preuve ou de nouveau fait concernant ses allégations de violence conjugale » (Décision de l’agent d’ERAR à la p 5) et qu’il ne lui « appartient pas d’effectuer une nouvelle évaluation de la crédibilité de la demanderesse et d’infirmer les conclusions de la SPR sur la base du même récit » (Décision de l’agent d’ERAR à la p 5). Or, une preuve de l’état psychologique de la demanderesse telle que déposée devant l’agent d’ERAR pourrait être considérée comme un changement dans le récit, particulièrement si l’on considère le fait que la SPR a jugé la demanderesse non crédible sur la base de son témoignage. Une possible preuve de l’incapacité de la demanderesse à témoigner devrait être prise sous étude.

 

[31]           À prime abord, il faut mentionner qu’aucune évaluation psychologique de madame Abbasova n’avait été déposée devant la SPR; la demanderesse n’avait pas encore demandé d’aide psychologique en date du 2 février 2009. À l’appui de sa demande d’ERAR, la demanderesse a déposé, entre autres, les éléments de preuve suivants :

  1. Une lettre datée du 17 août 2009, de monsieur Andrei Moskvitch adressée à l’agent d’ERAR;
  2. Une lettre datée du 17 août 2009, de madame Irina Moskvitch, adressée à l’agent d’ERAR;
  3. Un formulaire de consultation au Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) remplie en date du 31 juillet 2009.

 

[32]           Le formulaire PRAIDA fournit plusieurs informations : il y est mentionné qu’un psychiatre du service de consultation culturelle est le type de professionnel de la santé recommandé pour cette patiente. Plus spécifiquement, le formulaire décrit la situation de madame Abbasova de la façon suivante :

-Il n’y a pas de diagnostic;

-Mlle a peur en présence des étrangers, elle a peur qu’ils lui fassent du mal. Elle n’a pas d’amis;

-Elle est restée un an sans sortir seule de la maison;

-Elle a été incapable de dire son identité à l’audience de la CISR. Elle disait qu’elle n’était pas Olga Abbasova;

-Elle a des réponses qui ne concordent pas avec les questions posées;

-Elle se perd si elle est seule;

-Elle se sent en dépression.

 

(Dossier du tribunal (DT) à la p 90).

 

[33]           Comme le document ne requérait pas de signature, il est difficile de savoir si une intervenante du PRAIDA ou un proche de madame Abbasova a rempli le formulaire.

 

[34]           Quant aux lettres du 17 août 2009, elles proviennent d’amis de la famille de madame Abbasova qui l’hébergent au Canada. Madame Irina Moskvitch déclare, dans sa lettre, qu’elle a aidé la demanderesse à prendre des démarches pour l’obtention d’une aide psychologique :

We went to PRAIDA – (Programme regional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile) for the psychological consultation, where doctor gave her a referral to the Jewish General Hospital for the psychiatric assessment and treatment with probable diagnosis: social phobia, depression. Her appointment is for September 02, 2009.

 

(DT à la p 70).

 

[35]           Dans la même optique, monsieur Andrei Moskvitch, dans sa lettre du 17 août 2009, déclare:

As you may have read in the new documents submitted to you, Olga is suspected to have a medical condition called « social phobia » and a possible depression. She will undergo a medical examination with a psychologist on September 02, 2009 in the Jewish General Hospital. It seems quite clear that the lack of ability of the Minister to establish Olga’s credibility and to establish a credible basis of her claim was due to her impossibility to interact with the Minister during the hearing. This impossibility seems to have risen from her medical condition which may be diagnosed on September 02, 2009.

 

Please accept and take into consideration any additional documents from the hospital which we will provide you after September 02, 2009, as we believe these documents may be crucial for your decision

 

I understand that you have a policy of not accepting any documents past your established deadline, however, I ask you to disregard this policy in the case of Olga Abbasova as you are dealing with a human life and not just a piece of paper.

(La Cour souligne)

 

(DT à la p 67).

 

 

[36]           Quant à ces lettres déposées, l’agent d’ERAR en fait mention dans sa décision, mais n’explique pas pourquoi il ne fait pas l’analyse des informations nouvelles qu’elles apportent :

Monsieur et Madame Moskvitch, qui hébergent la demanderesse depuis qu’elle se trouve au Canada, déclarent également, dans des lettres soumises au dossier, que la demanderesse souffrirait de troubles mentaux, probablement de phobie sociale et c’est la raison pour laquelle elle aurait été incapable de répondre aux questions du commissaire. Il est mentionné qu’elle doit voir un psychologue le 2 septembre 2009.

 

Relevons que la demanderesse a été apte à se présenter à deux reprises à l’ambassade canadienne à Moscou pour une entrevue en vue d’obtenir un visa. Elle a pu voyager au Canada et six mois plus tard se présenter devant un agent d’immigration pour demander l’asile. À chaque fois, elle a été en mesure de répondre à leurs questions.

 

(Décision de l’agent d’ERAR aux pp 4-5).

 

[37]           Il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve soumise à l’agente d’ERAR et ce n’est pas ce qu’elle compte faire; néanmoins, les développements dans la preuve de madame Abbasova, particulièrement quant à sa condition psychologique, auraient pu être considérés comme pertinents s’ils avaient été analysés. Plus précisément, dans son cas spécifique, comme démontré, un trouble psychologique empêcherait la capacité de madame Abbasova de témoigner. Cette preuve pourrait s’avérer centrale dans la détermination de la question de la crédibilité, considérant que la SPR et, par la suite, l’agent d’ERAR, ont jugé madame Abbasova non crédible suite aux réponses qu’elle a fourni durant son témoignage. L’agent d’ERAR a par ailleurs affirmé :

Il est également raisonnable de penser que si la demanderesse souffrait d’une pathologie l’empêchant de témoigner, le commissaire s’en serait rendu compte et aurait ajourné l’audience. (La Cour souligne).

 

(Décision de l’agent d’ERAR à la p 5).

 

[38]           Or, on ne peut demander à la SPR d’avoir la même expertise qu’un professionnel de la santé, au même titre qu’un psychiatre. Les maladies mentales et autres traumatismes de l’ordre du psychologique sont parfois difficiles à déceler, d’où l’importance d’analyser les rapports psychologiques qui sont soumis à la Cour.

 

[39]           Quant aux rapports du médecin, madame Abbasova, dans son affidavit du 7 juillet 2010, déposé devant la Cour fédérale, renvoie à son dossier de requête en sursis dans lequel deux rapports médicaux ont été déposés et provenant de l’Hôpital général juif de Montréal. L’agent d’ERAR était donc au courant que madame Abbasova avait commencé des démarches auprès du PRAIDA, mais ne semble pas avoir eu les rapports médicaux subséquents entre les mains. L’agent d’ERAR explique dans sa décision:

Il est à relever que la demanderesse n’a pas soumis de diagnostic d’un psychologue ni de preuve de suivi médical pour troubles mentaux permettant d’établir son inaptitude à témoigner. Bien qu’elle soit au Canada depuis juin 2006, la demanderesse n’a consulté PRAIDA (Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile) pour une référence psychologique que le 31 juillet 2009, soit après avoir reçu le programme ERAR et lorsque tous ses autres recours ont échoué.

 

(Décision de l’agent d’ERAR à la p 5).

 

[40]           La preuve suivante, si elle n’est pas considérée, constituerait un déni de justice. Dans ses lettres, le Dr G.E. Jarvis, Directeur du Service de consultation culturel, décrivait le cas médical de madame Abbasova de la façon suivante :

... She is chronically anxious, has periods of tearfulness, feels completely lost, cannot plan ahead for her future, is unable to answer questions because she cannot remember details, and is completely dependent on a family friend with whom she lives. The patient presents herself, in many ways, like a child, despite her chronologic age, and is unable to make decisions alone nor can she explain her current predicament in a meaningful way. For example, when asked why she came to Canada, she does not even mention the abuse recorded in her PIF, but talks about working in Canada. She does not trust men and only tolerates the interview with great difficulty. When asked if I can review with her the status of her application for residence in Canada, she becomes quiet, almost fearful, and insists that her friend return to the interview. When asked about her relationship to the friend, she cannot answer at all, but seems confused and hesitant, even close to tears.”

 

...

 

From past history, it seems that the patient has always been a slow learner with difficulty in basic school subjects, such as mathematics and written language. She graduated from a special program from which she earned a certificate in child education. There is reported abuse by parents and her boyfriend ...

 

(Lettre du Dr Jarvis, 30 octobre 2009, Dossier de requête (DR) à la p 36).

 

[41]           Dans la lettre du 19 novembre 2009, le Dr Jarvis parle même de « sequelae of head trauma due to beatings by former boyfriend » (DR à la p 39).

 

[42]           Au sujet de ces rapports médicaux, la Cour spécifie que les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, aux règles 55-60-312 et 313, permettent à la Cour fédérale de prendre en considération un élément nouveau, s’il le juge opportun.

 

[43]           En outre, dans des rares cas exceptionnels, il arrive que les parties, lorsqu’elles se trouvent en présence du décideur de première instance, puissent s’engager à déposer une preuve suite à la date de l’audience d’ERAR. Pour décideurs, de toutes instances, l’équité procédurale nécessite un signal d’alarme rarement entendu ; lequel, il faut entendre pour ne pas perpétrer une injustice. Les Règles d’équité procédurale ordonnent que le décideur soit en possession de la preuve avant de rendre sa décision, tel qu’il l’a été décidé dans Ortega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1407, [2008] ACF no 1818 (QL/Lexis), au paragraphe 14. Dans cette décision, l’agent d’ERAR avait été avisé de l’intention du demandeur, dans le formulaire de demande, de soumettre des articles de journaux : ceux-ci n’avaient pas été classés dans le bon dossier, et n’avaient pas été considérés par l’agent d’ERAR. Dans l’affaire Selduz, ci-dessus, au paragraphe 23, la Cour avait accueilli la demande, car l’agent d’ERAR avait omis de traiter d’un rapport médical dans son analyse. Le juge Michael L. Phelan a spécifié dans Clarke c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 357, [2009] ACF no 441 (QL/Lexis), au paragraphe 16, que l’équité procédurale permet d’accueillir la révision de décision que dans les cas où « les documents manquants touchaient le fondement même de la demande ainsi que les motifs invoqués pour rejeter l’ERAR. » Avec les informations disponibles, il n’est pas possible pour la Cour de déterminer pour quelles raisons les rapports médicaux n’ont pas été soumis alors que monsieur Moskvitch s’était engagé à le faire une fois l’évaluation complétée. L’agent d’ERAR n’a pas tenu d’audience et s’en est tenu au témoignage de madame Abbasova qui avait été rendu devant la SPR.

 

[44]           Par ailleurs, même sans les rapports de l’hôpital, il pouvait être possible pour l’agent d’ERAR de conclure que, à tout le moins, madame Abbasova avait demandé une évaluation psychologique et qu’elle avait rencontré un professionnel de la santé suite à la décision rendue par la SPR. L’option de tenir une audience aurait pu être envisagée comme il était question de la crédibilité de la demanderesse; madame Abbasova n’en a cependant pas fait la demande. L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement) prévoit les facteurs précis dont l’agent doit tenir compte lorsqu’il examine si une audience est nécessaire. Cet article est libellé comme suit :

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

Hearing — prescribed factors

 

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[45]           Dans la décision d’un cas exceptionnel, comme dans Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, 141 ACWS (3d) 809, le juge Michael A. Kelen précise :

[14]      [...] L’obligation d’équité qu’impose la common law oblige à donner au demandeur la possibilité de présenter des éléments de preuve et de participer à l’instruction de sa demande, en particulier dans un cas, où comme ici, une décision défavorable aurait de très graves répercussions sur la vie du demandeur. Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.); Mojzisik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 33, au paragraphe 21. En l’espèce, il est évident, avec le recul, que le demandeur n’a pas eu cette possibilité et qu’il y a donc eu manquement à l’obligation d’équité.

 

[46]           L’agent d’ERAR ne mentionne pas dans sa décision pourquoi il écarte ce début de nouvelle preuve psychologique dont il n’a pas eu l’opportunité de discuter avec les parties dans le cadre d’une audience. Tel que l’a fait remarquer le juge Mandamin dans une décision portant sur l’équité procédurale, la preuve psychologique devrait être pertinente dans le cas de femmes réfugiées :

[19]      La preuve documentaire démontre que les femmes sont très à risque d’être victimes d’agression sexuelle et d’autres crimes fondés sur le sexe en raison du conflit en Colombie. La demanderesse est une femme vulnérable qui est une victime connue de viol. Dans ces circonstances, les directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, établies par le président conformément à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR, s’appliquent et l’évaluation psychologique devrait être pertinente. L’agente d’ERAR n’a pas justifié pourquoi elle n’a pas tenu compte de l’évaluation psychologique à venir de la demanderesse, et elle n’a pas tenu compte des directives du président. (La Cour souligne).

 

(Gomez, ci-dessus).

 

[47]           Dans certains cas, rien ne peut être décidé sans prendre au moins considération de façon profonde des rapports des experts et des personnes qui entourent une personne qui a été abusée et où le cercle vicieux d’abus a mené en soi à des problèmes d’apprentissage, comme ça pourrait être le cas de la demanderesse. Certains des éléments de preuve peuvent ici, potentiellement, corroborer le récit de la demanderesse. En outre, plus une preuve qui n’a pas été expressément analysée dans les motifs de la décision est importante et plus la Cour sera disposée à « [...] inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée ‘sans tenir compte des éléments dont il [disposait]’ » (Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 FTR 312 (CF 1re inst), tel que cité dans Kaybaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32, 128 ACWS (3d) 784, au para 5).

 

[48]           Il s’agit ici d’un cas d’espèce. La demanderesse n’a pas répondu de façon cohérente aux questions à l’audience de la SPR, possiblement en raison d’un trouble psychologique causé par un traumatisme. En ce sens, il faut au moins que la version de la demanderesse soit prise en considération par l’agent d’ERAR et si la demanderesse ne peut pas témoigner, l’agent doit au moins se questionner à savoir si l’incapacité de la demanderesse de témoigner proviendrait en fait de son traumatisme tel qu’en témoigne le rapport d’expert.

 

[49]           Il découle de la preuve que madame Abbasova ne peut pas répondre par elle-même. Cette paralysie pourrait être due au fait qu’elle n’ait jamais pu se défendre ni se faire valoir, ce qui est une partie intégrante du syndrome de la femme battue, encore plus en raison des sévères problèmes d’apprentissage dont elle souffre.

 

[50]           Ceci n’est certainement pas un précédent mais plutôt un cas d’espèce le plus rare possible pour des personnes possiblement abusées et qui n’ont pas l’habitude de se défendre, aggravée par des défis énormes d’apprentissage.

 

[51]           La preuve de la demanderesse qui sous-tend le risque qu’elle court en tant que femme persécutée en Russie pourrait être crédible si on examine l’ensemble de la preuve et les sources multiples, soit le témoignage silencieux de la demanderesse, les lettres des membres de son entourage, ainsi que sa situation psychologique. L’agent d’ERAR aurait dû analyser tous ces éléments de preuve pour que sa décision soit raisonnable.

 

2. L’agent d’ERAR a-t-il erré en fait et en droit en n’appliquant pas dans sa décision les Directives no 4 sur les femmes fuyant la persécution basée sur le sexe?

 

[52]           Les Directives no 4 représentent un instrument désormais bien ancré dans les décisions en matière d’immigration; elles ont pour but de favoriser l’adoption d’une approche cohérente quant au traitement des revendications de femmes craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[53]           Les Directives n’ont pas force de loi et ni de règlement : elles sont « un outil pour évaluer les éléments de preuve, particulièrement dans le cas des femmes qui craignent d’être persécutées » (Saleh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1074, 141 ACWS (3d) 621, au para 7). Bien qu’elles soient émises par le Président de la SPR en vertu de l’article 159 de la LIPR, les Directives ont également été appliquées en matière de décisions d’agents d’ERAR (par exemple : Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 31, [2010] ACF no 41 (QL/Lexis) et  Joseph c Canada (Solliciteur général,) 2006 CF 165, 146 ACWS (3d) 311 au para 19).

 

[54]           Les Directives abordent la question des femmes qui revendiquent le statut de réfugié ou qui, selon une jurisprudence, passent devant l’agent d’ERAR et font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Les femmes qui ont été victimes de violence familiale peuvent tomber sous cette catégorie. Ces femmes peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom du syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner.

[55]           Les Directives réfèrent à la discussion bien connue de la Cour suprême sur le syndrome de la femme battue présentée dans l’arrêt Lavallée, ci-dessus. La juge Wilson y traite des mythes et autres stéréotypes entourant la violence familiale :

[54]      Une autre manifestation de cette forme d'oppression est apparemment la réticence de la victime à révéler l'existence ou la gravité des mauvais traitements [...]

 

[56]           La Cour a expliqué que la preuve d’expert peut alors apporter une aide ayant pour but de détruire les mythes et apporter une explication sur les raisons pour lesquelles une femme battue demeure dans sa situation qui équivaut à un cycle de souffrances.

 

[57]           Ainsi, les tribunaux doivent être particulièrement sensibles à la difficulté qu’éprouve une demanderesse à témoigner. En effet, comme l’indiquait le juge Denis Pelletier dans la décision Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 FTR 294, [2000] ACF no 738 (QL/Lexis) :

[17]      Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d'influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution. [...] (La Cour souligne)

 

[58]           Dans la décision Martinez, ci-dessus, le juge Yvon Pinard a soumis un résumé de l’application des Directives (citant la décision Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1273, 302 FTR 67, au paragraphe 33) :

[22]      [...] le but des lignes directrices est de « s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité » et « dans certaines circonstances, la SPR n’a même pas l’obligation de mentionner ces Directives dans sa décision » (au paragraphe 30).

[59]           En l’espèce, la décision de la SPR mentionnait les Directives no 4 (Décision de la SPR à la p 2).

 

[60]           La SPR a également adopté des Directives (les Directives no 8) visant la situation des personnes vulnérables. Une femme victime de persécution en raison de son sexe peut entrer dans la définition de personne vulnérable (article 2.1 des Directives no 8). Le traitement de ces personnes appelle une considération particulière (articles 1.4 et 1.5 des Directives no 8). La vulnérabilité d’une personne peut faire en sorte qu’elle ait de la difficulté à témoigner :

a.              la vulnérabilité d'une personne peut affecter sa mémoire et son comportement, de même que sa capacité de relater des événements pertinents;

 

b.              la personne vulnérable peut éprouver des symptômes qui ont des répercussions sur la cohérence de son témoignage;

 

c.              la personne vulnérable qui craint les personnes en position d'autorité peut associer celles qui participent au processus d'audience aux autorités qu'elle craint;

 

d.              la personne vulnérable peut être réticente ou incapable de parler de ses expériences.

a.              a person's vulnerability may affect memory and behaviour and their ability to recount relevant events;

 

 

 

b.              the vulnerable person may be suffering from symptoms that have an impact on the consistency and coherence of their testimony;

 

c.              vulnerable persons who fear persons in a position of authority may associate those involved in the hearing process with the authorities they fear;

 

 

d.              a vulnerable person may be reluctant or unable to talk about their experiences.

 

[61]           Une preuve d’expert peut alors s’avérer très utile pour déterminer si la personne dont le cas est sous étude est une personne que l’on peut qualifier de « vulnérable » (Article 8 des Directives no 8). En outre, il faut éviter un raisonnement circulaire dans l’application des Directives et éviter de mettre de côté les Directives de façon prématurée dans les cas où la demanderesse n’est pas jugée digne de foi : les Directives « [...] existent, en partie pour s’assurer que les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses ne contrecarrent pas l'évaluation appropriée de la crédibilité d'un demandeur (dans une décision révisant une décision de la SPR quant à l’application des Directives no 4 : Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1450, 259 FTR 273 au para 33).

 

[62]           Dans le cadre d’une trame factuelle similaire au cas présent, dans la décision Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 405, 148 ACWS (3d) 114, la juge Judith A. Snider a révisé une décision prise par la SPR quant à la sensibilité dont doit faire preuve le décideur :

[14]      Au-delà du bien-fondé des diverses contradictions signalées par la Commission, je m’inquiète du manque de sensibilité dont la Commission semble avoir fait preuve à l’égard du témoignage de la demanderesse. Dans la présente affaire, la demanderesse a formulé des allégations détaillées concernant de graves sévices psychologiques, physiques et sexuels qui se sont étalés sur plusieurs années. Il ressort de la transcription de l’audience que la demanderesse a éprouvé de la difficulté à se souvenir de la date exacte des faits survenus pendant sa cohabitation avec son ami de cœur.

 

[...]

 

[16]      La transcription de l’audience contient de nombreux éléments qui montrent que la demanderesse a éprouvé de la difficulté à présenter la chronologie des événements survenus entre 1999 et 2003, avant son arrivée au Canada. D’une façon générale, les trous de mémoire entraînent parfois une conclusion défavorable en matière de crédibilité, mais lorsque la revendicatrice est une victime de violence familiale grave, la Commission doit envisager la possibilité que ces trous de mémoire soient de nature psychologique. Je ne vois en l’espèce aucun élément indiquant que la Commission ait tenu compte de cette possibilité. Je ne peux que me faire l’écho des commentaires de la juge Tremblay-Lamer dans Keleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56, au par. 15 :

 

En d’autres mots, le fond l’emporte sur la forme lorsqu’il s’agit de trancher la question de savoir si les principes énoncés dans les directives ont été appliqués correctement. Par conséquent, le fait que, en l’espèce, on fait référence aux directives au début de la décision de la Commission n’empêche pas a priori la contestation de la décision sur ce fondement.

 

[17]      Au lieu de faire preuve de sensibilité aux difficultés que pouvait éprouver la demanderesse à parler de son passé, la Commission semble avoir été très critique des différences qui existaient entre le témoignage de la demanderesse et son FRP. La Commission a adopté cette attitude même si elle s’est principalement fondée sur des omissions plutôt que sur des contradictions (qui sont plus troublantes) et si la demanderesse a expliqué à l’audience qu’elle avait eu de la difficulté, pour des raisons émotives, à remplir son FRP (voir, par exemple, le dossier du tribunal certifié à la p. 373).

 

[18]      À mon avis, compte tenu de tout cela, la Commission aurait dû se demander si les écarts qu’elle a constatés et sur lesquels elle s’est fondée pour mettre en question la crédibilité de la demanderesse découlaient de problèmes psychologiques et non pas de la volonté de fabriquer des preuves. La Commission n’était certes pas tenue d’accepter le témoignage de la demanderesse, mais elle était néanmoins tenue, en l’espèce, de l’apprécier en fonction des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. À mon avis, ce n’est pas ce qu’elle a fait. (La Cour souligne).

 

[63]           De façon similaire, le témoignage de madame Abassova présentait surtout des omissions que des contradictions. En outre, le fait que madame Abbasova travaille dans un service de garde n’empêche pas qu’elle puisse être une personne vulnérable psychologiquement. Au contraire, le fait qu’elle côtoie des enfants en très jeune âge, eux-mêmes vulnérables, peut être considéré comme un témoignage de sa propre vulnérabilité. Les personnes fragiles et vulnérables peuvent travailler avec des personnes fragiles et vulnérables, avec des enfants qui ne sont pas violents à leur égard.

 

[64]           En plus, un passage de la preuve documentaire déposée par la demanderesse devant l’agent d’ERAR démontre que la violence familiale envers les femmes est un problème encore répandu en Russie :

... Violence against women and children, including domestic violence, remained a significant problem ...

 

...

 

Domestic violence remained a major problem. As of March the Ministry of Internal Affairs maintained records on more than 4 million perpetrators of domestic violence. The ministry estimated that a woman died every 40 minutes at the hands of a husband, boyfriend, or other family member and that 80 percent of women had experienced domestic violence at least once in their lives. The ministry also estimated that 3,000 men a year were killed by wives or girlfriends whom they had beaten. However, the reluctance of victims to report domestic violence meant that reliable statistical information on its scope was impossible to obtain. Official telephone directories contained no information on crisis centers or shelters. Law enforcement authorities frequently failed to respond to reports of domestic violence.

 

(U.S. Department of State – 2009 Human Rights Report : Russia, Country Reports on Human Rights Practices, March 11, 2010).

 

[65]           En l’espèce, est-ce que l’agent d’ERAR a fait preuve de raisonnabilité qui demanderait de la sensibilité dans son étude du cas de la demanderesse? Du moins, il aurait dû se demander si la demanderesse est une personne potentiellement visée par les Directives no 4 et no 8. Il faudrait considérer à nouveau la preuve qui n’a peut-être pas été assez pesée et qui, peut-être, pèserait plus. Pour des personnes dans des circonstances si exceptionnelles où le silence de leur propre part est si éclatant il faut au moins considérer la preuve qui n’est pas silencieuse, qui émane des autres milieux à l’appui du cas présenté par la demanderesse.

 

[66]           Très rarement, il arrive des cas où le silence en soi-même est une représentation de la douleur que la personne aurait ressentie, ceci dans des cas où le silence est si marquant qu’il n’y a même pas de mensonge à considérer mais plutôt un silence qui pourrait être seulement réconcilié lorsque considéré avec une preuve tangible ou concrète qui émanent des personnes autres que la demanderesse pour dévoiler le cas de la demanderesse elle-même.

 

[67]           Ceci présente le plus grand défi au système quasi-judiciaire et judiciaire à cause du fait que la preuve n’est jamais à l’intérieure, au centre, mais plutôt démontrée par ceux qui ont observé, analysé et évalué la personne en considération où le décideur pourrait seulement connaître le personnage par d’autres comme une personne qui à son propre égard est muette. Il n’y a rien de plus éclatant qu’un cri silencieux qui ne fait pas de bruit et donc il faut écouter les voix autours plutôt que la personne concernée. Certaines personnes sont abusées à tel point qu’elles ne peuvent pas témoigner et uniquement des personnes autours peuvent exprimer par leur voix ce que la personne concernée n’est pas en mesure d’exprimer.

 

[68]           Dans certains cas le système quasi-judiciaire et judiciaire devient la voix de ceux qui n’ont pas de voix (par exemple : Erdogu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 407, 166 ACWS (3d) 311). Comme spécifié par le juge John Maxwell Evans dans Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst), 83 ACWS (3d) 264 :

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. (La Cour souligne).

 

X.  Conclusion

[69]           La Cour reconnaît qu’il est nécessaire de renvoyer le dossier de madame Abbasova à un autre agent d’ERAR pour une nouvelle considération. Le raisonnement de l’agent d’ERAR devra tenir compte de toute la preuve qui a été soumise au dossier de madame Abbasova et apprécier cette preuve en regard des Directives qui indiquent une approche raisonnable menant à la sensibilité quant à la difficulté de témoigner d’une personne revendicatrice du statut de réfugié craignant d’être persécuté en raison de son sexe. Une approche raisonnable nécessite la sensibilité, particulièrement dans l’appréciation de la preuve subjective déposée par madame Abbasova, qui pourrait mener à une décision différente de celle qui a été prise par l’agent d’ERAR dans le présent dossier. En conséquence, l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1)      la demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2)      l’affaire soit traitée à nouveau par un autre agent d’ERAR;

3)      aucune question certifiée ne soit soumise.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2940-10

 

INTITULÉ :                                       OLGA BORISOVNA ABBASOVA c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 14 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Denise Feret

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Christine Bernard

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DENISE FERET, avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

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