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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101005

Dossier : T-418-10

Référence : 2010 CF 988

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LE Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier

demandeur

et

 

GLOBAL TELEVISION,

DIVISION DE

CANWEST TELEVISION

LIMITED PARTNERSHIP

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, au sujet de la décision d’un délégué de la ministre du Travail (la ministre) prise en date du 19 février 2010 (la décision) et faisant droit à la demande de la défenderesse de nommer un conciliateur en vertu de l’article 72 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code).

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (le syndicat ou le demandeur) est l’agent négociateur accrédité de certains employés syndiqués de la défenderesse, Global Television (Global ou la défenderesse), l'employeur.

 

[3]               Les parties ont déjà comparu à de nombreuses reprises devant le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI). Au cours d'instances devant le CCRI, celui-ci a établi trois unités de négociation régionales pour la défenderesse : la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Est du Canada. Les parties ont un certain nombre d'instances en cours au CCRI.

 

[4]               Le 14 janvier 2008, Global a signifié au syndicat sa volonté d’entamer des négociations collectives relativement à l’unité de négociation de l’Est du Canada. La défenderesse a réitéré son avis le 11 janvier 2010. Le syndicat soutient que l’avis de négociation était prématuré et irrégulier, et c’est pourquoi il a refusé d’engager des négociations collectives avec Global.

 

[5]               En juin 2008, Global a déposé une plainte auprès du CCRI, alléguant que le syndicat avait refusé de négocier. Le syndicat a déposé à son tour une plainte alléguant qu’il n’était pas tenu par la loi de négocier dans les circonstances. Les deux plaintes sont en instance au CCRI.

 

[6]               En octobre 2009, Global a demandé la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C-36 (la LACC). Donnant suite à cette demande, la Cour supérieure de l’Ontario a décerné une ordonnance (l'ordonnance de suspension) suspendant toute instance contre ou relativement à Global jusqu’au 5 novembre 2009. La suspension a ultérieurement été prolongée jusqu’au 31 mars 2010, puis au 15 juin 2010 (l'ordonnance de prorogation de la suspension). Au moment de l’audience, la suspension avait été prolongée jusqu’au 8 septembre 2010.

 

[7]               Le 4 février 2010, Global a écrit à la ministre lui demandant de nommer un conciliateur en vertu de l’article 72 du Code. Le syndicat a également écrit à la ministre pour s’opposer à la nomination d’un conciliateur. Le conciliateur a été nommé le 19 février 2010.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[8]               La ministre a fait droit à la demande de Global demandant la nomination d’un conciliateur dans le différend qui opposait Global au syndicat parce qu’elle aurait reçu [traduction] « un avis portant sur six différends, en application de l’article 71 du Code canadien du travail ».  

 

[9]               La ministre a signalé que, pour l'application de l’alinéa 73(2)b) du Code, le mandat du conciliateur peut être prolongé par le ministre d’un maximum de 60 jours à compter de la date de sa nomination et par consentement mutuel des parties par la suite.

 

            LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           Les questions en litige dans la demande se résument ainsi :

  1. La décision de nommer un conciliateur était-elle interdite par l’ordonnance de prorogation de la suspension décernée par le juge de la Cour supérieure de l’Ontario?
  2. Subsidiairement, la décision est-elle invalide parce qu’elle a été prise à l’égard de [traduction] « différends multiples » qui n’existaient pas?
  3. Subsidiairement encore, la décision de nommer un conciliateur était-elle irrégulière :

a)      parce qu’il s’est agi d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire ministériel;  

b)      parce qu’elle dépendait de l’existence d’une obligation de négocier et de la signification d’un avis de négociation approprié, et que ni l’une ni l'autre n’existaient?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[11]           Les dispositions suivantes du Code s’appliquent en l’espèce :

48. Une fois accrédité pour une unité de négociation et en l’absence de convention collective applicable aux employés de cette unité, l’agent négociateur de celle-ci — ou l’employeur — peut transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue de la conclusion d’une convention collective.

 

 

 

 

 

49. (1) Toute partie à une convention collective peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration, ou au cours de la période plus longue fixée par la convention, transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue du renouvellement ou de la révision de la convention ou de la conclusion d’une nouvelle convention.

 

 

 

 

 

 

 

(2) Si la convention collective prévoit la possibilité de révision d’une de ses dispositions avant l’échéance, toute partie qui y est habilitée à ce faire peut transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue de la révision en cause.

 

 

 

 

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

 

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

 

 

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;

 

b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n’ont pas été remplies, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.

 

 

 

 

 

71. (1) Une fois donné l’avis de négociation collective, l’une des parties peut faire savoir au ministre, en lui faisant parvenir un avis de différend, qu’elles n’ont pas réussi à conclure, renouveler ou réviser une convention collective dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) les négociations collectives n’ont pas commencé dans le délai fixé par la présente partie;

 

b) les parties ont négocié collectivement mais n’ont pu parvenir à un accord.

 

 

 

 

(2) La partie qui envoie l’avis de différend en fait parvenir sans délai une copie à l’autre partie.

 

 

72. (1) Dans les quinze jours suivant la réception de l’avis qui lui a été donné aux termes de l’article 71, le ministre prend l’une ou l’autre des mesures suivantes :

 

a) nomination d’un conciliateur;

 

b) nomination d’un

commissaire-conciliateur;

 

c) constitution d’une commission de conciliation en application de l’article 82;

 

d) notification aux parties, par écrit, de son intention de ne procéder à aucune des mesures visées aux alinéas a), b) et c).

 

 

(2) Même sans avoir reçu l’avis prévu à l’article 71, le ministre peut prendre toute mesure visée aux alinéas (1)a), b) ou c) s’il l’estime opportun pour aider les parties à conclure ou à réviser une convention collective.

 

 

 

(3) Le ministre ne peut prendre qu’une des mesures que prévoit le présent article à l’égard d’un différend visant une unité de négociation collective.

48. Where the Board has certified a bargaining agent for a bargaining unit and no collective agreement binding on the employees in the bargaining unit is in force, the bargaining agent may, by notice, require the employer of those employees, or the employer may, by notice, require the bargaining agent to commence collective bargaining for the purpose of entering into a collective agreement.

 

49. (1) Either party to a collective agreement may, within the period of four months immediately preceding the date of expiration of the term of the collective agreement, or within the longer period that may be provided for in the collective agreement, by notice, require the other party to the collective agreement to commence collective bargaining for the purpose of renewing or revising the collective agreement or entering into a new collective agreement.

 

 

(2) Where a collective agreement provides that any provision of the collective agreement may be revised during the term of the collective agreement, a party entitled to do so by the collective agreement may, by notice, require the other party to commence collective bargaining for the purpose of revising the provision.

 

50. Where notice to bargain collectively has been given under this Part,

 

 

 

(a) the bargaining agent and the employer, without delay, but in any case within twenty days after the notice was given unless the parties otherwise agree, shall

 

(i) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith, and

 

(ii) make every reasonable effort to enter into a collective agreement; and

 

(b) the employer shall not alter the rates of pay or any other term or condition of employment or any right or privilege of the employees in the bargaining unit, or any right or privilege of the bargaining agent, until the requirements of paragraphs 89(1)(a) to (d) have been met, unless the bargaining agent consents to the alteration of such a term or condition, or such a right or privilege.

 

 

71. (1) Where a notice to commence collective bargaining has been given under this Part, either party may inform the Minister, by sending a notice of dispute, of their failure to enter into, renew or revise a collective agreement where

 

(a) collective bargaining has not commenced within the time fixed by this Part; or

 

(b) the parties have bargained collectively for the purpose of entering into or revising a collective agreement but have been unable to reach agreement.

 

 

(2) The party who sends a notice of dispute under subsection (1) must immediately send a copy of it to the other party.

 

72. (1) The Minister shall, not later than fifteen days after receiving a notice in writing under section 71,

 

 

 

(a) appoint a conciliation officer;

 

(b) appoint a conciliation commissioner;

 

(c) establish a conciliation board in accordance with section 82; or

 

(d) notify the parties, in writing, of the Minister’s intention not to appoint a conciliation officer or conciliation commissioner or establish a conciliation board.

 

(2) Where the Minister has not received a notice under section 71 but considers it advisable to take any action set out in paragraph (1)(a), (b) or (c) for the purpose of assisting the parties in entering into or revising a collective agreement, the Minister may take such action.

 

(3) The Minister may only take one action referred to in this section with respect to any particular dispute involving a bargaining unit.

 

[12]           Les dispositions suivantes de la LACC s’appliquent également en l’espèce :

Suspension : demande initiale

 

11.02 (1) Dans le cas d’une demande initiale visant une compagnie débitrice, le tribunal peut, par ordonnance, aux conditions qu’il peut imposer et pour la période maximale de trente jours qu’il estime nécessaire :

 

a) suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute procédure qui est ou pourrait être intentée contre la compagnie sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations;

 

b) surseoir, jusqu’à nouvel ordre, à la continuation de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie;

 

 

c) interdire, jusqu’à nouvel ordre, l’introduction de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie.

 

 

Suspension : demandes autres qu’initiales

 

(2) Dans le cas d’une demande, autre qu’une demande initiale, visant une compagnie débitrice, le tribunal peut, par ordonnance, aux conditions qu’il peut imposer et pour la période qu’il estime nécessaire :

 

a) suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute procédure qui est ou pourrait être intentée contre la compagnie sous le régime des lois mentionnées à l’alinéa (1)a);

 

 

b) surseoir, jusqu’à nouvel ordre, à la continuation de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie;

 

 

c) interdire, jusqu’à nouvel ordre, l’introduction de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie.

 

 

Preuve

 

 

(3) Le tribunal ne rend l’ordonnance que si :

 

a) le demandeur le convainc que la mesure est opportune;

 

 

 

b) dans le cas de l’ordonnance visée au paragraphe (2), le demandeur le convainc en outre qu’il a agi et continue d’agir de bonne foi et avec la diligence voulue.

 

Restriction

 

(4) L’ordonnance qui prévoit l’une des mesures visées aux paragraphes (1) ou (2) ne peut être rendue qu’en vertu du présent article.

 

Stays, etc. — initial application

 

11.02 (1) A court may, on an initial application in respect of a debtor company, make an order on any terms that it may impose, effective for the period that the court considers necessary, which period may not be more than 30 days,

 

(a) staying, until otherwise ordered by the court, all proceedings taken or that might be taken in respect of the company under the Bankruptcy and Insolvency Act or the Winding-up and Restructuring Act;

 

(b) restraining, until otherwise ordered by the court, further proceedings in any action, suit or proceeding against the company; and

 

(c) prohibiting, until otherwise ordered by the court, the commencement of any action, suit or proceeding against the company.

 

Stays, etc. — other than initial application

 

(2) A court may, on an application in respect of a debtor company other than an initial application, make an order, on any terms that it may impose,

 

 

 

(a) staying, until otherwise ordered by the court, for any period that the court considers necessary, all proceedings taken or that might be taken in respect of the company under an Act referred to in paragraph (1)(a);

 

(b) restraining, until otherwise ordered by the court, further proceedings in any action, suit or proceeding against the company; and

 

(c) prohibiting, until otherwise ordered by the court, the commencement of any action, suit or proceeding against the company.

 

Burden of proof on application

 

(3) The court shall not make the order unless

 

(a) the applicant satisfies the court that circumstances exist that make the order appropriate; and

 

(b) in the case of an order under subsection (2), the applicant also satisfies the court that the applicant has acted, and is acting, in good faith and with due diligence.

 

Restriction

 

(4) Orders doing anything referred to in subsection (1) or (2) may only be made under this section.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[13]           Il existe un profond désaccord entre les parties au sujet de la norme de contrôle qui s’applique aux questions en litige dans la présente demande. Global estime que toutes les questions soulevées doivent faire l’objet d’un contrôle utilisant la norme de raisonnabilité. Le demandeur, pour sa part, est d’avis que, au moins à l’égard de la question de compétence, la norme doit être la décision correcte.

 

[14]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[15]           À mon avis, la question de savoir si l’ordonnance de suspension interdisait la nomination d’un conciliateur n’est pas une vraie question de compétence. Le demandeur admet que rien, dans la LACC, n’empêche la nomination d’un conciliateur, et il n’y a rien à redire concernant le pouvoir du ministre de nommer un conciliateur en vertu du Code. À mes yeux, il s’agit de la simple question de savoir si les termes de l’ordonnance interdisaient la nomination d’un conciliateur. En d’autres termes, c’est une question d’interprétation de l’ordonnance, ce qui a comme conséquence l’application de la norme de raisonnabilité.

 

[16]           Dans la décision Kissoon c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 24, 245 F.T.R. 152, confirmé : 329 N.R. 232 (C.A.F.), la juge Snider a conclu aux paragraphes 4 et 5 que la norme de contrôle devant s'appliquer à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est la décision manifestement déraisonnable :

4     La décision du ministre au titre du paragraphe 66(4) du RPC est discrétionnaire. L'obligation du ministre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées n'intervient que dans le cas où il est convaincu qu'un avis erroné a été donné ou qu'une erreur administrative a été commise. L'obligation de prendre des mesures correctives est conditionnelle. Elle ne limite donc pas le pouvoir discrétionnaire du ministre de déterminer tout d'abord s'il est convaincu qu'une erreur a été commise (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada [1982] 2 R.C.S. 2). Compte tenu de la nature discrétionnaire de la décision du ministre, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, à la page 24). Cela signifie que la décision du ministre ne devrait être annulée que si elle a été « prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle n'est pas étayée par la preuve ou que [le] ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents » (Maple Lodge Farms, précité).

 

5.         Une conclusion d'avis erroné ou d'erreur administrative est une conclusion de fait. Elle indique également à la cour de révision qu'elle doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision du ministre. La Cour ne doit ni apprécier à nouveau la preuve ni modifier les conclusions tirées uniquement parce qu'elle serait arrivée à une autre conclusion (Suresh, précité, à la page 24).

 

 

Cette décision a été citée favorablement par le juge Mandamin dans la décision Manning c. Canada (Développement des ressources humaines), 2009 CF 523, [2009] A.C.F. no 646.

 

[17]           Dans la décision Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2007 CF 929, [2007] A.C.F. no 1223, le juge Harrington a considéré la norme de contrôle à appliquer lorsqu’un protonotaire interprétait ses propres ordonnances. Il a écrit :

[traduction]

 

7.         Les trois ordonnances visées par l’appel sont de nature discrétionnaire. Peu importe ce qu’ont pu être ses décisions [celles de la protonotaire Aronovitch], elles n’étaient pas cruciales pour l’issue des affaires en cause. Par conséquent, il ne faut pas intervenir dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et je ne dois pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo, à moins que les ordonnances ne soient clairement fautives en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire reposait sur un principe erroné ou une mauvaise compréhension des faits (Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, 30 C.P.R. (4th) 40 (C.A.F.)). Eli Lilly soutient que la protonotaire a mal interprété ses ordonnances antérieures et a donc fait reposer ses décisions sur un mauvais principe.

 

[…]

 

15.     Quant à savoir si les deux ordonnances doivent être interprétées de pair ou si l’une l’emporte sur l’autre, c’est une question d’interprétation. Comme l’a dit la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt Allen c. Manitoba (Judicial Council), [1993] 3 W.W.R. 749, 83 Man. R. (2d) 136, [traduction] « […] l’ordonnance judiciaire doit ordinairement s’interpréter dans le contexte de la demande qui en a été faite ». Il n’y a rien dans le dossier qui donne à penser que la protonotaire se soit trompée.

 

16.     Bien que je m’appuie sur la décision correcte comme norme, c’est-à-dire que je peux ne manifester aucune déférence pour elle sur un point de droit, il se peut fort bien que l’interprétation des ordonnances fixant un échéancier ne doive pas être perturbée, à moins qu’elle ne soit déraisonnable. Dans l’arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, la Cour suprême a décidé que la norme de contrôle judiciaire applicable à l’interprétation qu’un arbitre fait d’une convention collective est la décision raisonnable simpliciter. Bien qu’un appel interjeté auprès de la Cour de l’ordonnance d’un protonotaire soit d’un ordre juridique différent, le fait demeure que c’est le responsable de la gestion de l’instance qui sait ce qui se passe dans une affaire et pourquoi. S’il fallait donner de longs motifs pour toutes les ordonnances, le processus serait ralenti au point d’être paralysé.

 

[…]

 

21.     Je ne suis pas disposé à dire qu’elle a commis une erreur de droit en interprétant ses deux ordonnances. En fait, je ne pense pas qu’une approche strictement littérale du texte puisse être adoptée dans l’analyse des ordonnances fixant un échéancier. L’ordonnance de juin 2005 était sa 56e, celle de mars 2006, la 72e et celle qui fait l’objet de l’appel est la 103e, qu’on peut trouver à la page 245 des inscriptions enregistrées.

 

22.     J’estime que la question qu’il faut se poser est de savoir si son interprétation était raisonnable et dans l’intérêt de la justice. Je ne suis pas d’avis qu’il s’agisse d’une question de droit stricte au point que l’ordonnance de la protonotaire doive être contrôlée selon la décision correcte. Voir Voice Construction, précité.

 

[18]           La question de savoir si la décision et la nomination sont non valides parce qu’elles ont reposé sur des conclusions de fait erronées doit être examinée, à mon avis, selon la norme de raisonnabilité. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53. La décision peut être annulée s’il est constaté qu’elle repose sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

[19]           De la même façon, j’estime que c’est la norme de raisonnabilité qui convient pour décider si la décision et la nomination sont non valides parce qu’il n’y aurait pas eu obligation de négocier ni signification d’un avis conforme, deux éléments qui sont des questions de fait. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[20]           Le contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre exige une certaine retenue. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53. Par conséquent, la norme de raisonnabilité est la norme qui convient.

 

[21]      Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        La décision et la nomination étaient contraires à l’ordonnance

 

[22]           Le syndicat soutient que l’ordonnance initiale prise par la Cour supérieure de l’Ontario prévoyait une suspension d'instance qui s’appliquait à [traduction] « tous les droits et recours de […] toute entité ou organisme gouvernemental ou de toute autre entité […] » L’ordonnance de prorogation a prolongé la période de suspension jusqu’au 31 mars 2010. En conséquence, la décision et la nomination du conciliateur, le 19 juin, sont survenus pendant la période de suspension et étaient contraires à l’ordonnance et à l’ordonnance de prorogation. Des circonstances analogues existaient dans l’affaire Guelph Products Collins & Aikman, [2009] O.L.R.D. no 850, [2009] OLRB Rep. March/April 243 (Guelph), dans laquelle la Commission des relations de travail de l'Ontario a statué que l’ordonnance interdisait la nomination d’un conciliateur.

 

[23]           Le syndicat soutient que le libellé de l’ordonnance en cause dans l’affaire Guelph est pour l’essentiel identique à celui dont il est question en l’espèce. La décision de la ministre et la nomination ultérieure d’un conciliateur en application de l’article 72 du Code constituent l’exercice d’un « droit » ou d’un « recours ».  En outre, c’est un droit ou un recours qui concerne l’employeur. L’ordonnance initiale et celle qui en a prolongé l’application interdisent la nomination d’un conciliateur pendant la période de suspension. De toute évidence, le libellé de l’ordonnance et sa similitude avec celle de Guelph, précitée, montrent que la ministre a commis une erreur en prenant sa décision et en nommant ensuite un conciliateur.

 

[24]           Le syndicat soutient que, s’il y place à interprétation dans le libellé de l’ordonnance, la Cour doit opter pour une approche large et libérale. D’après la décision Guelph, précitée, au paragraphe 18, [traduction] « une interprétation large concorde avec la façon dont les tribunaux ont interprété leurs propres ordonnances prises en vertu de la LACC ». En outre, l’approche prudente retenue dans la décision Guelph est celle qui convient, étant donné l’objectif d’intérêt public poursuivi par la LACC. Il vaut aussi la peine de signaler que le CCRI lui-même a décidé que ses instances pouvaient être suspendues par une ordonnance décernée en vertu de la LACC. Voir par exemple Air Canada, [2003] CCRI no 225, [2003] D.C.C.R.I. no 17.

 

[25]           Le syndicat soutient en outre que la décision de la ministre et la nomination ultérieure d’un conciliateur ont été suspendues par l’ordonnance initiale, à laquelle un consentement ultérieur de l’employeur ne peut rien changer. La nomination du conciliateur, le 19 février 2010, est valide à cette date ou elle ne l’est pas. Et la conduite du ministre ne peut être rectifiée par la décision du conciliateur de procéder à la conciliation après avoir obtenu le consentement des parties.  

 

[26]           La ministre a pris une décision qu’elle n’était pas autorisée à prendre. Lorsqu’elle l’a prise, elle n’avait pas le pouvoir de nommer un conciliateur, compte tenu des dispositions de suspension contenues dans l’ordonnance initiale. Par conséquent, la décision est nulle ab initio. Elle ne peut être rectifiée, puisqu’elle est nulle sur le plan juridique. Par conséquent, le conciliateur ne pouvait pas réamorcer un processus qui n’avait aucune valeur juridique et qui n'en avait eu aucune dès le départ. Pas même le consentement des parties ne peut ranimer un processus qui, juridiquement, n’a jamais été amorcé.

 

[27]           La ministre aurait dû reconnaître que, vu le paragraphe 16 de l’ordonnance initiale, elle ne pouvait nommer un conciliateur en vertu de l’article 72 du Code. Parce qu’elle n’a pas reconnu que cette nomination était suspendue par l’ordonnance, la décision et la nomination ne sont pas valides.

 

La décision a été prise et la nomination a été faite à l’égard de « différends » qui n’existaient pas

 

[28]           À titre subsidiaire, le syndicat soutient que la décision et la nomination n’étaient pas valides parce qu’elles se rapportaient à des différends qui n’existaient pas.

 

[29]           Global avait demandé à la ministre de nommer un conciliateur à l’égard de l’unité de négociation de l’Est du Canada. Il s’agit de l’unité de négociation à laquelle Global prétend avoir signifié un avis de négocier.

 

[30]           Au moment où Global a demandé la nomination d’un conciliateur, six unités de négociation avaient été fusionnées en une seule pour former l’unité de négociation de l’Est du Canada. Malgré tout, la ministre a nommé un conciliateur pour qu’il s’occupe des « six différends ». La mention de six unités de négociation était donc inexacte.      

 

[31]           À cause de cette inexactitude, l’examen que la ministre a fait de la possibilité de nommer un conciliateur était erroné parce qu’elle a supposé qu'il y avait six différends alors qu'il n'y en avait qu'un seul en réalité. Il ne saurait y avoir six différends lorsqu’il n’existe qu’une unité de négociation. La nomination était donc irrégulière. Certes, il existait un différend, mais il était distinct de ceux pour lesquels le conciliateur était nommé. En conséquence, la nomination était contraire au Code.

 

Un exercice non raisonnable du pouvoir discrétionnaire

 

[32]           Le processus de conciliation amorcé par la nomination prévue aux articles 71 et 72 du Code doit être achevé avant que le syndicat soit légalement autorisé à faire la grève ou que l’employeur soit légalement en mesure d’imposer un lock-out. Le syndicat soutient que, à cause de l’existence de l’ordonnance de suspension et de ses prorogations ultérieures, la nomination que la ministre a faite risque de créer une situation dans laquelle Global peut imposer un lock-out à ses employés alors que le syndicat ne peut déclencher la grève.  

 

[33]           Une situation dans laquelle l’une des parties à une relation de négociation collective peut déclencher un conflit de travail tandis qu’une ordonnance judiciaire empêche l’autre de le faire est contraire au mécanisme fondamental du Code. D’après le syndicat, [traduction] « le Code suppose que la menace du déclenchement d’un conflit de travail par une partie ou l’autre est la motivation qui contraint les parties à s’engager dans des négociations collectives sérieuses ou dans une conciliation afin de trouver un règlement constructif au différend ». La jurisprudence conforte cette thèse. Voir par exemple, Re CFRN-TV (A Division of BBS Inc.), [1999] CCRI no 7, [1999] D.C.C.R.I. no7, au paragraphe 71.

 

[34]           Le syndicat fait valoir que, lorsqu’une seule des parties a le pouvoir de déclencher un conflit de travail, cette partie n’est en rien incitée à s’engager dans des efforts sérieux de négociation collective ou de conciliation. C’est particulièrement vrai lorsque cette partie est l’employeur, qui peut unilatéralement modifier les conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation dans la mesure où il respecte les dispositions pertinentes du Code. La Cour devrait interdire à la ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de nommer un conciliateur, puisque cela risque de mener à cette situation intenable.

 

Aucune obligation ni avis régulier de négocier

 

[35]           Le syndicat fait valoir que ce n’est pas n’importe quel avis de négocier qui entraîne l’obligation de négocier de bonne foi aux termes du paragraphe 50a) du Code. Le seul avis de négocier régulier est l’avis autorisé par le Code. Bien qu’un avis de négocier puisse être signifié en vertu des articles 48 et 49 et de l’alinéa 18.1(4)f) du Code, aucune de ces dispositions ne s’applique aux faits en cause.

 

[36]           En outre, selon l’article 71 du Code, une partie peut envoyer au ministre un avis de différend demandant la nomination d’un conciliateur seulement « une fois donné l’avis de négociation collective », et la version anglaise précise « under this Part » (qui pourrait se rendre par « aux termes de la présente partie ») (non souligné dans l’original). Le syndicat fait valoir qu’il s’agit là, sur le plan des compétences, d’une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et qu’elle n’a pas été respectée en l’espèce. Par conséquent, la nomination du conciliateur en vertu de l’article 72 du Code était entachée d’irrégularité.

 

[37]           Pour l’instant, le syndicat n’est pas tenu par la loi de négocier à l’égard de l’unité de négociation de l’Est du Canada. Pour reprendre les propos du syndicat, [traduction] « en l’absence de l’obligation légale de négocier, il ne saurait y avoir avis de négocier valide ni demande valide aux termes de l’article 71, et donc aucune nomination faite en vertu de l’article 72 qui soit valide ».

 

[38]           Le processus de conciliation est une condition préalable à tout lock-out ou à toute grève légitime. La nomination illégale et non valide du conciliateur a, de façon illégale, rapproché les parties d’un conflit de travail. Le syndicat soutient que la Cour doit maintenant intervenir pour faire en sorte que soient respectées toutes les conditions préalables prévues par la loi avant qu’un conflit de travail ne puisse être déclenché.

 

Les recours

 

[39]           Dans les circonstances, la décision et la nomination ont été un exercice irrégulier et déraisonnable du pouvoir discrétionnaire de la ministre. La décision de nommer un conciliateur a porté atteinte aux droits du syndicat et rapproché Global d’une situation dans laquelle elle peut prétendre légitimement imposer un lock-out aux employés. Par conséquent, la Cour devrait décerner un bref de certiorari et annuler tant la décision que la nomination. Le syndicat demande également un jugement déclaratoire selon lequel la décision et la nomination ne sont pas valides et l’adjudication des dépens en sa faveur.

 

La défenderesse

            La suspension

 

[40]           Global soutient que, lorsqu’une compagnie demande la protection de la LACC et qu’une ordonnance de suspension est décernée, elle est mise à l’abri des actions entamées avant et après la délivrance de l’ordonnance. Toutefois, ni la LACC, ni une ordonnance de suspension ou ses prorogations n’interdisent à la compagnie même d'agir. En l’espèce, par conséquent, ni l’ordonnance de suspension, ni l’ordonnance qui en prolonge l’application n’interdisent à Global d’agir.

 

[41]           Une situation analogue s’est présentée dans l’affaire Re Canwest Global Communications Corp., [2009] O.J. no 5379. Le tribunal avait alors étudié les paragraphes 11.02(1) et (2) de la LACC et conclu que la loi n’interdisait que les mesures prises contre la compagnie qui demande la protection. Comme la défenderesse l’a affirmé, [traduction] « quant à la partie de l’ordonnance qui porte sur “toute procédure qui est ou pourrait être intentée contre la compagnie”, elle concerne uniquement les mesures prises en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou la Loi sur les liquidations et les restructurations, ni l'une ni l'autre ne s'appliquant en l’espèce ». Le résultat est que la LACC ainsi que l’ordonnance de suspension et l’ordonnance qui en prolonge l’application suspendent, restreignent ou interdisent toute mesure à l’encontre de Global, mais n’empêchent pas Global d’agir.

 

[42]           Le syndicat s’appuie sur l’affaire Guelph, précitée, et Air Canada (Re), précitée, mais ces affaires se distinguent de celle qui nous occupe. Dans ces affaires, en effet, c’est le syndicat qui cherchait à faire nommer un conciliateur, et dans aucune des deux on ne s’est demandé s’il y avait lieu de suspendre la nomination d’un conciliateur lorsque l'exercice de ce droit ou de ce recours se rapporte à la compagnie protégée, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[43]           Global affirme qu’il serait absurde d’interpréter l’ordonnance de suspension et l’ordonnance qui en prolonge l’application (ou même toute suspension en application de la LACC) comme interdisant les mesures prises par la compagnie protégée, étant donné que ces mesures peuvent être nécessaires ou bénéfiques à l’entité qui se réorganise ou se restructure sous la protection de la LACC. Qui plus est, semblable interprétation serait contraire au libellé que le Parlement a utilisé à l’article 11 de la LACC, car il y est question de suspendre et d’interdire les mesures prises contre des compagnies protégées.  

 

[44]           Par conséquent, Global soutient que l’ordonnance de suspension et l’ordonnance qui en prolonge l’application n’annulent pas la décision de la ministre, ni la nomination. Peu importe, cependant, car les parties ont convenu de lever la suspension en ce qui concerne la conciliation.

 

Des différends multiples

 

[45]           L’« imperfection » dont serait entachée la nomination n’en entraîne pas l’annulation, comme le syndicat le maintient. Il s’agit simplement d’un lapsus que la ministre a fait par inadvertance à l’égard des documents qui lui étaient soumis. Il ne fait pas de doute que la nomination se rapporte à l’unité de négociation de l’Est du Canada et aux négociations collectives que Global voulait mener avec le syndicat.

 

[46]           De plus, les parties ont entamé le processus de conciliation, et le fait que la ministre ait parlé de « six différends » ne change rien au processus de conciliation et n’a aucun effet sur lui. Global soutient que l'imperfection que l'on a dit se trouver dans l’avis de nomination ne devrait pas annuler l’ensemble du processus.

 

L'avis de différend

 

[47]           Le ministre est tenu de nommer un conciliateur une fois qu’une partie s’est conformée à l’article 71 du Code. Voir la décision Guelph précitée. Global fait valoir que l’avis de différend satisfait aux exigences de l’article 71 du Code. Par conséquent, la nomination ultérieure d’un conciliateur en vertu de l’article 72 était appropriée, étant donné que les parties ne s’étaient pas rencontrées et n’avaient pas entamé les négociations collectives dans les délais prévus à l’article 50 du Code.

 

[48]           L’avis de négociation collective a été signifié au syndicat à deux reprises, soit le 14 janvier 2008 et de nouveau le 11 janvier 2010. Les négociations collectives n’ont pas commencé après la signification de l’un ou l’autre avis. Par conséquent, l’avis de différend communiqué par Global satisfait aux exigences de l’alinéa 71(1)a) du Code.

 

[49]           L’avis de négocier était en la forme prescrite et avait été signifié au syndicat selon les règles. Étant donné que l’avis de négocier avait été signifié et que les négociations collectives n’avaient pas débuté dans les délais prévus au Code, la nomination était opportune. En fait, les conditions préalables à l’avis de différend existaient en l’espèce. C’était la prérogative de la ministre de nommer un conciliateur, une fois convaincue que les conditions préalables existaient.

 

[50]           Si la ministre était tenue de confirmer que l’avis de négocier était appropriée, Global estime qu’elle a été convaincue que cet avis avait été signifié correctement au syndicat. L’argumentation que le syndicat a soumise à la Cour a également été présentée à la ministre : l’avis approprié n’avait pas été signifié; aucune négociation ne devrait débuter tant que le syndicat ne sait pas pour quelle clientèle il doit négocier; la demande ne devrait pas aller de l’avant pendant que Global est engagée dans des procédures prévues à la LACC.

 

[51]           En réponse à l’argumentation du syndicat, Global a soutenu que l’avis de négocier n’avait été ni prématuré ni irrégulier, que l’unité de négociation de l’Est du Canada était en place pour l’essentiel et que les instances en cours devant le Conseil n’avaient pas pour effet de suspendre ni de bloquer les relations de négociation collective.  

 

[52]           En dépit de l’argumentation du syndicat, la ministre a fait la nomination demandée par Global. La décision de la ministre et la nomination qu’elle a faite par la suite étaient raisonnables au vu des faits et de l’argumentation qui lui avaient été présentés.

 

La possibilité de lock-out

 

[53]           Le syndicat a soutenu que la nomination faite par la ministre était déraisonnable parce qu’elle risquait de donner à Global la possibilité d’imposer un lock-out après le processus de conciliation alors que le syndicat ne pourrait déclencher la grève sans violer l’ordonnance de suspension et l’ordonnance qui en prolongeait l’application. Pour sa part, Global affirme que les deux ordonnances visent à aider la compagnie qui cherche à se restructurer et soutient que [traduction] « ces mesures, draconiennes peut-être, sont nécessaires à une compagnie exposée au risque de faire faillite. De plus, ces mesures sont expressément prévues par la LACC. » Par exemple, la décision Air Canada (Re), précitée, a reconnu que des mises à pied qui seraient normalement incompatibles avec la convention collective applicable peuvent s’imposer lorsqu’une compagnie risque la faillite.

 

[54]           La thèse du syndicat voulant qu’il soit contraire au régime fondamental du Code de permettre le lock-out, mais non la grève, est fautive pour plusieurs raisons. Premièrement, cette thèse fait abstraction du fait que les employeurs ont droit à des protections supplémentaires lorsque des suspensions leur sont accordées en vertu de la LACC. Deuxièmement, elle ne tient pas compte du fait qu'un conflit de travail survient comme suite à une impasse dans les négociations collectives et que l’absence de progrès dans les négociations était attribuable au refus de négocier du syndicat. Selon Global, [traduction] « c’est le syndicat qui évite les négociations, pas Global ». Global dit même qu’elle a formulé de nombreuses demandes d’entamer des négociations collectives et a demandé le concours d’un conciliateur. Enfin, Global fait observer que le syndicat peut, en vertu de la LACC, s’adresser à la Cour supérieure de l’Ontario pour faire lever la suspension et ainsi exercer ses droits prévus au Code.

 

Les conditions préalables ont été respectées

 

[55]           Global fait valoir que l’avis de négocier a été signifié au syndicat à deux occasions distinctes, soit le 14 janvier 2008 d’abord, et le 11 janvier 2010 ensuite, et que les négociations collectives n’ont été entamées ni dans un cas ni dans l’autre. L’avis de négocier respectait la forme prescrite et il a été signifié au syndicat de façon régulière. C’est donc dire que les conditions préalables à la signification de l’avis de différend, prévues au paragraphe 71(1) du Code, ont été respectées en l’espèce.

 

ANALYSE

 

[56]           Le syndicat a fait valoir quatre moyens pour montrer qu’il y avait en l’espèce une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

 

La violation de l’ordonnance prorogeant la suspension

 

[57]           Le syndicat admet qu’il n’y a rien dans la LACC même qui empêche la ministre de nommer un conciliateur au vu des faits. La plainte porte sur le fait que la décision de la ministre violerait l’ordonnance de suspension et l’ordonnance qui en prolonge l’application, décernées en vertu de la LACC.

 

[58]           Le syndicat insiste surtout sur les paragraphes 15 et 16 de l’ordonnance de suspension et plus particulièrement sur les termes du paragraphe 16 qui suspendent les droits et les recours pendant la période de suspension [traduction] « relativement aux entités de CMI, de Monitor ou de CMI CRA […] »

 

[59]           Le syndicat admet aussi que la décision de la ministre de nommer un conciliateur n’a pas été prise « contre » Global (« against » dans le texte anglais), et qu'elle est visée par l’interdiction prévue dans l’ordonnance de suspension seulement si on peut dire qu’elle a été prise « relativement à Global » (« in respect of » dans le texte anglais).

 

[60]           Le syndicat convient que ces termes ne sont pas propres à l'affaire concernant Global, et que l’ordonnance décernée dans ce cas-ci est normale et assez typique des ordonnances de suspension décernées en vertu de la LACC. Et cela vaut pour la locution « relativement à ».

 

[61]           L’objet et la portée de ce genre d’ordonnance de suspension ont été examinés à fond par le juge Pepall de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Canwest Global (Re), précitée. Je trouve utiles en l’espèce les passages suivants des motifs du juge Pepall :

[traduction]

 

27     Les dispositions sur la suspension prévues à la LACC sont d’application discrétionnaire et d’une extension extraordinaire. Les paragraphes 11.02 (1) et (2) disposent :

 

11.02 (1) Dans le cas d’une demande initiale visant une compagnie débitrice, le tribunal peut, par ordonnance, aux conditions qu’il peut imposer et pour la période maximale de trente jours qu’il estime nécessaire :

 

a) suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute procédure qui est ou pourrait être intentée contre la compagnie sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations;

 

b) surseoir, jusqu’à nouvel ordre, à la continuation de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie;

 

c) interdire, jusqu’à nouvel ordre, l’introduction de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie.

 

(2) Dans le cas d’une demande, autre qu’une demande initiale, visant une compagnie débitrice, le tribunal peut, par ordonnance, aux conditions qu’il peut imposer et pour la période qu’il estime nécessaire :

 

a) suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute procédure qui est ou pourrait être intentée contre la compagnie sous le régime des lois mentionnées à l’alinéa (1)a);

 

b) surseoir, jusqu’à nouvel ordre, à la continuation de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie;

 

c) interdire, jusqu’à nouvel ordre, l’introduction de toute action, poursuite ou autre procédure contre la compagnie.

 

28     La raison d’être fondamentale du pouvoir judiciaire de suspendre des procédures a été fréquemment décrite dans la jurisprudence. C’est le moteur du régime large et souple prévu dans la LACC : la décision Stelco Inc., et l’élément clé du processus de la LACC : la décision Canadian Airlines Corp. Le pouvoir d’accorder une suspension doit s’interpréter largement de façon que la LACC puisse atteindre l’objectif qui y est fixé. Comme il est dit dans la décision Lehndorff General Partner Ltd., l'exercice du pouvoir d’accorder une suspension peut aller jusqu'à affecter la situation des créanciers garantis et non garantis ainsi que celle d’autres parties qui pourraient menacer la réussite du plan de restructuration et la pérennité de la compagnie. Comme le dit le juge Farley dans cette décision :  

 

            [traduction]

 

Il a été décidé que la LACC visait à prévenir toute manœuvre de positionnement entre les créanciers pendant la période nécessaire à l’élaboration d’un plan et à l’obtention de l’approbation des créanciers. De telles manœuvres pourraient donner un avantage à un créancier très énergique au détriment de ceux qui le sont moins et saperaient la situation financière de la compagnie en rendant moins probable la réussite du plan. […] La possibilité qu’un ou plusieurs créanciers subissent un préjudice ne devrait pas influer sur l’exercice du pouvoir judiciaire d’accorder une suspension des procédures en application de la LACC parce que cet effet est compensé par l’avantage obtenu pour tous les créanciers et la compagnie en facilitant la réorganisation. Les préoccupations premières des tribunaux, aux termes de la LACC, doivent concerner le débiteur et tous les créanciers. (Références omises.)

 

[62]           À mon avis, il ressort clairement de cet examen du paragraphe 11.02(1) de la LACC et des mentions de la raison d’être fondamentale de cette loi et de la suspension que l’ordonnance de suspension vise habituellement à empêcher d’autres entités d’exercer des droits et recours contre la compagnie en cause, mais non à empêcher cette dernière de prendre des mesures pour elle-même sauf « contre [« in respect of » dans la version anglaise de la loi] la compagnie sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations ».

 

[63]           Parce ce que la nomination d’un conciliateur par la ministre à la demande de Global ne suppose pas des procédures « contre » (« against » dans le texte anglais) Global et que ce n’est pas une procédure « contre [« in respect of » dans la version anglaise] la compagnie sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations », je ne pense pas qu’il était interdit, en l’espèce, selon les termes de l’ordonnance de suspension ou de l’ordonnance qui en prolonge l’application, de faire cette nomination.

 

[64]           Je ne pense pas non plus que la décision de la ministre suppose l’exercice d’un [traduction] « droit » ou d’un [traduction] « recours » d’un [traduction] « organisme gouvernemental ou de toute autre entité » « contre » Global ou « relativement à » Global. La nomination d’un conciliateur en vertu de l’alinéa 72(1)a) du Code est provoquée par un « avis de différend » présenté par la compagnie ou le syndicat en vertu du paragraphe 71(1). Selon moi, les obligations du ministre qui découlent du paragraphe 72(1) ne supposent pas l’exercice d’un droit ou d’un recours par le ministre. C’est la compagnie ou le syndicat qui obtient le droit ou le droit de recours de demander un conciliateur en vertu des articles 71 et 72 du Code. Comme le libellé de l’article 72 le dit clairement, lorsqu’il reçoit un avis donné en application de l’article 71, le ministre doit soit nommer un conciliateur ou un commissaire-conciliateur ou constituer une commission en vertu des alinéas a), b) et c), soit notifier les parties, selon l’alinéa 72(1)d), de son intention de s’abstenir d'agir. Autrement dit, le ministre a toute discrétion pour nommer ou non un conciliateur en vertu de l’alinéa 72(1)a), ou pour prendre des mesures en vertu des alinéas 72(1)b) ou c), ou pour informer les parties de son intention de ne prendre aucune des mesures prévues par les alinéas 72(1)a), b) ou c). D’habitude, comme cela s’est produit en l’espèce, le ministre étudie les demandes et les thèses des deux parties avant de prendre une décision en vertu de l’article 72. À mon avis, en prenant une décision pour l'application de cet article du Code, le ministre n’exerce ni un droit ni un recours d’une entité ou d'un organisme gouvernemental. Les droits et recours prévus aux articles 71 et 72 appartiennent de façon inhérente à la compagnie ou au syndicat en cause.

 

[65]           Je ne pense donc pas que les raisons d’être fondamentales de la LACC, reflétées dans l’ordonnance de suspension décernée en l’espèce, ni le libellé de l’ordonnance même appuient l’interprétation que le syndicat propose de la façon dont l’ordonnance de suspension interdirait à Global de donner un avis de différend en application de l’article 71 ou au ministre de nommer un conciliateur en vertu de l’article 72.

 

[66]           Le syndicat a cité les décisions Guelph et Air Canada (Re), précitées, à l’appui de sa position en l’espèce. À mon sens, toutefois, aucune de ces deux décisions n’étaye la thèse du syndicat. Dans les deux cas, il s’agissait de demandes syndicales qui, de façon flagrante, étaient dirigées « contre » (« against » dans le texte anglais) les compagnies en cause. Dans l’affaire qui nous occupe, il s’agit d’une compagnie qui invoque les articles 71 et 72 de la LACC. Aucune des deux décisions, Guelph ou Air Canada (Re), qui sont des décisions de la Commission des relations de travail de l’Ontario et de la Commission canadienne des relations industrielles, respectivement,  ne traite de la question soulevée par les faits en cause ici, qui concernent des procédures entreprises par la compagnie et non par le syndicat. Aucune des deux ne traite de la question de savoir si les mesures engagées ou les procédures prises par une compagnie qui a obtenu la protection de la LACC constituent l’exercice d’un droit ou d’un recours « relativement à » (« in respect of » dans le texte anglais) la compagnie.

 

Les six différends

 

[67]           Le syndicat soutient que la décision de la ministre se fonde sur une conclusion de fait erronée qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire sans égard aux éléments de preuve et qu’il y a donc là une erreur susceptible de contrôle qui exige réparation en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[68]           La conclusion de fait erronée, selon le syndicat, est que la ministre, pour décider de nommer un conciliateur en vertu de l’alinéa 72(1)a) du Code, a fondé sa décision sur l’existence des six différends distincts mentionnés dans la lettre de M. Baron, en date du 19 février 2010, et qu’elle ne savait pas que le conciliateur s’occuperait du différend entre Global et le syndicat concernant la nouvelle unité de négociation de l’Est du Canada.

 

[69]           À mon avis, aucune preuve convaincante attestant cette erreur ne m’a été soumise. La lettre du 19 février 2010 est une simple notification de la décision de la ministre. Son libellé est maladroit. Il est question de six différends distincts, mais on dit ensuite que le conciliateur a été nommé [traduction] « pour s’occuper du différend dont il est question ci-dessus ». Ce qui s'est passé, c'est qu’il y avait six unités de négociation distinctes qui ont ensuite été regroupées pour former l’unité de négociation de l’Est du Canada. Au départ, donc, il y avait six conventions collectives distinctes à régler et qui, en fait, ne sont toujours pas réglées, car l’unité de négociation de l’Est du Canada n’a pas encore conclu de convention collective avec Global. C’est dire que les six conventions collectives distinctes restent en place jusqu’à la conclusion d’une nouvelle convention collective entre Global et le syndicat. En un sens, donc, le différend porte sur le remplacement de six conventions distinctes par une seule convention collective. Dans ce qu’il a soumis à la ministre le 11 février 2010, le syndicat lui-même a informé celle-ci de ce dont le CCRI était saisi et il a soutenu que [traduction] « les questions que le CCRI doit aborder doivent être tranchées, plus particulièrement à l’égard de l’unité de négociation de l’Est du Canada, où six conventions collectives pourraient être regroupées en une seule ». En d’autres termes, le syndicat lui-même établit un lien entre la convention collective que l’unité de négociation de l’Est pourrait conclure et les six conventions distinctes qui « pourraient être regroupées en une seule ».

 

[70]           Le fait que, dans la lettre du 19 février 2010, il soit question à ce propos de six différends distincts ne veut pas dire que la ministre a fait erreur en ne sachant pas que les parties initiales à ces conventions étaient devenues l’unité de négociation de l’Est du Canada au moment de la décision.

 

[71]           Il est hautement improbable que la ministre n’ait pas été au courant de la situation réelle, étant donné l’avis de différend remis par la compagnie et les arguments que les parties ont fait valoir avant la nomination du conciliateur.

 

[72]           Les conciliateurs sont nommés pour régler des différends. Or, le différend qui nous occupe touchait au départ six entités distinctes qui ont depuis été regroupées pour former l’unité de négociation de l’Est du Canada.

 

[73]           Le syndicat et Global se sont toujours comportés en tenant pour acquis que le différend serait réglé par l’unité de négociation de l’Est du Canada et Global. Ils n’ont donc pas été induits en erreur quant aux raisons pour lesquelles Global a remis un avis de différend ni quant au fait que l’une des choses dont le conciliateur se saisira est le différend sur la manière dont six conventions collectives distinctes feront l’objet d’une seule convention régissant les entités qui composent désormais l’unité de négociation de l’Est du Canada.

 

[74]           À mon avis, la formulation maladroite de la lettre du 19 février 2010 ne peut pas être considérée comme la preuve que la ministre ne savait pas qu’elle nommait un conciliateur pour s’occuper du différend qui opposait Global et l’unité de négociation de l’Est du Canada. Certes, la lettre aurait pu être mieux formulée, mais il ne me semble pas probable, compte tenu de l’avis de différend et des arguments des parties, que la ministre ait mal compris la nature du différend et la forme qu’il avait prise au moment de la décision.

 

[75]           Le syndicat soutient que la lettre montre que le conciliateur a été nommé pour s’occuper d’un différend qui n’existe plus. À mon sens, ce n’est pas là une interprétation nécessaire ni même probable des intentions qui animaient la ministre au moment de la décision.

 

[76]           Depuis que la décision a été prise, le syndicat a donné son consentement le 6 avril 2010 ou aux environs de cette date (et savait à quoi il donnait son consentement), et les parties ont participé au processus de conciliation. Je ne vois rien dans le dossier qui justifierait une annulation de la décision sous le prétexte de ce qui semble une erreur d’inattention ou une formulation maladroite dans la lettre du 19 février 2010. Quoi qu’il en soit, cette lettre m’apparaît comme étant une notification du fait qu’il a été décidé de nommer un conciliateur et non comme étant une explication, un énoncé des motifs de la décision ou encore une énumération des faits sur lesquels elle repose.

 

Un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire

 

[77]           Le syndicat estime que la décision revient à un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire du ministre car, étant donné l’existence de l’ordonnance de suspension, de l’ordonnance prorogeant la suspension et des prorogations ultérieures, la nomination d’un conciliateur [traduction] « risque d’entraîner une situation où l’employeur est autorisé à imposer un lock-out, mais où le SCEP [syndicat] ne peut déclencher la grève » et que semblable situation est « contraire au régime fondamental du Code ».

 

[78]           Le syndicat demande à la Cour de se livrer à des conjectures et d’évaluer le caractère raisonnable de la décision par rapport à quelque chose qui pourrait survenir. D’abord, il ne me semble même pas clair, d’après les preuves soumises, que la décision risque de faire pencher la balance du côté de Global au cours de négociations. C'est un résultat qui dépend d'un certain nombre de facteurs qui risquent de ne jamais se concrétiser.

 

[79]           Deuxièmement, le conciliateur a été nommé le 19 février 2010. À ce moment, la première prorogation de l’ordonnance, du 21 janvier 2010, était en place et prolongeait jusqu’au 31 mars 2010 l’application de l’ordonnance de suspension. Rien ne prouve que la ministre ait été notifiée des prorogations ultérieures qui maintiendraient l’ordonnance jusqu’au 15 juin 2010 et même plus tard.

 

[80]           De plus, le syndicat n’a produit aucun précédent qui donnerait à entendre que les recours accordés à un employeur en vertu de la LACC ne sont pas à sa disposition ou ne devraient pas lui être consentis dans les situations où les pouvoirs de négociation collective pourraient être touchés. Au paragraphe 17 de la décisioin Air Canada (Re), précitée, il a été reconnu, comme Global le fait observer, que des mises à pied incompatibles avec la convention collective pertinente peuvent être nécessaires lorsqu’une compagnie risque la faillite.

 

[81]           Dans l’affaire qui nous occupe, Global a demandé la nomination d’un conciliateur parce que, à son avis, le syndicat refusait de négocier. Il sied mal au syndicat de soutenir que la décision de la ministre est déraisonnable parce qu’elle risque de nuire au pouvoir syndical de négocier efficacement si, effectivement, il a refusé de négocier dans une situation où, aux termes du Code, il était tenu de le faire. À mon avis, par conséquent, il ne peut s’agir d’un motif distinct permettant de juger la décision déraisonnable. Tout dépend de la question de savoir si l’avis de négocier a été donné dans une situation où le Code dispose que la négociation doit avoir lieu. Cela m'amène au dernier moyen invoqué par le syndicat

 

Les conditions préalables n'ont pas été respectées

 

[82]           Le syndicat prétend que la décision est erronée parce qu’il n’était pas tenu par la loi de négocier, dans les circonstances, et que, par conséquent, les conditions préalables à la nomination d’un conciliateur n’existaient pas.

 

[83]           Essentiellement, l’argument veut que l’avis de négocier puisse être donné uniquement en application des dispositions 48, 49 ou 18.1(4)f) du Code. L’obligation de négocier créée par l’article 50 du Code se concrétise seulement lorsque l’avis de négocier est donné « aux termes de la présente partie ». Global n’a pas donné avis « aux termes de la présente partie ». L’application de l’article 72 est déclenchée par l’article 71, qui exige dans sa version anglaise que « l’avis de négociation collective » soit donné « under this Part » (c'est-à-dire « aux termes de la présente partie »).

 

[84]           Pour décider si la décision de la ministre est déraisonnable de ce point de vue, j'estime devoir examiner la preuve et les arguments présentés à la ministre.

 

[85]           Dans ses observations du 11 février 2010, le syndicat a soutenu, dans les passages pertinents, que l’avis de négocier approprié n’avait pas été signifié par Global parce qu’une partie [traduction] « ne devrait pas pouvoir signifier un avis pour l'application de l’article 71 du Code avant que le Conseil se soit prononcé en vertu de l’article 18.1 [du Code] sur les questions à trancher ». Par conséquent la demande de nomination d’un conciliateur que Global a présentée était prématurée parce que [traduction] « le processus prévu à l’article 18.1 n’était pas terminé ». Selon le syndicat :

[traduction]

 

C’est uniquement une fois achevé le processus du Conseil qu’il est possible aux parties de s’engager dans des négociations collectives complètes et sérieuses au sujet du renouvellement ou de la révision des conventions collectives alors applicables aux trois unités de négociation. C’est là le processus exigé par le Code à l’article 18.1. La demande que l’employeur a présentée à la ministre dans les circonstances est prématurée. [Souligné dans l’original.]

 

 

[86]           Dans sa lettre adressée à la ministre le 15 février 2010, Global a répondu que sa demande de nomination d’un conciliateur n’était pas prématurée parce que le processus envisagé par l'article 18.1 [traduction] « n’empêche pas la négociation collective » :

[traduction]

 

Le syndicat avance également (sans s’appuyer sur la jurisprudence) que, en quelque sorte, un avis donné pour l'application de l’article 71 ne peut être signifié avant que le CCRI ait tranché toute question pendante lors de l'examen prévu à l’article 18.1. L’article 71 du Code est très clair. Une fois donné l’avis de négociation collective, l’une des parties peut faire savoir au ministre, en lui faisant parvenir un avis de différend, qu’elles n’ont pas réussi à conclure, renouveler ou réviser une convention collective. Les seules conditions sont que les négociations collectives n’aient pas commencé dans le délai fixé par le Code et que les parties n’aient pas pu parvenir à un accord. Un avis de négocier a été signifié, et le syndicat a constamment refusé de s’engager dans des négociations collectives. Par conséquent, les conditions préalables à la signification d’un avis de différend ont été respectées, et la ministre devait accepter de nommer un conciliateur.

 

[87]           Il est donc clair que la position de Global était que, pour faire une demande en vertu de l’article 71 en envoyant un avis de différend, il lui suffisait de signifier au syndicat selon la forme prescrite un avis de négociation collective. Toutefois, il est évident, d’après le libellé de l’article 71, que l’avis de négociation collective doit être donné « under this Part ». Ce n’est pas la forme de l’avis qui est en cause dans la présente demande, mais la question de savoir si l’avis a été donné « under this Part ».

 

[88]           Global n’a pas soutenu devant la ministre qu’elle avait donné un avis en vertu des articles 48 ou 49 du Code, et elle ne lui a pas expliqué non plus comment l’avis de négocier signifié au syndicat avait été donné « under this Part ». Global a fait abstraction de ces mots de l’article 71 et a simplement affirmé que, pour satisfaire à la condition préalable à l'application de l’article 71 du Code, il lui suffisait de signifier au syndicat un avis de négociation collective.

 

[89]           Il me semble que le passage « under this Part » doit avoir un sens, sans quoi un syndicat ou une compagnie pourraient simplement signifier un avis de négociation collective n'importe quand et ainsi déclencher l'application du paragraphe 72(1) avec ses conséquences possibles.

 

[90]           Global n’a pas dit à la Cour comment elle avait signifié l’avis « under this Part ». Elle a cherché à éluder la question en disant que la ministre devait avoir considéré qu’un article pertinent (peut-être l’article 48, par exemple) s’appliquait et qu’aucun fait ne m’avait été présenté qui me permettrait de dire que la décision de la ministre était déraisonnable à cet égard. Toutefois, ce n'est pas l'argument que Global a présenté à la ministre. Je pense devoir supposer que, en nommant un conciliateur en vertu de l’alinéa 72(1)a), la ministre a accepté la position de Global voulant que la seule condition préalable ait été la signification d'un avis de négociation collective rédigé dans la forme prescrite.  

 

[91]           De toute façon, je ne peux pas voir comment les articles 48 et 49 peuvent s’appliquer aux faits de l'affaire, et on s’accorde à reconnaître que le CCRI n’a pas encore accordé son autorisation pour qu'un avis soit donné en vertu de l’alinéa 18.1(4)f) du Code.

 

[92]           Selon le Code, une partie ne peut donner un avis de négocier qu’en vertu de trois dispositions : alinéa 18.1(4)f), article 48 et article 49.

 

[93]           Le libellé de l’article 48 semble tenir pour acquis que l’unité de négociation est définie. Ce n’est pas le cas ici, car la portée de l’unité de négociation de l’Est du Canada demeure incertaine. En effet, le syndicat et Global sont parties à des procédures en cours devant le CCRI qui traiteront de la définition de l’unité de négociation ainsi que d’autres questions plus précises. Ces questions, de l’avis du syndicat, sont des [traduction] « questions qui ont d’importantes conséquences », par exemple « les descriptions des unités de négociation et le choix des postes à englober ou non dans ces unités de négociation ». Selon Global, l’unité de négociation de l’Est du Canada était [traduction] « établie, sous réserve de deux points isolés ». Néanmoins, ces deux points n’étant pas réglés, l’unité n’est pas « établie ».

 

[94]           Pour des raisons similaires, l’article 49 ne s’applique pas.

 

[95]           L’alinéa 18.1(4)f) ne s’applique pas parce que, aux termes de cette disposition, le CCRI doit autoriser une partie à donner l’avis de négociation collective. Or, le CCRI n’a pas accordé cette autorisation.

 

[96]           Global affirme que [traduction] « le processus de l’article 18.1 n’écarte pas la possibilité de mener des négociations collectives ». Global précise : [traduction] « L’avis de négocier a été donné dans la forme prescrite et a été signifié correctement au syndicat. Cela veut dire que les conditions préalables à la signification de l’avis de différend prévu par le paragraphe 71(1) du Code ont été respectées dans ce cas. »

 

[97]           Bien que Global ait donné avis dans la forme prescrite et ait signifié correctement l’avis au syndicat, il ne s’en suit pas que les conditions préalables ont été respectées. Global n’a pas démontré qu’elle avait donné avis « under this Part ». L’affirmation de Global voulant qu’elle puisse donner avis « under this Part » sans s’appuyer sur les articles 48 ou 49 ou sur l’alinéa 18.1(4)f) ne trouve aucun soutien dans la jurisprudence.

 

[98]           En conséquence, si Global n’a pas donné avis « aux termes de la présente partie », il n’y a pas obligation de négocier en application de l’article 50. Bref, le syndicat n’est pas tenu de négocier.  

 

[99]           L’article 71 également exige, dans sa version anglaise, que l’avis de négocier soit donné « under this Part » (c'est-à dire « aux termes de la présente partie »).

 

[100]       Global affirme : [traduction] « L’article 71 du Code est très clair. Une fois qu'un avis de négociation collective a été donné, l’une des parties peut faire savoir au ministre […] qu’elles n’ont pas réussi à conclure, renouveler ou réviser une convention collective. » Je suis d’accord avec Global : l’article 71 est très clair. La version anglaise intégrale de la disposition dit : « Where a notice to commence collective bargaining has been given under this Part, either party may inform the Minister [… ] of their failure to enter into, renew or revise a collective agreement. » À mon avis, Global omet de façon délibérée le passage souligné.

 

[101]       Enfin, si l’avis n’est pas donné « under this Part », l’article 72 n’intervient pas.

 

[102]       Il semble peu vraisemblable que Global puisse donner un avis de négocier avant que le processus prévu à l’article 18.1 soit achevé. Global ne peut pas négocier efficacement avec une unité de négociation qui n'a pas encore été vraiment définie. C’est comme mettre la charrue avant les bœufs.

 

[103]       La règle moderne de l’interprétation des lois appuie cette analyse.

 

[104]       Elmer Driedger écrit, à la page 87 de Construction of Statutes (2e éd. 1983) : [traduction] « Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. » (Non souligné dans l’original.) C’est l’approche que la Cour suprême du Canada a retenue dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] A.C.S. no2.

 

[105]       Cette règle moderne est de nouveau décrite chez Driedger dans Construction of Statutes (3éd., 1994), par R. Sullivan, à la page 288: [traduction] « Le législateur est présumé ne pas avoir l'intention de se contredire ou de créer des régimes incompatibles.  Par conséquent, toutes choses égales par ailleurs, les interprétations qui réduisent au minimum les possibilités de conflit ou d’incohérence entre les différents textes sont préférées. » La Cour suprême a adopté cette approche dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, [1999] A.C.S. no 69.

 

[106]       L’alinéa 18.1(4)f) permet au Conseil d’autoriser une partie à une convention collective de donner un avis de négocier. Si on s’en tient à son sens ordinaire, cette disposition donne à penser que la partie en question ne peut pas donner cet avis de son propre chef (contrairement aux affirmations de Global); la partie doit demander l’autorisation du Conseil. Par ailleurs, la partie pourrait donner avis en vertu des articles 48 ou 49. Il semble que les seules possibilités soient celles-là. Il n’existe pas de possibilité « flottante » qui permette à une partie, en vertu de la partie I du Code, de donner avis de négocier, sous réserve de la seule condition que cet avais soit correct quant à la forme et aux modalités de signification.

 

[107]       La Cour suprême du Canada a dit que le préambule de la partie I du Code canadien du travail, qui définit l’objet de cette partie, est l’expression, par le Parlement, de la valeur des négociations collectives et du règlement positif des différends dans le contexte des relations industrielles. Voir Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248, [2003] A.C.F. no 907, au paragraphe 30. Il est difficile de concevoir comment les « relations de travail fructueuses » et les « méthodes de règlement positif des différends » dont il est question au préambule de la partie I du Code sont possibles lorsque les étapes nécessaires de la procédure ne sont pas suivies.

 

[108]       Compte tenu des déclarations de la Cour suprême, selon qui « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global » et que le législateur est présumé ne pas avoir l'intention de se contredire, nous pouvons tirer les conclusions suivantes :

a)                  l'expression « under this Part » dans la version anglaise de l'article 71 du Code a une signification, et il ne faut pas en faire abstraction. Si Global n’a pas donné avis en vertu d'une des trois dispositions énumérées plus haut, il n’a pas donné avis « under this Part »;

b)                  le législateur n’entendait pas que l’article 18.1 puisse être « escamoté ». Autrement dit, si le Conseil est en train de revoir, conformément à l’article 18.1, la structure d'une unité de négociation qui ne convient plus à la négociation collective, une partie ne peut donner avis de négocier avec cette unité qui ne convient plus. Cela ne peut s’interpréter comme étant une façon de promouvoir « des relations de travail fructueuses » et « des méthodes de règlement positif des différends », comme l’exige le préambule de la partie I. 

 

[109]       Sur ce point, je pense donc devoir conclure que la décision était déraisonnable parce que la ministre a fait erreur en concluant que toutes les conditions préalables au respect de l’article 71 avaient été remplies et en acceptant l’argumentation de Global à cet égard. La ministre n’était saisie d’aucun fait attestant que Global avait donné au syndicat un avis de négociation collective « under this Part ». La seule preuve montrait que Global avait signifié au syndicat un avis de négociation collective.

 

[110]       Global soutient que le syndicat a contesté la validité des avis de négocier devant le CCRI et que, jusqu’à ce que le CCRI rende sa décision sur la question, je dois présumer que les avis sont valides parce qu’aucune preuve ne m’a été soumise me permettant de conclure qu’ils ne le sont pas.

 

[111]       Toutefois, la question dont je suis saisi ne se rapporte pas à la validité des avis. Je dois décider si la décision de la ministre était raisonnable. En ce qui concerne le respect des conditions préalables à l'application de l’article 71, je pense devoir présumer que la ministre a conclu que l’avis de négociation collective avait été donné « under this Part ». Comme les arguments que Global a présentés à la ministre le montrent, la ministre n’était saisie d’aucune preuve à cet effet, puisque Global avait adopté comme position qu’il lui suffisait de signifier au syndicat un avis de négociation collective. C’est le seul fait dont la ministre était saisie :

[traduction]

 

Les seules conditions sont que les négociations collectives n’aient pas commencé dans le délai fixé par le Code et que les parties n'aient pas pu parvenir à un accord. Un avis de négocier a été signifié, et le syndicat a constamment refusé d’entamer les négociations collectives. Par conséquent, les conditions préalables à la signification d’un avis de différend ont été respectées […]

 

 

[112]       Il n’y a eu à l’évidence aucun fait ni argument présenté à la ministre attestant que l’avis de négociation collective avait été donné « under this Part ».

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La décision de la ministre de nommer un conciliateur en vertu de l’alinéa 72(1)a) du Code canadien du travail n’est pas valide;

2.                  Un bref de certiorari annulant la décision sera délivré;

3.                  Le syndicat demandeur a droit aux dépens de la présente demande.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-418-10

 

INTITULÉ :                                       SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER        

                                           

                                                                                                                                

                                                            -   c.   -

 

                                                            GLOBAL TELEVISION, DIVISION DE CANWEST TELEVISION LIMITED PARTNERSHIP                                                                                

                                                          

                                                                                                                     

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 août 2010

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                               5 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Don Bobbert                                                                                        DEMANDEUR

                                  

Lynda Troup                                                                                        DÉFENDERESSE

                                  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rogers, Bobert & Burton, avocats

Vancouver (C.-B.)                                                                               DEMANDEUR

 

                                                                                                              

Thompson Dorfman Sweatman, srl                                                        DÉFENDERESSE

Winnipeg (Man.)

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