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Date : 20101217

Dossier : IMM‑6162‑09

Référence : 2010 CF 1306

TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE

Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 17 décembre 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

PARAMJIT SINGH

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

Dossier : IMM‑6164‑09

 

ENTRE :

 

NIRVAIR SINGH

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

défendeur


 

 

Dossier : IMM‑6165‑09

 

ENTRE :

 

JAGTARAN SINGH

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision datée du 13 octobre 2009 par laquelle une agente des visas (l’agente) du Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a refusé les demandes de permis de travail temporaires des demandeurs.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent :

            1.         l’annulation de la décision de l’agente et le renvoi de la demande à la Section de l’immigration du Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, pour réexamen par un autre agent;

            2.         toute autre réparation souhaitable que la Cour juge appropriée dans les circonstances.

 

 

Les faits à l’origine du litige

[3]               Paramjit Singh est un citoyen de l’Inde qui est né le 30 août 1989. À compter d’avril 1998, il a suivi une formation d’une durée de cinq ans pour devenir ragi (moine/prêtre) à Moga, dans la province du Pendjab, en Inde. De 2004 à 2007, il a travaillé comme ragi à Nairobi, après quoi il est retourné en Inde.

 

[4]               Nirvair Singh est un citoyen de l’Inde qui est né le 25 mars 1983. À compter de juin 1992, il a suivi une formation d’une durée de cinq ans pour devenir ragi à Moga, dans la province du Pendjab, en Inde.

 

[5]               Jagtaran Singh est un citoyen de l’Inde qui est né le 6 mai 1972 et qui a suivi lui aussi, à compter de juin 1987, une formation d’une durée de cinq ans pour devenir ragi à Moga dans la province du Pendjab, en Inde.

 

[6]               En qualité de ragis, les demandeurs doivent, notamment, exécuter les services afférents à la prière quotidienne, psalmodier des hymnes et des chants et prononcer des sermons. Les prières ont lieu entre 3h30 et 6h45 et entre 16h30 et 21h30.

 

[7]               En 2008, le secrétaire de la Nanaksar Satsang Sabha en Ontario a entendu les demandeurs chanter et psalmodier ensemble à la Nanaksar Gurdwara à Moga, en Inde. Impressionné par la prestation du groupe, le secrétaire a recommandé celui‑ci auprès du comité exécutif de la Nanaksar Satsang Sabha de l’Ontario. Le groupe a alors été invité à travailler au Nanaksar Satsang Sabha Gurdwara (temple sikh) de Brampton (le Gurdwara de Brampton).

 

[8]               Le Gurdwara de Brampton fait partie d’une chaîne internationale de Gurdwaras, dont le siège se trouve à New Delhi, où les demandeurs travaillent à l’heure actuelle.

 

[9]               En juin 2009, le Gurdwara de Brampton a obtenu un avis sur le marché de travail (AMT) favorable pour quatre postes de ragi à un salaire annuel de 36 000 $ chacun, ainsi que les frais d’hébergement et les autres frais. En août 2009, les trois demandeurs ont demandé des permis de travail temporaires afin de travailler comme ragis au Gurdwara de Brampton, conformément à cet avis favorable.

 

[10]           Le 13 octobre 2009, l’agente a interrogé séparément chacun des trois demandeurs. Par la suite, elle a refusé les demandes de ceux‑ci au motif qu’elle n’était pas convaincue de l’authenticité des demandes ni du fait que les demandeurs répondaient aux exigences du poste ou qu’ils quitteraient le Canada à la fin du séjour autorisé.

 

La décision de l’agente

[11]           L’agente a fourni une seule conclusion à l’égard des trois demandeurs dans les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI).

 

[12]           Il appert d’une case cochée de la lettre de refus de l’agente que les demandeurs ne répondaient pas aux exigences du poste qui sont précisées dans l’offre d’emploi. De plus, l’agente a écrit à la main que les demandeurs n’avaient pas une connaissance suffisante de la religion et des enseignements de celle‑ci et qu’ils avaient donné des réponses contradictoires.

 

[13]           Dans les notes versées dans le STIDI, l’agente a mis en doute la bonne foi des demandeurs. Elle n’était pas convaincue qu’ils étaient de véritables travailleurs appartenant à un ordre religieux et qu’ils quitteraient le Canada lorsqu’on le leur demanderait.

 

[14]           L’agente était préoccupée par les contradictions contenues dans les réponses que les demandeurs avaient fournies le matin de l’entrevue au sujet de leurs activités, de la taille de la congrégation canadienne et des tâches qu’ils accompliraient au Gurdwara de Brampton. De plus, elle a souligné que, selon les enseignements de leur religion, les demandeurs ne devaient pas accepter d’argent en échange de leurs services ni ne devaient toucher de salaire au‑delà de leurs frais de subsistance pendant leur séjour au Canada.

 

[15]           En conséquence, l’agente a refusé les demandes de permis de travail temporaires.

 

Les questions en litige

[16]           Les demandeurs ont soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         L’agente d’immigration a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’authenticité des demandes de permis de travail des demandeurs en omettant de tenir compte des lettres concernant l’expérience professionnelle de ceux‑ci?

            2.         L’agente d’immigration a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte du principe de la double intention énoncé au paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

            3.         Quel est le poids à attribuer à l’affidavit de l’agente?

            4.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet des salaires que les demandeurs toucheraient au Canada dans le cadre de l’évaluation de l’authenticité des demandes?

            5.         La décision de l’agente selon laquelle les demandeurs avaient fait des déclarations contradictoires était‑elle déraisonnable?

            6.         Y a‑t‑il lieu d’accorder des dépens aux demandeurs?

 

[17]           À mon avis, il convient de reformuler les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agente a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

            3.         L’agente a‑t‑elle contrevenu à une obligation d’équité envers les demandeurs en omettant de les prévenir de ses préoccupations au sujet de la véracité de leurs lettres concernant leur expérience professionnelle?

            4.         L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte du droit des demandeurs d’entrer au Canada avec une double intention?

            5.         L’agente a‑t‑elle tiré une conclusion déraisonnable au sujet de l’absence de crédibilité?

            6.         Y a‑t‑il lieu d’accorder des dépens aux demandeurs?

 

Les observations écrites des demandeurs

[18]           Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas tenu compte des lettres comportant une description de l’expérience qu’ils possédaient et de la formation qu’ils avaient suivie à titre de ragis. Cette omission était déraisonnable, puisque les lettres montraient bel et bien qu’ils étaient aptes à répondre aux exigences du poste à Brampton.

 

[19]           De plus, les demandeurs reprochent à l’agente d’avoir fait une vaste généralisation au sujet de la crédibilité de certaines lettres émanant d’employeurs indiens et de ne pas avoir tenu compte des lettres elles‑mêmes dont elle était saisie, ce qui constitue une violation des principes de justice naturelle. Si elle avait des doutes au sujet de la véracité des lettres, l’agente aurait dû demander d’autres documents. En omettant de le faire, l’agente a placé les demandeurs dans une position où ils ne pouvaient pas la convaincre de leur expérience, qu’ils aient fourni ou non la documentation demandée par CIC.

 

[20]           Les demandeurs ont également fourni au cours de leur entrevue des descriptions détaillées au sujet de leur formation et de leur expérience en qualité de ragis, de la routine quotidienne au Gurdwara, de leurs aptitudes musicales et de leur religion. Pourtant, l’agente a conclu qu’aucun des trois demandeurs ne répondait aux exigences du poste et n’avait une connaissance suffisante de la religion et de ses enseignements. De l’avis des demandeurs, cette conclusion montre que l’agente n’a pas tenu compte des renseignements que les demandeurs avaient fournis au cours de leur entrevue pour en arriver à sa décision.

 

[21]           Les demandeurs reprochent à l’agente d’avoir commis une erreur en n’accordant aucune importance à l’évaluation faite par un agent précédent, qui avait souligné l’expérience de chacun des demandeurs en qualité de ragi et déclaré que ceux‑ci répondaient aux exigences de Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC).

 

[22]           Les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure que leurs réponses étaient contradictoires. Les différences entre leurs réponses, le cas échéant, étaient mineures et pouvaient être imputées aux rôles différents que les demandeurs jouaient dans l’exécution des services. Leurs réponses allaient de pair avec l’offre d’emploi et constituent une preuve de leur crédibilité et de leur expérience en qualité de ragis, de sorte qu’ils ne devraient pas être pénalisés parce qu’ils ignoraient la taille de la congrégation au Canada. L’agente a conclu de façon abusive qu’ils n’avaient pas une connaissance suffisante du poste au Canada parce qu’elle n’a pas tenu compte des renseignements que chacun avait fournis au cours de l’entrevue.

 

[23]           Les demandeurs expliquent qu’ils toucheraient un salaire de 36 000 $ devant couvrir leurs frais de subsistance et que, même s’ils n’ont pas précisé qu’ils donneraient tout excédent à des oeuvres de bienfaisance, rien ne laisse croire que le salaire était un facteur pouvant les inciter à rester illégalement au Canada. La conclusion défavorable concernant le salaire n’était pas appuyée par la preuve et a mené à l’évaluation de la bonne foi des demandeurs.

 

[24]           Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas appliqué le principe de la double intention énoncé au paragraphe 22(2) de la Loi. Les demandeurs pouvaient avoir l’intention de devenir résidents permanents, pourvu qu’ils retournent en Inde à la fin de la période de séjour autorisée. Les demandeurs ont fourni une preuve suffisante de leurs liens avec l’Inde pour montrer qu’ils ne resteraient pas au Canada après la période de séjour autorisée. Plus précisément, Paramjit Singh a fourni une preuve de son voyage précédent au Kenya, preuve dont l’agente n’a pas tenu compte et qui montre elle aussi qu’il ne resterait pas au Canada après l’expiration de son permis de travail temporaire.

 

[25]           Bien que l’agente ait reconnu que ses notes écrites à la main au sujet du manque de connaissance de la religion étaient erronées, ces commentaires faisaient probablement partie des véritables raisons pour lesquelles elle a refusé les demandes.

 

[26]           De l’avis des demandeurs, l’agente se fonde abusivement sur son affidavit pour étoffer ses motifs et il n’y a pas lieu d’accorder la moindre importance à cet affidavit. Ainsi, disent‑ils, l’agente n’a pas fait mention de doutes au sujet de la crédibilité dans la lettre de refus ou au cours de l’entrevue, mais elle affirme maintenant que sa décision reposait essentiellement sur le manque de crédibilité des demandeurs. De plus, les motifs exposés dans la lettre de refus de l’agente devraient être acceptés tels qu’ils se présentent, étant donné que cette lettre a été produite à une date plus rapprochée de la décision que le nouvel affidavit.

 

[27]           Les demandeurs font valoir que les nombreuses erreurs majeures que renferment l’affidavit et les notes versées dans le STIDI leur ont causé un préjudice et un retard importants et que des dépens devraient leur être adjugés.

 

Les observations écrites du défendeur

[28]           Le défendeur soutient que le fait que l’agente n’était pas convaincue par les lettres relatives à l’expérience professionnelle des demandeurs ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte. L’agente était tenue uniquement de reconnaître la preuve dont elle était saisie et qui était relativement importante. Étant donné que l’agente voit bon nombre de lettres de ce genre qui sont fictives, il était raisonnable de sa part d’exiger davantage que ces documents comme preuve de l’expérience professionnelle des demandeurs. L’agente n’a pas fait mention de ces lettres parce que l’examen de documents semblables fait partie de ses tâches habituelles.

 

[29]           Le défendeur allègue qu’une évaluation menée par un agent précédent sur la base de l’AMT ne peut être considérée comme une preuve de l’expérience des demandeurs, parce que la véracité de tous les renseignements contenus dans les demandes des demandeurs est présumée dans cet avis et que l’évaluation de l’agent a simplement pour effet de reconnaître que la formation et l’expérience répondent aux exigences de RHDSC. L’agente appelée à trancher la demande de visa doit faire sa propre évaluation.

 

[30]           Le défendeur ajoute que les réponses contradictoires des ragis ont fait naître des doutes sérieux dans l’esprit de l’agente quant à la question de savoir si les demandeurs formaient un groupe. Les contradictions n’étaient pas mineures. Les bonnes réponses données au sujet de l’employeur éventuel n’annulent pas les mauvaises réponses des demandeurs, surtout lorsque celles‑ci sont importantes.

 

[31]           Le défendeur reconnaît que la déclaration écrite à la main selon laquelle les demandeurs ne connaissaient pas bien leur religion était erronée. Toutefois, il ajoute que cette erreur n’a pas pour effet de vicier la décision, parce que celle‑ci était totalement fondée sur d’autres préoccupations, notamment les réponses contradictoires, le manque de connaissances de base au sujet de l’employeur et l’abus de confiance majeur découlant du fait d’accepter un salaire qui dépasserait les frais de subsistance.

 

[32]           Le défendeur affirme que la conclusion quant à l’absence de crédibilité était raisonnable. Les demandeurs ont admis que le salaire allait à l’encontre de leurs obligations éthiques et n’ont jamais mentionné qu’ils donneraient le reste à des oeuvres de bienfaisance.

 

[33]           La conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs se sont servis du programme de travail pour faciliter leur accès au Canada devrait être considérée comme une conclusion portant qu’ils ont utilisé le programme pour faciliter leur entrée illégale au Canada, conclusion qu’elle pouvait tirer dans le cadre de l’évaluation et qui n’a pas eu pour effet d’ignorer le principe de la double intention.

 

[34]           Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur susceptible de révision, car aucune des conclusions n’était déraisonnable et que l’agente n’a pas porté atteinte au droit des demandeurs d’entrer au Canada avec une double intention.

 

Analyse et décision

[35]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            La décision de rejeter une demande de permis de travail temporaire est une décision administrative rendue dans l’exercice du pouvoir d’origine législative de l’agente et constituait en apparence une conclusion de fait (voir Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 223, au paragraphe 26). Conformément aux directives de la Cour suprême du Canada, une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence et la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique à la conclusion de fait de l’agent (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46).

 

[36]           Cependant, toute question concernant l’équité d’une décision attaquée doit être tranchée selon la norme de la décision correcte. Aucune déférence n’est accordée au décideur à cet égard et « il appartient à la Cour de se faire sa propre opinion quant au caractère équitable de l’audience » (voir Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 983, au paragraphe 16).

 

[37]           Deuxième question

      L’agente a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

            L’agente doit reconnaître et analyser la preuve pertinente dont elle est saisie (voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 17). Le tribunal pourra conclure que l’agente a tiré une conclusion de fait erronée si celle‑ci a omis de mentionner des éléments de preuve pertinents dont elle était saisie et qui permettaient de tirer une conclusion différente de celle qu’elle a tirée (voir la décision Cepeda‑Gutierrez, précitée, au paragraphe 15).

 

[38]           Dans la lettre de refus, il était mentionné que les demandes avaient été refusées parce que les demandeurs ne répondaient pas aux exigences du poste. Chacun des demandeurs a fourni deux lettres faisant état de la formation qu’ils avaient suivie pour devenir ragis et de leur expérience de travail précédente à ce titre. L’agente ayant conclu que les demandeurs ne répondaient pas aux exigences de l’offre d’emploi, ces lettres étaient pertinentes et permettaient de tirer une conclusion différente de celle qu’elle a tirée. L’agente devait donc reconnaître ces lettres et les analyser.

 

[39]           L’agente a souligné dans son affidavit que l’examen de lettres semblables faisait partie de ses tâches courantes et que c’était la raison pour laquelle elle n’en avait pas fait directement mention. Cependant, même si l’agente voit et lit des lettres de ce genre dans le cadre de ses fonctions, elle était légalement tenue de reconnaître ces éléments de preuve précis pour les besoins de la présente demande; l’omission de le faire était déraisonnable et constitue une erreur susceptible de révision.

 

[40]           La troisième question

            L’agente a‑t‑elle contrevenu à une obligation d’équité envers les demandeurs en omettant de les prévenir de ses préoccupations au sujet de la véracité des lettres concernant leur expérience professionnelle?

            L’agent n’est généralement pas tenu d’informer le demandeur de ses préoccupations relatives à la demande qui découlent directement des exigences du texte de loi ou du règlement (voir Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 R.C.F. 501, aux paragraphes 23 et 24; Gulati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451, au paragraphe 43).

 

[41]           Cependant, l’agent doit informer le demandeur de tout doute concernant la véracité des documents et demander d’autres renseignements (voir Kojuri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1389, aux paragraphes 18 et 19; Olorunshola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1056, 66 Imm. L.R. (3d) 192, aux paragraphes 29 et 33; Salman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 877, 63 Imm L.R. (3d) 285, aux paragraphes 12 et 16).

 

[42]           En ce qui concerne les lettres que les demandeurs ont fournies au sujet de leur expérience antérieure, l’agente a souligné dans son affidavit que le Bureau [traduction] « voit de nombreuses lettres de ce genre qui se révèlent fictives ». Elle a donc précisé qu’elle exigeait [traduction] « davantage que les lettres, par exemple, des coupures de journaux, des photos d’eux les montrant dans l’exécution de leurs tâches ou des lettres de recommandations, qui corroboreraient suffisamment les allégations relatives à la formation, à la connaissance et à l’expérience ». Cependant, les demandeurs n’ont pas été informés que l’agente avait des doutes au sujet de la véracité des lettres et ne se sont pas fait demander de présenter d’autres documents afin de corroborer celles‑ci; cette omission constituait une erreur de droit.

 

[43]           Compte tenu des réponses que j’ai données aux deux questions qui précèdent, je conclurais que la décision de l’agente allait à l’encontre de l’obligation d’équité envers les demandeurs et qu’il était également déraisonnable de sa part de se fonder sur une conclusion de fait erronée tirée sans égard à la preuve dont elle disposait. En conséquence, je renverrais les demandes à un autre agent pour nouvel examen.

 

[44]           En raison des conclusions que j’ai tirées au sujet des deux questions qui précèdent, il n’est pas nécessaire que j’examine les quatrième et cinquième questions.

 

[45]           Sixième question

            Y a‑t‑il lieu d’accorder des dépens aux demandeurs?

            Chacun des demandeurs sollicite des dépens de 2 500 $. Selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, les affaires d’immigration ne peuvent donner lieu à des dépens que lorsque des « raisons spéciales » existent. Des raisons spéciales peuvent exister lorsqu’une partie agit de mauvaise foi ou d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive ou d’inappropriée, ou lorsque sa conduite prolonge inutilement ou de façon déraisonnable l’instance (voir Manivannan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1392, 77 Imm. L.R. (3d) 193, au paragraphe 51).

 

[46]           La Cour fédérale a déjà décidé que le « seuil constitué par les ‘raisons spéciales’ au sens de l’article 22 des Règles est élevé » (voir Yadav c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 140, 8 Admin. L.R. (6th) 86, au paragraphe 39). Même lorsque le traitement de la demande est lent, peu nombreux seront les cas où des raisons spéciales d’accorder des dépens existeront (voir Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1133, 141 A.C.W.S. (3d) 831, au paragraphe 8).

 

[47]           Dans la présente affaire, les demandeurs n’ont pas réussi à faire la preuve d’un comportement qui atteindrait le seuil constitué par les raisons spéciales. En conséquence, je ne suis pas disposé à accorder des dépens.

 

[48]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[49]           Aucune des parties n’a souhaité proposer une question grave de portée générale à faire certifier.

 


 

JUGEMENT

 

[50]           LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

            2.         Aucune ordonnance adjugeant des dépens n’est rendue.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

22.(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

 

. . .

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

22.(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

. . .

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22

 

22.Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

 

22.No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6162‑09

 

INTITULÉ :                                                   PARAMJIT SINGH

                                                                        ‑ et ‑

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                        NIRVAIR SINGH

                                                                        ‑ et ‑

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                        JAGTARAN SINGH

                                                                        ‑ et ‑

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mendel M. Green, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Hilete Stein

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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