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Date : 20101215

Dossier : T-299-10

Référence : 2010 CF 1288

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

 

REPLIGEN CORPORATION

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction et contexte

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur l’article 46 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi), lequel impose le paiement de taxes périodiques réglementaires afin de maintenir en état un brevet canadien délivré, ainsi que sur l’article 8 de la Loi, lequel prévoit qu’« [u]n document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison d’erreurs d’écriture; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire ».

 

[2]               Le point crucial de la présente affaire est que Repligen Corporation (Repligen), propriétaire du brevet délivré no 1,341,486 (le brevet 486), a effectué le paiement des taxes périodiques réglementaires par l’intermédiaire de la société Computer Patent Annuities Ltd (CPA), mais malheureusement, lorsque cette dernière a transmis le formulaire de paiement, elle a inscrit le mauvais numéro de brevet en désignant toutefois Repligen comme la propriétaire du brevet (la titulaire du brevet).

 

[3]               Le brevet de Repligen a été délivré le 19 juillet 2005, sous le numéro 1,341,486; il est intitulé « Protéine A modifiée ». La demande de brevet a été déposée le 4 mars 1988 et elle est assujettie à la Loi sur les brevets en vigueur avant le 1er octobre 1989, conformément à l’article 10. La demande de brevet pouvait être consultée à compter du 19 juillet 2005. Lorsque CPA a transmis les taxes périodiques exigées pour le deuxième et le troisième anniversaires du brevet délivré, elle suivait les instructions de l’avocat des brevets américain de Repligen, qui avait obtenu le mauvais numéro de référence de ses anciens agents de brevets au Canada; ces agents ont indiqué que le brevet de Repligen portait le numéro 1,314,486 et non le numéro 1,341,486, ayant inversé les chiffres 314 pour obtenir 341.

 

[4]               Le 30 août 2007, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) a envoyé aux anciens agents de brevets canadiens de Repligen un avis de taxe périodique visant le brevet no 1,341,486 et Repligen Corporation à titre de propriétaire. Le montant dû était de 300 $ et la date anniversaire du brevet était le 2007/07/19. L’avis de l’OPIC est rédigé comme suit :

[traduction] La taxe à payer pour le maintien en état des droits conférés par le brevet susmentionné n’a pas été reçue à la date d’anniversaire indiquée.

 

Afin d’éviter la péremption du brevet, le montant susmentionné, qui comprend la taxe réglementaire et la surtaxe pour paiement en souffrance, doit être payé dans un délai de douze mois suivant la date d’anniversaire indiquée. Il n’est pas possible de raviver un brevet périmé.

 

Si vous nous avez déjà fait parvenir la taxe réglementaire, veuillez ne pas tenir compte du présent avis.

 

Si vous souhaitez obtenir plus de renseignements, n’hésitez pas à communiquer avec le Bureau canadien des brevets, au numéro 819-953-8095.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[5]               Selon le dossier certifié du tribunal (DCT) pour le brevet 486, il n’y a eu aucune réponse à cet avis. L’OPIC a indiqué dans sa base de données que le brevet 486 est devenu périmé le 21 juillet 2008 pour cause de non‑paiement de la taxe périodique réglementaire.

 

[6]               Le 23 avril 2009, MBM Intellectual Property Law LLP (MBM), le cabinet des nouveaux agents de brevets canadiens pour le brevet 486 de Repligen, a écrit à l’OPIC une lettre dans laquelle il était question du brevet no 1,341,486. Il a joint à la lettre les documents confirmant son mandat et a avisé l’OPIC que la commissaire était autorisée [traduction] « à recevoir le paiement à partir du compte Visa de MBM » et que, si la demanderesse omettait de payer toute surtaxe réglementaire, la commissaire était autorisée à débiter le compte Visa de MBM pour tout montant supplémentaire nécessaire au paiement de la surtaxe prévue à l’annexe II des Règles sur les brevets (DORS/96-423) (les Règles).

 

[7]               Dans cette lettre, MBM a avisé l’OPIC que [traduction] « tout porte à croire que la demande en question est en règle » et a ajouté que « si toutefois, la demande est abandonnée, alors nous demandons par les présentes son rétablissement ».

 

[8]               Après s’être rendu compte en consultant la base de données de l’OPIC que le brevet 486 était périmé, MBM a cherché à corriger la situation le 2 juin 2009, en transmettant à l’OPIC une lettre dont l’objet indiquait « Corrections en application de l’article 8 ». MBM soulignait dans la lettre qu’il ressortait de la base de données de l’OPIC que le brevet no 1,341,486 était périmé. Il affirmait que le brevet « était en règle et demandait que l’état du brevet soit corrigé ».

 

[9]               À sa lettre du 2 juin 2009 adressée à la commissaire, MBM a joint deux affidavits : l’un des avocats des brevets américains de Repligen et l’autre de l’avocat des brevets de CPA, indiquant que [traduction] « les taxes périodiques dues pour les deuxième et troisième anniversaires […] ont été payées à temps » par CPA, mais qu’en raison d’une erreur d’écriture commise par inadvertance, deux chiffres du numéro de référence du brevet ont été inversés ». MBM a ajouté que Repligen était indiquée à juste titre comme la titulaire du brevet et affirmé que CPA avait effectué les paiements le 4 février 2007 (paiement reçu par l’OPIC le 8 février 2007) et le 3 février 2008 (paiement reçu par l’OPIC le 8 février 2008). MBM demandait que le mauvais numéro de brevet attribuable à une erreur d’écriture dans les documents de paiement de CPA soit remplacé par le bon numéro de brevet. MBM a souligné également que la « date », l’« année » et la « taxe » étaient fondées sur le mauvais numéro de brevet et que la titulaire du brevet souhaitait aussi faire corriger ces renseignements. MBM a autorisé la commissaire à débiter son compte Visa de la somme de 400 $, selon l’annexe II des Règles sur les brevets, et dans le cas des surtaxes, la commissaire était également autorisée à prélever les sommes indiquées à l’article 32 de l’annexe II des Règles sur les brevets.

 

[10]           Le 4 février 2010, en vertu de l’article 8 de la Loi, la commissaire a rejeté la demande de correction de Repligen, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[11]           Pour compléter le dossier factuel, mentionnons que le DCT indique que le 8 juillet 2009, MBM a payé la taxe de 100 $ applicable au 4e anniversaire du brevet 486. Le 19 juillet 2009, l’OPIC a refusé le paiement. L’OPIC a dit qu’il a avisé les anciens agents de Repligen que le brevet 486 [traduction] « serait périmé le 19 juillet 2007 en raison de l’omission de paiement de la taxe périodique » et que, « puisque la taxe périodique et la surtaxe pour paiement en souffrance pour le 2e anniversaire n’ont pas été reçues dans le délai réglementaire de douze mois, le brevet était à présent périmé ». MBM a été avisé que la taxe de 100 $ serait remboursée sur demande. Dans le même ordre d’idées, MBM a été avisé que son mandat avait été révoqué parce que le brevet 486 était périmé.

 

II.         Les dispositions législatives pertinentes

[12]           L’article 46 de la Loi porte sur le paiement des taxes périodiques au commissaire aux brevets et sur les conséquences découlant du défaut de paiement. Il énonce ce qui suit :

Taxes périodiques

 

46. (1) Le titulaire d’un brevet délivré par le Bureau des brevets conformément à la présente loi après l’entrée en vigueur du présent article est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir les droits conférés par le brevet en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire.

 

 

Péremption

 

 

(2) En cas de non-paiement dans le délai réglementaire des taxes réglementaires, le brevet est périmé.

Maintenance fees

 

46. (1) A patentee of a patent issued by the Patent Office under this Act after the coming into force of this section shall, to maintain the rights accorded by the patent, pay to the Commissioner such fees, in respect of such periods, as may be prescribed.

 

 

 

Lapse of term if maintenance fees not paid

 

(2) Where the fees payable under subsection (1) are not paid within the time provided by the regulations, the term limited for the duration of the patent shall be deemed to have expired at the end of that time.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           L’article 8 de la Loi, lequel traite des erreurs d’écriture, prévoit ce qui suit :

Erreurs d’écriture

 

8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison d’erreurs d’écriture; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire.

 

Clerical errors

 

8. Clerical errors in any instrument of record in the Patent Office do not invalidate the instrument, but they may be corrected under the authority of the Commissioner.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

III.       La décision de la commissaire

[14]           Dans sa décision du 4 février 2010, la commissaire a tout d’abord statué que le fait d’indiquer le brevet no 1, 314, 486 au lieu du brevet no 1, 341, 486 dans le « Formulaire de paiement des taxes périodiques » que CPA avait fait parvenir à l’OPIC constituait une erreur d’écriture selon la jurisprudence pertinente. Toutefois, elle a conclu qu’elle disposait d’un pouvoir discrétionnaire :

[traduction] […] [n’étant] pas tenue de faire droit à la demande de correction [dans le cas où] l’existence d’une erreur d’écriture a été déterminée. Dans ces circonstances, le Bureau des brevets estime que la correction demandée ne constituerait pas un exercice valable du pouvoir discrétionnaire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           La commissaire a ajouté que [traduction] « [p]ar ailleurs, le paiement des taxes pour le maintien en état des brevets déjà délivrés est une exigence de l’article 46 de la Loi et de l’article 182 des Règles », et elle a précisé ce qui suit :

[traduction] Le paiement en souffrance des taxes périodiques est permis si le montant dû est payé dans le délai visé de douze mois et s’il s’accompagne de la surtaxe réglementaire pour paiement en souffrance. Il est impossible de raviver un brevet périmé au‑delà de cette période. Le délai applicable au paiement des taxes périodiques ne peut être prorogé au‑delà de ce délai de grâce. C’est pourquoi, le 19 juillet 2007, le Bureau des brevets a, par courtoisie, envoyé par la poste un avis indiquant que le brevet serait bientôt périmé.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           La commissaire a conclu ce qui suit :

[traduction] Néanmoins, le retard dans l’examen des erreurs a fait en sorte que, pendant une longue période, des tiers se sont peut‑être fondés sur des documents accessibles au public et sur les renseignements qu’ils contenaient. Selon la Gazette du Bureau des brevets, à compter du 21 juillet 2008, le droit exclusif de fabriquer, d’utiliser et de vendre l’invention a cessé d’exister en ce qui concerne le brevet canadien no 1,341,486. Par conséquent, ladite correction est susceptible d’avoir une incidence négative sur les droits de tiers.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

IV.       Les arguments

A.  Pour le compte de Repligen, comme il ressort du mémoire de son avocat

[17]           Dans son mémoire, l’avocat de Repligen a invoqué deux moyens relativement à l’exercice par la commissaire de son pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

 

[18]           Le premier moyen porte sur la question de savoir si la commissaire a commis une erreur en refusant de corriger l’erreur d’écriture survenue dans la transmission du formulaire de paiement des taxes périodiques par l’agent de brevets, parce qu’elle 1) a limité de façon injustifiée son pouvoir discrétionnaire, 2) a tenu compte de considérations étrangères et non pertinentes, et qu’elle 3) a manqué à la justice naturelle en ne donnant pas à Repligen l’occasion de répondre aux questions qui la préoccupaient.

 

[19]           Je n’examinerai pas ce premier moyen parce que l’avocat de Repligen l’a abandonné à l’audience.

 

[20]           Le deuxième moyen porte sur la question de savoir si, en raison du paiement des taxes périodiques applicables, le brevet 486 est toujours en vigueur, malgré le refus de la commissaire de corriger l’erreur d’écriture.

 

[21]           L’avocat de Repligen soutient qu’en l’espèce, la conséquence juridique d’une conclusion portant qu’il y a eu erreur d’écriture est que les paiements effectués par Repligen relativement au brevet canadien no 1,314,486 visaient à juste titre le brevet canadien no 1,341,486, ainsi que Repligen l’a toujours voulu. Il soutient que les taxes périodiques ont été remises entièrement et à temps à la commissaire qui les a reçues et conservées.

 

[22]           Selon l’avocat de Repligen, la commissaire a l’obligation, en vertu de l’article 4 de la Loi, de garantir l’exactitude des registres de l’OPIC. Il s’ensuit donc que la commissaire ne peut refuser d’inscrire dans les registres de l’OPIC qu’il y a eu paiement en faveur du brevet 486. L’avocat se fonde sur la décision de mon collègue, le juge Robert Barnes, dans Procter & Gamble Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 976 (Procter & Gamble), qui a affirmé que le refus du commissaire aux brevets de corriger l’inscription dans le contexte factuel de l’affaire dont il était saisi constituait une erreur de droit et a ordonné à celui‑ci de modifier les dossiers du Bureau des brevets touchant le brevet Didrocal en y inscrivant comme date de délivrance de celui‑ci le 18 juin 1996. Le juge Barnes a conclu que, vu sa conclusion que le brevet pertinent avait été en fait délivré le 18 juin 1996, « il ne serait pas très logique que l’article 8 de la Loi ne confère pas au commissaire le pouvoir discrétionnaire de modifier en conséquence les archives du Bureau des brevets ». Bref, l’avocat de la demanderesse fait valoir que le brevet 486 doit être réputé en règle.

 

[23]           C’est ce deuxième moyen que l’avocat de Repligen a développé dans sa plaidoirie, mais sous un angle différent.

 

B.  La plaidoirie de la demanderesse présentée à l’audience

[24]           Dans sa plaidoirie, la demanderesse a fait valoir que la commissaire n’a pas interprété correctement l’article 46 de la Loi, et qu’elle s’est donc posé la mauvaise question lorsqu’elle a analysé la demande de correction de Repligen.

 

[25]           Selon la demanderesse, l’article 46 de la Loi est clair. Il oblige le propriétaire d’un brevet, à savoir le titulaire d’un brevet, à payer les taxes réglementaires, et c’est uniquement en cas de non‑paiement dans le délai réglementaire que le brevet est périmé.

 

[26]           La demanderesse soutient que la commissaire a eu tort d’affirmer que Repligen n’a pas payé les taxes périodiques relativement au brevet 486. Les paiements de CPA que la commissaire ne nie pas avoir reçus ont été effectués expressément pour le compte de Repligen, la propriétaire désignée. De plus, dans sa demande de correction, l’avocat l’a indiqué expressément. Dans les circonstances de l’espèce, la commissaire n’avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer, dit l’avocat.

 

[27]           De plus, l’avocat fait valoir que rien dans l’article 46 de la Loi ni dans l’article 182 des Règles n’exige que le paiement des taxes périodiques soit effectué par renvoi au numéro du brevet. Il étaye cet argument par un renvoi à l’article 7 des Règles, qui prévoit que toute communication adressée au commissaire au sujet d’une demande contient le numéro de la demande, si un numéro lui a été attribué. L’avocat a comparé cet article à l’article 182 des Règles concernant les taxes périodiques qui ne contient pas d’exigence semblable au sujet des brevets délivrés.

 

C.  Pour le compte du défendeur, comme il ressort du mémoire de son avocate

[28]           Les arguments du défendeur reposent sur la prémisse que les taxes périodiques réglementaires relativement au brevet 486 n’ont pas été payées dans le délai réglementaire (y compris le délai de grâce). Par application du paragraphe 46(2), qui prévoit qu’« [e]n cas de non‑paiement dans le délai réglementaire des taxes réglementaires », le brevet est périmé. C’est la loi qui commande cette issue; la commissaire n’a aucun pouvoir discrétionnaire en la matière.

 

[29]           L’avocate du défendeur explique que la demanderesse n’a pas compris que la commissaire a énoncé deux raisons à l’appui de sa décision de ne pas corriger l’erreur d’écriture : 1) elle a d’abord conclu que la Loi ne lui confère pas le pouvoir discrétionnaire de rétablir un brevet périmé après l’écoulement du délai de grâce accordé pour le paiement des taxes périodiques. La Loi fixe les délais applicables au paiement des taxes périodiques et le législateur a prévu les conséquences du non‑paiement dans le délai réglementaire; 2) pour ce qui est de sa décision discrétionnaire, elle a choisi de ne pas corriger l’erreur d’écriture en tenant compte de deux facteurs, à savoir a) la longue période écoulée avant que la demanderesse cherche à faire corriger cette erreur, et b) l’incidence négative que la correction risque d’avoir sur les droits des tiers. Ces considérations n’étaient pas étrangères et, selon l’avocate, elles reposaient pleinement sur la jurisprudence de la Cour.

 

[30]           En réponse à l’argument de la demanderesse selon lequel le brevet 486 était en règle malgré l’erreur d’écriture, l’avocate du défendeur soutient que le brevet 486 n’est pas en règle malgré l’intention de la demanderesse de payer la taxe périodique ou la conclusion de la commissaire portant qu’il y a eu erreur d’écriture. Elle fait valoir que le brevet 486 était périmé [traduction] « parce que les taxes périodiques n’avaient pas été payées relativement au bon brevet et que le brevet ne peut être rétabli puisque le délai de grâce pour payer les taxes périodiques qui est prévu par la Loi était expiré ».

 

[31]           Selon l’avocate, la commissaire n’était pas tenue légalement de corriger l’erreur de la demanderesse; la jurisprudence établit tout à fait clairement que la commissaire avait le pouvoir discrétionnaire de le faire, surtout qu’il appartenait à la demanderesse de s’assurer que les renseignements fournis à la commissaire étaient exacts. L’avocate cite les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1998), 82 C.P.R. (3d) 192, par. 30 (Bristol-Myers).

 

[32]           L’avocate soutient que la demanderesse a tort de se fonder sur la décision du juge Barnes dans Procter & Gramble quant au principe selon lequel [traduction] « la conséquence juridique d’une conclusion portant qu’il y a eu erreur d’écriture est que les paiements effectués par Repligen relativement au brevet canadien no 1, 314, 486 visaient à juste titre le brevet canadien no 1, 341, 486 », parce que cette affaire se distingue de l’espèce. L’affaire citée portait sur le refus du commissaire de modifier la date de délivrance d’un brevet; mon collègue a conclu que le commissaire avait commis une erreur en déterminant que l’erreur visée ne constituait pas une erreur d’écriture. L’affaire citée ne portait pas strictement sur l’article 8 de la Loi.

 

D.  La plaidoirie de l’avocate du défendeur

[33]           L’avocate du défendeur ne conteste pas l’allégation de la demanderesse selon laquelle CPA a transmis à temps à l’OPIC le paiement des taxes périodiques réglementaires pour les deuxième et troisième anniversaires du brevet 486, ni le fait que l’OPIC a reçu ces taxes dans le délai réglementaire. Elle soutient par contre que les taxes en question n’ont pas été payées relativement au bon brevet. Elle précise qu’elle a eu brièvement la possibilité de se renseigner auprès de l’OPIC au sujet des grandes lignes des arguments que l’avocat de la demanderesse lui avait dit qu’il allait invoquer devant la Cour.

 

[34]           Elle a uniquement confirmé à la Cour l’existence d’un brevet délivré sous le numéro de série 1,314,486 et a indiqué que le dossier contenait les bordereaux de paiement envoyés par CPA relativement au paiement des taxes périodiques pour le brevet de Repligen. Elle n’avait pas d’autres renseignements.

 

[35]           En réponse aux observations formulées par l’avocat de la demanderesse, l’avocate du défendeur fait valoir essentiellement que rien dans le dossier de la demanderesse n’établit que CPA a payé le montant exact de la taxe périodique. Elle a souligné que la correction demandée par Repligen ne visait pas seulement les numéros de série inversés, mais aussi le montant de la taxe exigée qui aurait pu découler de la référence à un autre brevet délivré.

 

[36]           Elle a souligné également qu’il incombait à la demanderesse de fournir des renseignements exacts et a cité la décision Actelion Pharmaceuticals Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 90, par. 12, mettant l’accent sur le fait que le Bureau des brevets n’avait commis aucune erreur. Quoi qu’il en soit, selon l’avocate, le brevet est devenu périmé à l’expiration du délai de grâce.

 

V.        Analyse

A.  La norme de contrôle

[37]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a modifié l’analyse relative à la norme de contrôle en décidant qu’en matière de contrôle judiciaire, seules deux normes s’appliquaient : celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité. En règle générale, la norme de la décision correcte s’applique dans le cas des questions d’interprétation de la loi qui sont des questions de droit, alors que la norme de la raisonnabilité s’applique dans le cas des questions touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique (voir Dunsmuir, par. 53 et 66). Dans Scannex Technologies LLC c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1068, une affaire portant sur l’article 8 de la Loi, ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, a tranché que l’interprétation de l’article 8 était une question de nature juridique et que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte, alors que l’application de cette interprétation aux faits de l’affaire était une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Je suis d’accord.

 

B.  Considérations

[38]           La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire a été rendue par la commissaire, en vertu de l’article 8 de la Loi, à la suite de la demande de correction présentée par Repligen au regard de deux pages couvertures accompagnant le paiement des taxes périodiques pour les deuxième et troisième anniversaires du brevet 486; ces pages couvertures contenaient une mention incorrecte du numéro de série du brevet.

 

[39]           Depuis la décision Bayer AG c. Canada (Commissaire des brevets), [1981] 1 C.F. 656, rendue par le juge Mahoney, alors juge de la Cour fédérale, qui a été approuvée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bristol-Myers Squibb, précité, confirmant la décision Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1997), 77 C.P.R (3d) 300, de mon collègue Yvon Pinard,  il est bien établi que, dans le cadre d’une décision du commissaire fondée sur l’article 8 de la Loi, il faut répondre à deux questions : 1) tout d’abord, l’erreur commise est‑elle une erreur d’écriture? et 2) dans l’affirmative, l’erreur devrait‑elle être corrigée par l’exercice du pouvoir discrétionnaire?

 

[40]           L’affaire Bristol-Myers, précitée, est analogue à l’espèce. Dans cette affaire, le commissaire a conclu que l’erreur visée par la correction demandée était une erreur d’écriture – la suppression par inadvertance d’une revendication de priorité relativement à un brevet américain. Toutefois, le commissaire a refusé de corriger l’omission. Le commissaire aux brevets a décidé ce qui suit :

Il est constant que, dans le cas qui nous occupe, l’erreur en cause est une erreur d’écriture. On ne saurait toutefois, pour les motifs suivants, corriger une erreur dont la correction à ce moment‑ci serait antérieure de quelque six mois à une revendication de priorité contenue dans une demande présentée en 1993 :

-        suivant les dispositions en vigueur au moment de la présentation [la nouvelle règle 142], la revendication de priorité devait être présentée dans les six mois du dépôt;

-        le public pouvait examiner la demande en fonction de la date de revendication de priorité et l’exactitude et la fiabilité des renseignements du document que le public peut examiner constituent un aspect essentiel de cette procédure;

-        après que le public est autorisé à examiner la demande de brevet, des tiers peuvent s’être fiés aux renseignements contenus dans la demande et pourraient être lésés si une partie était ajoutée à la revendication de priorité.

 

Pour en venir à cette décision, j’ai tenu compte des objectifs fondamentaux de la procédure à suivre pour revendiquer une priorité, ainsi que des objectifs fondamentaux justifiant l’établissement de la procédure à suivre pour permettre au public d’examiner la demande.

 

 

[41]           Dans cette affaire, la preuve indiquait que deux autres demandes de brevets visant des inventions semblables avaient été déposées environ six mois après la demande de Bristol‑Myers et au cours de la période de confidentialité.

 

[42]           Dans la décision Bristol-Myers, le juge Pinard a examiné l’étendue du pouvoir discrétionnaire du commissaire. Il s’est fondé sur l’extrait suivant de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Maple Lodge Farms Ltd c. Gouvernement du Canada et al, [1982] 2 R.C.S 2, aux pages 7 et 8 :

[…] C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[43]           Le juge Pinard a conclu comme suit :

14        Qui plus est, je suis d’avis qu’en conférant au commissaire à l’article 8 de la Loi le pouvoir discrétionnaire général d’autoriser la correction d’erreurs d’écriture, le législateur fédéral a clairement fait savoir qu’il s’en remettait à la compétence spécialisée du commissaire. En conséquence, la Cour doit faire preuve de retenue en ce qui concerne la détermination, par le commissaire, des facteurs dont elle devait tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire et la Cour ne devrait infirmer cette décision que si elle est déraisonnable (voir l’arrêt Pezim c. C.‑B. (Superintendent of Brokers), (1994), 114 D.L.R. (4th) 385, aux pages 404 à 406).

 

15        En l’espèce, la bonne foi du commissaire n’est pas en cause et je suis d’avis qu’elle a attentivement tenu compte des éléments de preuve qui justifiaient sa décision. Après examen des facteurs dont elle a expressément tenu compte dans sa décision, je suis convaincu qu’il était raisonnable pour le commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme elle l’a fait, et ce, même si le présumé préjudice subi par des tiers peut être spéculatif.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[44]           La juge Alice Desjardins de la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit, dans l’arrêt Bristol-Myers, au paragraphe 25 de ses motifs :

Aux termes de l’article 4 de la Loi, le commissaire assure « la direction et la garde » des archives appartenant au Bureau des brevets. Dans cette optique, les termes « sous l’autorité du » à l’article 8 de la Loi suggèrent que le commissaire est responsable de l’intégrité du système confié à ses soins. L’effet de la demande de correction n’était pas, comme dans l’affaire Bibeault, de constater la transmission de droits et obligations s’opérant par l’effet de la loi. Il était demandé au commissaire aux brevets de donner priorité à une revendication qui, selon la loi, ne peut être faite que dans un délai de six mois à compter du dépôt de la demande de brevet, fait le 25 juin 1993. La demande avait été accessible pour consultation sur la base de la date de priorité. Le commissaire pouvait raisonnablement juger que la fiabilité du document accessible pour consultation constituait un aspect essentiel de la procédure de consultation des documents et que des tiers pouvaient s’être fiés aux renseignements contenus dans la demande et pourraient être lésés si une partie était ajoutée à la revendication de priorité. Ces considérations, contrairement à ce que prétend l’appelante, n’étaient pas non pertinentes. Loin de là. Le commissaire pouvait se préoccuper de l’effet que la demande aurait eu sur des tiers si la correction avait été accordée. Il lui était donc loisible de conclure :  

 

Pour en venir à cette décision, j’ai tenu compte des objectifs fondamentaux de la procédure à suivre pour revendiquer une priorité, ainsi que des objectifs fondamentaux justifiant l’établissement de la procédure à suivre pour permettre au public d’examiner la demande.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[45]           Le processus décisionnel en deux étapes imposé par l’article 8 de la Loi est confirmé par les décisions suivantes de notre Cour :

a)      Pason Systems Corp. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 753, décision du juge Roger T. Hughes qui porte sur une demande de correction concernant un brevet délivré;

b)      Procter & Gamble Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 976, décision du juge Barnes qui porte sur un brevet délivré;

c)      Dow Chemical Co. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1236, décision du juge Barnes qui porte sur la correction d’une demande de brevet;

d)      Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825, au par. 203, décision à volets multiples sur la correction d’un brevet délivré.

e)      Scannex Technologies LLC c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1068, décision qui porte sur une demande de brevet.

 

[46]           L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire repose sur un autre principe important de droit administratif. Il doit être compatible avec l’objet de la loi ou d’une disposition législative et promouvoir cet objet (voir Delisle c. Canada (Procureur général), 2006 CF 933, par. 129 à 131).

 

[47]           Le juge Ian Binnie de la Cour suprême du Canada a dit, dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, par. 42, que « [l]e régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général ». Dans Whirlpool Corp c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, le juge Binnie a dit ce qui suit, au paragraphe 37 :

Il est reconnu que le marché conclu entre le breveté et le public est dans l’intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à compter de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet).

 

 

[48]           J’examinerai l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Barton No-till Disk Inc. c. Dutch Industries Ltd., 2003 CAF 121 [Dutch Industries], qui ne portait pas sur l’article 8 de la Loi, mais sur la question de savoir si la Loi ou les Règles autorisaient le commissaire à accepter les taxes périodiques complémentaires payées par une « grande entité » au tarif applicable aux petites entités, lorsque le paiement complémentaire était reçu après l’expiration du délai prévu par les Règles pour le paiement des taxes en question.

 

[49]           Cette affaire concernait le brevet 388 qui avait été délivré en 1996 et qui, selon l’avocat de Dutch Industries, avait été frappé de déchéance, en vertu du paragraphe 64(2), parce que les taxes n’avaient pas été payées au tarif applicable aux grandes entités, mais au tarif applicable aux petites entités. L’affaire portait également sur la demande relative au brevet 904 qui n’avait pas encore été délivré. Dans les deux cas, Barton avait payé, à échéance, les taxes périodiques relatives au brevet 388 et à la demande 904, selon le tarif applicable aux petites entités, malgré le fait qu’à compter de novembre 1994 sa société répondait à la définition de grande entité. Les taxes périodiques ont été payées à un tarif moindre.

 

[50]           La décision de la juge Karen Sharlow reposait sur sa conception de la bonne méthode d’interprétation législative et sur l’objet des dispositions relatives aux taxes périodiques. Elle a écrit ce qui suit, aux paragraphes 29 et 30 de ses motifs :

29        La bonne méthode d’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets doit s’inspirer du principe suivant posé par Driedger, Elmer A., dans son ouvrage Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87 :

 

[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution en matière d’interprétation législative : il faut lire les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

30        L’objet de la loi ne fait aucun doute en l’espèce. Les taxes exigibles en vertu de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets visent à défrayer le Bureau des brevets de la totalité ou d’une partie de ses coûts. Les taxes sont calculées en fonction d’un barème moins élevé dans le cas des « petites entités » pour accorder un certain allègement aux inventeurs, qui sont présumés ne disposer que de moyens limités. Le régime de paiement de taxes périodiques annuelles a été instauré en vue de décourager la prolifération de brevets et de demandes de brevets inutiles en obligeant les titulaires et les demandeurs de brevets, au moins une fois par année, à entreprendre des démarches pour les conserver en état. La définition de « petite entité » doit être interprétée en fonction de ces objectifs et en tenant compte du contexte législatif.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[51]           La juge a conclu que les dispositions législatives régissant le paiement des taxes périodiques sont « étonnamment complexes, surtout si l’on tient compte des sommes relativement modestes qui sont en cause pour un seul brevet ». Plus particulièrement, elle a conclu que la définition de « petite entité » était complexe et qu’elle dépendait de constatations factuelles lorsque, peu importe la diligence qu’exerce celui qui demande un brevet, il risque de se tromper. La juge s’est penchée ensuite sur les conséquences d’une telle erreur. Elle a écrit ce qui suit :

33        […] Si une « petite entité » conclut à tort qu’elle est une « grande entité », les conséquences ne sont pas très graves. La « petite entité » paiera simplement des taxes qui sont à peine plus élevées que celles qui sont exigées, sans possibilité d’être remboursée. En revanche, si une « grande entité » conclut à tort qu’elle est une « petite entité », les conséquences sont catastrophiques, sauf si l’erreur est découverte assez tôt pour qu’elle puisse prendre des mesures correctives.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[52]           Les conséquences catastrophiques relevées par la juge sont la perte des droits rattachés au brevet, sauf si l’erreur est découverte et corrigée dans les délais réglementaires concernant les surtaxes pour les paiements en souffrance.

 

[53]           La juge Sharlow a estimé que, dans l’affaire dont elle était saisie, la définition de « petite entité » comportait une omission qui sautait aux yeux – la définition ne précisait pas la date à laquelle devaient être faites les constatations factuelles relativement à une petite entité. Ces constatations devaient‑elles être faites à la date d’échéance de chaque paiement de taxe ou ne devaient‑elles être faites qu’une seule fois, à la date à laquelle la première taxe est payable? La juge a opté pour la deuxième solution et a écrit ce qui suit :

43        À mon avis, l’absence de quelque mention que ce soit d’un élément temporel dans la définition de « petite entité » pose un problème d’interprétation de la loi qui devrait être résolu de manière à minimiser les risques de conséquences catastrophiques pouvant découler d’une erreur commise de bonne foi lors de la détermination du statut. Les conséquences disproportionnées d’une pareille erreur favorisent massivement la proposition que le statut de la personne qui demande un brevet particulier devrait être déterminé une seule fois, au début. Suivant cette interprétation, le demandeur de brevet qui se considère comme une « petite entité » risquerait quand même de perdre les droits que lui confère le brevet par suite d’une erreur commise de bonne foi lors de l’établissement des constatations factuelles pertinentes au début du processus. Toutefois, ce risque ne se présentera qu’une seule fois et il ne sera pas multiplié par le nombre de fois où la taxe périodique est payable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[54]           Cette conclusion a eu des effets différents selon qu’il s’agissait du brevet 388  ou de la demande 904. La juge a écrit ce qui suit :

47        Compte tenu de cette interprétation de la définition de « petite entité », je reviens aux faits de l’espèce. M. Barton répondait à la définition de « petite entité » à la date où il a présenté sa demande en vue d’obtenir le brevet 388. Il s’ensuit que toutes les taxes périodiques relatives au brevet 388 devaient être payées selon le barème applicable aux « petites entités », ce qui s’est effectivement produit. Par conséquent, rien ne permet de conclure que la demande relative au brevet 388 ait jamais été réputée avoir été abandonnée ou encore que le brevet 388 ait été frappé de déchéance pour non‑paiement ou paiement insuffisant des taxes périodiques. Aucune taxe n’était payable au tarif des « grandes entités ».

 

48        On ne peut pas en dire autant de la demande 904. Toutes les taxes périodiques payables au titre de la demande 904 devaient être payées selon le tarif applicable aux « grandes entités » parce que, selon la preuve versée au dossier, M. Barton ne répondait pas à la définition de « petite entité » le 12 avril 1995, lorsque la demande 904 a été présentée. Le défaut de payer les taxes selon le tarif des « grandes entités » constitue une erreur fatale. Aucun paiement complémentaire n’est possible. Il s’ensuit que la demande 904 est réputée avoir été abandonnée le 12 avril 1997.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

et a conclu ainsi :

49        Je suis par conséquent d’avis d’accueillir le présent appel en partie, de modifier le premier paragraphe de l’ordonnance du juge de première instance de manière à enjoindre au Commissaire de réexaminer, conformément aux présents motifs, les décisions qu’il a prises le 29 mars 2000 et, a) en ce qui concerne la demande de brevet 904, de rectifier les registres des brevets pour préciser que la taxe périodique exigée n’a pas été payée, et b) en ce qui concerne le brevet 388, de rectifier les registres des brevets pour préciser que la taxe périodique exigée a été payée en entier. Les présumés « paiements complémentaires » doivent également être rendus. Dans ces conditions, toutes les parties supporteront leurs propres dépens tant devant notre Cour que devant la Section de première instance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

C.  Conclusions

[55]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, mais avant d’exposer ces motifs, j’aimerais préciser que je ne peux retenir l’argument de l’avocat de la demanderesse portant que le brevet 486 est demeuré en règle malgré le fait qu’en raison de l’erreur d’écriture, les taxes ont été payées à l’égard du mauvais brevet. C’est la raison même de la présente demande fondée sur l’article 8. La commissaire a reconnu que l’erreur relative à l’inversion des chiffres à l’égard des numéros de série des brevets constituait une erreur d’écriture. J’estime qu’il est aussi trop tard maintenant pour soutenir que l’article 8 ne confère pas à la commissaire le pouvoir discrétionnaire de corriger ou non une erreur. L’avocat de la demanderesse n’a pas invoqué cet argument. De plus, je ne peux accepter la conséquence juridique de la conclusion selon laquelle l’inversion des chiffres constituait une erreur d’écriture est que les paiements effectués et acceptés relativement au brevet canadien no 1,314,486 visaient, sans plus, le brevet 486. Une telle conclusion viderait de sens le pouvoir discrétionnaire de la commissaire conféré par l’article 8 de la Loi.

 

[56]           J’ajoute également que je ne peux retenir l’argument du défendeur selon lequel le montant de la taxe payée par la demanderesse était incorrect. Il s’agissait d’une conjecture de sa part. Il semble que ce soit tout le contraire. La taxe a été payée au titre de la taxe générale (non de la taxe applicable aux petites entités), soit 100 $ ou 400 $ (en cas de paiement en souffrance).

 

[57]           L’objet de l’article 8 de la Loi est clair. Il s’agit d’une disposition réparatrice qui permet au commissaire de corriger dans certains cas les erreurs d’écriture dans un document en dépôt, après avoir tenu compte de toutes les considérations pertinentes, notamment, selon la jurisprudence, le retard à demander la correction ainsi que l’incidence sur des tiers.

 

[58]           Compte tenu du dossier dont je dispose, je conclus que la commissaire n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

 

[59]           À mon avis, la commissaire n’a tenu compte que de deux facteurs pertinents : le retard à demander la correction et le risque de préjudice causé à des tiers. Selon la commissaire, ces deux facteurs ont joué un rôle déterminant dans le refus de corriger ce qu’elle a conclu être une erreur d’écriture. Ce refus a eu des conséquences catastrophiques pour Repligen – elle a perdu les droits relatifs à l’invention qui étaient rattachés au brevet.

 

[60]           J’estime que la commissaire n’a pas tenu compte des facteurs pertinents suivants avant de décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de corriger ou non l’erreur d’écriture :

a)      les conséquences pour Repligen – la perte de son brevet;

b)      le fait que le paiement effectué par Repligen a été reçu par la commissaire et associé à un autre brevet, dans des circonstances inconnues de Repligen, et dont la commissaire n’a pas tenu compte et, dans ce contexte, le fait de savoir s’il s’agissait d’une erreur de l’OPIC;

c)      le fait que Repligen a effectué les paiements en question à la date d’échéance;

d)      l’omission de la commissaire de tenir compte du fait que, si elle avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de corriger l’erreur, la réparation prévue à l’article 8 aurait eu pour effet que le brevet 486 ne serait jamais devenu périmé pour non‑paiement en vertu du paragraphe 46(2) de la Loi, parce que les taxes en question avaient été payées au montant exact et à temps, résultat qui a été obtenu dans l’arrêt Dutch Industries, précité, sans avoir recours à l’article 8. En d’autres mots, la commissaire a mal apprécié les pouvoirs de réparation que lui confère l’article 8 de la Loi;

e)      la commissaire n’a pas pris en compte l’objet de la disposition relative aux taxes périodiques. Repligen a payé à temps et l’OPIC a accepté ces paiements; Repligen a contribué au financement des coûts du Bureau des brevets. Le fait que Repligen a effectué ces paiements et que la commissaire a reconnu que ces paiements visaient le mauvais compte constituait un indice que Repligen n’a pas considéré son brevet 486 délivré comme du bois mort;

f)        le simple fait d’invoquer les droits éventuels des tiers, sans plus, diminuerait essentiellement, à mon avis, le pouvoir que le législateur a conféré à la commissaire de corriger les erreurs d’écriture. La raison est évidente : dans le cas d’un brevet délivré, la  divulgation aura été faite; dans le cas d’une demande de brevet, celle‑ci peut être consultée après une date déterminée. Dans l’arrêt Bristol-Myers, la juge Desjardins n’a pas accepté la conclusion hypothétique relative aux droits de tiers. Elle disposait de faits indéniables indiquant que des tiers étaient susceptibles de subir un préjudice – la nature de la réparation demandée, à savoir l’ajout d’une nouvelle date de priorité aurait eu pour effet, relativement à un document accessible pour consultation depuis 1994, de permettre l’inscription en 1997 d’une date de priorité de juillet 1992. La juge Desjardins a dit que « [l]’effet rétroactif qu’aurait eu la correction, si elle avait été permise, préoccupait manifestement le commissaire ». La juge disposait également d’éléments de preuve démontrant qu’antérieurement à la demande de correction, deux autres sociétés avaient déposé des revendications de priorité pour des médicaments semblables en vertu de brevets étrangers portant une date antérieure aux brevets américains invoqués par Bristol-Myers. En l’espèce, j’estime que l’appréciation de la commissaire relativement aux droits de tiers susceptibles d’être touchés était fondée, sans plus, sur de simples hypothèses, comme la question de savoir si des tiers avaient déposé au Canada des demandes de brevets semblables au brevet de Repligen intitulé Protéine A modifiée. Cette position est conforme à ce qu’il est indiqué dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets qui présente, à la section 23.04.02, des exemples de cas où de tiers sont susceptibles de subir un préjudice. Voir également la section 23.04 du même recueil où il est indiqué qu’il appartient à la commissaire de décider si la correction doit être faite ou non, selon la nature de l’erreur;

g)      enfin, la commissaire a omis d’apprécier tous les facteurs pertinents avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens, la décision de la commissaire est annulée et la demande de correction présentée par le demandeur sera examinée par un autre fonctionnaire du Bureau des brevets, compte tenu des présents motifs.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-299-10

 

INTITULÉ :                                                   Repligen Corporation c. Procureur général du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 5 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 15 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Scott Miller

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monika Bittel

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MBM Intellectual Property Law LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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