Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101222

Dossier : IMM-2066-10

Référence : 2010 CF 1324

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

 

SAMI MURATI

LORENA MURATI

ERMAL MURATI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               La question principale soulevée dans ce contrôle judiciaire entamé par les demandeurs à l’encontre de la décision du 29 mars 2010 rendue par la Section de la Protection des réfugiés (le tribunal) qui rejetait leurs demandes d’asile est de connaître la raisonabilité de sa conclusion que l’Albanie était en mesure de protéger les demandeurs, victimes d’une vendetta (blood fued). Le tribunal a aussi décidé qu’ils jouissaient d’une possibilité de refuge interne (PRI).

 

[2]               Le tribunal juge les demandeurs crédibles. Il s’agit de Sami Murati, le père, sa fille, Lorena et son fils Ermal (les Muratis). Le tribunal a aussi entendu par téléphone le témoignage de Gjin Marku, le président du Comité National de Reconciliation (CNR). M. Marku a aussi répondu aux questions écrites soumises par le procureur des Muratis. L’oncle Nazmi serait le seul homme parmi les hommes de la famille Murati qui se trouve encore en Albanie.

 

[3]               Un conflit éclate entre la famille Hoxha et la famille Murati à propos d’une terre que l’oncle de Sami, Nazmi Murati, affirmait être propriétaire, ce que la famille Hoxha disputait et sur laquelle elle avait construit un immeuble.

 

[4]               Le 5 mai 2007, Arben Murati, fils unique de Nazmi, suite à une altercation au sujet du terrain, a tué Yilli Hoxha, mort que sa famille a avoué venger en prononçant le lendemain le 6 mai 2007, un « blood feud » contre la famille Murati y inclus celle de Sami. Arben Murati aurait disparu mais serait recherché par les autorités pour homicide involontaire.

 

[5]               Le 7 mai 2007, Sami Murati, son fils et son oncle Nazmi se sont rendus au CNR pour demander de l’aide : le CNR a accepté ce mandat sous la consigne que les Muratis devaient vivre en réclusion durant la période de son enquête. La réconciliation entre les deux familles s’est avérée impossible, vu le refus total des Hoxhas de pardonner et de se réconcilier avec les Muratis.

 

[6]               Durant sa période de réclusion avec son fils, Sami Murati aurait appris de sa femme que sa fille Lorena avait été victime d’une tentative d’enlèvement. Les demandeurs quittent l’Albanie le 8 septembre 2007 pour se rendre aux États-Unis et viennent au Canada le 9 mai 2008 pour demander l’asile.

 

II.         La décision du tribunal

[7]               D’une part, le tribunal décide que les demandeurs ne peuvent avoir recours à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (2001, ch. 27) (la Loi) puisqu’il s’agit en l’espèce d’un crime et d’une peur liée à la vengeance, deux facteurs qui n’ont aucun lien avec un des cinq motifs de la Convention; cette conclusion n’est pas attaquée devant moi. Donc l’enjeu porte seulement sur l’article 97 de la Loi qui se lit comme suit :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) ...

 

(iii) ...

 

(iv) ...

 

Personne à protéger

 

(2) ...

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) ...

 

(iii) ...

 

(iv) ...

 

Person in need of protection

 

(2) ...

 

 

[8]               Deuxièmemt, le tribunal conclut que :

[9]        Les demandeurs n’ont jamais demandé la protection des autorités de leur État, et l’oncle du demandeur principal a simplement demandé la protection du Comité national de réconciliation, qui est une organisation non gouvernementale. Sami a expliqué qu’il avait des informations à l’effet que l’État laisse passer les vendettas et qu’il est vain de faire une dénonciation, car l’État n’offre aucune protection.

 

[10]      Selon monsieur Gjin Marku, témoin et président du Comité national de réconciliation, avec qui le tribunal a pu parler par téléphone lors de l’audience, la police aurait nui dans ce cas, parce qu’elle n’intervient pas. C’est risqué pour la famille et pour la police d’après lui. De plus, monsieur Marku a dit que la police ne prend pas les plaintes par écrit.

 

[Soulignement ajouté]

 

 

[9]               Cette conclusion, selon le tribunal, est tirée du témoignage de Sami sur la disponibilité de la protection de l’État de l’Albanie pour les victimes de « vendettas » :

[16]      Lorsque le demandeur Sami a été interrogé à savoir s’il avait essayé d’obtenir la protection de l’État, il a répondu non. Il a ajouté « Nous avons de l’information que l’État laisse cela passer », de même que « C’est en vain de faire une dénonciation parce que l’État ne protège pas ». Sami a continué en disant qu’il pensait que la police ne ferait rien et qu’il n’a jamais demandé la protection de l’État parce que la police n’offre aucune aide.

 

[Soulignement ajouté]

[10]           S’appuyant surtout sur l’arrêt de la Cour Suprême du Canada dans Ward c Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, mais aussi sur plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale, le tribunal relève les principes suivant sur la protection de l’État :

a.       Les demandeurs ont l’obligation de chercher à obtenir la protection de l’État, sauf s’il est objectivement raisonnable de ne pas le faire;

b.      Les États sont présumés capable de protéger leurs citoyens;

c.       Pour réfuter cette présomption, les demandeurs doivent présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer la protection;

d.      Le niveau de protection que l’ État doit fournir n’est pas celui d’une protection parfaite, mais d’une protection adéquate;

e.       Un demandeur doit démontrer qu’il a fait tout ce qui était raisonable dans les circonstances pour obtenir la protection;

f.        En absence d’une explication convaincante, le fait de ne pas solliciter la protection de l’État au sein du pays d’origine sera habituellement fatal pour une demande d’asile, du moins si, dans l’État en question, le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question et si cet État est disposé à assurer un certain degré de protection a ses citoyens et possède les ressources nécessaires à cette fin;

g.       Les éléments de preuve selon lesquels la protection inadéquate doivent non seulement être fiables et probantes mais doivent convaincre le tribunal, selon la balance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate;

h.       Un demandeur d’asile peut pas réfuter la protection de l’État dans un pays où la démocratie fonctionne normalement en affirmant seulement qu’il y a une réticence subjective à solliciter la protection de l’État.

i.         Les demandeurs, en demandant la protection, doivent le faire auprès des autorités qui sont en mesure de leur offrir une protection et non seulement une offre d’aller chercher une réconciliation;

 

[11]           Après cette récitation de principes, le tribunal détermine :

[27]      En n’approchant qu’une organisation non gouvernementale pour la réconciliation et en ne faisant aucune demande de protection aux autorités policières, les demandeurs n’ont pas fait suffisamment d’efforts en vue de chercher la protection dans leur pays.

 

[28]      Les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État dans les circonstances de ce cas.

 

 

[12]           Cependant, le tribunal nous dit que, même si les demandeurs ne disposaient pas de la protection de l’État, il estime qu’il peut jouir d’un PRI.

 

[13]           Avant l’énumération de ces principes sur la protection de l’État, le tribunal s’était penché sur le témoignage de Sami Murati sur la disponibilité et l’efficacité offerte par l’État d’Albanie reproduit au paragraphe 9 des présents motifs ainsi que celui de M. Marku.

 

[14]           Afin de juger de la valeur probante de leurs témoignages, le tribunal a consulté le Cartable National de documentation sur l’Albanie et parmi les documents en choisit trois dont-il cite certains extraits :

(1) Le Human Rights Report sur l’Albanie provenaient du US Department of State (DOS) sur l’Albanie publié en février 2009 (Document 2.1) (2) l’Operational Guidance Notes sur l’Albanie de 2008 publiés par le UK Home Office, UK Border Agency émis en 2008 (les Guidance Notes) et (3) L’Exposé, Albanie : La Vendetta, mai 2008 émanant de la Direction de recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada (CISR)

 

 

[15]           Du US DOS, il cite l’extrait suivant :

Statistics varied on blood feud activity. According to the Interior Ministry, there were four blood feud related killings, out of a total of 85 murders during the year, a decrease from previous years.

According to the Ministry of the Interior, this is the lowest number in 18 years. Police restarted investigations in some older cases, and uncovered the perpretators of 81 murder cases from previous years.

Nongovernmental organizations (NGOs) cited higher levels of blood feud activity and numbers of families effectively imprisoned in their homes out of fear of blood feud reprisals. The tradition of blood feuds stems from a traditional code of honor that is followed in only a few isolated communities. In 2007 the parliament amended the criminal code to criminalize blood feuds and make them punishable by a three-year sentence.

 

The Court of Serious Crimes tried blood feud cases. The law punishes premeditated murder, when committed for revenge or a blood feud, with 20 years’ or life imprisonment.

 

[Soulignement ajouté]

 

[16]           Le tribunal puisse deux extraits du UK Guidance Notes:

The USSD notes that statistics vary on blood feud activity and that the kanun is followed in only a few isolated communities. According to the Interior Ministry, 2 of the 96 murders during 2007 were related to blood feuds, the number of such killings having dropped due to an increase in investigations.

 

 

[17]           D’après le tribunal, l’extrait suivant des Guidances Notes au paragraphe 3.6.4 sous l’entête « blood feuds » réfute le témoignage de M. Marku a l’effet que la police ne prends pas les plaintes par écrit :

Sufficiency of protection. Local police units report to the Ministry of the Interior and are the main force responsible for internal security. As noted above, the law provides for 20 years to life imprisonment for killing linked to a blood feud and blood feuds are punishable by a 3-year sentence. The government has set up a special crimes court and a witness protection programme. There have been prosecutions in blood feud murder cases. The Commissioner for Human Rights in Europe stated that police managers have supported reconciliation activities and the CNR. Despite formal efforts made by the authorities to address the issue, some involved in blood feuds may not report the matter to the authorities because of mistrust of state institutions and/or because they choose to execute retribution outsie of the legal system. There is no evidence to indicate that individual Albanians fearing the actions of those seeking to carry out blood feud cannot access protection from the Albanian police and pursue these through the legal mechanisms that have been set up to deal with blood feuds.

 

[Soulignement ajouté]

 

 

[18]           Sur cet élément, le tribunal estime:

...que cette source d’information est crédible. En balançant la valeur probante de cette dernière preuve, qui est objective et fiable, avec celle de monsieur Gjin Marku, président d’une ONG, le tribunal donne plus de poids à la conclusion du rapport du Royaume-Uni qu’à la preuve de monsieur Gjin Marku concernant la disponibilité de la protection.

 

[Soulignement ajouté]

 

 

[19]           Le tribunal mentionne aussi la conclusion suivante des Guidance Notes au paragraphe 3.6.11 :

In general, the Albanian Government is able and willing to offer effective protection for its citizens who are the victims of a blood feud; however, there may be individual cases where the level of protection offered is, in practice, insufficient. The level of protection should be assessed on a case by case basis taking into account what the claimant did to seek protection and what response was received. Internal relocation may be appropriate in some cases.

 

[Soulignement ajouté]

 

 

[20]           Dans l’étape suivante de son analyse, le tribunal discute le rôle des comités de réconciliation en Albanie; c’est dans ce contexte qu’il se réfère au contenu de l’Exposé de la CISR sur les vendettas en Albanie. Il écrit :

Dans le Issue Paper sur l’Albanie et les vendettas daté de mai 2008, au paragraphe 5.2, il est fait mention que les comités de réconciliation ne peuvent offrir que peu ou pas de protection aux citoyens qui sont impliqués dans les vendettas. Les comités de réconciliation ne peuvent que travailler pour résoudre les vendettas eux-mêmes. Il y aussi d’autres comités de réconciliation comme par exemple l’Albanian Foundation for Conflict Resolution and Reconciliation of Disputes (AFCR), qui a été établie en décembre 1995 et qui essaie de résoudre les conflits par médiation, particulièrement en ce qui concerne les vendettas. Un article de la BBC du 23 septembre 2005 mentionne que Aleksander Kola, un membre de l’AFCR, aurait résolu dix vendettas en deux ans. Donc, la résolution de vendettas par réconciliation n’est pas du domaine exclusif du Comité national de réconciliation dont monsieur Gjin Marku est président. Au paragraphe 4.4.4 de la preuve précitée, il est fait mention de plusieurs autres comités de réconciliation.

 

[Soulignement ajouté]

 

 

[21]           Il ajoute :

Toutefois, les demandeurs, en demandant la protection, doivent le faire auprès des autorités qui sont en mesure de leur offrir une protection, et non seulement une offre d’aller chercher une réconciliation. Ces deux choses peuvent être faites en parallèle, mais les demandeurs ont tout de même l’obligation de chercher à obtenir la protection de l’État, sauf s’il est objectivement raisonnable de ne pas le faire. Les États sont présumés capables de protéger leurs citoyens. Pour réfuter cette présomption, les demandeurs doivent présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Le niveau de protection que l’État doit fournir n’est pas celui d’une protection parfaite, mais d’une protection adéquate.

 

[Soulignement ajouté]

 

et conclut :

 

En n’approchant qu’une organisation non gouvernementale pour la réconciliation et en ne faisant aucune demande de protection aux autorités policières, les demandeurs n’ont pas fait suffisamment d’efforts en vue de chercher la protection dans leur pays.

 

[Soulignement ajouté]

 

III.       Analyse

A.  La Norme de Contrôle

[22]           La Cour d’appel fédérale dans Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FCA 171 a statué que les questions de savoir si la protection de l’État était adéquate sont les questions mixtes de fait et de droit normalement révisables sur la normes de contrôle de la raisonnabilité.

 

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour Suprême du Canada nous explique ce qu’est une décision raisonable :

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à [page221] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[Soulignement ajouté]à

 

 

B.  Discussion

[24]            Il existe une jurisprudence récente de cette Cour sur des demandes d’asile refusées par la Section de la protection des réfugiés ( la SPR) concernant les vendettas en Albanie et portées en révision judiciaire devant mes collègues. À la lecture de ces décisions, on s’aperçoit que la preuve devant la SPR dans plusieurs causes était remarquablement semblable à celle qui était devant le tribunal en l’espèce. Mes collègues ont cassé plusieurs décisions portées devant eux.

 

[25]           L’existence de causes semblables décidées par mes collègues soulèvent un principe jurisprudentiel que cette Cour a eu l’occasion d’élaboré dans la cause Almrei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, aux paras 61 et 62 :

61     Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu'une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l'intérêt de favoriser la certitude du droit. Je cite les causes suivantes :

-        Haghighi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 272;

-        Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 461;

-        Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446;

-        Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283;

-        Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1008;

-        Ahani c. Canada(Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1005;

-        Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 377;

-        Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 DLR (3d) 509 (C.A. C.-B.)

-        Glaxco Group Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al., 64 C.P.R. (3d) 65;

-        Steamship Lines Ltd. c. M.R.N., [1966] R. C. de l'É. 972.

 

62     Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci-dessus; ce sont les suivants :

1.      Les cas où l'ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;

2.      Les cas où la question à trancher est différente;

3.      Les cas où la décision antérieure n'a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c'est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

4.      Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

 

[26]           J’estime que les décisions suivantes de mes collègues sont essentiellement semblables à celle devant moi : (1) la crédibilité des demandeurs était reconnue, c’est-à-dire chaque tribunal a cru que les demandeurs d’asile étaient des victimes d’une vendetta (2) la protection de l’ État était déterminante (auquel l’existence d’un PRI était aussi ajoutée (3) la preuve documentaire était semblable, notamment, le US DOS; les Guidance Notes du UK Home Office et l’Exposé de la CISR sur les vendettas en Albanie et (4) dans certains cas une preuve écrite de M. Marku avait été présentée. Ces causes sont :

a.       Sokol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1257 [Sokol], décidé par le juge O’Keefe;

b.      Precectaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 485  [Precectaj], décidé par le juge Mandamin;

c.       Prekaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1047 [Prekaj], décidé par le juge Russell;

 

[27]           Je n’ai pas mentionné dans cette liste (1) la décision du juge Harrington dans Mirashi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 102 et (2) celle du juge Boivin dans Krasniqi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 350. Dans ces deux causes, la SPR n’avait pas cru l’histoire des revendicateurs d’asile.

 

[28]           Dans Prekaj, précité, le juge Russell décide que la conclusion de la SPR que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de l’ État était entièrement déraisonnable  parce que le Commissaire avait simplement choisi les documents et les éléments de preuve étayant cette conclusion et avait ainsi écarté une preuve probante, par exemple, les réponses aux demandes d’information (RDI) (septembre 2006) établissant sans équivoque que les « autorités albanaises n’étaient pas en mesure de protéger les victimes de vendettas » et que « les vendettas se poursuivre, malgré les améliorations, car l’État albanais demeure en quelque sorte inefficace ». Qui plus est, dans cette cause, le SPR avait « totalement ignoré l’Exposé de la CISR de mai 2008 » qui établit très clairement que, malgré les initiatives du gouvernement et les modifications législatives le gouvernement albanais « est incapable de gérer le problème efficacement ou d’offrir une protection appréciable aux citoyens touchés. Les législateurs albanais ont reconnu qu’en Albanie, il y a absence de primauté du droit ».

 

[29]           Dans Sokol, précité, le juge O’Keefe était confronté à une décision de la SPR statuant que le demandeur d’asile n’avait pas besoin de la protection du Canada puisqu’il existe une protection de l’État adéquate en Albanie. Mon collègue a cassé cette conclusion aux motifs :

a.       Que le tribunal avait omis d’analyser des éléments de preuve qui auraient permis de réfuter la présomption de protection de l’État;

b.      Le tribunal n’a pas bien analysés la preuve documentaire par exemple (1) en s’appuyant sur des statistiques dans le US DOS mais n’a pas évoqué une preuve importante qui mettait en doute l’exactitude de celle-ci et la capacité des autorités locales à lutter contre les vendettas et surtout (2) en accordant une porte limitée à l’Exposé de la CISR sur les vendettas en Albanie négligeant de prendre en considération la constatations de la CISR que les autorités albanaises n’ont pas pu faire grand-chose pour régler le problème. Selon ce document :

On indique également que même ceux qui sont arrêtés pour meurtre nient souvent que le meurtre était lié à une vendetta pour encourir une peine moins sévère, mais qu’ils sont souvent tués dès leur mise en liberté. Le document traite même directement de l’incapacité de la police à protéger les victimes potentielles de vendettas dans la région du demandeur

 

c.   « La Commission a aussi omis d’analyser la lettre du Comité pour la réconciliation nationale (CRN), l’ONG qui s’efforce de résoudre les vendettas par la conciliation et le négociation, attestant de façon détaillée le déroulement de la vendetta entre les familles Sterbyci et Lisi. Cette lettre, signé par le président du CRN, disait que la police et le gouvernement albanais ne disposent pas de moyens adéquats pour protéger les familles dans les cas de meurtre par vengeance ou pour vendetta ».

 

[30]           Le juge O’Keefe conclut qu’à son avis « la Commission devait tenir compte, dans ses motifs écrits, de la preuve importante démontrant un manque de protection adéquate en Albanie. La Commission a donc commis une erreur en omettant d’apprécier cette preuve. Par conséquent, le contrôle judiciaire doit être autorisé pour ce motif ».

 

[31]           Dans Precectaj, précité, le juge Mandamin faisait face à une décision de la SPR dans laquelle l’enjeu était la divergence entre la preuve produite par Gjin Marku et celle dans le Cartable National. Selon le juge :

10     Le tribunal a tenu compte de la preuve produite par Gjin Marku, un Albanais dont la compétence est reconnue en matière de vendettas. Le tribunal a rejeté le témoignage de M. Marku principalement en raison de sa déclaration excessive selon laquelle [TRADUCTION] "[...] il n'y a pas de justice. Il n'y a pas d'État. Il n'y a pas de règle de droit. Et les gens ne trouvent refuge nulle part". Cette déclaration a été contredite par la documentation confirmant que l'Albanie était une démocratie parlementaire sous la responsabilité des autorités civiles qui, à leur tour, avait autorité sur les forces de sécurité.

 

11     Le tribunal a conclu que l'Albanie est une démocratie parlementaire dotée d'un système judiciaire indépendant. De plus, le code criminel du pays condamne expressément les meurtres vendettaires. Il criminalise également les [TRADUCTION] "menaces sérieuses de vengeance ou de vendetta à l'endroit d'une personne ou d'un mineur [les forçant] à s'isoler [...]", cette infraction étant punissable d'une amende ou d'une peine maximale de trois ans d'emprisonnement.

 

12     Le tribunal a préféré les analyses relatives aux vendettas albanaises exposées dans les rapports du Département d'État américain et de l'UK Border Agency (agence frontalière du Royaume-Uni) au témoignage de M. Marku. Il a conclu que le gouvernement albanais a créé un tribunal des crimes spéciaux et un programme de protection des témoins. Il a constaté que des crimes commis dans le cadre de vendettas ont fait l'objet de poursuites et a déclaré :

 

Rien n'indique que les Albanais qui craignent les auteurs d'actes attribuables à une vendetta ne peuvent se réclamer de la protection de la police albanaise et intenter des poursuites judiciaires contre ces personnes en utilisant les mécanismes juridiques mis en place pour régler ces vendettas.

 

[32]           Le juge Mandamin casse la décision du tribunal parce que celui-ci omet d’examiner des déclarations figurant dans la preuve documentaire même sur laquelle il s’appuie et qui étaye l’allégation du revendications d’asile (1) le US DOS confirme l’existence des vendettas en Albanie nonobstant le fait qu’il y avait de la preuve contradictoire sur le nombre de vendettas.

 

[33]           Quand aux Guidance Notes du US Home Office le juge Mandamin est d’avis :

32        Le document UK Operational Guidance Note précise qu'il doit être lu conjointement avec le document COI Service Albania Country of Origin [U.K.]. Ce dernier document renvoie aux exposés rédigés par la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Exposé, Albanie : La vendetta, mai 2008. Le tribunal ne fait aucune allusion à ce document bien qu'il fasse partie du Cartable national de documentation dont il a été saisi. L'élément important de l'exposé de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié tient à ce qu'il semble corroborer les allégations de la demanderesse principale.

 

 

[34]            Le juge Mandamin analyse l’exposé de la CISR sur les vendettas en Albanie et est d’avis bien que « le gouvernement dénonce les vendettas...il est incapable de régler efficacement le problème » et que les législateurs en Albanie ont comme qu’en Albanie, il n’existe pas de règle de droit. Il conclut :

35        Il me semble qu'il s'agit là de détails importants dans un rapport qui devrait explicitement être pris en compte par un tribunal qui s'interroge à savoir si la protection de l'État est suffisante en Albanie pour les victimes d'une vendetta. L'omission de tenir compte de l'exposé de la CISR ajoute foi à l'allégation de la demanderesse selon laquelle le tribunal a examiné uniquement certaines parties de la preuve. Bien que le tribunal ne soit pas tenu d'admettre l'information d'un rapport rédigé par sa propre Direction de la recherche, il aurait dû prendre en considération les renseignements ayant trait à l'allégation de la demanderesse, car l'évaluation d'une allégation à la lumière de la preuve documentaire fait partie de son domaine de compétence. Toutefois, compte tenu du deuxième vice qui entache la décision du tribunal, je n'ai pas à trancher si cette omission du tribunal est une erreur sujette à révision.

 

 

[35]           À mon avis, la deuxième vice identifié par le juge Mandamin est d’une importance capitale. La SPR avait reconnu « en Albanie, la police a peut-être des moyens limités relativement au règlement des vendettas. Il est possible que, dans des cas donnés, le niveau de protection offerte soit, en pratique, inadéquat et que, dans certains cas locaux, la police soit corrompue. » Mais selon le juge « ... Après avoir effectué une analyse générale de la question des vendettas, le tribunal omet d'examiner la situation personnelle de la demanderesse même s'il a reconnu la possibilité qu'il existe des cas particuliers où la protection de l'État est insuffisante ». Il estime :

43        La nature des vendettas en Albanie oblige le tribunal à évaluer l'allégation de la demanderesse sur une base personnalisée afin d'établir si une protection policière suffisante est offerte à la demanderesse et à ses enfants. En l'espèce, le tribunal a tiré une conclusion généralisée sans tenir compte de la preuve relative à la situation particulière de la demanderesse.

 

 

C.  Conclusion

[36]           Il y a plusieurs raisons qui mènent cette Cour a conclure que la décision du tribunal en l’espèce doit être cassée à l’instar de mes collègues.

 

[37]           Premièrement, le tribunal n’a pas évalué toute la preuve dont elle disposait parce qu’elle a omis de prendre en considération les éléments de preuve qui contredisait d’une façon importante sa conclusion sur la disponibilité de la protection de l’État pour les victimes d’une vendetta. À titre d’exemple, dans l’Exposé de la CISR sur la vendetta mai 2008 au paragraphe 5 sous l’entête « Protection offerte par l’État » la CISR écrit :

a.       Au paragraphe 5.1 que « la protection offerte par le gouvernement de l’Albanie à ses citoyens mêlés à des vendettas est « plutôt mince » et « marginale » et bien que le gouvernement soit contre la vendetta « il est incapable de la maîtriser ou d’offrir une protection appréciable aux citoyens touchés.

b.      Au paragraphe 5.1.1 sous l’entête « efficacité des lois et des poursuites judiciaires », la magistrature albanaise est minée par la corruption » et que « l’une des raisons de la fréquence des vendettas était le mauvais fonctionnement du système judiciaire ». L’Exposé cite la déclaration de l’ambassadeur d’Albanie en Bulgarie « que les gens se méfiaient des institutions d’État et étant déçus de la façon dont les lois étaient appliquer. Aussi certaines loi concernant les vendettas n’avaient pas été mises en application ».

c.       Au paragraphe 5.1.2 sur l’efficacité des poursuites, la CISR cite un interlocuteur à l’effet qu’il était relativement rare que les affaires de vendettas se rendait jusqu’en Cour et que les peines imposée par les tribunaux étaient « décisoires » bien qu’un autre expert a précisé que les gens mêlés à des meurtres de vendetta reçoivent des peines plus dure que ceux qui commettent d’autre type de meurtre mais finissant par être mis en liberté après deux ou trois ans seulement ou tout au plus, cinq ans.

d.      Au paragraphe 5.1.4 « Police » la CISR écrit que M. Marku affirme « parmi les agents de l’État les gestionnaires de la police sont « les seuls » à avoir appuyé les activités de réconciliation et le CNR et que le directeur général de la police d’État avait pressé les policiers, les autorités locales les ONG et les membre de la collectivité d’unir leurs efforts pour interdire les vendettas.

e.       Au paragraphe 5.2 intitulé « Protection offerte par les comité de réconciliation ». L’Exposé du CISR cite M. Marku :

Gjin Marku a toutefois donné une liste de plusieurs services liés à la protection et offerts par les comités de réconciliation : cacher les personnes recluses et les aider à aller ailleurs en toute sécurité, obtenir que la famille offensée octroie une autorisation temporaire permettant à une personne recluse de déménager, défendre les droits des personnes concernées par les vendettas devant les tribunaux des pays d’accueil, protéger le lieu où des personnes se sont réfugiées dans d’autres pays et escorter des personnes sur le territoire albanais en cas d’urgence (7 déc. 2007)

 

[38]           Je me joins à mes collègues dans les décisions citées ci-haut que toute cette preuve contradictoire aurait dû être analysée et considérée, preuve contradictoire qui n’émane pas seulement de l’Exposé mais aussi apparait dans la documentation du US DOS et des Guidance Notes.

 

[39]           Il est de jurisprudence constante que l’évaluation de la disponibilité de l’État à protéger exige une évaluation individuelle (voir Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 119 au para 33(3)). J’ajoute que les Guidance Notes du UK Home Office mentionne au paragraphe 1.3 que chaque revendication d’asile doit être considérer sur une base individuelle parce que « there may be individual cases where the level of protection offered is, in practice, insufficient. The level of protection should be assessed on a case by case basis taking into account what the claimant did to seek protection and what response was received ».

 

[40]           À l’article 3.6.10 des Guidance Notes le UK Home Office a mentionné deux decision des tribunaux anglais comme jurisprudence a consulté:

KOCI [2003] EWCA Civ 1507 The Court of Appeal found that whilst each case should be considered on its individual merits and conditions in Albania at the relevant time, the evidence at that time pointed towards protection being inadequate on the evidence of the individual case, « not merely as a generality in such cases but actually in his own specific case »

 

TB (Blood feud – Relevant Risk Factors) Albania CG [2004] UKIAT 00158 The tribunal found that a number of factors will be relevant in determining the nature of the risk on return:

(a)    whether the dispute can be characterized as a “blood feud” at all;

(b)   even if it can, then the extent to which its origins and development (if any) are to be regarded by Albanian society as falling within the classic principles of the Kanun;

(c)    the history of the feud, including the notoriety of the original killings and the numbers killed;

(d)   the past and likely future attitude of the police and other authorities;

(e)    the degree of commitment shown by the opposing family;

(f)     the time that has elapsed since the killing;

(g)    the ability of the opposing family to locate the alleged victim anywhere in Albania

(h)    that person’s profile as a potential target for the blood feud; and

(i)      the prospects for eliminating the feud, whether by recourse to the payment of money, a reconciliation organization or otherwise.

The tribunal noted that whilst it is plainly too early to say that any potential victim of a blood feud of the “classic type” can now look to the authorities for a sufficiency of protection....the governments initiatives are particularly likely to make themselves felt, in terms of institutional attitudes within Tirana itself.

 

 

[41]           La decision dans Koci v Secretary of State for the Home Department a été rendue par la Cour d’appel (division civil) de l’Angleterre et le pays des Galles. Je crois utile de reproduire le paragraphe 35 des motifs de Lord Justice Keen et du paragraphe 37 de celui de Lord Justice Longmore :

35.       I do emphasize that every case has to be considered on its merits. I do not for one moment suggest that every Albanian who reaches these shores and has been involved at some state in a blood feud, however remotely or indirectly, is automatically to be regarded as someone who cannot be removed without breaching his Article 2 or Article 3 rights. The outcome, as always, will depend on the details of his case and on the evidence about conditions in Albania at that time. I am dealing in this judgment only with the instant case. However, in this instant case I conclude that the IAT was wrong to interfere with the findings made by the adjudicator. He was not plainly wrong in the conclusions which he reached. Having arrived, as I do, at that conclusion, it is unnecessary to deal with the various other arguments canvassed on behalf of the appellant in writing. I, for my part, would allow this appeal.

 

37.       Mr Eicke for the Secretary of State submitted that if this appeal were to be allowed, asylum would have to be granted to all applicants who plausibly claimed that they were the subject of a blood feud. I cannot accept that submission. The facts of cases in which a blood feud is asserted will all be different. It is for the adjudicator in each case to decide whether the State can afford sufficiency of protection in all the individual circumstances of the case before him. Important circumstances might include, for example, the notoriety or the publicity of the original killing; the time which has elapsed since the last killing; what the applicant did during that time; and the number of those who have been killed on either of the sides which constitute the blood feud.

 

 

[42]           J’estime que le tribunal n’a pas pris en considération certains facteurs pertinents entourant les circonstances individuelles des demandeurs:

a.       L’origine du conflit qui remontent en 2004 et perdure aujourd’hui;

b.      Le fait que l’oncle Nazmi, le seul homme de la famille Murati en Albanie aujourd’hui, n’a pas quitté son domicile depuis 10 ans à cause de sa santé;

c.       L’influence de la famille Hoxha, originaire du nord de l’Albanie, et les répercussions de cette influence sur la police et les autorités vu le degré de corruption en Albanie et leur habilité de trouver les demandeurs s’ils retournaient en Albanie;

d.      Le fait que la femme de Sami est encore en contacte avec la CNR sur la possibilité d’une réconciliation toujours refusée par les Hoxha.

 

[43]           J’estime que la décision du tribunal quant à l’existence d’un PRI en Albanie ne peut survivre. Le constat du tribunal que la famille Hoxha n’aurait pas les moyens et la volonté de chercher et de retrouver les demandeurs ne repose sur aucune preuve et est contraire à la preuve versée. Il s’agit d’une famille très dangereuse ayant d’autres précédents en matière de vendettas. La preuve documentaire établie aussi que ceux qui mène un vendetta ont le bras long et selon les circonstances peuvent chercher leur victime dans divers pays en Europe (voir les notes sténographiques de M. Marku, dossier du tribunal, page 308).

 

[44]           En terminant j’estime qu’il y a plusieurs autres lacunes dans le jugement du tribunal :

a.       Le tribunal nous dit que la preuve nécessaire pour réfuter la présomption qu’un État est capable de protéger ses citoyens est proportionnelle au degré de démocratie atteint par l’État concerné mais omet toute discussion sur le niveau de démocratie en Albanie. Les jugements de cette Cour sur le niveau de la démocratie en Albanie sont à l’effet qu’elle est en voie de développement et que l’Union Européenne exige des progrès importants pour son adhésion comme membre.

b.      Le tribunal a erré lorsqu’il a opposé le CNR et la police. Le Parlement albanais reconnait la CNR. La police et la CNR sont partenaires (dossier du tribunal, page 313), la CNR a contacté la police dans ce cas (dossier du tribunal, page 325) la police étant au courant de ce qui se passe (dossier du tribunal, page 328) dans ce cas M. Marku a lui-même contacté la police et les gens du service informatif national; ces gens connaissaient la situation (dossier du tribunal, page 328).

c.       Le tribunal a injustement mis en doute le témoignage de M. Marku sur la qusetion à savoir si la police prenait des plaintes. M. Marku n’a jamais dit que la police albanaise ne prenait pas des plaintes des victimes de vendettas. Ce qu’il a témoigné c’est que la police n’acceptait pas des plaintes du CNR à la police sur une victime d’une vendetta parce que c’est aux familles victimes qui doivent faire les plaintes formelles à la police (dossier du tribunal, page 326).

d.      Un facteur important qui ressort du témoignage de M. Marku est le phénomène de la réclusion permanente (vivre caché en permanence) qui caractérise les victimes des vendettas en Albanie ce que le conseiller des Muratis a soumis au tribunal comme indice de l’incapacité de l’État en Albanie de protéger les victimes de vendettas. Le tribunal omet d’en discuter.

 

[45]           Pour tous ces motifs, j’accorde le contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est casée et la revendication d’asile des demandeurs est retournée à la CISR pour étude par un tribunal différemment constitué. Aucune question d’importance générale n’a été proposée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2066-10

 

INTITULÉ :                                       Sami Murati et al. c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               17 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR:                      LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      22 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphane J. Hébert

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Diane Lemery

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hébert Tardif Avocats S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.