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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20101222

Dossier : T-1272-97

Référence : 2010 CF 1265

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

MERCK & CO. INC. et

MERCK FROSST CANADA LTÉE

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

 

APOTEX INC. et

APOTEX FERMENTATION INC.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement rendus le 9 décembre 2010)

 

LA JUGE SNIDER

 

I.   Introduction

 

A.   Aperçu

 

  • [1] Le présent litige porte sur la lovastatine, un médicament vendu au Canada sous la marque de commerce MEVACOR depuis1988 par Merck Frosst Canada Inc. (ou son successeur, Merck Frosst Canada Ltée (Merck Frosst), l’une des demanderesses dans la présente action). MEVACOR, la première « statine » commercialisée vendue sur le marché canadien, est utilisée pour abaisser le niveau de cholestérol sanguin. Jusqu’au 31 janvier 2001, au moment de l’expiration du brevet, MEVACOR était le sujet du brevet canadien no 1 161 380 (le brevet 380), émis le 31 janvier 1984 à Merck & Co., Inc. (Merck & Co.), l’autre demanderesse dans la présente action. En résumé, le brevet 380 est un brevet de produit par le procédé visant la lovastatine lorsqu’elle est fabriquée au moyen d’un micro‑organisme connu sous le nom d’Aspergillus terreus (également connu sous le nom d’A. terreus). Merck Frosst vend MEVACOR au Canada en vertu d’une licence accordée à Merck & Co. Dans les présents motifs, je renverrai à Merck Frosst et Merck & Co. collectivement sous le nom de « Merck » ou les « demanderesses ».

 

  • [2] En mars 1997, Apotex Inc., l’une des défenderesses dans la présente action, a commencé à vendre sa marque de comprimés de lovastatine au Canada (Apo‑lovastatine). L’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) qui demeure en litige dans la présente action a été fabriqué par Apotex Fermentation Inc. (AFI), l’autre défenderesse en l’espèce, à Winnipeg (Manitoba) ou par Qingyuan Blue Treasure Pharmaceuticals Co. Ltd. (Blue Treasure), en Chine. Dans les présents motifs, je renverrai à Apotex Inc. et à AFI ensemble sous le nom d’« Apotex » ou des « défenderesses ».

 

  • [3] Merck affirme que les défenderesses ont violé le brevet 380 :

 

  • par l’utilisation d’un IPA contrefait fabriqué en Chine et expédié par Blue Treasure à AFI;

  • par l’« assaisonnement » de lovastatine non contrefaite avec de la lovastatine contrefaite;

 

  • par la fabrication d’un lot d’IPA contrefait (lot CR0157) à Winnipeg par AFI;

 

  • par la fabrication d’autres petites quantités du produit contrefait à Winnipeg par AFI.

 

  • [4] Les défenderesses affirment qu’elles n’ont pas violé le brevet 380 et que, de toute façon, ce brevet est invalide. Elles soutiennent aussi que Merck & Co.N’a pas qualité pour présenter la présente action, puisqu’elle a cédé la totalité de son intérêt dans le brevet 380 à une société affiliée, Merck and Company, Incorporated (MACI).

 

  • [5] La demande ayant mené au brevet 380 a été présentée au Canada le 11 juin 1980. Selon les articles 78.1 et 78.2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 actuelle, telle que modifiée, les demandes de brevet présentées avant le 1er octobre 1989 doivent être traitées en vertu des dispositions de la Loi sur les brevets dans sa version antérieure à cette date. Par conséquent, les renvois à la Loi sur les brevets [à laquelle je renverrai sous le nom de Loi sur les brevets ou la Loi] dans les présents motifs viseront sa version antérieure au 1er octobre 1989, à moins d’indication contraire.

 

B.  Sommaire des questions et des conclusions

 

  • [6] De façon très sommaire, même s’il y a une myriade de questions subsidiaires, voici les principales questions à trancher dans la présente instance :

 

  1. Merck & Co. a‑t‑elle qualité pour intenter la présente action?

 

  1. Les défenderesses ont‑elles contrefait le brevet 380?

 

  1. Le brevet 380 est‑il valide?

 

  • [7] Comme je l’explique dans les présents motifs, j’ai tiré les conclusions qui suivent :

 

  1. Merck & Co. a qualité pour intenter la présente action;

 

  1. Le brevet 380 a été contrefait;

 

  1. Le brevet 380 est valide.

 

  • [8] Par conséquent, les demandes des demanderesses seront accueillies, dans la mesure décrite ci‑dessous, et les demandes reconventionnelles des défenderesses seront rejetées.

 

  • [9] Enfin, en guise d’introduction, je mentionne que le présent procès fait l’objet d’une ordonnance de disjonction datée du 14 novembre 2003 (ordonnance de disjonction). Par conséquent, la question des dommages‑intérêts sera tranchée dans une instance subséquente.

 

C.  Renseignements généraux sur le présent litige

 

  • [10] Pendant près de dix ans après son lancement sur le marché canadien, Merck a bénéficié de son brevet pour MEVACOR sans contestation.En 1993, Apotex Inc. a tenté d’entrer sur le marché avec une version générique de lovastatine; à cette fin, elle a présenté une demande d’avis de conformité (AC) au ministre de la Santé, conformément aux dispositions pertinentes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, tel que modifié par DORS/98‑166 [le RMBAC ou le Règlement].Apotex alléguait qu’elle ne contreferait pas le brevet 380 parce qu’elle ne recourait pas à un processus compris dans la portée du brevet pour produire la lovastatine.

 

  • [11] Comme le permet le Règlement, en avril 19936, Merck a présenté une demande à la Cour afin d’interdire au ministre de délivrer un AC à Apotex Inc. Le RMBAC comporte entre autres caractéristiques clés l’imposition d’un sursis prévu par la loi au moment de la présentation d’une demande d’interdiction jusqu’à ce que l’on ait déterminé s’il était justifié pour la « seconde personne » – en l’espèce, Apotex Inc. – d’alléguer que son médicament générique ne contreferait aucun brevet existant. Le paragraphe 6(1) du Règlement, dans sa version à ce moment, interdisait automatiquement au ministre de délivrer un AC à Apotex Inc. pendant une période pouvant atteindre 30 mois.

 

  • [12] Le sursis prévu par la loi est arrivé à échéance le 1er décembre 1996 sans qu’une audience n’ait eu lieu devant la Cour sur le bien‑fondé de la demande d’interdiction. Merck Frosst Canada Inc. a demandé une prorogation du sursis. Dans un jugement oral daté du 26 mars 1997, le juge Rothstein (qui était à ce moment juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) a refusé de proroger le délai ou de délivrer une ordonnance d’interdiction.Un AC a été délivré à Apotex Inc. le 27 mars 1997.

  • [13] Après la délivrance de l’AC et une série de contestations judiciaires, les deux instances qui suivent ont été amorcées :

 

  1. Merck a amorcé la présente instance à l’encontre d’Apotex Inc. et d’Apotex Fermentation Inc. (AFI) pour contrefaçon de brevet (dossier de la Cour no T‑1272-97). La déclaration a été présentée le 22 juin 1997.

 

  1. Dans une déclaration présentée le 29 juin 2001, Apotex Inc. demande à obtenir une indemnisation de Merck en vertu de l’article 8 du RMBAC (dossier de la Cour no T‑1169‑01).

 

  • [14] En 2001, Apotex Inc. a amorcé une mise en cause à l’encontre de Biogal Pharmaceutical Works Ltd. (Biogal) dans le dossier de la Cour nT-1272-97. Cette mise en cause portait sur 300 kg de lovastatine en vrac acquise par Apotex Inc. de Biogal en vertu d’une entente d’approvisionnement. Dans sa mise en cause, Apotex Inc. a affirmé que, si l’on conclut que le brevet 380 est valide et qu’il a été contrefait, Biogal était responsable de toute réparation accordée à l’encontre d’Apotex Inc. Biogal a participé à l’instruction dans le dossier de la Cour no T‑1272‑97 jusqu’à la conclusion d’un règlement entre les parties au présent litige.Dans une ordonnance de la Cour datée du 28 mai 2010, les revendications des demanderesses à l’égard d’Apotex Inc. et d’AFI dans sa nouvelle réponse modifiée une seconde fois, dont il est question aux paragraphes 36 et 67 à 73 des présents motifs liés à la lovastatine fournie par Biogal à Apotex Inc. ont été rejetées.

 

  • [15] Les deux actions ont été entendues en même temps dans le cadre d’un procès commencé le 1er février 2010. Les présents motifs ne portent que sur les questions présentées dans le dossier de la Cour no T‑1272‑97 – soit l’action en contrefaçon de Merck et la demande reconventionnelle d’invalidité de brevet d’Apotex.Des motifs et un jugement distincts ont été rendus en même temps que les présents motifs dans le dossier de la Cour no T‑1169‑01.

 

  • [16] Au cours des 35 jours de l’instruction consacrés à la présentation de la preuve, de nombreux témoins experts et témoins des faits ont comparu. À l’annexe A, je donne un aperçu des témoins experts et des témoins des faits qui ont comparu pendant le procès ainsi que des domaines visés par leurs témoignages.Dans le cas des témoins experts, je fournirai une description très courte de leur formation et de leur expérience dans les domaines au sujet desquels la Cour les a jugés experts.Des références plus détaillées à la preuve des experts figurent dans les parties appropriées des motifs.

 

II.  Table des matières

[17]  Pour aider le lecteur, on trouvera ci‑dessous la table des matières des motifs du jugement où les numéros de paragraphe figurent en regard des intitulés :

 


I.  Introduction ...................................................................................... 1 – 16

A.  Aperçu ...................................................................................... 1 - 5

B.  Sommaire des questions et des conclusions ............................. 6 - 9

C.  Renseignements généraux sur le présent litige .................... 10 - 16

II.  Table des matières ............................................................... 17III.  Renseignements généraux  18 - 39A.  Le brevet 380 et les statines................................................. 18 - 24

B.  Historique de la production par AFI/Blue Treasure ............ 25 - 39

IV.  Qualité pour agir.......................................................................... 40 - 56V.  L’interprétation des revendications ........................................................................................... 57 - 130

  1. Les principes de l’interprétation des revendications ........... 57 - 62

  2. La personne hypothétique versée dans l’art......................... 63 - 67

  3. Le mémoire descriptif du brevet........................................... 68 - 81

  4. Les revendications en litige.................................................. 82 - 87

  5. Le sens de « un microchampignon du genre

  Aspergillus » dans la revendication no 1 .............................. 88 - 99

  1. Le sens de « isolement des produits »............................... 100 - 109

  2. L’inclusion de souches non productrices.......................... 110 - 121

  3. L’utilisation promise du brevet 380.................................. 122 - 126

  4. Sommaire de l’interprétation des revendications............. 127 - 130

VI.  La contrefaçon – renseignements généraux.............................. 131 – 188

  1. L’introduction................................................................... 131 - 133

  2. Le fardeau......................................................................... 134 - 186

  3. Le sommaire des arguments avancés par Merck sur la contrefaçon187 - 188

VII.  La contrefaçon – la preuve circonstancielle .............. 189 - 360A.  L’« assaisonnement » par Blue Treasure........................................................................................ 189 - 208

B.  La contrefaçon par Blue Treasure à partir de

  mars 1998 ........................................................................ 209 - 335

(1)  Les dossiers de lot.................................................. 211 - 249

(2)  P2000.................................................................... 250 - 259

(3)  La durée de la fermentation..................................... 260 - 270

(4)  Les titres augmentés ............................................... 271 - 294

(5)  La motivation, les moyens et les occasions............... 295 - 320

  a)  La motivation........................................... 296 - 310

  b)  Les moyens ............................................... 311 - 316

  c)  L’occasion................................................. 317 - 320

(6)  La conduite de Blue Treasure.................................. 321 - 335

C.  La conclusion sur la preuve circonstancielle de Blue Treasure 336 - 342

D.  Le lot CR0157 d’AFI........................................................ 343 - 360

VIII.  La contrefaçon – la preuve génétique ........................................ 361 - 463

  1. L’introduction.................................................................. 361 - 369

  2. Le lien entre les échantillons testés et la prétendue

  lovastatine contrefaite ..................................................... 370 - 377

  1. La reproductibilité des essais dans le

  laboratoire Davies ........................................................... 378 - 390

  1. Le défaut de M. Davies à trouver l’AND de C. fuckelii dans

  les comprimés du lot CR0157........................................... 391 - 395

  1. La preuve génétique et les experts d’Apotex.................... 396 - 422

    • (1) Qu’est‑ce que l’AND ancien?................................. 402 - 404

    • (2) L’ADN provient‑il d’un produit pharmaceutique

  Dégradé ou fragmenté?........................................... 405 - 410

  • (3) Peut‑on comparer la façon dont l’ADN provenant

  D’un produit pharmaceutique est fragmenté par

  rapport à la façon dont l’ADN de l’« ADN » ancien est dégradé?  411 - 414

  • (4) Les opinions des experts des défenderesses sont‑ils

  pertinents pour l’ADN fragmenté ........................... 415 - 422 

  1. La contamination ............................................................. 423 - 444

    • (1) M. Davies ............................................................. 425 – 430

    • (2) M. Taylor............................................................... 431 - 439

    • (3) M. Gilbert.............................................................. 440 - 444

    • (2) Le rapport incomplet et l’absence

  2. Les autres critiques de l’opinion de M. Davies ................ 445 - 463

    • (1) Le manque de connaissances.................................. 449 - 451

  de communication................................................... 452 - 457

  • (3) Les résultats inattendus .......................................... 458 - 463

IX.  La contrefaçon – Conclusion................................................... 464 - 466X.  La validité   467 - 609

  1. L’introduction..................................................................... 467 - 468

  2. La portée excessive........................................................... 469 - 475

  3. L’utilité ............................................................................ 476 - 532

    • (1) Les principes généraux ........................................... 476 - 485

    • (2) Le brevet 380......................................................... 486 - 488

    • (3) L’absence d’utilité.................................................. 489 - 495

    • (4) La prédiction valable............................................... 496 - 532

      • a) Le fondement factuel................................ 498 - 511

      • b) Le raisonnement ...................................... 512 - 519

      • c) La divulgation .......................................... 520 - 532

    • (1) L’introduction......................................................... 533 - 534

    • (2) Les principes juridiques........................................... 535 - 540

    • (3) Y avait‑il un conflit ne donnant pas lieu à une procédure?......................541 - 558

    • (4) La demande Endo a‑t‑elle divulguée l’invention

  4. Le premier inventeur/le conflit qui n’a pas donné lieu à une procédure.......................................................................... 533 - 609

      du brevet 380? ...................................................... 559 - 562

    • (5) La levure de riz rouge/l’antériorité........................... 563 - 609

      • a) Les principes de l’antériorité.................... 563 - 569

      • b) Renseignements généraux sur la levure de riz rouge.....................................................................570 - 571

      • c) Les conséquences juridiques de la présence de

      lovastatine dans la levure de riz rouge..... 572 - 583

    • d) La preuve de présence de lovastatine dans la levure de riz rouge

      avant la date de priorité .......................... 584 - 598

    • e) La divulgation de la présence de lovastatine

      dans la levure de riz rouge ....................... 599 - 609

    XI.   La conclusion................................................................................ 610 - 642

    1. Les dommages‑intérêts ou profits..................................... 610 - 624

    2. Les exonérations de responsabilité................................... 625 - 637

    3. La conclusion ................................................................... 638 - 642

    Annexe A – La liste des témoins............................................................ A1 – A11

    Annexe B – Les revendications 1 à 8 et 13 à 15

      Du brevet 380 ................................................................... B1 – B4

     


     


    III.  Les faits  

    A.  Le brevet 380 et les statines

     

    • [18] La lovastatine, fabriquée dans le cadre du procédé du brevet 380, est un exemple de médicament précieux sur le plan médical produit par un processus de fermentation. En termes très simples, le laboratoire commence avec un micro‑organisme – dans ce cas, Aspergillus terreus – et, fabrique l’IPA visé en effectuant des fermentations de plus en plus grandes dans des milieux très contrôlés.

     

    • [19] Le brevet 380 porte sur des [traduction] « produits hypocholestérimiques issus de la culture d’un micro‑champignon de l’espèce Aspergillus ». Le Dr Antonio Gotto a présenté des renseignements généraux très utiles sur le rôle des médicaments hypocholestérimiques, comme la lovastatine, dans le traitement des maladies cardiovasculaires.En plus d’être qualifié en raison de son statut de professeur de médecine, l’expérience du DrGotto en tant que médecin traitant dans les années 1970 et 1980 était directement liée aux questions dont j’étais saisie.

     

    • [20] L’athérosclérose est un type de maladie cardiovasculaire qui survient lorsque le cholestérol et d’autres substances s’accumulent sur les parois artérielles et forment des plaques. Au fil du temps, l’accumulation de plaque s’épaissit et durcit les parois artérielles, ce qui restreint la circulation sanguine à partir du cœur. Des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux peuvent s’en suivre.

     

    • [21] L’accumulation de plaque est favorisée par des lipoprotéines de basse densité (que l’on nomme les LDL ou le « mauvais » cholestérol). Selon le DrGotto, on connaît depuis plus de 20 ans la relation entre la réduction du « mauvais » cholestérol et la réduction du risque de maladies cardiovasculaires. Ainsi, la médecine a entre autres buts principaux d’abaisser le niveau de cholestérol LDL.La catégorie de médicaments connus sous le nom de « statines » contribue considérablement à atteindre ce but.

     

    • [22] Selon les termes utilisés par le Dr Gotto (rapport d’expert Gotto, pièce 2, aux paragraphes 24, 38) :

    [traduction]

    Ce n’est que lorsque l’on a découvert les statines – en commençant par la lovastatine (MEVACOR®), à la fin des années 1970 – que le traitement du taux de cholestérol élevé est devenu plus efficace.

     

    […]

     

    La découverte la plus importante à ce jour pour le traitement du cholestérol est la découverte de la lovastatine, à la fin des années 1970.

     

    • [23] Le Dr Gotto a décrit comment fonctionnent les statines pour abaisser le niveau de cholestérol.Les statines réduisent la production de cholestérol par le foie.En particulier, les statines bloquent une enzyme hépatique connue sous le nom de HMG CoA‑réductase (hydroxyl-méthylglutaryl-coenzyme A réductase); ainsi, les statines sont des inhibiteurs de HMG CoA‑reductase. Le Dr Gotto a indiqué de manière générale que [traduction] « les statines ont changé la pratique médicale » (rapport d’expert Gotto, pièce 2, au paragraphe 50). Personne n’est en désaccord avec cette opinion.

     

    • [24] La lovastatine, comme Merck (ou ses prédécesseurs en intérêt) l’a fabriquée et vendue sous la marque MEVACOR a été la première statine offerte sur le marché.

     

    B.  Historique de la production par AFI/Blue Treasure

     

    • [25] La façon dont Apotex Inc. a commencé à s’intéresser à la lovastatine et dont Apotex Inc., AFI et la coentreprise Blue Treasure sont entrées en jeu sont des aspects importants de l’histoire de ce litige.

     

    • [26] Le Bernard Sherman, Ph. D., est actuellement président et chef de la direction d’Apotex Inc., une entreprise qu’il a fondée en 1973. Pendant son témoignage oral, M. Shermana décrit Apotex Inc. ainsi :

    [traduction]

    Il s’agit d’un fabricant de produits pharmaceutiques, le plus important au Canada à l’heure actuelle. Nous produisons des produits pharmaceutiques génériques, mais aussi certains produits novateurs. Nous possédons d’immenses installations de fabrication de formes dosifiées. Nous sommes intégrés verticalement. Nous possédons des usines chimiques. Nous dépensons de vastes sommes en recherche et en développement, les plus importantes au Canada, et nous comptons des divisions dans de nombreux pays du monde entier. Nous possédons des usines dans bon nombre de pays, y compris des usines chimiques.

     

    • [27] Apotex Inc. a reconnu l’importance du marché de la lovastatine. M. Sherman a décrit la lovastatine, en 1993, comme [traduction] « l’un des médicaments se vendant le plus au pays à ce moment, avec des ventes frôlant les 100 millions de dollars par année ».

     

    • [28] M. Sherman a expliqué à la Cour comment la version de lovastatine de son entreprise est devenue prise dans un régime réglementaire modifié soudainement, en 1993, ce qui revêt une importance particulière dans le litige en l’espèce. Jusqu’en 1993, une entreprise de produits génériques pouvait obtenir une licence obligatoire qui lui permettait de produire la version générique équivalente d’un médicament breveté. Au départ, Apotex Inc. avait l’intention d’obtenir une licence obligatoire en vue d’utiliser Aspergillus terreus pour fabriquer de la lovastatine.Selon M. Sherman, en 1993, le régime de délivrance de licence et les licences délivrées en vertu de ce dernier ont été annulées.Ils ont été remplacés par le RMBAC, que M. Sherman explique ainsi :

    [traduction]

    En 1993, en plus de l’élimination des licences – et du régime de délivrance de licences, ce qui comprenait aussi l’annulation rétroactive de certaines licences – comme celle applicable en l’espèce, un nouveau régime a été instauré. En vertu de ce régime, appelé le Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), les titulaires de brevets ou les premières personnes, les personnes qui détenaient une approbation pour la marque originale, pouvaient inscrire des brevets qu’ils jugeaient pertinents à un produit. S’ils inscrivaient le brevet, un demandeur générique, ou la seconde personne, ne pouvait obtenir l’approbation du gouvernement fédéral que lorsque les exigences de ce règlement étaient respectées. Cela signifie que la seconde personne doit signifier un avis d’allégation où il est allégué que le brevet ne sera pas contrefait ou qu’il est invalide. Ensuite, dans les 45 jours, si le titulaire de brevet ou la première personne présente une demande d’interdiction, ce qui se produit pratiquement toujours, l’approbation fédérale est retardée jusqu’au règlement de l’affaire, qui peut prendre beaucoup de temps.

     

    • [29] La relation entre Apotex Inc. et Apotex est pertinente à la présente affaire. Au milieu des années 1980, Apotex Inc. a passé un marché avec ABI Biotechnology Inc. (ABI) à Winnipeg afin de développer et de fabriquer certains produits fermentés. En fin de compte, Apotex Inc. a acheté les actifs d’ABI et l’entreprise a été renommée AFI.Par l’intermédiaire d’AFI, Apotex Inc. a eu la capacité de fabriquer des produits au moyen de procédés de fermentation.AFI s’est ajoutée à l’intégration verticale d’entités commerciales de la famille Apotex.

     

    • [30] AFI devait être la source de la lovastatine d’API. Comme l’a décrit en détail Mme Laxure dans son rapport d’expert (pièce 48) et par David Cox, Ph. D., pendant son témoignage, AFI a pris les mesures suivantes :

     

    • AFI a acquis les souches déposées d’Aspergillus terreus auprès de l’American Tissue Culture Collection (ATCC), y compris une souche désignée sous le numéro ATCC 20542.

     

    • ATCC 20542 a ensuite subi deux mutations par mutagenèse aux rayons ultraviolets afin de créer une souche mutante de ATCC 20542.

     

    • AFI a nommé cette souche BN‑2‑70 et le procédé de fabrication de lovastatine au moyen de cette souche, AFI‑1.

     

    • De 1991 à 1995, AFI a créé un procédé de fermentation à l’échelle commerciale afin de fabriquer de la lovastatine au moyen d’AFI‑1 – c’est‑à‑dire en utilisant Aspergillus terreus.

     

    • [31] Dans son témoignage, M. Sherman a indiqué qu’en 1992, Apotex, qui anticipait l’intention du gouvernement, a commencé à rechercher un procédé non contrefait.Apotex [traduction] « devait trouver un microbe autre qu’Aspergillus terreus pour produire de la lovastatine ».Dans son rapport d’expert, Mme Laxure a résumé le contexte et les résultats de cette recherche :

     

    • Le 25 juin 1988, le Journal of Antibiotics a publié un article intitulé « The Synthesis of Compactin (ML-236B) and Monacolin K in fungi », rédigé par le M. Akira Endo, Ph. D., et al. M. Endo a rendu compte de souches fongiques capables de produire de la monacoline K (que l’on sait maintenant qui est de la lovastatine), y compris le genre Phoma M4452.

     

    • En juin 1992, un échantillon du genre Phoma M4452 a été envoyé à AFI par M. Endo.

     

    • Au cours des six mois qui suivirent environ, AFI a pris des mesures dans ses laboratoires afin de confirmer et de développer la production de lovastatine à partir de l’échantillon Endo. On a d’abord renvoyé à ce procédé sous le nom de « Phoma #4 » et d’« AFI‑4 » par la suite.

     

    • En mai 1993, on a confirmé qu’un échantillon du produit issu du procédé AFI‑4 était Coniothyrium fuckelii (également connu sous le nom de C. fuckelii).

     

    • Apotex Inc. a déposé une demande de brevet pour le procédé AFI‑4 – un procédé de fabrication de lovastatine au moyen de Coniothyrium fuckelii – qui a par la suite été délivré en tant que brevet américain 5,409,820, le 25 avril 1995.

     

    • [32] Comme un certain nombre de témoins, y compris M. Cox et Mme Lori Christofalos l’ont décrit, la production de lovastatine par AFI au moyen du procédé AFI‑4 et les expéditions à Apotex Inc. peuvent être divisées selon les trois phases qui suivent :

     

    1. Au cours de la phase 1, entre juin 1996 et août 1997, l’ensemble de la production était effectuée uniquement aux installations d’AFI à Winnipeg. L’IPA fini était expédié à Apotex Inc., le premier envoi étant le lot CR0157, le 2 décembre 1996.

     

    1. Au cours de la phase 2, Blue Treasure (dont il est question ci‑dessous) a fabriqué environ 70 lots de lovastatine de qualité technique. Le produit a ensuite été envoyé à AFI aux fins de transformation en IPA et d’expédition à Apotex Inc. La phase 2 a duré de la moitié de l’année 1997 environ à janvier 1998.

     

    1. La phase 3 comportait environ 294 lots de lovastatine de qualité d’IPA fabriquée entièrement à Blue Treasure après mars 1998. Le produit était envoyé à AFI, où [traduction] « certains essais » étaient menés, puis expédié à Apotex Inc. Cette phase s’est poursuivie jusqu’en octobre 1999 et le dernier envoi a été reçu à AFI le 2 mars 2000.

     

    • [33] La coentreprise connue sous le nom de Qingyuan Blue Treasure Pharmaceuticals Co. Ltd. (Blue Treasure ou la coentreprise Blue Treasure) est une composante cruciale du présent litige. M. Cox, président et chef de la direction d’AFI de septembre 1997 à septembre 1997, a présenté des renseignements généraux clairs et utiles sur cette coentreprise.M. Cox était membre du conseil d’administration de Blue Treasure pendant la même période.

     

    • [34] Blue Treasure a été créée en vertu d’un contrat de coentreprise daté du 25 janvier 1994 entre Qingyuan New North River Pharmaceutical Co. Ltd.(New North River), Zuhai Special Economic Zone Lizhu Pharmaceutical Group Co. Ltd., Sichuan Industrial Institute of Antibiotics, AFI et BIOTECS. AFI détenait 42,5 % des actions de la coentreprise Blue Treasure.Comme il est indiqué à la clause 4.01 du contrat de coentreprise, la coentreprise Blue Treasure avait le but qui suit :

     

    [traduction]

    La coentreprise vise à rénover et exploiter l’usine, à acheter ou à obtenir autrement tous les matériaux bruts et tout l’équipement requis pour produire les produits, et produire, commercialiser, distribuer et vendre les produits à des clients en Chine et à l’étranger en vue de réaliser un profit.

     

    • [35] En 1994, New North River était déjà une installation pharmaceutique opérationnelle, qui avait la capacité de mener des procédés de fermentation. En vertu du contrat de coentreprise, New North River a fourni une partie de ses installations situées sur ses terrains à la coentreprise Blue Treasure.

     

    • [36] Comme il est défini dans le contrat de coentreprise, on entendait par [traduction] « produits » le [traduction] « médicament lovastatine en tant que produit en vrac et que produit fini ». M. Cox a indiqué que la coentreprise Blue Treasure [traduction] « avait été mise sur pied afin de produire, de distribuer et de vendre la lovastatine sur le marché intérieur chinois ».L’apport principal d’AFI à la coentreprise Blue Treasure était l’organisme qui produisait la lovastatine. M. Sherman a dit à la Cour que la décision de transférer la production de lovastatine à Blue Treasure a été prise pour les motifs qui suivent :

    [traduction]

    [Blue Treasure] avait la capacité à cet endroit et nous voulions déménager la production pour le Canada de Winnipeg, tant pour réduire les coûts que pour libérer l’installation de Winnipeg afin qu’elle se consacre à d’autres choses requises plus tard.

     

    • [37] Au printemps 1995, AFI a transféré à Blue Treasure les renseignements et les connaissances qu’elle avait mis au point afin de fabriquer la lovastatine issue d’Aspergillus terreus. Parmi ce qui a été transféré à Blue Treasure, notons un document exposant le procédé pour produire de la lovastatine au moyen d’Aspergillus terreus, intitulé « Scale-up Process to 15000L Fermenter »; et 25 flacons de la souche BN‑2‑70 à partir de la banque de semences A18‑378, et cinq cultures de riz du lot portant le numéro CF0057 (envoyé à Blue Treasure le 15 mai 1995).Blue Treasure a commencé à produire de la lovastatine au moyen du procédé AFI‑1 en 1996.

    • [38] Vers le mois d’avril 1997, AFI a déterminé qu’elle transférerait la technologie AFI‑4 à Blue Treasure; ce transfert était assorti d’une garantie selon laquelle AFI achèterait la lovastatine auprès de Blue Treasure, à condition qu’elle soit entièrement fabriquée au moyen du procédé AFI‑4 et que [traduction] « l’installation de Blue Treasure soit exclusivement consacrée au processus AFI‑4 ». Les modalités de cet arrangement ont été établies dans une lettre d’entente datée du 16 avril 1997 entre AFI et Blue Treasure.Aux dires de M. Cox, l’incidence du transfert du procédé AFI‑4 a été [traduction] « significative de manière positive ». Le transfert du procédé AFI‑4 à Blue Treasure s’accompagnait d’instructions très explicites, selon lesquelles la lovastatine achetée par Apotex devait être produite exclusivement avec la souche de Coniothyrium fuckelii utilisée dans le procédé AFI‑4, sans possibilité de contamination d’Aspergillus terreus (voir, par exemple, la lettre datée du 12 septembre 1997 de M. Fowler à M. Zhou).Les problèmes n’ont pas tardé à survenir.Ces problèmes sont abordés plus loin, dans la section VII des présents motifs.

     

    • [39] De 1997 à 1999, AFI a importé de la lovastatine de Blue Treasure, conformément aux modalités de la coentreprise Blue Treasure.L’IPA lovastatine était ensuite vendu à Apotex Inc.

     

    IV.  Qualité pour agir

    • [40] La première question que soulève Apotex porte sur la qualité de Merck & Co. pour intenter la présente action.

    • [41] Le pouvoir d’une partie de demander des dommages‑intérêts pour contrefaçon de brevet se trouve au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets.

    55.(1) Quiconque viole un brevet responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, des tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.

    55.(1) Any person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under him for all damages sustained by the patentee or by any person, by reason of the infringement.

     

     

    • [42] Les termes « breveté » ou « titulaire d’un brevet » sont définis à l’article 2 de la Loi sur les brevets ainsi : « [l]e titulaire ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet ».

     

    • [43] Le brevet 380 a été accordé à Merck & Co. En 1985, Merck & Co.a conclu un contrat de licence avec Merck Frosst (l’accord de licence de 1985) où il délivrait une licence non exclusive à Merck Frosst.Cet accord a été modifié en date du 1er janvier 1989 afin d’ajouter le brevet 380.Par la suite, en date du 1er janvier 1992, Merck & Co.a conclu un accord (l’accord MACI) avec Merck and Company, Incorporated (MACI), en vertu duquel Merck & Co., en tant que concédant de licence, accordait à MACI, en tant que titulaire de licence :

    Une licence permanente et exclusive sans redevances pour la propriété intellectuelle que le concédant de licence détient ou acquiert ci‑après, à l’exception de toutes licences en suspens pour la propriété intellectuelle qui ont déjà été accordées conformément à l’accord de licence daté du 1er janvier 1985 et des modifications à cet égard entre Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada Inc.

     

    • [44] Apotex ne conteste pas la qualité de Merck Frosst Canada Ltée pour intenter la présente action en tant qu’ayant cause de Merck Frosst Canada Inc. Apotex soutient toutefois que Merck & Co.n’a pas qualité pour intenter la présente action, puisqu’elle a cédé la totalité de son intérêt à l’égard du brevet 380 à MACI conformément à l’accord MACI. Apotex affirme qu’en novembre 1992, MACI détenait un [traduction] « avantage complet et illimité à l’égard du brevet 380 ». Merck & Co. a perdu la totalité de son avantage à l’égard du brevet et, par conséquent, le droit à des dommages‑intérêts en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets.Apotex soutient que, même si l’accord porte le nom d’« accord de licence », un examen du libellé de l’accord indique que les parties avaient l’intention, dans l’accord MACI, de transférer tout droit, titre et intérêt à l’égard du brevet 380 à MACI.

     

    • [45] Apotex soutient qu’il a toujours été conclu que les accords qui prennent la forme d’une licence, mais qui transfèrent néanmoins tous les droits substantiels à l’égard d’un brevet, constituent véritablement une attribution ou un transfert du brevet. À l’appui de cet argument, Apotex se fonde sur un courant jurisprudentiel des tribunaux des États‑Unis et du Royaume-Uni (Merck & Co., Inc. c Francis R. Smith, 261 F.2d 162 at 164 (3 rd Cir. 1958); Vaupel Textilmaschinen KG c Meccanica Euro Italia SPA, 944 F.2d 870, 874 (Fed. Cir. 1991); Prima Tek II, L.L.C. c A-Roo Co., 222 F.3d 1372, 1377-78 (Fed. Cir. 2000); Guyot c Thompson [1894] R.P.C. 541, à la page 554 (C.A.) [Guyot]).

     

    • [46] Je ne crois pas que la jurisprudence invoquée par Apotex m’est utile. Hormis la décision Guyot, précitée, une décision de la Haute Cour de justice (Division de la chancellerie), les tribunaux dans ces instances se penchaient sur l’incidence de ces accords dans le contexte du droit des brevets américain.Je ne vois pas en quoi elles pourraient orienter la Cour afin qu’elle détermine le sens des termes et, s’il y a lieu, l’intention des parties à l’accord MACI. Je n’ai pas pu profiter de l’opinion d’un expert en droit américain afin de déterminer si l’accord MACI constituerait un transfert de la totalité des droits à l’égard du brevet à MACI en vertu du droit américain applicable.Qui plus est, les faits dans Guyot, où un cessionnaire exclusif tentait de faire appliquer les modalités d’un contrat bilatéral, sont tout simplement trop différents de ceux liés aux questions dont je suis saisie.

     

    • [47] Je me pencherais plutôt sur cette question dans le contexte du droit des contrats canadien. D’après ma compréhension de l’état du droit des contrats canadiens, le libellé exprès des parties à un contrat constitue le fondement à leurs obligations contractuelles.Lorsque le libellé d’un contrat est clair et sans ambiguïté, le tribunal n’a pas à aller au‑delà de ce libellé clair afin de déterminer son intention et son effet.

     

    • [48] Apotex n’a pas réussi à me présenter une seule jurisprudence canadienne à l’appui de sa position. Je serais néanmoins d’accord avec le fait que le titre de l’accord de licence ne serait pas déterminant s’il y a des éléments de preuve clairs et convaincants que Merck & Co.entendait transférer la totalité de ses droits à l’égard du brevet 380 à MACI et ne rien garder pour elle.Seul un examen du libellé de l’accord MACI et des faits et circonstances entourant l’accord MACI permettra de déterminer si tel est le cas ou pas.

     

    • [49] En l’espèce, dans le libellé exprès de la clause 2 de l’accord MACI, on utilise le terme « licence ». À première vue, l’accord MACI n’accorde qu’une « licence ». La Cour suprême du Canada, dans Armstrong Cork Canada Ltd c Domco Industries Ltd., [1982] 1 R.C.S. 907, à la page 912, 66 C.P.R. (2 d) 46, a adopté les commentaires du lord Fry, à la page 470, dans Heap c Hartley (1889), 42 Ch. D. 461 :

    Une licence exclusive est seulement une licence dans un seul sens; c’est-à-dire que la véritable nature d’une licence est la suivante. C’est une permission de faire une chose et un contrat par lequel on s’engage à ne donner à personne d’autre la permission de faire la même chose. Mais cela ne confère, comme toute autre licence, aucun intérêt ou droit réel dans la chose. [Non souligné dans l’original.]

     

    • [50] Je remarque aussi le libellé de certaines clauses de l’accord MACI qui renvoient aux droits maintenus par Merck & Co. À titre d’exemple, la clause 3 accorde au concédant le droit d’inspecter les installations du titulaire de la licence.En vertu de la clause 5.2, le titulaire de licence doit fournir au concédant une description détaillée de toute communication de [traduction] « savoir‑faire licencié » à toute autorité gouvernementale.Selon moi, le maintien de droits de ce genre va à l’encontre d’une intention de transférer tous les droits conférés en vertu du brevet.

     

    • [51] Apotex renvoie à une énonciation dans l’accord MACI à l’appui de sa position :

    [traduction]

    ATTENDU QUE le concédant souhaite accorder un titulaire de licence une licence permanente et exclusive en ce qui concerne tout droit, titre et intérêt restants et les droits qu’il a acquis relativement à cette propriété intellectuelle en tant qu’apport au capital du titulaire de licence. [Non souligné dans l’original.]

     

    Apotex se fonde sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Dukart c Municipalité du district de Surrey, [1978] 2 R.C.S. 1039, aux pages 1052 et 1053, 86 D.L.R. (3 d) 609 [Dukart, avec renvois au R.C.S.] pour appuyer son observation selon laquelle lorsque le libellé d’une énonciation manifeste une intention claire, les tribunaux ont conclu que les parties voulaient que ce libellé ait un effet.

     

    • [52] L’affaire Dukart n’aide pas Apotex. Dukart portait sur l’accord d’une « servitude » et la question des véritables intentions des parties.Dans cette instance, le libellé du corps de l’entente n’indiquait pas l’étendue des droits accordés en vertu de l’entente.La Cour suprême du Canada a utilisé la clause d’introduction afin de donner le sens requis à l’entente.

     

    • [53] L’instance dont je suis saisie est différente en ce sens où les dispositions contenues dans le corps de l’accord MACI parlent de l’intention de l’accord et de la portée du « transfert » de Merck & Co. à MACI.Il faut toujours approcher avec prudence le recours à une clause d’introduction ou à un préambule comme outil d’interprétation.Comme la juge Abella (maintenant juge en chef) la précisé dans Lay c Lay (2000), 47 O.R. (3 d) 779, 184 D.L.R. (4 th) 652 (C.A. Ont.), au paragraphe 12, autorisation d’interjeter appel devant la CSC rejetée, [2000] S.C.C.A. No 369 (QL), 264 N.R. 398 (note) :

    [traduction]

    Il ne fait aucun doute qu’une introduction ou un préambule peut aider à l’interprétation; je ne vois aucun fondement à accepter la proposition nouvelle selon laquelle ses termes peuvent l’emporter sur ceux indiqués dans le corps du contrat.

     

    • [54] Selon moi, le libellé de l’accord MACI établit la création d’une licence et pas un transfert de tous les droits liés au brevet 380.L’utilisation du terme « restants » dans l’introduction ne « l’emporte pas » sur le libellé de l’accord.Cela suffit à réfuter l’argument d’Apotex.

     

    • [55] Toutefois, même si j’accepte que l’accord MACI est peut‑être ambigu, je suis convaincue que les parties à l’accord n’avaient pas l’intention de transférer tout droit, titre et intérêt à l’égard du brevet 380. Le comportement des parties à un accord est une indication de leur intention.Si l’accord MACI n’est pas clair à première vue, il est utile de se pencher sur le comportement des parties après l’exécution du contrat.Le comportement de Merck & Co. à partir de novembre 1992 était‑il celui d’une entreprise qui avait cédé tout droit, titre, succession et intérêt à l’égard du brevet 380?La réponse est évidemment « non ».Si Merck & Co. avait eu une telle intention, pourquoiaurait‑elle intenté et poursuivi le présent litige pendant 13 ans en son propre nom?Qui plus est, pourquoi Merck & Co.demeure titulaire du brevet désigné dans le brevet 380?

     

    • [56] Je suis convaincue que le contrat MACI ne fonctionnait pas en tant que transfert de tout droit, titre et intérêt de Merck & Co.à MACI.Merck & Co.a qualité pour intenter la présente action.

     

    V.  L’interprétation des revendications

     

    A.  Les principes de l’interprétation des revendications

     

    [57]  Lors d’une action en matière de brevets, la première étape est l’interprétation des revendications, conformément à des principes établis dans la jurisprudence (voir, par exemple, Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067 [Whirlpool]). Cette jurisprudence enseigne que la Cour doit interpréter les revendications en fonction de l’objet du brevet « pour assurer le respect de l’équité et la prévisibilité et pour cerner les limites du monopole » (Dimplex North America Ltd. c CFM Corp., 2006 CF 586, 292 F.T.R. 38, au paragraphe 49 [Dimplex], conf. par 2007 CAF 278, 60 C.P.R. (4 th) 277).

     

    • [58] Il appartient à la Cour de trancher la question de l’interprétation des revendications. La Cour est appelée à décider, sur une base objective, ce que la personne hypothétique versée dans l’art aurait compris que l’inventeur voulait dire (arrêt Whirlpool, précité, aux paragraphes 45 et 53). Dans le cas où le brevet a un caractère très technique, la personne versée dans l’art sera une personne qui possède un niveau élevé de connaissances scientifiques spécialisées et d’expertise dans le domaine spécifique des sciences dont relève le brevet (Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 1283, 278 F.T.R. 1 [Ramipril I (CF)]; Apotex Inc. c Syntex Pharmaceuticals International Ltd et al (1999), 166 F.T.R. 161, au paragraphe 38, [1999] A.C.F. no 548 (QL) (C.F. 1re inst.)).

     

    • [59] S’il le faut, l’interprétation doit porter sur l’ensemble du brevet, et non seulement sur les revendications (Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4e) 406 au paragraphe. 25; Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Ltd., 2007 CF 596, 58 C.P.R. (4e) 214, au paragraphe 103). La Cour devrait interpréter les revendications à la lumière de la description dans le mémoire descriptif, avec l’aide, si c’est nécessaire, de preuve d’experts pour ce qui concerne la signification des termes techniques, s’ils ne peuvent être compris à la lecture du mémoire (Shire Biochem Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538 (CanLII), 2008 CF 538, au paragraphe 22 [Shire]; Whirlpool, précité, au paragraphe 45).

     

    • [60] Il est également important de reconnaître que l’interprétation téléologique devrait porter sur les points en litige entre les parties (Shire, précité, au paragraphe 22).

     

    • [61] Enfin, comme le brevet 380 a été délivré en vertu de l’ancienne Loi sur les brevets, les revendications en litige doivent être interprétées à la date à laquelle le brevet a été délivré (Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725 (CanLII), 2005 CF 1725, au paragraphe 36). Pour le brevet 380, cette date correspond au 31 janvier 1984.

     

    • [62] Ayant à l’esprit ces principes directeurs, je passe maintenant au brevet visé.

     

    B.  La personne hypothétique versée dans l’art

     

    • [63] Comme il a été indiqué, les revendications doivent être interprétées du point de vue d’une personne hypothétique versée dans l’art. Ainsi, en guise de question préliminaire, je dois définir les attributs que notre personne hypothétique versée dans l’art posséderait.

     

    • [64] Dans sa plaidoirie finale écrite, Apotex a décrit ainsi la personne à qui s’adresse le brevet 380 :

    [traduction]

    La personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet est une personne fictive qui possède des connaissances approfondies sur la culture de micro‑organismes fongiques. Cette personne peut avoir un diplôme d’études supérieures, comme un doctorat, en biochimie, en mycologie ou en procédés biochimiques industriels et plusieurs années d’expérience pratique connexe dans un établissement industriel. La personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet pourrait aussi être un spécialiste en formulation pharmaceutique ou un chimiste médical et organique qui souhaite utiliser les composés de l’invention alléguée afin de traiter l’hyperlipémie et l’hypercholestérolémie.

     

    • [65] Vu la nature de ce brevet de produit par le procédé, je crois qu’il est fondamental d’avoir des connaissances et une expérience en matière de micro‑organismes fongiques. Cette expertise comprendrait selon moi des qualifications universitaires et une expérience technique.L’identification de micro‑organismes, le développement, la reconnaissance et l’identification de souches productives et la culture dans des milieux appropriés aux fins de commercialisation sont tous des aspects du brevet 380 que la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet doit connaître.Je souscris à l’opinion de M. Jon Clardy, Ph. D., quand il mentionne (rapport d’expert Clardy, pièce 17, au paragraphe 25) :

    [traduction]

    […] [l]a fermentation de champignons en vue d’obtenir des métabolites secondaires exige de posséder une expérience allant au‑delà de la simple formation universitaire et parce que le fait d’isoler des produits naturels de fermentations exige une action réciproque de la chimie, de la biosynthèse et d’essais biologiques qui va au‑delà de la formation universitaire officielle.

     

    • [66] Étant donné que l’invention comprend des procédés de préparation de composés qui sont ciblés pour abaisser le cholestérol sérique, la personne versée dans l’art devrait avoir des connaissances suffisantes en chimie médicale et organique afin de pouvoir comprendre la biosynthèse du cholestérol.Il serait possible d’acquérir cette expertise dans le cadre d’une formation universitaire ou en pratique clinique.

     

    • [67] Avec ces remarques sur certaines des habiletés requises, j’accepte la description que fait Apotex de la personne à qui le brevet 380 s’adresse.

     

    C.  Le mémoire descriptif du brevet

     

    • [68] Je donnerai d’abord un court aperçu du mémoire descriptif du brevet.

     

    • [69] Le brevet 380 est ce que l’on appelle communément un brevet de produit par le procédé. Cela signifie que les inventeurs ne revendiquent pas précisément (ou en soi) le composé lovastatine; ils revendiquent plutôt le produit lovastatine et trois autres composés lorsque les composés sont produits au moyen des procédés décrits dans le brevet.Le brevet 380 s’intitule « PRODUITS DE FERMENTATION HYPOCHOLESTÉROLÉMIQUES ET PROCÉDÉ DE PRÉPARATION ».Comme il est indiqué dans le sommaire :

    [traduction]

    Cette invention est liée à des produits hypocholestérolémiques issus de la culture d’un micro‑champignon de l’espèce « Aspergillus ». Plus précisément, il est lié aux composés de la formule qui suit :

     

    ainsi qu’aux sels de qualité pharmaceutique et au radical alkyle inférieur et aux esters alkyliques substitués des acides carboxyliques où le substituant possible est le phényle, diméthylamino ou acétylamino. L’invention porte aussi sur un procédé de culture du micro‑champignon et d’isolation du milieu d’un composé hypocholestérolémique de l’une des structures indiquées ci‑dessus. Ces nouveaux composés ont d’excellentes propriétés pour inhiber la biosynthèse du cholestérol et ils sont utiles contre l’hypercholestérolémie et l’hyperlipémie.

     

    • [70] Pour comprendre les structures chimiques des quatre composés présentés dans ce sommaire et leurs relations (comme il est indiqué dans la revendication no 1), j’ai reçu l’aide de Mme Linda Lee Lasure, Ph. D., et de messieurs Clardy et Samson.

     

    • [71] Le composé I est le produit commercialisé nommé lovastatine. Le composé II est la dihydro-lovastatine.Seules les liaisons dans la structure à double cycle le différencient de la lovastatine (composé I). Les composés I et II dont tous deux des lactones, ce qui signifie que le cycle supérieur droit de la structure est fermé.Le composé III est la forme linéaire acide ou acide hydroxylée à chaîne ouverte du composé I, tandis que le composé IV est la forme linéaire acide ou acide hydroxylée à chaîne ouverte du composé II.Les composés III et IV ont un cycle ouvert sur en haut de la structure, avec un groupe COOH (carboxyle).

     

    • [72] À la deuxième page du mémoire descriptif, les inventeurs divulguent, en tant qu’art antérieur, les travaux et les brevets d’Endo et d’autres liés au composé compactine :

    [traduction]

    Récemment, Endo et al., ont décrit (brevets américains 4,049,495 et 3,983,140) un produit de fermentation obtenu par la culture d’un micro‑organisme du genre Penicillium et de son isolement du milieu. Ils l’ont appelé ML 236 B et ont déterminé sa structure, ainsi que celles de deux composés connexes, 236 A et 236 C. Sa structure, sous le nom compactine, a aussi été déterminée par A.G. Brown, T.C. Smale, T.J. King, J. Chem. Soc. (Perkin I) 1165 (1975). Il s’est avéré que ce composé est un inhibiteur, in vivo, de la biosynthèse du cholestérol.

     

    • [73] Les inventeurs différencient ensuite leur invention de l’art antérieur.

    [traduction]

    Nous avons découvert de manière inattendue la culture d’un micro‑organisme très différent de celui utilisé par Endo, un micro‑champignon du genre Aspergillus, qui produit de nouvelles substances qui sont elles aussi des inhibiteurs très puissants de la biosynthèse du cholestérol chez les mammifères. Nous avons aussi découvert que ces substances comprennent principalement les nouveaux composés I, II, III et IV des structures présentées ci‑dessus, ainsi que de simples traces d’autres composés. Ces nouveaux composés sont des inhibiteurs beaucoup plus puissants de la synthèse du cholestérol in vivo que le composé ML236B décrit par Endo.

     

    • [74] Bref, le mémoire descriptif du brevet indique que les inventeurs du brevet ont fait fond sur les travaux effectués par Endo et d’autres sur les propriétés anti‑cholestérol de la compactine. Ils ont découvert que les composés I, II, III et IV, cultivés à partir d’un [traduction] « micro‑champignon du genre Aspergillus », plutôt que du genre Penicillium, étaient des inhibiteurs plus puissants de la synthèse du cholestérol in vivo que la compactine.

     

    • [75] À la page 3 du mémoire descriptif du brevet, les inventeurs indiquent que [traduction] « les composés de cette invention sont extrêmement utiles en tant qu’agent antihypercholestérolémiques pour le traitement de l’arthrosclérose, l’hyperlipémie et des maladies semblables chez l’homme ».

     

    • [76] À la page 4, les inventeurs commencent leur description plus détaillée du lien entre cette invention et un procédé pour produire les composés identifiés. J’ai appris des experts que la méthode de production du brevet 380 est décrite comme de la « fermentation ».La Dre Lasure l’a décrit ainsi (rapport d’expert Lasure, pièce 48, au paragraphe 20) :

     

     

    [traduction]

    Contrairement à des procédés plus traditionnels, où des chimistes peuvent synthétiser des composés chimiques dans un laboratoire ou une usine au moyen de réactions chimiques contrôlées in vitro, le processus communiqué dans le brevet 380 est un procédé biologique où l’on utilise un champignon particulier qui synthétise la lovastatine in vivo lorsqu’on le cultive ou dans certaines conditions que le brevet 380 appelle une « fermentation ».

     

    • [77] Les inventeurs décrivent qu’ils utilisent deux échantillons de micro‑organismes de la collection de cultures de Merck & Co., connus sous les noms MF‑4833 et MF‑4845. Ces deux micro‑organismes ont été mis en dépôt auprès de l’American Type Culture Collection (ATCC) et ont reçu les numéros d’enregistrement ATCC 20541 et ATCC 20542 respectivement. Il est clair que les inventeurs ne limitent pas leur invention à l’utilisation de ces deux micro‑organismes.

    [traduction]

    Même si l’utilisation de ces micro‑organismes est décrite en lien avec le procédé de l’invention, d’autres organismes du genre Aspergillus, y compris des mutants de ceux indiqués ci‑dessus, sont aussi en mesure de produire ces composés novateurs et leur utilisation est envisagée pour mener le procédé de cette invention.

     

    • [78] Dans le paragraphe qui suit, les inventeurs font la divulgation suivante :

    [traduction]

    On a découvert que les micro‑organismes MF‑4833 et MF‑4845 ont les caractéristiques morphologiques du genre Aspergillus. Au moyen des critères indiqués dans l’autorisation standard

    […] et à la suite d’une comparaison avec des espèces connues, il a été déterminé que les deux souches sont Aspergillus terreus.

     

    • [79] La description du processus de fermentation commence au bas de la page 5; on renvoie à des questions comme des exemples de milieux, des plages de température optimales et le pH des milieux nutritifs adaptés à la culture. On donne plus de détails sur l’augmentation à l’échelle de la fermentation, de la première culture dans de petites fioles à de grosses cuves de fermentation.Une fois le bouillon de fermentation fait, on informe le lecteur que les composés sont isolés sans inconvénient du bouillon de fermentation en tant que lactones I et II ou en tant que sels des composés III et IV.D’autres méthodes pour produire les composés de l’invention sont communiquées.

     

    • [80] Les propriétés physico‑chimiques des composés sont présentées à partir de la page 8. Aux pages 9 et 10, les inventeurs exposent leur croyance, [traduction] « avec une certitude considérable » des structures stéréochimiques des composés I et III. Des données semblables et les structures stéréochimiques des composés II et IV sont décrites aux pages 11 et 12.

     

    • [81] La spécification, qui va de la page 13 à la page 43, illustre « l’invention » au moyen de 27 exemples.

     

    D.  Les revendications en litige

     

    • [82] Merck, comme elle l’a indiqué dans une réponse à une demande de précisions datée du 8 juillet 1998, a allégué que les défenderesses ont contrefait les revendications 1 à 8, 10, 11, 13 à 16, 18 et 19 du brevet. Merck a particulièrement indiqué qu’elle n’invoquait pas chacune des revendications du brevet 380.

     

    • [83] Dans sa défense et sa demande reconventionnelle, Apotex affirme que toutes les revendications du brevet 380 sont invalides.Les observations présentées par la suite par les parties me portent à conclure qu’à cette étape, les seules revendications qui demeurent en litige – et qui doivent être interprétées – sont les revendications 1 à 8 et 13 à 15. Je présente la revendication 1 en entier ci‑dessous. Les autres revendications sont présentées à l’annexe B des présents motifs.

    1.  Un procédé de production des composés des formules structurales :

     

    qui comprend la fermentation d’un milieu nutritif avec un micro‑organisme appartenant au genre Aspergillus terreus et l’isolement des produits et, lorsqu’on le souhaite, la conversion desdits produits en leur sel de qualité pharmaceutique ou en radical alkyle inférieur ou en un ester alkylique substitué où le substituant est le phényle, diméthylamino ou acétylamino ou l’ion métallique du sel est dérivé de l’ammonique, de l’éthylènediamine, de la N‑méthylglucamine, de la lysine, de l’arginine ou de l’ornithine.

     

    • [84] Le désaccord entre les parties se concentre sur des aspects de la revendication 1. L’interprétation des autres revendications en litige découle du règlement de l’interprétation de la revendication 1. Cela signifie que l’interprétation adéquate de la revendication 1 déterminera les principaux points en litige pour les autres revendications en litiges, soit les revendications 2 à 8 et 13 à 15.

     

    [85]  Voici les points de désaccord entre Apotex et Merck :

     

    1.  Quel est le sens de la phrase [traduction] « un micro‑organisme appartenant au genre Aspergillus terreus » dans la revendication 1?

     

    1. Quel est le sens du mot [traduction] « isolement » dans la revendication 1?

     

    1. Le brevet 380 promet‑il que toutes les souches d’Aspergillus terreus seront en mesure de produire les quatre composés de l’invention?

     

    1. Quelle est l’utilisation promise de l’invention revendiquée?

     

    • [86] Les deux dernières questions liées à l’interprétation portent sur la « promesse » du brevet 380. La question visant à savoir ce que le brevet 380 promet – ou pas – est principalement pertinente à la question de l’utilité du brevet.Il s’agit toutefois d’une analyse qui fait logiquement partie de l’interprétation des revendications du brevet 380.

     

    • [87] En général, la confirmation de la promesse qu’offre un brevet est un exercice qui exige de recourir à des témoignages d’experts (Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Co., 2007 CAF 379, A.C.F. no 1579 (QL), au paragraphe 27). Cela s’explique par le fait qu’il faut définir adéquatement la promesse, dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue d’une personne versée dans l’art.

     

    E.  Le sens de [traduction] « un microchampignon du genre Aspergillus terreus » dans la revendication 1

     

    • [88] La première question liée à l’interprétation que soulève Apotex porte sur l’interprétation adéquate des mots [traduction] « un micro‑organisme du genre Aspergillus terreus » dans la revendication 1.

     

    • [89] Il est question, dans la revendication 1, d’un procédé visant à produire quatre composés [traduction] « qui comprend la fermentation d’un milieu nutritif avec un micro‑organisme appartenant au genre Aspergillus terreus[…] ». Apotex soutient que selon une interprétation adéquate de la revendication 1, une personne versée dans l’art conclurait que les mots [traduction] « genre Aspergillus terreus » renvoient à tous les micro-organismes appartenant au genre Aspergillus. Merck affirme que la revendication 1 se limite aux micro‑organismes appartenant au genre Aspergillus terreus.

     

    • [90] N’importe quel étudiant de biologie de niveau secondaire (et moi‑même) comprendrait la nomenclature utilisée dans le brevet 380 dans le cadre du système binomial d’appellation des organismes vivants. Tous les organismes vivants sont nommés en fonction d’une hiérarchie de classifications. Voici cette hiérarchie :

    (i)   Règne

    (ii)   Phylum

    • (iii) Classe

    • (iv) Ordre

    • (v) Famille

    • (vi) Genre

    • (vii) Espèce

     

    Conformément à la convention binomiale acceptée, les organismes vivants sont désignés par le nom du genre (avec majuscule à la première lettre) et du nom de l’espèce du genre (en lettres minuscules).

     

    • [91] Aucun genre ne porte le nom d’Aspergillus terreus. Comme les experts en l’espèce, Mme Lasure et messieursClardy et Samson me l’ont appris, selon les règles bien établies de taxonomie Aspergillus est un genre et Aspergillus terreus est une espèce appartenant au genre Aspergillus.Comme les parties l’ont indiqué, l’utilisation de l’expression [traduction] « genre Aspergillus terreus » dans la revendication 1 peut signifier l’une des deux choses suivantes :

     

    • a) les inventeurs ne revendiquaient que les composés fabriqués avec des micro‑organismes appartenant à l’espèce Aspergillus terreus et ont utilisé par inadvertance le terme « genre » au lieu d’« espèce » (thèse de Merck); ou

     

    • b) les inventeurs revendiquaient les composés fabriqués à partir de micro‑organisme appartenant au genre Aspergillus (thèse d’Apotex).

     

    • [92] Même sans l’aide d’un expert, il me semble que la première option offre l’interprétation à retenir. Il ne fait aucun doute qu’un lecteur versé dans l’art reconnaîtrait qu’Aspergillus terreus est une espèce – soit un sous‑ensemble du genre Aspergillus.Le lecteur versé dans l’art supposerait que les inventeurs voulaient que la revendication 1 ne contienne que les micro‑organismes du genre Aspergillus qui appartiennent à l’espèce terreus.En interprétant que la phrase comprend toutes les espèces appartenant au genre Aspergillus, on ignorerait le sens manifeste du terme terreus tel qu’il est utilisé dans la revendication.

     

    • [93] Mon interprétation des mots, en plus d’être sensée, est conforme aux opinions des Drs Lasure et Clardy. Selon M. Clardy (rapport d’expert Clardy, pièce 17, au paragraphe 33) :

    [traduction]

    […] [L]es mots Aspergillus terreus étaient, en janvier 1984 et demeurent aujourd’hui des mots qui, par définition, signifient un sous‑ensemble ou une sous‑catégorie du genre Aspergillus qui ne comprend pas ce genre dans son ensemble et qui ne peut le faire. C’est aussi l’interprétation qu’en ferait la personne versée dans l’art.

     

    • [94] Au départ, M. Samson a interprété différemment cette phrase et a conclu ainsi (rapport d’expert Samson, pièce 109, au paragraphe 37) :

    [traduction]

    […][S]elon les références répétées dans le brevet à l’utilisation d’un micro‑organisme du « genre Aspergillus » et le reste de mon examen du brevet 380 décrit ci‑dessus, je suis d’avis qu’une personne versée dans l’art aurait conclu que les inventeurs n’avaient pas l’intention de restreindre les différents micro‑organismes pouvant être utilisés dans le procédé hormis le fait qu’ils devaient appartenir au genre Aspergillus.

     

    • [95] Je reconnais que la divulgation ou la spécification du brevet 380 renvoie à quelques reprises au [traduction] « genre Aspergillus ». Néanmoins, principal problème dans l’interprétation que fait M. Samson de la phrase [traduction] « genre Aspergillus terreus » dans la revendication 1 réside dans le fait qu’elle ignore complètement le mot « terreus ».Même si j’acceptais l’opinion de M. Samson, j’étendrais la revendication d’« Aspergillus terreus » à une désignation beaucoup plus vaste d’« Aspergillus ».Comme M. Samson l’a indiqué, plus de 250 espèces appartiennent au genre Aspergillus (rapport d’expert Samson, pièce 109, au paragraphe 17).

     

    • [96] L’approche adoptée par M. Samson à l’égard de l’interprétation des revendications est contraire aux enseignements de la Cour suprême du Canada, dans Whirlpool, précité, au paragraphe 52, où le juge Binnie renvoie à l’énoncé du juge Taschereau dans Metalliflex Ltd. c Rodi & Wienenberger AG (1960), [1961] R.C.S. 117 (C.S.C.), à la page 122 :

    On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l’ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l’interprétation d’une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d’autres parties du mémoire descriptif ». [Non souligné dans l’original.]

     

    • [97] En contre‑interrogatoire, M. Samson semblait avoir nuancé ou changé son opinion.En particulier, il était d’accord avec le fait que [traduction] « l’inclusion du mot “terreus” dans la revendication 1 exclut toutes les autres espèces d’Aspergillus, y compris niger, nidulus et oryzae et les autres 246 [espèces] ».

     

    • [98] Qui plus est, lorsqu’on la considère dans son ensemble, la spécification est conforme à la limite de l’invention aux micro‑organismes de l’espèce Aspergillus terreus.À titre d’exemple, les inventeurs divulguent l’utilisation de micro‑organismes MF‑4833 et MF‑4845; ce sont des exemples d’Aspergillus terreus et pas ceux d’autres espèces appartenant au genre Aspergillus.

     

    • [99] En résumé sur ce point, les mots utilisés dans la revendication 1 indiquent très clairement que le titulaire du brevet ne revendique pas des composés fabriqués avec l’une des 250 espèces appartenant au genre Aspergillus; l’invention telle qu’elle est revendiquée se limite plutôt aux quatre composés identifiés lorsqu’ils sont fabriqués avec une seule espèce – Aspergillus terreus. L’utilisation du mot « genre » avant « Aspergillus terreus » n’est peut‑être qu’une simple erreur sans conséquences commises par les rédacteurs; il est aussi possible que le titulaire du brevet voulait que le mot « genre » modifie uniquement le mot « Aspergillus » et pas l’expression complète « Aspergillus terreus ». Peu importe, étant donné que le terme « Aspergillus terreus » est très précis, l’utilisation du mot « genre » ne modifierait pas l’interprétation de la phrase par la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet.

     

    F.  Le sens de [traduction] « isolement des produits »

     

    • [100] La deuxième question sur l’interprétation porte sur la partie de la revendication 1 qui indique que le procédé de fabrication des composés [traduction] « comprend la fermentation d’un milieu nutritif avec un micro‑organisme appartenant au genre Aspergillus terreus et l’isolement des produits […] ».

     

    • [101] Les parties ne s’entendent pas sur le sens de la phrase [traduction] « isolement des produits ». Apotex soutient que la revendication 1 exige de produire les quatre composés, que la revendication 2 exige la production des composés I et II (les lactones) et que la revendication 5 exige la production des composés III et IV (les hydroxyacides).Autrement dit, Apotex soutient qu’aux fins des revendications, les composés doivent être séparés les uns des autres, purifiés et cristallisés avant d’être « isolés ».Merck soutient que le terme « isolement » ne signifie que la séparation des composés du bouillon de fermentation; il n’exige pas de purifier ou de cristalliser les composés.

     

    • [102] Le terme « isolement » n’est pas défini dans le brevet. Il est donc nécessaire d’examiner la spécification afin de déterminer le sens raisonnable que les inventeurs voulaient donner.

     

    • [103] L’exemple 1 du brevet 380 s’intitule [traduction] « Préparation des composés I et III ». Les inventeurs établissent d’abord une procédure pour la fermentation d’une culture particulière d’Aspergillus terreus.Au terme de cette étape, la personne versée dans l’art aurait créé un bouillon de fermentation qui est [traduction] « réservé pour l’isolement du produit ».Une fois la fermentation terminée, on passe à l’étape intitulée [traduction] « Isolement du composé I ». Cette étape exige de séparer les éléments solides et liquides du bouillon, en extrayant les liquides au moyen d’un mélange de solvants et en extrayant les solides.Les extraits ainsi obtenus sont combinés et concentrés en un extrait brut de 15 ml.Aucune purification ou cristallisation n’est décrite dans le cadre de [traduction] l’« isolement du composé I ».En outre, l’étape suivante – « Mise à l’essai du composé I » – est menée avec l’extrait brut.Aucune autre purification ou cristallisation n’est menée avant la mise à l’essai.

     

    • [104] Pendant mon examen des exemples du brevet, j’ai constaté que les exemples 3, 4 et 5 renvoient tous à l’isolement sans purification ou cristallisation.

     

    • [105] Selon la spécification, je conclus que les inventeurs voulaient que le terme « isolement » ne renvoie qu’à la séparation des composés du bouillon. C’est ainsi que M. Clardy a interprété le terme « isolement », en affirmant ce qui suit (rapport d’expert Clardy, pièce 17, au paragraphe 102) :

    [traduction]

    Dans le brevet 380, le terme « isolement » n’exige pas nécessairement de séparer ou de purifier complètement les composés actifs. Le concept d’« isolement des produits » d’une fermentation, selon la façon dont ces mots sont utilisés dans le brevet, exige de retirer les produits du bouillon de fermentation. Il n’est pas nécessaire d’isoler les produits les uns des autres, de les rendre cristallins ou de les purifier totalement. La personne versée dans l’art qui lirait le brevet en janvier 1984 comprendrait tout cela. Je précise que l’« isolement du composé I » dans l’exemple 6 est plus complexe et il comprend une purification et une cristallisation supplémentaires d’une fraction précise contenant le composé I; toutefois, l’exemple 1 indique clairement que ces étapes sont facultatives et qu’il n’est pas nécessaire de les accomplir à des fins « d’isolement », selon la façon dont ce terme est utilisé dans le brevet.

     

    • [106] M. Samson a donné un point de vue contraire.Dans son rapport d’expert en réplique, M. Samson émet l’opinion suivante (rapport d’expert en réplique Samson, pièce 11, au paragraphe 41) :

    [traduction]

    Le brevet 380 indique que les composés sont extraits ou isolés du bouillon de fermentation en tant que « composé hypocholestérolémiques » (voir la page 2, aux lignes 4 à 7). Une personne versée dans l’art aurait compris que l’invention exigeait de retirer les composés du bouillon de fermentation et de les isoler des autres composés contenus dans le bouillon, et de les purifier et cristalliser ensuite afin qu’ils puissent servir en tant que « composés hypocholestérolémiques ».

     

    • [107] J’ai du mal à saisir l’interprétation que M. Samson fait du terme « isolement ».Premièrement, cette interprétation ignore la majeure partie du contenu de la spécification qui décrit la mise à l’essai de l’extrait brut.En contre‑interrogatoire, M. Samson a reconnu que, dans certains des exemples, aucune purification, séparation ou cristallisation n’était effectuée avant la mise à l’essai.Il s’est néanmoins accroché – de manière déraisonnable selon moi – à l’opinion selon laquelle la personne versée dans l’art aurait supposé que les termes « isolation » ou « isolement » comprenaient les étapes de l’extraction, de la cristallisation et de la séparation.

     

    • [108] Outre la divulgation du brevet 380, l’interprétation proposée par Merck est aussi soutenue par la lecture de la revendication 1 en fonction des autres revendications – particulièrement la revendication 13. Le procédé général est établi dans la revendication 1. La revendication 13 est une revendication d’un composé sélectionné à partir des composés I, II, III et IV. Si les inventeurs voulaient que la revendication 1 exige de séparer chacun des composés des autres, ils auraient pu utiliser un langage de choix semblable.L’emploi de la phrase [traduction] « isolement des produits » plutôt que [traduction] « isolement de chacun des produits » indique fortement au lecteur versé dans l’art que les inventeurs ne voulaient pas chacun des composés soient séparé des autres, purifié et cristallisé.

     

    • [109] Bref, je suis convaincue, selon une interprétation adéquate des revendications, que les mots [traduction] « isolement des produits » dans la revendication 1 n’exigent pas de séparer les composés pertinents les uns des autres, de les purifier ou de les cristalliser avant de mener des essais.

     

    G.  Inclusion de souches non productrices

     

    [110]  En ce qui concerne la troisième question sur l’interprétation, Apotex soutient que, peu importe si la phrase [traduction] « genre Aspergillus terreus » dans la revendication 1 comprend tous les micro‑organismes ou champignons appartenant au genre Aspergillus ou seulement ceux de l’espèce Aspergillus terreus, selon l’interprétation qu’en fait la Cour, le brevet 380 promet que tous ces micro‑organismes peuvent être utilisés pour produire les composés dans le brevet. Merck soutient quant à elle que la personne versée dans l’art saurait que ce ne sont pas toutes les souches ou tous les champignons ne peuvent produire les composés revendiqués – et les éliminerait de la portée du brevet 380.

     

    • [111] Il n’est pas indiqué expressément dans la revendication 1 ou la spécification que le brevet 380 exclut les souches non productrices d’Aspergillus terreus. Il faut déterminer si la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet aurait dû, en 1984, que les revendications du brevet 380 se limitent aux souches productrices d’Aspergillus terreus.

     

    • [112] La production de composés particuliers en courant au procédé de fermentation ou de culture de champignons est l’un des éléments essentiels de l’invention représentée dans le brevet 380. Comme l’a décrit Mme Lasure , qui possède une vaste expérience dans le travail avec de tels micro‑organismes, [traduction] « une culture d’Aspergillus terreus représente un échantillon vivant d’un champignon de cette espèce » (rapport d’expert lasure, pièce 48, au paragraphe 60). Il y a donc des variations au sein d’une espèce.

     

    • [113] M. John Lyle, Ph. D., a décrit les composés organiques produits par des champignons comme des « métabolites secondaires ».Les « métabolites secondaires » sont des composés produits à la suite de la fonction métabolique du micro‑organisme fongique initial pendant le processus de fermentation (rapport d’expert Sorensen, pièce 132, au paragraphe 6). M. Clardy a émis l’opinion selon laquelle [traduction] « on s’attendait généralement à ce qu’un isolat particulier d’une espèce productrice doive produire un métabolite donné »; il a toutefois averti qu’une non‑production est toujours possible, pour un certain nombre de raisons, qui auraient toutes été connues en 1984 (rapport d’expert Clardy, pièce 17, aux paragraphes 39 à 41) :

     

    • il est possible de faire muter volontairement des champignons afin de perturber les gènes responsables de fabriquer un métabolite;

     

    • les champignons peuvent perdre leur capacité de production au fil du temps en raison de la sous‑culture ou d’une mauvaise manipulation, ou pour d’autres raisons qui ne seront jamais comprises;

     

    • certains champignons d’une espèce productrice n’ont tout simplement pas une capacité de production, quoique M. Clardy croyait qu’une telle situation serait inhabituelle, sauf lorsque les isolats ont été maintenus par une sous‑culture en série;

     

    • les champignons ont tendance à changer de façon aléatoire, surtout lorsqu’ils sont entreposés et maintenus artificiellement par des scientifiques;

     

    • si l’échantillon d’une variante est prélevé à des fins de croissance supplémentaire pendant une sous‑culture et surtout s’il y a sous‑culture à répétition, le champignon peut perdre une caractéristique de la culture mère;

     

    • la détérioration physique du champignon mènera à une perte de fonctions métaboliques précises.

     

    • [114] M. Clardy a résumé la situation ainsi (rapport d’expert Clardy, pièce 17, au paragraphe 42) :

    [traduction]

    Cela faisait partie des connaissances courantes de la personne versée dans l’art en 1984 et une telle personne aurait su, avec quasi‑certitude, que parmi les nombreux isolats (ou souches) d’une espèce donnée, on aurait trouvé des isolats ayant perdu la capacité de produire un métabolite particulier dans des conditions particulières ou, dans certains cas rares, qui n’avait jamais eu la capacité de produire le métabolite.

     

    • [115] M. Samson n’était pas de cet avis.Selon lui, la personne versée dans l’art aurait interprété que les revendications comprenaient la production par Aspergillus des quatre composés identifiés (rapport d’expert Samson, pièce 110, au paragraphe 52). Il n’était pas d’accord avec le fait que l’exclusion de souches non productrices était implicite.Il a toutefois reconnu, en contre‑interrogatoire, que les opinions des DrsLasure et Clardy étaient [traduction] « tous deux des opinions scientifiques qu’une personne raisonnable normalement versée dans l’art aurait pu tirer en janvier 1984 ».

     

    • [116] M. Samson, en contre‑interrogatoire, a aussi reconnu que la personne normalement versée dans l’art en 1984 aurait été entièrement au fait que toutes les souches d’une espèce ne produisent pas un métabolite donné.Tout particulièrement, M. Samson a reconnu qu’en 1984, une personne versée dans l’art lisant les revendications du brevet 380 saurait que certaines souches d’Aspergillus terreus ne produiraient pas de lovastatine.

     

    • [117] En résumé, je préfère les opinions de Mme Lasure et M. Clardy selon lesquelles une personne versée dans l’art saurait, en s’appuyant sur ses connaissances générales, que :

     

    • a) les micro‑organismes de l’espèce Aspergillus terreus comportent de nombreuses variations, de sorte que tous les micro‑organismes de l’espèce ne donneront pas nécessairement les résultats escomptés et qu’il faudra mener des expériences routinières;

     

    • b) le terme « milieu nutritif », tel qu’il est utilisé dans la description du brevet, comprendrait les milieux utilisés dans les exemples et dans d’autres milieux qui produiraient les composés désirés dans le cadre d’essais de routine.

     

    • [118] Vu ces connaissances générales, M. Clardy et Mme Lasure étaient tous deux d’avis que la personne versée dans l’art reconnaîtrait – même sans que les revendications ne prévoient explicitement une limite – que les revendications du brevet 380 excluent les souches non productrices d’Aspergillus terreus.L’utilisation du terme « productrices » dans la revendication 1 indique à la personne versée dans l’art que les souches non productrices sont exclues, même si les mots explicites ne sont pas utilisés.

     

    • [119] La divulgation soutient davantage la conclusion tirée par M. Clardy et Mme Lasure.Outre la divulgation de la structure des composés et de l’activité thérapeutique de ces derniers, la personne versée dans l’art a des exemples du milieu et des conditions pouvant être utilisés.

     

    • [120] Qui plus est, la personne versée dans l’art apporterait aussi en laboratoire un ensemble d’habiletés utilisées couramment.Vu la nature des champignons et leur utilisation dans l’industrie pharmaceutique, il m’apparaît logique que la personne versée dans l’art possède une grande expérience des types d’expériences et d’essais menés pour cerner et optimiser des micro‑organismes producteurs.En contre‑interrogatoire, M. Samson a confirmé qu’il aurait été possible de mener un certain nombre d’expériences, connues en 1984, en même temps pendant une courte période afin de déterminer les micro‑organismes producteurs.Il était d’accord avec le fait qu’il était possible de mener 300 expériences par agitation en flacon à la fois.La personne versée dans l’art pourrait rapidement contrôler de grandes quantités d’isolats d’Aspergillus terreus afin de déterminer les souches productrices.Qui plus est, étant donné que les revendications se limitent aux souches de l’espèce Aspergillus terreus, selon mon interprétation, il faudrait établir des limites gérables sur les essais.

     

    • [121] Après examen des éléments de preuve présentés par les trois experts, je suis convaincue qu’il faut préférer les opinions de Mme Lasure et M. Clardy sur ce point à celles de M. Samson.L’une exigence implicite à l’exclusion des souches non productrices de la portée de la revendication 1 s’énonce ainsi : « sans être indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public » (Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 520, 56 C.P.R. (2 d) 145 [Consolboard avec renvois au R.C.S.]). Je n’accepte pas l’affirmation d’Apotex selon laquelle le brevet 380 indique, sous‑entend ou promet que toutes les souches d’Aspergillus terreus seront en mesure de produire les quatre composés de l’invention revendiquée.

     

    H.  L’utilisation promise du brevet 380

     

    • [122] Comme dernière question sur l’interprétation, Apotex soutient que le brevet 380 promet explicitement que les quatre composés indiqués dans la revendication 1 sont [traduction] « extrêmement utiles en tant qu’agents antihypercholestérolémiques pour le traitement de l’arthrosclérose, l’hyperlipémie et des maladies semblables chez l’homme ».

     

    • [123] La « promesse » du brevet 380 semble être clairement indiquée à au moins deux endroits de la spécification. Dans le « Résumé de l’invention », à la page 2 du brevet, les titulaires du brevet indiquent ce qui suit :

    [traduction]

    Ces nouveaux composés ont d’excellentes propriétés pour inhiber la biosynthèse du cholestérol et ils sont utiles contre l’hypercholestérolémie et l’hyperlipémie.

     

    • [124] Une promesse un peu plus détaillée se trouve à la page 3, où les titulaires du brevet expliquent ce qui suit :

    [traduction]

    Les composés de cette invention sont extrêmement utiles en tant qu’agent antihypercholestérolémiques pour le traitement de l’arthrosclérose, l’hyperlipémie et des maladies semblables chez l’homme.

     

    • [125] M. Samson est d’avis que l’énoncé détaillé dans le brevet (à la page 3) exprime la promesse du brevet 380 (rapport d’expert Samson, pièce 110, au paragraphe 25). Même si Mme Lasure n’a pas directement répondu à la question visant à savoir ce qu’était la promesse du brevet, mais elle a décrit que les utilisations du brevet 380 comprenaient les suivantes (rapport d’expert Lasure, pièce 48, au paragraphe 21) :

    [traduction]

    En ce qui concerne les utilisations, le brevet 380 expose qu’il est possible d’utiliser les quatre composés (et les sels et esters de ces derniers) afin d’inhiber la biosynthèse du cholestérol, pour lutter contre l’hypercholestérolémie (niveaux de cholestérol élevés dans le sang) et l’hyperlipidémie (niveaux élevés de lipides dans le sang) et en tant qu’agents antifongiques (pour tuer des champignons sur des plantes ou en inhiber la croissance).

     

    Apotex n’a pas renvoyé aux propriétés antifongiques dans la présente instance. La question pour le présent procès porte sur l’usage médical.

     

    • [126] Selon les mots employés dans la spécification et soutenu par les opinions de Mme Lasure et M. Samson, je conclus que la personne versée dans l’art conclurait que le brevet 380 promet que les composés (ou les métabolites secondaires) produits à partir de souches d’Aspergillus terreus, au moyen du procédé de fabrication indiqué dans le brevet, sont [traduction] « utiles en tant qu’agents antihypercholestérolémiques pour le traitement de l’arthrosclérose, l’hyperlipémie et des maladies semblables chez l’homme ».

     

    I.  Sommaire de l’interprétation des revendications

     

    • [127] Vu les mots utilisés dans les revendications du brevet 380 et la spécification, et orientée par les témoignages d’experts, voici l’interprétation qu’il faut faire des revendications pertinentes du brevet :

     

    • La revendication 1 est la revendication d’un procédé pour produire les quatre composés identifiés au moyen d’un procédé de fermentation en utilisant l’éventail de milieux nutritifs et de conditions décrit dans la spécification (ou qui serait généralement connu par la personne versée dans l’art), à la suite duquel les composés sont isolés ou extraits du bouillon de fermentation par l’un des moyens connus indiqués dans la spécification (ou qui serait généralement connu par la personne versée dans l’art). Voici ce qui est particulièrement pertinent au présent litige :

     

    • le micro‑organisme ou champignon à utiliser est une souche de l’espèce Aspergillus terreus, hormis les souches incapables de produire les composés désirés et à l’exception des micro‑organismes d’autres espèces appartenant au genre Aspergillus;

     

    • après les étapes de fermentation du processus, le bouillon obtenu peut contenir l’un des quatre composés ou la totalité d’entre eux.

     

    • [128] L’interprétation des revendications 2 à 8 découle de cette interprétation de la revendication 1.Chacune de ces revendications est un « sous‑ensemble » de la revendication 1, où la revendication se limite à ce qui suit :

     

    • le procédé visant à produire uniquement les composés I et II (revendication 2) ou les composés III et IV (revendication 5);

     

    • le procédé en vue de produire les composés identifiés au moyen d’un micro‑organisme de provenance particulier (revendications 3 et 6);

     

    • le procédé en vue de produire les composés identifiés au moyen de certaines exigences opérationnelles (revendications 4, 7 et 8).

     

    • [129] La revendication 13 ne revendique que l’un des quatre composés identifiés (les mêmes composés que ceux décrits dans la revendication 1) lorsqu’il est fabriqué au moyen du procédé indiqué dans la revendication 1 [traduction] « ou par un équivalent chimique évident ». La revendication 14 est une revendication semblable au composé I ou II lorsqu’i’ est fabriqué par le procédé indiqué dans la revendication 2 [traduction] « ou par un équivalent chimique évident ».La revendication 15 est une revendication semblable au composé II ou IV lorsqu’i’ est fabriqué par le procédé indiqué dans la revendication 5 [traduction] « ou par un équivalent chimique évident ».

     

    • [130] Enfin, je conclus que la personne versée dans l’art conclurait que le brevet 380 promet que les composés (ou les métabolites secondaires) produits à partir de souches d’Aspergillus terreus, au moyen du procédé de fabrication indiqué dans le brevet, sont [traduction] « utiles en tant qu’agents antihypercholestérolémiques pour le traitement de l’arthrosclérose, l’hyperlipémie et des maladies semblables chez l’homme ».

     

    VI.  La contrefaçon – Renseignements généraux

    A.  Introduction

     

    • [131] Après avoir établi l’interprétation adéquate des revendications pertinentes du brevet 380, je passe maintenant à la question de la contrefaçon.

     

    • [132] L’article 44 de la Loi sur les brevets confère à un titulaire de brevet et à ses représentants le « le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils exploitent, l’objet de l’invention […] » d’un brevet. Merck affirme que les défenderesses ont violé les droits qui leur sont conférés en vertu du brevet 380 par la production de lovastatine au moyen du micro‑organisme Aspergillus terreus. En particulier, Merck affirme qu’il y a eu contrefaçon dans trois scénarios différents, soit :

     

    1. contrefaçon par la fabrication (pendant la phase 1 de la production, décrite ci‑dessus), par AFI, à Winnipeg, de quantités de lovastatine incluses dans le lot CR0157;

     

    1. contrefaçon, d’avril 1997 à mars 1998, par la fabrication, par Blue Treasure de quantité de lovastatine contrefaite expédiée à AFI, alors que Blue Treasure « assaisonnait » prétendument les envois de lovastatine avec de la lovastatine contrefaite fabriquée avec Aspergillus terreus;

     

    1. contrefaçon, à partir de mars 1998, lorsque Blue Treasure envoyait prétendument de la lovastatine fabriquée avec Aspergillus terreus.

     

    • [133] Sous réserve des exceptions possibles à un usage réglementaire ou expérimental, la fabrication, la création, l’utilisation ou la vente de lovastatine au moyen d’Aspergillus terreus constituerait une contrefaçon du brevet 380. Ainsi, si Merck parvient à convaincre la Cour que certains volumes de lovastatine fabriquée à partir du produit reçu de Blue Treasure ont été fabriqués à partir de lovastatine créée par Aspergillus terreus ou contenaient, par l’intermédiaire d’un « assaisonnement », cette lovastatine, elle établit qu’il y a eu contrefaçon. De même, si Merck parvient à convaincre la Cour que le lot CR0157 contenait de la lovastatine fabriquée à partir d’Aspergillus terreus, elle établit qu’il y a eu contrefaçon.

     

    B.  Le fardeau

     

    [134]  Il faut d’abord déterminer si cette preuve de contrefaçon est assujettie à la norme de preuve civile. Merck s’acquitte de son fardeau – quel qu’il soit – s’il est possible de montrer qu’il y a eu contrefaçon selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, Merck aura gain de cause s’il est plus probable qu’une contrefaçon ait eu lieu que non.

     

    • [135] Il est droit constant qu’il incombe à la partie alléguant qu’il y a eu contrefaçon de prouver qu’il y a eu contrefaçon (voir Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 29 [Monsanto]). Il faut toutefois se pencher sur l’esprit de la Loi sur les brevets, particulièrement le paragraphe 39(2).En vertu de la Loi sur les brevets, qui s’applique en l’espèce, le paragraphe 39(1) dispose de ce qui suit :

    39. Procédés Microbiologiques Naturels – (1) Lorsquil sagit dinventions couvrant des substances que lon trouve dans la nature, préparées ou produites, totalement ou pour une part notable, selon des procédés microbiologiques et destinées à lalimentation ou à la médication, aucune revendication pour laliment ou le médicament ne doit être faite dans le mémoire descriptif, sauf pour celui ainsi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués.

    [1987, ch. 41, art. 14]

     

    39. Naturally occurring substances intended for food or medicine—(1) In the case of inventions relating to naturally occurring substances prepared or produced by, or significantly derived from, microbiological processes and intended for food or medicine, the specification shall not include claims for the resulting food or medicine itself, except when prepared or produced by or significantly derived from the methods or processes of manufacture particularly described and claimed. [1987, c. 41, s. 14]

     

    • [136] Cette disposition est suivie du paragraphe 39(2), qui prévoit que :

    (2)  Dans une action en contrefaçon de brevet où l’invention porte sur la production d’une substance nouvelle, toute substance formée des mêmes composants et éléments chimiques est, en l’absence de preuve contraire, réputée avoir été produite par la procédé breveté.

    (2)  In an action for infringement of a patent where the invention relates to the production of a new substance, any substance of the same chemical composition and constitution shall, in the absence of proof to the contrary, be deemed to have been produced by the patented process.

     

    • [137] À première vue, le paragraphe 39(2) s’applique aux faits qui me sont présentés. Selon Merck, le brevet 380 vise une invention liée à la production de lovastatine – une « substance nouvelle ».La lovastatine produite pendant la phase 1, 2 ou 3 du procédé de fabrication des défenderesses est une substance dont la composition chimique et la constitution sont les mêmes que celle produite au moyen du procédé indiqué dans le brevet 380.Le paragraphe 39(2) s’appliquerait donc et, à moins de preuve contraire, cette lovastatine serait réputée avoir été produite au moyen du procédé présenté dans le brevet 380.En ce qui concerne la lovastatine fabriquée dans le cadre de la phase 1 (à l’exception du lot CR0157), Merck accepte qu’il y a « preuve contraire ».Merck affirme toutefois que, pour la lovastatine contenue dans le lot CR0157 et la totalité de la production provenant de Blue Treasure, le paragraphe 39(2) s’applique et la production doit réputée avoir été faite à partir d’Aspergillus terreus, ce qui contrefait le brevet 380.

     

    • [138] Le litige entre les parties porte sur le sens des mots « substance nouvelle » au paragraphe 39(2).

     

    • [139] Merck soutient que les substances (composés I à IV) revendiquées dans le brevet 380 sont nouvelles et que le paragraphe 39(2) entre en jeu. Même si le mot « nouvelle » n’est pas défini comme tel, il apparaît à l’article 2, dans la définition du terme « invention ».Par conséquent, aux fins du brevet, le terme « nouvelle » pourrait signifier une nouveauté ou un produit qui n’a pas été prévu.

     

    • [140] Apotex soutient qu’il faut établir la définition de nouveauté selon l’ensemble de la législation sur les brevets. Lorsqu’un mot a un sens dans un article, il devrait le conserver dans tous les articles d’un même document, en l’absence d’une intention du législateur de montrer que le mot peut revêtir divers sens.Conformément à cet argument, l’avocat d’Apotex, dans son dernier argument, a reconnu que l’article2 et le paragraphe 39(2) utilisent le mot « nouvelle ».Ce mot n’apparaît toutefois pas dans les dispositions qui portent précisément sur la nouveauté (antériorité) : les articles61, 27 et 43. Ainsi, on ne peut pas dire que le terme « nouvelle » est un équivalent du terme « antériorité ».

     

    • [141] Selon Apotex, l’interprétation du terme « nouvelle » doit correspondre au contexte du paragraphe 39(2) et son but logique. Dans ses observations orales, Apotex a soutenu que le paragraphe 39(2) (et sa présomption de contrefaçon) avait l’objet suivant :

    [traduction]

    […] pour gérer l’impossibilité pour un plaignant, lorsqu’il est question d’un formulaire de revendication de produit par le procédé, de ne pas pouvoir, en l’absence de preuve de la défenderesse sur le procédé, de contester la violation de ce procédé.

     

    • [142] Conformément à cet objet, un autre procédé est divulgué pour le même produit et la « nouveauté » de la substance en soi n’existe plus. Apotex a également affirmé qu’il est possible de perdre la nouveauté de certaines autres façons : la commercialisation antérieure, la divulgation et l’utilisation de la substance.

     

    • [143] En ce qui concerne les faits en l’espèce, Apotex indique que la demande ayant donné lieu au brevet canadien no 1,129,794 (le brevet 794 ou le brevet Endo) portait sur les revendications pour la lovastatine et a été présentée au Canada avant le brevet 380. Le brevet 794 avait aussi une priorité et une date de délivrance antérieures.Il rend public un autre procédé pour créer de la lovastatine.Selon Apotex, il en va de même pour la lovastatine créée à partir de levure de riz rouge.

     

    • [144] Comme les parties l’ont soutenu, aucune jurisprudence ne porte directement sur l’interprétation du terme « nouvelle » dans le paragraphe 39(2). Il est utile de revenir aux principes premiers de l’interprétation des lois.

     

    • [145] Mon analyse part du principe général que la Cour suprême du Canada a énoncé clairement dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., Re, [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, 154 D.L.R. (4 th) 193 (voir aussi Bell ExpressVu Ltd. Partnership c Rex, 2002 CSC 42, 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26, et dans les instances citées en l’espèce) :

    […] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

    [traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

     

    • [146] Dans l’ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 5éd. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2008) (Sullivan) s’exprime sur les principes modernes articulés par Driedger (page 3) :

    Le tribunal doit adopter l’interprétation qui est appropriée. Constitue une interprétation appropriée celle que peut justifier a) sa plausibilité, c’est‑à‑dire sa conformité au texte législatif, b) son efficacité, au sens où elle favorise la réalisation de l’intention du législateur et c) son acceptabilité, au sens où le résultat obtenu est conforme aux normes juridiques admises; il s’agit d’une interprétation juste et raisonnable.

     

    • [147] Qui plus est, l’analyse textuelle de la législation est soutenue par un certain nombre de principes pertinentes : a) la présomption d’uniformité des expressions (Sullivan, précité, aux pages 214 à 223) et b) la présomption de cohérence (Sullivan, précité, aux pages 223 à 225).

     

    • [148] En vertu des principes d’uniformité des expressions, on présume que le législateur s’exprime avec soin et d’une manière uniforme dans une même loi. Par conséquent, on présume que les mêmes mots ont le même sens.D’ailleurs, on peut conclure de l’utilisation de mots différents ou d’une forme d’expressions différente que les rédacteurs voulaient attribuer un sens différent.Ce principe a été mis en évidence par la Cour d’appel fédérale dans Peach Hill Management Ltd. c Sa Majesté la Reine (2000), 257 N.R. 193, au paragraphe 12, G.S.T.C. 45 : « lorsqu’une loi emploie des mots différents pour traiter du même sujet, ce choix du législateur doit être considéré comme délibéré et être tenu pour une indication de changement de sens ou de différence de sens ».

     

    • [149] Selon Sullivan (aux pages 221 et 222), la force de cette présomption varie.On présume fortement que les lois et des termes très techniques qui jouent un rôle clé dans le régime législatif ont le même sens dans leur ensemble.À titre d’exemple, la définition du terme « revenu » dans les mesures législatives fiscales a été considérée comme un terme clé dans Mattabi Mines Ltd. c Ontario (Ministre du revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, 53 D.L.R. (4 th) 656. La présomption d’uniformité des expressions est également marquée dans les cas où les mots répétés contribuent à une tendance notable.

     

    • [150] Cette présomption peut toutefois être affaiblie lorsque l’on examine le contexte qui entoure les mots : [traduction] « Il est possible que des mots identiques n’aient pas le même sens une fois situés dans des contextes différents et utilisés à des fins différentes. Cela est particulièrement vrai pour les mots généraux ou abstraits » (voir Sullivan, à la page 222; Jevco Insurance Co. c Pilot Insurance Co. (2000), 49 O.R. (3d) 760, O.J. No. 2259 (QL) (Cour sup. Ont.).

     

    • [151] L’autre principe pertinent est la présomption de cohérence. Ici, on présume que les dispositions d’une même loi sont conçues pour interagir de manière logique en tant que parties d’un tout fonctionnel.

    Il est présumé que les parties s’imbriquent logiquement pour former un cadre rationnel et cohérent à l’interne; et parce que le cadre a un objectif, il est aussi présumé que les parties travaillent ensemble de façon dynamique, chacune contribuant quelque chose pour accomplir le but prévu. […] Il est présumé que l’ensemble des lois adoptées par l’Assemblée législative ne comporte pas de contradictions ou d’incohérences, et que chaque disposition peut s’appliquer sans entrer en conflit avec une autre (Sullivan, précité, à la page 223).

     

    • [152] L’application de ces principes donne lieu à la question suivante : le terme « nouvelle » au paragraphe 39(2) signifie‑t‑il « nouvelle » au sens ordinaire ou au sens de nouveauté? Autrement dit, pour avoir préséance sur l’application du paragraphe 39(2), Merck doit‑elle prouver que la substance issue de la revendication de produit par le procédé dans le brevet 380 était nouvelle ou simplement qu’elle était inconnue auparavant?

     

    • [153] Pour les motifs qui suivent, j’interprète que le mot « nouvelle » signifie tout simplement une substance qui n’était pas connue ou utilisée avant plutôt qu’une nouveauté.

     

    • [154] Premièrement, dans le contexte de l’article 2 et du paragraphe 39(2), le terme « nouvelle » a été utilisé en tant qu’adjectif.Selon le Gage Canadian Dictionary (W.S. Avis et al. (ed) (1983), Gage Educational Publishing Co., Toronto), à la page 766, le terme « nouveau » est défini comme quelque chose [traduction] « qui n’existait pas avant ». Le Black’s Law Dictionary (6e éd.) (St. Paul, Minn. : West Publishing Co, 1990), à la page 1042, décrit le terme « nouveau » ainsi :

    [traduction]

    […] ce mot peut dénoter une nouveauté ou le fait d’être inconnu avant ou d’une origine récente ou nouvelle; toutefois, il s’agit habituellement d’un terme purement relatif, qui est employé afin de comparer la date, l’origine ou la nature d’une chose aux attributs correspondants d’une autre chose appartenant au même genre ou à la même catégorie.

     

    Afin d’être « nouveau », selon l’utilisation de ce mot dans les lois sur les brevets, la réalisation doit produire un résultat inhabituel, amélioré ou avancé, qui était inconnu dans le même art antérieur au moment de l’invention revendiquée; ou la réalisation doit produire un résultat ancien d’une façon inhabituelle et beaucoup plus efficiente ou économique. [Non souligné dans l’original.]

     

    • [155] Comme nous l’avons vu ci‑dessus, le sens ordinaire du mot « nouvelle » peut correspondre à une nouveauté ou tout simplement au fait d’être inconnu précédemment. Il s’agit d’un mot de nature [traduction] « purement relative ».

     

    • [156] Deuxièmement, je passe au sens contextuel du mot « nouvelle » dans la Loi sur les brevets. Même s’il n’est pas contesté que les lois sur les brevets sont très techniques, le mot « nouvelle » revêt‑il un sens précis et technique?Est‑il utilisé de façon à créer une tendance notable?Y a‑t‑il une présomption d’uniformité?Je réponds par la négative à ces questions.

     

    • [157] Le mot « nouvelle » utilisé dans l’article 2 et le paragraphe 39(2) est aussi relatif; dans les deux cas, il est utilisé comme adjectif afin de décrire des choses différentes. En vertu de l’article 2, le mot « nouvelle » décrit la façon dont une « réalisation » ou un « perfectionnement » peut atteindre le niveau d’invention.La notion de nouveauté s’inscrit dans cette interprétation.

     

    • [158] D’autre part, au paragraphe 39(2), les législateurs ne décrivent pas ce qui constitue une invention. Cette disposition est uniquement liée à la contrefaçon; la nouveauté n’est pas contestée directement.Qui plus est, le mot « nouvelle » n’est pas utilisé pour déterminer si une « réalisation » ou un « perfectionnement » constitue une invention.Il décrit tout simplement une « substance » ou un « produit » dans une revendication de produit par le procédé.Il n’y a aucune exigence selon laquelle la « substance » doit constituer une invention.Le paragraphe 39(2) porte sur les revendications dans un brevet de produit par le procédé.Dans ce genre de revendication, on ne peut séparer la substance de son processus (voir le paragraphe 39(1) de la Loi sur les brevets).Par conséquent, dans une revendication de produit par le procédé, le caractère nouveau de la substance n’est pas déterminant.C’est le procédé de production de la substance qui doit être nouveau, innovateur et inventif. Dans le contexte d’une revendication de produit par le procédé, le terme « nouvelle » n’exige pas que la substance soit nouvelle (imprévue).

     

    • [159] Troisièmement, cette interprétation est conforme au reste du régime législatif et évite les incohérences internes. Si le terme « nouvelle » décrivait une substance innovatrice ou un médicament innovateur comme l’invention en soi, il irait à l’encontre du paragraphe 39(1) de la Loi.

     

    • [160] Si on l’applique à la présente instance, l’invention revendiquée n’est pas la lovastatine, mais bien la lovastatine créée par le procédé de fermentation de l’organisme Aspergillus terreus. Il ressort clairement du paragraphe 39(1) de la Loi que le titulaire de brevet ne peut pas simplement revendiquer la lovastatine, une substance médicinale, en tant qu’invention.La lovastatine n’est que le produit de la revendication du produit par le procédé indiquée dans le brevet 380.

     

    • [161] Quatrièmement, on ne retrouve pas le terme « nouvelle » dans les articles 27, 43 et 61, qui portent sur des questions de nouveauté.

     

    • [162] Cinquièmement, la jurisprudence soutient l’interprétation du mot « nouvelle », qui signifie « qui n’était pas connu auparavant ». Selon le juge Nadon, dans Eli Lilly and Co. et al. c Nu-Pharm Inc.(1994), 54 C.P.R. (3 d) 145, au paragraphe 32, [1994] A.C.F. no 225 (QL) (C.F. 1re inst.) [Eli Lilly and Co. c Nu-Pharm Inc. avec renvois au C.P.R.], la présomption de contrefaçon ne survient que lorsque le demandeur s’est acquitté d’un fardeau minimal de preuve selon lequel les substances en question sont des « substances nouvelles ». Cela signifie que c’est d’abord à Merck qu’il incombe de prouver que les substances créées dans le cadre du procédé exposé dans le brevet 380 sont des « substances nouvelles ».Ce n’est pas à Apotex qu’il incombe de prouver que les substances ne sont pas nouvelles ou qu’elles sont prévues. Étant donné que c’est à Merck qu’il incombe de prouver que les substances créées dans le cadre du procédé exposé dans le brevet 380 sont des « substances nouvelles », le fait de rendre le terme « nouvelle » au critère de « nouveauté » donnerait lieu à un résultat illogique.En vertu du régime canadien des lois sur les brevets, les défendeurs dans une action en contrefaçon ont le fardeau de prouver l’antériorité (un sous‑ensemble de l’invalidité).Ainsi, le fait de demander au titulaire de brevet de prouver la nouveauté en vertu du paragraphe 39(2) irait à l’encontre des principes fondamentaux du droit des brevets.

     

    • [163] En résumé, le terme « nouvelle » est très relatif et sa définition dépend du contexte dans lequel on l’emploie. Dans le contexte du paragraphe 39(2) de la Loi, on entend par une « substance nouvelle » une substance qui n’était pas connue auparavant.

     

    • [164] En ce qui concerne le brevet 380, il faut se demander si les composés I à IV étaient déjà connus ou s’ils sont simplement des produits « anciens ». Autrement dit, même si la lovastatine produite par la levure de riz rouge ou par le brevet Endo n’établit pas l’antériorité, peut‑on dire qu’elle était suffisamment « connue » et ainsi réussir à miner le « caractère nouveau » de la substance dans le brevet 380? La réponse à ces questions se trouve dans l’interprétation des revendications.

     

    • [165] La revendication 1 du brevet 380 indique clairement qu’il s’agit d’un [traduction] « procédé de fabrication des composés des formules structurales [composés I à IV] ». Même si les parties reconnaissent que le composé I, la lovastatine, est identique à la structure présentée dans le brevet 794 de M. Endo, la revendication 1 ne comprend pas uniquement le composé I, mais aussi les composés II, III et IV.Les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve selon lequel M. Endo était au fait des composés II, III et IV ou qu’il les utilisait.Qui plus est, il n’a pas été prouvé que la lovastatine produite par la levure de riz rouge contient les composés II, III et IV.

     

    • [166] Par conséquent, je suis d’accord avec l’argument avancé par Merck selon lequel la combinaison des substances produites (composés I à IV) est nouvelle. Rien ne prouve que le brevet Endo ou que la fermentation de levure de riz rouge traditionnelle produirait une telle combinaison.

     

    • [167] Vu ce qui précède, je conclus que le paragraphe 39(2) entre en jeu.

     

    • [168] Cela donne lieu à la question suivante : Si le paragraphe 39(2) s’applique, comment doit‑on interpréter l’expression « en l’absence de preuve contraire »? Veut‑on dire que c’est Apotex qui a le fardeau de la preuve et qu’une fois qu’elle s’est acquittée de ce fardeau, c’est aux demanderesses que la charge de persuasion incombe afin d’établir qu’il y a eu contrefaçon?Ou veut‑on dire que la charge de persuasion est établie et qu’Apotex doit réfuter la contrefaçon?

     

    • [169] Merck fait valoir que le paragraphe 39(2) exige que c’est Apotex qui a la charge de persuasion afin de prouver qu’il n’y a pas eu contrefaçon. Cette thèse est étayée par le libellé de la disposition – la contrefaçon est présumée « en l’absence de preuve contraire ».Selon Merck, cela diffère de la présomption de validité, dont la formulation est plutôt faible et indique à peine « en l’absence de preuve contraire ».Merck se fonde sur Apotex Inc. c Tanabe (1994), 59 C.P.R. (3 d) 38, au paragraphe 92, [1994] O.J. No. 2613 (QL) (Div.gén.Ont.) [Apotex c Tanabe avec renvois au C.P.R.] afin d’interpréter le libellé du paragraphe 39(2), qui crée un fardeau qui [traduction] « ne constitue pas une simple obligation de présenter des éléments de preuve du contraire ». La « preuve contraire » impose plutôt [traduction] « un fardeau beaucoup plus lourd que le simple fait de présenter des éléments de preuve contraire » (Apotex c Tanabe, précité, au paragraphe 92). Merck conclut donc que le paragraphe 39(2) est une disposition qui rend la contrefaçon réputée plutôt que présumée.Par conséquent, selon Merck, c’est Apotex qui a la charge de persuasion afin de prouver qu’il n’y a pas eu contrefaçon.Je ne suis pas d’accord.

     

    • [170] Le paragraphe 39(2) de la Loi crée une présomption de contrefaçon qui confère à Apotex le fardeau de la preuve afin de réfuter la contrefaçon. L’argument de Merck selon lequel le paragraphe 39(2) rend la contrefaçon présumée et impose le fardeau de la preuve à Apotex n’est aucunement soutenu.

     

    • [171] Dans l’ouvrage Hughes & Woodley on Patents, 2éd., édition à feuilles mobiles (Markham (Ontario), LexisNexis Canada, 2005) on indique au paragraphe 45 que le paragraphe 39(2) crée une présomption de contrefaçon :

    [traduction]

    Cette disposition crée une présomption de contrefaçon, mais seulement dans le cas où le demandeur s’est acquitté d’un fardeau de la preuve minimale et a établi que les substances en question sont « nouvelles » et identiques. Ces dispositions peuvent cependant permettre à la Cour de faire une interprétation plus large des revendications plutôt qu’une simple interprétation téléologique. Il faut la comparer avec l’article 45 de la Loi sur les brevets, qui prévoit une présomption de validité en l’absence de « preuve » contraire. Le fait de spéculer sur d’autres procédés qui auraient pu être utilisés pour produire le produit ne constitue pas une preuve contraire requise. [Non souligné dans l’original; voir aussi Eli Lilly and Co. c Nu-Pharm Inc., précité.]

     

    • [172] Dans ce texte, on mentionne que la présomption de contrefaçon est plus forte que la présomption de validité (qui peut être réfutée par des éléments de preuve). La décision du juge Campbelle dans Apotex c Tanabe (précité, au paragraphe 92) le soutient. 92). Le juge Campbelle a conclu que, dans le libellé anglais, l’expression « proof to the contrary » exige une norme plus élevée que « evidence to the contrary »; il ne va toutefois pas jusqu’à dire que « proof to the contrary » correspond à une charge de persuasion afin de prouver un fait selon la prépondérance des probabilités.Par conséquent, après comparaison des présomptions de validité et de contrefaçon, la seule différence réside dans le degré du fardeau plutôt que dans sa nature.

     

    • [173] Le juge Gibson, dans Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1349, 260 F.T.R. 276, au paragraphe 101 [Abbott Laboratories], s’est penché sur les mots « en l’absence de preuve contraire » au paragraphe 6(6) du Règlement :

    (6) Aux fins de la demande visée au paragraphe (1), dans le cas où la seconde personne a fait une allégation aux termes des sous-alinéas 5(1)b)(iv) ou 5(2)b)(iv) à l’égard d’un brevet et que ce brevet a été accordé pour l’ingrédient médicinal préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués dans le brevet ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, la drogue qu’elle projette de produire est, en l’absence d’une preuve contraire, réputée préparée ou produite selon ces modes ou procédés. [Non souligné dans l’original.]

     

    • [174] Selon le juge Gibson, cette disposition porte sur les revendications de produit par le procédé et crée par le fait même une présomption de contrefaçon du brevet. Malgré les termes forts « en l’absence de preuve contraire », le juge Gibson a clairement indiqué que la charge de persuasion n’était pas transférée (Abbott Laboratories, précité au paragraphe 101).

     

    • [175] La Cour suprême du Canada, Circle Film Enterprises Inc. c Canadian Broadcasting Corp., [1959] R.C.S. 602, à la page 604, 31 C.P.R. 57 [Circle Film avec renvois au R.C.S.], s’est penchée sur des termes semblables utilisés à l’alinéa 20(3)b) de la Loi sur le droit d’auteur, R.S.C. 1927, ch. 532 : « L’auteur est, jusqu’à preuve du contraire, réputé être le titulaire du ce droit d’auteur ». En cherchant à définir les termes utilisés à l’alinéa 20(3)b), le juge Judson a indiqué ce qui suit (Circle Film, précité, à la page 606) :

    Je crois comprendre qu’une présomption de ce genre fonctionne de la façon indiquée dans l’ouvrage Wigmore on Evidence, 3e éd., au paragraphe 2491(2) :

     

    Il faut se rappeler que l’effet particulier de la présomption « de droit » (c’est‑à‑dire la véritable présomption) est simplement d’invoquer une règle de droit qui oblige le jury à tirer la conclusion en l’absence de preuve contraire de la partie adverse. Si cette dernière soumet effectivement une preuve contraire (suffisante pour satisfaire à la preuve exigée par le juge), la présomption disparaît comme règle de droit, et l’affaire est entre les mains du jury libre de toute règle. [Italiques dans l’original.] [Non souligné dans l’original.]

     

    • [176] En résumé, je conclus que la phrase « en l’absence de preuve contraire » au paragraphe 39(2) correspond à un fardeau de la preuve afin de réfuter la présomption de contrefaçon.

     

    • [177] Cette conclusion soulève un certain nombre de questions : qu’entend‑on par fardeau de la preuve? En outre, que doivent prouver les défenderesses en l’espèce afin de s’acquitter de leur fardeau de la preuve et de réfuter la présomption de contrefaçon?

     

    • [178] En ce qui concerne la définition du fardeau de la preuve, la Cour d’appel fédérale, dans Hoffmann-La Roche Ltd. c Canada (Minister of Health and Welfare) (1996), 70 C.P.R. (3 d) 206, au paragraphe 8, 205 N.R. 331 [Hoffmann-La Roche avec renvois au C.P.R.] a indiqué ce qui suit :

    […] le « fardeau de la persuasion », oblige le poursuivant à prouver sa cause selon la norme de preuve en matière civile. En revanche, le « fardeau de présentation de la preuve » désigne l’obligation de soulever une question et signifie que la partie doit s’assurer qu’il y a au dossier suffisamment d’éléments de preuve de l’existence ou de l’inexistence d’un fait ou d’une question pour satisfaire au critère préliminaire au sujet de ce fait ou de cette question. Nu-Pharm, précité, le juge Stone, à la page 33. [Non souligné dans l’original.]

     

    • [179] Selon la Cour suprême du Canada dans R. c Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, au paragraphe 11 [Fontaine], la « charge de présentation » n’est pas la charge de la preuve. Il s’agit d’une question juridique qui doit être laissée au juge des faits afin de déterminer « s’il existe une preuve permettant à un jury ayant reçu les directives appropriées de trancher raisonnablement la question » (Fontaine, précité, au paragraphe 12). En répondant à cette question, « le juge n’évalue pas la qualité de la preuve, ni sa valeur probante ou sa fiabilité » (Fontaine, précité, au paragraphe 12).

     

    • [180] Le juge Wetston, dans Pharmacia Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social)(1995), 60 C.P.R. (3 d) 328, au paragraphe 28, 92 F.T.R. 253 (F.C.T.D.) [Pharmacia avec renvois au C.P.R.], a conclu que la présomption de contrefaçon est renforcée par la présomption de common law. Selon Pharmacia, la présomption de common law se définit ainsi (précité, au paragraphe 20) :

    […] toute partie doit produire la preuve relative à une allégation dont elle est le mieux placée pour connaître l’objet. [traduction]

    En l’espèce, les demandeurs soutiennent que seul le défendeur connaît la composition et le procédé précis à utiliser pour fabriquer leur produit.

     

    • [181] La Cour d’appel fédérale, dans Hoffmann-La Roche, établit le critère pour établir la présomption de common law : a) la défenderesse n’a invoqué aucun fait à l’appui de son allégation de non‑contrefaçon; b) la défenderesse est pertinemment au courant des éléments de preuve concernant cette absence de contrefaçon; et c) la demanderesse n’a à sa portée aucun autre moyen de prendre connaissance de ces éléments de preuve (précité, au paragraphe 8).

     

    • [182] Si l’on réunit les principes de la charge de présentation, de la présomption de common law et le paragraphe 39(2), je conclus qu’il incombe à Apotex de montrer qu’elle a recouru à un procédé non‑contrefait pour créer de la lovastatine et qu’elle avait divulgué ce processus à Merck. La Cour ne devrait pas pour l’instant évaluer la qualité de la preuve, ou sa valeur probante ou sa fiabilité; elle doit simplement se demande s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour mettre la question sur le tapis.

     

    • [183] Je conclus qu’Apotex, en divulguant le procédé AFI‑4 (la fermentation de Coniothyrium fuckelii afin de produire de la lovastatine), s’est acquittée de sa charge de présentation afin de réfuter la présomption prévue au paragraphe 39(2). Merck a accepté que le procédé AFI‑4 non‑contrefait a été utilisé à l’usine d’AFI à Winnipeg afin de produire de la lovastatine (sauf pour le lot CR0157). Étant donné qu’Apotex s’est acquittée de sa charge de présentation, la présomption de contrefaçon a été réfutée.Comme l’a affirmé Wigmore, « […] la présomption disparaît comme règle de droit, et l’affaire est entre les mains du jury libre de toute règle » (Circle Film, précité, à la page 606).La charge de persuasion est donc renvoyée à Merck.

     

    • [184] Pour la procédure sommaire, voici le fardeau qu’impose le paragraphe 39(2) de la Loi :

     

    • a) Merck doit s’acquitter de sa charge de présentation afin de prouver que sa substance est « nouvelle » afin de faire entrer en jeu le paragraphe 39(2);

    • b) Apotex doit ensuite s’acquitter de sa charge de présentation afin de prouver qu’un procédé de rechange existait afin de créer de la lovastatine qui ne contrefait pas le brevet 380 – si elle parvient à le faire, la présomption de droit disparaît;

     

    • c) enfin, Merck doit s’acquitter de sa charge de présentation afin de prouver qu’il y a eu contrefaçon.

     

    • [185] Eu égard aux faits de l’espèce, je suis convaincue que le brevet 380 porte sur une « substance nouvelle », ce qui fait donc entrer en jeu le paragraphe 39(2).Apotex a établi qu’il existe une solution de rechange viable, qui ne contrefait pas le brevet 380.Par conséquent, Merck doit s’acquitter de sa charge de présentation afin de me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu’Apotex a vendue de la lovastatine, fabriquée par la lovastatine de Blue Treasure ou à même le lot CR0157, créée au moyen d’un procédé qui contrefaisait le brevet 380.

     

    • [186] Je vais maintenant déterminer si Merck s’est acquittée de sa charge. Je suis d’avis qu’elle s’en est acquittée, en ce qui concerne une certaine partie de la lovastatine fabriquée par Blue Treasure et de la lovastatine provenant du lot CR0157 d’AFI.

     

    C.  Sommaire des arguments avancés par Merck sur la contrefaçon

     

    • [187] Comme il est indiqué ci‑dessus, Merck affirme que le brevet 380 a été contrefait dans trois scénarios différents :

     

    1. contrefaçon, d’avril 1997 à mars 1998, par la fabrication, par Blue Treasure de quantité de lovastatine contrefaite expédiée à AFI, alors que Blue Treasure « assaisonnait » prétendument les envois de lovastatine avec de la lovastatine contrefaite fabriquée avec Aspergillus terreus;

     

    1. contrefaçon, à partir de mars 1998, lorsque Blue Treasure envoyait prétendument de la lovastatine fabriquée avec Aspergillus terreus;

     

    1. contrefaçon par la fabrication (pendant la phase 1 de la production, décrite ci‑dessus), par AFI, à Winnipeg, de quantités de lovastatine incluses dans le lot CR0157.

     

    • [188] Je me pencherai sur chacun de ces scénarios individuellement.

    VII.  La contrefaçon – la preuve circonstancielle

    A.  « Assaisonnement par Blue Treasure »

     

    • [189] Merck affirme que Blue Treasure « assaisonnait » ses envois antérieurs de lovastatine avec de la lovastatine AFI‑1 contrefaite. En termes simples, Merck soutient que Blue Treasure « diluait » sa lovastatine AFI‑4 avec de la lovastatine AFI‑1, ce qui signifie que chacune des expéditions de lovastatine à AFI contrevenait donc au brevet 380.

     

    • [190] Le 18 mars 2010, Merck a reçu une copie d’un courriel daté du 8 septembre 1997, soi‑disant de M. Jerry Su à l’intention de ses « gestionnaires » à AFI.Dans ce courriel, M. Su a écrit que [traduction] « avant l’échange, [Blue Treasure] […] produisait 296,6 kg du produit no 1 ».Ces 296,9 kg de produit constituent le fondement de l’argument d’assaisonnement avancé par Merck.Les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve sur la façon dont cette quantité de lovastatine AFI‑1 a été vendue ou éliminée.

     

    • [191] Le manquement de Blue Treasure à fournir des explications sur cette quantité de lovastatine AFI 1 mène‑t‑il à une conclusion, selon la prépondérance des probabilités, que cette lovastatine a finalement été expédiée au Canada en tant que mélange « assaisonné » de lovastatine AFI‑4 non‑contrefaite?

     

    • [192] Merck soutient qu’en l’absence de preuve sur l’emplacement des 296,6 kg, il est raisonnable de conclure que cette quantité de lovastatine AFI‑1 a été utilisée en totalité ou en partie afin d’« assaisonner » la lovastatine AFI‑4. En assaisonnant les expéditions de lovastatine à destination de Winnipeg, Merck affirme que Blue Treasure est parvenue à vendre la lovastatine fabriquée à bas coût alors que le paiement était établi, au kilogramme, selon la lovastatine AFI‑4 plus dispendieuse.Blue Treasure était donc en mesure de se débarrasser de son inventaire vieillissant de lovastatine contrefaite qui ne pouvait être offerte sur le marché national chinois.Selon Merck, s’il était possible de fournir une explication légitime à l’élimination par Blue Treasure, de la lovastatine contrefaite, AFI l’aurait fournie; aucune n’a été présentée.

     

    • [193] Outre le manquement des défenderesses de fournir des renseignements suffisants sur l’élimination de 296,6 kg de lovastatine AFI‑1, Merck renvoie à deux autres facteurs clés qui, selon elle, soutiennent l’allégation d’« assaisonnement ». Le premier point est la preuve qui montre la difficulté qu’éprouvait Blue Treasure à vendre la lovastatine sur le marché chinois ou un autre marché étranger afin de réaliser un profit raisonnable.(Cet élément de preuve est abordé de façon détaillée dans la section de ces motifs qui porte sur la « motivation ».)

     

    • [194] Merck renvoie aussi à l’inquiétude d’AFI à l’égard des niveaux inhabituellement bas de RC‑14 dans les deux premières expéditions de lovastatine de Blue Treasure. Merck soutient qu’AFI était tant préoccupée par la possibilité d’une « adultération » que M. Su a été envoyé à Blue Treasure afin de faire enquête et de superviser les productions de lovastatine par cette dernière.M. Su n’a jamais déterminé la raisonaux niveaux inhabituellement bas de RC‑14 dans les expéditions de lovastatine AFI‑4.Merck semble soutenir que le faible niveau de RC‑14 s’expliquait si l’envoi fait à AFI comportait en fait un mélange de lovastatine AFI‑1 et AFI‑4.

     

    • [195] Dans une lettre datée du 11 août 1997, M. Cox a informé M. Zhou de ce qui suit :

    [traduction]

    J’ai appris avec une grande déception que deux de nos trois lots de lovastatine fabriquée au moyen du nouveau procédé d’AFI avaient échoué à notre contrôle de la qualité, en partie parce que vos employés avaient modifié unilatéralement notre procédé.

     

    • [196] Ce sont les bas niveaux d’un composé connu sous le nom de RC‑14 qui posaient le problème le plus inquiétant avec les lots de lovastatine. Dans une lettre envoyée par M. Alexander (Sandy) Fowler (gestionnaire des finances à AFI) à M. Zhou datée du 12 septembre 1997, M. Fowler décrit ainsi ce « casse‑tête » :

    [traduction]

    Nos scientifiques sont très préoccupées par les bas niveaux de RC14 dans certains des lots produits à Blue Treasure. À [AFI], nous n’avons jamais produit de lovastatine AFI‑4 dont le niveau de RC14 était aussi bas. En fait, selon notre expérience, le « signe distinctif » de la lovastatine AFI‑4 est son niveau plus élevé de RC14.

     

    • [197] Les faibles niveaux de RC‑14 sont un trait de la lovastatine AFI‑1. Ainsi, il est donc évident que la véritable préoccupation était de savoir si la lovastatine AFI‑4 était produite au moyen de la lovastatine AFI‑1 ou si elle était contaminée d’une façon quelconque par la souche Aspergillus terreus. Pendant son témoignage oral, M. Cox a témoigné de façon très directe sur le manque de confiance entre AFI et Blue Treasure.AFI a décidé d’envoyer M. Jerry Su, Ph. D., à Blue Treasure afin de collaborer avec l’équipe de gestion (voir la lettre datée du 18 août 1997 de M. Cox à M. Cox à M. Zhou).

     

    • [198] M. Jerry Su, Ph. D., a été chef du groupe de la recherche et du développement à AFI de septembre 1996 à décembre 1998. M. Su est arrivé en Chine le 28 août 1997 et y est resté jusqu’à la fin du mois d’octobre 1997. Comme il l’a indiqué dans son [traduction] « Rapport sur les travaux menés à Blue Treasure » daté du 13 novembre 1997, il avait comme tâche principale de veiller à ce que Blue Treasure empêche la contamination de toutes les fermentations par la souche Aspergillus terreus.Il a fait enquête sur les faibles niveaux de RC‑14; cependant, même après son séjour en Chine et son examen d’un certain nombre de raisons possible, la cause des faibles niveaux de RC‑14 dans deux lots demeurait une énigme.M. Su semblait néanmoins convaincu que les cycles menés pendant qu’il se trouvait à Blue Treasure satisferaient aux normes de contrôle de la qualité d’AFI.

     

    • [199] Merck soutient qu’ensemble, tous ces éléments de preuve sont conformes à une conclusion selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, Blue Treasure mélangeait de la lovastatine AFI‑1 contrefaite à la lovastatine AFI‑4 que Blue Treasure expédiait à AFI.

     

    • [200] En ce qui concerne la question de savoir s’il était possible, du point de vue technique, d’assaisonner un produit, Merck s’appuie sur la déclaration de M. Cox, qui a indiqué dans son témoignage qu’il était très facile de faire de l’assaisonnement :

    [traduction]

    Q.  Vous compreniez, à ce moment, docteur, qu’il était possible de mélanger de la lovastatine fabriquée selon un procédé avec de la lovastatine fabriquée au moyen d’un autre processus; compreniez‑vous que cela était faisable, sur le plan technique?

     

    R.  C’est très simple. Il suffit de les réunir et de les mélanger.

     

    • [201] Je suis d’accord avec Merck quand elle affirme que les défenderesses – particulièrement AFI – ont fait obstacle à la découverte de faits pertinents liés à la quantité de lovastatine AFI‑1 que Blue Treasure avait produite et vendue réellement. Lorsque le courriel de M. Su a été révélé, le 18 mars 2010, Merck a demandé d’avoir la possibilité d’effectuer un interrogatoire préalable additionnel de M. Fowler, ce qui lui a été accordé sur consentement.M. Fowler était directeur administratif et financier d’AFI depuis 1996.AFI a refusé de présenter une confirmation de la quantité de 296,6 kg (engagement no 2319).Dans l’engagement no 2320, on a aussi demandé ce qui suit à AFI en ce qui concerne le produit de 296,6 kg :

    [traduction]

    Fournir tous les renseignements sur le moment où il a été fabriqué, ce qui en a été fait, à qui il a été vendu, le prix auquel il a été vendu et les avantages financiers tirés par AFI et Apotex.

     

    • [202] On a refusé de fournir tous ces renseignements. Même si Apotex renvoie à certains éléments de preuve au dossier qui permettent de conclure que la lovastatine AFI‑1 a été vendue de façon légitime, ces renseignements sont tout sauf complets ou clairs.

     

    • [203] Malgré mes graves préoccupations sur le refus ou l’incapacité des défenderesses de présenter des éléments de preuve sur le produit allégué de 296,6 kg, j’ai des réserves en ce qui concerne l’argument avancé par Merck sur ce point.

     

    • [204] Ma première préoccupation réside dans le fait que je ne dispose que de très peu d’éléments de preuve sur la production de 296,6 kg de lovastatine AFI‑1 par Blue Treasure. Dans le courriel de M. Su, on renvoie au fait que [traduction] « avant l’échange, [Blue Treasure] […]avait produit 296,6 kg du produit no 1 ».La provenance de ce chiffre n’est aucunement indiquée dans le courriel.Contrairement à l’affirmation de Merck, le courriel ne « prouve » pas l’existence de 296,6 kg de lovastatine contrefaite.

     

    • [205] Le deuxième problème réside dans le fait qu’aucun élément de preuve ne m’a été fourni, outre la déclaration énigmatique de M. Cox, sur la façon dont l’assaisonnement pouvait être effectué.Aucun expert n’a parlé de cette pratique.Comme l’avocat d’Apotex l’a indiqué dans son dernier argument :

    [traduction]

    […] aucun élément de preuve n’a été présenté sur la façon dont vous avez réuni le matériel AFI‑1 et le matériel AF‑4, sur la question de savoir si l’apparence et la composition de la lovastatine de qualité technique, en ce qui concerne sa couleur, ses attributs physiques et sa cristallinité, si tous ces éléments étaient comparables.

     

    • [206] En outre, personne ne m’a confirmé que l’assaisonnement pouvait expliquer les faibles niveaux de RC‑14. Merck aurait pu poser cette question à un certain nombre de témoins, ce qu’elle n’a pas fait.La discussion qui s’en approche le plus dans le dossier est survenue pendant le contre‑interrogatoire de M. Fowler.M. Fowler a fait l’objet d’un long interrogatoire sur la raison pour laquelle M. Su avait été envoyé en Chine.En particulier, on a présenté l’inquiétude quant au fait que Blue Treasure avait échangé les organismes à M. Fowler. Dans sa réponse, il a renvoyé vaguement à la possibilité de [traduction] « contamination ou de mélange de produit ».

    [traduction]

    La préoccupation, de mon point de vue, résidait dans le fait qu’il ne devait y avoir aucun mélange et aucune erreur donnant lieu à une contamination ou à un mélange du produit, par exemple. Il est évident que tous croyaient en la possibilité qu’un certain mélange ait eu lieu et c’est pourquoi nous voulions en avoir le cœur net.

     

    Cette déclaration ne suffit certainement pas à me convaincre qu’AFI croyait que Blue Treasure faisait de l’« assaisonnement ».

     

    • [207] Je conclus qu’il est possible que Blue Treasure ait utilisé une certaine quantité des 296,6 kg allégués de lovastatine AFI 1 afin d’« assaisonner » la lovastatine AFI‑4 expédiée à AFI. Toutefois, les éléments de preuve dont je suis saisie ne suffisent pas à montrer comment il aurait été possible de le faire d’un point de vue technique.En outre, je ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel AFI croyait que l’« assaisonnement » aurait pu expliquer les faibles niveaux de RC‑14.

     

    • [208] En résumé, Merck n’a pas réussi à me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que des quantités quelconques de lovastatine ont été assaisonnées avec de la lovastatine contrefaite.

     

    B.  Contrefaçon par Blue Treasure à partir de mars 1998

     

    • [209] Selon ma compréhension de l’argument avancé par Merck sur la contrefaçon après mars 1998, voici les principales raisons qui devraient me porter à conclure que la lovastatine fabriquée par Blue Treasure et vendue à AFI aux fins de vente au Canada était produite au moyen d’un procédé qui contrefaisait le brevet 380 :

     

    • Les dossiers de lot (auxquels il est renvoyé ci‑dessous) produits par Blue Treasure pour montrer l’utilisation du processus AFI‑4 non‑contrefait pour produire la lovastatine ne sont pas authentiques.

     

    • Les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve selon lequel Blue Treasure avait acquis des quantités suffisantes d’un composé connu sous le nom de P2000 avec lequel effectuer des fermentations au moyen du micro‑organisme Coniothyrium fuckelii.

     

    • La réduction de la durée de la fermentation à compter de mars 1998 ne s’explique que par le recours au processus contrefait.

     

    • L’augmentation des quantités de titres à compter de mars 1998 ne s’explique que par le recours au processus contrefait.

     

    • Blue Treasure avait la motivation, les moyens et l’occasion de produire de la lovastatine au moyen du processus contrefait AFI‑1, moins dispendieux et plus efficient.

     

    • La conduite de Blue Treasure avant et pendant la présente instance est conforme à une contrefaçon.

     

    • [210] Outre les raisons susmentionnées – dont la plupart comprennent des éléments de preuve circonstanciels – Merck affirme posséder une preuve directe de contrefaçon en la preuve génétique présentée par Julian Davies, Ph. D.

     

    (1)   Dossiers de lot

     

    • [211] Selon la pratique standard dans l’industrie pharmaceutique, il faut tenir des dossiers détaillés et exacts sur toutes les étapes de la production de produits pharmaceutiques. Dans la présente instance, les défenderesses ont présenté 364 documents, qui sont de véritables copies des dossiers de lots de 364 lots de fermentation de lovastatine fabriquée à Blue Treasure (les dossiers de lot).Il ne fait aucun doute que, si l’on peut croire les dossiers de lot (qui sont tous présentés à la pièce 149, ils constituent une preuve directe que Blue Treasure utilisait le procédé AFI‑4 non‑contrefait, et pas un procédé utilisant Aspergillus terreus.La question est toutefois de savoir si je peux croire que les dossiers de lot sont fiables, voire véridiques, en ce qui concerne certains aspects importants.Je ne peux tout simplement pas.

     

    • [212] Le premier problème avec les dossiers de lot réside dans le fait qu’ils ne sont pas les dossiers de travail originaux qui proviennent des lots. Les dossiers de lot originaux, ainsi que tout document et document de travail connexe, ont été détruits en 2003. La Cour ne dispose que de photocopies des dossiers de lots originaux allégués.

     

    • [213] Les dossiers de lot ont été produits en preuve par Mme Quifen Hu. Mme Hu est directrice du département de culture bactérienne à Blue Treasure depuis 1995. De 1991 à 1994, elle était directrice du département des produits intermédiaires à North River (Chine). Depuis 1995, Mme Hu a principalement été responsable du maintien de la banque de semences à Blue Treasure et de l’amorce du procédé de fermentation pour la production de lovastatine.

     

    • [214] Chacun des 364 dossiers de lot a le même format; chacun semble être un formulaire préimprimé où des données et d’autres entrées sont écrites à la main. Selon ces documents, des fermentations ont commencé le 27 mai 1997 avec le lot no CF‑403‑97001 et se sont poursuivies jusqu’à la fermentation du lot no CF‑410‑99166, qui a commencé le 29 septembre 1999.

     

    • [215] Les parties 1.1 et 1.2 de ces formulaires se nomment [traduction] « Registre de production de fermentation de lovastatine ». La liste d’ingrédients du milieu est imprimée sur le formulaire et les quantités utilisées sont écrites à la main dans l’espace prévu à cette fin.Les renseignements sur le rajustement du pH et les étapes menant à l’inoculation des semoirs circulaires sont documentés.La dernière étape décrite est la culture d’un second semoir circulaire.

     

    • [216] Aux parties 2 à 14 de chaque dossier de lot, on présente la mise à l’échelle de la fermentation, de la dernière étape décrite à la partie 1.2 à la partie 13, qui se nomme [traduction] « fermenteur de production », où le produit final est fermenté. Des fermenteurs de plus en plus gros sont préparés en cours de route, puis inoculés avec le milieu de semence créé à l’étape précédente.

     

    • [217] Le micro‑organisme d’amorce ou de semence est uniquement décrit aux parties 1.1 et 1.2. Le no de lot, qui commence par les lettres « CF », est indiqué sur la page couverture de chaque dossier de lot et sur la plupart des pages. On présume que cela signifie que le cycle en particulier est effectué avec Coniothyrium fuckelii.En outre, sur chacun des 364 dossiers de lot, une entrée préimprimée indique que la souche de production est « Coniothyrium fuckelii AFI-4 85-42 ».Aucune souche n’est indiquée pour les parties 2 à 14.

     

    • [218] Mme Hu était responsable de superviser le processus jusqu’à la fin de la partie 1.2. Par la suite, les étapes de production relevaient de la responsabilité du département de production de la fermentation, où M. Dingjun Luo (dont on renvoie au témoignage plus tard dans les présents motifs) travaillait.

     

    • [219] En ce qui concerne les dossiers de lot, faisons d’abord remarquer qu’ils ne sont pas admissibles en tant que pièces commerciales pour la véracité de leur contenu en tant qu’exception à la règle de preuve du ouï‑dire.

     

    • [220] Depuis Ares c Venner, [1970] R.C.S. 608, à la page 363, 12 C.R.N.S. 349, la common law au Canada a reconnu que certains dossiers :

    […] rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent.

     

    • [221] La common law a été codifiée au paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada, R.S.C. 1985, ch. C‑5 :

    Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce

     

    Where oral evidence in respect of a matter would be admissible in a legal proceeding, a record made in the usual and ordinary course of business that contains information in respect of that matter is admissible in evidence under this section in the legal proceeding on production of the record.

     

    • [222] Le dossier de preuve sur les dossiers de lot est, pour être franc, un bordel. Je peux toutefois affirmer avec certitude que les dossiers de lot présentés à la pièce 149 n’ont pas été rédigés au jour le jour en lien avec les fermentations auxquelles ils sont apparemment liés.Je n’ai qu’à comparer ces dossiers de lot à ceux produits dans le cadre des cycles de production à AFI.Les dossiers d’AFI contiennent de nombreuses corrections et suppressions.Selon les styles d’écriture, il est évident qu’un certain nombre de personnes ont rempli les documents à diverses étapes de chaque fermentation.En comparaison, les dossiers de lots ne contiennent aucune biffure et aucune correction; ils sont « immaculés », comme l’a indiqué l’avocat de Merck.Cela serait inédit dans n’importe quelle installation de production.

     

    • [223] D’après ce que je comprends, AFI a reconnu, tard dans l’instruction, que le personnel de Blue Treasure avait rempli des feuilles de travail en chinois seulement dans l’usine et que les données ainsi collectées avaient ensuite été transposées dans des dossiers de lot bilingues. D’autres éléments de preuve, fournis dans le cadre d’un engagement, indiquent que M. Luo a confirmé que des feuilles unilingues [traduction] « existaient bel et bien et que les renseignements tirés de ces feuilles […]ont été transférés dans le dossier de lot bilingue ».

    • [224] S’il ne s’agit pas de pièces commerciales, il faut donc se demander quelle importance, s’il y a lieu, doit‑on accorder aux dossiers de lot?

     

    • [225] Trois témoins ont livré un témoignage sur les dossiers de lot – M. Dingjun Luo, Mme Hu et M. Jerry Su.

     

    • [226] C’est M. Jerry Su qui a présenté la meilleure preuve sur la façon dont les dossiers de lot ont été créés et l’identité de ceux qui les ont créés. Jerry Su.Comme on l’a mentionné plus tôt, de septembre 1996 à décembre 1998, M. Su était chef du groupe de la recherche et du développement à AFI. Il n’a pas travaillé à AFI depuis.M. Su était très ferme dans ses souvenirs, puisqu’il a passé de longues heures à l’usine de Blue Treasure à observer les activités quotidiennes et à prendre des notes.Les éléments qui suivent sont tirés du témoignage de M. Su :

     

    • Blue Treasure maintenait deux ensembles de dossiers de lot. Il n’y avait aucune [traduction] « feuille de travail bilingue » pour une partie du processus, seulement des dossiers de lot rédigés en chinois, que M. Su appelait le [traduction] « premier ensemble » de dossiers de lot.Ils étaient utilisés à l’usine et les entrées y étaient faites par des opérateurs.

     

    • Le premier ensemble de dossiers de lot était collecté et les données qui y étaient indiquées étaient copiées à la main dans un [traduction] « second ensemble » de dossiers de lot bilingues.

     

    • M. Su s’est assis à côté de la personne responsable de copier les dossiers de lot et l’a observée, sans voir si les renseignements étaient copiés de façon exacte.

     

    • La personne qui copiait les données dans le second ensemble de dossiers de lot (apparemment les originaux de ceux présentés à la Cour) était M. Luo, directeur du département de production et de technologie.

     

    • M. Su ne se souvenait pas d’avoir vu Mme Hu signer l’un des dossiers de lot.

     

    • [227] Je n’ai aucune raison de ne pas croire M. Su et, lorsque les témoignages de Mme Hu ou de M. Luo le contredisent, je préfère le témoignage de M. Su.À l’heure actuelle, M. Su n’a aucun lien avec AFI ou Blue Treasure et aucun motif de rendre un faux témoignage.Son explication du transfert de données à partir des documents de travail originaux est logique et conforme au format des dossiers de lot qui forment la pièce 149.

     

    • [228] AFI a présenté le témoignage de M. Luo pour tenter de valider que les dossiers de lot sont des documents fiables. M. Luo occupe actuellement le poste de directeur général adjoint à Blue Treasure.Il s’est joint à Blue Treasure en tant que technicien en 1995. En 1996, il a indiqué qu’il occupait le poste de chef de la production et de la technologie à Blue Treasure.

     

    • [229] M. Luo a été un témoin très difficile. L’avocat d’AFI a reconnu, dans son dernier argument oral, que le témoignage de M. Luo était problématique.Comme le dossier de preuve lié aux articles de journaux chinois le montre (voir le paragraphe322 des présents motifs), M. Luo était prêt à rendre un faux témoignage dans la mesure où cela servait ses fins.Son témoignage était rempli de trous de mémoire à propos de points qu’il aurait dû connaître.Malgré le poste de direction qu’il occupait à Blue Treasure, il affirmait ne pas être au courant de tout ce qui ne relevait pas directement de sa supervision.Son témoignage sur les dossiers de lot était particulièrement problématique.

     

    • [230] Quand on l’a contre‑interrogé sur la question du second ensemble de dossiers de lot, M. Luo était catégorique :

    [traduction]

    Q.  Merci, monsieur. Avez‑vous dit aux avocats qu’il existait une feuille de travail unilingue en chinois à partir de laquelle des données étaient copiées dans un deuxième ensemble de dossiers de lot?

     

    R.  Il n’y a rien de tel qu’un premier et un deuxième ensemble de dossiers.

     

    Q.  Avez‑vous dit aux avocats qu’une feuille de travail unilingue contenant les paramètres indiqués dans une lettre du mois de février étaient préparée et que les données qui y étaient indiquées étaient copiées dans le deuxième ensemble de dossiers de lot présentés dans le cadre du litige? Avez‑vous dit cela aux avocats?

     

    R.  Non.

     

    • [231] Le problème réside dans le fait que M. Luo a fourni une explication différente et contradictoire à propos des dossiers de lot, consignée en tant que réponse à l’engagement no 6585 :

    [traduction]

    M. Luo a indiqué que c’était les opérateurs qui transféraient les renseignements des feuilles de travail unilingues vers les dossiers de lot bilingues anglais/chinois. Il vérifiait ensuite le dossier de lot bilingue afin de s’assurer qu’il était exact et qu’il contenait tous les renseignements.

     

    • [232] Comme le montrent ces exemples et d’autres parties du dossier, le témoignage de M. Luo sur les dossiers de lot n’est pas crédible.

     

    • [233] Mme Hu est un autre témoin qui a parlé des dossiers de lot. Apotex soutient que je devrais prêter foi au témoignage de Mme Hu.Il m’est difficile de le faire.

     

    • [234] Mme Hu a été un témoin évasif et difficile. Son témoignage sur les dossiers de lot portait tout autant à confusion que celui de M. Luo.Elle a refusé à maintes reprises de reconnaître des points dont elle aurait dû être au courant.Elle a été dirigée considérablement pendant son interrogatoire principal.En général, son témoignage en interrogatoire principal s’est résumé à une lecture des dossiers de lot.Les souvenirs de Mme Hu sur la fabrication de lovastatine avec Coniothyrium fuckelii de mai 1997 à octobre 1999 et son témoignage sur les dossiers de lot n’étaient pas uniformes et n’ont pas résisté en contre‑interrogatoire.

     

    • [235] Lorsqu’on lui a demandé d’examiner la page couverture du dossier de lot pour le premier cycle du procédé AFI‑4, Mme Hu a indiqué qu’elle avait signé l’original de ce dossier de lot le 26 mai 1997, soit la date indiquée dans le dossier. De même, elle a indiqué dans son témoignage qu’elle avait signé chacun des 364 dossiers de lot à la date à laquelle les diverses opérations avaient été menées.Elle s’est fondée vigoureusement et – selon moi – de façon illogique à son témoignage lorsqu’elle déclarait avoir elle‑même signé le dossier tous les jours. Mme Hu a aussi indiqué dans son témoignage qu’il n’y avait aucun dossier unilingue chinois et qu’elle n’avait jamais vu personne écrire des chiffres sur une feuille de travail distincte afin de les copier plus tard dans les dossiers de lot.Ce n’est évidemment pas ce que M. Su a dit à la Cour.Qui plus est, son témoignage selon lequel il n’y avait aucun document unilingue et aucun document de travail ne concorde pas avec l’aspect « immaculé » des dossiers de lot présentés à la pièce 149.

     

    • [236] Mme Hu aurait bien pu signer à tous les endroits appropriés aux parties 1.1 et 1.2 des dossiers de lot reconstitués. Elle aurait bien pu croire que les parties 1.1 et 1.2 des dossiers de lot représentaient avec exactitude ce qu’elle avait fait à cette étape des cycles de fermentation.Je conclus cependant qu’en fait, elle ne le faisait pas en même temps que les cycles de fermentation.Elle signait plutôt les pages après que M. Luo ait rempli les formulaires.Il est difficile de dire si Mme Hu, dont le témoignage a montré qu’elle ne comprenait pas l’anglais, arrivait même à lire ce qui était imprimé et écrit sur les formulaires sur les formulaires ou si elle a pris le temps de comparer les renseignements indiqués dans les dossiers opérationnels originaux aux titres et aux données indiqués aux parties 1.1 et 1.2 des dossiers de lot.Les dossiers originaux auraient pu aider à corroborer son témoignage; ils ont malheureusement été détruits.Tout particulièrement, le témoignage de Mme Hu n’établit pas avec fiabilité les cycles, s’il y a lieu, qui ont été faits au moyen du procédé AFI‑4, malgré l’utilisation de l’identificateur « Coniothyrium fuckelii AFI-4 85-42 » sur chacun des dossiers de lot.

     

    • [237] En somme, je ne suis pas convaincue que les dossiers de lot contiennent les données originales des 364 fermentations soi-disant effectuées par Blue Treasure; ce sont plutôt des transcriptions des originaux, que M. Luo a très probablement faites.

     

    • [238] La destruction des documents originaux, en janvier 2013, est également un sujet de préoccupation lié aux dossiers de lot. Le fait que les dossiers de lot originaux ont été détruits six ans après le début du présent litige par Blue Treasure, une coentreprise dont les défenderesses sont associées, soulève une grave préoccupation. Ont‑ils été détruits, comme l’affirme Merck, afin de cacher des éléments de preuve sur les méthodes de production réelles?

     

    • [239] Mme Hu a livré un témoignage incohérent et illogique sur la raison de la destruction des dossiers de lot originaux. Selon Mme Hu, c’est elle qui a autorisé la destruction des originaux.Elle a témoigné qu’elle l’avait fait conformément à une politique de bonnes pratiques de fabrication (BPF) chinoise (soi-disant intitulée [traduction] « Directive pour l’industrie – Q7A directive sur les bonnes pratiques de fabrication pour les ingrédients pharmaceutiques actifs »).Cependant, lorsqu’on l’a interrogée sur la politique, il était évident qu’elle ne la comprenait pas le moindrement.Mme Hu n’est pas arrivée à se souvenir clairement des détails liés à la destruction.Elle n’arrivait pas à se souvenir clairement de la dernière fois où elle avait signé une demande de destruction.Enfin, la copie de la politique de BPF présentée à la Cour serait entrée en vigueur en avril 2003 – soit trois mois après la destruction alléguée.On ne m’a présenté aucune explication raisonnable de la raison pour laquelle les dossiers originaux ont été détruits.

     

    • [240] Je conclus que les dossiers de lot originaux ont été détruits pour des raisons qui ne peuvent être établies, ce qui me laisse incapable de confirmer les renseignements qui y sont indiqués.

     

    • [241] Qui plus est, il est impossible de confirmer la façon dont les dossiers de lot ont été réellement préparés et le moment où ils l’ont été. M. Brian Lindblom, un expert reconnu par la Cour en examen judiciaire de documents, a présenté des opinions utiles sur cette question.M. Lindblom a examiné les dossiers de lot et, dans son rapport d’expert, il a présenté la liste suivante de tests pertinents qu’il aurait menés sur les documents originaux s’ils avaient été mis à sa disposition (rapport d’expert Lindblom, pièce 66, au paragraphe 19) :

    [traduction]

     

    • a) si le papier utilisé pour le dossier de lot original était réellement disponible au moment où les documents avaient apparemment été rédigés;

     

    • b) si toutes les encres utilisées pour le dossier de lot original étaient réellement disponibles au moment où les documents avaient apparemment été rédigés;

     

    • c) si l’encre se trouvait sur le document depuis le temps indiqué par la date du dossier de lot;

     

    • d) si une seule encre avait été utilisée pour un dossier de lot apparemment rédigé par de nombreuses personnes pendant de nombreux jours (où l’on s’attendrait à trouver plus d’un type d’encre);

     

    • e) si (et peut‑être à quel moment) des modifications avaient été apportées aux documents, ce qui pourrait sous‑entendre une certaine forme de falsification;

     

    • f) si les documents avaient effectivement été remplis dans l’ordre chronologique suggéré par l’échéancier indiqué dans les dossiers de lot (on peut le déterminer par l’examen des dispositions en retrait);

     

    • g) si plus d’une personne avait écrit à la main sur le dossier de lot (comme on s’y attendrait pour un processus qui se déroule pendant plusieurs jours).

     

    • [242] Je conclus que les dossiers de lot ne sont pas des éléments de preuve fiables ou crédibles qui confirment que les cycles de fermentation qui ont eu lieu à Blue Treasure après mars 1998 utilisaient le procédé AFI‑4 pour produire de la lovastatine. Les formulaires préimprimés auraient facilement pu indiquer que la souche de production provenait de Coniothyrium fuckelii, même si une souche d’Aspergillus terreus était utilisée.Les données auraient facilement pu être modifiées afin de couvrir l’utilisation du procédé contrefait AFI‑1.En fait, le manque de crédibilité des deux témoins de Blue Treasure me porte à conclure qu’il est plus probable qu’improbable que les dossiers de lots aient été falsifiés, à tout le moins en ce qui concerne tous renseignements pouvant identifier la souche de micro‑organisme utilisée.

     

    • [243] Les dossiers de lot et les témoignages de M. Luo et de Mme Hu sont des fondements cruciaux à la défense des défenderesses à l’allégation de contrefaçon. Je suis d’avis que les dossiers de lot contiennent des données sur les fermentations qui ne concordent pas avec cette défense.

     

    • [244] Apotex affirme que l’argument avancé par Merck selon lequel il ne faut pas se fonder sur les dossiers de lot ne concorde pas avec l’utilisation que fait Merck des données afin de mettre en évidence les problèmes liés aux titres, l’utilisation du P2000 et la réduction de la durée de la fermentation. Je ne crois pas que la thèse de Merck comme elle a été expliquée au cours des plaidoiries est incohérente. Je crois que Merck affirme qu’il faudrait rejeter les dossiers de lot dans leur ensemble.En l’absence de dossiers crédibles sur les fermentations, Merck affirme que les défenderesses n’ont aucune défense à l’allégation de contrefaçon.Toutefois, et autrement, selon ce que Merck soutient, s’il faut prêter foi aux dossiers de lot, les données indiquent que Blue Treasure devait recourir au procédé AFI‑1 contrefait après mars 1998.

     

    • [245] En dernier lieu, les défenderesses soutiennent que je devrais faire preuve de prudence au moment de déterminer la crédibilité de Mme Hu et de M. Ho. En particulier, elles renvoient à l’existence de différences culturelles qui pourraient expliquer le comportement ou l’attitude de ces témoins.

     

    • [246] Cette préoccupation quant à l’application de normes « occidentales » au moment d’évaluer la crédibilité d’un témoin a été examinée dans un contexte pénal par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c E.(T)., 2007 ONCA 891, [2007] O.J. No. 4952 (QL) [R. c E.(T).]. Dans cette affaire, le juge du procès a indiqué qu’i’ ne croyait pas l’accusé, en s’appuyant fortement sur le comportement de ce dernier pendant son témoignage.La Cour d’appel de l’Ontario, au paragraphe 5, a indiqué ce qui suit en concluant que le juge avait commis une erreur :

    [traduction]

    L’appelant prétend que les renvois du juge du procès à sa passivité apparente et à son absence de contact visuel avec les autres témoins au procès constituent une utilisation erronée de la preuve relative à l’attitude. Nous sommes d’accord. Comme le juge du procès l’a lui‑même fait remarquer, des accusés peuvent réagir différemment dans un procès criminel stressant. Sans expliquer pourquoi et sans reconnaître l’effet des antécédents culturels sur l’attitude (l’appelant est né et a été élevé au Soudan), le juge de procès a assimilé la passivité et l’absence de contact visuel avec des témoins à un rejet de la crédibilité de l’appelant et, en fin de compte, de son témoignage où il niait avoir commis l’infraction. Cette assimilation est selon nous un lien mal compris et inapproprié.

     

    • [247] Dans le contexte criminel, le fardeau et la norme de preuve sont très différents. C’est à la Couronne, dans R. c E.(T.), qu’il incombait de prouver l’ensemble des éléments de l’infraction alléguée hors de tout doute raisonnable. Il était loisible à la Couronne de présenter une preuve d’expert sur les antécédents culturels; si elle l’avait fait, la Cour d’appel de l’Ontario aurait peut‑être rendu une décision différente.Qui plus est, il semble, à la lecture du jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, que le juge du procès s’est majoritairement fondé sur l’attitude de l’accusé; comme l’a indiqué la Cour d’appel de l’Ontario, le juge du procès a « assimilé » son attitude à un rejet de la crédibilité de l’accusé.

     

    • [248] En l’espèce, Mme Hu et M. Luo sont les témoins des défenderesses. Ils ont été appelés expressément afin de répondre à l’allégation de Merck selon laquelle Blue Treasure utilisait, en partie à tout le moins, le procédé contrefait AFI‑1.Pendant leurs comparutions, on ne m’a jamais informée que des problèmes d’antécédents culturels modifieraient leur façon de se présenter.En outre, les défenderesses n’ont présenté aucun témoignage d’expert sur ce que pourraient être ces « différences culturelles » alléguées.En fait, outre un avertissement général, les défenderesses ne tentent pas de décrire les attributs particuliers qui altéreraient le témoignage ou les aspects particuliers de leur attitude qui représentent une différence culturelle.Dans ces circonstances, je ne vois aucune raison de ne pas me fonder sur l’attitude (de façon raisonnable et pas exclusivement) pour déterminer leur crédibilité.

     

    • [249] Cela étant dit, je suis toutefois consciente que Mme Hu et M. Luo ont témoigné par l’entremise d’un interprète. Même avec une traduction compétente (que nous avions pendant cette instruction), je peux comprendre qu’il peut arriver que les témoins deviennent frustrés par leur incapacité à témoigner directement. Cette frustration était évidente chez Mme Hu – moins chez M. Luo.Dans ces situations, il est possible que les réponses n’aient pas été aussi claires qu’elles auraient pu l’être.Je l’ai pris en compte.

     

    (2)  P2000

     

    [250]  Selon les éléments de preuve dont je suis saisie, le composé connu sous le nom de polyglycol P2000 (P2000) était un ingrédient essentiel du procédé AFI‑4. Selon ce que j’en comprends, la mousse créée par le processus de fermentation a une incidence négative sur les niveaux de production. Lorsque P2000 a été ajouté aux fermenteurs, il agissait en tant qu’antimoussant et augmentait ainsi les titres de façon marquée. Sans le P2000, il est juste d’affirmer que la production de lovastatine au moyen de Coniothyrium fuckelii ne serait pas viable sur le plan commercial.

     

    • [251] M. Neal Connors, Ph. D., un témoin expert qui a présenté à la Cour sa compréhension de la chronologie du procédé AFI‑4 à AFI a décrit en superlatifs la décision d’ajouter le P2000 au procédé.Selon M. Connors, l’ajout du P2000 au milieu de fermentation en mars 1995 s’est avéré une percée clé dans le développement du procédé AFI‑4 à AFI :

    [traduction]

    Nous sommes en mars 1995. Il s’agit réellement de la grande percée dans le projet. Je vous expliquerai, sous l’onglet 63, la production 4‑39 d’AFI, la toute première. C’est dans ce genre de moment que l’on est fier d’être un scientifique. C’est le genre de moment où vous êtes heureux d’avoir choisi les sciences. Voici, de nouveau, la culture 115 57, et voici le premier ensemble de données qui suggère que l’ajout du P2000 en plus grande quantité de ce que l’on ajouterait habituellement donne lieu à une augmentation drastique de la production de lovastatine dans cette culture.

     

    Vous pouvez voir, dans la rangée supérieure de données, que les titres du jour 6, du jour 7 et du jour 8, de 300 mg par litre. Si l’on augmente le P200 jusqu’à concurrence de 2 %, ou 20 ml par litre, on obtient près de 1,6 gramme par litre au huitième jour. C’est spectaculaire. Je veux dire, c’est incroyable.

     

    Vous constaterez aussi, tout particulièrement qu’il s’agit d’une façon proportionnelle à la dose administrée. À mesure que l’on augmente la concentration de P2000 progressivement, on constate une augmentation connexe du titre de lovastatine aussi. Il s’agissait donc d’un très bon résultat. Il s’agissait d’une découverte qui débouchait le projet pour eux.

     

    [Non souligné dans l’original.]

     

    • [252] La quantité accrue de P2000 requise pour le processus AFI‑4 par rapport au processus AFI‑1 est spectaculaire – il en faut de 10 à 20 fois plus environ pour le processus AFI‑4. M. Scott Primrose est un scientifique principal à AFI.En 1993, il travaillait dans le laboratoire de microbiologie d’AFI, où il se consacrait surtout à créer de la lovastatine non‑contrefaite – soit le procédé AFI‑4.Il a confirmé que le procédé AFI‑1 exigeait environ 1/20 de la quantité de P2000.Le Dr Sailer a indiqué que la quantité de P2000 utilisée pour le procédé AFI‑4 était [traduction] « très inhabituelle » :

    [traduction]

    Habituellement, la quantité d’antimoussant utilisée pour la fermentation correspond à environ 0,2 %; dans ce cas, elle représentait 2 %, soit 10 fois plus. [Non souligné dans l’original.]

     

    • [253] Merck soutient que Blue Treasure ne disposait pas de quantités suffisantes de P2000 pour mener 364 cycles du procédé AFI‑4. Selon les calculs de Merck, Blue Treasure aurait eu besoin de 73 338 kg de P2000 pour obtenir 364 lots de fermentation.Les défenderesses n’ont pas contesté ce calcul.Blue Treasure devait aussi avoir du P2000 pour d’autres projets, y compris pour la production de compactine et de lovastatine au moyen du procédé AFI‑1.

     

    • [254] Quelle quantité de P2000 Blue Treasure avait‑elle? Selon les éléments de preuve, du 1er mai 1997 au 9 juin 1998, AFI a fait 10 envois de P2000 à Blue Treasure, pour un total de 27 784,80 kg.Cette quantité aurait été très inférieure aux 73 338 kg requis pour mener le procédé AFI‑4, mais elle aurait assurément suffi à approvisionner le procédé AFI‑1. Il faut de 5 % à 10 % de la quantité de P2000 requise environ pour le procédé AFI‑1.Comment Blue Treasure a‑t‑elle obtenu le P2000 restant dont elle avait besoin?Il était véritablement impossible de répondre à cette question.

     

    • [255] M. Connors a fait la spéculation qui suit :

    [traduction]

    Le restant du P2000 aurait pu provenir d’ailleurs. Il aurait pu s’agir de la quantité qu’ils avaient au départ. Peut‑être qu’il s’agissait de la quantité de matériel brut que Winnipeg avait fourni et que le P2000 était acheté auprès d’un fournisseur local quelconque. Le P2000 n’est pas un produit chimique rare. Il s’agit d’un produit de base qui aurait très bien pu être offert en Chine. Je ne peux en être certain.

     

    • [256] Les défenderesses affirment qu’après juillet 1998, Blue Treasure a commencé à se procurer ses propres matériaux bruts, y compris le P2000. M. Fowler, qui a abordé cette question pendant son témoignage, a indiqué que [traduction] « après la cinquième commande [de P2000], Blue Treasure était en mesure de se procurer ses propres matériaux bruts ».M. Fowler n’a toutefois présenté aucun élément de preuve, sinon des conjectures, sur le fait que Blue Treasure se procure du P2000 auprès d’autres marchés; il ignorait comment cela aurait pu se produire ou si cela s’était effectivement produit.

     

    • [257] Outre les conjectures de M. Connors et de M. Fowler, on ne m’a rien présenté qui aborde l’acquisition des quantités requises de P2000 par Blue Treasure.Je n’ai vu aucun facteur ou aucun relevé d’expédition pour étayer les affirmations des défenderesses à cet égard.

     

    • [258] La quantité manquante de P2000 est extrêmement importante. Sans les quantités suffisantes de P2000, Blue Treasure n’aurait pas pu produire la lovastatine AFI‑4 tout au long des 364 cycles.Il y a manifestement des personnes chez Blue Treasure qui auraient pu présenter des éléments de preuve d’achats supplémentaires de P2000, si de tels achats avaient été effectués.À titre d’exemple, M. Zhou était directeur de l’usine pendant la période visée.Parmi ceux qui auraient pu aider la Cour, seul M. Luo a été appelé à témoigner et on ne lui a posé aucune question au sujet du P2000.Dans ces circonstances, je présumerai que les éléments de preuve que les témoins de Blue Treasure, qui n’ont pas été appelés à témoigner, auraient pu présenter, auraient eu une incidence négative sur la thèse des défendeurs (voir Levesque c Comeau, [1970] R.C.S. 1010, 16 D.L.R. (3 d) 425).Autrement dit, je supposerai que Blue Treasure n’a aucun autre élément de preuve à présenter pour confirmer qu’elle a acheté suffisamment de P2000 pour effectuer les 364 fermentations au moyen du procédé AFI‑4.

     

    • [259] En l’absence de preuve contraire, il n’est pas déraisonnable de croire que Blue Treasure ne recourait pas au procédé AFI‑4, comme les défenderesses l’affirment. Par contre, on m’a présenté des éléments de preuve qui confirment que Blue Treasure avait suffisamment de P2000 – 27 784,80 kg – pour effectuer la fermentation au moyen du procédé contrefait AFI‑1.On m’a présenté des éléments de preuve convaincants – quoique circonstanciels – qui permettent de conclure que Blue Treasure recourait au procédé AFI‑1 contrefait pour produire de la lovastatine.

     

    (3)  Durée de la fermentation

     

    [260]  L’un des arguments avancés par Merck porte sur la notion de « durée de la fermentation ». Comme il est expliqué dans la section des renseignements généraux des présents motifs, la production de lovastatine exige d’effectuer une fermentation pendant une certaine période. Il va de soi qu’un fabricant tentera de produire le volume le plus élevé de produit final en le moins de temps possible. À titre d’exemple, en général, il est plus efficace sur le plan économique de produire 100 unités de matériel en jours que de produire cette même quantité en 12 jours.

     

    • [261] La production de lovastatine est déclarée en « titres » – soit la concentration d’une solution telle que déterminée par le titrage, habituellement mesurée en unités de mg/l ou de g/l.

     

    • [262] Le Dr Mila Sailer a expliqué que la « durée de fermentation » correspond à l’interaction entre un certain nombre de facteurs.Le Dr Sailer est un témoin de faits présenté à la Cour par AFI.Le Dr Sailer a travaillé en tant que chimiste des produits naturels à AFI et il participait à la production de lovastatine en octobre 1996, quand AFI a amorcé sa première production commerciale de lovastatine à partir de Coniothyrium fuckelii.Le Dr Sailer a expliqué qu’il faut tenir compte d’un certain nombre de facteurs pour produire un produit comme la lovastatine :

    Il faut prendre en considération un certain nombre de facteurs lorsque l’on souhaite optimiser la production de l’installation, de l’installation de fermentation. Donc, par exemple, il faut examiner la courbe de production pendant le cycle de fermentation, la capacité de la chaîne d’ensemencement de cellule utilisée pour l’inoculation des vaisseaux de production. Il faut se pencher sur la capacité de l’équipement en aval. Il faut se pencher, par exemple, sur le profil d’impureté pendant le cycle de fermentation, qui peut changer. Il faut examiner le coût du milieu.

     

    • [263] En ce qui concerne la notion de « courbe de production », le Dr Sailer a parlé des durées de fermentation et a confirmé qu’il y a souvent un compromis à faire entre les titres et les durées de fermentation.Parfois, a‑t‑il mentionné, [traduction] « l’atteinte d’un maximum de titres […]n’est pas la meilleure option »; plutôt, [traduction] « il est parfois beaucoup plus avantageux de raccourcir la durée et effectuer plus de fermentations ».Même si le DrSailer n’a pas été présenté en tant qu’expert, son témoignage codifie le bon sens lorsqu’il est question d’un aperçu général des facteurs qui touchent la production.

     

    • [264] Selon l’expérience d’AFI, dans ses installations de Winnipeg, au cours de la période allant d’août 1996 à août 1997, 76 lots de lovastatine AFI‑4 avaient été créés avec une durée de fermentation moyenne de 11 jours. Autrement dit, l’optimisation dont le Dr Sailer parlaitpour le procédé AFI‑4 avait été obtenue grâce à une durée de fermentation de 11 jours.

     

    • [265] Comme nous le savons, Blue Treasure a commencé ses cycles du procédé AFI‑4 en juin 1997. Environ 70 cycles ont été menés à Blue Treasure de juin 1997 à octobre 1997. S’il faut prêter foi aux dossiers de lot, même s’il y a des variations considérables, la durée de fermentation moyenne pendant cette période correspondait à 11 jours environ. Il s’agissait d’un résultat attendu, vu l’expérience d’AFI avec le procédé AFI‑4 à Winnipeg.

     

    • [266] Blue Treasure a mis fin à sa production de lovastatine d’octobre 1997 à mars 1998. Hormis les 17 cycles menés de décembre 1997 à janvier 1998, aucune lovastatine n’a été produite au cours de cette période. À la reprise de la production, en mars 1998, la durée de la fermentation a immédiatement été plus courte et s’est éventuellement stabilisée à neuf jours.

     

    • [267] Ces données ont été illustrées dans un graphique, à la pièce 83, préparé par Merck et présenté à un certain nombre de témoins, qui en ont discuté. Comment serait‑il possible d’expliquer le changement de la durée de fermentation?

     

    • [268] Merck explique la réduction de la durée de fermentation après la fermeture de l’usine par le fait que Blue Treasure a commencé à recourir au processus contrefait AFI‑1 plutôt qu’au processus AFI‑4 pour produire la lovastatine.

     

    • [269] Le graphique a d’abord été présenté au Dr Cox en contre‑interrogatoire.M. Cox, dont le témoignage était très crédible et digne de confiance, était d’accord avec l’avocat de Merck sur le fait que la pièce 83 indiquait que la durée de fermentation d’AFI de 11 jours pour le procédé AFI‑4 était relativement conforme à la durée de fermentation à Blue Treasure jusqu’à la fermeture de l’usine.Il a aussi reconnu que le graphique à la pièce 83 montrait une durée de fermentation moyenne de neuf jours après la reprise de la production à Blue Treasure en mars 1998. Enfin, et tout particulièrement, M. Cox a confirmé que le procédé AFI‑1 transféré à Blue Treasure pouvait être effectué en neuf jours.

     

    • [270] Selon moi, il est plus probable que la baisse de la durée de fermentation après la fermeture de l’usine soit survenue avec la production de lovastatine au moyen du procédé AFI‑4 avec celle de lovastatine au moyen du procédé AFI‑4. Ainsi, même si je prêtais foi aux dossiers de lots en tant qu’éléments de preuve des cycles de production, les données relatives à la durée de fermentation concordent avec le recours au processus AFI‑1 et pas au processus non‑contrefait AFI‑4.

     

    (4)   Les titres augmentés

     

    • [271] La durée de fermentation n’est pas la seule variable dont il faut tenir compte dans le coût de la production de la lovastatine. La quantité de production ou de titres de chacun des lots de fermentation revêt la même importance.Le rôle de l’amicase dans le milieu de fermentation est aussi lié à cette question.Le processus AFI‑4 transféré à Blue Treasure exigeait d’utiliser un composé nommé amicase dans le milieu.Selon ma compréhension, l’amicase est une enzyme utilisée en tant que catalyseur dans une réaction chimique.Dans son témoignage, M. Connors a indiqué que [traduction] « en retirant l’amicase, on obtient moins de lovastatine ».

     

    • [272] L’amicase était un ingrédient dispendieux et les éléments de preuve portent à croire que Blue Treasure prenait des mesures afin d’éviter de l’utiliser. Dans une note de service datée du 23 octobre 1997 envoyée au Dr Xinfa Xiao et au Dr David He, tous deux employés d’AFI, M. Huigen Xu, de Blue Treasure, explique que, lorsque Blue Treasure a effectué des tests sur la fermentation sans l’amicase, elle [traduction] « n’a pas remarqué d’effet sur la qualité du produit ». Dans cette même note de service, on déclare toutefois une réduction des titres de 9,75 % à l’étape de fermentation de 12 800 l.M. Fowler a confirmé que, même si une perte de productivité de 9,75 % s’expliquait par l’élimination de l’amicase du milieu, Blue Treasure pouvait réaliser des économies d’environ 224 $ USD par kilogramme grâce à cette élimination.

     

    • [273] À partir de janvier 1998 environ, Blue Treasure produisait de la lovastatine sans utiliser d’amicase. On s’attendrait en toute logique à ce qu’il y ait ensuite une réduction des titres, comme l’indique la note de service du 23 octobre 1997. Cela ne semble pas avoir été le cas.

     

    • [274] À la pièce 103, l’avocat de Merck a tenté de rassembler tous les renseignements sur les titres. Cette pièce a été préparée à partir de la pièce 149 (un ensemble compte des dossiers de lot de Blue Treasure) et présentée sous la forme d’un graphique à la pièce 83. Pendant trois périodes, les titres moyens consignés par Blue Treasure indiquaient ce qui suit :

    Période

    Titres moyens (g/ml)

    Du 7 juin 1007 au 27 octobre 1997

    2,3 (n = 53 cycles)

    Du 8 décembre 1997 au 11 janvier 1998

    2,0 (n = 17 cycles)

    Du 7 mars 1998 au 7 octobre 1999

    2,2 (n = 292 cycles)

     

    • [275] Le diagramme montre une baisse d’environ 13 % des titres pour la période allant du 8 décembre 1997 au 11 janvier 1998. Après la fermeture de l’usine de Blue Treasure, cependant, les titres augmentent à un niveau qui correspond environ aux cycles menés avec l’amicase. On se pose évidemment la question suivante : au cours de la période postérieure à mars 1998, comment Blue Treasure pouvait‑elle obtenir des niveaux de production sans amicase semblables à ceux avec l’amicase?

     

    • [276] Merck soutient que la seule explication raisonnable est qu’après le 7 mars 1998, Blue Treasure utilisait le procédé AFI‑1 et pas le procédé AFI‑4.

     

    • [277] Dans son argument oral final, Apotex renvoie à un sous‑ensemble de dossiers de lot afin de soutenir que rien ne prouve que c’est l’omission de l’amicase qui a donné lieu à une réduction des titres. À l’appui de cet argument, elle renvoie au tableau A de la pièce 156, où l’on dresse la liste de [traduction] « TOUTES les fermentations L4-39-581 avant mars 1998 ». Apotex fait remarquer que les titres moyens des trois cycles menés avec l’amicase sont en réalité inférieurs aux 12 cycles présentés dans le tableau A menés sans amicase :

    [traduction]

    Le fait est qu’en utilisant le même point ponctuel que celui tiré des données, lorsque l’on élimine l’amicase à neuf jours, on obtient un meilleur rendement des titres. Donc, l’argument, l’argument selon lequel on s’attendrait à ce que les titres baissent en raison de l’élimination de l’amicase au cours des cycles postérieurs menés en mars et par la suite n’est pas confirmée par ce document que mon ami a présenté en tant que pièce 156. Il montre exactement le contraire.

     

    • [278] Le problème avec les observations d’Apotex à cet égard réside dans le fait que la moyenne des titres contenant de l’amicase qu’elle a mise en évidence se fondait sur une moyenne de trois cycles seulement (le 24 septembre 1997, le 26 septembre 1997 et le 17 octobre 1997). Apotex compare ensuite cet échantillon d’une taille extrêmement petite à un autre petit échantillon de 12 cycles.Selon moi, les moyennes utilisées par Apotex se fondent sur un sous‑ensemble des dossiers de lot pour lesquels il est impossible de tirer des conclusions relatives sur les titres pour la totalité des dossiers de lot.

     

    • [279] Je préfère les renseignements indiqués à la pièce 103, qui montrent une augmentation des titres de 13 %. Je comprends que cela ne concorde pas avec l’omission de l’amicase.

     

    • [280] Même en écartant l’effet de l’omission de l’amicase, on trouve des changements inexplicables dans les niveaux de production après la fermeture de l’usine. On peut voir ce changement dans les titres dans le contexte de L4‑39-581, une souche particulière de Coniothyrium fuckelii apparemment utilisée avant et après la fermeture de l’usine.Nous pouvons, à partir des dossiers de lot de Blue Treasure, suivre les cycles que Blue Treasure affirme avoir utilisés pour cette souche particulière.L’avocat de Merck a préparé la pièce 156 à partir des dossiers de lot.Le tableau A de la pièce 156 est un sommaire des dossiers de lots pour l’ensemble des cycles qui utilisent la souche L4-39-58 avant la fermeture de l’usine.Du 24 septembre 1997 au 11 janvier 1998, 15 fermentations ont été menées.Même si ces lots avaient un cycle de 11 jours, nous pouvons calculer les titres hypothétiques à neuf jours, selon les dossiers.Si ces lots avaient un cycle de neuf jours, le titre moyen (au sens arithmétique) aurait correspondu à 1 719 mg/l. Le tableau B de la pièce 156 comprend des renseignements tirés des dossiers de lot de Blue Treasure pour les cycles allégués qui utilisaient la souche L4-39-581 après la fermeture de l’usine. Du 7 mars 1998 au 23 avril 1998, 19 cycles ont été menés, avec une durée de fermentation moyenne de 8,3 jours et un titre moyen de 2 109 mg/l. On voit une augmentation des titres de plus de 20 %.

     

    • [281] Cette augmentation est spectaculaire. Au moyen de la même souche de Coniothyrium fuckelii, L4‑39‑581, apparemment, Blue Treasure est parvenue à accroître la productivité de la fermentation de plus de 20 %.Comment peut‑on expliquer cette augmentation?Merck soutient que la seule explication raisonnable est que, pour les cycles menés après la fermeture de l’usine, Blue Treasure n’utilisait pas une souche de Coniothyrium fuckelii, mais plutôt une souche d’Aspergillus terreus.

     

    • [282] En appui à sa croyance, Merck a renvoyé au témoignage de M. Connors, à qui l’on a présenté des graphiques en nuage de points représentant les variations des titres entre les cycles menés par Blue Treasure.M. Connors a reconnu que [traduction] « une explication possible » à la variation des titres avant et après la fermeture de l’usine pourrait être le micro‑organisme ou le champignon utilisé, lorsque le milieu et le procédé demeurent constants.M. Connors n’a pas précisé les autres explications possibles; il a uniquement indiqué que quelque chose devait être différent :

    [traduction]

    Qu’avez‑vous fait, au milieu, que vous n’avez pas fait ni d’un côté ni de l’autre? Je n’irais pas jusqu’à dire que la culture doit être différente, mais il est évident que quelque chose a changé.

     

    M. Connors n’a pas aidé davantage la Cour à comprendre ce qui pouvait expliquer les différences.

    • [283] Les données reproduites dans certaines des pièces produites par l’avocat de Merck à partir des dossiers de lot indiquent que la variabilité des titres d’un cycle à l’autre diminuait au fil du temps. Je peux comprendre, si je me fonde sur le bon sens, les commentaires de M. Cox, qui a expliqué que [traduction] « vu l’écoulement du temps et la pratique, ainsi que la reproductibilité des [instructions permanentes] et le respect de ces dernières, et l’aplanissement des problèmes », les titres seraient plus uniformes.Cela n’explique toutefois pas le changement spectaculaire et immédiat des titres dans les éléments de preuve qui me sont présentés.

     

    • [284]  Le seul témoin présenté par les défenderesses qui pouvait parler du changement spectaculaire des titres était M. Luo. Il se trouvait à l’usine pendant les moments pertinents.Selon les défenderesses, M. Luo a indiqué que d’autres changements apportés aux conditions de fermentation pouvaient donner lieu à un changement de titres.M. Luo a parlé de changements possibles à l’aération, à la pression, au milieu et à l’agitation, et de la familiarité croissante avec le procédé.Quand on se penche sur le témoignage de M. Luo, cependant, une seule explication – l’augmentation de l’agitation – est réellement présentée.Et j’ai de la difficulté à accepter cette explication.

     

    • [285] On a présenté la pièce 156 à M. Luo en contre‑interrogatoire. On lui a demandé ce qui aurait pu expliquer l’augmentation des titres après la fermeture de l’usine.M. Luo a témoigné qu’il était possible de justifier un bond de 23 % ainsi :

    [traduction]

    Un bon de 23 % ne s’explique pas nécessairement par un changement de [souches]. On peut aussi le changer en optimisant les conditions de fermentation du milieu.

     

    […] Il y a beaucoup de facteurs. Il ne s’agit pas seulement de la souche.

     

    À mesure que le personnel, le personnel de production se familiarise avec la procédure et les techniques de production, et que l’on constate une amélioration à cet égard, cela donnera aussi lieu à un changement.

     

    Donc, même pour la même souche et les différents lots, même pour la même souche, les différents lots peuvent aussi avoir un résultat – un résultat différent en ce qui concerne le titre.

     

    • [286] Lorsqu’on l’a interrogé, M. Luo a suggéré qu’un changement de l’aération pouvait améliorer la production. Il a toutefois été incapable de renvoyer à un changement à l’aération entre les cycles menés avant la fermeture et ceux menés après.

     

    • [287] M. Luo a explicitement reconnu que la pression n’avait pas changé.

     

    • [288] En ce qui concerne le changement du milieu, on a interrogé M. Luo sur l’élimination de l’amicase. Son explication était déconcertante.Même s’il reconnaissait que l’élimination de l’amicase réduirait probablement les titres, il a indiqué qu’elle ne le ferait pas nécessairement.Cette affirmation va à l’encontre d’autres témoignages sur la question et du bon sens.

     

    • [289] À la fin des contre‑interrogatoires sur la question des titres augmentés, la seule suggestion possible concrète formulée par M. Luo était que l’augmentation de l’agitation pendant la fermentation pouvait expliquer la hausse de 23 % des titres.

     

    • [290] Apotex soutient qu’un changement à l’agitation pouvait effectivement expliquer le changement dans les titres. Apotex renvoie en premier lieu aux paramètres de production indiqués à la pièce 49, où une condition de culture prévoyant une [traduction] « agitation de 100 à 130 (selon la DO) » est établie pour le procédé AFI‑1. En comparaison, Apotex précise que l’agitation décrite dans les dossiers de lot pour le procédé AFI‑4 s’approche de 170. Qui plus est, Apotex renvoie à la pièce 94, un rapport comparatif d’AFI dans lequel on indique, à la section 5.5, que [traduction] « pour la majeure partie du temps de fermentation, une agitation moins vigoureuse est requise pour le procédé AFI‑1 par rapport au procédé AFI‑4 ».

     

    • [291] Je n’accorde aucune importance aux renseignements indiqués dans la pièce 49 à laquelle Apotex renvoie. Premièrement, le document semble avoir été produit au printemps 1995 au plus tard dans le cadre du transfert de technologie liée à la lovastatine AFI‑1 d’AFI à Blue Treasure. Je n’ai aucune idée des instructions qui ont été suivies en fin de compte et on ne m’a pas expliqué pourquoi il faudrait effectuer une agitation de 100 à 130.Je note aussi que le document est assujetti à la remarque suivante :

    [traduction]

    Il s’agit d’un document préliminaire et de nombreux paramètres du procédé, y compris l’agitation, l’aération, les volumes des milieux, les durées de culture ainsi que les quantités et les fréquences d’alimentation, entre autres, sont assujettis à des rajustements supplémentaires pendant les cycles de validation.

     

    [Non souligné dans l’original.]

     

    Outre les dossiers de lot, je ne dispose d’aucune information sur ce à quoi correspondaient ou aurait dû correspondre les niveaux d’agitation réels pour le procédé AFI‑1 en production. Ce document ne m’est d’aucune aide.

     

    • [292] Je n’accorde pas non plus aucune importante à la déclaration contenue à la section 5.5 de la pièce 94. La pièce 94 est un document sans titre produit par AFI pendant le litige préalable. Le document semble porter sur les différences entre les processus AFI‑1 et AFI‑4.L’avocat de Merck y a renvoyé pendant le contre‑interrogatoire du DrSailer.Le Dr Sailer a décrit le document comme [traduction] « un certain genre de rapport sur la recherche et le développement, possiblement », et a avoué ne l’avoir jamais vu.Même si on a interrogé le DrSailer sur certaines parties de ce document, je n’ai aucune idée de l’identité de son auteur et j’ignore si la section 5.5 est exacte.

     

    • [293] Il ne reste que l’analyse des dossiers de lot menée par Apotex pour soutenir l’argument de l’augmentation de l’agitation. Je reconnais qu’il semble y avoir, de façon générale, une augmentation de l’agitation après la fermeture de l’usine.Je ne dispose toutefois d’aucun élément de preuve crédible qui soutiendrait l’énoncé de M. Luo quand il indique que l’augmentation de l’agitation explique l’augmentation spectaculaire des titres.

     

    • [294] Je n’ai aucune autre explication crédible à l’augmentation des titres après la fermeture hormis un changement d’organisme. Ainsi, même si je prêtais foi aux dossiers de lots en tant qu’éléments de preuve des cycles de production, les données relatives aux titres concordent avec le recours au procédé AFI‑1 et pas au procédé non‑contrefait AFI‑4.Malgré l’élimination de l’amicase et la diminution de la durée de fermentation, Blue Treasure a réussi à faire augmenter les titres. La seule explication qui concorde avec les éléments de preuve qui me sont présentés est que Blue Treasure utilisait un micro‑organisme différent – Aspergillus terreus.

     

    (5)  La motivation, les moyens et l’occasion

     

     

    • [295] À l’appui des arguments susmentionnés, Merck soutient aussi que Blue Treasure avait la motivation, les moyens et les occasions de fabriquer et d’expédier de la lovastatine contrefaite à AFI.

     

    a)  La motivation

     

    • [296] Merck affirme d’abord que Blue Treasure avait une grande motivation financière à fabriquer de la lovastatine contrefaite, qu’elle vendrait ensuite à AFI. Un certain nombre de faits semblent assurément soutenir cet argument :

     

    • les difficultés financières avant l’introduction du procédé AFI‑4;

     

    • les problèmes de production de lovastatine au moyen du procédé AFI‑4;

     

    • l’incapacité de Blue Treasure à réaliser un profit selon le prix du contrat de la coentreprise Blue Treasure.

     

    • [297] Il semble que les problèmes financiers à Blue Treasure existaient même avant la production de lovastatine au moyen du procédé AFI‑4. Comme nous le savons, Blue Treasure s’attendait à vendre la lovastatine AFI‑1 en Chine ou dans d’autres marchés étrangers.Dans le procès‑verbal de la 6e réunion du conseil d’administration de Blue Treasure, qui a eu lieu les 26 et 27 août 1996, on décrit les conditions difficiles du marché en Chine et on fait état de graves problèmes financiers à Blue Treasure.À ce moment, avec ses prêts et ses factures de services publics en souffrance, Blue Treasure n’avait pas les fonds requis pour produire la lovastatine prévue. M. Cox a reconnu, en contre‑interrogatoire, qu’à ce moment, les perspectives n’étaient pas [traduction] « très prometteuses ».

     

    • [298] Dès le début de l’année 1997, l’une des préoccupations de Blue Treasure résidait dans le défi de vendre le produit sur le marché chinois. Dans une note de service datée du 7 mars 1997, M. Zhou a renvoyé aux ventes [traduction] « moins que satisfaisantes » de lovastatine en Chine et a formulé le commentaire qui suit :

    [traduction]

    Sur le marché intérieur, il y a un marché rival féroce de lovastatine en gros qui pousse le prix à baisser. Pour autant que nous le sachions, dans la province de ZeJing, Hai Mei Pharm a offert la lovastatine en gros à un prix de trente‑deux mille yuans [environ 3 900 USD, comme M. Fowler l’a confirmé (T4565)] pour un kg. Nous aurons des difficultés à survivre si nous faisons de même. [Non souligné dans l’original.]

     

    • [299] M. Fowler, qui était responsable des affaires financières à AFI pendant les moments pertinents, a confirmé que la somme de 32 000 yuans correspondrait à environ 3 900 USD. En l’absence d’autres éléments de preuve sur l’économie de l’établissement de prix, je comprends que le « prix de vente au seuil de rentabilité » pour Blue Treasure pour la vente de lovastatine correspondait à environ 3 900 USD.

     

    • [300] Il semblerait que les difficultés financières à Blue Treasure se sont aggravées lorsqu’AFI a refusé de fournir des souches de meilleur rendement d’Aspergillus terreus. Dans la même note de service que celle à laquelle on renvoie ci‑dessus, M. Zhou demandait [traduction] « de toute urgence » à AFI de lui fournir une souche améliorée ou un [traduction] « super champignon ».Étant donné que M. Zhou n’a pas témoigné à l’instruction, je peux seulement supposer qu’il croyait que le fait d’avoir une meilleure souche d’Aspergillus terreus aurait permis à Blue Treasure de se sortir de sa situation financière désespérée. AFI n’a pas répondu à cette demande de Blue Treasure.M. Cox a reconnu ce refus :

    [traduction]

    Q.  Vous aviez un contrat en vertu duquel vous étiez tenu, après leur avoir donné cette souche, de leur donner toutes les souches améliorées, est‑ce exact?

     

    R.  C’est exact.

     

    Q.  Vous reteniez ces souches, même si vous étiez certainement au courant de leur situation financière?

     

    R.  Oui.

     

    Q.  Et malgré les obligations contractuelles?

     

    R.  S’ils avaient réussi à vendre le matériel avec l’ancienne souche, nous aurions pu songer à le faire. Il n’y a aucun intérêt à transférer une souche à rendement élevé quand ils sont incapables de vendre le matériel en gros.

     

    • [301] La décision d’envoyer le micro‑organisme du procédé AFI‑4 à Blue Treasure a été prise, en partie du moins, afin de permettre à celle‑ci de fabriquer de la lovastatine non‑contrefaite qu’elle pourrait vendre sur le marché canadien. Malgré cela, les éléments de preuve qui me sont présentés indiquent que Blue Treasure éprouvait des difficultés quand elle produisait la lovastatine avec la souche d’AFI‑4 envoyée par AFI.Il s’ensuit que le portrait financier de Blue Treasure ne s’est pas amélioré.

     

    • [302] L’expérience de Blue Treasure avec le procédé AFI‑4 était chaotique. On a constaté des fluctuations considérables des titres d’un lot à l’autre à Blue Treasure avant mars 1998. Comme M. Cox l’a reconnu, pour exploiter une usine de façon économique et efficace, il faut avoir un éventail de variabilité dans des limites acceptables; la variabilité à l’extérieur de la fourchette acceptable rendrait difficile de réaliser un profit.Dans une note de service datée du 13 août 1997 envoyée par M. Zhou au DrCox, on met en évidence cette difficulté :

    [traduction]

    Étant donné que la viscosité de la fermentation du nouveau procédé d’AFI varie grandement, une certaine partie de l’équipement en aval n’est pas adapté à la nouvelle technologie, ce qui a entraîné de nombreuses difficultés en aval.

     

    [Non souligné dans l’original.]

     

    • [303] Blue Treasure éprouvait aussi des difficultés avec certaines souches AFI‑4 fournies par AFI. Dans une note de service datée du 20 octobre 1997, M. Zhou fait remarquer qu’une souche de remplacement pour L4-42-581 avait une productivité de 50 % seulement; il a aussi mentionné ce qui suit :

    [traduction]

    Par conséquent, elle ne peut pas être utilisée à des fins de production. En outre, la souche L4-39-581 n’était pas satisfaisante pour la production : selon les titres des tests par agitation en flacon et la fermentation, une baisse de productivité de plus de 20 % aura lieu si l’on utilise la souche L4-39-581 plutôt que L4-42-581. Cela se fera assurément sentir sur la marge du coût et le prix.

     

    • [304] M. Zhou a demandé à AFI d’envoyer [traduction] « 100 flacons congelés de L4-42-581 ou des flacons dont la productivité est semblable ou plus élevée ». M. Su a demandé de nouveau à obtenir plus de flacons de la souche L4-42-581dans un courriel daté du 19 octobre 1997. Comme M. Primrose l’a confirmé, AFI a expédié un envoi de flacons de semences, qui comprenait 10 flacons de L4-42-581 à Blue Treasure le 4 août 1998. Je ne dispose d’aucun autre élément de preuve sur la réponse à la demande présentée par Blue Treasure afin d’obtenir une meilleure souche d’AFI‑4.

     

    • [305] Apotex affirme que le fait que Blue Treasure demande à obtenir des renseignements supplémentaires et une meilleure souche d’AFI‑4 ne concorde pas avec l’hypothèse avancée par Merck selon laquelle Blue Treasure recourant en fait au procédé contrefait après mars 1998. Étant donné que M. Zhou, l’auteur de la plupart des notes de service sur lesquelles Apotex s’est fondée, n’a pas témoigné à l’instruction, je ne peux pas déterminer si la théorie d’Apotex est crédible.

     

    • [306] Comme il est indiqué ci‑dessus, Blue Treasure s’inquiétait de sa survie à un prix d’environ 3 900 USD le kilogramme pour la lovastatine produite avec Aspergillus terreus. Des éléments de preuve abondants ont été présentés à l’instruction afin de montrer que les coûts de production du procédé AFI‑4 seraient plus élevés et que les marges bénéficiaires seraient encore plus petites.

     

    • [307] Comme il est indiqué dans un long rapport scientifique mensuel d’AFI daté du 3 juillet 1997, où l’on compare les procédés AFI‑1 et AFI‑4, [traduction] « Les coûts de production calculés pour AFI‑1 étaient considérablement moins élevés que ceux pour AFI‑4 ». Dans ce même document, on indique que les ingrédients du milieu étaient le facteur de coût le plus important.

     

    • [308] L’offre de transférer le procédé AFI‑4 à Blue Treasure et d’acheter la lovastatine AFI‑4 a été présentée dans une lettre datée du 10 avril 1997 envoyée par M. Cox à M. Zhou.Comme l’a confirmé M. Cox, Blue Treasure demandait 6 000 USD le kilogramme au départ.AFI a accepté de payer uniquement de 4 500 USD à 5 000 USD, selon les titres moyens.Un prix de 4 500 USD serait de 600 $ à 700 $ supérieur au prix de vente au seuil de rentabilité de Blue Treasure de 3 900 USD le kilogramme.La marge aurait toutefois été érodée considérablement par les coûts supplémentaires liés aux ingrédients du milieu pour le procédé AFI‑4 et au respect de la spécification de RC‑14 de 0,2 % d’AFI.Qui plus est, dans le cadre de la vente des lots à AFI, le prix d’achat a chuté à 3 300 USD le kilogramme.

     

    • [309] Il s’ensuit que, si Blue Treasure recourait au procédé AFI‑4, elle aurait perdu de vastes sommes d’argent pour chaque kilogramme de produit expédié à AFI. Blue Treasure n’aurait pas pu réaliser de profit en vendant à lovastatine AFI‑4 à AFI au prix que cette dernière payait.Toutefois, M. Fowler a indiqué dans son témoignage que lorsque Blue Treasure a commencé à recourir au procédé AFI‑4, elle [traduction] « a réussi à surmonter les difficultés financières et est devenue rentable ».Il n’y a tout simplement aucun élément de preuve au dossier qui explique comment Blue Treasure aurait pu faire des profits en recourant au procédé AFI‑4.

     

    • [310] Je conclus que Blue Treasure avait la motivation financière à recourir au procédé AFI‑1 plutôt qu’au procédé AFI‑4 non‑contrefait, mais plus dispendieux.

     

    b)  Les moyens

     

    • [311] La capacité (ou les moyens) de Blue Treasure de produire les quantités de lovastatine AFI‑1 dépendant, dans une certaine mesure, à tout le moins, de la disponibilité des souches appropriée d’AFI‑1.

     

    • [312] Apotex soutient qu’il n’a pas été montré que Blue Treasure possédait une telle souche. Apotex renvoie aux dossiers de lot originaux sur la production fournis à Blue Treasure dans le cadre du transfert de la technologie utilisée avec Aspergillus terreus.En production, les titres de la souche se situaient généralement sous le seuil du 1,5 g/l.Non seulement le niveau de titre était considérablement inférieur aux 2,0 g/l indiqués dans les dossiers de lots, mais le temps de fermentation indiqué correspondait à 12 à 15 jours – soit une période plus longue que toutes celles indiquées pour les cycles menés après mars 1998. Merck n’est pas d’accord.

     

    • [313] Merck soutient que Blue Treasure se trouvait en possession d’une souche à rendement élevé d’AFI‑1, ce qui lui donnait les moyens de fabriquer plus de lovastatine AFI‑1 avec les mêmes titres indiqués dans les dossiers de lot après mars 1998, lorsque les titres moyens correspondaient à 2,2 g/l environ. Le renvoi à cette souche est indiqué dans le rapport de la direction pour la 6e réunion du conseil d’administration de la coentreprise Blue Treasure tenue du 26 au 28 août 1996. Dans ce document, au paragraphe 13, on indique que les titres atteignent de 2 300 mg/l à 2 500 mg/l. Qui plus est, dans un document intitulé [traduction] « Examen historique de l’amélioration de la production de lovastatine au moyen de l’espèce Aspergillus et de souches de Conioth[y]rium fuckelii dans la biologie de la recherche et du développement », on indique qu’AFI a obtenu jusqu’à 5 100 mg/l. Lorsqu’on a demandé à Mme Hu si Blue Treasure avait eu une souche d’AFI‑1 qui produisait des titres allant de 2 300 mg/l à 2 500 mg/l, elle a affirmé ne pas comprendre sur quoi portait la question. Cette réponse est surprenante, vu les responsabilités de Mme Hu liées à la sécurité de diverses souches d’AFI‑1 et d’AFI‑4 et à l’inoculation des premières fermentations pour chaque lot.

     

    • [314] En ce qui concerne la durée de la fermentation, M. Cox a indiqué dans son témoignage que la souche d’AFI‑1 transférée pouvait avoir un cycle de neuf jours.

     

    • [315] Même si certains éléments de preuve tendent à prouver le contraire, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que Blue Treasure possède une souche d’AFI‑1 qui aurait pu respecter les titres et les durées de fermentation indiquées dans les dossiers de lot après mars 1998.

     

    • [316] Je suis convaincue que Blue Treasure avait les moyens de produire de la lovastatine au moyen du procédé contrefait AFI‑1.

     

    c)  L’occasion

     

    • [317] Le dernier élément sur lequel Merck se penche est l’occasion

     

    • [318] Comme il a été indiqué précédemment dans les présents motifs, le Dr Jerry Su a été envoyé à Blue Treasure afin de faire enquête sur certains problèmes avec les premiers cycles du procédé AFI‑4.M. Su est arrivé en Chine le 25 août 1997 et est retourné à Winnipeg le 31 octobre 1997. M. Su s’est dit d’avis que les cycles qu’il avait observés avaient été menés conformément à l’instruction permanente d’opérations pour AFI‑4. Toutefois, comme M. Fowler l’a confirmé, après le départ de M. Su en octobre 1997, aucun autre employé d’AFI n’a été envoyé afin d’évaluer la production.AFI avait apparemment supposé que Blue Treasure respecterait les instructions qui avaient été fournies en dépit des problèmes qu’elle avait éprouvés précédemment.

     

    • [319] AFI a aussi raté une autre chance d’identifier le micro‑organisme utilisé par Blue Treasure. Comme Mme Christofalos l’a confirmé, Blue Treasure envoyait un échantillon formé d’un gâteau mycélien ou fongique avec chaque expédition de produit à AFI.M. Connors a indiqué qu’il aurait été possible de soumettre ce produit à des tests génétiques afin de déceler la présence de Coniothyrium fuckelii non‑contrefaite.Le gâteau fongique n’a cependant jamais fait l’objet de tests et a malheureusement été détruit pendant le présent litige.

     

    • [320] Blue Treasure avait l’occasion de reprendre la fabrication d’AFI‑1 dès le départ de M. Su, à la fin du mois d’octobre 1997.

     

    (6)  La conduite de Blue Treasure

     

    • [321] Merck soutient que le comportement de Blue Treasure soulève de graves doutes sur les allégations des défenderesses quant au fait qu’aucune contrefaçon n’a eu lieu. L’un des récits les plus graves et les plus troublants porte sur deux articles publiés dans le Journal of Antibiotics chinois.Merck soutient que ces deux articles constituent des preuves directes que Blue Treasure a utilisé Aspergillus terreus pour fabriquer de la lovastatine, probablement à la fin de l’année 1997. Qui plus est, le comportement M. Luo, employé de Blue Treasure, en lien avec ces articles prouve que Blue Treasure est prête à déployer de vastes efforts pour camoufler ses activités de contrefaçon.

     

     

    • [323] On trouve la phrase suivante dans le résumé de l’article no 1 :

    [traduction]

    L’entreprise [Blue Treasure] a importé une technologie brevetée de production de lovastatine du Canada. La formule du milieu de fermentation est quant à elle brevetée aux États‑Unis (numéro de brevet 5409820).

     

    • [324] La référence au [traduction] « brevet numéro 5409820 » est probablement liée au brevet américain no 5,409,820, délivré à Apotex Inc., le 25 avril 1995. Ce brevet revendique un procédé de fabrication de lovastatine au moyen de Coniothyrium fuckelii. Malgré cette référence au début de l’article no 1, on ne renvoie plus par la suite à Coniothyrium fuckelii.En fait, on indique explicitement dans l’article que les expériences avec la poudre de poisson ont été menées sur la [traduction] « souche d’Aspergillus terreus productrice de lovastatine BN 270‑001 ». On ne renvoie aucunement, dans l’article no 1, à l’utilisation de lovastatine provenant d’une souche de Coniothyrium fuckelii.Dans cet article, on indique aussi que c’est Guangdong Blue Treasure Pharmaceutical Co.Ltd.qui est l’entreprise qui produisait la lovastatine en Chine et qui souhaitait réduire les coûts liés au milieu de fermentation pour la lovastatine.

     

    • [325] Un deuxième article, intitulé [traduction] « Étude sur la mutation de protoplastes de souches productrices de lovastatine et sur l’optimisation de la formule de fermentation » a été publiée dans le Chinese Journal of Antibiotics, octobre 2000, vol. 25, no 5 (appelé article no 2).M. Luo était aussi l’un des auteurs de cet article.Comme il est indiqué dans le résumé, l’article no 2 visait à produire une souche de lovastatine à rendement élevé [traduction] « en faisant muter des protoplastes de souches productrices de lovastatine » et à optimiser la formule du milieu de culture pour la fermentation.Les auteurs indiquent de nouveau avoir utilisé la [traduction] « souche d’Aspergillus terreus productrice de lovastatine (BN 270‑053) » pour mener leurs expériences. Il n’est aucunement question du brevet américain dans l’article no 2.

     

    • [326] Le Dr Luo a témoigné que les expériences par agitation en flacon (auxquelles on renvoie dans les articles nos 1 et 2) étaient menées au laboratoire de microbiologie de Blue Treasure.

     

    • [327] Ces articles créent une forte présomption selon laquelle, au moment de mener les expériences, Blue Treasure produisait de la lovastatine à partir d’Aspergillus terreus à son installation.

     

    • [328] On a posé à M. Luo des questions sur les deux articles de journal pendant son interrogatoire principal. Voici ce qu’il a répondu à une question sur le but de la publication :

    [traduction]

    La publication de cet article vise principalement à permettre aux techniciens de pouvoir être accrédités. En essence, cela ressemble à lorsqu’on débute dans la profession et qu’il faut être accrédité, obtenir une accréditation.

     

    • [329] M. Luo n’est pas parvenu à se souvenir clairement du moment où les expériences avaient été menées, mais ils croyaient qu’elles avaient eu lieu en 1997, [traduction] « de l’été à l’automne de cette année‑là ». M. Luo a aussi indiqué ce qui suit dans son témoignage :

    [traduction]

    Q.  Où ces expériences ont‑elles été menées?

     

    R.  Ces expériences sont menées au laboratoire de microbiologie de Blue Treasure.

     

    R.  Je ne peux me souvenir précisément de la souche particulière utilisée, mais en examinant l’article, j’ai probablement utilisé la souche numéro 4.

     

    Q.  Pourquoi dit‑on qu’Aspergillus terreus a été utilisé?

     

    R.  Parce qu’à ce moment, pour des raisons de confidentialité, je ne voulais pas divulguer les secrets sur la souche AFI‑4.

     

    • [330] À mon avis, le témoignage de M. Luo sur ces deux articles est stupéfiant. Premièrement, il est tout simplement incompréhensible qu’un groupe de scientifiques fabrique un article de journal afin de cacher l’identité du champignon Coniothyrium fuckelii.Outre une simple affirmation, M. Luo n’a présenté aucun motif convaincant à la raison pour laquelle l’utilisation de Coniothyrium fuckelii aurait été confidentielle.

     

    • [331] Je m’interroge aussi sur le témoignage de M. Luo en ce qui concerne le moment où ces expériences ont été menées. Ses trous de mémoire sont surprenants.M. Luo est au courant de l’importance de ces articles depuis un certain temps et pourtant, il ne peut se rappeler les dates où les expériences ont été menées.Il aurait pu se rafraîchir la mémoire d’un certain nombre de façons avant de témoigner.Il s’est plutôt dit d’avis que les expériences avaient été menées au cours de la période antérieure à l’utilisation du procédé AFI‑4.Selon moi, sa mémoire défaillante concorde avec une fabrication, par M. Luo du micro‑organisme utilisé à Blue Treasure au cours de la période qui a précédé la publication des articles.

     

    • [332] Les deux articles contiennent d’autres références qui mettent en doute les affirmations de M. Luo. Premièrement, la souche utilisée pour les articles porte le nom BN 270‑053. Selon Mme Lasure , on renvoyait au 53e isolat de la souche BN‑2‑70 d’Aspergillus terreus. Il s’agit de la même souche que celle obtenue d’AFI sous le nom d’AFI‑1 (rapport d’expert Lasure, pièce 48, au paragraphe 242).

     

    • [333] Le deuxième point de déconnexion porte sur la capacité des souches de Coniothyrium fuckelii utilisées dans le procédé AFI-4 de produire des spores. Le Dr a indiqué dans son témoignage que, selon son expérience de travail à AFI, la souche de Coniothyrium fuckelii transférée à Blue Treasure avait perdu la capacité de produire des spores pendant la fermentation :

    [traduction]

    Q.  D’accord. Vous savez qu’à un certain moment, Coniothyrium fuckelii avait cessé de produire des spores à AFI?

     

    R.  Oui, c’est ce que je crois.

     

    Q.  Devient‑il donc plus difficile de préparer et de maintenir des banques de semences uniformes d’une génération à l’autre?

     

    R.  Un peu, oui.

     

    Q.  Cette cessation de sporulation est‑elle une propriété de l’organisme?

     

    R.  Pas de l’organisme, non, il s’agissait d’un effet du programme d’amélioration mutagène des souches mené à AFI.

     

    Q.  L’incapacité de produire des spores devient intrinsèque à Coniothyrium fuckelii, est‑ce juste?

     

    R.  À cette souche de Coniothyrium fuckelii, oui.

     

    Q.  D’accord.

     

    R.  Il ne s’agit pas d’une caractéristique inhérente de l’espèce.

     

    Q.  Je comprends. Ce problème a‑t‑il déjà été éprouvé avec Aspergillus terreus?

     

    R.  Non.

     

    [Non souligné dans l’original.]

     

    • [334] Malgré l’information selon laquelle la souche d’AFI‑4 envoyée à Blue Treasure ne produisait pas de spores, à la section 1.2.3 de l’article no 2, les auteurs rendent compte explicitement de ce qui suit :

    [traduction]

    Enquête sur la capacité de production de souches : Les spores sur les tours de géloses dextrosées à la pomme de terre matures sont lavées, inoculées dans un milieu de culture de riz et cultivées pendant sept jours, afin de donner des spores de riz matures.

     

     

    • [335] En somme, l’explication de M. Luo sur la raison pour laquelle il a menti dans les deux articles n’est pas crédible.M. Luo a fabriqué son témoignage devant la Cour afin de camoufler l’utilisation d’Aspergillus terreus à un moment où Blue Treasure était censé avoir utilisé exclusivement le procédé AFI‑4.La meilleure explication à ces deux articles et au témoignage de M. Luo est que les expériences avec la poudre de poisson ont été menées sur de la lovastatine au moyen du procédé AFI‑1. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les expériences ont été menées au moyen du procédé AFI‑1 (c’est‑à‑dire, avec Aspergillus terreus). Il s’ensuit que les deux articles soutiennent les affirmations de Merck selon lesquelles Blue Treasure utilisait Aspergillus terreus pour fabriquer de la lovastatine et qu’elle contrefaisait donc le brevet 380.

     

    C.  La conclusion sur la preuve circonstancielle sur Blue Treasure

     

    [336]  On pourrait qualifier la majeure partie des éléments de preuve susmentionnés en tant que preuve circonstancielle, ce qui m’exige de faire des déductions afin de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu contrefaçon.

     

    • [337] En ce qui concerne les déductions, Apotex soutient que je dois éviter de m’appuyer sur des déductions alléguées, qui ne sont que de simples hypothèses. Je suis d’accord.

     

    • [338] Il y a évidemment une différence entre une déduction raisonnable et une simple hypothèse. La Cour d’appel fédérale a fait les commentaires qui suivent dans l’appel d’un contrôle judiciaire en matière d’immigration, dans Minister of Employment and Immigration c Satiacum (1989), 99 N.R. 171, à la page 179, [1989] A.C.F. n505 (QL)(C.A.F.) :

    La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.) :

     

    [traduction]

    Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

     

    Dans R. v. Fuller (1971), 1 N.R. 112, à la p. 114, le juge Hall a conclu, au nom de la Cour d’appel du Manitoba, que [traduction] « [l]e tribunal des faits ne peut faire appel à des conclusions toutes théoriques et conjecturales ». La Cour suprême a ensuite confirmé ces motifs à l’unanimité : 1973 CanLII 196 (C.S.C.), [1975] 2 R.C.S. 121 à la p. 123; 1 N.R. 110, à la p. 112.

     

    • [339] En l’espèce, je suis convaincue que je ne me fonde pas sur une hypothèse ou une simple supposition; plutôt, la déduction tirée selon l’ensemble de la preuve selon laquelle Blue Treasure fabriquait de la lovastatine au moyen du procédé AFI‑1 contrefait est raisonnable et logique.

     

    • [340] Vu l’ampleur de la preuve qui m’est présentée et l’absence d’autres explications raisonnables pour la majeure partie de cette preuve, je conclus que Merck s’est acquittée de son fardeau de montrer qu’il était plus probable qu’improbable que Blue Treasure, dès mars 1998, fabriquait de la lovastatine au moyen du procédé contrefait AFI‑1. La lovastatine était ensuite livrée à AFI afin d’être finalement vendue sur le marché canadien.Cela constituait une contrefaçon du brevet 380.

     

    • [341] Cette conclusion reste valable sans renvoyer à la preuve génétique. Cela signifie que, peu importe si la preuve génétique présentée par Merck constitue une preuve crédible de contrefaçon directe, je conclus que toute quantité de lovastatine fabriquée et vendue au Canada qui comprenait de la lovastatine produite par Blue Treasure après mars 1998 a contrefait le brevet 380.

     

    • [342] La preuve génétique est abordée à la section VIII des présents motifs.

     

    D.  Le lot CR0157 d’Apotex

     

    [343]  Merck n’affirme plus que la totalité de la lovastatine produite à Winnipeg par AFI contrefaisait le brevet 380. Toutefois, Merck affirme toujours qu’un lot de lovastatine – appelé CR0157 – contenait de la lovastatine fabriquée au moyen du procédé protégé par le brevet 380.

     

    • [344] Le lot CR0157 comprenait 12,57 kg de lovastatine de qualité USP. Il a été fabriqué à AFI à Winnipeg et envoyé directement à l’attention du DrBarry Sherman à Apotex Inc. le 2 décembre 1996. Il s’agissait du premier lot de lovastatine AFI‑4 expédié à Apotex Inc.

     

    • [345] Selon l’historique du lot, le lot CR0157 était la cristallisation finale du lot CR0151, qui, quant à lui, était une recristallisation du lot CR0149. Le lot CR0149 correspondait à la cristallisation de trois lots d’extraction : CR0117, CR0145 et CR0144.Le DrSailer a confirmé l’« arbre généalogique » du lot CR0157 pendant son interrogatoire principal; il est présenté dans la figure 1ci‑dessous.

    Figure 1


    • [346] L’argument avancé par Merck repose essentiellement sur le fait que le lot CR0157 était un lot combiné de lovastatine non‑contrefaite et de lovastatine contrefaite. Voici les principaux éléments de preuve sur lesquels Merck se fonde :

     

    • (1) Les dossiers de lot AQA 94 (appelés AQA 94) indiquent que le lot CR0157 était [traduction] « AFI n1, 4, ALERTE, contient du matériel très secret », ce qui indiquerait qu’il s’agissait d’un mélange de lovastatine fabriquée avec Aspergillus terreus et Coniothyrium fuckelii;

     

    • (2) Certains des lots qui ont finalement donné lieu au lot CR0157 (CR0151, CR0117, CR0144 et CR0149) montrent des modifications qui ont augmenté les poids de la lovastatine par rapport à ceux consignés au départ.

     

    • (3) Les tests génétiques menés par M. Davies montraient que les comprimés d’apo‑lovastatine étaient positifs à Aspergillus terreus et négatifs à Coniothyrium fuckelii.

     

    • [347] Selon moi, pour les motifs qui suivent, aucun des deux premiers arguments n’est convaincant à eux seuls. Toutefois, la preuve directe de la présence d’Aspergillus terreus dans les comprimés fabriqués à partir du lot Cr0157 n’a pas été contestée et prouve directement qu’il y a eu contrefaçon.

     

    • [348] Dans le cadre du dossier d’instruction, les défenderesses ont présenté les dossiers de lot d’AFI. Ces dossiers ont manifestement été produits en même temps que les fermentations auxquelles ils se rapportent et ont été conservés dans le cadre normal des activités d’AFI.Contrairement aux dossiers de lot pour Blue Treasure, les dossiers de lots d’AFI sont acceptables en tant que pièces commerciales.Autrement dit, les dossiers de lot d’AFI sont une preuve prima facie des faits qu’ils relatent.

     

    • [349] Il ne s’ensuit toutefois pas que chacun des documents produits par AFI qui ressemble à une pièce commerciale satisfait aux critères stricts afin d’être accueilli en preuve en tant que pièce commerciale. Cela est d’autant plus vrai pour le document appelé AQA 94 et invoqué par Merck.

     

    • [350] Le document AQA 94 est un document d’une page qui contient une liste de 56 numéros de lot et de courtes notes. L’entrée qui revêt un intérêt se trouve à la ligne 11 :

    [traduction]

    CR0157 AFI no 1, 4, ALERTE, contient du matériel très secret.

     

    • [351] Le document a été présenté au Dr Cox, qui n’a pas réussi à l’identifier ou à livrer un témoignage susceptible d’aider la Cour à cet égard.On a interrogé Mme Christofalos sur le document pendant son interrogatoire principal.

    [traduction]

    Q.  Pouvez‑vous identifier ce document?

     

    R.  Il ressemble à l’un de nos, en fait, il s’agit de l’un de nos documents internes de tenue de registres, où nous avons seulement créé un index d’un ensemble de documents destinés à être mis en boîte.

     

    Q.  Savez‑vous dans quel but il a été créé?

     

    R.  À des fins de classement seulement.

     

    Q.  Savez‑vous à quel moment il a été créé?

     

    R.  Nous avons amorcé cet exercice à la fin de l’année 1999. Je dirais, selon mes souvenirs, à la fin de l’année 1999.

     

    Q.  Pouvez‑vous dire à la Cour qui l’a créé?

     

    R.  Il aurait pu être créé par un certain nombre de personnes, probablement nos préposés aux dossiers.

     

    • [352] Même si Mme Christofalos a avoué ne pas avoir préparé le document, elle a indiqué que, selon elle, la liste ne visait qu’à identifier des boîtes de documents. Qui plus est, Mme Christofalos a présenté, à mon avis, une explication raisonnable de la raison pour laquelle on renvoie à [traduction] « AFI no 1, 4 » dans le document :

     

    • La personne qui crée cette liste, aurait examiné la première page du dossier de lot de production intérimaire réel et n’aurait vu quel’inscription suivante : [traduction] « Nom de produit : lovastatine USP » et [traduction] « Numéro de pièce de produit : 6 000 ».

     

    • Le numéro de pièce 6 000 était celui de la lovastatine fabriquée au moyen du procédé AFI-1 (At) ou AFI-4 (Cf), ce qui mènerait à l’inscription des deux sur la liste.

     

    • L’erreur n’a jamais été corrigée parce que ces listes n’étaient pas des documents de contrôle.

     

    • [353] Avec tout le respect que je dois à Merck, je ne vois pas en quoi ce document d’origine douteuse peut constituer une preuve circonstancielle solide de produit contrefait dans un lot de lovastatine. M. Cox n’était manifestement pas au courant du document AQA 94. Selon l’explication fournie par Mme Christofalos, il ne s’agissait que d’un index de documents.Elle n’avait pas préparé la liste et ignorait qui aurait pu le faire. La liste de documents a été créée seulement en 1999 – plus de deux ans après la fabrication du lot CR0157.Contrairement aux dossiers de lots d’AFI, le document AQA 94 n’est pas admissible en tant que pièce commerciale.Je ne l’accepte pas pour la véracité de son contenu – en particulier, pour le fait que le lot CR0157 était un mélange de lovastatine contrefaite et non‑contrefaite.Vu l’absence de lien entre le document AQA 94 et l’« arbre généalogique » du lot CR0157, je n’accorde aucun poids à ce document.

     

    • [354] Le seul autre argument restant avancé par Merck (outre la preuve génétique) porte sur certaines anomalies apparentes liées au poids des trois lots préliminaires qui ont finalement fait partie du lot CR0157. En formulant cet argument, Merck renvoie aux dossiers de lot pour trois lots antérieurs en aval : CR0151, CR0117 et CR0144.Dans chacun des cas, un document qui fait partie des dossiers de lots montre qu’un changement manuel a été apporté au poids du matériel obtenu indiqué au départ.Dans chacun des cas, le poids était augmenté.Dans son observation, Merck indique que cette augmentation concorde avec l’ajout de lovastatine contrefaite au lot.

     

    • [355] En réponse, les défenderesses ont tenté d’expliquer ces écarts par les témoignages du Dr Sailer et de Mme Christofalos.

     

    • [356] Le Dr Sailer a précisé qu’il est tout simplement impossible d’augmenter les poids antérieurs destinés au lot CR0157 puisqu’il s’agit d’un processus de perte de poids.

    [traduction]

    Q.  D’accord. Bien, encore une fois, je ne peux pas me plaindre d’aucune erreur à cet égard. Le seul point que je reconnais peut‑être, et je tiens à m’assurer que je comprends bien, est que l’on ne peut tout simplement pas additionner ces trois chiffres.

     

    R.  Nous pouvons, parce que le lot 151 a été généré à partir du lot CR0149 et les deux erreurs que nous voyons dans le matériel destiné au lot CR0149, qui comme vous l’avez dit, correspond à l’addition de 11,2 kg et de 1,2 kg, ont généré une certaine quantité.

     

    Q.  D’accord.

     

    R.  En tant que matériel de départ pour le lot suivant, soit 151. Au cours du lot suivant, lorsqu’ils ont tenté de le décharger, ils ont dû apporter une correction parce qu’ils ont déchargé 3,8 kilogrammes de plus. Cela n’a aucune importance, en réalité, parce que s’ils ne l’avaient pas déchargé, nous l’aurions dissout de toute façon et nous l’aurions mélangé aux 11,11 kilogrammes afin de générer 14,8 kilogrammes de produit, ce qui correspondait au matériel de départ pour le lot 157 du produit final.

     

    Q.  D’accord.

     

    • [357] Qui plus est, à une date ultérieure, on a trouvé une quantité supplémentaire de lovastatine qui avait été saisie dans le filtre, ce que les opérateurs n’avaient pas remarqué au départ. On l’a consigné par la suite.Le Dr Sailer fait remarquer que les poids biffés sont attribuables à des erreurs commises par des techniciens inexpérimentés.

    [traduction]

    Q.  D’accord. Allons à l’onglet 3, à la page 82. Avez‑vous cette page?

     

    R.  Oui.

     

    Q.  Et je vois un tableau sur la lovastatine brute obtenue; le voyez‑vous?

     

    R.  Oui, je le vois.

     

    Q.  Et je constate que la première inscription est CR0117?

     

    R.  Je le vois.

     

    Q.  Je constate toutefois que le poids net correspond à 3,8 kilogrammes.

     

    R.  Oui.

     

    Q.  Quelle explication pouvez‑vous donner à la Cour, s’il y a lieu, pour cela?

     

    R.  J’ai une explication semblable. Il s’agit du premier lot qui a été filtré au moyen de cet équipement, NF 1, et c’est ce qu’ils ont trouvé, en fait, lorsqu’ils ont démonté l’écran; ils ont échappé le fond et ont vu qu’il y avait encore du produit. Je sais que cela devrait être consigné ici, mais, comme je l’ai mentionné, il s’agissait du premier lot. Et, il est vrai que nous n’avions pas vraiment d’expérience. Notre équipe était assez nouvelle, donc je confirme qu’il manque, il manque une remarque sur le 1,2 kilogramme trouvé sur l’écran.

     

    • [358] Enfin, je constate que les corrections ont été apportées au dossier quelque huit jours après l’entrée originale. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer ce retard, le DrSailer n’a pas réussi à donner une réponse.

     

    • [359] Même si les explications fournies par le DrSailer et Mme Christofalos pouvaient constituer une réponse suffisante à cette disparité, elles ne sont que cela - une explication ou une hypothèse.Leurs réponses n’expliquent pas le retard de huit jours avant de modifier le document et n’expliquent pas complètement la façon dont le processus de fabrication de lovastatine pourrait « perdre du poids ».

     

    • [360] En somme, je constate que des questions restent sans réponse en ce qui concerne la constitution du lot CR0157. Étant donné qu’Apotex n’a jamais testé ce lot, je ne dispose d’aucune preuve directe que ce lot ne comprenait pas de lovastatine provenant d’Aspergillus terreus.Toutefois, dans l’observation de Merck, je dispose d’un élément de preuve direct selon lequel les comprimés du lot CR0157 avaient été fabriqués avec de la lovastatine contrefaite.Merck avance cet argument en fonction des résultats des tests génétiques menés par M. Davies. Cet élément de preuve est abordé à la section VIII des présents motifs.

     

    VIII.  Contrefaçon - la preuve d’ADN

     

    A.   Introduction

     

    • [361] La preuve directe de contrefaçon de Merck repose sur les tests d’ADN effectués au nom de M. Julian Davies à son laboratoire à l’Université de la Colombie-Britannique (ci-après, le laboratoire Davies). Merck s’appuie sur le rapport et le témoignage d’expert de M. Davies pour soutenir qu’il y a une preuve directe que le lovastatine fabriqué par Blue Treasure et le lovastatine contenu dans le lot CR0157 fabriqué par AFI contiennent Aspergillus terreus, contrefaisant ainsi le brevet 380.

     

    • [362] M. Davies a reçu et testé trois échantillons de lovastatine, soit les suivants : a) trois ampoules de poudre blanche et une ampoule de poudre brune, censées être des échantillons de Blue Treasure, obtenus par les services de M. Ted Kavowras; et b) des capsules d’Apo-lovastatine provenant du lot CR0157 fabriqué par AFI.

     

    • [363] Le laboratoire Davies a mené deux séries de tests sur ces échantillons, la première en 2003, puis la seconde en 2007. En 2003, les tests ont été effectués par Karen Lu, technicienne expérimentée au laboratoire Davies. En 2007, Karen Lu a effectué les tests avec l’aide de Grace Yim, candidate au doctorat, également au laboratoire Davies.

     

    • [364] En 2003, la procédure expérimentale comportait plusieurs étapes : l’ADN a été extrait des échantillons, des amorces spécifiques à la région fongique de l’ADN ont été sélectionnées à même la littérature publiée; les amorces ont été utilisées pour amplifier l’ADN dans une réaction en chaîne de la polymérase imbriquée (PCR imbriquée); l’ADN amplifié a été soumis à l’électrophorèse sur gel; puis une teinture a été ajoutée au gel et il a été analysé sous une lumière ultraviolette (UV) afin de détecter la présence d’ADN. L’analyse à la lumière UV a permis de mettre en évidence la présence de bandes correspondant à 130 paires de base (pb). Il a été établi que ces bandes constituaient un résultat positif de la présence de l’ADN d’Aspergillus terreus. Les bandes ont été extraites du gel et envoyées à un laboratoire spécialisé dans le séquençage d’ADN. Le laboratoire Davies a ensuite comparé les résultats du séquençage d’ADN à la séquence d’ADN d’Aspergillus terreus figurant dans la base de données du National Institute for Biotechnology Information. Cet exercice a permis de confirmer que le résultat positif d’ADN dans les échantillons de lovastatine correspondait effectivement à l’ADN d’Aspergillus terreus.

     

    • [365] En 2007, le laboratoire Davies a répété les expériences avec une procédure modifiée et a tenté de détecter la présence des ADN d’Aspergillus terreus de Coniothyrium fuckelii. Une fois encore, le résultat était positif pour Aspergillus terreus.

     

    • [366] La combinaison des expériences menées en 2003 et en 2007 a généré 13 résultats positifs pour l’ADN d’Aspergillus terreus et aucun résultat positif pour l’ADN de Coniothyrium fuckelii. Selon ces résultats, M. Davies a conclu que le champignon responsable de la production de la lovastatine dans les échantillons testés par le laboratoire Davies était Aspergillus terreus.

     

    • [367] Le premier élément essentiel et critique à préciser est qu’il incombe à Merck de faire sa preuve selon la prépondérance des probabilités. C’est-à-dire que Merck aura gain de cause si elle parvient à me convaincre qu’il est plus probable que le contraire que les échantillons testés contenaient de l’ADN d’Aspergillus terreus.

     

    • [368] Plusieurs éléments achoppent dans la preuve d’ADN soumise par M. Davies :

     

    1. Y a-t-il un lien entre les échantillons de Blue Treasure et la lovastatine de Blue Treasure en contrefaçon présumée du brevet 380?

     

    1. Les résultats des tests laboratoire Davies devraient-ils être rejetés, car ils n’ont pas pu être reproduits par M. Poinar?

     

    1. L’incapacité de M. Davies à détecter de l’ADN de C. fuckelii dans les comprimés issus du lot CR0157 permet-elle d’appuyer la position d’Apotex voulant que sa preuve d’ADN ne soit pas fiable?

     

    1. L’« ancien ADN » est-il identique ou analogue à l’ADN trouvé dans les échantillons testés par M. Davies?

     

    1. Les résultats du laboratoire Davies devraient-ils être rejetés au motif que les échantillons ont été contaminés et que l’ADN d’Aspergillus terreus était exogène?

     

    1. Le poids accordé au rapport d’expert de M. Davies et à ses opinions devrait-il se limiter aux suivantes :

     

    • a) l’incapacité à décrire les éléments constitutifs des expériences décrites dans son rapport d’expert;

     

    • b) le caractère incomplet des rapports produits en lien avec les expériences effectuées par le laboratoire Davies;

     

    • c) l’omission de divulguer la majorité des tests utilisés; ou

     

    • d) l’omission d’utiliser des contrôles d’extraction négatifs?

     

    • [369] Je rajouterais à cette liste la question du poids à accorder à l’opinion des experts présentés par Apotex, soit messieurs Gilbert, Poinar et Taylor. Le caractère limité de l’expertise de ces témoins devrait-il avoir une incidence sur le poids à accorder à leur opinion ou la pertinence de celle-ci?

     

    B.   Lien entre les échantillons et la lovastatine visée par l’allégation de contrefaçon

     

    • [370] L’évaluation de la preuve d’ADN dans le présent dossier commence nécessaire par l’examen des sources des échantillons utilisés par le laboratoire Davies. La présente d’Aspergillus terreus dans les échantillons peut uniquement établir qu’il y a eu contrefaçon si ceux-ci proviennent : a) de la lovastatine fabriquée par Blue Treasure durant la période visée; ou b) des comprimés d’Apo-lovastatine provenant du lot CR0157 fabriqué par AFI.

     

    • [371] Je commencerai par analyser les trois ampoules de poudre blanche et l’ampoule de poudre brune soi-disant obtenue de Blue Treasure. En 2000, le cabinet d’avocat représentant Merck a demandé à M. Ted Kavowras d’obtenir des échantillons de lovastatine de Blue Treasure. M. Kavowras a un cabinet d’enquête et de conseils établi en Chine appelé Panoramic Consulting. La plupart de ses enquêtes s’effectuent en secret. M. Kavowras détient une expérience considérable dans l’obtention d’éléments de preuve aux fins de litiges civils.

     

    • [372] M. Kavowras a témoigné qu’il a approché Blue Treasure, sous le pseudonyme de M. Garcia, afin d’obtenir des échantillons de lovastatine. D’octobre 2000 à janvier 2001, il a obtenu des échantillons d’un employé de Blue Treasure. Les échantillons, prélevés à même deux lots, ont été livrés dans un emballage scellé et accompagnés des certificats d’analyses correspondant aux deux échantillons, mentionnant les numéros de lot 200012016 et 200012015. Durant son témoignage au procès, M. Kavowras a identifié avec assurance les pièces produites comme étant les échantillons qu’il avait obtenus de Blue Treasure. Les échantillons ont été transportés dans le bagage à main de M. Kavowras et ont été conservés dans son bureau dans un lieu sécurisé.

     

    • [373] Merck a invité Mme Giuliani à venir expliquer la chaîne de transmission des échantillons de M. Kavowras à M. Davies. Les échantillons ont été remis à Mme Giuliani qui les a conservé dans la voûte de la société et organisé leur livraison à M. Davies. M. Davies a témoigné avoir reçu des échantillons en [traduction] « parfait » état.

     

    • [374] La preuve avancée par Merck démontre que la chaîne de possession de la preuve est demeurée intacte et que les échantillons ont été remis à M. Davies sans avoir subi de modification.

     

    • [375] Apotex ne conteste pas le mode de transmission des échantillons à M. Davies. Toutefois, le problème est que ces échantillons ont été obtenus de Blue Treasure en 2000 et 2001. Aucun élément de preuve ne démontre clairement que ces échantillons proviennent de la lovastatine fabriquée par Blue Treasure au cours de la période pertinente, soit de 1997 à 1999. Merck n’est pas parvenue à me convaincre que ces échantillons sont représentatifs de la lovastatine fabriquée, vendue et distribuée par Apotex Inc. L’absence de lien entre les échantillons obtenus par M. Kavowras et la lovastatine fabriquée par Blue Treasure de 1997 à 1999 ne me permet pas de conclure que la preuve d’ADN produite par M. Davies démontre qu’il y a eut contrefaçon.

     

    • [376] Il en est autrement quant aux comprimés d’Apo-lovastatine. Les comprimés testés proviennent du lot CR0157 fabriqué par AFI, ce qui n’est pas contesté. Par conséquent, si je conclus, selon la prépondérance des probabilités que les comprimés du lot CR0157 testés par le laboratoire Davies contiennent de l’ADN d’Aspergillus terreus qui ne proviennent pas d’une contamination, la contrefaçon sera établie.

     

    • [377] De plus, advenant que j’aie eu tort de conclure à l’absence de lien avec les échantillons de Blue Treasure, alors je devrais répondre à la question à savoir si la preuve au dossier permet d’établir que lesdits échantillons de Blue Treasure contiennent de l’ADN d’Aspergillus terreus qui, selon la prépondérance des probabilités, n’était pas le fruit d’une contamination extérieure. Le cas échéant, la contrefaçon sera établie.

     

    C.   Reproductibilité des tests effectués par le laboratoire Davies  

     

    • [378] Apotex soutient que je devrais rejeter les résultats des tests effectués par le laboratoire Davies, car M. Poinar n’a pas été en mesure de les reproduire.

     

    • [379] Apotex a retenu les services de M. Poinar afin qu’il donne non seulement son opinion sur le travail de M. Davies, mais également afin de concevoir et d’effectuer les expériences menées par le laboratoire Davies avec les mêmes échantillons qu’utilisés par ce dernier. M. Poinar a testé 12 échantillons de lovastatine fabriquée par AFI ou Blue Treasure. À des fins de contrôle, les expériences de M. Poinar comprenaient également des échantillons de lovastatine produite à l’aide d’Aspergillus terreus. Apotex soutient que M. Poinar a utilisé une méthode d’extraction pour ainsi dire identique à celle utilisée dans le protocole prévu par M. Davies. M. Poinar a conclu que [traduction] : « les ADN d’A. terreus et de C. fuckelii étaient absents de tous les échantillons vérifiés ». L’explication apparente selon M. Poinar est la suivante (rapport d’expert de M. Poinar, pièce 135, p. 15 [traduction] « conclusion ») :

    [traduction]

    Le traitement de l’échantillon et les étapes d’extraction génèrent trop de pertes pour permettre de détecter des traces d’ADN des mycètes d’origine (ni A. terreus ni C.fuckelii n’ont été détectés dans des échantillons d’origine connue). 

     

    • [380] En d’autres termes, M. Poinar a conclu qu’il était impossible d’obtenir un montant détectable d’ADN des produits pharmaceutiques fongiques à l’aide des méthodes d’expérimentation utilisées par M. Davies.

     

    • [381] Apotex s’appuie sur la preuve de M. Poinar étayer sa conclusion voulant que tout résultat positif obtenu par M. Davies soit le fruit d’une contamination, et non la démonstration de la présence d’ADN endogène.

     

    • [382] Il semble que M. Poinar eu abordé cette expérience avec l’opinion qu’il était peu probable que l’ADN survive (rapport d’expert de M. Poinar, pièce 135, paragraphe 62) :

    [traduction]

    […] après avoir examiné attentivement toute la procédure de fermentation, d’extraction, de recristallisation et de purification de la lovastatine, il est peu probable que l’ADN survive à un tel procédé.

     

    Il a réitéré son point de vue au cours de son témoignage à l’audience :

    [traduction]

    Il est donc surprenant, quoique certainement pas impossible, de l’ADN survive même à ce processus.

     

    • [383] Étant donné le biais de départ de M. Poinar, peut-on avoir le moindre de doute que ses expériences ne permettraient pas de trouver des traces d’ADN? Il me semble qu’il y a un risque véritable que M. Poinar eût eu un biais de confirmation en regard de son travail de laboratoire. En d’autres mots, je me questionne à savoir si M. Poinar n’a pas plutôt mené ses expériences de façon à confirmer sa thèse voulant que l’ADN n’aurait pas survécu, plutôt qu’avec un esprit ouvert et indépendant.

     

    • [384] Même en écartant ma préoccupation quant à l’état d’esprit de M. Poinar en regard des expériences, j’éprouve de sérieuses difficultés en lien avec ses méthodes expérimentales et ses résultats.

     

    • [385] Ma première préoccupation porte sur l’expérience de M. Poinar quant à l’analyse d’Aspergillus terreus. M. Gilbert, expert reconnu en microbiologie et en génétique microbienne, a été d’une grande aide à la Cour à ce sujet. En contre-interrogatoire, on a présenté à M. Gilbert quelques données tirées des expériences de M. Poinar. Plus particulièrement, on lui a montré deux séries de données qPCR. On lui a demandé de commenter différents volets de ces données sans lui indiquer s’ils provenaient de l’analyse de Coniothyrium fuckelii ou de l’analyse d’Aspergillus terreus. La première série de diapositives comprenait des données sur l’analyse de Coniothyrium fuckelii. M. Gilbert a indiqué que les différentes courbes de points de fusion avaient [traduction] belle allure et étaient [traduction] « très jolies ». Il a partagé l’avis voulant que les données figurant sur les diapositives de Coniothyrium fuckelii illustraient [traduction] une expérience où [traduction] « les réactions PCR avaient un comportement conforme, comme prévu ». Il a confirmé que la réaction [traduction] « se déroulait bien ». M. Gilbert a reconnu que la courbe normale de l’analyse de Coniothyrium fuckelii était typique [traduction] « d’une réaction PCR se déroulant bien et de façon prédictive, comme attendu ». Les échantillons sur gel montrés à M. Gilbert ont été décrits comme [traduction] « correspond[ant] au modèle classique ».

     

    • [386] La situation a changé de façon draconienne, lorsqu’on lui a présenté les données issues des analyses d’Aspergillus terreus. Par exemple, tandis que l’efficacité de l’une des diapositives de Coniothyrium fuckelii était décrite comme étant à 93,5 %, l’efficacité de la courbe normale d’Aspergillus terreus analysée était seulement de 70 %. M. Gilbert était d’avis que l’expérimentateur [traduction] éprouvait des difficultés de quantification et possiblement avec les amorces, les réactifs ou les inhibiteurs, lesquels n’apparaissaient pas dans l’analyse de Coniothyrium fuckelii.

     

    • [387] Dans l’ensemble, M. Gilbert était d’accord que, hormis la quantification, la stochasticité, le caractère aléatoire et inattendu des résultats démontraient que l’expérience d’A. terreus ne s’étaient pas déroulée aussi bien et de façon aussi fluide que l’analyse de Coniothyrium fuckelii. Il a également reconnu que les données soutenaient cette conclusion.

     

    • [388] Ainsi, le corollaire qui s’impose à l’opinion de M. Gilbert est que les résultats de M. Poinar sont fiables quant à l’absence de C. fuckelii. Toutefois, ils ne peuvent pas être utilisés comme fondement à une conclusion d’absence d’A. terreus.

     

    • [389] La prochaine difficulté avec le travail de M. Poinar est qu’il n’a pas utilisé les mêmes méthodes que celles utilisées par le laboratoire Davies. Utilisant une seule série de PCR, M. Poinar n’a pas été en mesure de détecter de traces d’amorces d’A. terreus au niveau de copie 0,1. Toutefois, il a été en mesure d’obtenir un résultat à l’aide de la méthode de PCR imbriquée du laboratoire Davies. Malgré la possibilité que celle-ci confirme les résultats de M. Davies et en dépit du succès obtenu au niveau de copie 0,1 avec le protocole de M. Davies, M. Poinar n’a pas tenté de reproduire ou de passer le moindre échantillon à travers le protocole complet de PCR imbriquée de M. Davies. Finalement, M. Poinar a reconnu la prémisse suivante lorsqu’elle lui a été présentée en contre-interrogatoire :

    [traduction]

    Q.  Vous ne pouvez pas, à la lumière de vos expériences, éliminer la possibilité que vous auriez pu trouver des traces de terreus si vous aviez reproduit son expérience. N’est-ce pas?

     

    R.  Non.

     

    • [390] Étant donné la preuve qui m’est présentée, je ne peux pas conclure que le travail de M. Davies ne peut pas être reproduit.

     

    D.  L’incapacité de M. Davies à détecter de l’ADN de C. fuckelii dans les comprimés issus du lot CR01757

     

    • [391] Comme mentionné précédemment, M. Davies a retrouvé de l’ADN d’A. terreus dans les comprimés du lot 0157 fabriqué par AFI, mais pas d’ADN de C. fuckelii. À première vue, ceci ne semble pas correspondre à la théorie de Merck voulant que le lot CR0157 soit probablement une combinaison de lovastatine de Coniothyrium fuckelii et de lovastatine d’Aspergillus terreus. Comme dernier argument, Apotex a fait valoir que cette incohérence alléguée était [traduction] « fondamentalement fatale à tout appui sur les tests effectués par le laboratoire Davies ». Elle a décrit sa position comme suit :

    [traduction]

    En somme, [M. Davies] n’a pas trouvé CF lorsqu’il aurait dû le déceler, mais a trouvé AT alors qu’il n’aurait pas dû en détecter. Ainsi, l’AT pouvait seulement, dans ce scénario, être d’origine exogène.

    […]

     

    L’autre possibilité est que le lot CR0157 est un mélange. On a utilisé de la lovastatine d’AT dans le mélange, je crois que la majorité du lot est formée, même dans ce cas de figure, de lovastatine de CF.

     

    Ainsi, selon ce scénario, le lot contenait de la lovastatine de CF et d’AT. M. Davies aurait dû détecter AT et CF. Il n’a pas détecté CF, même dans ce scénario. Voilà qui permet de douter de ses tests et de la capacité de l’ADN à survivre. Encore fois, ceci signifie que l’ADN d’AT qu’il a décelé doit être d’origine exogène, car il n’a pas détecté de CF.

     

    • [392] La position d’Apotex repose, à mon sens, sur une présomption erronée. L’incapacité à détecter un micro-organisme en particulier à la suite de tests d’ADN ne permet pas de conclure à son absence. En contrepartie, si l’on présume que toutes les procédures de laboratoire appropriées ont été suivies et qu’il n’y eut aucune contamination, alors la détection d’un certain micro-organisme est une preuve solide de sa présence dans l’échantillon. M. Poinar a reconnu ceci dans son contre-interrogatoire :

    [traduction]

    Q. […] Si vous affirmez à quelqu’un qu’à votre avis, l’ADN est absent de l’échantillon; alors l’affirmation scientifique correcte est toujours que l’ADN n’est pas présent dans l’échantillon à un degré détectable, n’est-ce pas?

     

    R.  C’est exact.

     

    Q.  Par contre, un résultat positif n’a pas la même teneur du point de vue scientifique. Par exemple, en scientifique, vous affirmeriez avoir trouvé terreus dans cet échantillon. Je ne sais pas combien il y en avait, mais je l’ai amplifié.

     

    R.  Hmm hmm.

     

    Q.  Donc, pourrait-on dire qu’une conclusion de résultat négatif n’entraîne pas le même fardeau de preuve qu’un résultat positif?

     

    R.  Tant que toutes les précautions ont été prises. Donc, si tous les contrôles de l’extraction et le contrôle de la PCR avaient été présents, alors cette possibilité existerait. C’est exact.

     

    • [393] Par exemple, nous avons que M. Poinar n’a pas trouvé d’ADN d’A. terreus dans aucun de ses échantillons. Or, nous avons que les échantillons de lovastatine fournis à M. Poinar, en plus des échantillons en cause, contenaient véritablement de l’ADN d’Aspergillus terreus. Néanmoins, M. Poinar n’a pas été en mesure de confirmer la présence de ce micro-organisme. Comme mentionné précédemment, j’ai rejeté la présomption de M. Poinar voulant qu’il ne fût pas possible de détecter de l’ADN dans ces échantillons. Ainsi, il coule de source que sa conclusion voulant qu’il n’y ait pas d’ADN d’Aspergillus terreus dans les échantillons soit erronée. En outre, les échantillons contenaient de l’ADN d’Aspergillus terreus; M. Poinar n’a simplement pas utilisé les bonnes méthodes expérimentales pour le détecter.

     

    • [394] Conséquemment, et appliquant la même analyse à M. Davies, je conclus que son incapacité à détecter Coniothyrium fuckelii, même s’il y en avait eu dans le lot CR0157, ne vient pas invalider ses résultats quant à l’Aspergillus terreus. Il ne s’ensuit certainement pas, comme le soutien Apotex, que l’ADN détecté par M. Davies dans le lot CR0157 fabriqué par AFI est d’origine exogène.

     

    • [395] Il importe de mentionner une réserve importante à ce chapitre. J’ai rejeté l’argument d’Apotex reposant sur l’incapacité de M. Poinar à détecter Coniothyrium fuckelii et Aspergillus terreus ou sur celle de M. Davies à détecter de l’ADN de Coniothyrium fuckelii dans les comprimés issus du lot CR0157.. Toutefois, ceci ne signifie pas nécessairement que j’accepterai les conclusions de M. Davies. Comme l’a mentionné M. Poinar; toutes les précautions appropriées doivent avoir été respectées avant qu’on puisse s’appuyer sur les résultats de tests d’ADN. J’en arrive ainsi à la question principale entourant la preuve d’ADN utilisée par Merck : La preuve d’ADN est-elle fiable? En d’autres termes, le laboratoire Davies a-t-il pris les précautions appropriées? Toute analyse de cette question doit commencer par un exposé de l’opinion des experts avancés par les défenderesses en réponse à la preuve d’ADN de M. Davies.

     

    E.   La preuve d’ADN et les experts d’Apotex

     

    • [396] La réponse d’Apotex à la preuve d’ADN repose sur une critique du travail de M. Davies effectuée par trois experts messieurs Gilbert, Poinar et Taylor.

     

    • [397] M. Taylor a été reconnu par notre Cour à titre de mycologiste expert et microbiologiste ayant une expertise particulière en évolution de l’ADN fongique ainsi qu’en amplification des PCR d’ADN. M. Taylor a offert son opinion sur le rapport d’expert de M. Davies ainsi que sur les résultats de ses tests d’ADN, particulièrement en ce qui a trait à la possibilité de contamination du laboratoire Davies.

     

    • [398] M. Gilbert est un expert reconnu dans l’analyse d’ADN dégradé et à faible nombre de copies. Son témoignage et son rapport portent sur la question de la contrefaçon. Il explique les problèmes découlant de l’utilisation d’ancien ADN ou d’ADN dégradé (dit ancien ADN). M. Gilbert s’est fait confier le mandat d’examiner les carnets de laboratoire de M. Davies. On lui a demandé de se prononcer quant au caractère justifié des conclusions eu égard aux méthodes utilisées.

     

    • [399] M. Poinar est un expert reconnu dans l’extraction et la caractérisation d’ADN dégradé et à faible nombre de copies. Il a examiné les expériences exécutées par le laboratoire Davies et (comme mentionné précédemment) a tenté de reproduire les résultats en effectuant ses propres tests. M. Poinar a eu à répondre à deux questions générales : d’abord, à savoir si l’expérience imaginée par M. Davies correspondait au degré de rigueur nécessaire pour détecter de l’ancien ADN ou à faible nombre de copies; puis si les données de M. Davies appuyaient son hypothèse voulant que de l’ADN d’Aspergillus terreus eût été trouvé dans les échantillons de lovastatine des défenderesses.

     

    • [400] Selon les règles de preuve générales, les témoins ne sont pas autorisés à offrir leur opinion : ils doivent limiter leur témoignage à leurs connaissances, à leurs observations et à leur expérience. Toutefois, les experts sont l’exception à cette règle. Les experts sont nécessaires pour aider la Cour à trancher des questions scientifiques situées à l’extérieur du champ de connaissances habituelles du juge. Toutefois, avant d’accepter une preuve d’opinion, le juge des faits doit déterminer l’admissibilité de ladite preuve en fonction de quatre critères : la pertinence; la nécessité d’aider le juge des faits; l’absence de toute règle d’exclusion; et la qualification suffisante de l’expert. (R c Mohan, [1994] 2 S.C.R. 9, 114 D.L.R. (4e) 419).

     

    • [401] En l’occurrence, messieurs Taylor, Gilbert et Poinar semblent satisfaire à trois des quatre critères. Toutefois, étant donné le caractère très restreint de leur expérience et de leurs opinions sur l’ancien ADN, je me questionne sérieusement quant à la pertinence de leurs opinions. C’est le cas de tous les experts, quoique plus particulièrement en regard de messieurs Poinar et Gilbert. Bien que mon degré de préoccupation ne me pousse pas à conclure que l’ensemble de leur preuve d’opinion est inadmissible; il se traduit dans le poids qui devrait être accordé à celles-ci. Le problème de fond porte sur la caractérisation de l’ADN découvert par M. Davies comme étant de l’ancien ADN.

     

    (1)  Qu’est-ce que de l’ancien ADN?

     

    • [402] Premièrement : qu’est-ce que l’ancien ADN? Selon le dossier qui m’est présenté, il n’existe aucune définition claire de cette expression. Toutefois, chacun des experts des défenderesses a apporté des éclaircissements sur qu’on entend par ancien ADN :

    • M. Poinar a affirmé les suivantes (rapport d’expert Poinar, pièce 135, paragraphe 2) :

     

    [traduction]

    L’étude de l’ancien ADN consiste en l’extraction et la caractérisation méticuleuses de séquences d’ADN d’échantillons que l’on présume hautement dégradés, à faible nombre de copies et provenant généralement de restes médico-légaux, fossiles, subfossiles, archéologiques et paléontologiques.

     

    • M. Gilbert a affirmé les suivantes (rapport d’expert Gilbert, pièce 130, paragraphe 8) :

     

    [traduction]

    J’ai participé à l’analyse d’un éventail de matières contenant de l’ADN dégradé ou de l’ADN moderne à faible nombre de copies. Parmi ces matières, nommons des os et des dents anciens, souvent âgés de dizaines de milliers d’années; des cheveux et des racines de cheveux; des ongles; de la corne; de la peau (tannée en cuir et séchée); des tissus mous momifiés; des plumes; des coquilles d’œufs; des anciennes semences végétales et feuilles; des tissus mous fixés dans une solution de formaldéhyde et de Bouin; des échantillons sanguins historiques; des selles; de l’urine; de la terre; de la glace et du miel.

     

    • M. Taylor a affirmé les suivantes (rapport d’expert Taylor, pièce 124, paragraphe 25) :

     

    [traduction]

    La rareté de l’ADN dans les échantillons de lovastatine s’apparente à l’ADN des échantillons archéologiques, soit le champ de recherche énoncé précédemment dans la définition d’« ancien ADN ». La composante principale pouvant survenir dans la recherche d’ancien d’ADN est la forte probabilité de contamination de l’échantillon par un ADN de source moderne ou par un ADN amplifié par la PCR d’un ADN moderne, à moins de prendre les précautions nécessaires.

     

    • [403] On remarque un écart marqué entre ces opinions : aucune n’apporte une analyse exhaustive de la façon dont l’ADN se dégrade dans la fabrication d’un produit pharmaceutique, voire même sur la façon de comparer l’ADN se trouvant dans de l’ancien ADN à l’ADN tiré d’un produit pharmaceutique. En l’absence d’une telle preuve, je ne suis pas en mesure de comparer la preuve présentée quant à l’ancien ADN à la preuve produite par M. Davies.

     

    • [404] M. Taylor est d’allée d’une affirmation générale dans son rapport, indiquant que [traduction] « la rareté de l’ADN […] s’apparente à l’ADN des échantillons archéologiques ». Or, à défaut de produire une analyse exhaustive, il s’agit d’une affirmation ni convaincante ni scientifique. Sur quels éléments s’appuient-ils pour affirmer que l’ADN se fait rare dans la lovastatine? Quelle est la preuve nous démontrant que ces deux types d’ADN peuvent être dits analogues? En l’absence d’autres renseignements, je ne vois pas en quoi serait-ce logique de comparer l’ADN disponible dans des anciens os et dents à l’ADN dérivé d’un produit pharmaceutique.

     

    (2)  L’ADN tiré d’un produit pharmaceutique est-il dégradé ou fragmenté?

     

    [405]  La prochaine étape consiste à examiner la condition ou l’état de l’ADN tiré d’un produit pharmaceutique. À l’audience, il y a eu une certaine controverse quant à la définition de l’ADN tiré des échantillons de lovastatine analysés par M. Davies, à savoir s’il était « fragmenté » ou « dégradé ». Apotex soutient que M. Davies a précisément décrit l’ADN visé par ses expériences comme étant un [traduction] « ADN dégradé ». Bien que ce soit exact, M. Davies a présenté une explication suffisante de ce qu’il entend par cette expression dans son rapport d’expert.

     

    • [406] Au cours de son témoignage verbal, M. Davies a décrit le processus par lequel l’ADN fongique se trouvant dans la lovastatine est fragmenté au cours du traitement industriel. Il a expliqué que l’ADN est libéré des cellules, ce qui l’expose aux forces de cisaillement en présence dans la machine à fermentation. Cet énoncé n’a pas été contesté. La question est à savoir si ces forces de cisaillement auraient pour effet de « dégrader » ou de « fragmenter » l’ADN. La question suivante a été posée à M. Davies en contre-interrogatoire :

    [traduction]

    Q.  Vous m’avez dit il y a tout juste quelques instants qu’il y aurait des fragments; ou le mot que vous n’aimez pas utilisé, une dégradation. Seriez-vous d’accord avec moi que, bien qu’une partie de l’ADN survive au processus pharmaceutique dont il est question, il est indéniable qu’au moins une partie de l’ADN en sortirait dégradé?

     

    R.  Dans le cas du processus de fermentation, ce que je crois que j’ai mentionné plus tôt, et plus particulièrement à la fin de ce processus, les cellules commencent à se lyser, c’est-à-dire qu’elles se déconstruisent et libèrent l’ADN. L’ADN sera cisaillé; il sera exposé aux forces de cisaillement des gros mélangeurs utilisés dans la fermentation. Et ce cisaillement va briser l’ADN.

     

    L’ADN d’Aspergillus comporte souvent beaucoup de protéines, ce qui pourrait le stabiliser, mais nous avons planifié nos expériences en nous attendant à ce que l’ADN soit cisaillé. Il ne serait jamais cisaillé au point de ne plus exister.

     

    • [407] Dans son rapport, M. Davies a utilisé le mot [traduction] « dégradé » en parlant de l’ADN visé par ses expériences. Toutefois, dans son témoignage devant la Cour, M. Davies a clarifié que « fragmenté » équivalait, dans son esprit, à « dégradé », et que c’est ce mot qu’il aurait dû utiliser dans son rapport d’expert. M. Davies a expliqué que la fragmentation est un processus normal que subit tout ADN situé à l’extérieur d’une cellule. Il n’a pas eu l’intention de parler de « dégradation », comme étant synonyme du processus qui caractérise l’ancien ADN.

    [traduction]

    Q.  Vous nous avez raconté avoir éprouvé des difficultés dans votre laboratoire, vous avez dit : « j’ai sous-estimé la difficulté d’obtenir de l’ADN d’échantillons pharmaceutiques ». Puis, vous devriez le lire, mais rendez-vous à la phrase qui débute par « bien qu’une partie de l’ADN survive au processus ».

     

    R.  Oui.

     

    Q.  Ce passage dit :

     

    « Il est indéniable qu’une partie de l’ADN s’est dégradée durant ce processus ». S’agit-il d’un énoncé exact? C’est votre avis?

     

    R.  Oui, je suis d’accord.

     

    LA COUR : Est-ce parce que vous assimilez le qualificatif dégradé à celui de fragmenté?

     

    LE TÉMOIN : Oui. C’est différent.

     

    LA COUR : Laissez-moi me rendre au paragraphe 63. Lorsque vous utilisez le mot « dégradé » au paragraphe 63, voulez-vous dire « fragmenté »?

     

    LE TÉMOIN : Je parle d’un processus très général.

     

    LA COUR : Il y a-t-il autre chose que la fragmentation que vous pourriez entendre par le mot dégradation dans ce paragraphe?

     

    LE TÉMOIN : Oui, votre honneur. Il y a des enzymes, des produits chimiques, dans la réaction dans le fermenteur qui pourraient venir modifier chimiquement l’ADN.

     

    • [408] M. Davies a rajouté qu’il n’y avait aucune preuve claire que l’ADN d’A. terreus était « dégradé » (au sens de l’ancien ADN) au cours du processus de fermentation.

    [traduction]

    Q.  Retournant à ma question, n’êtes-vous pas d’accord que bien qu’une partie de l’ADN survive à la fermentation, au processus de purification, il y aura, indéniablement, une partie de l’ADN qui sera dégradé au cours du processus?

     

    R.  Si par dégradation nous entendons un processus de réactions chimiques, alors je dirais que oui, c’est possible.

     

    Q.  Est-ce indéniable?

     

    R.  Je ne sais pas. Personne n’a jamais examiné cette possibilité. Vous avez un fermenteur rempli de choses que l’ADN n’a jamais rencontré et vous mélangez le tout. Je ne connais personne qui va examiner l’état de l’ADN et la façon dont il a été endommagé. Nous n’avons pas examiné le fermenteur. Nous avons seulement analysé la poudre.

     

    • [409] À mon sens, M. Davies a clairement expliqué comment l’ADN tiré d’un processus pharmaceutique serait dit « fragmenté », mais pas « dégradé ».

     

    • [410] Donc, qu’est-ce que cela signifie pour moi? Les experts d’Apotex ont présumé que l’ADN analysé par le laboratoire Davies était « dégradé », comme le serait l’ancien ADN. Je ne suis pas d’accord. La seule preuve pertinente qui m’a été présentée à ce sujet est celle de M. Davies. Je conclus que l’ADN analysé par M. Davies est dit « fragmenté », mais non pas « dégradé ».

     

    (3)  Pouvons-nous comparer la présentation de l’ADN fragmenté d’un produit pharmaceutique à la façon dont l’ancien ADN est dégradé?

     

    • [411] Après avoir analysé la preuve quant à la caractérisation de l’ancien ADN à savoir qu’est de l’ancien ADN, je déterminerai si l’ADN extrait d’un produit pharmaceutique, dit « fragmenté », peut être également dit de l’ancien ADN. Je conclus qu’on ne peut pas le nommer ainsi.

     

    • [412] Il n’est pas logique, à mon sens, de comparer l’ADN [traduction] « des os et des dents anciens, souvent âgés de dizaines de milliers d’années », à l’ADN d’Aspergillus terreus, lequel a subi des traitements pour créer un produit pharmaceutique. Ceci est particulièrement avéré lorsqu’on comprend que l’ADN visé n’est pas « dégradé » de la façon.

     

    • [413] À défaut d’obtenir une preuve d’expert scientifique à ce chapitre, la comparaison n’est pas logique. Les experts des défenderesses n’ont avancé aucune preuve pertinente sur ce point. Toutefois, M. Davies a explicitement indiqué qu’on ne peut pas comparer l’ancien ADN à l’ADN issu d’un processus pharmaceutique.

    [traduction]

    Q.  Dites-moi qu’entendent, selon vous, par « ancien ADN » les gens qui utilisent cette expression?

     

    R.  À ma compréhension, il s’agit de l’ADN isolé à partir de restes de civilisations antérieures, d’animaux, de stades plus précoces, de chose de ce type, et il s’agit de chercher à l’ADN dans ces échantillons et de tenter de l’identifier. Comme le séquençage de génomes d’anciens humains récemment. Je ne sais pas s’il s’agit d’ancien ADN ou pas.

     

    Q.  Selon votre description, serait-ce exact que l’ADN, dans le contexte de l’ancien ADN, est à faible nombre de copies ou dégradé?

     

    R.  Tout dépend de la façon dont vous définissez le mot « dégradé ».

     

    Q.  Comment définiriez-vous le mot « dégradé ».

     

    R.  Je crois qu’il existe deux types de dégradation.

     

    Q.  Quels sont-ils?

     

    R.  L’un premier survient lorsque l’ADN est fractionné en fragments de très faible poids moléculaire, ce qui complique l’exécution d’une PCR.

     

    . . .

     

    Q.  Vous parlez d’un processus de clivage dans votre dernière phrase qui cause, selon votre phrase, une dégradation supplémentaire. Il ne s’agit pas d’une nouvelle dégradation, mais ce semble être une aggravation du processus antécédent que vous avez décrit. Les étapes de purification antérieures causent une dégradation qui peut mener à davantage de dégradation à la suite du clivage des enzymes, est-ce exact?

     

    R.  C’est exact. En fait, j’aurais dû dire est que l’ADN est véritablement modifié et sectionné d’une façon horrible et il n’y aurait que très peu d’ADN chromosomique encore intact. Par contre, il y aurait des fragments et certains de ceux-ci ne pourraient pas générer une PCR, car ils ont été modifiés davantage. C’est la différence entre le présent processus et l’ancien ADN, et des choses de ce genre.

     

    Q.  Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Qu’entendez-vous par ancien ADN?

     

    R.  C’est l’ADN provenant de restes âgés de millions d’années et d’autres choses de ce type.

     

    Q.  Prétendez-vous que l’ADN n’est ni fragmenté, ni dégradé, ni fragmenté?

     

    R.  C’est tout à la fois. C’est même pire. Alors, les techniques utilisées sur de l’ancien ADN sont très pointues, et elles sont distinctes de celles utilisées avec l’ADN dont il est question.

     

    Q.  Car il s’agit d’un ADN plus extrême et ancien que celui que vous avez observé dans le présent dossier?

     

    R.  Oui, les rayons cosmiques agissent sur cet ADN depuis longtemps. Mais, et je crois que l’ai mentionné au début, l’un des plus grands problèmes avec ce qu’ils appellent de l’ancien ADN est la dessiccation et c’est la dessiccation qui endommage sérieusement l’ADN.

     

    [Je souligne.]

     

    • [414] M. Davies a donné son opinion d’expert voulant que l’ADN ayant été frappé par des rayons cosmiques pendant des milliers d’années, chose que les scientifiques ne soupçonnaient même pas il y a quelques années, ne puisse être comparé à l’ADN traité dans un produit pharmaceutique. Je partage son avis.

     

    (4)  Les opinions des experts des défenderesses sont-elles pertinentes quant à l’ADN fragmenté issu de produits pharmaceutiques?

     

    • [415] Ayant conclu que l’ancien ADN n’est pas comparable à l’ADN tiré d’un produit pharmaceutique, je déterminerai si les opinions avancées par les experts des défenderesses s’étendent au-delà du domaine de l’ancien ADN. En d’autres termes, je chercherai à savoir si les opinions de ces experts peuvent aider la Cour à comprendre les analyses d’ADN issus de composés fongiques pharmaceutiques autrement que de la façon expliquée par M. Davies.

     

    • [416] À mon sens, aucun de ces experts ne m’a indiqué le lien nécessaire entre l’ancien ADN et l’ADN en cause. Apotex n’est pas parvenue à me convaincre que la preuve de ces experts est pertinente aux questions dont je suis saisi.

     

    • [417] M. Waldo Taylor était le seul expert (autre que M. Davies) dont l’expertise allait au-delà du domaine de l’ancien ADN. Au cours de son interrogatoire principal, il a tenu les propos suivants :

    [traduction]

    Q.  J’aimerais seulement vous parler de l’expression « ancien ADN ». Pouvez-vous me décrire comment vous la comprenez?

     

    R.  Bien sûr. Comme je l’ai mentionné, lorsque la PCR est apparue, il nous a été possible d’examiner l’ADN et des spécimens biologiques, ou en fait, tout spécimen, lorsqu’on cherchait de l’ADN et que celui-ci se faisait rare. Ainsi, ce champ de recherche s’est élargi, car il comprend désormais les gens qui étudient l’ancien ADN, l’ADN qui survit dans les spécimens fossilisés, comme des os d’homme de Néandertal ou des organismes fixés dans l’ambre. Il comprend le domaine des études médico-légales, où un peu d’ADN est lié aux interactions sociales que vous aimeriez étudier. Il comprend l’étude dont il question aujourd’hui, soit la tentative d’identifier les organismes à l’origine d’un composé pharmaceutique.

     

    [Je souligne.]

     

    • [418] Toutefois, en contre-interrogatoire, M. Taylor a reconnu qu’il n’était pas au parfum de [traduction] « toute l’histoire » entourant le traitement et la préparation des échantillons de lovastatine analysés par le laboratoire Davies.

     

    • [419] Les opinions de M. Taylor sont sérieusement minées par cette admission quant à son manque de renseignements sur la préparation ou le traitement des composés pharmaceutiques pertinents. Il est inadéquat, de la part d’un expert, d’affirmer explicitement que l’ADN en cause est comparable à de l’ancien ADN tout en ignorant le fondement scientifique de telle comparaison.

     

    • [420] Ni M. Gilbert ni M. Poinar n’ont offert leur opinion à savoir comment l’ADN fragmenté issu d’un composé pharmaceutique pourrait être traité comme de l’ancien ADN, si c’est même possible.

     

    • [421] Selon M. Gilbert, des millions de scientifiques dans le monde ont accès, utilisent ou s’appuient, sur des données PCR; or, il n’y a [traduction] « qu’une poignée de personnes sur Terre » qui soit suffisamment qualifiée pour entreprendre le type d’analyse d’ADN de suggère Apotex. Il aurait été plus utile à notre Cour (et pertinent aux questions de l’espèce) qu’Apotex avance des experts en ADN qui se situent à l’extérieur de cette [traduction] « poignée de personnes sur Terre ».

     

    • [422] En résumé, j’éprouve des difficultés en regard des opinions des experts d’Apotex. En outre, leurs opinions sont fondées sur l’hypothèse voulant que le travail et l’opinion de M. Davies doivent être évalués en regard des mêmes normes, protocoles et normes qui seraient utilisés par cette [traduction] « poignée de personnes sur Terre » disposant d’une expertise en ancien ADN. Je ne suis pas convaincu que cette hypothèse soit la bonne. Ce problème a une incidence sur mon évaluation des critiques formulées à l’encontre du travail de M. Davies. Les experts d’Apotex présentent des opinions à travers une lunette très restreinte, dont la pertinence est, au mieux, marginale aux questions qui me sont présentées.

     

    F.  Contamination

     

    • [423] Comme nous le savons, M. Davies a obtenu 13 résultats positifs d’ADN d’Aspergillus terreus dans trois échantillons différents. Dans leurs arguments, les défenderesses soulèvent de très nombreux problèmes avec l’opinion de M. Davies, son témoignage à l’audience et les procédures et les résultats du laboratoire Davies. J’ai soupesé toutes ces préoccupations. La plus sérieuse porte sur le risque l’ADN d’Aspergillus terreus retrouvé dans les échantillons soit le produit d’une contamination à Aspergillus terreus exogène. En d’autres mots, les défenderesses soutiennent que le risque de contamination au laboratoire Davies était si élevé que je ne peux pas considérer la preuve issue des tests d’ADN effectués par M. Davies comme étant avérée.

     

    • [424] La contamination est toujours un risque sérieux dans le contexte des analyses d’ADN; tous les experts l’admettraient. Je reconnais ce risque. La Cour doit donc chercher à savoir si le risque de contamination signifie qu’il est plus probable que le contraire que les résultats positifs d’ADN d’Aspergillus terreus de M. Davies soient faux.

     

    (1)  M. Davies

     

    [425]  M. Davies est clairement conscient du risque de contamination. Il a discuté de la question de la contamination en laboratoire à plusieurs reprises dans son témoignage et dans son rapport d’expert. M. Davies a affirmé les suivantes (rapport d’expert Davies, pièce 55, paragraphe 77) :

    La contamination ne me semble pas être une explication probable de la présence d’Aspergillus terreus. Par exemple, si notre laboratoire avait été contaminé, je me serais attendu à retrouver des amplicons d’Aspergillus terreus dans les témoins négatifs. Toutefois, ce n’est pas le cas.

     

    • [426] M. Davies a indiqué qu’il y existait toujours une possibilité de contamination lorsqu’on effectue une PCR avec de l’ADN. Par contre, durant son témoignage verbal, il a insisté que [traduction] « le [laboratoire Davies] a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter la contamination. Nous ne sommes pas des scientifiques médico-légaux, mais nous pouvons travailler dans un environnement propre ».

     

    • [427] M. Davies a dressé un parallèle entre le scénario de la contamination dans les expériences visées à [traduction] « la probabilité d’être frappé par la foudre ». Il a expliqué que ses deux enquêteuses, Grace Yim et Karen Lu, étaient extrêmement prudentes et qu’elles avaient pris les précautions pour empêcher toute contamination, incluant :

     

    • opérer dans une zone stérilisée afin d’éliminer les bactéries et les mycètes qui pourraient être une source de contamination;

     

    • autoclaver les micropipettes et les pointes afin de les stériliser et d’éliminer les possibilités de contamination croisée;

     

    • travailler dans un champ biosécuritaire en acier inoxydable irradié aux rayons UV afin de purifier l’air entrant et de permettre un nettoyage facile du champ; et

     

    • utiliser des expériences comportant des témoins sans ADN et suivre un protocole exigeant la répétition de l’expérience si des contaminants étaient trouvés dans les témoins sans ADN.

     

    • [428] M. Davies est convaincu que la contamination n’est pas à l’origine des résultats de ces expériences. Il a indiqué que le fait que le laboratoire Davies n’ait jamais trouvé de Coniothyrium fuckelii ou aucun autre champignon de la famille Aspergillus (autre que terreus) comme agent contaminant constitue la preuve qu’aucune contamination n’est à l’origine des résultats. Par ailleurs, s’il y avait eu contamination des échantillons, M. Davies fait remarquer qu’il serait étranger que le seul agent trouvé soit Aspergillus terreus.

     

    • [429] Finalement, comme l’a dit M. Davies de façon éloquente, [traduction] « l’ADN ne vole pas » et « ne flotte pas dans les airs ».

     

    • [430] Ayant le témoignage d’expert de M. Davies en toile fond, j’examinerai maintenant la preuve des experts d’Apotex. Dans l’ensemble, comme je l’ai mentionné précédemment, les experts d’Apotex avaient un point de vue très restreint quant à la question de contamination. Les trois experts ont imposé des normes incroyablement élevées aux laboratoires d’ADN et s’appuyaient sur l’hypothèse voulant que M. Davies eût eu à traiter avec de l’ADN assimilable à de l’ancien ADN, tel qu’on pourrait le retrouver dans les restes d’animaux disparus il y a 1 000 ans. En somme, ces experts fixaient des normes déraisonnables, dans les circonstances, quant à l’exécution des analyses d’ADN par le laboratoire Davies. Deux experts, messieurs Taylor et Gilbert, étaient particulièrement têtus dans leur opinion quant à la contamination au laboratoire Davies.

     

    (2)  M. Taylor  

     

    • [431] M. Taylor a assimilé l’analyse de la lovastatine visée à [traduction] « l’analyse de l’ADN tiré d’échantillons archéologiques » (rapport d’expert Taylor, pièce 124, paragraphe 25). Pour les motifs susmentionnés, je suis de l’avis que cette hypothèse est erronée, et ne repose pas sur les faits du dossier.

     

    • [432] Aussitôt après avoir mentionné cette hypothèse, M. Taylor a exprimé le point de vue voulant que [traduction] « le risque considérable de contamination » pourrait provenir de deux sources : a) les cultures d’Aspergillus terreus utilisées par Merck pour produire la lovastatine; ou b) l’ADN d’Aspergillus terreus amplifié par la PCR au laboratoire Davies.

     

    • [433] M. Taylor a conclu (rapport d’expert Taylor, pièce 124, paragraphe 28) :

    [traduction]

    Si M. Davies a bel et bien détecté de l’ADN d’Aspergillus terreus, alors ses propres pratiques de laboratoire ont fort probablement été à l’origine de la contamination par l’ADN d’Aspergillus terreus provenant de ces cultures ou de l’ADN d’Aspergillus terreus amplifié par PCR.

     

    • [434] En contre-interrogatoire, M. Taylor a indiqué que la source la plus probable de contamination d’ADN d’Aspergillus terreus était les amplifications d’ADN en PCR du laboratoire Davies. Cette théorie a été abordée avec M. Gilbert durant son contre-interrogatoire. M. Gilbert a expliqué en quoi l’ADN amplifié représentait un risque accru : la [traduction] « partie issue de la PCR » comporterait [traduction] « une plus haute concentration » d’ADN. Toutefois, comme le démontre la preuve, Aspergillus terreus et Coniothyrium fuckelii étaient présents dans le laboratoire Davies au moment visé. M. Gilbert a également confirmé que le risque de contamination provenant des ADN de contrôle d’Aspergillus terreus ou de Coniothyrium fuckelii était équivalent, quoique la concentration en ADN serait différente. Or, M. Davies a retrouvé de l’ADN d’Aspergillus terreus dans 13 analyses, mais n’a pas pu détecter un seul exemplaire de Coniothyrium fuckelii. Comment se peut-il que l’ADN amplifié d’Aspergillus terreus eût pu contaminer les échantillons, mais pas l’ADN de Coniothyrium fuckelii? M. Gilbert a refusé, à plusieurs reprises, de reconnaître la possibilité que l’absence de résultats positifs d’ADN de Coniothyrium fuckelii doive rassurer l’évaluateur que la contamination par Aspergillus terreus était peu probable. Ces refus ne me sont d’aucune utilité et bien franchement, ils me semblent illogiques. Par conséquent, comme le soutient Merck, la théorie de M. Taylor ne résiste pas à l’examen. Je suis d’accord. L’absence de résultats positifs de Coniothyrium fuckelii démontre la faille dans la théorie voulant qu’il soit plus probablement qu’autrement que les échantillons eurent été contaminés par l’ADN amplifié d’Aspergillus terreus dans le laboratoire Davies.

     

    • [435] En guise d’autre théorie de contamination, M. Taylor a avancé la possibilité de présence de spores dans l’air. Selon moi, cette théorie n’est pas probable dans le laboratoire Davies. L’utilisation d’un champ biosécuritaire alimenté d’air purifié viendrait réduire la possibilité d’une telle contamination de façon draconienne. De plus, M. Taylor a reconnu n’avoir jamais étudié la capacité d’amplifier le moindre spore d’Aspergillus terreus et a admis qu’il était spéculatif de conclure qu’un seul spore pourrait s’amplifier par PCR.

     

    • [436] La dernière préoccupation de M. Taylor porte sur son analyse des différents « gels » qui ont servi à noter les résultats des expériences. Il a remarqué un [traduction] « jalon » sur les gels. M. Taylor a tenu les propos suivants (rapport d’expert Taylor, pièce 124, paragraphe 33) :

    […] Les carnets de laboratoire de M. Davies de 2007 confirment que l’ADN a été amplifié à partir des échantillons de lovastatine à l’aide d’amorces spécifiques à coniothyrium fuckelii, ce qui indiquerait la présence d’ADN de coniothyrium fuckelii dans l’échantillon. Toutefois, M. Davies n’a pas mentionné cet élément dans son affidavit. Conséquemment, l’omission par M. Davies de reconnaître coniothyrium fuckelii à titre d’organisme d’origine potentiel, s’appuyant sur son affirmation erronée voulant qu’il n’eût trouvé aucun ADN de coniothyrium fuckelii, n’est pas justifiée.

     

    • [437] En d’autres mots, M. Taylor était de l’avis que M. Davies avait obtenu des résultats positifs de Coniothyrium fuckelii, mais qu’ils avaient été ignorés ou non déclarés. Je suis d’accord qu’un résultat positif de Coniothyrium fuckelii, non déclaré, constituerait un élément de poids en regard de la possibilité d’une contamination, mais également eu égard à la conclusion de M. Davies voulant qu’aucun ADN de Coniothyrium fuckelii n’ait été détecté dans aucun des échantillons analysés. Toutefois, l’examen des affirmations de M. Taylor et des commentaires de M. Gilbert et de M. Poinar mine l’importance de cette observation.

     

    • [438] En contre-interrogatoire, M. Taylor a reconnu que sa conclusion voulant qu’il s’agissait de Coniothyrium fuckelii était spéculative. Il a également admis la première amplification d’ADN effectuée à l’aide d’une amorce de C. fuckelii aurait pu être de l’ADN de Coniothyrium fuckelii ou [traduction] « l’ADN d’O.J. Simpson ». M. Poinar a reconnu, à la lumière des données, qu’on ne pouvait pas conclure que la bande observée par M. Taylor était une bande d’ADN de Coniothyrium fuckelii. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait des bandes correspondant à la taille de Coniothyrium fuckelii à l’aide des amorces spécifiques à Coniothyrium fuckelii, M. Gilbert a répondu qu’il n’y en avait [traduction] « aucune ».

     

    • [439] Dans l’ensemble, il me semble que les opinions de M. Taylor quant à la contamination ne reposent pas sur les éléments du dossier.

     

    (3)  M. Gilbert

     

    • [440] M. Gilbert a offert son opinion d’expert voulant que [traduction] « la contamination minait sérieusement les données générées par l’équipe de M. Davies ». Je ne crois pas qu’il y ait quiconque pour être en désaccord avec cet énoncé. Cependant, M. Gilbert continue a exprimer son point de vue voulant que [traduction] « par conséquent, on ne peut pas conclure que ses résultats sont dignes de foi ».

     

    • [441] Tout d’abord, j’ai du mal avec l’opinion de M. Gilbert, car elle est formulée dans le contexte de ses domaines de spécialisation, soit l’ancien ADN et la génétique médico-légale. En outre, dans son rapport d’expert, M. Gilbert fait référence à des échantillons [traduction] « âgés de millions d’années ». Son opinion repose entièrement sur l’hypothèse, inexpliquée à mon sens, voulant que M. Davies travaillait avec un ADN dégradé assimilable à l’ancien ADN. Comme discuté précédemment, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une comparaison valable.

     

    • [442] Au surplus, il soutient la théorie de la contamination (à l’instar de messieurs Taylor et Poinar) voulant qu’un Aspergillus terreus exogène eut été à l’origine de résultats positifs du laboratoire Davies. Par conséquent, à moins que les experts puissent identifier une source crédible d’ADN exogène d’Aspergillus terreus, cette théorie ne résiste pas à l’analyse. En outre, M. Gilbert a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’y avait aucune preuve que les contaminants, eurent-ils existé dans le laboratoire Davies, étaient Aspergillus terreus.

    • [443] De plus, comment M. Gilbert a-t-il mesuré ou défini le mot « fiable »? La possibilité de la contamination peut-elle expliquer tous les 13 résultats positifs? Le risque de contamination vient-il augmenter la probabilité qu’aucun ADN d’Aspergillus terreus ne se trouve dans les échantillons? Ou la contamination est-elle une simple possibilité?

     

    • [444] En résumé, je ne suis pas convaincu que le risque de contamination au laboratoire Davies atteigne un seuil où, selon la prépondérance des probabilités, je ne puisse pas m’appuyer sur les résultats obtenus et avancés par M. Davies.

     

    G.  Autres critiques à l’endroit des opinions de M. Davies  

     

    • [445] Les défenderesses ont soulevé de nombreuses critiques quant au travail de M. Davies. Plus particulièrement, les défenderesses avancent que la Cour devrait suivre les principes suivants afin de déterminer si elle doit ignorer la preuve d’expert de M. Davies :

     

    • une conclusion d’expert qui n’est pas adéquatement expliquée et fondée peut à juste titre être considérée comme n’ayant aucune force probante (Backman c Canada (1999), 178 D.L.R. (4e) 126 au paragraphe 34, 246 N.R. 309 (F.C.A.)).

     

    • De façon similaire, le juge des faits doit connaître les faits ou les hypothèses sur lesquels l’expert s’est appuyé pour formuler son opinion (Johnson & Johnson c William H. Rorer, (Canada) Ltd. (1980), 48 C.P.R. (2 d) 58 au paragraphe 7, [1980] A.C.F. no 200 (QL)) (F.C.T.D.)).

    • Le poids accordé à l’opinion d’un expert sera grandement diminué lorsque ces faits s’avèrent être inexacts ou incomplets (Misik (E.) c M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2360 à la page 2373, [1993] T.C.J. no 13 (QL)) (T.C.C.)).

     

    • [446] Les défenderesses soulignent certaines [traduction] « bandes farfelues » observées sur certains des « gels » pour étayer leur position voulant que l’opinion de M. Davies doive être rejetée. Ces bandes, selon les défenderesses, démontrent que l’opinion de M. Davies est inexacte.

     

    • [447] En principe, je suis d’accord avec l’argument des défenderesses voulant qu’un expert doive : (1) fournir une explication appropriée de ses conclusions; (2) informer la Cour des hypothèses ou des faits sous-jacents; et (3) fournir des renseignements complets et exacts. Si ce n’est pas possible, on devrait s’attendre à une diminution considérable du poids accordé à cette opinion.

     

    • [448] Toutefois, je crois que les défenderesses n’appliquent pas bien ces principes aux opinions avancées par M. Davies.

     

    (1)  Manque de connaissances  

     

    • [449] M. Davies n’a pas été en mesure de décrire certains volets des expériences menées par son laboratoire; je suis d’accord avec les défenderesses sur ce point. Cependant, la question déterminante est à savoir si sa connaissance de ces éléments techniques était fondamentale à son opinion d’expert. Je ne crois pas qu’elle le soit.

     

    • [450] Si l’on admet quelqu’un est un expert dans son domaine (à l’instar des défenderesses en regard de M. Davies), les parties doivent expliquer clairement à la Cour quelle est la nature de cette expertise. Dans l’espèce, il y a eu un malentendu quant à la définition d’un expert en microbiologie et d’un expert dans l’exécution d’expériences techniques en microbiologie. Il y régnait manifestement une confusion quant à ce qui était attendu de M. Davies. M. Davies a obtenu son doctorat en 1956, puis a été nommé professeur émérite en 1997. Il est indéniablement un expert dans son domaine. On ne parvient pas à un tel poste dans une université canadienne sans avoir cumulé des réalisations extraordinaires dans un domaine d’expertise donné. Par contre, il n’est pas surprenant qu’une personne comme M. Davies, qui a la responsabilité d’un laboratoire et de nombreux étudiants et techniciens, n’exécute pas personnellement les expériences et ne connaissent pas tous les volets techniques de la procédure expérimentale. De toute évidence (ce qui est une certaine critique à l’endroit de M. Davies), il aurait dû se préparer davantage à son témoignage. Toutefois, à moins que ce défaut de connaissance porte sur le cœur et le fond de son opinion, on ne pourra pas me persuader de la rejeter.

     

    • [451] Les défenderesses ont accepté, après avoir pris connaissance de son rapport d’expert, et avant son témoignage verbal, que M. Davies était un expert en microbiologie et en génétique microbienne. Ces domaines d’expertise comprennent l’utilisation de techniques d’analyse d’ADN pour l’étude de microbes. C’est celle-ci, et non les détails des procédures de laboratoire, qui se trouvait au cœur de son opinion. Je ne suis pas d’accord avec les défenderesses que le manque de connaissance de M. Davies de certains éléments techniques des expériences devrait nécessairement mener notre Cour à conclure que la preuve n’est pas digne de foi.

     

    (2)  Divulgation et rapport incomplets

     

    • [452] Les défenderesses soutiennent que les conclusions et les expériences divulguées dans le rapport M. Davies sont incomplètes et inexactes. Je suis d’accord que les carnets et les conclusions de M. Davies sont incomplets. Par contre, la question déterminante est à savoir si son opinion d’expert repose sur lesdits renseignements manquants. Je ne crois pas que ce soit le cas.

     

    • [453] Les défenderesses font remarquer les lacunes suivantes :

     

    • En 2003, on présente les résultats des expériences 13, 19 et 20. On déduit qu’il y a au moins 17 autres expériences qui n’ont pas été divulguées. Par conséquent, 17 expériences sur 20, ou 85 % de toutes les expériences n’ont pas été divulguées.

     

    • Quant au travail de Karen Lu en 2007, les expériences 7, 8, 18, 20, 22, 23 et 24 sont indiquées. On peut déduire qu’il y a au moins 17 autres expériences qui n’ont pas été divulguées. Par conséquent, 17 expériences sur 24, ou 71 % de toutes les expériences n’ont pas été communiquées.

     

    • Quant au travail de Grace Yim en 2007, les expériences 32, 33, 35 et 36 sont indiquées. On en déduit qu’il y a au moins 8 autres expériences qui n’ont pas été divulguées. Par conséquent, 8 expériences sur 12, ou 67 % de toutes les expériences n’ont pas été communiquées.

     

    • Résultat, 42 expériences sur 54, ou 78 % de toutes les expériences n’ont pas été divulguées.

     

    • [454] Les défenderesses avancent que M. Davies a offert un portrait incomplet des expériences exécutées en ne fournissant que certaines pages au dossier du litige. Les défenderesses soutiennent que M. Davies a commis une erreur en fournissant seulement [traduction] « les pages en lien avec la conclusion » et non pas toutes les pages pertinentes. Les défenderesses soutiennent de plus que M. Davies a offert une explication erronée de cette décision de conserver les pages du carnet [traduction] : « les expériences non divulguées n’ayant pas une incidence « considérable » sur la conclusion ». Je ne partage pas l’avis des défenderesse à ce chapitre.

     

    • [455] En contre-interrogatoire, M. Davies a indiqué qu’il n’avait pas divulgué toutes les pages liées aux expériences menées par son laboratoire, car ce n’était pas la procédure [traduction] « habituelle » d’un scientifique. La procédure « habituelle » dans la préparation des preuves à joindre à une publication veut que le scientifique fournisse uniquement les pages à l’appui de la conclusion qu’il avance. Il n’y a là aucune malice ou mauvaise foi dans la divulgation incomplète de M. Davies.

    [traduction]

    Q.  Vous avez privé le lecteur de la possibilité de parvenir à une conclusion différente quant à la suffisante ou la pertinence des expériences comprises et non comprises, est-ce exact?

     

    R.  Non, je ne crois pas. Si je peux me permettre, lorsqu’on publie une étude scientifique, nous devons publier une suite logique d’événements. Puis, lorsque vous publiez les résultats, vous interpréteriez les résultats en fonction de l’expérience? Or, il ne s’agit pas d’une étude scientifique. Il s’agit d’une publication beaucoup plus simple. Je crois que nous vous avons donné un fil d’Ariane. Nous avons sélectionné certaines expériences. Certaines sont celles qui n’ont pas aussi bien fonctionné, mais vous avez été en mesure d’avoir une idée de ce qui s’est passé. Je ne vois rien de mal à cela.

     

    • [456] En contre-interrogatoire, M. Davies s’est fait présenter un tableau, préparé par l’avocat, soulignant les renseignements manquants. Tout au long de cet exercice, je n’ai pas été en mesure de remarquer le moindre détail ou note manquant qui aurait pu avoir une incidence déterminante sur l’opinion générale de M. Davies. M. Poinar a indiqué en contre-interrogatoire que tous les documents devaient être présentés, en réponse à une question au sujet du tableau. Cependant, il a reconnu que, dans l’espèce, les données indiquées dans le tableau n’avaient que peu d’incidence, voire aucune, sur les conclusions tirées par M. Davies.

     

    • [457] Je ne partage pas l’avis des défenderesses voulant que la décision de M. Davies d’exclure certaines pages doive mener à conclure que sa preuve n’est pas digne de foi. Ce qui importe c’est que les opinions de l’expert ne soient pas contredites ou affaiblies autrement par lesdits renseignements manquants. En omettant de joindre toutes les pages du carnet à son rapport, M. Davies a pris le risque de ne pas être en mesure de justifier ses opinions. Toutefois, dans l’espèce, et comme l’a reconnu M. Poinar, les renseignements manquants n’étaient pas pertinents à la conclusion générale. Conséquemment, bien que j’aurais préféré que M. Davies présente un portrait plus complet des expériences réalisées, il ne s’agit pas, à mon sens, d’un élément fatal à la valeur de son opinion.

     

    (3)  Résultats inattendus

     

    • [458] Les défenderesses soutiennent que M. Davies a obtenu des résultats inattendus et que, conséquemment, on ne peut pas s’appuyer sur ses travaux. Elles mentionnent, principalement, la présente de [traduction] « bandes farfelues », seulement visibles après un agrandissement majeur d’une photo du gel teint et analysé sous lumière UV pour y déceler de l’ADN amplifié par PCR.

     

    • [459] Les défenderesses avancent que les expériences de M. Davies sont faussées, car, après examen des carnets de laboratoire, des bandes supplémentaires figurent sur les photos du gel. Les intimées, en contrepartie, soutiennent que toute preuve fondée sur des gels [traduction] « retouchés » devrait être écartée ou la Cour ne devrait y accorder aucun poids. Je suis d’accord avec les intimées.

     

    • [460] Lorsqu’on lui a présenté les photos ainsi agrandies, M. Davies a indiqué que les photos des gels avaient été manipulées par les défenderesses. M. Davies a dit :

    [traduction]

    Vos retouches donnent un agrandissement incroyable […] les gens font parfois ceci dans des publications et je crois que c’est irréaliste. Cette image ne correspond pas à ce qu’on voit sur le gel dans la réalité. Il ne s’agit pas du gel en tant que tel. Il s’agit d’un gel retouché, à mon avis […] vous pouvez retrouvez de nombreuses bandes dans les gels de PCR que vous ne verriez pas à l’œil nu. Vous ne verrez pas non plus d’autres détections si vous les retouchez d’une certaine façon. Je suis simplement très préoccupé par ceci et j’ai du mal à en tirer ce que j’estimerais être des conclusions valables.

     

    • [461] Je suis d’accord avec M. Davies. La photo originale des gels est très technique et, bien franchement, difficile à saisir pour notre juge. Comment puis-je être sûr qu’un agrandissement aussi extraordinaire de ces images, déjà difficiles à lire, ne présente pas le risque d’y introduire des ombres, des spectres photographiques ou d’autres figures qui n’apparaissaient pas à l’origine? Je n’ai aucune preuve qu’une telle distorsion de la preuve d’origine n’introduit aucune erreur ou résultat peu digne de foi.

     

    • [462] Même si j’acceptais qu’il y ait des bandes légèrement perceptibles qu’on ne voyait pas dans les gels d’origine ou qui n’ont pas été mentionnées par M. Davies, aucun de ces éléments ne permet d’expliquer la détection d’Aspergillus terreus dans les échantillons de lovastatine.

     

    • [463] Dans l’ensemble, la présence de bandes farfelues, ou l’incidence des photos retouchées, ne me mène pas à conclure que les résultats de l’expérience eurent été faussés.

     

    IX.  Contrefaçon - Conclusion

     

    • [464] Ma conclusion générale est que les résultats présentés par M. Davies sont une preuve crédible et digne de foi de la présente d’ADN d’Aspergillus terreus dans les échantillons de lovastatine analysés par son laboratoire. J’ai rejeté la théorie de la contamination d’Apotex.

     

    • [465] Je suis convaincu que les comprimés de lovastatine analysés provenaient du lot CR0157 fabriqué par AFI. La preuve d’ADN me convainc, selon la prépondérance des probabilités, que les défenderesses ont contrefait le brevet 380 par la fabrication et la vente de tout produit issu du lot CR0157 fabriqué par AFI.

     

    • [466] Il en est autrement quant aux échantillons de Blue Treasure. Comme je l’ai mentionné précédemment dans ces motifs, je ne suis pas convaincu que Merck eut fait la preuve d’un lien entre les échantillons analysés par le laboratoire Davies et le produit contrefait allégué. Par conséquent, je n’accepte pas la preuve d’ADN en tant que preuve directe de contrefaçon en regard de la lovastatine produite par Blue Treasure. Néanmoins, la preuve restante produite par Merck quant à la lovastatine fabriquée par Blue Treasure appuie fortement la conclusion voulant qu’il s’agisse également de contrefaçon. Cet élément a été abordé plus tôt dans les présents motifs. Advenant que j’aie tort quant à la question de l’absence de lien, alors je conclurais que la preuve d’ADN est une preuve directe de la contrefaçon, une conclusion qui renforcerait, mais ne changerait pas, ma conclusion antérieure quant à la contrefaçon.

     

    X.  Validité

     

    A.  Introduction

     

    • [467] Ayant tranché les questions de formulation de revendications et de la contrefaçon, j’analyserai maintenant la question de la validité. Les défenderesses soutiennent toutes dans leur demande reconventionnelle que le brevet 380 est invalide. Si elles sont raison, il n’y aura pas de contrefaçon; les défenderesses ne peuvent pas être en contrefaçon d’un brevet invalide.

     

    • [468] Dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet, le titulaire du brevet bénéficie d’une présomption de validité (article 45 de la Loi sur les brevets et paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets en vigueur à l’heure actuelle). Par conséquent, il incombe à Apotex de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 380 est invalide. À l’audience, alors que les plaidoiries arrivaient à terme, Apotex n’avançait plus que les motifs d’invalidité suivants :

     

    • Toutes les revendications contestées, à l’exception des revendications 3 et 6, sont invalides, car elles sont d’une portée excessive.

     

    • Certaines revendications sont invalides, car elles ne démontrent aucune utilité. Plus particulièrement :

     

    • les revendications 1, 2, 3, et 13 à 15 ne démontrent pas suffisamment d’utilité, car tous les composés inclus dans les revendications ne sont pas utiles pour satisfaire à la promesse du brevet 380; et

    • l’utilité de l’élément revendiqué, y compris l’utilité pharmaceutique, démontre un défaut de prédiction solide; c’est-à-dire que l’inventeur ne pouvait pas prédire, à la date du dépôt de la demande de brevet au Canada, que les composés revendiqués satisferaient à l’utilité promise par le brevet 380.

     

    • Les revendications 13 à 15 sont invalides pour cause d’antériorité, en raison de l’existence de la lovastatine dans une produit asiatique traditionnel, connu comme la « levure de riz rouge ».

     

    • Les revendications sont invalides, car Merck n’a pas été la première à inventer la lovastatine.

     

    B.  Portée excessive

     

    • [469] Apotex soutient que les revendications du brevet 380, exception faite des revendications 3 et 6 sont d’une portée excessive, car elles revendiquent des processus qui n’ont pas été inventés par les inventeurs nommés. Elle avance que l’invention, telle que revendiquée, comprend de nombreuses souches ou espèces, lesquelles n’ont été ni analysées ni évaluées par les inventeurs afin de déterminer si elles étaient en mesure de produire les composés visés au moment de la date de priorité.

     

    • [470] Un brevet revendiquant davantage que l’invention peut être dit frappé d’invalidité pour cause de portée excessive. Le concept de la portée excessive a été mentionné dans de nombreux dossiers devant notre Cour. Apotex s’appuie sur la décision de notre Cour dans Biovail Pharmaceuticals Inc. c Canada (Ministre de la santé nationale et du bien-être social), 2005 FC 9, [2005] A.C.F. No. 7 (QL) [Biovail]. Dans Biovail, précitée, le juge Harrington a décrit la notion de « visées trop ambitieuses » comme suit au paragraphe 61 :

    Si l’inventeur revendique plus qu’il ne le devrait, il perd tout.

     

    La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. [Le président Thorsen dans Minerals Separation North American Corp. c Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de C.R. 306, à la page 52, citée dans Free World Trust, précité, par. 14]

     

    • [471] Dans Biovail, précitée, le brevet en cause (un brevet visant comprimé pharmaceutique à libération contrôlée) divulguait un seul mécanisme de libération, soit un procédé osmotique à l’aide d’un composé connu sous le nom d’HPMC en guise de véhicule. La société générique utilisait un autre mécanisme et un autre composé, soit un procédé basé sur un hydrogel utilisant un composé connu sous le nom d’HPC à titre de véhicule. La conclusion principale du juge Harrington était que le brevet n’était pas contrefait, car les inventeurs avaient seulement prévu le procédé osmotique, et non le procédé basé sur un hydrogel, qui était considérablement différent. Toutefois, dans le cas contraire, si les revendications étaient interprétées comme incluant le processus basé sur l’hydrogel, alors « le brevet est invalide pour cause de visées trop ambitieuses » (Biovail, précitée, au paragraphe 60).

     

    • [472] Biovail, selon moi, n’appuie pas la prétention de portée excessive d’Apotex. Contrairement au brevet visé dans Biovail, les revendications et la divulgation du brevet 380 mentionnent toutes les espèces productives d’Aspergillus terreus. La question à savoir si les inventeurs pouvaient extrapoler leurs résultats de laboratoire à partir des échantillons précis analysés est une question de prédiction valable, et non de portée excessive.

     

    • [473] Apotex s’appuie également sur Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 FC 142, 63 C.P.R. (4 th) 406 [Eli Lilly Raloxifene (FC)], confirmée dans 2009 FCA 97, 78 C.P.R. (4 th) 388, soit une décision rendue en regard d’un brevet revendiquant l’utilisation du raloxifène dans le traitement de l’ostéoporose et de la perte osseuse. Aux paragraphes 179-182, le juge Hughes a analysé l’affirmation selon laquelle les revendications étaient d’une portée excessive. L’élément clé de sa conclusion voulant que les revendications avaient une portée excessive était la déconnexion entre la divulgation et les revendications du brevet. La divulgation se limitait à l’ostéoporose et à la perte osseuse sans les effets négatifs de l’œstrogénothérapie. Aucune revendication, sauf une, ne limitait l’utilisation du médicament aux cas de perte osseuse liés à des facteurs œstrogéniques. Par conséquent, le juge Hughes a conclu que toutes les revendications, sauf une, étaient d’une portée excessive. La conclusion quant à la portée excessive des revendications n’a pas été renversée par la Cour d’appel.

     

    • [474] À mon avis, Eli Lilly Raloxifene (FC), précitée, n’appuie pas l’argument voulant que les revendications du brevet 380 sont d’une portée excessive. La divulgation est cohérente aux revendications en cause dans le brevet visé dans l’espèce. Contrairement aux observations d’Apotex, la divulgation du brevet 380 ne se limite pas aux deux souches d’Aspergillus terreus utilisées dans les expériences effectuées par Merck et qui ont mené à l’invention.

     

    • [475] En résumé, et eu égard à l’argument de portée excessive d’Apotex, je conclus que dans l’espèce, étant donné les faits du dossier, il s’agit plutôt d’une prédiction valable, tant quant au fondement factuel de celle-ci qu’à la suffisance de la divulgation.

     

    C.  Utilité

     

    (1)  Principes généraux

     

    • [476] Apotex soutient que le brevet 380 est invalide pour les motifs suivants :

     

    1. les revendications contestées portent un défaut d’utilité, car il a été démontré que certaines souches d’Aspergillus terreus ne sont pas en mesure de produire les composés revendiqués; et

     

    1. les inventeurs ne pouvaient pas, à la date pertinente, valablement prédire que les composés revendiqués auraient l’utilité promise par le brevet 380.

     

    • [477] L’article 2 de la Loi sur les brevets définit une invention comme étant présentant le caractère de « la nouveauté et de l’utilité ». De là le concept de « l’utilité ».

     

    • [478] Bon nombre des principes associés au droit de l’utilité sont bien établis dans la jurisprudence. Pour commencer, la notion principale est qu’à la date pertinente, l’utilité de l’invention doit avoir été démontrée ou, à défaut, il doit y avoir eu une prédiction valable d’utilité fondée sur l’information et l’expertise disponibles au moment de la prédiction (voir, par exemple, Merck & Co. c Apotex Inc., 2005 FC 755, 41 C.P.R. (4e) 35 au paragraphe 121; Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2007 FC 26, 306 F.T.R. 254 aux paragraphes 36-40, confirmée dans 2007 FCA 195, 60 C.P.R. (4e) 177, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, [2007] C.S.C.R. No. 371 (QL), 381 N.R. 399 (note)).

     

    • [479] Apotex a le fardeau de démontrer le défaut d’utilité. Afin d’établir l’absence d’utilité, Apotex doit démontrer « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera » (Consolboard, précitée, à la page 525).

     

    • [480] Il n’est pas rare dans le domaine pharmaceutique que les inventeurs n’auront pas encore démontré que l’invention « fonctionne » à la date pertinente. Les inventeurs s’appuient alors sur le concept de la « prédiction valable ». L’inventeur peut s’appuyer sur la règle de la prédiction valable pour fonder les revendications d’un brevet dont l’utilité n’a pas encore été effectivement établie, mais qui peuvent être prédites d’après l’information et l’expertise disponibles (Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd., 2002 SCC 77, [2002] 4 S.C.R. 153, au paragraphe 56 [Wellcome AZT]). La partie contestant l’utilité d’un brevet fondé sur une prédiction valable doit démontrer que celle-ci n’est pas valable ou qu’il y a preuve de l’inutilité de celle-ci. Comme elle l’a indiqué au paragraphe 56 dans Wellcome AZT, précité, la Cour suprême a affirmé :

    Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

     

    • [481] La date pertinente est la date du dépôt de la demande de brevet canadien (Ramipril I (FC), précitée, aux paragraphes 88-96). Dans le cas du brevet 380, il s’agit du 11 juin 1980.

     

    • [482] Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est exigé, la [traduction] « moindre parcelle » d’utilité suffit (H.G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e édition, 1969), à la page 153). Cependant, comme le dit l’arrêt Consolboard, précité, dans le cas où le mémoire descriptif fait une « promesse » explicite, l’utilité doit être appréciée par rapport à cette promesse (voir, par exemplePfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2008 FCA 108, 67 C.P.R. (4e) 23 au paragraphe 53 [Pfizer Atorvastatin (FCA)]). En d’autres mots, l’invention satisfait-elle à la promesse énoncée dans le brevet? La question à trancher est donc à savoir si, à la date du dépôt, le titulaire du brevet avait suffisamment de renseignements pour appuyer sa promesse. Si non, le titulaire du brevet devra disposer de renseignements suffisants pour effectuer une prédiction valable en regard de la promesse.

     

    • [483] Au paragraphe 70 de Wellcome AZT, précité, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère tripartite devant être rempli afin d’établir que l’inventeur a formulé une prédiction valable. Les trois éléments du critère sont les suivants :

     

    1. la prédiction doit avoir un fondement factuel;

     

    1. l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; et

     

    1. il doit y avoir divulgation suffisante.

     

    • [484] Une prédiction dite valable n’a pas à équivaloir à une certitude; car elle n’exclut pas le risque que certains composés, visés par certaines revendications, s’avèrent inutiles ultérieurement.

     

    • [485] Ainsi, ces principes à l’esprit, j’analyserai le brevet 380 et la preuve qui m’est présentée.

     

    (2)  Le brevet 380

     

    [486]  Le 11 juin 1980, soit la date pertinente (la date du dépôt de la demande de brevet canadien), Merck avait fabriqué, mais pas testé, les composantes découlant du processus revendiqué. En d’autres termes, elle ne s’appuyait pas sur l’utilité actuelle, mais sur sa prédiction que les quatre composés auraient une utilité.

     

    • [487] Comme mentionné, la prédiction valable s’apprécie en regard de la promesse du brevet, lorsqu’une telle promesse est explicitement exprimée ou peut en être déduite. La promesse du brevet 380 est abordée à la section V des présents motifs. Je rappelle que j’ai conclu les suivantes :

     

    1. Le brevet 380 ne promet pas que tous les micro-organismes de l’espèce Aspergillus terreus produiront les quatre composés visés par la revendication 1 ou les composés nommés dans les autres revendications contestées.

     

    1. Le brevet promet que les composés produits par le processus de fermentation identifié dans le brevet sont « efficaces comme antihypercholestérolémiques dans le traitement de l’athérosclérose, de l’hyperlipidémie et d’autres maladies semblables chez l’humain ».

    [488]  J’évaluerai donc l’utilité du brevet 380 en regard de ces deux promesses.

     

    (3)  Défaut d’utilité

     

    [489]  Apotex soutient qu’elle a présenté une preuve empirique de l’inutilité des revendications 1, 2 et 5. Cette affirmation repose sur les analyses effectuées par messieurs Sorensen et Samson, lesquelles démontrent que les micro-organismes du genre Aspergillus ou, plus précisément, les espèces d’Aspergillus terreus, ne sont pas tous capables de produire les composés revendiqués.

     

    [490]  M. Sorensen avait reçu le mandat, de l’avocat d’AFI, d’analyser la capacité des différentes souches d’Aspergillus terreus à produire de la lovastatine. On lui a demandé d’utiliser les conditions de fermentation et le média imaginés ou spécifiquement indiqués dans le brevet 380. Il a conçu des expériences utilisant quatre différentes souches d’Aspergillus terreus. Deux de ces souches (dites A18 et R99) ont fait leurs preuves quant à la production du composé I. Les deux autres souches (UAMH 7844 et UAMH 9313) ont été obtenues de l’herbarium et de la collection de micromycètes de l’Université de l’Alberta (UAMH). En résumé, les résultats de M. Sorensen étaient les suivants :

     

    ·  de la lovastatine (composé I) a été détectée dans les échantillons d’A18, de R99 et d’UAMH 9313;

     

    ·  aucune lovastatine n’a été détectée dans l’échantillon d’UAMH 7844; et

     

    ·  aucune quantité quantifiable de dihydrolovastatine (composé II) n’a été détectée dans aucun des quatre échantillons.

     

    [491]  M. Samson a obtenu des résultats semblables, ayant également reçu le mandat de mettre à l’épreuve certains micro-organismes de l’avocat d’AFI. M. Samson a découvert que :

     

    ·  A18, R99 et une souche identifiée par Merck par le nom ATCC 20542 produisaient de la lovastatine;

     

    ·  la souche d’Aspergillus terreus identifiée comme étant IBT 20944 n’a produit aucune quantité détectable de lovastatine; et

     

    ·  la souche identifiée comme étant Aspergillus alabamensis (laquelle, selon M. Samson, aurait dû être classifiée dans la famille d’Aspergillus terreus en 1984) n’a produit aucune quantité détectable de lovastatine.

     

    [492]  Les témoins présentés par Merck n’ont pas contesté le fond de ces conclusions. M. Alberts, l’un des inventeurs nommés, a reconnu que toutes les souches d’Aspergillus terreus mises à l’épreuve par Merck ne produisaient pas de la lovastatine. Mme Lasure était d’accord que certaines souches d’Aspergillus terreus ne produiraient pas de lovastatine. Selon Apotex, ceci signifie que les revendications 1, 2 et 5 ainsi que les revendications dépendant du produit 13 à 15 sont invalides, car elles comprennent des réalisations qui ne permettront pas d’atteindre le résultat promis.

     

    [493]  Le problème avec l’argument d’Apotex est qu’il repose sur une interprétation et une promesse du brevet 380 à laquelle je n’adhère pas. En guise d’argument final, Apotex a concédé que leur affirmation était établie, présumant que [traduction] « l’interprétation de mon ami n’était pas admise ».

     

    [494]  Pour les motifs exprimés dans mon analyse de la juste interprétation des revendications, j’ai conclu que : a) les revendications portent seulement sur les micro-organismes de l’espèce d’Aspergillus terreus; b) le brevet 380 ne promet pas que tous les micro-organismes de l’espèce Aspergillus terreus produiront de la lovastatine; et, c) aucune des revendications 1, 2 et 5 n’exigent que tous les quatre (ou les deux, le cas échéant) composés soient produits à chaque fermentation. Par conséquent, les découvertes de messieurs Sorensen et Samson de souches d’Aspergillus terreus incapables de produire de la lovastatine et d’autres souches uniquement capables de produire de la lovastatine (composé I) ne sont pas pertinentes.

     

    [495]  Apotex n’est pas parvenue à se décharger de son fardeau et d’établir qu’il « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé » (Wellcome AZT, précité, au paragraphe 56).

     

    (4)  Prédiction valable

     

    [496]  Comme mentionné précédemment, Apotex peut se décharger de son fardeau de démonter un défaut d’utilité, même s’il ne peut prouver l’inutilité. En outre, elle peut démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la prédiction des inventeurs n’est pas valable. Je chercherai donc à savoir si tous les éléments du critère de la prédiction valable, établi dans Wellcome AZT, précité, sont réunis.

     

    [497]  À ce chapitre, la Cour suprême, dans Wellcome AZT a conclu que les résultats des tests in vitro effectués sur l’AZT pour en vérifier l’action sur le VIH dans une lignée cellulaire humaine, ainsi que les données de Glaxo sur l’AZT, incluant les tests effectués sur des animaux, constituaient le fondement factuel à la prédiction valable (précité, paragraphe 72). La connaissance qu’avait Glaxo du mécanisme de reproduction d’un rétrovirus fournissait le raisonnement nécessaire pour établir l’utilité de l’invention.

     

    a)  Le fondement factuel

     

    [498]  La prédiction valable est une question de fait (Wellcome AZT, précité, au paragraphe 71). Les inventeurs doivent être en mesure de démonter qu’ils détenaient le fondement factuel pour élaborer le résultat désiré au moment pertinent. Cet élément s’examine d’un point de vue subjectif à ce stade-ci. La connaissance, les activités et les entreprises des inventeurs eux-mêmes doivent être soupesées.

     

    [499]  Dans l’espèce, le principal témoin de Merck était M. Alfred W. Alberts, l’un des inventeurs nommés au brevet 380. M. Albert a rendu un témoignage crédible racontant [traduction] « l’histoire » de l’invention à l’origine du brevet 380.

     

    [500]  L’historique du brevet 380 commença en 1975 lorsque M. Alberts arriva chez Merck et commença à travailler dans un domaine appelé [traduction] « recherches de base ». Il a mis sur pied une nouvelle section dans ce domaine, qui s’appela [traduction] « régulation biochimique ». Cette section avait pour mandat d’adopter une approche rationnelle à l’élaboration de nouveaux médicaments. M. Alberts cette approche comme suit :

    [traduction]

    On m’a engagé pour suivre une approche nécessitant de revenir au début, de décomposer le système, de cerner les principaux objectifs en lien avec la maladie, puis ainsi de reprendre le processus de découverte, dans l’espoir de découvrir des composés qui auraient des répercussions sur le fonctionnement de la maladie à partir d’un niveau très simple, de base, puis de progresser vers les essais sur les animaux.

     

    [501]  Entre autres, la section était chargée d’étudier la biosynthèse du cholestérol. Selon M. Alberts, il était établi dès 1975 que le cholestérol était intimement lié au processus d’athérosclérose. Le fonctionnement de la biosynthèse du cholestérol était compris en 1975 et a été décrit par M. Alberts comme suit :

    [traduction]

    Le processus de la biosynthèse du cholestérol est très complexe. Voici un bref sommaire soulignant les faits saillants du processus.

    Le processus commence par un composé formé de deux atomes de carbone qu’on appelle un acétate, il s’agit essentiellement d’un sel de vinaigre.

     

    Puis, il est activé en composé appelé acétylcoenzyme A.

     

    Puis, à la suite de différentes étapes, trois molécules d’acétylcoenzyme A se rassemblent pour former un composé connu comme de l’hydroxyméthylglutaryl CoA, lequel est converti en acide mévalonique par l’enzyme hydroxyméthylglutaryl CoA réductase. Parfois, je parlerai d’acide mévalonique ou sa forme salifiée, soit le mévalonate. Puis, ce composé à six carbones, à la suite d’une série de condensations, devient un composé à 30 carbones, le squalène, lequel est ensuite modifié pour former un cholestérol stérol lipide à 27 carbones.

     

    [502]  Les scientifiques de Merck ont été les premiers à isoler de l’acide mévalonique, décrit par M. Alberts comme étant [traduction] « le possible chaînon manquant dans la synthèse du cholestérol ».

     

    [503]  Forts de leurs connaissances de ce processus de synthèse, les scientifiques de Merck cherchaient des composés permettant de briser cette chaîne. L’étape de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase de la biosynthèse était intéressante. Les scientifiques ont compris que s’ils découvraient un composé capable d’inhiber ou de bloquer la synthèse du cholestérol à l’étape de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase, aucune des conversions suivantes ne se produirait : a) de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase en acide mévalonique; b) de l’acide mévalonique au squalène; puis c) du squalène au cholestérol.

     

    [504]  Les scientifiques de Merck ont été les premiers à connaître des composés inhibant l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase en début de 1976 lorsque :

    [traduction]

    Nous avons reçu une correspondance à Merck d’un représentant au Japon qui avait récemment découvert un nouveau brevet enregistré au Japon décrivant un inhibiteur de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase connue sous le nom ML236B, qui a ensuite été nommé Compactin.

     

    [505]  Nous avons reçu un échantillon de compactin de la société Sankyo au Japon. Puis, M. Akira Endo de la société Sankyo a visité les bureaux de Merck le 26 août 1977. Selon les notes prises lors de cette réunion, M. Endo a présenté des données en lien avec ML-236B (compactin). Il était indiqué que le composé [traduction] « inhibe la nouvelle biosynthèse de cholestérol et réduit les taux de cholestérol sériques lorsqu’administré par voie orale [chez les rats] ». Le composé fonctionnait comme un inhibiteur d’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase.

     

    [506]  Ainsi, l’objectif était clairement d’élaborer un composé équivalent, ou mieux, que le compactin. À compter de janvier 1978, les scientifiques de Merck ont débuté un nouvel essai in vitro, l’essai de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase. Ainsi, ils ont pu mesurer le degré d’inhibition de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase par tout micro-organisme mis à l’essai. ML-236B (compactin) était l’étalon en regard duquel était mesurée l’activité des organismes issus du répertoire chimique de Merck. De janvier 1978 à novembre 1978, aucun micro-organisme du grand nombre testé n’a atteint la cible.

     

    [507]  Puis est arrivée la date du 7 novembre 1978, laquelle a marqué un point tournant, comme l’indiquent les carnets de laboratoire et le témoignage de M. Alberts. La première semaine de novembre 1978, le groupe de M. Alberts a reçu les échantillons 18 et 19 (F 4683 et F 4684), les deux ayant démontré une activité inhibitoire dans l’essai sur l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase.

     

    [508]  À partir de ce moment, les étapes les plus importantes peuvent se résumer comme suit :

     

    ·  Le 27 novembre 1978, M. Alberts a fortement recommandé que Merck pousse davantage [traduction] « l’isolation et la caractérisation du composant inhibitoire F 4683 en vue de l’utiliser en guise d’agent hypocholestérolémique éventuel ».

     

    ·  En décembre 1978, un autre échantillon, F 4897, a démontré une activité inhibitoire dix fois supérieure à celle de la première culture, F 4683.

     

    ·  Le 12 février 1979, la structure de la lovastatine, le lactone (L-154,803), a été inscrite par M. Albers-Schonberg; il s’agissait d’une molécule semblable au compactin.

     

    ·  Le 12 février 1979, M. Otto Hensens a identifié et inscrit la structure de la forme ouverte du dihydroxyacide de lovastatine.

     

    ·  Le 13 février 1979, Mme Chen a mis à l’essai les deux échantillons utilisés pour identifier les structures susmentionnées et a confirmé leur capacité inhibitoire.

     

    ·  Le 16 février 1979, M. Alberts a signé le mémoire confidentiel d’invention de Merck (mentionné dans les suivantes).

    ·  Le 1er août 1979, la structure du dihydro naturel (composé II du brevet 380) a été identifiée et inscrite par M. Ottawa Hensens, après avoir été dite actif à l’issue de l’essai sur l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase du 31 juillet 1979.

     

    ·  Le 2 août 1979, une version hydrolysée du dihydro naturel, l’acide hydroxyle ouvert (le composé IV du brevet 380) a été mise à l’essai et s’est révélée active dans le cadre de l’essai sur l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase.

     

    [509]  Le 16 février 1979, M. Alberts a préparé un [traduction] « mémoire confidentiel d’invention » au nom des inventeurs. Le mémoire résume le travail des inventeurs. La structure du composé I est décrite comme [traduction] « l’homologue » du ML-236B (compactin), [traduction] « produit par un Aspergillus ». Les inventeurs ont explicitement souligné l’utilité ou l’utilisation proposée de l’invention à titre [traduction] « d’agent hypocholestérolémique, antifongique ». À la date du mémoire, les inventeurs avaient conclu que le composé avait [traduction] « une efficacité in vitro comparable au ML-236B dans l’inhibition de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase ».

     

    [510]  Les principales critiques formulées par Apotex à l’endroit de travail de Merck portent sur les actions qui n’ont pas été prises par ses scientifiques. Apotex soutient que, n’ayant pas mis le composé à l’épreuve chez les humains avant la date du dépôt de la demande de brevet canadien, il manquait un renseignement factuel essentiel à Merck. Selon elle, sans ce renseignement, les inventeurs n’avaient pas le fondement factuel adéquat pour prédire que les composés étaient « efficaces comme antihypercholestérolémiques dans le traitement de l’athérosclérose, de l’hyperlipidémie et d’autres maladies semblables chez l’humain ». Toutefois, en contre-interrogatoire à ce sujet, M. Alberts a clairement expliqué comment Merck est parvenue à cette prédiction, bien qu’aucun essai sur des humains n’eut été effectué avant la date du dépôt de la demande de brevet canadien.

    [traduction]

    Q.  Selon les résultats que vous avez obtenus à la suite des tests, des résultats obtenus des tests in vivo sur des animaux, êtes-vous d’accord que nous n’auriez pas pu prédire de manière fiable que la lovastatine allait permettre de traiter efficacement l’hypercholesteremie chez les humains?

     

    R.  La seule façon de répondre à cette question est qu’il en va de même avec tout médicament, que ce soit la lovastatine, un antibiotique ou autre chose. On ne peut pas prédire de manière fiable qu’un produit va fonctionner chez les humains, à moins l’administrer à des humains.

     

    Q.  En ce qui a trait aux modèles utilisés dans le test sur les animaux, n’est-il pas juste de dire que ces modèles ne permettent pas d’effectuer une évaluation valable de son efficacité éventuelle chez les humains?

     

    R.  Il y avait suffisamment […] Laissez-moi parler d’un modèle qui était un bon indicateur, il s’agit du chien. Le chien réagit très bien à l’autre médicament réducteur du cholestérol, la cholestyramine. En fait, c’est l’un des quelques modèles qui y répondent. Les humains répondent à la cholestyramine. Les rats ne répondent pas à la cholestyramine. Les chiens, oui. Les humains aussi. Donc, il était raisonnable de présumer qu’un médicament qui ne réduisait pas le cholestérol chez les rats pouvait fonctionner sur les humains. Puis, étant donné la biologie, et la biochimie du système, il était raisonnable de prédire qu’il fonctionnerait, à la lumière de notre connaissance du Compactin. Nous avions donc tout un ensemble d’éléments probants suggérant qu’il fonctionnerait.

     

    [511]  Je suis d’accord avec M. Alberts, les inventeurs disposaient d’un ensemble d’éléments probants suggérant que les composés fonctionneraient chez les humains. Les inventeurs avaient donc un fondement factuel approprié à leurs prédictions.

     

    b)  Raisonnement

     

    [512]  J’examinerai maintenant ce qu’Apotex a avancé comme étant une absence de raisonnement clair permettant de déduire les résultats désirés du fondement factuel. La question est la suivante : étant donné les résultats des expériences et des analyses en laboratoire qui formaient le fondement actuel ainsi que les renseignements tirés de l’art antérieur, Merck aurait-elle pu raisonnablement déduire que les composés satisferaient à la promesse d’être « efficaces comme antihypercholestérolémiques dans le traitement de l’athérosclérose, de l’hyperlipidémie et d’autres maladies semblables chez l’humain »?

     

    [513]  Les deux parties ont produit peu de preuve d’expert quant à la prédiction valable ou au raisonnement. M. Gotto a pu légèrement éclairer la Cour; il a décrit ses propres observations ainsi que les conclusions des scientifiques de la moitié à la fin des années 1970 lesquelles démontraient un lien entre un taux de cholestérol élevé et l’athérosclérose.

     

    [514]  Il était également connu, à la période pertinente, que l’hydroxyméthylglutaryl CoA était l’enzyme hépatique responsable de la production du cholestérol.

     

    [515]  Manifestement, c’était un élément essentiel dans la chaîne menant à la compréhension de la biosynthèse du cholestérol. Aucun expert n’a avancé un autre modèle de biosynthèse que celui décrit par M. Alberts. Il s’ensuit, lorsqu’on comprend la biosynthèse du cholestérol, qu’un composé permettant de prévenir la fin de ce processus, à toute étape, aura une forte probabilité de prévenir la formation du cholestérol. Par conséquent, le raisonnement sous-tendant l’élaboration de toutes les statines, comme la lovastatine, aurait été qu’un composé inhibant l’hydroxyméthylglutaryl CoA in vivo pourrait réduire le cholestérol chez les humains.

     

    [516]  La prochaine étape du raisonnement aurait porté sur un élément clé : le compactin. Les inventeurs connaissaient l’action du compactin. Le compactin agit sur la biosynthèse du cholestérol à l’étape de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase; inhibant l’enzyme ou l’empêchant de produire de l’acide mévalonique. Étant donné la divulgation figurant dans le brevet Endo, on comprend que les scientifiques de Merck connaissait l’activité in vivo du compactin.

     

    [517]  Les inventeurs savaient également que les composés qu’ils avaient élaborés en fermentant Aspergillus terreus avaient des structures semblables à celle du compactin. Ainsi, il n’était pas déraisonnable qu’ils prédisent qu’un composé ayant une structure semblable au compactin eût des propriétés inhibitoires semblables. Au surplus, et renforçant leur prédiction, les scientifiques de Merck disposaient également de leurs propres résultats de tests in vitro démontrant cette activité. Les inventeurs disposaient de tous ces renseignements au moment du dépôt du brevet 380 le 12 février 1979. M. Gotto a confirmé ce raisonnement en contre-interrogatoire :

    [traduction]

    Q.  J’aimerais vous poser cette question. Si, en 1979, on avait découvert un composé inhibant l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase dans une culture cellulaire in vitro, serions-nous en mesure de savoir, ou non, s’il était efficace dans le traitement de l’athérosclérose, de l’hyperlipidémie et d’autres maladies semblables chez l’humain?

     

    R.  Étant donné la connaissance que nous avions du Compactin, oui.

     

    [518]  À mon sens, il s’agit là d’une démonstration d’un raisonnement clair. En d’autres mots, en date du 12 février 1979, les inventeurs du brevet 380 auraient pu prédire valablement que les composés de l’invention pourraient servir de traitement contre l’hypercholesteremie chez les humains, étant donné l’activité in vivo connue du compactin, un composé très semblable, ainsi que les données in vitro de Merck. En l’occurrence, il y avait un raisonnement clair permettant de déduire le résultat visé, soit la réduction du cholestérol chez les humains, du fondement factuel. De plus, c’était le cas plus d’un an avant le dépôt du brevet canadien le 11 juin 1980.

     

    [519]  À compter de février 1979, les scientifiques de Merck étaient en mesure d’ajouter encore davantage de renseignements à ce raisonnement clair. En juillet 1979, Merck disposait de données in vivo supplémentaires confirmant l’inhibition de la synthèse du cholestérol chez les rats. Et, bien avant la date de dépôt de la demande de brevet canadien, Merck avait eu des résultats positifs sur des chiens. Ces renseignements viennent certainement ajouter un appui à la prédiction, quoiqu’ils ne soient pas essentiels à la prédiction valable en date du dépôt de la demande de brevet.

     

    c)  Divulgation

     

    [520]  Le dernier élément d’une prédiction valable est la « divulgation ». La question est la suivante : Merck a-t-elle dûment divulgué le fondement factuel et le raisonnement clair à l’origine du brevet 380? Je crois que c’est le cas.

     

    [521]  Dans Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 FCA 97, 78 C.P.R. (4e) 388 au paragraphe 18, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, [2009] C.S.C.R. No. 219 (QL), 401 N.R. 400 (note)) [Eli Lilly Raloxifene (FCA)], la Cour d’appel (faisant référence à Wellcome AZT, précité) a statué que « lorsque l’invention revendiquée n’a pas encore en fait été présentée sous forme pratique, le brevet devait faire une divulgation telle qu’une personne versée dans l’art, compte tenu de cette divulgation, pourrait, comme les inventeurs l’ont fait, prédire d’une façon valable que l’invention fonctionnerait une fois qu’elle serait présentée sous forme pratique ».

     

    [522]  L’argument d’Apotex en regard de l’insuffisance de la divulgation porte sur deux domaines distincts : la première porte sur la suffisance de la divulgation du fondement factuel de l’invention et la deuxième porte sur la suffisance de la divulgation des méthodes utilisées pour produire les composés revendiqués à partir des souches d’Aspergillus.

     

    [523]  Quant au premier argument, Apotex soutient que bon nombre des faits avancés par M. Alberts comment ayant été à la base de la prédiction de l’utilité par les inventeurs n’étaient pas divulgués dans le brevet. Plus précisément, Apotex soutient les suivantes :

    [traduction]

    Cependant, les tests rapportés dans les exemples sont les seules données divulguées dans le brevet 380 qui pourraient servir à former le fondement factuel à la prédiction de l’utilité des composés en tant qu’agents antihypercholestérolémiques. Aucun de ces tests n’a évalué la capacité d’un composé à réduire les taux de cholestérol sériques chez des mammifères ou des humains. Aucun de ces composés n’a fait se preuve chez l’animal quant à ses capacités à réduire le cholestérol sérique. Il n’y a aucune référence ou explication quant au rôle d’étape cinétiquement limitante de l’enzyme d’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase. Il n’y a aucune divulgation quant à la connaissance qu’avait acquise Merck de son travail avec le compactin ainsi que quant à la relation existant entre l’invention et la cholestyramine. De plus, rien n’indique comment (ou en quoi) les propriétés de la cholestyramine permettraient d’effectuer une prédiction quant à l’utilité de l’invention. Il n’y également aucune donnée sur la toxicologie, la pharmacocinétique ou la biodisponibilité des composés qui permettrait à la personne versée de l’art de prédire qu’ils pourraient véritablement être administrés et tolérés par des humains à des taux supérieurs aux dosages indiqués. Conséquemment, près de tous les « faits » avancés par M. Alberts constituant le fondement de l’utilité prévue par les inventeurs n’étaient pas divulgués.

     

    [524]  Le premier problème avec l’argumentaire d’Apotex est qu’il repose sur l’exigence qu’un brevet divulgue les données à l’appui de sa promesse. La question à savoir si un titulaire de brevet a obtenu suffisamment de données, ou non, pour appuyer son invention n’est pas pertinente eu égard au paragraphe 27(3) de la Loi. La Cour se préoccupe de la suffisance de la divulgation, et non des données à l’appui de l’invention (Pfizer Atorvastatin (FCA), précitée, au paragraphe 56).

     

    [525]  Apotex fait également référence aux tests menés par Merck sur des animaux en 1979. Elle mentionne également le témoignage de M. Alberts où il a reconnu que les tests menés sur les chiens ont mené Merck à croire que la lovastatine réduirait le cholestérol chez les humains. Le brevet 380 ne divulgue pas ces tests. Par conséquent, Apotex soutient que cette omission de divulguer les résultats et l’existence de ces tests démontre que les renseignements divulgués dans le brevet 380 ne permettaient pas de justifier la prédiction. Je ne suis d’accord ni avec la description que fait Apotex du témoignage de M. Alberts ni avec les conclusions qu’elle en tire.

     

    [526]  Apotex s’appuie sur Eli Lilly Raloxifene (FC), précitée. En l’occurrence, dans ce dossier, le juge Roger Hughes, juge de l’instance, a conclu que Merck s’était appuyée sur une étude publiée avant la date du dépôt de la demande de brevet au Canada (l’étude de Hong Kong). Le juge Hughes a conclu que l’exigence de divulgation n’avait pas été respectée; ce qu’a également conclu la Cour d’appel dans Eli Lilly Raloxifene FCA, précitée, au paragraphe 17. Comme l’a indiqué la Cour d’appel dans Eli Lilly Raloxifene FCA, précitée, au paragraphe 15 : « [p]uisque la prédiction devenait valable grâce à l’étude de Hong Kong, cette étude devait être divulguée ». À mon sens, l’espèce s’en distingue.

     

    [527]  Je suis d’accord que le contre-interrogatoire de M. Alberts a abouti sur une liste des faits et des renseignements connus des inventeurs du brevet 380 en date du dépôt de la demande de brevet canadien. Les études menées sur des chiens en 1979 sont d’un intérêt particulier. Apotex martèle que ces renseignements auraient dû être divulgués dans le brevet 380 afin de justifier la prédiction valable. Cependant, je ne pense pas que la jurisprudence impose de divulguer dans le mémoire descriptif du brevet absolument tout ce que l’inventeur savait jusqu’à la date pertinente. Dans Eli Lilly Raloxifene (FC), la personne versée dans l’art n’aurait pas eu assez d’information pour comprendre le bien‑fondé de la prédiction sans l’étude de Hong Kong. Nous devons examiner le mémoire descriptif pour décider si la personne versée dans l’art pouvait, grâce aux renseignements divulgués (même si d’autres éléments disponibles ne l’ont pas été), valablement prédire que l’invention fonctionnerait une fois présentée sous forme pratique.

     

    [528]  En ce qui concerne le brevet 380, la question est de savoir si les renseignements divulgués étaient suffisants pour permettre à la personne versée dans l’art de prédire de manière valable que les composés de l’invention seraient « efficaces comme antihypercholestérolémiques dans le traitement de l’athérosclérose, de l’hyperlipidémie et d’autres maladies semblables chez l’humain ».

     

    [529]  Que divulguait le brevet 380? Le brevet 380 comportait les divulgations suivantes :

     

    ·  le lien entre un taux de cholestérol élevé et l’athérosclérose (p. 2, lignes 11 à 15);

     

    ·  l’utilité de l’invention en regard de l’inhibition de la biosynthèse du cholestérol (p. 2, lignes 14 à 16);

     

    ·  l’art antérieur comprend les brevets américains sur le compactin, un produit de la fermentation du genre Penicillium, un composé duquel ayant fait ses preuves comme inhibiteur in vivo de la biosynthèse du cholestérol (p. 2, lignes 17 à 26);

     

    ·  la découverte par les inventeurs du brevet 380 de composés produits par Aspergillus, étant des inhibiteurs plus efficaces in vivo de la synthèse du cholestérol que le compactin (p. 2, lignes 28-33; p. 3, lignes 1 à 5);

     

    ·  le fait que l’inhibition de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase soit un moyen pertinent d’inhiber la biosynthèse du cholestérol (p. 14, lignes 30-35);

     

    ·  la structure de la lovastatine et des autres composés (p. 9, 10, 11 et 12);

     

    ·  l’inhibition in vitro de l’hydroxyméthylglutaryl CoA réductase par la lovastatine, (p. 14, ligne 30; p. 15, ligne 6; p. 24, lignes 7-8; p. 25, lignes 10-12; p. 42, lignes 1-13); et

     

    ·  l’inhibition in vivo de la synthèse du cholestérol par le composé II (p. 42, lignes 15-25).

     

    [530]  Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que la divulgation soit inadéquate. La personne versée dans l’art parviendrait à la conclusion que le brevet 380 divulgue suffisamment le fondement factuel et le raisonnement nécessaire à la prédiction valable que les composés revendiqués seraient utiles dans le traitement de l’hypercholestérolémie. En d’autres termes, le brevet 380 divulgue le fondement actuel et le raisonnement sous-jacent à sa promesse, comme l’exige la jurisprudence. La prédiction est valable eu égard aux renseignements divulgués; elle n’exigeait pas la divulgation d’autres renseignements connus des inventeurs.

     

    [531]  Apotex soutient ensuite que le brevet 380 ne divulgue pas les méthodes utilisées pour sélectionner les souches d’Aspergillus qui produiront les composés désirés. Comme mentionné dans la partie des présents motifs portant sur l’interprétation des revendications, j’ai conclu que le brevet revendique seulement les composés produits par Aspergillus terreus. De plus, il ne promet pas que la lovastatine peut être produite par toutes les souches d’Aspergillus terreus. Apotex soutient que, même en suivant cette interprétation plus étroite et cette promesse, Merck était tenue de divulguer les méthodes utilisées pour identifier les souches productrices. Apotex soutient que le mémoire ne divulgue pas ces renseignements, ce qui signifie que la personne versée dans l’art devrait effectuer des expériences excessive et inventive pour cerner les souches productrices.

     

    [532]  Les tribunaux ont reconnu que « des essais et expériences courants n’équivalant pas à de nouvelles inventions peuvent être requis pour mettre [une invention] en pratique » (Proctor & Gamble Co. c Bristol‑Myers Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2 d) 145 au paragraphe 51, [1978] A.C.F. No. 812 (QL) (F.C.T.D.); voir aussi Mobil Oil Corp. c Hercules Canada Inc. (1995), 63 C.P.R. (3 d) 473, [1995] A.C.F. no 1243 (QL) (C.A.F.)); Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc. 2005 FC 1283, 43 C.P.R. (4e) 161 au paragraphe 207). La preuve dont je dispose n’appuie pas l’affirmation d’Apotex selon laquelle l’identification des souches productrices d’Aspergillus terreus nécessite des expériences inventives. J’ai déjà abordé cette question (voir les paragraphes 57 à 130) dans le cadre de l’interprétation des revendications. Encore une fois, je suis convaincu que la personne versée dans l’art pourrait user de techniques bien connues pour analyser rapidement un nombre important d’isolats de souches d’Aspergillus terreus afin d’identifier les souches productrices. De plus, puisque suivant mon interprétation, les revendications se limitent aux souches de l’espèce Aspergillus terreus, les essais devraient être circonscrits par des limites raisonnables.

     

    D.  Premier inventeur/conflit qui n’a pas donné lieu à une procédure

     

    (1)  Introduction

     

    [533]  Apotex soutient que les inventeurs Merck n’ont pas été les premiers à inventer la lovastatine revendiquée dans le brevet 380 et que, par conséquent, ledit brevet devrait être invalidé au motif que « l’invention » visée était connue ou utilisée à la date du dépôt de la demande de brevet. Ce faisant, Apotex reconnaît qu’elle doit surmonter les exigences de la Loi sur les brevets.

     

    [534]  La demande no 353,777 a été déposée au Bureau des brevets le 11 juin 1980 (la demande Monaghan), et c’est celle-ci qui a mené à la délivrance du brevet 380. Apotex soutient que la demande Monaghan divulguant l’invention de la lovastatine doit être placée en conflit en regard de la demande de brevet no 345,983 (la demande Endo), laquelle a été déposée au Bureau des brevets le 19 février 1980. La demande Endo a finalement donné naissance au brevet 794.

     

    (2)  Principes juridiques

     

    [535]  Avant 1989, le régime général de la Loi sur les brevets était celui du premier inventeur. En contrepartie, le régime la Loi sur les brevets actuelle est décrit comme celui du premier à déposer la demande de brevet. Le principe du premier inventeur est formulé au paragraphe 27(1) de la Loi :

    27. Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi "le dépôt de la demande", et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas :

     

    (a)   connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l’ait faite;

     

    (b)   décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

     

    (c)   en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

     

     

    Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

     

    a)  not known or used by any other person before he invented it,

     

    b)  not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

     

    c)  not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,

    may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.

     

    [536]  Reconnaissant que plus d’une personne pourrait réclamer la paternité d’inventions semblables ou qui se chevauchent, le législateur a édicté des mesures pour identifier et régler les conflits découlant d’une telle situation. En premier lieu, le paragraphe 43(1) de la Loi circonscrit les cas de conflit :

    Se produit un conflit entre deux ou plusieurs demandes pendantes dans les cas suivants :

     

    (a)   chacune d’elles contient une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention;

     

    (b)   une ou plusieurs revendications d’une même demande décrivent l’invention divulguée dans l’autre ou les autres demandes

    Conflict between two or more pending applications exists

     

    a)  when each of them contains one or more claims defining substantially the same invention; or

     

    b)  when one or more claims of one application describe the invention disclosed in one of the other applications

     

    Les autres dispositions de l’article 43 décrivent la procédure à suivre pour dénoncer et régler les conflits.

     

    [537]  Bien que le paragraphe 27(1) reconnaisse au premier inventeur le droit au brevet, la Loi prévoit la possibilité de poursuites judiciaires portant sur la validité des brevets (voir les articles 53 et suivants de la Loi sur les brevets). Plus particulièrement, l’article 59 de la Loi permet à un défendeur (comme Apotex) dans une action en contrefaçon de brevet d’invoquer « tout fait ou manquement qui, d’après la présente loi ou en droit, entraîne la nullité du brevet ». En vertu du paragraphe 60(1) de la Loi, un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être « déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale […] à la diligence d’un intéressé ».

     

    [538]  Néanmoins, lorsque la validité d’un brevet est contestée relativement à la paternité de l’invention, le paragraphe 61(1) limite ou nuance le droit de contestation. Dans l’espèce, l’alinéa 61(1)b) est pertinent :

    Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l’invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d’être faite par l’inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu’il ne soit établi que, selon le cas :

     

    (b)   cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit;

     

    No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that, before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that

     

    b)   that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed;

     

     

    [539]  Comme l’énonce l’alinéa 61(1)b), aucun brevet ne peut être déclaré invalide pour la raison que l’invention était déjà connue ou exploitée par une autre personne, à moins que la personne qui conteste le brevet n’établisse que cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit. En d’autres mots, une partie peut uniquement invoquer avec succès la paternité d’une invention comme question en litige si : a) l’invention du brevet ou la revendication était déjà « connue ou exploitée par une autre personne »; b) l’autre personne avait fait au Canada une demande de brevet pour cette invention antérieure; ou c) des procédures en cas de conflit auraient dû être prises. L’interprétation de l’alinéa 61(1)b) a fait l’objet d’une analyse dans Laboratoires Servier c Apotex Inc., 2008 FC 825, 67 C.P.R. (4 th) 241 [Servier FC].

     

    [540]  Par conséquent, le seuil à franchir est à savoir si, eu égard aux faits dont je dispose, il y a eu un conflit qui n’a pas donné lieu à une procédure. En d’autres mots, une procédure de conflit aurait-elle dû être entreprise entre la demande Endo et la demande Monaghan? S’il n’y a eu aucun conflit ne donnant lieu à aucune procédure, l’alinéa 61(1)b) empêche Apotex de contester la validité du brevet 380 pour cause de paternité antérieure de l’invention.

     

    (3)  Y a-t-il eu un conflit qui n’a pas donné lieu à une procédure en cas de conflit?

     

    [541]  La demande Endo a été déposée le 19 février 1980, puis le brevet Endo a été délivré le 17 août 1982. La demande Monaghan a été déposée le 11 juin 1980, puis le brevet Monaghan a été délivré le 31 janvier 1984. Un conflit aurait pu être déclaré durant la période d’attente partagée de ces deux demandes, soit entre le 11 juin 1980 et le 17 août 1982.

     

    [542]  Un examen du dossier ou de l’historique du brevet 380 nous donne la séquence des événements ayant mené à la délivrance du brevet.

     

    [543]  Comme mentionné, les revendications 1 à 7 de la demande Monaghan portaient sur les processus utilisés pour produire certains composés. Toutefois, la revendication 8 portait uniquement sur les composés I et II, puis la revendication 9 portait uniquement sur les composés III et IV. Les revendications 10 à 19 portaient sur des sels, des esters et des composés, et dépendent toutes des revendications 8 et 9. Tandis que les revendications 1 à 7, telles que déposées, étaient des revendications d’un produit par le procédé, les revendications 8 à 19 ne comportaient aucune restriction de procédé. En somme, il s’agissait de revendications pour le médicament en soi. Or, de telles revendications n’étaient pas permises par la Loi sur les brevets, telle qu’elle était formulée à l’époque pertinente. Plus particulièrement, le paragraphe 41(1) (devenu ultérieurement le paragraphe 39(1)) de la Loi sur les brevets, tel qu’il l’était en 1982) prévoyait que :

    Lorsqu’il s’agit d’inventions couvrant des substances que l’on trouve dans la nature, préparées ou produites, totalement ou pour une part notable, selon des procédés microbiologiques et destinées à l’alimentation ou à la médication, aucune revendication pour l’aliment ou le médicament ne doit être faite dans le mémoire descriptif, sauf pour celui ainsi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués. [Non souligné dans l’original.]

    In the case of inventions relating to naturally occurring substances prepared or produced by, or significantly derived from, microbiological processes and intended for food or medicine, the specification shall not include claims for the resulting food or medicine itself, except when prepared or produced by or significantly derived form the methods or processes of manufacture particularly described and claimed.    

    [Non souligné dans l’original.]

     

    En termes clairs, les inventeurs de la demande Monaghan n’auraient jamais pu obtenir un brevet incluant les revendications 8 à 19, telles qu’elles étaient formulées à l’origine.

     

    [544]  L’avocat a été informé de ce problème après avoir reçu une lettre du Bureau des brevets datée du 10 novembre 1982 (l’action du Bureau) mentionnant :

    [traduction]

    Les revendications de cette demande sont régies par le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets. Une demande déposée en regard de produits formulés à des fins alimentaires ou médicales et préparés à la suite d’un procédé chimique doit comprendre une revendication liée au procédé brevetable. De plus, toute revendication liée à doit prendre une forme dépendant du procédé et avoir la même portée que la revendication liée au procédé. Les revendications 8 à 19 doivent être modifiées ou annulées.

     

    [545]  Le Bureau des brevets a reçu la réponse à l’action du bureau le 9 février 1983. Les revendications modifiées 1 à 20 ont été substituées aux revendications 8 à 19 non admissibles. Manifestement, le commissaire aux brevets a souscrit à l’observation voulant que la demande Monaghan comportât désormais des [traduction] « des revendications conformes aux exigences prévues au paragraphe 41(1) », car le brevet 380 a été délivré le 31 janvier 1984.

     

    [546]  Apotex et Merck ont toutes deux appelé un expert pour venir discuter des pratiques du Bureau des brevets aux périodes pertinentes. Messieurs Robert Barrigar (appelé par Merck) et Robert Hirons (appelé par Apotex) sont tous deux des agents enregistrés de brevets au Canada depuis longtemps. Tous deux ont une connaissance approfondie de la pratique et de l’examen des brevets de 1980 à 1982; ils connaissent également les pratiques du commissaire aux brevets de l’époque. J’ai reconnu la compétence de chacun en regard de ces sujets.

     

    [547]  Les deux experts s’entendent qu’aucune déclaration de conflit ne serait intervenue entre deux demandes en attente lorsque chacune comprenait des revendications de forme dépendant du procédé en regard du même composé issu de processus différents. Conséquemment, la question du conflit n’ayant donné lieu à aucune procédure aurait seulement pu être soulevée en regard des revendications 8 à 19, telles que formulées à l’origine, dans la demande Monaghan, ou en regard de certaines ou de toutes les revendications de la demande Endo.

     

    [548]  M. Hirons a soutenu que les exigences de l’alinéa 43(1)b) de la Loi sur les brevets étaient réunies et qu’il y avait un conflit, tel que défini par cette disposition, entre les deux demandes (rapport d’expert Hirons, pièce 117, au paragraphe 13). M. Hirons a avancé que, au cours de la période d’attente partagée, les revendications au composé de la demande Monaghan n’étaient pas restreintes par un procédé. Conséquemment, selon lui, il existait nécessairement un conflit entre les deux demandes. En d’autres mots, une ou plusieurs des revendications 8 à 19 de la demande Monaghan décrivaient l’invention divulguée dans la demande Endo et, conséquemment, le commissaire aurait dû entreprendre les procédures en cas de conflit.

     

    [549]  Bien franchement, ceci est en grande partie une opinion juridique; je n’ai pas besoin de l’assistance d’un expert à ce chapitre. Ceci dit, je ne suis pas en désaccord avec la conclusion de M. Hirons quant à l’existence d’un conflit, tel que défini par l’alinéa 43(1)b), entre ces deux demandes. De plus, la description que fait M. Hirons de la façon dont étaient menées les procédures en cas de conflit n’est pas inexacte.

     

    [550]  Toutefois, M. Hirons ne parvient pas à répondre à la question à savoir si des « procédures en cas de conflit » auraient dû être entreprises. Il présume que le commissaire est automatiquement tenu d’entreprendre des procédures en cas de conflit dès qu’un tel événement survient. Or, la seule existence d’un conflit à l’étape de la demande ne signifie pas, à mon sens, que des procédures en cas de conflit auraient automatiquement dû être entreprises.

     

    [551]  Je vais répondre à cette question, mais d’abord je vais mentionner les procédures décrites à l’article 43 de la Loi sur les brevets en regard des exigences légales. Les paragraphes 43(2) à 43(4) traitent de la procédure à suivre avant la déclaration d’un conflit. Je reconnais que le paragraphe 43(2) dicte la procédure obligatoire à suivre lorsqu’il existe un conflit en vertu du paragraphe 43(1).

    Procédure à suivre avant déclaration de conflit

     

    (2)  Lorsque le commissaire a devant lui deux ou plusieurs de ces demandes, il doit :

     

    a)  notifier à chacun des demandeurs le conflit apparent, et transmettre à chacun d’eux une copie des revendications concurrentes, ainsi qu’une copie du présent article;

     

    b)  procurer à chaque demandeur l’occasion d’insérer dans sa demande les mêmes revendications ou des revendications similaires, dans un délai spécifié.

    Procedure to be followed before conflict is declared

     

    (2)   When the Commissioner has before him two or more applications referred to in subsection (1), he shall

     

    (a)  notify each of the application of the apparent conflict and transmit to each of them a copy of the conflicting claims, together with a copy of this section; and

     

    (b)  give to each applicant the opportunity of inserting the same or similar claims in his application within a specified time.

     

    [552]  Ainsi, si l’on présume que les revendications 9 à 19 de la demande Monaghan, telle que formulée à l’origine, entraient en conflit avec certaines ou toutes les revendications de la demande Endo, alors le commissaire était tenu de suivre la procédure prévue au paragraphe 43(2) de la Loi. Or, il n’a pas agi en ce sens dans l’espèce. Toutefois, il s’agit d’étapes à suivre avant la déclaration de conflit afin de déterminer s’il est judicieux d’effectuer une déclaration formelle. Par conséquent, même si le commissaire a commis une erreur en ne se conformant pas à cette disposition obligatoire, celle-ci serait sans effet si, ultimement, il n’était pas nécessaire d’effectuer une déclaration formelle de conflit. La prochaine étape, soit la déclaration formelle, figure au paragraphe 43(5) :

    Déclaration formelle de conflit

     

    (5)  Si l’objet des revendications visées au paragraphe (3) est reconnu brevetable et que les revendications concurrentes sont maintenues dans les demandes, le commissaire exige de chaque demandeur le dépôt, au Bureau des brevets, dans une enveloppe scellée portant une suscription régulière, dans un délai qu’il spécifie, d’un affidavit du relevé de l’invention.

    L’affidavit déclare :

     

    (a)  a)  la date d laquelle a été conçue l’idée de l’invention décrite dans les revendications concurrentes;

     

    (b)  b)  la date laquelle a été fait le premier dessin de l’invention;

     

     

    (c)  c)  la date à laquelle a été faite 1a première divulgation écrite ou orale de!'invention et la manière dont elle a été faite;

     

    (d)  d)  les dates et la nature des expériences successives que l’inventeur a pratiquées par la suite afro de développer et mettre graduellement an point cette invention jusqu’à la date du dépôt de la demande de brevet,

     

    Formal declaration of conflict

     

    (5)   Where the subject matter of the claims described in subsection (3) is found to be patentable and the conflicting claims are retained in the applications, the Commissioner shall require each applicant to file in the Patent Office, in a sealed envelope duly endorsed, within a time specified by him, an affidavit of the record of invention, which affidavit shall declare

     

     

    the date at which the idea of the invention described in the conflicting claims was conceived;

     

     

    the date on which the first drawing of the invention was made;

     

    the date when and the mode in which the first written or oral disclosure of the invention was made; and

     

    the dates and nature of the successive steps subsequently taken by the inventor to develop and perfect the invitation from time to time up to the date of the filing of the application for patent.

     

    [553]  Il importe de souligner que cette disposition dispose que les procédures de conflit décrites au paragraphe 43(5) ainsi que dans les autres parties de l’article 43 s’appliquent uniquement « si l’objet des revendications visées au paragraphe (3) est reconnu brevetable et que les revendications concurrentes sont maintenues dans les demandes ».

     

    [554]  Or, si on revient à l’historique de la période d’attente partagée entre la demande Endo et la demande Monaghan, on remarque que cette dernière n’a jamais été reconnue brevetable entre le 11 juin 1980 et le 17 août 1982. En somme, les revendications 8 à 19 pour le médicament en soi et potentiellement concurrentes figurant dans la demande Monaghan n’étaient pas brevetables, car elles ne constituaient pas des revendications conformes aux exigences de la Loi sur les brevets. L’objet des revendications 8 à 19 n’était pas brevetable. Ainsi, si l’on résume, le commissaire n’avait aucune obligation de déclarer l’existence d’un conflit au cours de la période d’attente partagée.

     

    [555]  Ma compréhension de l’article 43 de la Loi sur les brevets est conforme aux pratiques du Bureau des brevets. M. Barrigar, usant de son expérience et de sa connaissance des processus au Bureau des brevets, a présenté son opinion sur la façon dont ces deux demandes de brevet auraient été traitées dans la pratique. Cette partie de son rapport d’expert et de son témoignage d’expert a été très utile. En peu de mots, le Bureau des brevets, confronté à des revendications non brevetables, n’aurait pas

    entrepris des procédures en cas de conflit. Le Bureau des brevets adoptait plutôt la pratique décrite par M. Barrigar (rapport d’expert Barrigar, pièce 44, paragraphe 18) :

    [traduction]

    À mon expérience, et conformément aux dispositions de l’ancienne loi, le Bureau des brevets avait pour pratique habituelle durant la période s’échelonnant de 1980 à 1984 la mise en œuvre d’une procédure de conflit dans le contexte global de la Loi sur les brevets. J’aborderai ce concept davantage dans les suivantes, mais ceci signifie que seules les revendications satisfaisant aux autres exigences de la Loi et aux règles applicables aux brevets étaient mises en conflit. Le Bureau des brevets disposait d’abord de tous les autres défauts des revendications avant de déclarer l’existence d’un conflit afin d’éviter une procédure en ce sens, si possible. Les procédures en cas de conflit accaparaient les ressources du Bureau des brevets et retardaient l’émission des brevets. 

     

    [556]  Par conséquent, bien que le commissaire soit « techniquement » tenu de se conformer aux paragraphes 43(2) à 43(4) de la Loi, il n’y aucune conséquence lorsque, comme c’est le cas dans l’espèce, les exigences nécessaires à l’entreprise de procédures formelles en cas de conflit définies au paragraphe 43(5) ne sont pas réunies. Même M. Hirons a finalement accepté les suivantes en contre-interrogatoire :

    [traduction]

    Il y a de très bonnes raisons politiques expliquant pourquoi le commissaire aux brevets ne souhaiterait pas entreprendre des procédures en cas de conflit en regard de revendications que tous savent inadmissibles en raison de la façon dont elles sont rédigées.

     

    [557]  Apotex soutient que la pratique de résoudre des conflits apparents en exigeant du demandeur qu’il modifie une partie de son mémoire, ou qu’il le modifie entier, afin de supprimer les revendications contestables, ne devrait avoir aucune incidence sur le droit d’invoquer l’article 61 de la Loi sur les brevets. Je ne suis pas d’accord. Il n’y a aucun conflit à déclarer en regard d’une demande de brevet contenant des revendications ne pouvant jamais donner naissance à un brevet.

     

    [558]  En résumé, je suis convaincu, en regard des faits de l’espèce, qu’il n’y avait aucune exigence d’entreprendre des procédures en cas de conflits entre la demande Endo et la demande Monaghan. Il n’y a eu aucun conflit ne donnant lieu à aucune procédure; conséquemment, le paragraphe 61(1) de la Loi empêche Apotex de contester la validité du brevet 380 pour cause de paternité antérieure de l’invention.

     

    (4)  La demande Endo divulguait-elle l’invention revendiquée par le brevet 380?

     

    [559]  Advenant que je me sois trompé en concluant qu’Apotex ne peut pas contester la validité du brevet pour cause de paternité antérieure; j’examinerai la question à savoir si la demande et le brevet Endo divulguaient la même invention que celle revendiquée par le brevet 380.

     

    [560]  La demande et le brevet Endo font clairement référence à une substance appelée « Monacolin K ». Le brevet Endo revendique les suivantes à sa revendication 1 :

    [traduction]

    Un processus pour la préparation du Monacolin K, lequel consiste à cultiver des micro-organismes producteurs de Monacolin K issus du genre Monascus dans un milieu de culture.

     

    [561]  Il est reconnu que le Monacolin K est de la lovastatine. Cependant, comme susmentionné dans les présents motifs, une caractéristique essentielle des revendications du brevet 380 est que la lovastatine visée est produite à partir d’une souche de l’espèce Aspergillus terreus. L’invention est une lovastatine fabriquée par la fermentation d’Aspergillus terreus; elle ne comprend pas la lovastatine fabriquée par d’autres micro-organismes. Monascus est un genre différent d’Aspergillus. Conséquemment, les deux demandes comportaient des revendications admissibles ne portant pas une ou plusieurs revendications définissant substantiellement la même invention. De plus, ni l’une ni l’autre des demandes ne divulguait l’invention indiquée dans l’autre demande.

     

    [562]  Par conséquent, même si j’acceptais qu’il y eût eu un conflit ne donnant lieu à aucune procédure, l’invention revendiquée par le brevet 380 n’est pas la même que celle divulguée dans la demande ou le brevet Endo. Apotex n’est pas parvenue à me convaincre que l’invention visée par le brevet 380 était connue ou utilisée par M. Endo avant la date du dépôt de la demande Monaghan.

     

    (5)  Levure de riz rouge/antériorité

     

    [563]  Apotex soutient que les revendications 13 à 15 du brevet 380 sont invalides conformément aux principes régissant « l’antériorité par utilisation ». En résumé, l’argument d’Apotex est que la lovastatine (aussi connue sous le nom Monacolin K) était connue et utilisée sous la forme de la levure de riz rouge longtemps avant la date de priorité du brevet 380 ou toute date antérieure. Apotex soutient que la présence de lovastatine dans tout produit de levure de riz rouge avant la date de priorité du brevet 380 était antérieure aux revendications 13 à 15. Dans la présente section, j’utiliserai l’expression « levure de riz rouge » comme signifiant les produits, y compris le riz, fabriqué avec la substance connue comme la levure rouge.

     

      a)  Principes de l’antériorité

     

    [564]  Le concept de l’antériorité puise sa source à même le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets. Le paragraphe 27(1) accorde au premier inventeur le droit d’obtenir un brevet en regard d’une invention ni « connue ou [ni] utilisée par une autre personne avant que lui-même l’ait faite ». Cette exigence est reprise à l’alinéa 61(1)a), lequel permet à la Cour d’invalider tout brevet ou toute revendication si une autre personne avait « divulgué ou exploité l’invention de telle manière qu’elle était devenue accessible au public ». En bref, la Loi sur les brevets exige que l’objet de la revendication n’ait pas été divulgué au public avant la date de celle-ci.

     

    [565]  L’arrêt de principe sur le critère juridique de l’antériorité est la décision de la Cour suprême du Canada dans Apotex c Sanofi-Synthelabo, 2008 SCC 61, [2008] 3 S.C.R. 265 [Sanofi-Synthelabo]. Aux paragraphes 23 à 27 de cet arrêt, la Cour suprême a conclu que la question de savoir si une invention est antériorisée exige que la Cour examine deux questions :

     

    1.  L’objet de l’invention a-‑t-‑il été rendu public en totalité dans une même divulgation?

     

    2.  À supposer que la divulgation ait été claire, aurait‑-elle permis la réalisation de l’invention?

    [566]  À la première étape de l’analyse, la Cour suprême a donné les indications suivantes (Sanofi‑Synthelabo, précité, au paragraphe 25) :

    En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

     

    [567]  Une fois la divulgation effectuée, la Cour suprême a décrit la question du caractère réalisable a été décrites dans les termes suivants (Sanofi-Synthelabo, précité, au paragraphe 27) :

    Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

     

    [568]  Dans Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2008 FC 1359, 337 F.T.R. 17 [Abbott Clarithromycin (FC)], confirmée dans 2009 FCA 94, 387 N.R. 347, le juge Hughes a procédé à une analyse utile du droit de l’antériorité suivant l’arrêt Sanofi-Synthelabo, précité. Il a résumé les exigences juridiques de l’antériorité comme suit (Abbott Clarithromycin (FC), précitée, au paragraphe 75) :

    Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

     

    1.  Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

     

    2.  Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

     

    3.  La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

     

    4.  Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

     

    5.  La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle.

     

    6.  Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

     

    [569]  La date d’évaluation aux fins de l’antériorité est celle du 15 juin 1979, soit la date de priorité du brevet 380.

     

    b)  Historique de la levure de riz rouge

     

    [570]  Il est incontesté la levure de riz rouge (ou des produits semblables contenant de la levure rouge, comme le tofu à la levure rouge) a été utilisée, produite et consommée dans les pays asiatiques depuis de centaines d’années. M. Harding, un témoin expert appelé par Apotex, a décrit l’utilisation de la levure de riz rouge dans la culture (principalement) chinoise, comme suit (rapport d’expert Harding, pièce 115, paragraphe 15) :

     [traduction]

    [La levure de riz rouge] a traditionnellement été utilisée comme mets spécialisé, en tant que colorant ou en tant que remède naturel aux infections gastro-intestinales et aux maladies du sang.

     

    [571]  Selon M. Harding, la levure de riz rouge a plus récemment été mise en marché comme un produit qui peut réduire les taux de lipides et réduire le risque de maladies cardiovasculaires.

     

    c)  Répercussions légales de la présence de lovastatine dans la levure de riz rouge

     

    [572]  M. Harding a rendu un témoignage d’expert indiquant que la levure de riz rouge n’est pas et n’était pas produite par Aspergillus terreus. Il a expliqué que la levure de riz rouge était obtenue par la fermentation de certaines espèces du genre Monascus.

     

    [573]  En aucun cas la levure de riz rouge ne fait appel à Aspergillus terreus; elle ne peut constituer une divulgation antérieure des processus revendiqués dans le brevet 380. Comme mentionné à la section portant sur l’interprétation des revendications des présents motifs, les revendications 1 à 12 portent sur les procédés de fermentation de souches productrice d’Aspergillus terreus en vue de produire certains composés (y compris la lovastatine, dite le composé I). Apotex n’allègue pas que les revendications 1 à 12 sont frappées d’antériorité; elle limite plutôt sa position aux revendications d’un produit par le procédé 13 à 15.

     

    [574]  La revendication 13 soutient que n’importe quel des composés I à IV, a été préparé à l’aide du procédé défini à la revendication 1 ou d’un équivalent chimique manifeste. La revendication 14 porte sur le composé I ou II lorsque celui-ci est produit par le procédé indiqué à la revendication 2 ou par un équivalent chimique manifeste, puis la revendication 15 porte sur les composés III ou IV, lorsqu’ils sont produits par le procédé indiqué à la revendication 5, ou par un équivalent chimique manifeste. Plus tôt dans les présents motifs, j’ai interprété les revendications 13 à 15 comme exigeant, en guise d’élément essentiel, que le produit soit fabriqué par le procédé défini dans les revendications qui les précèdent (et ce, qu’il s’agisse de composés I,II, III ou IV). En somme, les composés des revendications 13 à 15 doivent être fabriqués à partir de la fermentation d’espèces d’Aspergillus terreus.

     

    [575]  Pour le moment, je vais présumer qu’on pouvait retrouver de la lovastatine dans la levure de riz rouge à compter de la date de priorité. J’accepte l’opinion de M. Harding voulant que la levure de riz rouge est le résultat de la fermentation d’espèce du genre Monascus. Toutefois, si le produit antérieur allégué, soit la lovastatine issue de la levure de riz rouge, est produit par autre chose qu’Aspergillus terreus, il ne peut satisfaire au critère légal de l’antériorité, selon moi. En outre, la levure de riz rouge ne répond pas à la première exigence du critère voulant que l’invention doive divulguer l’objet visé par les revendications 13 à 15.

     

    [576]  Apotex répond à cette analyse en affirmant que la revendication d’un produit obtenu par un procédé équivaut à une revendication visant le produit. Selon Apotex :

    [traduction]

    La seule invention qu’on puisse revendiquer lorsqu’un produit est déjà connu et qu’on découvre un nouveau procédé pour le fabriquer porte sur le procédé, car le produit n’est pas « nouveau ». Par conséquent, une revendication liée à un produit obtenu par un procédé peut être antériorisée par la divulgation antérieure du produit, mais non du procédé.

     

    Apotex s’appuie sur la décision de la Cour suprême dans Hoffmann-LaRoche Ltd. c Canada (Commissioner of Patents), [1955] S.C.R. 414, 23 C.P.R. 1 [Hoffmann-LaRoche 1955 référence au R.C.S.] pour formuler cette prétention.

     

    [577]  Je connais que l’arrêt Hoffmann-LaRoche 1955 semble soutenir la position d’Apotex. L’arrêt Hoffmann-LaRoche 1955 portait sur une demande de brevet revendiquant un nouveau procédé de fabrication d’une substance déjà connue, l’aldéhyde, ainsi que l’aldéhyde fabriqué au moyen de ce procédé. Le commissaire aux brevets a admis la revendication du nouveau procédé de fabrication de l’aldéhyde, mais non la revendication visant l’aldéhyde fabriqué au moyen de ce procédé. L’inventeur a interjeté appel sans succès devant la Cour de l’Échiquier (Hoffmann-La Roche Ltd. c Canada (Commissioner of Patents)(1953), [1954] Ex. C.R. 52, 19 C.P.R. 80), puis il s’est pourvu en Cour suprême du Canada où il a encore été débouté. Le juge en chef Cartwright, s’exprimant au nom de quatre des cinq juges, a tenu les propos suivants dans les brefs motifs rejetant l’appel [traduction] : « ce produit n’a rien de nouveau, l’appelant n’a pas le droit d’obtenir un brevet, et ce, même s’il s’appuie sur une revendication de procédé dépendante du produit » (Hoffmann-LaRoche 1955, précité, à la page 415). Les motifs du juge en chef Cartwright, d’une seule page, offrent peu d’analyse.

     

    [578]  J’admets avoir du mal à comprendre comment les conclusions d’Hoffmann-LaRoche 1955 peuvent être appliquées à la protection offerte par la Loi sur les brevets. Il me semble illogique que le procédé de fabrication d’une substance puisse être nouveau, et ainsi brevetable, mais que le produit issu de ce procédé ne soit pas automatiquement brevetable. Je comprends qu’il pourrait y avoir des situations invalidant la revendication liée au produit fabriqué par le procédé en question. Par exemple (sans s’y limiter) :

     

    ·  une revendication liée au produit fabriqué par un procédé pourrait être contestée au motif que la substance, lorsque fabriquée par le procédé décrit, était antériorisée ou évidente; ou

     

    ·  un brevet ou une divulgation antérieure porte sur le produit, peu importe son procédé de fabrication (bien que ceci n’aurait pas pu se produire en regard du brevet 380, car il n’était pas permis à l’époque de revendiquer un médicament en soi).

    Toutefois, les limites de la revendication sont bien définies lorsqu’elle porte sur une substance fabriquée par un procédé particulier, et que celui-ci est nouveau. Je ne vois pas en quoi la revendication serait automatiquement invalidée simplement car quelqu’un d’autre a revendiqué le même produit, mais issue d’un procédé différent.

     

    [579]  Finalement, je fais remarquer que la Cour suprême, dans Hoffmann-LaRoche 1955 a implicitement accepté la validé des revendications en regard d’un [traduction] « nouveau procédé utile pour la fabrication de l’aldéhyde ». À mon avis, il n’existe aucune raison de principes expliquant pourquoi une revendication liée à un produit fabriqué par un procédé pourrait être invalidée sans que le soit le nouveau procédé de fabrication de la substance connue.

     

    [580]  Peu de décisions citent l’arrêt Hoffmann-LaRoche 1955. Toutefois, cette décision de la Cour suprême n’a pas été directement contredite dans les quelques fois où elle a été citée depuis 65 ans. La Cour d’appel fédérale a récemment examiné Hoffmann-LaRoche 1955 dans Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 FCA 153, 59 C.P.R. (4e) 30 (Abbott Clarithromycin (FCA)). En outre, la juge Sharlow a affirmé au paragraphe 15 « [qu’]aucun précédent ne met en doute la justesse du principe dégagé dans l’arrêt Hoffmann ».

     

    [581]  La Cour d’appel a également eu l’occasion d’examiner le caractère applicable d’Hoffmann-LaRoche 1955 dans Bayer AG c Apotex Inc., 2001 FCA 263, 14 C.P.R. (4e) 263 [Bayer Ciproflaxin]. Dans ce dossier, Apotex a interjeté appel d’une ordonnance interdisant au ministre de la Santé national d’émettre un AC en vertu du Règlement. Apotex soutenait que les brevets canadiens de Bayer en regard de la ciprofloxacine étaient invalides, car Bayer avait déjà déposé une demande de brevet en lien avec ce même médicament dans un autre pays. Les inventions étaient considérablement identiques, mais elles faisaient appel à un procédé de synthèse différent. Apotex Inc. s’est appuyée sur Hoffmann-LaRoche 1955 pour soutenir que les différences dans le procédé de fabrication du médicament n’étaient pas « pertinentes sur le plan juridique » (Bayer Ciproflaxin, précitée, au paragraphe 15). Rejetant cette prétention, le juge Evans, s’exprimant au nom de la Cour, a tenu les propos suivants (Bayer Ciproflaxin, précitée, au paragraphe 16) :

    Nous estimons toutefois que cet arrêt se distingue d’emblée de la présente affaire. Plus particulièrement, la question en litige dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, précité, consistait à déterminer si la demande de brevet satisfaisait à l’exigence prévue à l’alinéa 28(1)b) de la Loi sur les brevets. Selon cette disposition, on peut obtenir un brevet à l’égard d’une invention uniquement dans la mesure où elle comporte un élément de nouveauté. Or, nous ne sommes pas saisis de cette question en l’espèce. Nous devons plutôt décider si les inventions faisant l’objet des brevets chilien et canadien sont les mêmes. En outre, comme le fait remarquer l’avocat de Bayer dans son mémoire, Apotex n’affirme dans aucun de ses avis d’allégations que le brevet visant un produit dérivé d’un procédé obtenu au Canada pour la ciprofloxacine est invalide parce que celle-ci a déjà été inventée, ni que l’utilisation du procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l’ester malonique afin de produire un intermédiaire ne pourrait avoir pour effet de rendre cette invention nouvelle. [Je souligne.]

     

    [582]  En résumé, il semble que je doive accepter que l’arrêt Hoffmann-LaRoche 1955 tienne toujours. Contrairement à la situation du juge Evans dans Bayer Ciproflaxin, Apotex soutient clairement que les revendications liées au produit fabriqué par un procédé sont invalides, car la substance, soit la lovastatine ou le Monacolin K, avait déjà été inventée. Ainsi, paraphrasant la juge Sharlow dans Abbott Clarithromycin (FCA), précitée, aux fins d’appliquer le principe issu d’Hoffmann-LaRoche 1955; la lovastatine devait être « connue » en date du 15 juin 1979 afin qu’une revendication éventuelle en lien avec son invention puise échouer pour cause d’antériorité ou défaut de nouveauté.

     

    [583]  Apotex soutient que l’existence de la levure de riz rouge, une substance connue depuis des siècles, pourrait satisfaire à ce critère. Ainsi, la question est de savoir si la lovastatine, telle que décrite dans le brevet 380, quelle que soit sa fabrication, était antériorisé par la levure de riz rouge.

     

    d)  Preuve de l’existence de la lovastatine dans la levure de riz rouge avant la date de priorité

     

    [584]  La première question à trancher est à savoir si la preuve qui m’est présentée établit que la levure de riz rouge était une source de lovastatine avant la date de priorité. Si ce n’est pas le cas, alors la contestation pour cause d’antériorité devra échouer. Toutefois, si je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la levure de riz rouge, préparée selon les méthodes traditionnelles, contenait de la lovastatine, je devrai poursuivre mon examen afin de déterminer s’il y a eu divulgation et réalisation.

     

    [585]  Selon M. Harding, la littérature scientifique regorge de textes indiquant que la levure de riz rouge ou des produits semblables [traduction] « fabriqués par la fermentation en milieu solide et à l’aide de souches de Monascus faisaient partie des usages traditionnels, avaient des taux appréciables de Monacolin K [lovastatine] et étaient efficaces pour réduire le taux de cholestérol sanguin in vivo » (rapport d’expert Harding, pièce 115, paragraphe 52). M. Harding conclu que [traduction] « les gens consomment du Monacolin K depuis des siècles ».

     

    [586]  Il a indiqué que le montant de Monacolin K dans la levure de riz rouge variera selon les conditions de fermentation utilisées. Il s’ensuit (et M. Harding n’a pas manifesté de désaccord) que toutes les levures de riz rouge ne contiennent pas du Monacolin K.

     

    [587]  En plus de sa recherche dans la littérature, M. Harding a analysé deux échantillons différents de levure de riz rouge acheté dans des épiceries asiatiques spécialisées à Winnipeg et à Toronto. Il a conclu que les deux échantillons contenaient du Monacolin K, en faible quantité, mais néanmoins détectable.

     

    [588]  Je commencerai par discuter des résultats des analyses effectuées par M. Harding sur deux échantillons commerciaux de levure de riz rouge. Même si ces échantillons contenaient une quantité mesurable de lovastatine (Monacolin K), ce que je suis prêt à admettre, ils ont tous deux été produits bien après la date de priorité de l’invention du brevet 380. Ils ne nous apprennent rien sur l’existence de la lovastatine dans la levure de riz rouge avant 1979. De plus, selon les indications sur l’emballage, rien n’indique le procédé de fabrication de ces produits ou que la lovastatine retrouvée dans les échantillons provenait de méthodes traditionnelles de fermentation.

     

    [589]  Comme l’a décrit M. Harding, les techniques modernes de fabrication de la levure de riz rouge seraient différentes des méthodes traditionnelles.

    Les techniques modernes feraient appel à des ballons et à des environnements contrôlés. Traditionnellement, la fermentation se faisait dans des boîtes ou des plateaux et des contenants en bambou, dans des milieux ouverts. La température était contrôlée soit par la ventilation ou en s’assurant d’aucune lumière directe, et autres procédés de ce type. On mélangeait également le riz afin de distribuer la levure de façon uniforme pour obtenir la couleur et le produit final sur chaque grain de riz, mais également pour réduire la température.

     

    [590]  Dans son rapport d’expert, M. Harding mentionne également que bien que les pratiques de production traditionnelles et modernes soient très semblables [traduction] « des modifications ont été introduites dans la production moderne pour rehausser la fabrication des métabolites désirés » (rapport d’expert Harding, pièce 115, paragraphe 28).

     

    [591]  M. Havel, appelé à la Cour par Merck, a également indiqué :

    [traduction]

    Les échantillons recueillis de janvier à avril 1998, soit 12 ans après l’étude Negishi, ont pu être produits dans des conditions qui ne sont pas, je crois, véritablement traditionnelles au sens du procédé utilisé jusqu’à 1980.

     

    [592]  À mon sens, l’opinion de M. Harding voulant que les deux échantillons analysés aient été préparés conformément aux méthodes traditionnelles est spéculative. Les résultats des analyses des deux échantillons de levure de riz rouge effectuées par M. Harding ne peuvent pas servir à démontrer de façon fiable que ce produit contenait de la lovastatine avant la date de priorité.

     

    [593]  J’éprouve des difficultés semblables avec les études citées par M. Harding dans son rapport d’expert. Une des études citées est Negishi et al, « Productivity of Monacolin K in the genus Monascus species » (dite Negishi). L’étude Negishi rapport les analyses de 124 souches de Monascus en tout. Près de toutes les espèces ont été isolées de plusieurs différents produits alimentaires fabriqués de levure de riz rouge. L’étude Negishi a fait appel à des techniques modernes pour réaliser ses expériences et a conclu que 17 souches de cinq espèces étaient capables de produire du Monacolin K. Toutefois, cette étude est postérieure, et de plusieurs années, à la date de priorité du brevet 380. Je n’ai aucun renseignement sur la façon dont les échantillons de levure de riz rouge ont été recueillis ainsi qu’à savoir si les mêmes produits auraient été disponibles dans les années antérieures à 1979.

     

    [594]  M. Harding a également cité un article publié en 2001 par Heber et al, intitulé « An Analysis of Nine Proprietary Chinese Red Yeast Rice Dietary Supplements: Implications of Variability in Chemical Profile and Contents » (ci-après, Heber). Heber a acheté neuf suppléments de levure de riz rouge alimentaire en vente libre et a conclu que le contenu total en Monacolin K variait de 0 % à 0,58 %. Bien que l’étude démontre que quelques-uns des échantillons de produits de levure rouge recueillis et analysés aux fins de celle-ci contenaient des quantités mesurables de Monacolin K, elle n’établit pas que la levure de riz rouge contenait de la lovastatine avant 1979.

     

    [595]  Les méthodes de production sont le seul lien possible entre les analyses effectuées après 1979 et le potentiel de production de lovastatine de la levure de riz rouge avant cette date. M. Harding semble appuyer son opinion générale voulant que la levure de riz rouge eut contenue du Monacolin K depuis des siècles sur les similitudes observées entre les méthodes de fabrication modernes et traditionnelles. Si on peut établir que les méthodes de production utilisées dans les deux périodes étaient les mêmes, on pourrait extrapoler les résultats des analyses réalisées après 1979 aux échantillons antérieurs de levure de riz rouge.

     

    [596]  M. Harding a témoigné en contre-interrogatoire que seuls deux arts antérieurs parmi les sept cités dans son rapport portaient sur la fermentation de la levure de riz rouge avant 1979.

     

    [597]  Toutefois, lorsqu’on examine le tout de plus près, on remarque qu’il y avait des différences importantes entre les méthodes traditionnelles de préparation de la levure de riz rouge et celles qui produiraient de la lovastatine, notamment :

     

    ·  la levure de riz rouge était probablement fermentée à des températures dépassant les 30oC, température à laquelle la lovastatine ne peut être produite;

     

    ·  il existe une relation inversée entre la capacité de produire des pigments et la capacité à produire de la lovastatine dans la levure de riz rouge; et

    ·  les souches modernes de levure de riz rouge n’apportent aucun renseignement à savoir si la levure de riz rouge traditionnelle produisait de la lovastatine.

     

    La preuve démontre fortement que la production de la lovastatine dépend beaucoup de la température de fermentation. Bien que Negishi eut rapporté que 17 des 50 échantillons d’espèces de Monascus produisent du Monacolin K, il a également été précisé que cette production était uniquement possible à 25oC. Comme l’ont observé les membres de l’étude Negishi [traduction] « lorsque les conditions d’incubation se situent de 30 à 37oC, les souches productrices de Monacolin K perdent leur capacité à fabriquer cette substance ». Le brevet 380 enseigne au lecteur qu’il doit incuber A. terreus à 28 °C, température à laquelle Monascus serait probablement incapable de produire de la lovastatine.

     

    [598]  En somme, je ne suis pas convaincu que la preuve démontre qu’il y avait de la lovastatine dans la levure de riz rouge avant la date de priorité. Il s’ensuit qu’Apotex ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontre que la levure de riz rouge antériorisait la lovastatine.

     

    e)  Divulgation quant à la présence de lovastatine dans la levure de riz rouge

     

    [599]  Advenant que j’aie tort de rendre cette conclusion, je vais présumer qu’il y avait de la lovastatine dans certains échantillons de levure de riz rouge avant la date pertinente. La question maintenant est de savoir si ceci satisfait au critère de la divulgation. À mon sens, et comme discuté dans les suivantes, Apotex ne m’a pas convaincu que l’objet de l’invention, la lovastatine, était divulgué au public par la levure de riz rouge.

     

    [600]  La preuve démontre que, si la levure de riz rouge contenait de la lovastatine, ce n’était pas le cas sans égard aux conditions de fermentation. C’est-à-dire qu’avant le 15 juin 1979, ce ne sont pas tous les produits de levure de riz rouge qui contenaient de la lovastatine. De plus, il est également évident que les personnes produisant ou utilisant de la levure de riz rouge ignoraient son contenu en lovastatine.

     

    [601]  Apotex soutient que Calgon Carbon Corp. c North Bay (City), 2008 FCA 81, 64 C.P.R. (4e) 337 au paragraphe 8 et Baker Petrolite Corp. c Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 FCA 158, 17 C.P.R. (4e) 478 aux paragraphes 35 et 42 [Baker Petolite] soutiennent la position voulant que l’étendue ou la durée de l’utilisation ou de la vente antérieure ne soient pas importantes, que la divulgation à [traduction] « un seul membre du public » suffise pour détruire le caractère nouveau d’un produit chimique. Par conséquent, Apotex soutient que l’existence de la lovastatine, même dans un seul échantillon de levure de riz rouge, avant la date de priorité antériorise le composé revendiqué dans le brevet 380.

     

    [602]  Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation d’Apotex voulant que l’existence de la lovastatine, même dans un seul échantillon de levure de riz rouge, soit suffisante pour étayer la divulgation. Je crois qu’Apotex confond la [traduction] « divulgation à un seul membre du public », énoncée dans Baker Petrolite, précité, au paragraphe 42, avec « une divulgation ». Si l’art antérieur divulgue invariablement le composé, ou de façon prévisible, il pourrait bel et bien y avoir antériorité. Or, lorsque l’existence dudit composé ne peut être raisonnablement ou uniformément prédite en regard de multiples possibilités, je ne vois pas comment ceci pourrait satisfaire au critère de la divulgation. L’antériorité doit supposer davantage que la présence accidentelle d’un composé.

     

    [603]  L’argument d’Apotex me semble non seulement illogique, mais il n’est également pas appuyé par la jurisprudence. Dans Abbott Clarithromycin (FCA), précitée, au paragraphe 22, la Cour d’appel a analysé l’argument d’Abbott voulant qu’une personne versée dans l’art doive avoir une certaine connaissance de l’art antérieur.

    Abbott affirme qu’une personne versée dans l’art et chauffant de la clarithromycine de forme I au moyen de la technique connue n’aurait pas su et n’aurait pas pu savoir qu’elle avait obtenu de la clarithromycine de forme II, à moins d’avoir su également qu’il fallait cesser de chauffer la substance avant qu’elle n’atteigne son point de fusion à une température de 225oC. J’estime que, sur le plan du droit, le fait que la personne en question n’ait pas su cela est dénué de pertinence. Il ressort de ces éléments de preuve non contestés que la clarithromycine de forme II aurait été obtenue si la technique de chauffage avait été suivie. Il existait des techniques d’analyse bien connues permettant à toute personne intéressée qui aurait choisi le bon moment pour observer la chose, de déceler la présence de la substance en question. [Je souligne.]

     

    [604]  Dans l’espèce, je n’ai aucune preuve semblable quant à la présence éventuelle de la lovastatine dans la levure de riz rouge. En outre, la preuve, telle que divulguée dans la littérature citée (par exemple, Negishi et Heber) indique la lovastatine était seulement présente dans quelques échantillons.

     

    [605]  Apotex soutient également que le fait que personne, incluant la personne versée dans l’art, n’ait jamais reconnu la présence de la lovastatine dans la levure de riz rouge n’est pas pertinent. Apotex soutient que la Cour d’appel, dans Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2006 FCA 187, 56 C.P.R. (4e) 387 aux paragraphes 15-23, a fait référence au principe décrit par Lord Hoffmann dans BV c Smithkline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All ER 685 [Synthon BV], voulant que brevet soit divulgué même si l’auteur ou le fabricant de l’art antérieur n’en était pas conscient.. Apotex cite les paragraphes 22 et 23 de Synthon BV, précitée, comme appuyant sa position.

     

    [606]  Je suis d’accord avec Apotex que le passage cité de cette décision de la Chambre des lords dans Synthon BV, précitée, fait référence au fait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir conscience de la contrefaçon. Toutefois, le contexte de ces commentaires est clarifié par un examen du passage en entier. Ainsi, Lord Hoffmann a tenu les propos suivants dans Synthon BV, précitée, aux paragraphes 22 et 23 :

    [traduction]

    […] l’objet mentionné comme étant l’art antérieur doit divulguer l’objet emportant nécessairement contrefaçon d’un brevet s’il est réalisé. […] Mais la contrefaçon de brevet n’est pas subordonnée à la condition de la pratique consciente : « la question à savoir si une personne exploite ou non [une] […] invention est un fait objectif, indépendant de ce qu’elle‑même sait ou pense de son action » Merrell Dow Pharmaceuticals Inc c H N Norton & Co Ltd [1996] RPC 76, 90. Il s’ensuit que, indépendamment du point de savoir si quiconque en était conscient au moment pertinent, lorsque l’objet décrit dans la publication antérieure est exécutable et de nature tel que, s’il est exécuté, la contrefaçon du brevet en résultera nécessairement, la condition de la divulgation antérieure est remplie. Le drapeau a été planté, même si l’auteur de l’antériorité l’a planté à son insu.

     

    Par conséquent, dans l’affaire Merrell Dow, les personnes atteintes du rhume des foins qui ingéraient de la terfénadine, ce médicament faisant l’objet de la divulgation antérieure, fabriquaient nécessairement le métabolite acide breveté dans leur foie. Le métabolite acide était par conséquent antériorisé, et ce, même si personne ne savait pas qu’il était fabriqué ou même qu’il existait. Cependant, la contrefaçon ne doit pas simplement être une conséquence possible ou même probable de la réalisation de l’invention visée par la divulgation antérieure. Cette conséquence doit nécessairement s’ensuivre. S’il y a plus d’une conséquence possible, on ne peut pas dire que la réalisation de l’invention divulguée constituera une contrefaçon. Le drapeau n’a pas été planté à l’égard de l’invention brevetée, même si la personne qui réalise l’invention divulguée dans l’antériorité réalise peut‑être l’invention accidentellement ou (si elle est au courant de l’invention brevetée) délibérément. De fait, il se peut que la chose soit évidente. Cependant, la divulgation antérieure doit être interprétée telle qu’elle aurait été comprise par la personne versée dans l’art à la date de la divulgation plutôt qu’à la lumière du brevet ultérieur. Comme la Chambre de recours technique l’a dit dans T/396/89 UNION CARBIDE/high tear strength polymers [1992] EPOR 312, au paragraphe 4.4 :

     

    « Si une invention ultérieure est connue, il peut être facile de choisir certaines conditions, parmi les enseignements généraux d’une antériorité, et de les appliquer à un exemple de l’antériorité, de façon à produire un résultat final comportant toutes les caractéristiques de la revendication ultérieure. Toutefois, le succès obtenu ne prouve pas que le résultat était inévitable. Cela démontre simplement que, compte tenu de la connaissance de l’invention ultérieure, l’enseignement antérieur peut être adapté pour donner le même résultat. On ne saurait invoquer une telle adaptation afin de contester la nouveauté d’un brevet ultérieur. »

     

    [607]  Ce passage, une fois compris, démontre qu’Apotex a lu les commentaires du Lord Hoffman de façon sélective, omettant un élément clé. Je suis d’accord avec Apotex que la conscience du fait que l’art antérieur divulgue l’invention antériorisée n’est pas une exigence de la divulgation. Le juge Hughes a souligné cet élément dans Abbott Clarithromycin (FC), précitée, au paragraphe 75. Toutefois, bien que ce passage de Synthon BV, précitée, appuie l’argument d’Apotex, il énonce également très clairement que l’exigence de la divulgation est satisfaite uniquement lorsque la contrefaçon doit survenir au moment de la pratique de l’art antérieur. Paraphrasant Lord Hoffman, c’est-à-dire que le drapeau de la divulgation antérieure n’est pas planté sur le brevet visé à moins que la divulgation antérieure entraîne nécessairement une contrefaçon du brevet.

     

    [608]  Dans l’espèce, la levure de riz rouge satisfait uniquement l’exigence de la divulgation du critère de l’antériorité s’il est peut être dit qu’elle produit nécessairement de la lovastatine. Or, comme nous le savons de la preuve, ce n’est définitivement pas le cas. En effet, la preuve dont je dispose démontre que la présence de lovastatine dans la levure de riz rouge serait plutôt un événement très rare.

     

    [609]  En conclusion, je n’accepte pas la position d’Apotex voulant que la lovastatine soit antériorisée par la levure de riz rouge.

     

    XI.  Conclusion

     

    [610]  Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, le présent litige a fait l’objet d’une ordonnance de disjonction. Par conséquent, le dossier a procédé à l’audience sans exiger des parties qu’elles présentent des éléments de preuve au procès quant à toute question de fait portant sur les suivantes :

     

    1.  la portée de la contrefaçon du brevet 380, le cas échéant, par les défenderesses;

     

    2.  le montant des dommages subis par les intimées des suites de ladite contrefaçon de brevet, le cas échéant; ou

     

    3.  le montant des profits recueillis par les défenderesses des suites de ladite contrefaçon.

     

    [611]  Selon les modalités de l’ordonnance de disjonction, la question à savoir si les intimées avaient le droit de choisir la comptabilisation des profits comme mode d’indemnisation était à trancher par le juge à l’audience. Merck a conclu en avançant qu’elle choisissait le mode d’indemnisation de la comptabilisation des profits. Apotex s’est opposée.

     

    A.  Dommages-intérêts ou bénéfices

     

    [612]  Une fois qu’un breveté a démontré la contrefaçon avec succès, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder au breveté la réparation de son choix, soit des dommages-intérêts (comme le prévoit l’article 55 de la Loi sur les brevets), soit la restitution des bénéfices (en vertu de l’article 57). Merck désire être en mesure de choisir la restitution des bénéfices et demande à la Cour de l’ordonner. Apotex prétend que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

     

    [613]  Les dommages-intérêts et la restitution des bénéfices sont tous deux destinés à indemniser un demandeur lésé, mais les principes fondamentaux sur lesquels reposent les deux réparations et leurs considérations pratiques sont très différents.

     

    [614]  Les dommages-intérêts ont pour objet de compenser toute perte subie par le demandeur par suite de la contrefaçon du brevet par le défendeur. Le montant dépend des pertes subies par le demandeur; les gains réalisés par le défendeur en raison de sa faute ne sont pas pertinents. En contrepartie, la restitution des bénéfices repose sur la prémisse selon laquelle le défendeur, en raison de son comportement fautif, a reçu de manière irrégulière des bénéfices qui appartiennent au demandeur. L’octroi de cette réparation vise à restituer les bénéfices réalisés à leur propriétaire légitime, soit le demandeur, de façon à éliminer tout enrichissement injuste du défendeur. Le calcul est fonction des bénéfices injustement obtenus par le défendeur; toutes les autres pertes subies par le demandeur ne sont pas pertinentes.

     

    [615]  La restitution des bénéfices n’est pas un calcul facile. Comme l’a déclaré feu le juge Rouleau de la Cour lorsqu’il parlait d’une telle restitution dans Beloit Canada ltée c Valmet Oy (1993), 55 C.P.R. (3 d) 433 au paragraphe 3, [1994] A.C.F. no 682 (F.C.T.D.)(QL), inf. en partie par 61 C.P.R. (3 d) 271, [1995] A.C.F. no 733 (QL)(F.C.A.), autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, [1995] C.R.C.S. no 388 (QL), 64 C.P.R. (3 d) vi :

    Il s’agissait sans aucun doute d’un renvoi fort coûteux, long et difficile et d’un renvoi qui montre clairement les pièges que comporte l’octroi de la mesure de réparation relative à la restitution des bénéfices autrement que dans des circonstances exceptionnelles et appropriées et après mûre réflexion de la part de la Cour.

     

    [616]  Malgré les difficultés pratiques, la Cour d’appel fédérale dans Beloit Canada Ltd. c Valmet Oy (1992), 45 C.P.R. (3 d) 116 au paragraphe 10, [1992] A.C.F. No. 825 (QL), a statué :

    […] Nous ne voyons, en principe, aucune raison pour laquelle un breveté, dont la propriété a abusivement été appropriée par voie de contrefaçon, ne devrait pas recouvrer tous les profits, directs ou indirects, que l’auteur de la contrefaçon a tirés de sa contrefaçon illégale.

     

    [617]  Il incombe cependant à la partie qui sollicite une réparation en equity, comme la restitution des bénéfices, de justifier l’exercice du pouvoir en equity de la Cour (Janssen-Ortho Inc. c Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, 57 C.P.R. (4e) 58 au paragraphe 132, confirmée dans 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4e) 116, autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, [2007] C.R.C.S. No. 442 (QL), 383 N.R. 397 (note); Servier FC, précitée, au paragraphe 507).

     

    [618]  Merck soutient qu’elle peut étayer son choix de demander la restitution des profits. Plus particulièrement, elle avance les facteurs suivants :

     

    ·  Les intimées n’ont pas eu une conduite abusive justifiant de les priver du recours en equity.

     

    ·  Les intimées n’ont pas retardé le début du procès. L’action en contrefaçon de brevet a été déposée le 12 juin 1997, soit 3 mois après la réception par Apotex d’un AC pour l’apo-lovastatine.

     

    ·  Les défenderesses n’ont pas pu ignorer que les intimées entreprendraient une action en contrefaçon de brevet étant donné les imposants antécédents de recours en lien avec la lovastatine.

     

    ·  Merck soutient que les raisons expliquant l’écoulement d’autant d’années depuis le début de la procédure ne justifient pas qu’elle soit privée d’un recours en equity.

     

      La durée et la complication des faits des dossiers : il s’agit d’un dossier portant sur le processus des brevets, ce qui signifie que les actes de contrefaçon sont effectués en secret, exigeant ainsi des intimées qu’elle tente de prouver la contrefaçon à travers un long processus d’interrogatoires préalables et de requêtes répétées en vue d’obtenir la production de documents; 

     

      le fait qu’AFI utilise Aspergillus terreus pour fabriquer de la lovastatine depuis aussi loin que 1991 à 1999;

     

      le transfert d’Aspergillus terreus et de la technologie AFI‑1 à Blue Treasure en 1995 et son utilisation; 

     

      le dépôt de la demande dans le dossier T-1169-01;

     

      le refus d’Apotex Inc. de consolider les deux procédures dans le cadre des interrogatoires préalables, ce qui signifie que les intimées ont dû répéter, en grande partie, les interrogatoires préalables aux fins de l’action en contrefaçon;

     

      l’expiration du brevet le 31 janvier 2001; signifiant l’arrêt de la période de contrefaçon à cette date; et

     

      les deux années de retard causées par le nombre de jours d’audience demandés.

     

    ·  Le retard de l’action est un facteur repose plutôt sur la complexité des faits des procédures que sur la diligence des intimées.

     

    [619]  Bien que je sois d’accord que Merck n’a pas adopté une conduite inéquitable devant la priver d’une réparation en equity, comme la restitution des profits, d’autres facteurs pèsent en défaveur d’une telle réparation dans l’espèce.

     

    [620]  Le facteur qui me préoccupe le plus est le temps qui a été mis à amener l’espèce au procès. Merck tente de se distancer de toute décision ayant retardé le procès de près de treize ans. Je ne peux pas accepter que les défenderesses et la Cour fédérale soient seules responsables du retard. Ce retard a pour conséquence inévitable qu’il serait excessivement difficile d’estimer les profits d’Apotex pour la période de 1997 à 2001.

     

    [621]  La difficulté d’évaluer les profits est exacerbée par la complexité des accords commerciaux concernant non seulement AFI et Apotex Inc., mais également Blue Treasure et Biogal. Merck a consenti à un règlement concernant les intérêts de Biogal le 28 mai 2010.

     

    [622]  De plus, Merck ne soutient pas que toute la lovastatine produite de 1997 à 2001 contrevenait au brevet 380; ce qui vient encore ajouter à la complexité de l’exercice. En outre, seuls les produits du lot CR0157 fabriqué par AFI pour le Canada sont visés par une allégation de contrefaçon. J’ai également conclu que Merck n’avait pas établi qu’il y avait eu contrefaçon de brevet en regard des produits de Blue Treasure.

     

    [623]  Ainsi, la dissection des profits d’Apotex, tout en tenant compte du règlement intervenu avec Biogal et des produits non contrefaits, serait un exercice complexe.

     

    [624]  Après avoir pris en considération les faits de l’espèce, je ne suis pas convaincu que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et autoriser les intimées à choisir la restitution des bénéfices. Les intimées auront droit à des dommages-intérêts. Plus particulièrement, une audience aura lieu conformément aux articles 107 et 153 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles des Cours fédérales] afin de déterminer l’ampleur de la contrefaçon du brevet 380 par les défenderesses; et, le montant des dommages subis par les intimées des suites de cette contrefaçon.

     

    B.  Exonérations de responsabilité

     

    [625]  La question des dommages emporte la question à savoir si certains volumes de lovastatine produite par Apotex devraient être exonérés de la conclusion de contrefaçon. Apotex s’appuie sur le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets (après le 1er octobre 1989) pour soutenir qu’elle ne devrait pas être tenue responsable de quelque contrefaçon concernant son utilisation de la lovastatine à des fins expérimentales ou réglementaires.

     

    [626]  Les exonérations de responsabilité puissent leur source dans le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets (après le 1er octobre 1989). Cette disposition est rédigée comme suit :

    55.2(1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

    55.2(1) It is not an infringement of a patent for any person tomake, construct, use or sell the patented invention solely for uses reasonably related to the development and submission of information required under any law of Canada, a province or a country other than Canada thatregulates the manufacture, construction, use or sale of any product.

     

    [627]  Apotex peut demander une exonération de responsabilité pour certaines quantités du produit contrefait, à condition qu’elle démontre que le produit était utilisé aux fins autorisées (comme obtenir une approbation réglementaire ou se conformer aux règlements). (Merck & Co. c Apotex Inc., 2006 CF 524, 53 C.P.R. (4e) 1, infirmée pour d’autres motifs dans 2006 CAF 323, 55 C.P.R. (4e) 1, autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, [2006] C.R.C.S. No. 507 (QL), 370 N.R. 400 (note)).

     

    [628]  Le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 869 [Règlement sur les aliments et drogues] canadien et la Food Drug and Cosmetic Act, 21 U.S.C., telle que modifiée [Food Drug and Cosmetic Act] américaine exigent qu’Apotex conserve et analyse des échantillons de lovastatine de façon régulière. Apotex soutient que son analyse et sa conversation de lovastatine sont visées par le régime du paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets et l’exception de common law. Par conséquent, elles sont exonérées de la contrefaçon.

    [629]  Apotex avance que la preuve démontre clairement que, conformément aux exigences du Règlement sur les aliments et drogues canadien, précité, et les règles issues de la Food Drug and Cosmetic Act américaine, précitée, elle a : (i) acquis et utilisé de la lovastatine en vrac, et des formules comprenant de la lovastatine en vrac, aux fins d’obtenir la permission de vendre des produits pharmaceutiques contenant de la lovastatine au Canada et aux États-Unis; (ii) procédé au contrôle de la qualité d’échantillons de formules comprenant de la lovastatine; et (iii) conservé des échantillons de lovastatine en vrac et en doses finales. 

     

    [630]  M. Barber, le gestionnaire de la section des formulations d’Apotex Inc. et Mme Copsey, gestionnaire de l’emballage et directrice des opérations du laboratoire commercial d’Apotex Inc. ont expliqué en détail comment l’entreprise utilisait la lovastatine à ces fins. Les dossiers d’entreprise d’Apotex Inc. produit au procès font état de ces utilisations. Apotex soutient que la lovastatine utilisée à des fins expérimentales et réglementaires est exonérée de la contrefaçon en vertu des paragraphes 55.2(1) et (6) de la Loi sur les brevets (après octobre 1989) et de la common law.

     

    [631]  M. Fahner était vice-président des finances chez Apotex Inc. aux périodes pertinentes. Il a préparé des tableaux indiquant les quantités de lovastatine provenant de chaque lot de lovastatine en vrac et de chaque lot de doses finales utilisées par Apotex Inc. pour chacune des fins décrites par M. Barber et Mme Copsey, nommément la recherche et le développement en préparation des lots à soumettre, la conservation des échantillons d’API, des échantillons prélevés en cours de procédé, et des produits finis. Apotex Inc. soutient que la preuve démontre qu’elle a utilisé les quantités suivantes de lovastatine à des fins réglementaires et expérimentales, lesquelles devraient être exonérées de toute conclusion de contrefaçon :

    Lovastatine utilisée par Apotex Inc.

    Quantité totale (en kg)

    Recherche et développement

    59,1111

    Échantillons en réserve (API)

    22,0986

    Échantillons en traitement

    6,58078

    Échantillons conservés provenant des produits finis

    4,2654

     

    [632]  Je ne comprends pas pourquoi Merck s’oppose à l’exonération de ces volumes d’Apotex Inc. d’une conclusion de contrefaçon. Je suis convaincu que les volumes figurant dans le tableau précité sont exonérés d’une conclusion de contrefaçon.

     

    [633]  AFI a également mené des travaux de recherche et de développement sur l’utilisation du micro-organisme Aspergillus terreus après avoir acquis les actifs d’ABI en juillet 1991. Au début, le travail s’inscrivait dans la continuité des travaux entrepris par ABI en 1988 et portait spécifiquement sur l’obtention de la licence obligatoire. Par la suite, le travail de recherche et de développement sur Aspergillus terreus s’est poursuivi à des fins de soumission réglementaire et de commercialisation éventuelle de la lovastatine d’Aspergillus terreus. Dans le cadre de ces activités, ABI, puis AFI par la suite, a fabriqué 6,9 kg de lovastatine d’Aspergillus terreus. Celle-ci a été fournie à Apotex Inc., puis utilisée à des fins de recherche et de développement et de soumission réglementaire. AFI soutient que ces travaux sont exonérés d’une conclusion de contrefaçon. Je suis d’accord.

     

    [634]  En 1998 et en 1999, AFI a effectué quelques fermentations à l’aide d’Aspergillus terreus à la hauteur de 14 000 litres à des fins de recherche et de développement en vue d’être prêt à entrer sur le marché à l’expiration du brevet 380. Ces fermentations ont permis de produit 13,45 kg de lovastatine. Les défenderesses soutiennent que ces travaux sont exonérés d’une conclusion de contrefaçon. En juin 2002, ce produit a été fourni à Brantford Chemical Inc., une société affiliée d’Apotex Inc., afin de fabriquer de la simvastatine, une autre statine non visée par le présent litige. Apotex Inc. soutient qu’aucune preuve n’a été produite au procès démontrant que les 13,45 kg n’eurent jamais servi à fabriquer des comprimés pour la vente au Canada ou ailleurs. Ces travaux sont exonérés d’une conclusion de contrefaçon. Je suis d’accord.

     

    [635]  Merck s’oppose à l’exonération de la responsabilité en regard de tout montant de lovastatine AFI-1 fabriquée à Winnipeg de 1993 à 1999. Selon elle, ces lots sont clairement en contrefaçon du brevet 380. De plus, en raison du transfert de la technologie AFI-1 à Blue Treasure à des fins commerciales, la contrefaçon a privé Merck du droit « à la pleine jouissance du monopole » (Monsanto, précitée, au paragraphe 34). Conséquemment, Merck soutient que ces volumes ne devraient être exonérés au motif d’une « utilisation équitable ». De plus, Merck soutient que la responsabilité devrait s’étendre l’ensemble des 296,6 kg de lovastatine AFI-1 présumément fabriqués par Blue Treasure.

     

    [636]  Je ne suis pas disposé à tisser ce lien. Considérant la décision de la Cour suprême du Canada dans Micro Chemicals Limited c Smith Kline & French Inter-American Corp., [1972] R.C.S. 506, 2 C.P.R. (2 d) 193 [Micro Chemicals], l’allégation de Merck est dénuée de fondement. Dans l’espèce, AFI a mené exactement les mêmes activités que la défenderesse dans Micro Chemicals. AFI effectuait des recherches en vue d’améliorer son procédé utilisant Aspergillus terreus afin de s’assurer que celui-ci puisse être utilisé à une échelle commerciale. La Cour suprême a statué que type d’activité était exonéré de la contrefaçon. Le fait de transmettre la technologie développée à Blue Treasure, laquelle était autorisée à utiliser le procédé AFI-1 pour fabriquer de la lovastatine pour la vente à l’extérieur du Canada, ne constituait donc pas de la contrefaçon eu égard aux circonstances.

     

    [637]  En résumé, je suis convaincu que ni les 6,9 kg ni les 13,45 kg de lovastatine d’Aspergillus terreus susmentionnés devraient être engendre une responsabilité. De plus, je ne suis pas prêt à conclure que les 296,6 kg de lovastatine AFI-1 présumés et fabriqués à l’aide de la technologie AFI-1 ainsi transférée contreviennent au brevet 380.

     

    C.  Conclusion

     

    [638]  En conclusion, les intimées auront gain de cause en partie et auront à une ordonnance en dommages-intérêts en fonction des pertes découlant de la contrefaçon du brevet 380 par les défenderesses par les suivantes :

     

    1.  tous les produits d’apo-lovastatine fabriqués par AFI dans le lot CR0157; et

     

    2.  tous les 294 lots de lovastatine fabriqués par Blue Treasure en Chine après mars 1998 et importés au Canada.

     

    [639]  Les dommages et la portée de la contrefaçon seront déterminés suivant le processus de renvoi prévu à l’article 153 des Règles des Cours fédérales et conformément à l’ordonnance de disjonction datée du 14 novembre 2003. Les parties seront autorisées à se prononcer sur les modalités précises quant aux dommages par la voie d’observations écrites, lesquelles devront être signifiées et déposées dans les 60 jours de la date du jugement. Les parties auront 15 jours de plus pour signifier et déposer leurs observations en réponse.

    [640]  Merck aura également le droit à une ordonnance quant à des intérêts avant jugement en vertu des articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, L.C. 2002, ch. 8.

     

    [641]  La demande reconventionnelle des défenderesses sera rejetée. Plus précisément, je conclus que le brevet 380 était valide et que Merck & Co. avait la qualité pour intenter la présente action.

     

    [642]  Les questions des dépens n’a pas été abordées par les parties dans leurs observations finales. Évidemment, Merck, en qualité de partie ayant eu gain de cause, aura droit à des dépens, bien que ceux-ci devront être attribués en fonction des circonstances particulières de l’instance. Les parties auront droit à une période temps pour tenter de s’entendre entres elles sur la question des dépenses. J’espère sincèrement que nulle directive ne sera nécessaire de notre Cour. Toutefois, advenant que les parties ne puissent pas s’entendre, elles pourront signifier et déposer des observations, ne faire plus de dix pages, dans les 60 jours de la date du jugement. Les parties auront 15 jours supplémentaires pour signifier leur réponse, laquelle ne devra pas faire plus de cinq pages.

     

    POST‑SCRIPTUM

     

    [1]  Les présents motifs de jugement constituent la version intégrale des motifs confidentiels de jugement rendus le 9 décembre 2010 conformément à la directive du 9 décembre 2010.

     

    [2]  La Cour a demandé aux avocats des parties s’ils avaient des objections à ce que les motifs soient rendus publics dans leur version intégrale. Le 15 décembre 2010 et le 17 décembre 2010, dans des lettres distinctes, les parties ont indiqué qu’aucune partie des motifs confidentiels de jugement ne devrait être expurgée.

     

    « Judith A. Snider »

    Juge

    Ottawa (Ontario)

    Motifs publics – 22 décembre 2010

    Motifs confidentiels – 9 décembre 2010

     


    Annexe A – Liste de témoins

     

    I.  Liste de témoins

     

    A.  Témoins experts des intimées

     

    (1)  M. Jerry Lee Atwood

     

    M. Atwood est professeur et président de la Faculté de chimie de l’Université Missouri-Columbia. Il a obtenu un doctorat de l’Université de l’Illinois. M. Atwood a été rédacteur en chef de plusieurs publications scientifiques et publié plus de 640 articles dans des revues arbitrées. Il est un expert reconnu en chimie organique.

     

    M. Atwood s’est prononcé au nom de Merck sur les questions de validité. Il a également comparé les caractéristiques chimiques du composé I du brevet 380 aux caractéristiques chimiques du Monacolin K du brevet 794. M. Atwood a répondu à certaines des opinions exprimées par M. Robert McClelland dans son rapport d’expert.

     

    (2)  M. Robert Hubbell Barrigar

     

    M. Barrigar est avocat et agent enregistré de brevets au Canada. Il est titulaire d’une maîtrise en droit de la Harvard Law School. Il pratique le droit de la propriété intellectuelle depuis 30 ans. Dans sa pratique, il a participé à des dossiers intentés en vertu du paragraphe 45(8) de l’ancienne Loi sur les brevets, y compris des demandes de brevet visées par des procédures en cas de conflit. M. Barrigar a été reconnu comme expert sur la fonction d’agent de brevet et les procédures du Bureau des brevets, y compris les pratiques du commissaire aux brevets à la période pertinente.

     

    Il a donné son opinion, au nom de Merck, à savoir si les brevets 380 et 794 auraient dû faire l’objet de procédures en cas de conflit par le Bureau des brevets canadiens.

     

    (2)  M. Jon Clardy

     

    M. Jon Clardy est professeur à la Harvard Medical School, à la Faculté de la chimie biologique et de pharmacologie moléculaire. Il détient un doctorat en chimique organique. À l’heure actuelle, M. Clardy occupe les positions de codirecteur du programme en biologie chimique de l’Université Harvard, de membre principal associé du Broad Institute of Harvard et du MIT et de l’Infectious Disease Initiative, Broad Institute of Harvard et MIT. M. Clardy a été reconnu comme expert en chimie organique, en chimie médicale, en chimie des produits naturels et en biosynthèse de métabolites microbiens.

     

    M. Clark a présenté son opinion sur l’interprétation et la validité du brevet 380 au nom de Merck.

     

    (3)  M. Julian Davies

     

    M. Davies est professeur émérite en microbiologie et immunologie à l’Université de la Colombie-Britannique, où il travaille depuis 1992. Il a obtenu son doctorat en chimie organique à l’Université of Nottingham. Il a été reconnu à titre d’expert dans les domaines de la génétique microbienne et de la microbiologie.

     

    M. Davies a donné son opinion sur les questions portant sur la contrefaçon du brevet 380 au nom de Merck. Des échantillons de lovastatine brute non traitée ont été analysés par son laboratoire en 2003 et en 2007 afin d’y détecter la présence de l’ADN d’Aspergillus terreus et de Coniothyrium fuckelii.

     

    (4)  Dr Antonio Marion Gotto

     

    Le Dr Gotto est professeur de médecine à l’Université Cornell. En plus de détenir un doctorat en biochimie de l’Université Oxford, il a obtenu un doctorat en médecine de l’Université Vanderbilt. Le Dr Gotto a été reconnu comme expert dans le domaine de l’athérosclérose, du métabolisme lipidique et de la protection contre les risques de troubles cardiovasculaires.

     

    Le Dr Gotto a témoigné au nom de Merck et a donné son opinion sur la preuve sur le cholestérol, les maladies cardiovasculaires et la découverte et l’utilisation de la lovastatine.

     

    (5)  Dr Richard Havel

     

    Le Dr Richard Havel est un médecin spécialisé en médecine, en endocrinologie et en métabolisme. Il est professeur émérite à l’Université de la Californie et a été rédacteur en chef à l’American Journal of Clinical Nutrition. Le Dr Havel est un expert reconnu en médecine interne, en nutrition clinique, en endocrinologie et en métabolisme, plus particulièrement quant au traitement de patients atteints d’hyperlipidémie, d’hypercholesteroliminie et de maladies cardiovasculaires.

     

    M. Havel a donné son opinion sur les questions portant sur la levure de riz rouge et le brevet 380 au nom de Merck.

     

    (6)  Madame Linda Lee Lasure

     

    Madame Lasure a obtenu son doctorat en génétique à l’Université de Syracuse. Elle a travaillé pour différentes sociétés pharmaceutiques, y compris en tant que scientifique à Pacific Northwest National Lab, où elle en mit en place un nouveau programme afin de mettre à profit la biotechnologie fongique pour résoudre le problème de la conversation efficace de la biomasse lignocellulosique en produits commerciaux. Elle est l’auteur de nombreux articles, chapitres et livres sur la microbiologie industrie et elle détient actuellement trois brevets liés aux biotechnologies fongiques. Madame Lasure a été reconnue comme expert en microbiologie industrielle.

     

    Mme Lasure a présenté son opinion sur l’interprétation et la contrefaçon du brevet 380 au nom de Merck.

     

    (7)  M. Brian Lindblom

     

    M. Linblom est examinateur judiciaire de documents et le principal fondateur de Document Examination Consultants Inc. Il a été reconnu comme expert en examen judiciaire de documents.

     

    M. Linblom a témoigné au nom de Merck sur l’authenticité des documents produits par AFI comme étant les documents sur le lot de Blue Treasure.

     

    (8)  M. Bernard A. Olsen

     

    M. Olsen a obtenu un doctorat en chimie analytique de l’Université de Wisconsin et travaillé pendant 29 ans à titre de chercheur principal à Eli Lilly and Company. À l’heure actuelle, M. Olsen est consultant pharmaceutique indépendant. Il a été reconnu à titre d’expert dans le domaine de la chimie analytique.

     

    M. Olsen a analysé 11 échantillons testés de levure de riz rouge au nom de Merck à l’aide de la chromatographie liquide à haute performance (CLHP). Les résultats ont été comparés aux résultats de la CLHP des composés I, II, III et IV du brevet 380.

     

     

    B.  Témoins des faits des intimées

     

    (1)  M. Alfred Alberts

     

    M. Alberts est l’un des inventeurs nommés au brevet 380. Il a témoigné sur l’invention de la lovastatine.

     

    (2)  Madame Rebecca Gentile (Gilbert)

     

    Madame Gentile (anciennement Gilbert) est la coordonnatrice principale de la stabilité chez Merck & Co. Elle est notamment responsable de la production et du recueil de données aux fins des présentations réglementaires. Elle a témoigné au sujet du projet de levure de riz rouge chez Merck & Co.

     

    (3)  M. Ronald Harvey

     

    M. Harvey était le directeur de la mise en marché de Merck Frosst en 1997 (il est aujourd’hui à la retraite). Il a témoigné des procédures de mises en marché de Merck et des chiffres de vente de lovastatine en 1997.

     

    (4)  M. Ted Kavowras

     

    M. Kavowras est le directeur général de Panoramic Consulting, une société d’enquête établie à Hong Kong. Il a témoigné quant à la lovastatine qu’il a obtenue de Blue Treasure en 2000 et 2001.

     

    (5)  Mme Donna Kugit

     

    Madame Kugit est une employée de Merck et a témoigné au sujet de l’emballage et de l’envoi des échantillons à Bill Richardson.

     

    (6)  Madame Natalie Lazarowych

     

    Madame Lazarowych est scientifique en chef et directrice de la recherche chez Dalton. En 2003, Dalton a effectué des travaux sur la lovastatine pour le compte du cabinet McCarthy Tetrault LLP. Elle témoigné quant à la préparation des échantillons de lovastatine acheminés au cabinet juridique à l’époque.

     

    (7)   Madame Carol Mercer

     

    Madame Mercer est adjointe administrative au département du contentieux de la propriété intellectuelle de Merck. Elle a témoigné au sujet du protocole de saisie et d’identification des échantillons dans la base de données de Merck. 

     

    (8)  M. Robert Quesnel

     

    M. Quesnel est vice-président du contentieux et avocat général de Sanofi Adventis Canada, il était auparavant directeur du contentieux chez Merck Frosst Canada de 1995 à 2007. Il a parlé des questions juridiques entourant l’apo-lovastatine.

     

    (9)  M. James P. Richardson

     

    M. Richardson est directeur de la planification fiscale à Merck Sharp and Dohme Corp. Il travaille comme comptable à leur service depuis plus de 25 ans. Il a témoigné quant au contrat de licence entre Merck and Co. et Merck Frosst Canada daté du1er janvier 1985.

     

    (10)  Madame Elizabeth Giuliani Scott

     

    Madame Scott était employée à titre d’avocate à l’interne chez Merck and Co de 1998 à 2007. Elle a témoigné de ses communications avec M. Kavowras ainsi que de la réception de ses échantillons.

     

     

    C.  Témoins experts des défenderesses

     

    (1)  M. Neal Connors

     

    M. Connors détient un doctorat en microbiologie de l’Université de l’Ohio. Il a été employé aux laboratoires de recherche Merck pendant 17 ans en qualité de chercheur biochimiste principal ainsi que d’enquêteur principal sur le développement de souches fongiques et bactériennes. Depuis 2009, M. Connors est président de Phoenix BioConsulting, LLC, laquelle offre des services de consultant scientifique aux secteurs de la fermentation, de la microbiologie industrielle et des biotechnologies. M. Connors a été reconnu comme expert en microbiologie industrielle.

     

    Témoignant au nom d’Apotex, M. Connors a donné son opinion sur le procédé AFI-4 utilisant Coniothyrium fuckelii pour produire de la lovastatine. Il a répondu à l’opinion de Mme Lasure sur le procédé AFI-4 utilisé pour fabriquer des quantités commerciales de lovastatine à compter d’avril 1996.

     

      (2)  M. Marcus Thomas Pius Gilbert

     

      M. Gilbert est professeur associé au Musée d’histoire naturelle du Centre de géogénétique de Danemark à l’Université de Copenhague. Il est titulaire d’un doctorat en philosophie du département de zoologie à l’Université Oxford, où ses travaux de recherches étaient axés sur l’analyse de l’ancien ADN. Il a rédigé de nombreux articles sur l’analyse de l’ancien ADN et il enseigne également sur ce sujet. M. Gilbert a été reconnu comme expert reconnu dans l’analyse d’ADN dégradé et à faible nombre de copies. 

     

      Au nom d’Apotex, M. Gilbert a témoigné sur la contrefaçon, plus particulièrement sur la question de l’ancien ADN. M. Gilbert a répondu rapport d’expert de M. Davies et a commenté les résultats des expériences de ce dernier. 

     

      (3)  M. Scott Harding

     

    M. Harding est professeur adjoint au département de la science de la nutrition humaine ainsi que chercheur associé au Richardson Centre for Functional Foods and Nutraceuticals à l’Université du Manitoba. M. Harding détient un doctorat de l’Université McGill. Il a été reconnu à titre d’expert en nutrition et en métabolisme humains.

     

    M. Harding a témoigné au nom d’Apotex sur les capacités de production de Monacolin K de la levure de riz rouge traditionnelle chinoise. De plus, il a répondu aux rapports d’experts de messieurs Havel, Clardy et Olsen.

     

      (4)  M. Robert Hirons

     

      M. Hirons est un agent enregistré de brevets au Canada cumulant plus de 40 années d’expérience. Il a participé à la poursuite de nombreuses demandes devant le commissaire aux brevets, plusieurs d’entre elles faisant l’objet de procédures en cas de conflit. M. Hirons a été reconnu comme expert en pratique et en examen des brevets de 1980 à 1982; il connaît également les pratiques du commissaire aux brevets de l’époque.

     

      Il a donné son opinion, au nom d’Apotex, à savoir si les brevets 380 et 794 auraient dû faire l’objet de procédures en cas de conflit par le Bureau des brevets canadiens. M. Hirons a également répondu au rapport d’expert de M. Barrigar.

     

      (5)  M. Robert Allan McClelland

     

      M. McClelland est professeur émérite à la Faculté de chimie de l’Université de Toronto. Ses travaux de recherche portent sur la chimie biologique et médicinale; et il a reçu de nombreux prix pour ses recherches au Canada. Il est un expert reconnu en chimie organique et médicinale.

     

      M. McClelland a présenté son opinion sur l’interprétation et la validité du brevet 380 au nom d’Apotex. Plus particulièrement, il a comparé les caractéristiques chimiques du Monacolin K (brevet 794) au composé I (brevet 380). De plus, M. McClelland a répondu au rapport d’expert de M. Atwood.

     

      (6)  M. Hendrik Nicholas Poinar

     

      M. Poinar est professeur adjoint au département d’anthropologie de l’Université McMaster. Il détient un doctorat en génétique moléculaire évolutive et en anthropologie biomoléculaire de la Lüdwici Maximillians Universität München. M. Poinar travaille dans le domaine de l’ancien ADN depuis plus de 15 ans et a publié 44 articles revus par ses pairs sur le sujet. Il est considéré comme l’un des membres fondateurs du domaine de l’ancien ADN. M. Poinar a été reconnu comme expert dans l’extraction et la caractérisation d’ADN dégradé et à faible nombre de copies. 

     

      Il a témoigné au nom d’Apotex sur les questions de contrefaçon, plus particulièrement sur les résultats de M. Davies. De plus, on lui a demandé de reproduire les résultats de M. Davies à l’aide de méthodes semblables.

     

    (7)  M. Robert A. Samson

     

    M. Samson détient une maîtrise en sciences et un doctorat de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas. Il est le directeur du département de mycologie industrielle et appliquée au CBS Fungal Biodiversity Centre aux Pays-Bas. Ses recherches portent sur la taxonomie polyphasique des mycètes des genres Penicillium et Aspergillus. Il a été reconnu comme expert en mycologie industrielle et appliquée ayant une expertise particulière en taxonomie polyphasique du genre Aspergillus.

     

      Au nom d’Apotex, M. Samson a témoigné sur l’interprétation du brevet 380, y compris sur la classification taxonomique fongique. Il a répondu aux rapports d’experts de M. Clardy et de Mme Lasure.

     

      (8)  M. John Lyle Sorensen

     

      M. Sorensen est professeur adjoint au département de chimie de l’Université du Manitoba. Il a obtenu un doctorat en chimie de l’Université de l’Alberta, où ses travaux de recherche portaient sur la biosynthèse de la lovastatine ainsi que le processus utilisé par Aspergillus terreus. M. Sorensen a été reconnu comme expert en chimie des produits naturels.

     

      M. Sorensen a témoigné sur l’interprétation et la validité du brevet 380, plus particulièrement quant aux conditions et au milieu de fermentation entrevus par le brevet 380. Il a également répondu au rapport d’expert de M. Clardy.

     

      (9)  M. John Waldo Taylor

     

      M. Taylor est professeur au département de la biologie végétale et microbienne de l’Université de la Californie à Berkeley. Il étudie les mycètes depuis 37 ans et l’ADN fongique depuis 30 ans. Il a publié plus de 160 articles sur l’amplification par PCR et l’ADN fongique. M. Taylor a été reconnu à titre de mycologiste expert et microbiologiste ayant une expertise particulière en évolution de l’ADN fongique ainsi qu’en amplification des PCR d’ADN.

     

      Il a témoigné au nom d’Apotex sur les questions de contrefaçon, plus particulièrement en réponse à la preuve d’ADN de M. Davies.

     

     

    D.  Témoins des faits des défenderesses

     

      (1)  M. Donald Barber

     

      M. Barber est gestionnaire du département des formulations d’Apotex Inc. Il a témoigné en regard des étapes générales suivies dans l’élaboration de produits chez Apotex Inc. et a s’est prononcé sur le développement de l’apo-lovastatine.

     

      (2)  Madame Lori Christofalos

     

      Madame Christofalos est gestionnaire de l’assurance-qualité des affaires réglementaires chez AFI. Elle a témoigné au sujet des procédures de fonctionnement normales d’AFI quant à la fermentation des cultures de Coniothyrium fuckelii. 

     

      (3)  Madame Elaine Copsey

     

      Madame Copsey travaille chez Apotex Inc. depuis 1999 en tant que gestionnaire de l’emballage et directrice des opérations du laboratoire commercial d’Apotex Inc. Elle a témoigné des procédures de contrôle de la qualité chez Apotex Inc., plus particulièrement quant aux procédures d’analyse des produits bruts et en vrac.

     

    (4)  M. David Cox

     

      M. Cox était président d’AFI de 1994 à 1997. Il a témoigné au nom d’AFI quant à l’historique de l’entreprise, aux projets touchant Aspergillus terreus et Coniothyrium fuckelii et au transfert de la technologie à Blue Treasure.

     

      (5)  M. Gordon Fahner

     

      M. Fahner est vice-président, Chaîne d’approvisionnement chez Apotex Inc., où il travaille depuis 1989. Il a témoigné des procédures de fonctionnement standards d’Apotex Inc. pour la période s’échelonnant de 1997 à 2001. Plus particulièrement, il a parlé de la réception, de l’entreposage et de l’utilisation de matériaux bruts.

     

      (6)  M. Alexander Fowler

     

      M. Fowler est gestionnaire des finances et de l’administration chez AFI depuis 1996. Il a témoigné sur les questions financières liées au transfert de la technologie d’AFI à Blue Treasure.

     

      (7)  M. John Hems

     

      M. Hems est directeur des affaires réglementaires chez Apotex Inc., où il travaille depuis 30 ans. À l’heure actuelle, M. Hems supervise les présentations de drogues nouvelles aux fins d’approbation par les agences de réglementation. Il a témoigné que son département était responsable des présentations réglementaires déposées en regard de l’apo-lovastatine au début des années 1990.

     

      (8)  Madame Qifen Hu

     

      Madame Hu est gestionnaire du département de culture bactérienne de Blue Treasure depuis 1995. Elle est responsable de la réception et de l’analyse des cultures reçues d’AFI. Madame Hu a témoigné sur la souche AFI-4 de Coniothyrium fuckelii et les dossiers sur les lots de Blue Treasure. 

     

      (9)  M. Dingjun Luo

     

      M. Luo est le directeur général adjoint de Blue Treasure depuis 1995. Il a témoigné quant à la création, à la tenue et à l’approbation des dossiers sur les lots de Blue Treasure. M. Luo est l’auteur de deux articles publiés dans le Chinese Journal of Antibiotics décrivant la production de la lovastatine à Blue Treasure. Les articles parlaient précisément d’Aspergillus terreus en tant que mycète d’origine. 

     

      (10)  M. Scott Primrose

     

      M. Primrose est chercheur scientifique principal à AFI depuis 1991. Il a témoigné au sujet du procédé AFI-4, plus particulièrement quant à la préparation des banques de semences de Coniothyrium fuckelii et aux protocoles d’expéditions d’ampoules à Blue Treasure.

     

      (11)  Madame Mila Sailer

     

      Madame Sailer a travaillé chez AFI depuis 1994 en tant que chimiste des produits naturels, puis en tant que directrice de la technologie. Il a obtenu son doctorat en mycologie expérimentale à l’Institut de microbiologie de l’ancienne Académie des sciences de la Tchécoslovaquie. Il a participé à l’élaboration du processus permettant de fabriquer de la lovastatine à partir de Coniothyrium fuckelii. Son témoignage a porté sur l’élaboration du procédé AFI-4, le transfert de la technologie à Blue Treasure et les différentes entre les conditions de fermentation optimales d’Aspergillus terreus et de Coniothyrium fuckelii.

     

      (12)  M. Bernard Charles Sherman

     

      M. Sherman est le fondateur et président-directeur général d’Apotex Inc. Il a la responsabilité générale de l’entreprise, mais il se concentre principalement sur le développement de produits et de l’entreprise ainsi que des questions juridiques. M. Sherman a témoigné sur la formation d’AFI, le développement de la lovastatine et le processus de recherche d’une méthode de fabrication de l’apo-lovastatine n’enfreignant pas le brevet. Il a également parlé de l’entreprise commune avec Blue Treasure.

     

      (13)  M. Jerry Su

     

      M. Su a travaillé pour AFI de 1996 à 1998 en tant que spécialiste de la fermentation. Il était le chef du groupe responsable de la recherche et du développement, puis de la fermentation du procédé AFI-4. M. Su a parlé de son expérience personnelle suivant une visite de Blue Treasure en Chien et a comparé ses procédures à celles d’AFI.

     

     

    E.  Affidavit (1er mars 2010 et 1er avril 2010)

     

      (1)  Bruce Davis

     

      M. Davis est présentement à l’emploi d’AFI à titre de gestionnaire du soutien à la production et de l’assurance-qualité. Lori Christofalos lui a demandé d’envoyer des échantillons à un entrepôt situé à Montréal nommé Warnex Inc.

     

      (2)  Lucinda Gordon

     

      Madame Lucinda Gordon a travaillé chez AFI du 17 août 1992 au 24 septembre 1998 en tant que technicienne en microbiologie. Elle a déclaré, sous serment, dans son affidavit qu’on lui avait demandé de créer une banque supplémentaire de semences de Coniothyrium fuckelii le 3 novembre 1997.

     

      (3)  Leeyuan Huang

     

      M. Huang travaillait pour Merck & Co. Inc. en tant que chercheur scientifique principal en 1997. Il a déclaré, sous serment, dans son affidavit qu’il avait recueilli différents échantillons et les avait remis à Richard Monaghan de Merck & Co. Inc.

     

      (4)  Emily Malcolm

     

      Madame Malcolm est présentement adjointe juridique chez Goodmans LLP; elle a déclaré dans son affidavit assermenté qu’on lui a remis un sac identifié [traduction] « levure de riz rouge » le 9 juin 2009, qu’elle a envoyé à Taylor McCaffrey LLP à Winnipeg.

     

      (5)  Alexander Patrick

     

      M. Patrick était à l’emploi de Goodmans LLP au cours de l’été 2009; il a déclaré avoir acheté le 2 juin 2009 un sac d’un produit identifié comme étant de la [traduction] « levure de riz rouge » à l’épicerie Hua Sheng située au 293, avenue Spadina à Toronto.

     

      (6)  Angela Razo

     

      Madame Razo était commis juridique chez Apotex Inc., elle a déclaré sous serment dans un affidavit qu’on lui avait demandé en octobre 2009 de recueillir et d’acheminer plusieurs échantillons pharmaceutiques à M. Hendrik Poinar de l’Université McMaster à Hamilton.

     

      (7)  Heather Sheps

     

      Madame Sheps est présentement adjointe juridique chez Taylor McCaffrey LLP. Elle a rapporté les circonstances entourant le transfert du produit de levure de riz rouge dans son affidavit assermenté.

     

    (8)   Sylvia Su

     

      Madame Su a déclaré dans son affidavit assermenté avoir remis à Mme Lily Su un échantillon d’un paquet portant la mention [traduction] « levure » qu’elle a obtenue du marché Triangle Oriental, situé au 748 D rue East Chatham à Cary, en Caroline du Nord.

     

      (9)  Lee Wen Su

     

      M. Su était associé au sein du cabinet Olsson, Frank and Weeda en 1997. Il a déclaré avoir remis les échantillons à M. Adams le 6 mai 1997.

     

      (10)  Yoshikazu Tani (déclaration d’expert)

     

      M. Tani est avocat spécialiste des brevets et agent enregistré de brevets au sein du cabinet Tani & Abe situé à Tokyo. Il a déclaré avoir reçu le mandat d’Apotex Inc. d’examiner deux documents émis par le bureau des brevets japonais quant à une invention intitulée « Novel Physiologically Active Monacolin K and the Production of Same ».

     

      (11)  Xin Wang

     

      Madame Wang est technicienne de recherche au Richardson Centre for Functional Foods and Neutraceuticals et elle a déclaré dans son affidavit avoir acheté le 26 avril 2009 un produit portant la mention [traduction] « riz rouge » chez Sun Wah Herb Garden à Winnipeg. 


    Annexe B – Revendications 1 à 8 et 13 à 15 du brevet 380

     

     

    1.  Un procédé de fabrication de composés de formule structurale :

     

    lequel comprend la fermentation dans un milieu nutritif à l’aide d’un micro-organisme du genre Aspergillus terreus et l’isolation des produits, puis, lorsque désiré, la conversion desdits produits en sels pharmaceutiques correspondants ou en groupements d’esters alkyliques inférieurs ou en en groupements d’esters alkyliques substitués par du phényle, de la diméthylamine ou de l’acétylamine ou ou dont la cation du sel est dérivée de l’ammoniac, de l’éthanediamine, du N-méthyle-glucamine, de la lysine, de l’arginine ou de l’ornithine.

     


    2.  Le procédé de fabrication de composés de formule structurale :

     

     

    lequel comprend la fermentation d’un milieu nutritif avec un micro-organisme du genre Aspergillus terreus et l’isolation des produits.

     

    3.  Le procédé de la revendication 2 dans lequel le micro-organisme est déposé une culture de American Type Culture Collection munie du numéro d’enregistrement 20541 ou 20542.

     

    4.  Le procédé de la revendication 2 dans lequel l’isolation comprend l’extraction du mélange issu de la fermentation à l’aide d’un solvant, suivi d’une chromatographie.

     

    5.  Le procédé de fabrication de composés de formule structurale :

     

     

    lequel comprend la fermentation d’un milieu nutritif avec un micro-organisme du genre Aspergillus terreus et l’isolation des produits.

     

    6.  Le procédé de la revendication 5 dans lequel le micro-organisme est déposé une culture de American Type Culture Collection munie du numéro d’enregistrement 20541 ou 20542.

     

    7.  Le procédé de la revendication 5 dans lequel l’isolation comprend l’extraction du mélange issu de la fermentation à l’aide d’un solvant, suivi d’une chromatographie.

     

    8.  Le procédé de la revendication 5 où le composé III est mis en réaction avec l’ammoniaque afin de former le sel d’ammonium du composé III.

     

    13.  Un composé sélectionné parmi :

     

     

    soit des sels pharmaceutiques correspondants ou en groupements d’esters alkyliques inférieurs ou en en groupements d’esters alkyliques substitués par du phényle, de la diméthylamine ou de l’acétylamine ou ou dont la cation du sel est dérivée de l’ammoniac, de l’éthanediamine, du N-méthyle-glucamine, de la lysine, de l’arginine ou de l’ornithine, lorsqu’ils sont préparés par le procédé décrit à la revendication 1 ou un équivalent chimique évident.

     

    14.  Un composé sélectionné parmi :

     

     

    ceux produits par le procédé décrit à la revendication 1 ou un équivalent chimique évident.

     

    15.  Un composé sélectionné parmi :

     

     

    ceux produits par le procédé décrit à la revendication 5 ou un équivalent chimique évident.

     



    COUR FÉDÉRALE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

     

    DOSSIER :  T-1272-97

     

    INTITULÉ :    Merck & Co Inc. et Merck Frosst Canada Ltd. c.

      Apotex Inc. et Apotex Fermentation Inc.

      Biogal Pharmaceutical Works Ltd. (tiers)

     

    LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

     

    DATE DE L’AUDIENCE :  Les 1er, 2, 3 et 4 février 2010; les 8, 9, 10 et 11 février 2010

      Les 16, 17, 18 et 19 février 2010; les 22 et 24 février 2010

      Les 1er, 2, 3, 4 et 5 mars 2010; les 8, 10 et 11 mars 2010

      Les 16, 17, 18, 19 et 20 mars 2010; les 22, 23, 24 et 25 mars 2010

      Les 29, 30, 31 mars 2010; les 1er et 15 avril 2010

      Les 17, 18, 19, 20 et21 mai 2010

     

    MOTIFS PUBLICS

    DU JUGEMENT :    JUGE SNIDER

     

    DATE DU JUGEMENT :  Le 22 décembre 2010

     

    COMPARUTIONS :

     

    Me Andrew J. Reddon

    Me Glynnis P. Burt

    Me David Tait

    Me William H. Richardson

    Me Ariel Neuer

     

    POUR LES INTIMÉES

    Me Harry Radomski

    Me Jerry Topolski

    Me Ben Hackett

    Me David Scrimger

     

    POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.

    Me John A. Myers

    Me G. Patrick S. Riley

    Me Nicole D.S. Merrick

    Me Rodrique C. Roy

     

    POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX FERMENTATION INC.

    Me J. Alan Aucoin

    Me Anthony M. Prenol

    Me Antonio Turco

    Me Athar K. Malik

    POUR L’ANCIENNE TIERCE PARTIE

    BIOGAL PHARMACEUTICAL

    WORKS LTD.

     

     

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     

    MCCARTHY TÉTRAULT, s.r.l.

    Avocats

    Toronto (Ontario)

     

    POUR LES INTIMÉES

    GOODMANS, s.r.l.

    Avocats

    Toronto (Ontario)

     

    POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.

    TAYLOR MCCAFFREY, s.r.l.

    Avocats

    Winnipeg (Manitoba)

     

    POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX FERMENTATION INC.

     

    BLAKE, CASSELS & GRAYDON, s.r.l.

    Avocats

    Toronto (Ontario)

    POUR L’ANCIENNE TIERCE PARTIE

    BIOGAL PHARMACEUTICAL

    WORKS LTD.

     

     

     

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