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Date : 20101224

Dossier : T-737-08

Référence : 2010 CF 1328

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 24 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

 

EUROCOPTER

(société par actions simplifiée)

 

 

 

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

 

et

 

 

 

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

 

 

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La défenderesse/demanderesse reconventionnelle (la défenderesse) allègue l’inadmissibilité du rapport d’expert de Murray Wilson daté du 11 novembre 2010 (le rapport Wilson) ainsi que de tout témoignage en personne présenté par Wilson au cours du procès, pour quatre (4) motifs :

·        Le témoignage de Wilson sur le processus d’examen des demandes de brevet et sur la poursuite de la demande de brevet n’est pas pertinent.

·        Le témoignage de Wilson relatif au droit des brevets au Canada constitue un témoignage d’expert qui n'est pas admissible quant au droit interne.

·        Le témoignage de Wilson relatif à l’interprétation du brevet canadien de no 2,207,787 (le brevet 787), qui répond sur le fond aux rapports d’expert de la défenderesse, n'est pas admissible, étant donné que Wilson n’est pas présenté à la Cour comme étant une personne versée dans l’art auquel le brevet se rapporte et qu'il n’est pas qualifié non plus à ce titre.

·        Le témoignage de Wilson sur la question de savoir si un examinateur de brevets d’invention aurait rejeté les revendications relatives au brevet 787 en se fondant sur les contestations de la défenderesse relatives à l’invalidité n'est ni admissible ni pertinent.

 

[2]               Ce type de requête est le plus souvent présenté comme requête interlocutoire à un protonotaire ou à un autre juge, mais les parties ont demandé que la requête me soit plutôt présentée en ma qualité de juge du procès. La date de début du procès est prévue pour le 10 janvier 2011, dans environ deux semaines.

 

[3]               La cause en question est une action normale en contrefaçon de brevet. L’action principale a été introduite par la demanderesse/défenderesse reconventionnelle (la demanderesse) pour le motif que le train d’atterrissage de l’hélicoptère de la défenderesse viole le brevet 787. La défenderesse nie que son train d’atterrissage d’hélicoptère contrefait les revendications du brevet 787 et a déposé une demande reconventionnelle à l’encontre de la demanderesse afin que le brevet 787 soit déclaré invalide.

 

[4]               En préparation de l’instruction, les parties ont échangé des rapports d’expert. La demanderesse a présenté les rapports d’Andrew H. Logan et d’E. Robert Wood sur la question de la contrefaçon, et les rapports d’Andrew H. Logan, d'E. Robert Wood, de François Malburet et de Murray Wilson sur la question de l’invalidité.

 

[5]               Murray Wilson est un examinateur de brevet à la retraite ayant un baccalauréat en génie mécanique. Il n’a pas de connaissances d’expert particulières en matière de train d’atterrissage d’hélicoptère. Il a 37 ans d’expérience en matière de processus d’examen de brevet et il est reconnu par les deux parties comme étant un expert dans les pratiques du Bureau des brevets.

 

[6]               Le rapport Wilson comprend huit sections, dont les titres et les contenus sont les suivants :

1.      Introduction – M. Wilson se présente et énonce ses qualifications.

2.      Directives importantes – M. Wilson définit le mandat qu’il a reçu.

3.      Le processus d’examen du brevet – M. Wilson donne un aperçu du processus d’approbation des brevets du Bureau des brevets.

4.      Le brevet canadien 2,207,787 – M. Wilson fait l’historique de l’examen du brevet canadien 2,207,787.

5.      La nouveauté – M. Wilson traite de la notion de nouveauté selon la Loi sur les brevets et le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (le RPBB), sous l’angle de la tâche de l’examinateur, et répond aux rapports d’expert de la défenderesse sur la nouveauté.

6.      L’utilité – M. Wilson traite de la notion d'utilité selon la Loi sur les brevets et le RPBB, sous l’angle de la tâche de l’examinateur, et répond aux rapports d’expert de la défenderesse sur l’utilité. M. Wilson émet des conjectures sur le processus suivi par l'examinateur.

7.      La meilleure manière – M. Wilson traite de l’exigence de meilleure manière, énoncée dans la Loi sur les brevets, et évalue les dessins soumis dans la demande de brevet 787.

8.      La prédiction valable – M. Wilson commente l'interprétation donnée par le Bureau des brevets à l’exigence de prédiction valable et l'applique au brevet 787.

 

[7]               L’admissibilité de la preuve d’expert repose sur l’application des critères suivants :

a)      la pertinence;

b)      la nécessité d’aider le juge des faits;

c)      l’absence de toute règle d’exclusion;

d)      la qualification suffisante de l’expert (R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 au paragraphe 17).

 

[8]               Par suite de l'application de ces critères aux faits de l’espèce, le rapport Wilson n'est pas admissible pour les motifs suivants.

 

[9]               Une grande partie du rapport Wilson consiste en un exposé de l’évaluation à laquelle le brevet 787 aurait été soumis au cours du processus d’examen. Quoiqu’il ne fasse pas de doute que M. Wilson soit en position de fournir ces renseignements généraux à la Cour, ces renseignements ne sont pas pertinents, puisque le processus d’examen n’est pas remis en question.

 

[10]           De plus, à plusieurs reprises, M. Wilson émet des conjectures sur la façon dont un examinateur de brevet aurait répondu à l’argumentation de la défenderesse sur l’invalidité du brevet 787. Étant donné le rôle de l’expert de renseigner la Cour, ces conjectures ne sont pas pertinentes en l’espèce. La Cour doit évaluer les arguments de la défenderesse relativement à l’invalidité du point de vue de la personne versée dans l’art, et non du point de vue du Bureau des brevets.

 

[11]           Le rapport Wilson échoue également au regard du critère de nécessité. Il est de jurisprudence constante que la Cour fédérale doit admettre d’office toute loi d’intérêt public ou privé du Parlement fédéral et de la Législature de la province (article 18 de Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5). Par conséquent, quoique des preuves d’expert puissent être requises relativement au droit étranger, elles ne sont pas admissibles relativement au droit interne (Pan American World Airways Inc. c. La Reine, [1979] 2 C.F. 34 (1re inst.), à la page 44, décision confirmée par [1980] A.C.F. no 1158 (C.A.F.) (QL), arrêt confirmé par [1981] 2 R.C.S. 565 (C.S.C.)).

 

[12]           L’analyse à laquelle il est procédé dans le rapport Wilson des exigences de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, ainsi que du processus d’examen de brevet, lequel est régi par la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets, DORS/96-423, n’est donc pas nécessaire. L’analyse à laquelle il est procédé dans le rapport Wilson des notes apposées au dossier n’est pas non plus nécessaire, puisque ces notes sont déjà en preuve.

 

[13]           Il n’est pas non plus satisfait au troisième critère, puisque la preuve d’expert sur le droit interne n’est pas admissible.

 

[14]           Enfin, le rapport Wilson ne satisfait pas au quatrième critère. Comme il est mentionné plus haut, il ne fait pas de doute que M. Wilson est un expert sur le processus d’examen des brevets, mais il n’est certainement pas un expert sur les trains d’atterrissage d’hélicoptère.

 

[15]           Une partie de la tâche du juge dans une affaire comme la présente est l’interprétation des revendications. La preuve d’expert est admissible pour aider le juge, mais la preuve ne vise qu’à faire en sorte que le juge soit en mesure d’interpréter les revendications de façon éclairée, et non à interpréter les revendications à sa place (Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 57). Il convient de donner à la revendication une interprétation téléologique, qui découle de la détermination objective de ce qu’une personne versée dans l’art aurait compris de l’intention de l’inventeur (Whirlpool, précité, au paragraphe 53).

 

[16]           Il résulte naturellement de ce qui précède que, pour qu’il puisse aider la Cour, l’expert doit pouvoir présenter des éléments de preuve sur ce qu’une personne versée comme il se doit dans l’art aurait su et compris au moment en question. Il est manifeste que M. Wilson n’est pas une telle personne. L’expert de la demanderesse, Andrew H. Logan, décrit la personne versée dans l’art dont le brevet 787 relève de la manière suivante :

[traduction]

[U]ne équipe d’ingénieurs, dont chacun a tout au moins un baccalauréat en génie et est pourvu de plusieurs années d’expérience de travail au sein d’une équipe de conception de train d’atterrissage d’hélicoptère et ayant été exposé aux questions de dynamique, d’analyse de structure, de matériaux, d’analyse des vibrations, de certification et de mise à l’essai. [...] Subsidiairement, [...] un ingénieur principal [...] qui a plusieurs années de conduite d’équipes de conception d’hélicoptère [ou] un universitaire de niveau supérieur ayant une maîtrise ou un doctorat en génie dans une discipline connexe et qui a une expérience précise dans la conception ou la consultation sur la conception des trains d’atterrissage d’hélicoptère.

 

[17]            La demanderesse prétend que le rapport Wilson ne vise pas à aider la Cour à interpréter les revendications du brevet 787, mais plutôt à simplement informer la Cour des pratiques du Bureau des brevets. Le texte du rapport Wilson n’étaye pas cette prétention. Par exemple, M. Wilson analyse le mémoire descriptif pour déterminer l’utilité de l’invention ainsi que la question de savoir si les données présentées dans le brevet satisfont aux critères de meilleure manière et de prédiction valable. Il traite également du dossier d’antériorité auquel les experts de la défenderesse ont renvoyé. Ces passages n’informent pas la Cour sur les pratiques du Bureau des brevets. Elles constituent plutôt des arguments, comme la plus grande partie du rapport Wilson.

 

[18]           La demanderesse invoque plusieurs causes à l’appui de sa tentative de faire admettre le rapport Wilson. Cependant, seuls deux de ces décisions ne sont pas de simples requêtes interlocutoires (Lundbeck Canada Inc. c. Genpharm Inc., (2007) T-372-07, et Lundbeck Canada Inc. c. Genpharm Inc., (2009) T-372-07; Merck c. Pharmascience, 2010 CF 510). De plus, les faits de ces affaires diffèrent de manière importante de ceux de l’espèce.

 

[19]           Enfin, la demanderesse soutient que, même si la Cour accepte que le rapport Wilson ne satisfait pas au critère Mohan, la Cour devrait quand même admettre le rapport au motif que la défenderesse n'en subirait aucun préjudice.

 

[20]           La Cour n’est pas d’accord. Il se peut que le rapport Wilson ne constitue qu’une petite partie de l’argumentation de la demanderesse, mais son admission requerrait de la défenderesse qu’elle consacre du temps et des ressources à y répondre. Cela constitue un préjudice suffisant aux yeux de la Cour.

 

[21]           En ce qui concerne les dépens, les avocats des parties ont convenu qu’une somme globale de 3 000 $ devrait être accordée à l’une ou l’autre partie selon le issue de la requête.

 

[22]           En conclusion, il sera donc ordonné que la requête déposée par la défenderesse soit accueillie et que le rapport Wilson ainsi que le témoignage de Wilson soient exclus au procès, avec dépens de 3 000 $ à payer immédiatement, quelle que soit l’issue de la cause, par la demanderesse à la défenderesse.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      Le rapport d’expert de Murray Wilson daté du 11 novembre 2010 n'est pas admissible.

2.      Il est interdit à la demanderesse de présenter Murray Wilson comme témoin expert au procès.

3.      Des dépens au montant de 3 000 $ doivent être payés par la demanderesse à la défenderesse immédiatement, quelle que soit l’issue de la cause.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-737-08

 

INTITULÉ :                                       EUROCOPTER (société par actions simplifiée)

                                                            c.

                                                            BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 décembre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marek Nitoslawski

Julie Desrosiers

David Turgeon

Chloé Latulippe

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Judith Robinson

Joanne Chriqui

Louis Gratton

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Ogilvie Renault LLP

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

 

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