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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20101201

Dossier : IMM-2681-10

Référence : 2010 CF 1214

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1ercembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

JESUS MANUEL NINO GARCIA,

SONIA BEATRIZ MATA HERNANDEZ

et JESUS ABRAHAM NINO MATA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur à Mexico et a donc rejeté leur demande d’asile présentée en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Les demandeurs allèguent que, pour en arriver à sa conclusion, la Commission s’est livrée à des conjectures et n’a pas tenu compte de la preuve. Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la Commission a commis une erreur, comme ils le prétendent, et pour les motifs suivants, la demande est rejetée.

 

[2]               Jesus Manuel Nino Garcia travaillait comme agent de sécurité au port de Salina Cruz dans l’état d’Oaxaca (Mexique). Le gang de trafic de stupéfiants Los Zetas a tenté d’acheminer des stupéfiants par le port. Le 15 novembre 2007, tandis qu’il se rendait au travail, le demandeur a été approché par quatre hommes qui disaient être membres de Los Zetas. Alors qu’il n’avait révélé aucun renseignement personnel, les hommes connaissaient son nom et possédaient des renseignements au sujet du port. Ils ont posé des questions à M. Garcia au sujet du port et lui ont demandé d’autoriser l’entrée illégale de certaines cargaisons dans le port et ils l’ont menacé.

 

[3]               M. Garcia n’a pas signalé l’incident aux autorités. Il dit que, selon son expérience, la police et l’armée n’ont pas la capacité ni la volonté de combattre Los Zetas, et que si ces derniers entendaient parler d’une plainte, ils le tueraient. Il a dit que le directeur du port, M. Bernstein, avait reçu des menaces et n’avait reçu aucune protection contre Los Zetas. M. Garcia a cependant affirmé que Los Zetas n’a par la suite causé aucun tort à M. Bernstein.

 

[4]               Peu de temps après l’avoir approché, Los Zetas a communiqué avec M. Garcia et a tenté de le soudoyer afin que celui-ci leur permette de faire entrer des cargaisons dans le port. M. Garcia a refusé et a par la suite reçu au moins dix appels téléphoniques de menaces. Aux environs de mars ou avril 2007, l’épouse de M. Garcia, Mme Hernandez, a reçu sur son téléphone cellulaire personnel un appel dans lequel on lui a demandé de faire pression sur son mari pour qu’il se plie aux demandes qui lui avaient été faites. On a proféré des menaces de mort à son endroit ainsi qu’à celui du demandeur mineur et on a mentionné le nom de l’école préscolaire que fréquentait le demandeur mineur. Le demandeur mineur a par la suite été transféré à une autre école. Mme Hernandez a reçu un deuxième appel dans lequel l’appelant a dit qu’il savait que le demandeur mineur avait changé d’école et a mentionné le nom de la nouvelle école.

 

[5]               Les demandeurs ont pris peur et ont quitté Salina Cruz. Ils sont allés demeurer à Villa de Tututepec et à Veracruz, et ont changé constamment d’emplacement afin d’éviter d’être retrouvés par Los Zetas. Ils ont subvenu à leurs besoins grâce à leurs économies. Les demandeurs affirment qu’ils ont pris conscience que Los Zetas possède un réseau criminel dans l’ensemble du Mexique et pouvaient poursuivre leurs ennemis dans tout le pays. Par conséquent, les demandeurs se sont enfuis au Canada et y ont demandé l’asile.

 

[6]               La Commission a accepté l’identité des demandeurs et a conclu qu’ils étaient crédibles. Elle a cru, dans l’ensemble, les allégations qu’ils ont soumises à l’appui de leur demande. Cependant, la Commission a conclu qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable dans la ville de Mexico.

 

[7]               Les demandeurs prétendent que la Commission s’est livrée à des conjectures lorsqu’elle a conclu qu’il serait peu probable que Los Zetas cible les demandeurs à Mexico. Ils ont demandé que la décision de la Commission soit infirmée, car celle-ci n’a pas envisagé que Los Zetas pourrait décider de tuer M. Garcia afin de transmettre un message aux autres employés du port. Les demandeurs n’ont cependant produit aucune preuve à cet égard et j’accepte l’argument du défendeur selon lequel comme les demandeurs n’ont soumis aucune preuve, ils demandent à la Cour de se livrer à des conjectures quant à la motivation de Los Zetas. En outre, la Commission a tenu compte du fait que M. Bernstein, un cadre supérieur du port, qui a également fait l’objet de menaces, n’a jamais été agressé et occupe toujours son poste. Il s’agit d’un élément de preuve convaincant que, dans un cas semblable à celui des demandeurs, Los Zetas n’a pas assassiné, afin de transmettre un message, un employé du port qui a refusé de collaborer.

 

[8]               Je rejette également l’affirmation des demandeurs selon laquelle la Commission n’aurait pas tenu compte du modus operandi employé par Los Zetas pour retrouver ses ennemis. La Commission a plutôt établi que les personnes qui sont ciblées par Los Zetas sont habituellement des personnes qui ont parlé contre elle ou qui ont dénoncé ses activités. Un des éléments de preuve avancé par les demandeurs pour démontrer que Los Zetas commence par faire des appels téléphoniques de menace, puis passe à l’action, a trait à un journaliste et, par conséquent, n’est pas incompatible avec la conclusion de la Commission relativement au profil des personnes assassinées par Los Zetas et avec le fait que M. Garcia ne correspond pas à ce profil.

 

[9]               Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’ils ont vécu en cachette après que M. Garcia eut laissé son emploi ou du fait que cette situation était intenable. La Commission n’a pas proposé qu’ils continuent à vivre en cachette à Tututepec et à Veracruz, comme ils l’ont fait avant d’arriver au Canada. La Commission a simplement souligné que, pendant cette période, ils n’ont pas reçu d’autres menaces de la part de Los Zetas. Il s’agissait là d’une conclusion de fait, non contestée par les demandeurs. La conclusion tirée par la Commission était que les demandeurs pouvaient vivre de façon durable à Mexico, car M. Garcia a déjà habité et travaillé à cet endroit, des membres de sa famille y habitent et M. Garcia  est une personne très diplômée qui possède une grande expérience professionnelle. La Commission a conclu que les demandeurs pouvaient subvenir à leurs besoins à Mexico et qu’ils n’y seraient exposés à aucun risque. Cette conclusion n’était pas déraisonnable.

 

[10]           En dernier lieu, les demandeurs prétendent que la conclusion de la Commission selon laquelle Los Zetas ne pourrait pas les retrouver s’ils déménageaient à Mexico était déraisonnable. Ils soulignent que la Commission a conclu que la protection de l’État n’aurait pas pu leur être assurée et que, en raison des liens étroits qui existent entre la protection de l’État et la PRI, la décision était déraisonnable. Les demandeurs affirment que la Commission était saisie d’éléments de preuve établissant que Los Zetas a corrompu les autorités dans l’ensemble du Mexique et qu’il était inutile de demander la protection de l’État puisque Los Zetas serait en mesure de retrouver les demandeurs à l’extérieur de Salina Cruz grâce à leurs liens avec des agents d’application de la loi corrompus.

 

[11]           Les demandeurs soulignent qu’ils sont tenus par la loi d’informer le gouvernement de tout changement d’adresse et qu’il est possible de se procurer la liste des électeurs sur le marché noir et qu’elle comprend leur adresse. Il est donc probable que Los Zetas puisse les retrouver. Les demandeurs citent un extrait de la décision Cejudo Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, qui porte sur le traitement d’éléments de preuve contradictoires et soutiennent que la Commission n’a pas réalisé l’importance du fait que l’adresse actuelle des demandeurs figure sur leurs cartes d’électeur. Les demandeurs ont également cité la décision Cruz Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 399, dans laquelle, selon les demandeurs, la Cour a infirmé une décision de la Commission semblable à celle en l’espèce. Les demandeurs soutiennent que la seule interprétation raisonnable de la preuve démontrant que a) il est possible de se procurer la liste des électeurs, et que b) la liste des électeurs contient l’adresse actuelle de tous les inscrits, est que Los Zetas pourrait retrouver les demandeurs n’importe où au Mexique. Les demandeurs disent que la décision de la Commission à cet égard ne fournit aucune justification, manque de transparence et n’est pas raisonnable. Ils ont également cité la décision Silva Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1115, dans laquelle le juge Pinard a infirmé une décision de la Commission selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI à Mexico et pouvaient ainsi se protéger contre Los Zetas.

 

[12]           À mon avis, en l’espèce, la Commission a offert une explication raisonnable quant à savoir pourquoi elle estime qu’il serait peu probable que Los Zetas retrouve les demandeurs à l’aide des cartes d’électeur ou à l’aide de la banque de données du registre fédéral des électeurs. Comme l’a mentionné la Commission, ni les éléments de preuve présentés par les demandeurs ni ceux compris dans les documents provenant de la Direction des recherches n’indiquaient que Los Zetas, ou toute autre organisation criminelle, a poursuivi une personne à l’aide de ces renseignements.

 

[13]           Les faits dans Silva Fuentes sont très différents de ceux en l’espèce. Dans cette affaire, les demandeurs avaient été poursuivis par le gang qui les avait menacés et cela, même après un intervalle de cinq ans. En outre, M. Silva Fuentes s’était souvent opposé dans le passé au gang trafiquant de stupéfiants et, à ce titre, il correspondait à la description figurant dans le dossier d’information du genre de personne qui serait susceptible d’être ciblée ailleurs au Mexique. La situation de M. Garcia n’est pas comparable. Il ne correspondait pas à ce profil et il n’y avait aucune preuve que Los Zetas s’intéressait toujours à lui.

 

[14]           L’affaire Cruz Martinez est également différente de la présente espèce. Dans cette affaire, le demandeur fuyait la police fédérale, et, par conséquent, la base de données, à laquelle la police fédérale avait accès, avait plus d’importance. Enfin, comme l’a souligné le défendeur, dans cette affaire, la Commission n’a pas soumis l’analyse approfondie des cartes et de la base de données qui a été soumise en l’espèce.

 

[15]           Finalement, selon moi, la Commission n’a pas conclu qu’il n’y avait pas de protection de l’État au Mexique, comme l’ont prétendu les demandeurs. La Commission a plutôt accepté le témoignage selon lequel M. Garcia n’a pas rapporté les incidents parce qu’il craignait de mettre sa famille et lui-même en danger. La conclusion de la Commission était manifestement fondée sur le point de vue subjectif de M. Garcia, et avait trait à Salina Cruz. Par conséquent, cette conclusion n’a pas rendu déraisonnable l’analyse distincte sur la PRI effectuée par la Commission.

 

[16]           Aucune des parties n’a proposé une question à certifier.

 


JUGEMENT

            LA COUR STATUE :

1.     La présente demande est rejetée.

2.     Aucune question n’est certifiée.

                                                                                                              « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2681-10

 

INTITULÉ :                                       JESUS MANUEL NINO GARCIA, et autres

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 1er décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shepherd I. Moss

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Susan Jane Bennett

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shepherd I. Moss

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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