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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101221

Dossier : T-48-10

Référence : 2010 CF 1307

Ottawa (Ontario), ce 21e jour de décembre 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

ALPHA SAKÉ BARRY

 

Demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Ressources humaines et Développement des compétences Canada (le ministre) présentée en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, par Alpha Saké Barry (le demandeur). Le ministre a conclu qu’aucune erreur administrative ne s’était produite lors de l’imposition d’un trop-perçu au demandeur en matière des prestations d’une pension de sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti (« SRG ») de ce dernier.

 

* * * * * * * *

[2]          Le demandeur est né le 12 février 1937. Après avoir déposé une demande de pension de sécurité de la vieillesse ainsi qu’une demande de SRG, les versements correspondants ont débuté le ou vers le 12 février 2002. Lors de sa demande, le demandeur a indiqué que son état civil actuel était « divorcé ».

 

[3]          Le 20 juin 2003, le demandeur a élu domicile avec sa nouvelle conjointe, Lise Mercier. Lors de ses déclarations annuelles de revenus et de prestations auprès de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), le demandeur a indiqué son statut de conjoint de fait et a déclaré les revenus de sa conjointe.

 

[4]          Le défendeur allègue qu’un avis est envoyé automatiquement chaque année aux prestataires (voir paragraphe 9 de l’affidavit de Marjolaine Lebel). Cet avis indique l’état civil consigné au dossier du ministre et souligne que tout changement de cet état civil doit être communiqué à ce dernier. Le demandeur, qui n’a pas rempli les formulaires de demande de SRG pour les années 2003 à 2008, nie avoir reçu semblable avis durant les années 2002-2008.

 

[5]          Vers le 16 juillet 2009, le demandeur, se trouvant dans une situation financière difficile, a demandé son SRG pour ce mois. Le 21 juillet 2009, le ministre s’est informé auprès de l’ARC afin d’obtenir l’état civil actuel du demandeur, puisqu’il n’avait pas les formulaires de demande de SRG de ce dernier. Lorsque le ministre a appris que le demandeur était conjoint de fait, il lui a demandé de compléter une Déclaration solennelle d’union de fait ainsi que les formulaires de demande de SRG pour 2003-2008, ce que le demandeur a fait le 5 août 2009.

 

[6]          Le ministre a ensuite trouvé que puisque le demandeur avait reçu des prestations comme s’il était divorcé durant la période 2003-2008, un montant de 24 457,95 $ lui avait été versé en trop au cours de cette période. Par lettre datée du 1er septembre 2009 adressée au demandeur, l’agent du ministre lui a donc réclamé le montant du trop-perçu.

 

[7]          Le demandeur a demandé un réexamen de la décision. Dans une lettre envoyée à ce dernier le 10 décembre 2009, le ministre a confirmé sa décision et indiqué que les prestations du demandeur seraient réduites d’environ 200 $ par mois, au lieu de 400 $ par mois, jusqu’à ce que le trop-perçu soit récupéré, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[8]          Le 1er novembre 2009, le demandeur et sa conjointe se sont séparés.

 

* * * * * * * *

 

[9]          Lors du réexamen, le ministre a noté que le demandeur vivait en union de fait depuis le 20 juin 2003 mais qu’il n’avait mis le ministère au courant de son état civil que le 5 août 2009. Le ministre s’appuie sur le paragraphe 15(9) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9 (la Loi), qui précise que si un demandeur devient un conjoint de fait, il est tenu d’en informer le ministre sans délai.

 

[10]      Le ministre a aussi souligné que les prestataires sont avisés en juillet de chaque année que le nouveau montant de leur prestation est établi en fonction de leur dernière déclaration de revenus et de leur état civil actuel. Ils sont également avisés de communiquer tout changement dans leur état civil.

 

[11]      En vertu du système de SRG, le demandeur a été considéré comme conjoint de fait à partir de juillet 2004. Le ministre a donc recalculé le taux des prestations du SRG pour la période de juillet 2004 à juin 2009 et a déterminé qu’un montant de 24 457,95 $ avait été versé en trop au cours de cette période.

 

[12]      Le ministre a noté que la séparation ultérieure du demandeur et de sa conjointe n’avait aucune répercussion sur le montant à récupérer.

 

* * * * * * * *

 

[13]      Les articles pertinents de la Loi sur la sécurité de la vieillesse sont :

 

Renseignements à joindre à la demande de supplément

 

  15. (1) Le demandeur doit, dans sa demande de supplément pour une période de paiement, déclarer s’il a un époux ou conjoint de fait ou s’il en avait un au cours de la période de paiement ou du mois précédant le premier mois de la période de paiement et, s’il y a lieu, doit également indiquer les nom et adresse de son époux ou conjoint de fait et déclarer si, à sa connaissance, celui-ci est un pensionné.

Information required with application for supplement

 

  15. (1) Every person by whom an application for a supplement in respect of a payment period is made shall, in the application, state whether the person has or had a spouse or common-law partner at any time during the payment period or in the month before the first month of the payment period, and, if so, the name and address of the spouse or common-law partner and whether, to the person’s knowledge, the spouse or common-law partner is a pensioner.

 

 

Avis de changement

 

  15. (9) Le demandeur qui devient l’époux ou conjoint de fait d’une autre personne, cesse d’avoir un époux ou conjoint de fait ou s’en sépare est tenu d’en informer le ministre sans délai.

 

Notification of change

 

  15. (9) Every applicant shall inform the Minister without delay if they separate from, or cease to have, a spouse or common-law partner, or if they had a spouse or common-law partner at the beginning of a month, not having had a spouse or common-law partner at the beginning of the previous month.

 

Demande de révision par le ministre

 

  27.1 (1) La personne qui se croit lésée par une décision de refus ou de liquidation de la prestation prise en application de la présente loi peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification par écrit de la décision, ou dans le délai plus long que le ministre peut accorder avant ou après l’expiration du délai de quatre-vingt-dix jours, demander au ministre, selon les modalités réglementaires, de réviser sa décision.

 

[…]

Request for reconsideration by Minister

 

  27.1 (1) A person who is dissatisfied with a decision or determination made under this Act that no benefit may be paid to the person, or respecting the amount of a benefit that may be paid to the person, may, within ninety days after the day on which the person is notified in writing of the decision or determination, or within any longer period that the Minister may, either before or after the expiration of those ninety days, allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.

 

[…]

 

Décision du ministre

 

  27.1 (2) Le ministre étudie les demandes dès leur réception; il peut confirmer ou modifier sa décision soit en agréant le versement de la prestation ou en la liquidant, soit en décidant qu’il n’y a pas lieu de verser la prestation. Sans délai, il notifie sa décision et ses motifs.

Decision of Minister

 

  27.1 (2) The Minister shall, without delay after receiving a request referred to in subsection (1), reconsider the decision or determination, as the case may be, and may confirm or vary it and may approve payment of a benefit, determine the amount of a benefit or determine that no benefit is payable, and shall without delay notify, in writing, the person who made the request of the Minister’s decision and of the reasons for the decision.

 

 

 

Obligation de restitution

 

  37. (1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

 

Return of benefit where recipient not entitled

 

  37. (1) A person who has received or obtained by cheque or otherwise a benefit payment to which the person is not entitled, or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which the person is entitled, shall forthwith return the cheque or the amount of the benefit payment, or the excess amount, as the case may be.

 

Remise

 

  37. (4) Malgré les paragraphes (1), (2) et (3), le ministre peut, sauf dans les cas où le débiteur a été condamné, aux termes d’une disposition de la présente loi ou du Code criminel, pour avoir obtenu la prestation illégalement, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent, s’il est convaincu :

 

a) soit que la créance ne pourra être recouvrée dans un avenir suffisamment rapproché;

 

b) soit que les frais de recouvrement risquent d’être au moins aussi élevés que le montant de la créance;

 

c) soit que le remboursement causera un préjudice injustifié au débiteur;

 

d) soit que la créance résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi.

 

Remission of amount owing

 

  37. (4) Notwithstanding subsections (1), (2) and (3), where a person has received or obtained a benefit payment to which that person is not entitled or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which that person is entitled and the Minister is satisfied that

 

(a) the amount or excess of the benefit payment cannot be collected within the reasonably foreseeable future,

 

(b) the administrative costs of collecting the amount or excess of the benefit payment are likely to equal or exceed the amount to be collected,

 

(c) repayment of the amount or excess of the benefit payment would cause undue hardship to the debtor, or

 

(d) the amount or excess of the benefit payment is the result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act,

 

the Minister may, unless that person has been convicted of an offence under any provision of this Act or of the Criminal Code in connection with the obtaining of the benefit payment, remit all or any portion of the amount or excess of the benefit payment.

 

 

 

[14]      Le paragraphe 39(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. (1999), ch. 17, est aussi pertinent :

Obligation de renseigner les organismes fédéraux

 

  39. (1) Sous réserve des dispositions de la législation fiscale et de la Loi sur la protection des renseignements personnels relatives à la confidentialité, le commissaire est tenu de fournir, aux ministères et organismes fédéraux pour le compte desquels l’Agence applique un programme ou exerce une activité, l’information nécessaire à l’évaluation du programme ou de l’activité et à l’élaboration des orientations correspondantes.

 

Commissioner to keep departments informed

 

  39. (1) Subject to any confidentiality provisions in the program legislation or in the Privacy Act, the Commissioner must provide a federal department or agency on whose behalf the Agency administers a program or carries out an activity with the information necessary to evaluate the program or activity and formulate policies related to it.

 

 

 

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[15]      Les parties s’entendent à l’effet que la norme de contrôle applicable, en l’espèce, est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[16]      Le demandeur soutient avoir rempli ses obligations de façon diligente, depuis 2003, et ce, en conformité avec le paragraphe 15(9) de la Loi. S’appuyant sur l’alinéa 37(4)d) de la Loi, il plaide que nous sommes ici en présence d’une erreur administrative de la part du ministre qui n’a pas vérifié son état civil pourtant déjà déclaré à l’ARC. Le demandeur s’appuie en outre sur le paragraphe 39(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada pour tenter de démontrer que l’ARC avait l’obligation de fournir au ministre l’information dont il avait besoin. Selon lui, toute erreur était donc celle du ministre et non la sienne, de sorte qu’en droit, le ministre aurait dû exercer sa discrétion afin d’ordonner de lui remettre le trop-perçu. (À l’audition devant moi, l’avocate du demandeur a toutefois atténué sa position sur l’application du paragraphe 39(1) ci-dessus de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada.)

 

[17]      Pour sa part, le défendeur plaide, dans un premier temps, que le paragraphe 39(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada n’a aucun rapport avec la présente instance. Il souligne qu’en l’espèce l’ARC n’applique pas un programme et n’exerce pas une activité pour le compte du défendeur en ce qui a trait au régime de sécurité de la vieillesse; l’ARC, ici, n’a fait que transmettre au défendeur l’information demandée par celui-ci. Je suis d’accord. Le langage du paragraphe 39(1) est clair à l’effet qu’il ne s’applique que là où l’information est « nécessaire à l’évaluation du programme ou de l’activité et à l’élaboration des orientations correspondantes », ce qui n’est pas le cas ici.

 

[18]      Dans un deuxième temps, le défendeur insiste sur le fait qu’il appartenait au demandeur, en vertu du paragraphe 15(9) de la Loi, de déclarer son état civil non seulement à l’ARC, mais aussi au ministre. Il soutient que le demandeur tente de renverser le fardeau de cette disposition en obligeant le ministre à rechercher l’information auprès de l’ARC. Il note que cette obligation du demandeur existait même sans l’avis annuel du ministre, à qui le demandeur était responsable de fournir l’information, l’envoi de l’avis n’étant qu’un simple rappel, et non pas une condition préalable à l’application du paragraphe 15(9). Là encore, je suis d’accord avec le défendeur.

 

[19]      À mon avis, il était raisonnable pour le ministre de conclure qu’il n’y avait aucune erreur administrative du fait que personne n’avait recherché l’état civil déclaré par le demandeur à l’ARC. Le droit est clair : en vertu du paragraphe 15(9) de la Loi, le demandeur avait l’obligation de déclarer lui-même son état civil au ministre et il devait particulièrement informer ce dernier « sans délai » de tout changement à cet égard, ce qu’il n’a pas fait. Dans les circonstances, il était donc raisonnable pour le ministre de refuser au demandeur la remise du trop-perçu réclamé.

 

[20]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas d’adjudication de dépens, le défendeur n’en ayant pas demandé.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Ressources humaines et Développement des compétences Canada, à l’effet qu’aucune erreur administrative ne s’était produite lors de l’imposition d’un trop-perçu au demandeur en matière des prestations d’une pension de sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti, est rejetée. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-48-10

 

INTITULÉ :                                       ALPHA SAKÉ BARRY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Geneviève Girard-Gagnon             POUR LE DEMANDEUR

 

Me Benoît Laframboise                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vaillancourt, Paradis & Associés                                  POUR LE DEMANDEUR

Longueuil (Québec)

 

Miles J. Kirvan                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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