Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101222

Dossier : IMM-6271-09

Référence : 2010 CF 1316

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

 

XHEVDET YMERI, JULJANA YMERI, BESMIR YMERI, BIRSEN YMERI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à l'encontre de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada  (le tribunal) daté du 6 novembre  2009 selon laquelle Xhevdet YMERI (le demandeur principal), son épouse, Juljana YMERI, leur fils, Besmir YMERI, et leur fille Birsen YMERI ne sont pas des réfugiés en vertu de l’article 96, ni des personnes à protéger en vertu du para 97(1) de la LIPR.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs qui suivent.

 

[3]               Les demandeurs sont tous citoyens de l’Albanie. L’épouse et les enfants basent leurs demandes sur celle du demandeur principal.

 

[4]                Le 12 janvier 1998, la famille Xhabafti a tué le cousin du demandeur principal, monsieur Floryan Ymeri. En décembre 1998, des cousins du demandeur principal ont décidé de prendre leur revanche contre la famille Xhabafti en tuant monsieur Mustafa Xhabafti. Craignant la vendetta avec la famille Xhabafti, les demandeurs ont décidé de quitter l’Albanie. Ils sont allés en Grèce le 25 décembre 1998 et ont fait faire des passeports pour toute la famille. Ils sont retournés en Albanie en mars 1999 et ont quitté encore en mai 1999 avec l’intention de demander refuge au Canada.

 

[5]               En arrivant aux États-Unis, ils ont été arrêtés et ils ont fait une demande de statut de réfugié, mais celle-ci a été refusée le 10 octobre 2004.

 

[6]               Pendant que les demandeurs étaient à l’étranger, en 2003, Artan Xhabafti a été tué par le dernier cousin vivant en Albanie, Ylli Ymeri, qui se cache depuis ce temps.

 

[7]               Le demandeur principal a été renvoyé des États-Unis vers l'Albanie le 18 novembre 2005.

 

[8]               En arrivant à Tirana, et craignant pour sa vie, le demandeur principal est allé vivre dans la maison de sa mère. Le 23 mars 2006, trois personnes masquées se sont introduites dans la maison et l’ont agressé sévèrement. S'ensuivit une hospitalisation jusqu'au 30 mars 2006. Une expertise médico-légale a été faite à l’hôpital et au poste de police.

 

[9]               Aidé de son beau-frère et certains amis, le demandeur principal, porteur d'un visa est arrivé au Canada le 7 juin 2006. Il a demandé l'asile politique le 17 août de la même année. Les autres demandeurs ont revendiqué en 2007 mais à des dates différentes.

 

[10]           En analysant les demandes des demandeurs, le tribunal a considéré que les questions déterminantes étaient: aucun lien avec la Convention, la crédibilité, la protection de l’État et la possibilité de refuge interne.

 

[11]           Dans la mesure où la question en litige met en cause l'évaluation et l'appréciation de la preuve, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

 

[12]           Dans la cause sous étude, les demandeurs ne contestent pas les conclusions du tribunal à l'effet qu’ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention en vertu de l'article 96 de la LIPR. Ils contestent plutôt les motifs quant aux questions de crédibilité, protection de l'État et possibilité de refuge interne.

 

[13]           Quant à la crédibilité, ils soutiennent que leur fille a été obligée d'intervenir au cours de l'audience à plusieurs reprises afin de corriger des erreurs de traduction par l'interprète. Ils soumettent que le tribunal s'est attardé à des contradictions mineures concernant la description des personnes qui ont tabassé le demandeur principal le 23 mars 2006. Ils s'appuient sur Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 FTR 225 (CF) aux para 23-24 pour souligner que les incohérences doivent être importantes et déterminantes pour refuser le statut de réfugié.

 

[14]           Les demandeurs prétendent que le tribunal a commis une erreur importante lorsqu'il a décidé de n’accorder aucune valeur probante à la pièce P-9 (Attestation, Commissariat de police no 3, Tirana, 13 septembre 2006). Ils ajoutent que pour considérer qu’une preuve ne soit pas digne de foi, le tribunal doit en indiquer les motifs (Yabe c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 270 (CAF) (QL) au para 2).

 

[15]           Finalement, les demandeurs soumettent que le tribunal a rejeté la pièce P-5 (Attestation du Comité National de Réconciliation) sans raison valable (Simba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14777 (CF) aux para 29 et 30).

 

[16]           Le défendeur soutient que les questions soulevées par le tribunal concernant la crédibilité du demandeur principal sont raisonnables. La Cour n'est pas du même avis.

 

[17]           Le premier élément concerne la révélation de la responsabilité de la mort de Floryan Ymeri par la famille Xhabafti. Après avoir lu la transcription, la Cour constate qu'il y a eu confusion à un moment donné à ce sujet mais il est impossible d'en dégager une inférence de non crédibilité.

 

[18]           Le deuxième élément est de savoir si oui ou non les personnes qui ont battu le demandeur principal au mois de mars 2006 étaient masquées ou non. La Cour considère que cette question est secondaire et n'aurait pas dû entacher la crédibilité du demandeur principal surtout lorsqu’une preuve indépendante vient confirmer son hospitalisation et ses blessures.

 

[19]           Le troisième élément est lié au fait que le demandeur principal n'aurait pas inclus dans son récit écrit que la police ne pouvait pas intervenir parce que c'était un cas de vendetta. La Cour ne peut pas accepter cette absence de déclaration écrite comme pouvant affecter la crédibilité du demandeur principal compte tenu du contexte particulier dans cette cause.

 

[20]           Le tribunal a aussi commis une erreur révisable en mettant de côté la pièce P-9. Ce document provenant du ministère de l'ordre public, la direction de la police de l'environ de Tirana vient corroborer en tous points l'histoire du demandeur au sujet de son agression le 23 mars 2006.

 

[21]           Il en va de même quant à la pièce P-5 (République d'Albanie, Comité national de réconciliation, 15 septembre 2006). On y retrouve la mention de cinq meurtres, deux dans la famille du demandeur et trois dans la famille Xhabafti. Le même document fait référence aux efforts de réconciliation des deux familles par des médiateurs mais avec un constat d'échec.

 

[22]           Les erreurs ci-haut mentionnées méritent que le dossier soit retourné pour être réévalué.

 

[23]           Aucune question à certifier n'a été proposée et ce dossier n'en contient aucune.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question n'est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6271-09

 

INTITULÉ :                                       XHEVDET YMERI, JULJANA YMERI,

                                                            BESMIR YMERI, BIRSEN YMERI

                                                            ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Noël Saint-Pierre

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SAINT-PIERRE GRENIER AVOCATS INC.

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.