Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20101221

Dossier : IMM-1986-10

Référence : 2010 CF 1317

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

JUANITA CASTILLO AFABLE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande contrôle judiciaire visant la décision du 23 février 2010 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision d’un agent des visas de rejeter la demande de parrainage qu’elle avait présentée pour que la personne qu'elle prétendait être sa nièce obtienne la résidence permanente au Canada.

 

LES FAITS

Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne canadienne âgée de 62 ans qui est arrivée au Canada en provenance des Philippines il y a vingt ans, soit en juin 1989, à titre d’immigrante reçue. Elle n’a pas d’enfant et ne compte aucun membre de sa famille au Canada; ses parents et ses grands-parents sont décédés. Elle est enseignante, mais prévoit prendre sa retraite dans un proche avenir.

 

[3]               La demanderesse a parrainé la demande de résidence permanente d’Alma Toni Castillo Lasalita, qu’elle prétendait être sa nièce, plus précisément la fille de sa sœur aînée maintenant décédée. 

 

[4]               Un agent des visas a informé la demanderesse, par lettre datée du 5 octobre 2006, que sa demande avait été rejetée. L’agent n’était pas convaincu qu’il y avait un lien véritable entre la demanderesse et Mme Lasalita, et a conclu que cette dernière n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial au sens du paragraphe 117(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[5]               Le 3 novembre 2006, la demanderesse a interjeté appel auprès de la SAI du refus de l’agent des visas. La date de l’audience de la demanderesse a d’abord été fixée au 14 octobre 2009, puis il y a eu ajournement pour permettre à la demanderesse de produire des éléments de preuve additionnels sur son lien avec Mme Lasalita. Après l’audience du 26 janvier 2010, la SAI a rejeté l’appel de la demanderesse. C’est ce rejet qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. 

 

[6]               La demanderesse a joint à son affidavit complémentaire dans le cadre de la présente demande les résultats d’un test d’empreintes génétiques daté du 28 juin 2010 – et donc postérieur à son audience devant la SAI.

 

La décision à l’examen

[7]               La demanderesse n'était pas représentée par un avocat à l’audience devant la SAI. Celle-ci a déclaré dans sa décision que la question en litige était de savoir si Mme Lasalita appartenait, selon la définition prévue au Règlement, à la catégorie du regroupement familial. L’élément pertinent de la définition se trouvait à l’alinéa 117(1)h), en vertu duquel tout membre de la parenté d’un répondant appartient à la catégorie du regroupement familial, à défaut pour le répondant d'un autre membre de cette catégorie qui est un citoyen ou un résident du Canada, ou qui est susceptible par ailleurs d’être parrainé au titre de la catégorie du regroupement familial. La SAI a reconnu comme l’agent des visas que la demanderesse ne comptait aucun autre membre de sa parenté qui était un citoyen ou un résident du Canada, ou qui était susceptible de voir sa demande d’entrée au Canada parrainée par la demanderesse au titre de la catégorie du regroupement familial. La SAI estimait donc, tout comme l’agent des visas, que si Mme Lasalita était véritablement la nièce de la demanderesse elle pouvait être parrainée au titre de la catégorie du regroupement familial. La question essentielle à trancher par la SAI était ainsi de savoir si la demanderesse et Mme Lasalita étaient bel et bien parentes par le sang.

 

[8]               La SAI a déclaré qu’il incombait à la demanderesse de prouver, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle et Mme Lasalita étaient parentes par le sang. La SAI a examiné la preuve soumise par la demanderesse, en tenant compte du fait que celle-ci avait disposé d’un délai supplémentaire pour produire une preuve meilleure et plus abondante, en raison de l’ajournement de l’audience fixée à l’origine au 14 octobre 2009. La SAI a tout particulièrement examiné les éléments de preuve suivants :   

a.       La copie d’un document que la demanderesse a déclaré être le certificat de naissance de sa sœur aînée, Eugenia Imaguin Castillo, jointe à un affidavit relatif à l’enregistrement différé d’une naissance vivante signé par le frère de la demanderesse, qui vit aux Philippines. La date de naissance d’Eugenia était le 5 juin 1932 selon ce document. La demanderesse a déclaré dans son témoignage que l’original du certificat de naissance avait été détruit pendant la Deuxième Guerre mondiale, lorsque avaient été bombardés les bureaux du gouvernement où il se trouvait.  

b.      La copie d’un document que la demanderesse a déclaré être son propre certificat de naissance, jointe à un affidavit relatif à l’enregistrement différé d’une naissance vivante et signé par son frère vivant aux Philippines. La date de naissance de la demanderesse était le 7 décembre 1947 selon ce document. La demanderesse a déclaré que l’original du certificat de naissance avait été détruit lors d’un incendie aux bureaux en cause du gouvernement. 

c.       Une copie du certificat de naissance vivante de Mme Lasalita. Dans ce certificat, on mentionnait que la mère de Mme Lasalita était Eugenia Castillo Lasalita, la sœur aînée de la demanderesse.

d.      Le dossier scolaire d’Eugenia, qui mentionnait le 8 juin 1932 comme date de naissance de celle-ci.

e.       Le certificat de mariage d’Eugenia, lequel mentionnait que celle-ci avait 30 ans au moment de son mariage, le 8 juin 1965.    

 

[9]               La SAI a mis en doute la fiabilité des renseignements figurant dans les certificats de naissance de Mme Lasalita et d’Eugenia. La SAI a particulièrement fait état des réserves suivantes :

a.       La SAI a mis en doute la date de naissance d’Eugenia pour les raisons suivantes : 

                                                               i.      La date de naissance mentionnée dans le dossier scolaire différait de celle mentionnée dans le certificat de naissance (le 8 juin plutôt que le 5 juin 1932).

                                                             ii.      Selon le certificat de mariage daté du 8 juin 1965, Eugenia avait 30 ans au moment du mariage, alors que s’il fallait en croire le certificat de naissance, Eugenia aurait alors plutôt eu 33 ans.

                                                            iii.      Selon le certificat de naissance de Mme Lasalita, la mère de celle-ci avait 34 ans au moment de cette naissance, alors que s’il fallait en croire le certificat de naissance de la mère, cette dernière aurait alors eu en fait 36 ans. Comme il y avait concordance entre le certificat de naissance et le certificat de mariage – c’est-à-dire que, si Eugenia avait 30 ans au moment de son mariage, elle aurait bien eu 34 ans au moment de la naissance de Mme Lasalita -, la SAI a mis en doute la fiabilité du document censé être le certificat de naissance d’Eugenia.    

b.      La SAI a mentionné d’autres motifs lui ayant fait douter de la fiabilité de la preuve documentaire soumise : 

                                                               i.      On mentionnait dans le certificat de naissance d’Eugenia que la mère de celle-ci avait 18 ans au moment de cette naissance. S’il fallait pourtant en croire le certificat de naissance de la demanderesse, apparemment née de la même mère 15 ans plus tard, sa mère aurait plutôt eu 17 ans au moment de sa naissance. 

                                                             ii.      On mentionnait un poids à la naissance identique de 2 722 grammes pour Eugenia et pour la demanderesse. 

                                                            iii.      La SAI a jugé peu vraisemblable que le certificat de naissance tant de la demanderesse que de sa sœur ait pu être détruit. 

                                                           iv.      La SAI a en outre douté de la destruction de ces certificats et que la cause en fût un bombardement et un incendie selon le témoignage de la demanderesse, parce que, selon les affidavits du frère de la demanderesse, l’enregistrement différé des naissances était plutôt imputable à la « négligence ».

                                                             v.      Le commissaire s’est aussi dit « profondément perturbé » du fait que le frère avait signé ses affidavits en 2006 et en 2007 et non peu après la destruction des documents originaux.

 

[10]           La SAI a conclu que le  témoignage oral de la demanderesse n’était pas assez détaillé pour dissiper ses doutes quant à la fiabilité de la preuve documentaire. Comme c’étaient là les seuls documents soumis à la SAI, celle-ci a conclu qu’elle était saisie de trop peu d’éléments de preuve fiables ou crédibles pour être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que la demanderesse et Mme Lasalita étaient bien comme elles le prétendaient la tante et la nièce l’une de l’autre.   

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[11]           Le paragraphe 117(1) du Règlement prévoit quelle personne appartenant à la catégorie du regroupement familial peut devenir un résident permanent du Canada :

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

 

[. . .]

 

h) tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est : 

 

(i)                  soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent, 

(ii)                soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

 

. . .

 

(h) a relative of the sponsor, regardless of age, if the sponsor does not have a spouse, a common-law partner, a conjugal partner, a child, a mother or father, a relative who is a child of that mother or father, a relative who is a child of a child of that mother or father, a mother or father of that mother or father or a relative who is a child of the mother or father of that mother or father 

(i)                  who is a Canadian citizen, Indian or permanent resident, or 

(ii)                whose application to enter and remain in Canada as a permanent resident the sponsor may otherwise sponsor.

 

[12]           On définit l’expression « membre de la parenté » à l’article 2 du Règlement :

« membre de la parenté » Personne unie à l’intéressé par les liens du sang ou de l’adoption.

“relative” means a person who is related to another person by blood or adoption.

 

 

LA QUESTION EN LITIGE

[13]           La demanderesse soulève la question de savoir si

1.   la SAI a outrepassé sa compétence, commis une erreur de droit et rendu une décision manifestement déraisonnable en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents lorsqu’elle a rejeté l’appel.  

 

[14]           Le défendeur soulève en outre une question préliminaire dans laquelle il demande d’exclure comme preuve le rapport sur les empreintes génétiques joint comme pièce à l’affidavit complémentaire produit avant l’audience par la demanderesse. 

 

[15]           J’examinerai d’abord s’il convient d’admettre en preuve l’affidavit complémentaire. 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[16]                Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190,  la Cour suprême du Canada a statué (paragraphe 62)  que la première étape, lorsqu’on procède à l’analyse relative à la norme de contrôle, consiste à vérifier « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (se reporter également à Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Binnie, paragraphe 53).

 

[17]           Comme je l’ai moi-même reconnu dans la décision Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17, les conclusions en matière de crédibilité sont de nature factuelle. La jurisprudence postérieure à Dunsmuir a établi que de telles conclusions de fait appelaient la norme de raisonnabilité (se reporter, par exemple, à Saleem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 389,  paragraphe 13; Malveda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 447, paragraphes 17 à 20; Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, paragraphes 17 à 20; Dong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, le juge soussigné, paragraphe 17).

 

[18]           La norme de contrôle applicable en l'espèce est donc la raisonnabilité. La Cour va s’attarder, en examinant la décision de la SAI en fonction de la norme de raisonnabilité, « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Khosa, précité, paragraphe 59).

 

[19]           La première question, concernant l’admissibilité du rapport d’analyse d’empreintes génétiques, est toutefois une question de droit, et c’est la décision correcte qui lui est applicable comme norme de contrôle. 

 

ANALYSE

La 1re question en litige -     L’affidavit complémentaire devrait-il être admis en preuve?

[20]           Les parties ont le droit de produire des affidavits complémentaires dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire. En l’espèce, la demanderesse a déposé un affidavit complémentaire signé en date du 16 octobre 2010. Elle a joint comme pièce à cet affidavit copie d’un document daté du 28 juin 2010 et intitulé [traduction] « Résultats d’une analyse d’empreintes génétiques ».  

 

[21]           Le défendeur soutient que ce document ne peut être admis en preuve puisqu’il s’agit d’un élément nouveau postérieur à la décision de la SAI, et dont celle-ci n’était donc pas saisie au moment où elle a rendu sa décision.  

 

[22]           La Cour partage l’avis du défendeur. Il est bien clair en droit qu’au stade du contrôle judiciaire on doit prendre exclusivement en compte la preuve dont le décisionnaire était saisi, à moins que les nouveaux éléments ne concernent des questions d’équité procédurale ou de compétence (se reporter, par exemple, à Vasquez Encinas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 61). En l’espèce, l’affidavit de la demanderesse vise à mettre en preuve les résultats d’un test d’empreintes génétiques postérieur à la décision de l’agent des visas. Or, comme l’a expliqué le juge Dubé dans la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. no 835, paragraphe 5 :

Selon de nombreux arrêts, seuls les éléments de preuve dont le décideur initial disposait devraient être examinés par la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ces décisions sont fondées sur l’idée selon laquelle le contrôle judiciaire ne vise pas à permettre de déterminer si la décision de l’office en question est absolument correcte, mais plutôt si l’office avait raison, compte tenu du dossier dont il disposait. […] [Renvois omis.]

 

[23]           La demanderesse tente avec son affidavit de produire une preuve démontrant que la décision de l’agent n’était pas absolument correcte. Il n’est pas loisible à la Cour d’apprécier cette preuve.  

 

La 2e question en litige -   La SAI a-t-elle fait erronément abstraction d’éléments de preuve pertinents lorsqu’elle a rendu sa décision? 

[24]           La demanderesse soutient que la SAI a fait abstraction de sa preuve documentaire ou qu’elle l’a mal interprétée. La demanderesse fait particulièrement ressortir les erreurs suivantes de la SAI : 

a.       La SAI a fait abstraction des deux contrats de mariage mentionnant qu’Eugenia et la demanderesse avaient les mêmes père et mère. 

b.      La SAI n’a pas tenu compte du fait que le nom du père d’Eugenia figurait dans le dossier d’études secondaires de cette dernière.

c.       La SAI a fait abstraction du certificat de baptême de Mme Lasalita, où figurait le nom de ses père et mère.

d.      La SAI a fait abstraction du certificat de naissance de Mme Lasalita, où figurait le nom de ses père et mère.

e.       La SAI a fait abstraction du relevé d’études universitaires de la demanderesse, où figurait le nom de ses père et mère. 

f.        La SAI n’a pas tenu compte de l’affidavit conjoint du 24 août 1990 par lequel  Florentina Torres et Feliza Pastores, des personnes âgées de la ville natale de la demanderesse, ont déclaré que cette dernière et Eugenia étaient les sœurs l’une de l’autre.   

 

[25]           La SAI est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, et n’a pas à faire référence à chaque élément de preuve particulier. Le juge Evans a déclaré ce qui suit à cet égard dans la décision  Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.) (QL), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 16 :

¶16.     Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd [. . .]

 

[26]           La SAI a toutefois déclaré en l’espèce, au paragraphe 29 de sa décision, qu’elle rejetait le témoignage de la demanderesse quant à ses liens avec sa nièce parce que les documents auxquels elle avait expressément fait référence étaient « les seuls qui ont été présentés en preuve par l’appelante ». Ainsi, le défaut de la SAI d’avoir expressément fait référence à d’autres documents soumis en preuve par la demanderesse conduit la Cour à conclure que la SAI n’en a pas tenu compte. La présente demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être accueillie si la prise en compte de ces éléments de preuve eût pu entraîner un résultat différent.    

 

[27]           La Cour estime que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte d’éléments de preuve présentés par la demanderesse et montrant que celle-ci et Eugenia étaient bien sœurs l’une de l’autre. La SAI a en effet rejeté les documents présentés comme étant les certificats de naissance de la demanderesse et d’Eugenia, sans toutefois examiner si d’autres éléments de preuve pouvaient étayer l’existence des liens entre elles qui étaient allégués. La Cour estime particulièrement que la SAI ne s’est pas penchée adéquatement sur la preuve documentaire de la demanderesse selon laquelle celle-ci et Eugenia avaient les mêmes père et mère. Bien qu’elle eût nié l’authenticité des deux certificats de naissance, la SAI aurait néanmoins dû examiner si les autres documents suffisaient pour établir l’existence de liens entre la demanderesse et Mme Lasalita.

 

 

[28]           La demanderesse a présenté deux contrats de mariage à la SAI. Les deux parties ont convenu à l’audience devant la Cour que ces contrats avaient été jugés être authentiques. Le premier contrat de mariage, daté du 8 juin 1965, était celui d’Eugenia, la sœur de la demanderesse. La SAI a expressément fait référence à ce contrat au paragraphe 22 de sa décision, où elle a déclaré que la concordance existant entre le contrat de mariage d’Eugenia et le certificat de naissance de Mme Lasalita quant à l’âge d’Eugenia donnait à penser que c'était cet âge qui était le bon et non celui correspondant au certificat de naissance d’Eugenia. La SAI a conclu que « cela remet[tait] en question la fiabilité des renseignements contenus dans le prétendu certificat de naissance d’Eugenia ». La SAI a ainsi conclu que le contrat de mariage était bien un document authentique.

 

[29]           La demanderesse a produit un second contrat de mariage, le sien, daté du 2 janvier 1988. La SAI n’a pas fait expressément référence à ce document dans ces motifs.  

 

[30]           Les deux contrats de mariage mentionnent les noms des père et mère des contractants, et les noms des père et mère de la demanderesse et d’Eugenia sont les mêmes. La SAI a jugé valide le contrat de mariage d’Eugenia. Bien que la SAI eût conclu que cela faisait douter de la validité du document présenté comme certificat de naissance, elle aurait dû se demander si ce même contrat, jugé valide, pouvait constituer, en y adjoignant le contrat de mariage de la demanderesse, la preuve que les deux personnes étaient bien soeurs l'une de l'autre.   

 

[31]           La demanderesse a également produit des dossiers scolaires selon lesquels elle et Eugenia avaient bien les mêmes père et mère. La SAI n’a pas fait expressément référence aux relevés d’études universitaires de la demanderesse, où figure les noms de ses parents. La SAI a bien fait référence aux dossiers d’études secondaires d’Eugenia, sans dire toutefois qu’y étaient également mentionnés les noms de ses parents.  

 

[32]           La SAI ne semble pas avoir douté qu’Eugenia ait été la mère de Mme Lasalita. Par conséquent, si la SAI avait admis que la demanderesse et Eugenia avaient les mêmes père et mère – et étaient ainsi sœurs l’une de l’autre -, elle aurait conclu que Mme Lasalita était bien la nièce de la demanderesse.  

 

CONCLUSION

[33]           Comme la SAI a déclaré que la seule preuve dont elle était saisie était celle à laquelle elle avait fait référence dans ses motifs, et comme elle n’a pas fait référence à certains éléments probants, la Cour conclut qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle, de sorte que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal de la SAI différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. À la nouvelle audience, la demanderesse pourra soumettre les résultats de l'analyse d’empreintes génétiques qui démontre, comme les deux parties en ont convenu à l’audience, que la demanderesse et Mme Lasalita sont bien liées entre elles, selon un taux de probabilité de 99,98 %. 

 

LA QUESTION CERTIFIÉE

[1]               Les deux parties ont dit à la Cour estimer que la présente affaire ne soulevait pas de question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour partage cet avis.  

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAI différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.  

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1986-10

 

INTITULÉ :                                       Juanita Castillo Afable

                                                            c.

                                                            Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 DÉCEMBRE 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 DÉCEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

H. John Kalina

 

Ian Hicks

POUR LA DEMANDERESSE

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

H. John Kalina

Avocat et notaire public

Mississauga (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.