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Date : 20101217

Dossier : T‑387‑10

Référence : 2010 CF 1302

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

ALLEN TEHRANKARI

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit de l’appel de l’ordonnance, en date du 24 août 2010, par laquelle la protonotaire Tabib a conclu au bien‑fondé de l’opposition du défendeur à la demande de transmission de certains documents et éléments matériels conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les RCF), présentée par le demandeur. La demande de transmission a été faite dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire introduite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F‑7, visant le rejet, daté du 11 février 2010, par le sous‑commissaire principal (SCP) du Service correctionnel du Canada (SCC) du grief déposé par le demandeur au sujet de sa cote de sécurité et de son placement pénitentiaire.

 

Contexte

[2]               Le demandeur, M. Allen Tehrankari, a été déclaré coupable de meurtre au premier degré en février 2009. Il est actuellement détenu au pénitencier à sécurité maximale de Kingston, en Ontario.

 

[3]               À la suite de la déclaration de culpabilité, on a effectué une évaluation de la cote de sécurité du demandeur conformément à la Directive du Commissaire du SCC no 705‑7, qui expose le processus à suivre et les éléments à prendre en considération pour attribuer à un délinquant la cote de sécurité et le placement pénitentiaire qui lui conviennent. On a attribué au demandeur la cote de sécurité maximale. Plusieurs facteurs ont été pris en compte pour parvenir à cette cote, notamment l’« adaptation à l’établissement ». Pour évaluer ce facteur, le SCC s’est entre autres fondé sur les renseignements transmis par le directeur de la sécurité du Centre de détention d’Ottawa‑Carleton (administré par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario) où le demandeur était détenu en attendant sa sentence. Les renseignements fournis par le Centre de détention d’Ottawa‑Carleton montraient que le demandeur avait été mêlé à 74 incidents d’inconduite en établissement.

 

[4]               Le demandeur a déposé un grief au sujet de la décision concernant sa cote de sécurité et son placement pénitentiaire. Il a invoqué plusieurs motifs, alléguant notamment que la décision était fondée sur des renseignements faux et inexacts au sujet des 74 incidents d’inconduite en établissement.

 

[5]               Le SCP a rejeté le grief du demandeur au troisième niveau du processus de traitement des griefs. Sa décision comportait un certain nombre de conclusions distinctes, mais les aspects de la décision qui touchent la présente demande de contrôle judiciaire du demandeur et sa demande d’information concernent les conclusions qu’a tirées le SCP au sujet des incidents d’inconduite en établissement ainsi que l’exactitude des renseignements figurant dans le dossier du demandeur.

 

[6]               Le SCP a donné deux raisons principales pour rejeter le grief du demandeur : a) les renseignements concernant les incidents d’inconduite ont été transmis au SCC par une source officielle externe (à savoir le Centre de détention d’Ottawa‑Carleton) et, à ce titre, le SCC n’a pas le pouvoir de mettre en doute leur validité; b) le demandeur n’a pas suivi la procédure prévue à l’alinéa 24(2)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 [la LSCMLC], pour faire corriger les renseignements figurant dans son dossier.

 

[7]               Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du SCP rejetant son grief.

 

[8]               Comme l’y autorise le paragraphe 317(2) des RCF, le demandeur a inclus dans son avis de demande une demande de transmission de certains documents et éléments matériels en la possession de l’office fédéral. Plus précisément, il a demandé que le SCC fournisse ce qui suit :

[traduction] Tous les documents concernant les circonstances ayant entouré les 74 accusations disciplinaires d’inconduite alléguée énumérées à la pièce 8 de la présente demande, y compris des éléments matériels comme des VHS, CD (disques compacts) et cassettes audio et autres rapports ou éléments matériels de surveillance ayant trait aux dites allégations énumérées dans les pièces […].

 

 

[9]               Le 29 avril 2010, le défendeur a déposé une opposition conformément au paragraphe 318(2) des RCF. Le défendeur soutenait que la demande de transmission présentée par le demandeur était trop large et que les seuls documents pertinents quant au contrôle judiciaire étaient ceux dont disposait le décideur au moment où la décision contestée a été prise. Le 14 mai 2010, le défendeur a déposé un dossier certifié du tribunal (DCT) de 391 pages, auquel était joint un affidavit indiquant que le dossier en question comprenait tous les documents et éléments matériels dont avait été saisi le décideur.

 

[10]           Le 24 juin 2010, la protonotaire Tabib a demandé aux parties de fournir à la Cour des observations écrites au sujet de la demande de transmission contestée. Le 24 août 2010, la protonotaire Tabib a décidé que l’opposition du défendeur était valide et que la demande de transmission présentée par le demandeur était trop large. La protonotaire a souscrit aux observations du défendeur selon lesquelles, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, seul le dossier dont disposait le tribunal concerné doit généralement être produit. La protonotaire Tabib a en outre indiqué que les observations du demandeur étaient [traduction] « insuffisantes pour réfuter les preuves déposées par le défendeur selon lesquelles lorsque le décideur a rendu sa décision , il ne disposait pas des documents sollicités par le demandeur ». La protonotaire Tabib a conclu ce qui suit :

[traduction] Les observations du demandeur portent pour le reste sur son opinion au sujet des règles de droit qui devraient régir la communication de documents et d’éléments matériels dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire; la Cour est toutefois liée par les règles de procédure de notre Cour et la jurisprudence et non par les règles qui devraient exister selon le demandeur.

 

 

Analyse

[11]           La norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire rendue par un protonotaire est celle qui est exposée dans Merck & Co c. Apotex, 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 19. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’y avait lieu de modifier l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire portée en appel que dans les deux cas suivants : a) les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue de la cause, auquel cas il convient d’examiner l’affaire de novo; b) l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[12]           Le demandeur soutient que la question soulevée dans la présente requête est déterminante pour l’issue définitive de l’affaire et que, par conséquent, elle mérite d’être examinée de novo. S’il n’a pas accès aux documents et aux éléments matériels de surveillance demandés, le demandeur affirme qu’il ne sera pas en mesure de démontrer que les conclusions relatives à son inconduite en établissement, sur lesquelles reposent sa cote de sécurité et son placement pénitentiaire, sont sans fondement. Il soutient qu’en refusant sa demande de transmission de documents et d’éléments matériels supplémentaires, la Cour décide, en pratique, de l’issue de la demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           La Cour est consciente du fait que le demandeur est une partie qui n’est pas représentée par un avocat, mais il est clair qu’il a mal compris la portée et l’objet d’un contrôle judiciaire. Le présent contrôle judiciaire n’est pas un appel des différentes conclusions d’inconduite en établissement sur lesquelles reposent en partie la cote de sécurité et le placement pénitentiaire du demandeur. En fait, la validité de ces conclusions n’est pas directement en litige. Ce qui est en litige, c’est plutôt la décision du SCP selon laquelle il n’avait pas compétence pour remettre en question la véracité et l’exactitude des renseignements transmis par le Centre de détention d’Ottawa‑Carleton au sujet des incidents d’inconduite rapportés, ainsi que la décision du SCP d’accorder une importance déterminante à l’omission du demandeur de suivre la procédure appropriée pour faire corriger son dossier. La différence est importante. Le rôle de la Cour consiste à décider si le SCP a commis des erreurs susceptibles de révision pour parvenir à sa décision.

 

[14]           Compte tenu du fondement sur lequel repose la décision du SCP, il est difficile de voir comment la divulgation des documents et éléments matériels supplémentaires que sollicite le demandeur pourrait être utile pour trancher la demande de contrôle judiciaire. Quelle que soit la nature des documents et éléments matériels de surveillance demandés, ils ne sauraient être utiles pour décider si le SCP a commis une erreur lorsqu’il a conclu a) que le SCC n’avait pas le pouvoir d’examiner la validité des renseignements provenant du Centre de détention d’Ottawa‑Carleton et b) que l’omission de la part du demandeur de respecter la procédure prévue pour la correction des dossiers, décrite à l’alinéa 24(2)a) de la LSCMLC, était déterminante.

 

[15]           C’est pourquoi les questions soulevées dans la présente requête n’ont pas une influence déterminante sur l’issue de l’affaire; par conséquent, la Cour ne devrait intervenir à l’égard de l’ordonnance en cause que si, d’une part, elle est convaincue que la protonotaire Tabib a commis une « erreur flagrante », en ce sens qu’elle a fondé sa décision sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits, et, d’autre part, l’examen de novo de la preuve le justifierait.

 

[16]           Les articles 317 et 318 des RCF visent à faire en sorte que la Cour qui examine une demande de contrôle judiciaire dispose du dossier dont était saisi l’office fédéral lorsqu’il a rendu sa décision (1185740 Ontario c. Canada (Ministre du Revenu national) (1999), 247 NR 287, 91 ACWS (3d) 922 (CAF)). Comme le juge Rothstein l’a déclaré dans Ominayak c. Lubicon Lake Indian Nation (2000), 267 NR 96, 102 ACWS (3d) 5 (CAF), au paragraphe 5 :

En l’absence d’autres éléments de preuve présentés par les parties dans des circonstances appropriées, les demandes de contrôle judiciaire sont examinées en fonction du dossier que possédait l’office fédéral dont la décision est attaquée. En général, il n’est pas approprié d’ordonner à l’office fédéral de produire des documents dont il ne disposait pas au moment où il a rendu sa décision.

 

Rien n’indique que le DCT fourni par le défendeur est de quelque façon incomplet.

 

 

[17]           Comme le défendeur l’a fait remarquer avec raison, la Cour peut exceptionnellement admettre des éléments de preuve supplémentaires dont ne disposait pas le décideur dans des cas où des questions d’équité procédurale ou de compétence sont soulevées (McFadyen c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, 341 NR 345, par. 14 et 15). La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur pourrait soulever une question touchant la compétence, mais, comme nous l’avons vu, les éléments de preuve supplémentaires demandés dans la présente requête ne concernent pas cette question. Ils ne touchent pas non plus une question d’équité procédurale.

 

[18]           En fin de compte, il est impossible d’affirmer que la protonotaire Tabib a commis une « erreur flagrante » lorsqu’elle s’est prononcée sur la validité de l’opposition du défendeur dans les circonstances exposées ci‑dessus. Par conséquent, l’appel est rejeté.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté.

 

 

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

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