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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101220

Dossiers : T-2140-09

T-2141-09

 

Référence : 2010 CF 1287

[TRADUCTION]

ENTRE :

 

THE CHAMBERLAIN GROUP, INC.

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LYNX INDUSTRIES INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

            MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

LE JUGE HUGHES

 

[1]               Les présents motifs concernent deux appels interjetés aux termes de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, à l’encontre de décisions par lesquelles la Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté deux oppositions, produites par la demanderesse (appelante), The Chamberlain Group, Inc., aux demandes d’enregistrement de certaines marques de commerce produites par la défenderesse Lynx Industries Inc. Pour les motifs qui suivent, j’accueille ces appels et je repousse les demandes d’enregistrement.

 

[2]               Le litige met en cause deux demandes d’enregistrement de marque de commerce produites par la défenderesse Lynx le même jour, soit le 21 juillet 2004. Les deux demandes étaient fondées sur un emploi projeté en liaison avec des marchandises décrites comme « ouvre-portes de garage ». Toutes deux ont été annoncées aux fins d’opposition le 12 janvier 2005 et Chamberlain s’est opposée à chacune d’elles en produisant une déclaration d’opposition le 13 juin 2005. Le 19 octobre 2009, une membre de la Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté les deux oppositions, à la suite de quoi les présents appels ont été interjetés.

 

[3]               Il existe un lien étroit entre les deux demandes. La demande n 1224296 vise l’enregistrement du mot LYNXMASTER. La demande no 1 224318 vise l’enregistrement de la marque figurative du mot LynxMaster, telle qu’illustrée ci-dessous :

Cat head and word LynxMaster

 

[4]               La présence de la tête de « chat » ou de « lynx » n’est pas vraiment pertinente. Bien que la défenderesse ait produit le témoignage de son vice-président, Schram, voulant qu’elle ait employé le mot LYNX et le logo de la « tête de chat » avec la plupart de ses produits depuis 1976, il n’y a aucune preuve autre que l’assertion non étayée de Schram au paragraphe 16 de son affidavit que le mot LYNX ou le logo de la « tête de chat » soit devenu bien connu ou que ce logo dominerait une autre marque de commerce tel que le mot LYNXMASTER. Comme l’a signalé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Worldwide Diamond Trademarks Limited c. Association canadienne des bijoutiers, 2010 CAF 326, un test en matière de confusion peut être fait en fonction de la « forme sonore » des mots lorsque la partie graphique est jugée non prédominante, comme dans le cas présent.

           

La procédure d’opposition

[5]               Le 13 juin 2005, Chamberlain a produit des déclarations d’opposition pour ces deux demandes. Comme c’est malheureusement souvent le cas lors de procédures d’opposition, Chamberlain a soulevé de nombreux motifs d’opposition. Les motifs les plus solides étaient ceux qui étaient liés à la confusion, à savoir la confusion avec les marques de commerce déposées précédemment par Chamberlain sous les numéros d’enregistrement LMC 370670 pour les mots LIFT MASTER et LMC 330535 pour les mots GARAGE MASTER, tous deux pour des ouvre-portes de garage. La confusion a également été alléguée à l’égard de l’emploi antérieur et continu au Canada, par Chamberlain, du mot LIFTMASTER en liaison avec les ouvre-portes de garage. Je conviens avec la membre, comme elle l’a signalé au paragraphe 21 de ses motifs, que les consommateurs ne percevraient pas les mots LIFT MASTER et LIFTMASTER comme deux marques distinctes; ils sont interchangeables. On peut commodément les appeler collectivement LIFTMASTER. Je juge que les preuves révèlent que Chamberlain fait habituellement usage de ce mot avec des lettres majuscules et minuscules comme dans LiftMaster.

 

[6]               La membre était d’avis qu’il y avait abondance d’éléments de preuve indiquant l’emploi de la marque de commerce LIFTMASTER par Chamberlain depuis au moins 1990. Entre les années 2000 et 2005, les ventes annuelles étaient de 90 000 à 140 000 unités. Il y avait également une abondance d’éléments de preuve concernant la publicité de la marque LIFTMASTER faite par Chamberlain pendant la période pertinente. En 2004, un montant supérieur à un million de dollars (1 000 000,00 $) a été déboursé pour la publicité au Canada. LIFTMASTER détient une part considérable du marché. Selon la façon de calculer, l’avocat de Chamberlain soutient qu’elle pourrait représenter entre 33 % et 65 % du marché. La membre a affirmé à juste titre au paragraphe 38 de ses motifs que Chamberlain avait acquis une réputation grâce à l’emploi ou la publicité de la marque et que, au moment de ses motifs, les ventes au Canada avaient dépassé les 670 000 unités.

 

[7]               Il n’y a aucune preuve relative à la vente de produits GARAGE MASTER par Chamberlain. De toute évidence, cette marque n’est pas mise en valeur au Canada par Chamberlain.

 

[8]               La membre, aux paragraphes 36 à 41 de ses motifs, a tiré la conclusion que Chamberlain a fait un grand usage de la marque de commerce LIFTMASTER et a aussi fait énormément de publicité pour celle-ci avant la date où les demandes d’enregistrement des marques LYNXMASTER et LynxMaster et dessin ont été produites par Lynx. Elle a conclu que les marchandises sont les mêmes, à savoir des ouvre-portes de garage. Elle a aussi conclu que les voies de commercialisation empruntées sont semblables, voire identiques.

 

[9]               Il y avait des preuves, ainsi que l’indique la membre aux paragraphes 45 à 51 de ses motifs, d’un usage par des tiers de marques de commerce ou de noms commerciaux portant le mot MASTER, tels que DOORMASTER pour la vente de portes et de matériaux de construction, mais ces preuves étaient insuffisantes, non concluantes et étaient constituées en grande partie de ouï-dire.

 

[10]           Le fondement essentiel de la décision de la membre est énoncé aux paragraphes 42 et 43 de ses motifs en ce qui concerne l’alinéa 6(5)e) de la Loi sur les marques de commerce, « degré de ressemblance » :

al. 6(5)e):

 

[42]     S’agissant du degré de ressemblance, les marques doivent être considérées dans leur ensemble; il est inexact de placer les marques de commerce côte à côte et de comparer et observer les ressemblances ou les différences entre leurs éléments ou leurs composantes. Néanmoins, le premier élément d’une marque est souvent considéré comme celui qui sert le plus à établir son caractère distinctif [Conde Nast Publications Inc. c. Union des éditions modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.) et Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)]. De plus, lorsqu’un mot est courant et descriptif, il a droit à une protection plus étroite qu’un mot inventé ou unique.

 

[43]     En général, les marques sont nettement différentes sur le plan de la présentation, le son et les idées qu’elles suggèrent. Bien que chacune des marques comprenne un mot à une seule syllabe commençant par la lettre L suivie du mot MASTER, leurs différences sont plus importantes que leurs ressemblances. En particulier, les plus grandes différences entre les mots LIFT et LYNX dans la présentation et dans le son, mais plus important encore, dans les idées qu’elles suggèrent, neutralisent toute ressemblance entre ces marques. Bien que les marques aient en commun le mot MASTER, cette caractéristique commune n’est pas la partie dominante de la marque de la Requérante. De plus, le mot MASTER est un mot courant du dictionnaire qui évoque une proposition élogieuse. Même si l’Opposante a fait remarquer que la nature descriptive du mot MASTER varie selon qu’elle est employée à titre de nom ou d’adjectif, je considère cet argument comme étant trop sémantique et non déterminant quant au degré de ressemblance entre les marques.

 

[11]           En ce qui concerne « les autres circonstances de l’espèce » et tout particulièrement l’emploi de MASTER par des tiers, la membre a écrit au paragraphe 50 de ses motifs :

[50]     Compte tenu de ce qui précède, je peux seulement conclure que l’Opposante n’est pas seule à employer le mot MASTER dans son domaine général. Je ne peux conclure que le mot MASTER a été suffisamment employé par des tiers pour permettre aux Canadiens de faire la distinction entre deux marques contenant ce mot. Quoi qu’il en soit, étant donné la nature élogieuse du mot, les consommateurs canadiens seraient vraisemblablement attirés vers les autres caractéristiques de ces marques.

 

 

[12]           La membre a traité d’autres questions dans ses motifs, dont la famille de marques (paragraphes 52 et 53), l’effet, s’il en est, de la décision rendue dans une opposition américaine parallèle (paragraphe 54) et l’emploi du mot LYNX, seul, par la requérante (paragraphe 55 et 56). Sa décision sur les motifs d’opposition fondés sur l’article 16 était dépendante de sa façon de trancher la question liée à l’alinéa 12(1)d), à savoir s’il y a confusion entre LYNXMASTER et LIFTMASTER (paragraphes 59 à 61). La notion de caractère distinctif a été traitée de même (paragraphe 62 et 63). L’opposition fondée sur l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce a été rejetée (paragraphes 64 à 68).

 

[13]           Enfin, la question substantielle était de savoir s’il y avait une probabilité de confusion entre LIFT MASTER, déjà enregistré et employé par Chamberlain pour des ouvre-portes de garage, et LYNXMASTER ou LynxMaster et dessin, marques projetées pour un emploi en liaison avec les mêmes marchandises. Les marques LYNXMASTER n’ont pas encore été employées au Canada. La membre a conclu qu’il n’y aurait pas de probabilité de confusion. D’où les présents appels.

 

Questions en litige

[14]           Dans son mémoire des faits et du droit, Chamberlain a soulevé les questions suivantes, qu’elle désigne comme étant « le fond du litige » :

a.       Les nouveaux éléments de preuve produits par Chamberlain dans le cadre des présents appels ont-ils une incidence sur les constatations de fait de la membre de la Commission des oppositions?

b.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

c.       La décision de la membre était-elle manifestement erronée?

d.      Les nouveaux éléments de preuve, combinés à ceux déjà soumis à la Commission des oppositions, appuient-ils une conclusion de confusion entre LYNXMASTER (et dessin) et LIFTMASTER (et la marque déposée LIFT MASTER)?

 

[15]           Dans son plaidoyer écrit, Chamberlain soulève une autre question :

5.                  Quel est l’effet, s’il en est, de la décision rendue par la United States Trademark Trial and Appeal Board (US TTAB)?

 

[16]           Dans son plaidoyer oral, l’avocat de Chamberlain a soulevé une question qu’il n’a que brièvement abordée dans son plaidoyer écrit :

6.                  Les demandes devraient-elles être repoussées compte tenu de l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce parce qu’elles n’ont pas été produites de bonne foi?

 

QUESTION 1 :          Les nouveaux éléments de preuve

[17]           Dans les présents appels, Chamberlain a produit de nouveaux éléments de preuve, soit les affidavits supplémentaires d’Anderson, vice-président à la commercialisation de Chamberlain, et de Weidrick, directeur de comté (Canada) de Chamberlain. Tous deux avaient produit des affidavits dans le cadre de la procédure d’opposition. Les deux ont été contre-interrogés sur leurs nouveaux affidavits.

 

[18]           La preuve supplémentaire d’Anderson était censée corriger des lacunes notées par la membre dans ses motifs, particulièrement au paragraphe 24, où le manque d’exemples de publicité était mentionné. Cet affidavit fournissait aussi des chiffres des dépenses publicitaires plus précis. Anderson ajoutait également un supplément d’information aux chiffres de vente déclarés en lien avec la vente d’« accessoires et de télécommandes »; par exemple, dans le cas d’un ouvre-porte de garage d’un condominium, un certain nombre de télécommandes est requis pour chacun des propriétaires.

 

[19]           À cet égard, la membre était au courant, par la preuve déjà versée au dossier d’opposition, des ventes de produits LIFTMASTER et de la part de marché en jeu. Elle fait des remarques sur ce point aux paragraphes 22 à 26 de ses raisons. Elle conclut ceci au paragraphe 38 :

[38]     Seule l’Opposante a établi que sa marque a acquis une certaine réputation par l’emploi ou la promotion. À cet égard, précisons que plus de 670 000 produits LIFT MASTER ont été vendus au Canada à ce jour.

 

[20]           La nouvelle preuve de Wiedrick portait sur les ventes et la réputation des ouvre-portes de garage LIFTMASTER et de ses produits annexes comme les télécommandes d’ouvre-porte de garage. Elle visait aussi à réfuter la preuve produite par Chamberlain à la Commission des oppositions, preuve indiquant que l’agente de marques de commerce représentant Chamberlain, Brady, aurait fait quelques appels téléphoniques à des entreprises ayant le mot MASTER dans leur nom commercial. Certaines réponses à ces appels indiquaient que les entreprises vendaient des produits LIFTMASTER et dans un cas ou deux, qu’elles vendaient des produits LYNXMASTER. Wiedrick  a déclaré que c’était impossible puisque, à sa connaissance, les produits LYNXMASTER n’ont jamais été en vente au Canada. Cet élément de preuve est particulier, car Chamberlain souhaite en effet réfuter sa propre preuve.

 

[21]           Je conclus que le témoignage de Brady n’a aucune valeur. Son récit des conversations téléphoniques avec des personnes dont l’identité n’est pas spécifiquement indiquée et qui peut-être ne savaient pas de quoi elles parlaient, n’a aucune valeur. Il est inutile de réfuter cette preuve.

 

[22]           En ce qui concerne le témoignage de Mme Brigant, qui a mené une recherche dans le registre des marques de commerce afin de trouver les enregistrements contenant le mot MASTER, la membre a conclu, avec raison, qu’il ne permettait pas d’étayer une quelconque conclusion sur l’état du marché (paragraphe 47 de ses motifs).

 

[23]           La membre, au paragraphe 48 de ses motifs, traite du témoignage de Schram dans lequel il ne relevait que deux entreprises avec le mot MASTER dans leur nom commercial qui vendent des ouvre-portes de garage. Il s’agit là encore d’une preuve non concluante et constituée en grande partie de ouï-dire.

 

[24]           La conclusion, tirée par la membre au paragraphe 50 de ses motifs, concernant l’emploi de MASTER dans ce qu’elle désigne le « domaine général », est loin d’être appuyée par une preuve solide. La conclusion que vu la « nature élogieuse » de la marque, l’attention des consommateurs serait probablement attirée par d’autres caractéristiques, n’est nullement corroborée par la preuve. Il est inutile de renvoyer à la nouvelle preuve produite aux présents appels.

 

 

 

 

QUESTION 2 :          Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[25]           La membre a conclu à juste titre, au paragraphe 17 de ses motifs, qu’une fois que l’opposante, Chamberlain, a établi les faits sur lesquels elle appuie ses motifs d’opposition, c’est à Lynx qu’incombe le fardeau ultime de montrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’enregistrement de ses demandes devrait être autorisé. Elle a écrit :

Fardeau de preuve

 

[17]     Il incombe à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande respecte les exigences de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la « Loi »). Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), p. 298].

 

 

[26]           La présente instance a été engagée par voie d’appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce. L'alinéa 300d) des Règles des Cours fédérales prévoit que l’appel doit être introduit par voie de demande. Au paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce, une disposition inusitée prévoit que, lors de l’appel, une preuve en plus de celle qui a été fournie devant la Commision des oppositions (registraire) peut être apportée et que le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

56(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

 

 

[27]           On note une certaine confusion à l’égard du fardeau de preuve dans le cadre d'un tel appel, essentiellement parce que celui-ci, particulièrement avec les nouveaux éléments de preuve, ressemble énormément à une demande. L'appel n’est pas un contrôle judiciaire. La Cour peut procéder à un nouvel examen de l’affaire. Il ne s’agit pas de renvoyer l’affaire à la Commision des oppositions afin qu’elle se prononce à nouveau, comme on le ferait lors d’un contrôle judiciaire.

 

[28]           À la Cour d’appel fédérale, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême) a défini, au paragraphe 51 de l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, l’approche généralement admise :

[51]     Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges c. St. Regis et McDonald c. Silcorp est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans, la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

[29]           Plus récemment, le juge Martineau a adéquatement fait état de la question dans sa décision Brouillette Kosie Prince c. Orange Cove-Sanger Cirtus Assn, 2007 CF 1229, au paragraphe 9 :

9     Il n’est pas contesté que lorsque, lors d’un appel, on n’a déposé aucune nouvelle preuve qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, que la question en litige soit une question de fait ou une question mixte de droit et de fait (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, [2000] A.C.F. no 159 (C.A.F.) (QL); Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg, 2005 CAF 99, [2005] A.C.F. no 485 (C.A.F.) (QL); Fairweather Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248, [2006] A.C.F. no 1573 (C.F.) (QL)). Toutefois, lorsque la Cour est saisie d’une preuve additionnelle qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit trancher la question de novo après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dont elle dispose. Ainsi, la Cour substituera sa propre opinion à celle du registraire sans qu’il lui soit nécessaire de trouver une erreur dans le raisonnement de ce dernier. Afin de déterminer si la nouvelle preuve suffit à justifier une décision de novo, la Cour doit examiner la mesure dans laquelle la preuve additionnelle a une force probante plus grande que celle des éléments dont disposait le registraire. Si les nouveaux éléments ont peu de poids et ne consistent qu’en une simple répétition de la preuve déjà présentée, sans accroître la force probante de celle-ci, la question sera de savoir si la décision du registraire peut survivre à un examen assez poussé.

 

 

[30]           La locution « examen assez poussé » est tirée des motifs écrits par le juge Binnie de la Cour suprême du Canada dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 40 :

40     Compte tenu, en particulier, de l’expertise de la Commission et du rôle d’« appréciation » que lui impose l’art. 6 de la Loi, je suis d’avis que, malgré l’octroi d’un droit d’appel absolu, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission ne commande pas la grande retenue dont il faut faire preuve, par exemple, à l’égard de l’exercice ministériel d’un pouvoir discrétionnaire, auquel s’applique habituellement la norme du caractère manifestement déraisonnable (p. ex. S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, par. 157), mais la Commission n’est pas tenue non plus de satisfaire à la norme de la décision correcte, comme si elle tranchait une question de droit de portée générale qui peut être isolée (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 26). Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans Ryan, par. 46, la norme intermédiaire (celle du caractère raisonnable) signifie qu’« [u]ne cour sera souvent obligée d’accepter qu’une décision est raisonnable même s’il est peu probable qu’elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal. »  La question est de savoir si la décision de la Commission est étayée par des motifs qui peuvent résister « à un examen assez poussé » et si elle n’est pas « manifestement erronée » : Southam, par. 56 et 60.

 

 

[31]           Bref, dans un appel, peu importe qu’une preuve additionnelle ait été produite, la décision de la Commission des oppositions doit être soumise à un examen assez poussé. Si une nouvelle preuve modifie de façon significative les conclusions de fait de la Commission, la Cour doit alors trancher la question de novo. Tout au long de l’instance, la requérante assume, en cas de doute, le fardeau d’établir que sa demande n’est pas source de confusion.

 

[32]           L’avocat de Chamberlain a renvoyé à l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale Masterpiece Inc. c. Alavido Lifestyles Inc., 2009 CAF 290 (présentement en appel à la Cour suprême du Canada) pour le principe énoncé aux paragraphes 33 et 34 voulant qu’une analyse inacceptable quant à la confusion puisse être examinée selon la norme de la décision correcte. Or il ne s’agissait pas, dans cette affaire, de l’appel d’une décision de la Commission, mais d’une procédure de radiation d’enregistrement engagée devant la Cour fédérale. L’assertion selon laquelle une question de droit est assujettie à la norme de la décision correcte est inattaquable. Toutefois, il reste à savoir si l’erreur commise constituait ou non une erreur de droit.

 

QUESTION 3 :          La décision de la membre était-elle manifestement erronée?

 

QUESTION 4 :          Les nouveaux éléments de preuve, combinés à ceux déjà soumis à la Commission des oppositions, appuient-ils une conclusion de confusion?

 

[33]           J’ai traité ces deux points ensemble puisque la question de confusion, telle que tranchée par la membre, doit être soumise à un examen assez poussé.

 

[34]           La question de confusion se rapporte à deux motifs d’opposition différents. L’alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce interdit l’enregistrement d’une marque de commerce s’il y a probabilité de confusion avec une marque déposée existante. En l’espèce, la question est de savoir si LYNXMASTER et LynxMaster et dessin créent de la confusion avec la marque déposée de Chamberlain, LIFT MASTER. Le paragraphe 16(3) interdit à une personne d’enregistrer une marque de commerce projetée, en l’occurrence LYNXMASTER et LynxMaster et dessin, si elle crée de la confusion avec une marque employée existante, dans le cas présent, LIFTMASTER ou LiftMaster.

 

[35]           La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée sur la question de confusion dans deux arrêts : Mattel (Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc.(2006), 1 R.C.S. 772) et Veuve Clicquot (Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824). Dans Mattel, le juge Binnie a rédigé le jugement majoritaire et le juge LeBel a formulé de brefs motifs concordants. Dans Veuve Clicquot, le juge Binnie a écrit l’arrêt unanime de la Cour.

 

[36]           Dans Mattel, la Cour suprême s’est attachée à l’état d’esprit de la personne qui serait susceptible ou non de confondre des produits. Le juge Binnie a conclu, au paragraphe 58, que ce serait un consommateur occasionnel, ordinaire et plutôt pressé :

58     De toute évidence, le consommateur ne prend pas chacune de ses décisions d’achat avec la même attention, ou absence d’attention. Il prend naturellement plus de précautions s’il achète une voiture ou un réfrigérateur, que s’il achète une poupée ou un repas à prix moyen : General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678. Dans le cas de l’achat de marchandises ou de services ordinaires de consommation courante, ce consommateur mythique, quoique d’intelligence moyenne, est généralement en retard sur son horaire et a plus d’argent à dépenser que de temps à perdre à se soucier des détails. Dans certains marchés, il conviendra de présumer le bilinguisme fonctionnel de cette personne : Four Seasons Hotels Ltd. c. Four Seasons Television Network Inc. (1992), 43 C.P.R. (3d) 139 (C.O.M.C.). Pour ces consommateurs mythiques, l’existence des marques de commerce ou des noms commerciaux accélère et facilite les décisions d’achat. Le droit reconnaît que, lorsque la nouvelle marque de commerce accroche leur regard, ils n’ont qu’un souvenir général et assez vague de la marque antérieure, aussi célèbre soit‑elle ou, ainsi qu’il est dit dans Coca‑Cola Co. of Canada Ltd. c. Pepsi‑Cola Co. of Canada Ltd., [1942] 2 D.L.R. 657 (C.P.), ils s’en souviennent comme le ferait [traduction] « une personne dont la mémoire n’est ni bonne ni mauvaise, avec ses imperfections habituelles » (p. 661). La norme applicable n’est pas celle des personnes [traduction] « qui ne remarquent jamais rien », mais celle des personnes qui ne prêtent rien de plus qu’une [traduction] « attention ordinaire à ce qui leur saute aux yeux » : Coombe c. Mendit Ld. (1913), 30 R.P.C. 709 (Ch. D.), p. 717. Or, si ces consommateurs occasionnels ordinaires plutôt pressés sont susceptibles de se méprendre sur l’origine des marchandises ou des services, le critère prévu par la loi est rempli.

 

 

[37]           Le juge Binnie a repris ce test dans Veuve Clicquot au paragraphe 20 :

20     Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202 :

 

[traduction] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu’il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

 

[...] les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d’empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque.

 

(Citant,entre autres, Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

 

 

[38]           En prenant cette personne hypothétique comme standard en matière de confusion, l’article 6 de la Loi sur les marques de commerce oblige la cour à examiner la confusion, non pas en recherchant si oui ou non elle se présente, mais plutôt si elle est « susceptible » de se présenter. Le paragraphe 6(2) est rédigé comme suit :

 

6(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

6(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

[39]           Le paragraphe 6(5), qui contient certains critères pour un tel examen, dicte que l’on doit tenir compte de « toutes les circonstances de l’espèce », y compris les cinq circonstances énumérées. Dans Mattel et Veuve Clicquot, le juge Binnie a précisé que selon les circonstances, certains critères auront plus de poids que d’autres. Au paragraphe 73 de Mattel il a écrit :

 

73    […] le principe portant que « toutes les circonstances de l’espèce » doivent être prises en considération, mais que, dans certains cas, certaines circonstances […] auront plus de poids que d’autres, est bien fondé.

 

 

[40]           Le juge Binnie tient les mêmes propos dans Veuve Clicquot au paragraphe 27:

 

27     La liste établie au par. 6(5) n’est manifestement pas exhaustive. Il se peut que certains des facteurs énumérés ne soient pas particulièrement pertinents dans un cas précis et, de toute façon, leur importance variera en fonction de « toutes les circonstances de l’espèce ». La célébrité d’une marque n’est pas, comme telle, l’une des circonstances énumérées (même si elle est implicite dans trois d’entre elles, à savoir le caractère distinctif inhérent, la mesure dans laquelle une marque est devenue connue et la période pendant laquelle elle a été en usage). Il ne fait aucun doute que la célébrité d’une marque (ou sa force) est une circonstance très importante à cause de l’influence que les marques célèbres exercent sur l’esprit du public. Cette introduction faite, j’examinerai maintenant chacun des critères énumérés dans la loi.

 

 

[41]           Dans les circonstances de l’espèce, il n’est pas contesté que les marchandises, à savoir des ouvre-portes de garage, sont identiques et que les voies de commercialisation empruntées pour les vendre ne diffèrent pas. Il n’est pas contesté que le produit LIFTMASTER de Chamberlain était sur le marché canadien depuis au moins quinze ans avant que ne soient produites les demandes de Lynx, et que, malgré les objections sans importance soulevées dans la plaidoirie de l’avocate de Lynx, le produit LIFTMASTER de Chamberlain a connu du succès dans les ventes, acquis une grande part de marché et fait objet d’une importante publicité. Il n’y a aucune preuve établissant que le produit LYNXMASTER a déjà été en vente au Canada. Les deux marques de commerce se ressemblent beaucoup. Elles se différencient seuleument par trois lettres dans la graphie des marques : L***MASTER ou comme on le voit souvent, L***Master. La preuve d’usage d’une quelconque marque contenant le mot « MASTER » par des tiers est mince et constituée en grande partie de ouï-dire. Il n’existe aucune marque pertinente déposée par un tiers contenant le mot MASTER en lien avec des ouvre-portes de garage ou une marchandise similaire.

 

[42]           L’essentiel de la décision de la membre de la Commission, figure aux paragraphes 42 et 43 de ses motifs, cités précédemment. Elle a commencé en disant, à juste titre, que les marques devaient être examinées comme un tout. Toutefois, la membre a ensuite commis une erreur en disséquant les marques et en décidant, sans preuve à l’appui, que le mot MASTER évoque une proposition élogieuse. Elle ne compare ensuite que LIFT et LYNX, sans tenir compte du reste des marques.

 

[43]           La preuve démontre que la marque de commerce LIFTMASTER ou LiftMaster a été grandement employée et annoncée au Canada, dans sa totalité, en liaison avec les ouvre-portes de garage. La nouvelle venue LYNXMASTER ou LynxMaster avec une tête de chat ou de lynx n’a jamais été employée. Il n’y a pas d’autre enregistrement important contenant le mot MASTER. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, et sans disséquer les marques, il existe une probabilité de confusion pour le consommateur ordinaire possédant un souvenir imparfait.

 

[44]           Les deux avocats m’ont cité diverses décisions de la Commission des oppositions et des tribunaux qui traitent de marques contenant le mot « MASTER ». Aucun précédent n’a été établi clairement. Chacune des situations doit être examinée selon ses propres circonstances (voir p. ex. Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 CPR (2d) 145, au paragraphe 52 (CF)).

 

[45]           Une affaire type, à laquelle l’avocate de la défenderesse a renvoyé dans sa plaidoirie, est la décision Great Atlantic & Pacific Co. of Canada c. Effem Foods Ltd. (1993), 49 C.P.R. (3d) 277, rendue par la Commission des oppositions des marques de commerce. Dans cette affaire, Effem voulait enregistrer la marque MASTERFOODS et dessin pour certains produits alimentaires. Il y a eu opposition de la part de A&P qui avait déjà produit une demande d’enregistrement pour les marques MASTER CHOICE et MASTER CHOICE et dessin. Le membre a repoussé la demande d’Effem en rappelant que le test en matière de confusion était une question de première impression et de vague souvenir. Puisque les marchandises et les marques étaient similaires, que lui-même était dans le doute quant à la confusion et que le fardeau de preuve incombait à la requérante, la demande a été repoussée. Le membre (Martin) a écrit, entre autres :

 

[TRADUCTION] Au vu de ce qui précède, la décision concernant le premier motif d’opposition dépend de la question de confusion entre les marques des parties, la marque la plus pertinente de l’opposante étant MASTER CHOICE. La date pertinente pour examiner les circonstances concernant la question de confusion est la date de production de la demande de la requérante, conformément au libellé du paragraphe 16(3) de la Loi. De plus, c’est à la requérante qu’incombe le fardeau de démontrer l’absence de probabilité raisonnable de confusion entre les marques en litige. Enfin, pour appliquer le test en matière de confusion énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi, il faut examiner toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles expressément prévues au paragraphe 6(5) de la Loi.

 

La marque projetée de la requérante, MASTERFOODS et dessin, possède un caractère distinctif, mais elle n’est pas une marque forte. La composante FOODS a fait l'objet d'un désistement puisqu’elle nomme la catégorie générale de la marchandise de la requérante. Le mot MASTER est ici utilisé comme adjectif, ce qui lui donne une certaine connotation élogieuse quant à la qualité des aliments de la requérante. Bien que l’affidavit de Owen fasse mention d’un emploi de la marque MASTERFOODS et dessin en Australie, aucune preuve ne démontre qu’elle avait acquis une réputation au Canada à la date pertinente.

 

La marque de l’opposante, MASTER CHOICE, possède un caractère distinctif, mais, tout comme la précédente, elle n’est pas très forte. Elle est également élogieuse puisqu’elle évoque que choisir les produits alimentaires de l’opposante serait le meilleur des choix. Aucune preuve ne démontre que la marque de l’opposante avait acquis une réputation au Canada à la date pertinente.

 

[...]

 

En ce qui concerne l’alinéa 6(5)e) de la Loi, j'estime qu’il existe, à tous les égards, un degré de ressemblance assez élevé entre les marques des parties. Chacune des marques comprend le mot MASTER suivi d’une composante sans caractère distinctif et formée d’une syllabe.

 

La requérante soutient que la preuve de l’état du registre introduite par l’affidavit de Messer atténue l’effet d’une quelconque ressemblance entre les marques. La preuve de l’état du registre n’a de pertinence que dans la mesure où elle permet de tirer des inférences sur l’état du marché : voir la décision en matière d’opposition Ports International Ltd. c. Dunlop Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3d) 432, et la décision del Monte corporation c. Welch Foods Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 (CFPI). La décision récente Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. (1992), 43 C.P.R. (3d) 349 (CAF), qui vaut également la peine d’être soulignée, vient étayer la thèse qu’on ne peut tirer d’inférences sur l’état du marché que si la preuve de l’état du registre contient un grand nombre d’enregistrements pertinents.

 

Mon examen de l’affidavit de Messer révèle qu’au moment de sa recherche 42 enregistrements étaient inscrits au nom de 32 propriétaires de marques pour divers produits alimentaires comprenant le mot MASTER. Toutefois, seulement onze de ces enregistrements (inscrits au nom de neuf propriétaires différents) ont pour première composante le mot MASTER, comme les marques en litige. De plus, seulement six de ces enregistrements sont pour des marchandises en lien avec celles qui sont en cause en l’espèce.

 

En absence de preuve d’emploi, la présence de seulement six enregistrements dans le registre débutant par le mot MASTER pour des marchandises connexes n’est pas suffisante pour me permettre de conclure à l’emploi notable de l’une ou l’autre de ces marques. Par conséquent, la requérante n’a pas établi que les consommateurs se sont habitués à voir sur le marché des marques avec le préfixe MASTER pour les marchandises en cause en l’espèce. Étant donné le grand nombre d’enregistrements de marques de commerce comprenant le mot MASTER, généralement pour une vaste gamme de produits alimentaires, je puis conclure que de nombreuses marques étaient employées à la date pertinente. Par conséquent, il m’est permis de conclure que les consommateurs se sont habitués à voir des marques comprenant le mot MASTER, sous une forme nominale, comme deuxième composante pour divers produits alimentaires. Cependant, vu la construction des marques en litige dans le cas qui nous occupe et les marchandises des parties, une telle conclusion n’atténue guère le degré de ressemblance entre les deux marques.

 

[...]

 

Lorsque j'ai appliqué le test en matière de confusion, j’ai pris en considération que c’était une question de première impression et de vague souvenir. En tenant compte des conclusions que j’ai tirées plus haut et surtout des similitudes entre les marchandises, les commerces et les marques des parties, je demeure dans le doute quant à la question de confusion. Étant donné que le fardeau de preuve incombe à la requérante, je dois résoudre ce doute à son encontre. Par conséquent, le premier motif d’opposition est accueilli et le second n’a pas à être examiné.

 

Compte tenu de ce qui précède, je repousse la demande de la requérante.

 

 

[46]           J’utilise cette affaire pour illustrer les erreurs de droit commises par la membre dans le traitement de la question de confusion dans les circonstances de l’espèce :

                     i.                        Bien qu’elle ait déclaré, avec raison, que les marques devaient être examinées comme un tout, elle les a tout de même disséquées en comparant leurs parties, LIFT, LYNX et MASTER, pour ensuite décider, sans preuve à l’appui (autre qu’une brève mention intéressée dans l’affidavit de Schram), que le mot MASTER était de nature élogieuse et que le mot LYNX possédait un caractère suffisamment distinctif pour permettre une distinction entre LYNXMASTER et LIFTMASTER.

                   ii.                        Elle n’a pas donné suffisamment de poids à la preuve quant aux ventes et à la publicité importantes de LIFTMASTER au Canada depuis quinze ans en comparaison avec l’absence totale de celle-ci pour LYNXMASTER ou LynxMaster et dessin.

                  iii.                        Elle n’a pas tenu suffisamment compte du fait que les marchandises étaient identiques et que les voies de commercialisation empruntées ne seraient pas différentes.

                 iv.                        Elle n’a pas accordé suffisamment d’importance à l’absence d’emploi notable ou d’enregistrement, par un tiers oeuvrant dans le domaine des ouvre-portes de garage, d’une marque composée du mot MASTER.

                   v.                        Elle n’a pas tenu dûment compte du fardeau de preuve qui incombait à la requérante.

 

[47]           La décision de la membre était erronée; elle ne résiste pas à un examen assez poussé. Il existe une probabilité de confusion entre les marques.

 

QUESTION 5 :          La décision de la US TTAB

[48]           Dans son plaidoyer écrit, Chamberlain soutient que la décision de la US TTAB dans l’opposition no 91160673, Chamberlain c. Lynx, envoyée par la poste le 14 décembre 2007, a valeur de précédent. À l’audience que j’ai présidée, l’avocat de Chamberlain n’était pas allé aussi loin. Il a fait valoir qu’il y conviendrait de s’y reporter et de lui reconnaître une valeur persuasive. La décision constate la confusion entre LYNX MASTER et LIFT MASTER.

 

[49]           Plusieurs décisions des tribunaux canadiens citent les jugements prononcés par des tribunaux judiciaires et administratifs étrangers dans des affaires similaires sans jamais, toutefois, les considérer comme des précédents. Il convient de souligner que le tribunal américain lui-même dit que cette décision [TRADUCTION] « n’est pas un précédent ». Bien sûr, il peut arriver qu’un tribunal canadien trouve utile de citer des déclarations faites dans le cadre de telles décisions pour décrire une affaire dont il est saisi ou un principe de droit à appliquer. Nos tribunaux ne sont pas à ce point xénophobes qu’ils rejettent d’emblée des décisions étrangères.

 

[50]           En l’espèce, la décision américaine provient d’un tribunal d’un niveau d’instance correspondant à peu près à celui de la Commission des oppositions des marques de commerce. Il n’existe aucune preuve dégageant les similitudes ou les différences entre le droit étranger et le nôtre, susceptible de donner à cette décision une quelconque pertinente en l’espèce.

 

[51]           La membre avait raison de conclure au paragraphe 54 de son jugement que la décision américaine n’avait pas valeur de jurisprudence contraignante et qu’il n’était pas nécessaire de s’y attarder davantage.

 

QUESTION 6 :          Alinéa 30i) : la requérante a-t-elle fait preuve de « mauvaise foi »?

[52]           L’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce, qui oblige le requérant à joindre à sa demande d’enregistrement de marque de commerce une déclaration portant qu’il est convaincu qu’il a le droit d’employer la marque au Canada, est rédigé comme suit :

30. Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[...]

i)    une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande.

30. An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing

 

[...]

(i)  a statement that the applicant is satisfied that he is entitled to use the trade-mark in Canada in association with the wares or services described in the application.

 

[53]           Cette disposition est parfois invoquée par la partie opposante à un enregistrement qui l’interprète comme une obligation imposée au requérant d’agir de bonne foi. Ce pourrait bien être le cas dans une situation où le requérant, en toute connaissance de cause, essaie simplement de s’approprier la marque d’un autre. Cependant, d’autres facteurs s’appliquent quand le litige porte plutôt sur la confusion. Lorsqu’une marque faisant l’objet d’une demande ne crée pas de confusion avec une autre marque, aucune mauvaise foi ne peut créer de confusion. De même, si une marque crée de la confusion, la notion de bonne ou de mauvaise foi n’est pas pertinente.

 

[54]           Le fardeau de preuve initial repose sur l’opposant qui doit établir si le requérant aurait pu être convaincu d’être en droit d’utiliser la marque (Procter & Gamble Inc. c. Colgate-Palmolive Canada Inc. (2010), 81 C.P.R. (4 th) 343, aux paragraphes 28 à 33 CFC)). Dans la procédure d’opposition, la requérante Lynx a produit à la Commission des oppositions l’affidavit de son vice-président Schram, dans lequel il était énoncé, entre autres, que Lynx n’avait pas présenté la demande de mauvaise foi (paragraphe 8) et qu’elle n’avait jamais voulu créer de confusion (paragraphe 10). Schram n’a pas été contre-interrogé et Chamberlain n’a pas produit d’affidavit venant réfuter ces déclarations.

 

[55]           À l’audience que j’ai présidée, l’avocat de Chamberlain a tenté de convaincre la Cour, par voie d’allégations et d’inférences, que la demande de Lynx devait néanmoins avoir été produite de mauvaise foi. Dans les circonstances de l’espèce, je ne suis pas disposé à admettre de telles allégations ou à tirer de telles inférences, en particulier parce que Chamberlain a omis de procéder à un contre-interrogatoire et de produire une preuve pertinente à l’appui de ses prétentions.

 

[56]           La question à trancher dans cette affaire est la question de la confusion et non celle de la « mauvaise foi ».


Dispositif et dépens

[57]           Par conséquent, les deux marques de commerce qui font l’objet de la demande contestée créent de la confusion avec les marques déjà enregistrées et employées par Chamberlain. Les appels doivent être accueillis et les demandes d’enregistrement repoussées.

 

[58]           Habituellement, la partie qui a gain de cause a droit aux dépens; toutefois, en l’espèce, Chamberlain a changé d’avocat à quelques semaines de l’audience. Ce n’est qu’à l’audience même que le nouvel avocat a produit un nouveau plaidoyer écrit, sans avoir avisé l’avocate de la défenderesse. Après avoir entendu l’avocat de la demanderesse, la Cour a dû suspendre l’audience pour une semaine afin de reprendre les débats dans une ville plus près de celle de l’avocate de la défenderesse et de lui donner le temps de produire un plaidoyer écrit modifié. À cause des frais engagés inutilement, je n’accorderai pas les dépens à la demanderesse Chamberlain, même si elle a obtenu gain de cause.

 

[59]           J’adjugerai des dépens de 500,00 $ à la défenderesse pour les dépenses se rapportant au retrait du dossier d’un affidavit produit par Chamberlain, conformément à une ordonnance de la Cour rendue le 7 juin 2010, pour les motifs évoqués lors d’une discussion avec les avocats à l’audience.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Toronto (Ontario)

Le 20 décembre 2010

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, L.L.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-2140-09 et T-2141-09

 

INTITULÉ :                                       THE CHAMBERLAIN GROUP, INC. c.

                                                            LYNX INDUSTRIES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Le 8 et le 15 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉS :                                      LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Guy Potvin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Karen Groulx

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miltons IP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Pallett Valo LLP

Avocats

Mississauga (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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