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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101123

Dossier : IMM-1748-10

Référence : 2010 CF 1176

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 23 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

 

JERONIMO OCAMPO LOPEZ

 

 

 

demandeur

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen adulte du Mexique. Il a fui le Mexique pour se rendre au Canada où il a demandé l’asile. La demande a été examinée par un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui, dans une décision datée du 2 mars 2010, a rejeté la demande. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. J’accueille la demande et je renvoie l’affaire à un autre commissaire pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier. 

 

[2]               Les faits pertinents de la présente affaire ne sont pas contredits. La crédibilité n’est pas mise en doute. Le demandeur a été témoin d’une transaction de stupéfiants, un soir, alors qu’il se trouvait près de chez lui. Il a signalé cet événement aux représentants du ministère public. Quelques jours plus tard, le demandeur a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menace. Peu après, il a été agressé par certains des hommes qui avaient participé à la transaction de stupéfiants. Les voisins sont intervenus et la police est arrivée. Un compte rendu de l’incident à été donné à la police qui a promis de s’occuper de l’affaire. Il ne s’est rien passé. Le demandeur, en compagnie de sa famille, s’est enfui à Mexico, puis dans une autre ville du Mexique. Les appels téléphoniques de menace ont persisté. Le demandeur s’est ensuite enfui au Canada. Son épouse et son enfant, en raison de leurs moyens limités, se sont rendus aux États-Unis.

 

[3]               La question soulevée en l’espèce porte sur le caractère adéquat de la protection de l’État. Je suis convaincu que, dans les circonstances, le demandeur a fait de son mieux pour faire part aux autorités des menaces et de l’agression et pour chercher refuge ailleurs au Mexique.

 

[4]               Le commissaire a estimé que, dans l’ensemble, le Mexique tente de corriger les problèmes de corruption et de lacunes et que la protection de l’État y est adéquate, même si elle n’est pas parfaite. Le commissaire a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté à l’aide d’une preuve claire et convaincante la présomption relative à la protection de l’État.

 

[5]               Compte tenu du dossier dont disposait le Commission en l’espèce, je conclus que la décision du commissaire n’était pas bien fondée en droit et n’était pas raisonnable.

 

[6]               D’abord, quant aux questions de droit, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit  au paragraphe 38 de l’arrêt Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, en réponse à une question certifiée :

 

38.    Je répondrais comme suit aux questions certifiées :

 

Le réfugié qui invoque l’insuffisance ou l’inexistence de la protection de l’État supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu’il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l’insuffisance ou de l’inexistence de ladite protection.

 

[7]               En l’espèce, le commissaire a confondu la question de la qualité de la preuve qui doit être « claire et convaincante », avec la question de la norme de preuve qui est « la prépondérance des probabilités » habituelle. Par conséquent, des éléments de preuve vagues comme des appels téléphoniques ou des documents introuvables ne peuvent peut-être pas servir de « preuve claire et convaincante » tandis que, comme c’est le cas en l’espèce, un rapport émanant d’un organisme comme Amnistie Internationale ou d’une agence de presse comme Reuters ou du Wall Street Journal peut servir de preuve claire et convaincante. Si une « preuve claire et convaincante » est soumise, celle-ci doit être évaluée selon « la prépondérance des probabilités ».

 

[8]               Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État qui doit être prise en compte. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection. Je reprends mes propos énoncés dans Villa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 1229, au paragraphe 14 :

 

14.     L’avocat des demandeurs s’est vu accorder la possibilité de présenter des arguments supplémentaires concernant la PRI et il les a présentés par écrit. Il a ainsi mentionné de nombreux rapports tels que ceux publiés par les Nations Unies et les États-Unis ainsi que des décisions de la Cour, notamment Diaz de Leon c. Canada (MCI),  2007 CF 1307, paragraphe 28; Peralta Raza c. Canada (MCI), 2007 CF 1265, paragraphe 10; Davila c. Canada (MCI) 2006 CF 1475, paragraphe 25. Ces décisions ainsi que d’autres décisions de la Cour soulignent que le Mexique est une démocratie émergente, et non une démocratie accomplie, et qu’on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place.

 

[9]               Quant au caractère raisonnable des conclusions, la preuve établit de façon accablante en l’espèce que le Mexique n’offre pas une protection adéquate. La preuve révèle que les organismes d’État qui, selon le commissaire, pourraient offrir une protection, font preuve d’incompétence et d’inefficacité, et sont corrompus.

 

[10]           Quant au rapport de la professeure Hellman, qui est bien loin de contenir des « déclarations générales » étayées par « peu de données empiriques » comme le laissait entendre le commissaire au paragraphe 21 des ses motifs, celui-ci est soigneusement rédigé et est étayé par des renvois à un grand nombre de sources faisant autorité. Le juge Russell, de la Cour, dans sa décision Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205, aux paragraphes 70 à 78, a examiné ce rapport, et a conclu qu’il faisait « autorité » et que la conclusion était « alarmante ».

 

[11]           La décision en cause en l’espèce mérite le type de commentaires formulés par le juge Beaudry dans sa conclusion relative à la protection de l’État au Mexique formulée dans Bautista c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126, aux paragraphes 10 et 11.

 

10.     Selon moi, la Commission a commis une erreur à deux égards en arrivant à sa conclusion. D’abord, elle a apprécié la preuve concernant les critiques de l’efficacité de la loi au regard de la preuve concernant les mesures prises pour traiter les problèmes de violence conjugale. Cela ne suffit pas à justifier une conclusion d’existence de la protection de l’État; on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place (A.T.V. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1229, 75 Imm. L.R. (3d) 215, au paragraphe 14).

 

11.     Deuxièmement, bien que la Commission tienne compte de la preuve contradictoire, elle ne dit pas vraiment pourquoi elle estime que cette preuve n’est pas pertinente (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 F.C.R. 237, au paragraphe 28). La Commission ne dit pas comment cette preuve a été appréciée au regard de celle de la demanderesse selon laquelle elle a demandé l’aide du ministère public mais que celui-ci a refusé pour diverses raisons. De plus, plusieurs des documents invoqués par la Commission contiennent des parties qui nous amèneraient à tirer une conclusion différente et ils ne sont pas vraiment pris en compte.

 

[12]           La demande est accueillie et la décision est renvoyée pour nouvel examen à un autre agent qui devra appliquer la norme juridique appropriée et donner plein effet à tous les éléments de preuve au dossier.

 

 

 


JUGEMENT

Pour les motifs qui suivent :

1.                  la demande est accueillie;

2.                  la décision datée du 2 mars 2010 rendue par le commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen;

3.                  aucune question n’est certifiée;

4.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1748-10

 

INTITULÉ :                                       JERONOMO OCAMPO LOPEZ

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 23 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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