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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101101

Dossier : IMM-52-10

Référence : 2010 CF 1067

Montréal (Québec), le 1er novembre 2010

En présence de madame le juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

SEIF EDDINE KOROGHLI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision d’un agent des visas (l’agent) de l’ambassade de Paris, datée du 2 novembre 2009, rejetant la demande de visa de résident permanent de Seif Eddine Koroghli, un enfant sous tutelle, au motif qu’il n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. L’agent a aussi refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire humanitaire d’octroyer la résidence permanente à cet enfant, ce pouvoir lui étant interdit en vertu du paragraphe 25(2) de la LIPR.

 

LES FAITS

 

[2]               Mme Baya Amiri, citoyenne canadienne et son mari monsieur Mohamed Koroghli, résident permanent, sont tous deux d’origine algérienne.

 

[3]               Mme Baya Amiri se rend en Algérie au début de 2007 afin d’entreprendre des démarches auprès des organismes étatiques en charge de confier ces enfants abandonnés à de nouvelles familles.

 

[4]               De retour à Montréal, un Foyer pour enfants assistés algérien annonce au couple la possibilité de prendre sous tutelle un enfant algérien du nom de Seif Eddine né le 23 octobre 2007 d’un père biologique inconnu et d’une mère biologique ayant abandonné le nourrisson à la naissance.

 

[5]               Les répondants obtiennent la tutelle définitive de l’enfant en janvier 2008. Le 23 janvier 2008, l’enfant leur est physiquement confié. Le 12 février 2008, un acte de tutelle est émis par un tribunal algérien. Les répondants obtiennent également le changement de nom de famille de l’enfant.

 

[6]               En juin, un acte de naissance ainsi qu’un passeport algérien portant le nom de famille Koroghli est émis à l’enfant.

 

[7]               Le 23 août 2008, les répondants obtiennent d’un tribunal algérien une autorisation pour que l’enfant puisse s’établir de manière permanente au Canada avec eux. À ce moment, ceux-ci entreprennent alors des démarches d’immigration au Québec dans la catégorie du regroupement familial.

 

[8]               Une demande de parrainage est déposée au nom de l’enfant avec demande de visa de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial.

 

[9]               La demande est refusée par lettre d’un agent des visas de l’ambassade de Paris le 2 novembre 2009.

 

[10]           Le 5 janvier 2010, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est déposée à l’encontre de cette décision.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

          (1)                        L’agent a-t-il erré en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire humanitaire d’octroyer la résidence permanente?

          (2)                        L’agent a-t-il erré en omettant d’offrir aux répondants la possibilité de s’établir dans une autre province où l’adoption du demandeur serait en théorie possible?

 

POSITION DES PARTIES

 

[11]           Le demandeur soutient principalement que l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant exigeait qu’une fois informé du refus du Québec d’octroyer un certificat de sélection du Québec (CSQ) à l’enfant, l’agent des visas aurait dû offrir aux parents l’opportunité de s’établir ailleurs au Canada, dans une province dans laquelle la législation n’empêchait pas qu’un enfant sous tutelle puisse faire l’objet d’une adoption pleine et entière.

 

[12]           Cette obligation pour l’agent d’offrir une solution de rechange serait explicitement reconnue par Citoyenneté et Immigration Canada dans son guide opérationnel IP-5 Demandes présentées par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, section 13.3 « Demande d’un certificat de sélection du Québec ».

 

[13]           Bien qu’il reconnaisse que ce guide ne s’applique que pour les demandes présentées à partir du Canada, il soutient que par analogie, cette obligation devrait aussi valoir pour les demandes présentées à l’extérieur du Canada, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[14]           Si l’agent avait respecté son obligation, les parents auraient pu obtenir une lettre de « non-opposition » à l’adoption au Canada d’une autre province et se prévaloir de l’article 117(1)g) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR ) selon lequel appartient à la catégorie du regroupement familial le mineur que le répondant veut adopter au Canada et qui remplit certaines conditions précisées, notamment que les autorités compétentes d’une province déclarent, par écrit, qu’elles ne s’opposent pas à l’adoption.

 

[15]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’agent des visas n’avait pas la compétence d’examiner les considérations humanitaires puisque le paragraphe 25(2) de la LIPR interdisait l’exercice de la discrétion prévue au paragraphe 25(1).

 

[16]           De plus, l’agent n’avait pas l’obligation d’offrir à M. Koroghli, le répondant de la famille, l’opportunité de s’établir ailleurs au Canada. Le guide opérationnel IP-5 ne s’applique pas au cas des répondants en l’espèce. Il ne pourrait non plus être appliqué par analogie puisque les demandes présentées à l’intérieur du Canada diffèrent de celles déposées à l’extérieur du pays. En effet, le législateur a clairement prévu des processus distincts pour ces deux catégories de demandeurs.

 

[17]           C’est plutôt le guide opérationnel OP-2 (overseas processing) « Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial » qui était applicable pour déterminer si le demandeur remplissait les critères de cette catégorie d’immigration. Ce guide n’impose aucune obligation au demandeur de proposer des solutions d’établissement de rechange si la personne ne rencontre pas les critères de sélection du Québec.

 

[18]           Le guide OP-4 «Traitement des demandes présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR » que l’agent utilise pour déterminer si les motifs humanitaires doivent être évalués une fois qu’il est déterminé que le demandeur n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial n’imposait pas non plus une telle obligation.

 

[19]           Le défendeur ajoute que le fardeau incombait aux parents du demandeur d’effectuer leurs propres recherches sur la possibilité d’adoption au Québec et dans les autres provinces. En vertu de du paragraphe 11(1) de la LIPR, la charge leur revenait aussi d’entreprendre les démarches nécessaires de démontrer à l’agent qu’il était admissible au Canada.

 

ANALYSE

 

[20]           La norme de contrôle applicable en ce qui concerne la question de droit relative à la compétence de l’agent est celle de la décision correcte (Chen c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41 au para. 10).

 

[21]           Quant à la question d’équité procédurale, celle-ci commande également l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

 

[22]           L’article 25(1) de la LIPR énonce clairement que lorsque l’étranger visé par la demande se trouve hors du Canada, le Ministre ou son délégué peut tenir compte de considérations humanitaires pour accorder la résidence permanente. Cette discrétion est grande puisqu’il peut lever en tout ou en partie les obligations applicables:

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

(Je souligne)

Humanitarian and compassionate

Considerations - request of foreign

National

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[23]           Cependant, en vertu de l’article 25(2) de la LIPR, cette discrétion lui est retirée si l’étranger ne répond pas aux conditions de sélection de la province :

Critères provinciaux

25 (2)  Le statut de résident permanent ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

Provincial criteria

25(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.

 

[24]           Selon le paragraphe 9(1) de la LIPR auquel renvoie le paragraphe 25(2) :

Responsabilité provinciale

exclusive : résidents permanents

9. (1) Lorsqu’une province a, sous le régime d’un accord, la responsabilité exclusive de sélection de l’étranger qui cherche à s’y établir comme résident permanent, les règles suivantes s’appliquent à celui-ci sauf stipulation contraire de l’accord :

 

a) le statut de résident permanent est octroyé à l’étranger qui répond aux critères de sélection de la province et n’est pas interdit de territoire;

 

b) le statut de résident permanent ne peut

être octroyé à l’étranger qui ne répond pas aux critères de sélection de la province;

(…)

(Je souligne)

Sole provincial responsibility —

Permanent residents

9. (1) Where a province has, under a federal-provincial agreement, sole responsibility for the selection of a foreign national who intends to reside in that province as a permanent resident, the following provisions apply to that foreign national, unless the agreement provides otherwise:

(a) the foreign national, unless inadmissible under this Act, shall be granted permanent resident status if the foreign national meets the province’s selection criteria;

(b) the foreign national shall not be granted permanent resident status if the foreign national does not meet the province’s selection criteria;

 

[25]           Aux alinéas 67a) et 70(1)d) et au paragraphe 70(3), le RIPR  reprend la terminologie de la LIPR selon laquelle le demandeur se trouvant hors du Canada et cherchant à s’établir au Québec ne peut se voir octroyer la résidence permanente s’il ne répond pas aux critères de la province.

 

[26]           L’on ne saurait dès lors imposer à l’agent une obligation de considérer les motifs humanitaires puisque les autorités provinciales québécoises avaient déjà refusé d’accorder le certificat de sélection au demandeur et que de ce fait, le demandeur tombait sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 25(2) de la LIPR.

 

[27]           Le demandeur soutient que l’agent devait appliquer mutatis mutandis les instructions prévues au Guide IP-5, c’est-à-dire d’informer les répondants de l’enfant de la possibilité d’être admis dans une autre province lorsque les critères de sélection du Québec ne sont pas rencontrés. Pour le demandeur, le défaut de le faire constitue une erreur de droit qui affecte la compétence de l’agent.

 

[28]           Je rejette cet argument. L’agent n’avait aucune obligation découlant des guides d’immigration applicables OP-2 et OP-4 de suggérer au demandeur de déménager dans une autre province. Il ne peut donc y avoir de manquement à l’équité procédurale.

 

[29]           Le législateur a prévu deux processus distincts pour le traitement des demandes : lorsque les personnes se trouvent au Canada et lorsqu’elles se trouvent à l’étranger. Or, le demandeur se trouve en Algérie et la demande de visa de résident permanent avec parrainage déposée par le répondant a été présentée à l’étranger.

 

[30]           Il en découle que dans la pratique, l’élaboration de guides opérationnels différent selon que le demandeur se trouve au Canada ou à l’étranger au moment du dépôt et du traitement de sa demande.

 

[31]           De plus, quelles que soient les considérations qui ont justifié l’élaboration des instructions prévues aux guides mentionnés, leur portée ne pourrait en aucun cas outrepasser une exigence législative.

 

[32]           Tout ce que le guide IP-5 prévoit, c’est qu’un demandeur doit être informé qu’il peut déménager dans une autre province dans laquelle l’adoption pourrait théoriquement être possible, auquel cas le bureau local de la nouvelle province de résidence sera dès lors responsable de la demande.

 

[33]           Or, même dans le cas où le guide trouverait application ou que ce scénario se réalisait, le demandeur devrait tout de même satisfaire aux exigences de l’article 25 et à l’exception prévue au paragraphe 25(2) de la LIPR.

 

[34]           J’ajouterais en dernier lieu qu’au moment où les répondants entreprennent des démarches pour obtenir la tutelle de l’enfant, il leur appartient de se renseigner pour savoir si l’immigration de cet enfant est possible au Québec. S’ils l’avaient fait en temps utile, ils auraient su qu’une telle adoption n’était pas possible. Ils auraient dès lors pu entreprendre des démarches pour s’établir dans une autre province. Il est aujourd’hui trop facile de blâmer l’agent pour leur propre inaction.

 

[35]           L’agent n’a commis aucune erreur de droit et n’a violé aucune obligation d’équité procédurale. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-52-10

 

INTITULÉ :                                       SEIF EDDINE KOROGHLI

c.  M.C.I.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 26 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Denis Girard

 

POUR LE DEMANDEUR

Lucie St-Pierre

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Denis Girard

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec) 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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