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Date : 20101210

Dossier : IMM‑1066‑10

Référence : 2010 CF 1277

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

 

RAMNARESH KATWARU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen du Guyana. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada en mai 1992. En février 1996, il a été accusé d’homicide involontaire coupable relativement à la mort de son nourrisson. En août 2002, il a été déclaré coupable de cette accusation et condamné à une peine demprisonnement de six ans, avec réduction de 17 mois pour le temps passé en détention préventive. En avril 2003, il a été accusé de voies de fait à l’égard de son épouse et a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois mois à purger concurremment avec sa peine d’homicide involontaire coupable.

 

[2]               Ayant ensuite été jugé interdit de territoire au Canada, il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[3]               En février 2010, sa demande a été rejetée par la directrice, Règlement des cas, Direction générale du règlement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada.

 

[4]               M. Katwaru cherche à obtenir l’annulation de la décision de la directrice au motif qu’elle a commis une erreur :

 

a.       en accordant, dans son évaluation, trop d’importance à un seul facteur à l’exclusion de tous les autres facteurs;

b.      en appliquant le mauvais critère dans son évaluation;

c.      en appréciant de manière déraisonnable la preuve dont elle était saisie.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I. Contexte

 

[6]               En août 1995, M. Katwaru et son ex‑épouse ont eu un fils qui est né prématurément. Le bébé a obtenu son congé après un séjour de quatre mois à l’hôpital. Ayant reçu des renseignements de l’ex‑épouse de M. Katwaru selon lesquels celui‑ci était [traduction] « agressif » avec l’enfant, la Children’s Aid Society a entrepris une enquête. Une infirmière responsable des enfants à risque élevé a alors été chargée de suivre la famille. Cependant, l’intervention de professionnels qui visitaient régulièrement le domicile n’a pas été suffisante pour mettre fin aux abus répétés de M. Katwaru envers son fils. En février 1996, son fils est mort à l’âge de cinq mois.

 

[7]               Il a été déterminé plus tard que la cause du décès était une inflammation très sévère du cerveau : le bébé avait probablement été violemment secoué; il y avait eu un mouvement de va‑et‑vient ou une rotation de la tête et du cou. Il y avait aussi des contusions au cerveau du bébé qui étaient compatibles avec les blessures d’un bébé qu’on aurait [traduction] « balancé contre quelque chose ou frappé avec quelque chose ». En outre, certaines blessures donnaient à croire qu’il avait subi des abus répétés.

 

[8]               M. Katwaru a été initialement déclaré coupable d’homicide involontaire coupable en 1998, mais aussi, vers la même période, d’avoir proféré des menaces et commis des voies de fait à l’endroit de son ex‑épouse. Après que ces déclarations de culpabilité eurent été annulées en raison de directives erronées données au jury, il a été de nouveau déclaré coupable d’homicide involontaire coupable, en 2002, et de voies de fait, en 2003.

 

[9]               En avril 2003, il a été interdit de territoire en raison de son dossier criminel. Une mesure de renvoi a été prise contre lui; elle a été cependant suspendue jusqu’à ce qu’il ait purgé sa peine.

 

[10]           En janvier 2005, il a présenté sa demande CH. Par la suite, en juin 2005, il a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Conformément à l’alinéa 112(3)b), il a été déclaré inadmissible à cet examen en raison de son interdiction de territoire pour grande criminalité. En mai 2006, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire qu’il a présentée à l’égard de cette décision.

 

[11]           Le 1er février 2007, M. Katwaru a été arrêté et détenu en vue d’un renvoi au Guyana, lequel devait avoir lieu le 10 février 2007. Le jour suivant, une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a refusé de reporter son renvoi. La Cour a alors accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard de cette décision.

 

[12]           En septembre 2008, la demande de contrôle judiciaire de M. Katwaru visant le refus de l’agente de l’ASFC de reporter son renvoi a été accueillie.

 

II. La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

 

[13]           En février 2010, M. Katwaru a été informé que la directrice avait rendu une décision défavorable relativement à sa demande CH.

 

[14]           Dans les cinq premières pages de sa longue décision, la directrice a examiné les antécédents et la situation du dossier d’immigration de M. Katwaru, les circonstances entourant la mort de son fils et les déclarations de culpabilité dont il a ensuite fait l’objet ainsi que la preuve relative à sa réadaptation.

 

[15]           La directrice a ensuite examiné les motifs d’ordre humanitaire pertinents. La directrice a commencé son évaluation en citant un certain nombre d’extraits de la décision, rendue en 2008, par laquelle la juge Heneghan a accueilli la demande de contrôle judiciaire à l’égard du refus de l’agente de l’ASFC, en février 2007, de reporter le renvoi de M. Katwaru. Ces extraits incluent la conclusion de la juge Heneghan selon laquelle l’agente de l’ASFC n’avait pas pleinement examiné toute la preuve dont elle avait été saisie, notamment la crainte de M. Katwaru d’être exposé à un risque en cas de renvoi au Guyana.

 

[16]           La directrice a par la suite longuement discuté des liens familiaux de M. Katwaru au Canada et des incidences négatives de son renvoi à cet égard, plus particulièrement en ce qui concerne son épouse actuelle, qui dépend de lui financièrement, affectivement et physiquement.

 

[17]           La directrice a en outre traité du degré d’établissement de M. Katwaru au Canada et a conclu qu’il est bien établi financièrement et au sein de la collectivité dans laquelle il vit.

 

[18]           La directrice a ensuite examiné une évaluation détaillée des risques auxquels M. Katwaru prétend qu’il serait exposé s’il devait être renvoyé au Guyana. Ces risques ont été classés dans les quatre catégories suivantes :

 

a.       représailles de la part des parents/famille de son ex‑épouse, qui demeurent au Guyana, en raison des mauvais traitements qu’il a fait subir à leur petit‑fils, dont ils voudront venger la mort;

b.      représailles de la part du public guyanais en raison des mauvais traitements infligés, étant donné la couverture médiatique négative de son crime;

c.      représailles de la part du gouvernement guyanais en raison de son statut de criminel déporté;

d.      différents risques généralisés, en raison du taux élevé de criminalité au Guyana, de sa vulnérabilité particulière en tant que citoyen revenant de l’étranger, de l’insuffisance de la protection de l’État et des tensions entre les communautés ethniques indo et afro‑guyanaises.

 

[19]           Après avoir pris acte des observations écrites de M. Katwaru et d’une déclaration solennelle selon laquelle il a fourni des rapports détaillés de son oncle concernant les menaces de mort dirigées contre M. Katwaru au Guyana, la directrice a cité une déclaration solennelle d’un ami qui précise les menaces visant M. Katwaru qu’il a personnellement entendues. Elle a fait observer que cette déclaration est vague et non étayée par une preuve corroborante. Finalement, elle a conclu qu’il n’existait pas de preuve suffisante que (i) la famille de l’ex‑épouse de M. Katwaru mettrait ses menaces à exécution s’il devait retourner au Guyana ou que (ii) son identité serait connue ou qu’il serait reconnu s’il devait s’établir dans une autre partie du Guyana.

 

[20]           Quant à la population guyanaise, la directrice a accordé peu de poids aux différents commentaires anonymes qui avaient été affichés sur Internet. Elle a jugé que la prétention de M. Katwaru voulant que ces commentaires aient été affichés sur Internet par des personnes au Guyana n’était pas fondée et elle leur a accordé très peu d’importance comme preuve que le public guyanais serait d’une quelconque manière motivé à le rechercher activement et à commettre des actes de justice de rue. Elle a également fait observer qu’il serait possible pour M. Katwaru de présenter une requête en confidentialité conformément à l’article 151 des Règles des Cours fédérales, s’il pouvait démontrer la nécessité de procéder de façon confidentielle, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires. En concluant cette partie de son évaluation, la directrice a déclaré qu’elle était convaincue qu’il n’existait pas une preuve suffisante que l’attention médiatique que M. Katwaru avait reçue jusqu’à présent mettrait en péril sa sécurité s’il devait maintenant être renvoyé au Guyana.

 

[21]           En ce qui concerne le statut de criminel déporté de M. Katwaru, la directrice a reconnu les observations de son avocat selon lesquelles la législation au Guyana permettait à la police de le surveiller et les larges pouvoirs accordés par cette législation peuvent ouvrir la porte à des abus de la part de ceux qui l’appliquent. Toutefois, elle a estimé que la possibilité de mauvais traitements dont il a fait état relevait de la conjecture et a indiqué que les rapports subséquents d’Amnistie Internationale ne font pas mention d’abus découlant de ces pouvoirs. Elle a également fait observer que, dans les plus récents documents de source ouverte sur la situation dans le pays, il y a peu d’éléments de preuve relatifs à une surveillance policière des criminels déportés. Après avoir cité un article des États‑Unis concernant le traitement des criminels déportés au Guyana, la directrice a conclu que les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour démontrer que M. Katwaru ferait l’objet d’une surveillance ou, s’il était effectivement surveillé, qu’il serait traité de façon inappropriée par les autorités guyanaises à son retour.

 

[22]           En bref, en ce qui a trait aux risques personnels évoqués par M. Katwaru, la directrice a conclu que la preuve ne permettait pas de conclure qu’il ferait face à de tels risques s’il retournait au Guyana.

 

[23]           Passant aux risques généralisés dont a fait état M. Katwaru, la directrice a indiqué que le peuple indo‑guyanais compose la moitié de la population et que, selon la preuve documentaire, bien que ce peuple prétende qu’il n’est pas assez protégé par la police afro‑guyanaise, les policiers afro‑guyanais soutiennent que la police agit selon le programme du gouvernement majoritairement indo‑guyanais.

 

[24]           La directrice a ensuite conclu que les risques allégués par M. Katwaru en ce qui a trait au taux élevé de criminalité, au caractère inadéquat des services de police et aux tensions raciales sont des problèmes auxquels se heurtent tous les résidents du Guyana, et ne sont pas propres à M. Katwaru. Elle a cité des extraits des avis de voyage produits par M. Katwaru et a estimé que la preuve ne permettait pas de démontrer que ces facteurs allaient avoir une incidence directe sur M. Katwaru, surtout s’il recommence rapidement à observer les coutumes guyanaises indiquées dans les avis de voyage.

 

[25]           En concluant, la directrice a dégagé les facteurs suivants comme étant des motifs positifs permettant d’accueillir sa demande CH : [traduction] « les liens familiaux forts que M. Katwaru a au Canada, la durée de sa résidence au Canada et les efforts louables qu’il déploie pour assurer sa réadaptation et améliorer son éducation ». Elle a également conclu qu’il ne représente pas un danger pour le public et qu’il est improbable qu’il récidive.

 

[26]           Cependant, elle a ensuite précisé que [traduction] « le crime qu’il a commis pèse lourd dans la balance par rapport à ces facteurs positifs. M. Katwaru a causé la mort d’un enfant. Le dossier démontre qu’il avait été averti des conséquences liées au fait de secouer un bébé, mais cela ne l’a pas empêché de continuer à maltraiter l’enfant ».

 

[27]           Elle a aussi noté qu’il est peu probable que M. Katwaru soit exposé à des risques réels le visant personnellement s’il était renvoyé au Guyana et qu’il demeure possible que son épouse l’accompagne au Guyana et que les autres membres de sa famille lui rendent visite.

 

[28]           Enfin, elle a fait observer que M. Katwaru pourra présenter de la manière ordinaire une demande de réadaptation en mars 2012 et, si elle est accueillie, son épouse pourrait le parrainer et il serait admissible à un retour au Canada.

 

[29]           Compte tenu de ce qui précède, la directrice a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne sont pas suffisants pour justifier la levée de l’interdiction de territoire de M. Katwaru pour cause criminelle. Elle a ajouté qu’elle est également convaincue que la délivrance d’un permis de séjour temporaire n’est pas justifiée dans les circonstances.

 

III. Norme de contrôle

 

[30]           Les questions soulevées par M. Katwaru doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 51 à 56; Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, par. 18). En bref, la décision rejetant la demande CH sera confirmée à moins qu’elle n’appartienne pas aux « issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). À cet égard, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59).

 

IV. Requête en confidentialité

 

[31]           Le 2 novembre 2010, M. Katwaru a présenté une requête pour obtenir une ordonnance scellant le dossier de la Cour dans la présente affaire conformément aux articles 151 et 152 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. À titre subsidiaire, M. Katwaru a demandé que son nom soit modifié dans l’intitulé pour « X.X. ».

 

[32]           L’article 151 prévoit ce qui suit :

Requête en confidentialité

 

151. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

 

Circonstances justifiant la confidentialité

 

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

 

Motion for order of confidentiality

 

151. (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

 

 

Demonstrated need for confidentiality

 

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

 

 

[33]           M. Katwaru reconnaît qu’(i) une ordonnance de confidentialité ne sera pas accordée à moins qu’elle ne soit justifiée et (ii) que le fardeau de démontrer qu’elle est justifiée lui incombe.

 

[34]           Il soutient qu’une ordonnance de confidentialité est justifiée en l’espèce, car il existe une preuve claire et convaincante que des menaces de mort qui ont été proférées à son égard par des personnes au Guyana à la suite de la publication de la décision susmentionnée par la juge Heneghan en 2008.

 

[35]           À ses dires, si le dossier de la Cour relativement à la présente demande n’est pas scellé et gardé confidentiel, ou, à titre subsidiaire, si son nom est divulgué dans la décision intégrale rendue dans le cadre de la présente demande, il fera de nouveau l’objet de menaces de mort et de représailles.

 

[36]           À l’appui de sa requête, M. Katwaru a fourni des copies d’articles publiés dans des journaux au Guyana entre le 5 octobre et le 9 octobre 2008, à la suite de la décision de la juge Heneghan. Les articles ne faisaient que rapporter les faits sous-jacents aux déclarations de culpabilité de M. Katwaru et la façon dont la juge Heneghan avait tranché la demande.

 

[37]           M. Katwaru a également produit des commentaires publiés de façon anonyme sur Internet entre le 6 octobre et le 13 octobre 2008. À mon avis, il n’est pas d’emblée évident que ces commentaires ont été faits par des personnes se trouvant au Guyana. Il ne fait aucun doute que bon nombre d’entre eux ont été écrits par des personnes situées au Canada et aux États‑Unis. Cela dit, il est possible que certains proviennent de personnes au Guyana. Ce ne serait cependant que pure spéculation d’inférer, d’après le contenu de ces commentaires, que M. Katwaru serait exposé à une menace accrue à sa sécurité personnelle si sa requête n’était pas accueillie et s’il devait finalement être renvoyé au Guyana.

 

[38]           Le critère à deux volets applicable à une requête visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité conformément à l’article 151 des Règles des Cours fédérales a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club of Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522, aux pages 543 à 545. Dans cette affaire, la Cour suprême a déclaré que l’ordonnance de confidentialité visée à l’article  151 ne devrait être rendue que si :

 

(i)             elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

(ii)          ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

En ce qui a trait au premier volet du critère, la Cour suprême a ajouté ceci :

 

(i)             le risque en cause doit être réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve et menace gravement l’intérêt commercial en question.

 

(ii)          pour être qualifié d’« intérêt commercial important », l’intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité;

 

(iii)         la Cour doit non seulement se demander s’il existe des mesures raisonnables autres que l’ordonnance de confidentialité, mais aussi restreindre l’ordonnance autant qu’il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l’intérêt commercial en question.

 

[39]           J’estime que M. Katwaru n’a satisfait à aucun des deux volets du critère établi dans l’arrêt Sierra Club. En ce qui concerne le premier volet, M. Katwaru n’a pas démontré que le risque allégué est réel et important. Loin d’être bien étayée et de démontrer qu’il existe une menace grave à son intérêt à rechercher sa sécurité personnelle, la preuve soumise au soutien de la présente requête est extrêmement faible et de nature purement conjecturale. En outre, je ne suis pas en mesure de cerner un intérêt public à maintenir la confidentialité de l’intégralité du dossier de la Cour dans la présente instance, particulièrement en raison du fait que les renseignements visés font déjà partie du domaine public, ni à faire droit à sa demande subsidiaire de remplacer son nom dans l’intitulé par « X.X. ».

 

[40]           Quant au second volet du critère, il découle de l’analyse qui précède que les effets bénéfiques qui seraient associés à l’octroi de l’ordonnance de confidentialité sollicitée par M. Katwaru seraient, dans l’hypothèse la plus optimiste, minimes. Ils ne l’emporteraient pas sur les effets préjudiciables qui y seraient associés, y compris les effets que l’ordonnance pourrait avoir sur le droit à la liberté d’expression, laquelle, dans le présent contexte, comprend l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires (Sierra Club, précité, p. 550 et 551).

 

[41]           L’ordonnance de confidentialité demandée par M. Katwaru ne répondrait pas non plus à un certain nombre de conditions préalables importantes à l’octroi d’une telle ordonnance énoncées par le juge Robertson de la Cour d’appel dans l’arrêt Sierra Club of Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2000] 4 C.F. 426 (C.A.), au paragraphe 13 :

Selon moi, les critères suivants peuvent être raisonnablement adoptés lorsqu’il s’agit de justifier l’octroi d’une ordonnance de confidentialité dans les cas où une partie cherche à empêcher la divulgation de renseignements : 1) les renseignements sont de nature confidentielle et non seulement des faits qu’une personne désire ne pas divulguer; 2) les renseignements qu’on veut protéger ne sont pas du domaine public; 3) selon la prépondérance des probabilités, la partie qui veut obtenir une ordonnance de confidentialité subirait un préjudice irréparable si les renseignements étaient rendus publics; 4) les renseignements sont pertinents dans le cadre de la résolution des questions juridiques soulevées dans le litige; 5) en même temps, les renseignements sont « nécessaires » à la résolution de ces questions; 6) l’octroi d’une ordonnance de confidentialité ne cause pas un préjudice grave à la partie adverse; 7) l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires ne prime pas les intérêts privés de la partie qui sollicite l’ordonnance de confidentialité. Le fardeau de démontrer que les critères un à six sont respectés incombe à la partie qui cherche à obtenir l’ordonnance de confidentialité.

 

[42]           Les deux premières conditions dans cette liste ne sont pas remplies parce que les renseignements préjudiciables allégués, soit la déclaration de culpabilité de M. Katwaru pour homicide involontaire coupable et les circonstances entourant la mort de son fils, ne sont pas de nature confidentielle et sont du domaine public depuis 1998, lorsque M. Katwaru a été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable. La troisième condition de la liste susmentionnée n’est pas non plus remplie parce que, comme nous l’avons vu, M. Katwaru n’a pas établi qu’il subira un tort irréparable si l’ordonnance qu’il demande n’est pas accordée. En effet, essentiellement les mêmes risques ont été examinés et rejetés par l’agent qui a rejeté sa demande d’ERAR en 2005. En 2006, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Katwaru à l’égard de cette décision. Enfin, comme nous l’avons indiqué précédemment, l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires l’emporte sur les faibles intérêts privés que M. Katwaru cherche à protéger.

 

[43]           Par conséquent, M. Katwaru n’a pas satisfait aux critères établis par la Cour suprême du Canada et le juge Robertson de la Cour d’appel pour l’octroi d’une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des Règles. La requête de M. Katwaru est par conséquent rejetée.

 

V. Analyse

A.     La directrice a‑t‑elle commis une erreur en accordant, dans son évaluation, trop d’importance à un seul facteur à l’exclusion de tous les autres facteurs?

[44]           M. Katwaru soutient que la directrice a commis une erreur en accordant trop d’importance à sa criminalité. Il soutient qu’il faudrait faire la distinction entre sa demande et celles faites par des personnes qui n’ont jamais reçu le statut de résident permanent au Canada. Dans la présente affaire, il fait valoir qu’il demandait l’octroi d’une mesure équitable et que, par conséquent, différents facteurs sont applicables à l’évaluation. Plus particulièrement, il prétend que les facteurs qui doivent être examinés sont ceux qui ont été établis dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] I.A.B.D. n° 4, par. 4, qui ont été approuvés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [1999] 1 C.F. 605 (C.A.), par. 18. Ces facteurs sont les suivants :

 

1)      la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de la mesure d’expulsion;

2)      la possibilité de réadaptation et le risque de récidive;

3)      la période passée par le demandeur au Canada et son degré d’établissement ici;

4)      la famille du demandeur au Canada, et les bouleversements que son expulsion occasionnerait pour cette famille;

5)      le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais aussi de la collectivité;

6)      l’importance des difficultés que causerait au demandeur le retour dans son pays de nationalité.

 

[45]           M. Katwaru fait en outre remarquer que dans l’arrêt Chieu, précité, les remords du demandeur avaient été considérés comme un autre facteur pertinent à prendre en compte.

 

[46]           De plus, il soutient que l’article 11.4 du Guide IP 5 intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (« IP 5 ») publié par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) énumère un certain nombre de facteurs supplémentaires à examiner lorsqu’il est question d’interdiction de territoire connue pour des motifs liés à une déclaration de culpabilité antérieure. Ces facteurs comprennent le type de déclaration de culpabilité, le temps écoulé depuis la déclaration de culpabilité, la peine infligée, la question de savoir si l’infraction est un incident isolé et tout autre renseignement pertinent sur les circonstances du crime.

 

[47]           En l’espèce, M. Katwaru prétend que la directrice a dégagé plusieurs facteurs positifs qui militent en faveur de l’accueil de sa demande. Ces facteurs comprennent entre autres : [traduction] « les liens familiaux forts que M. Katwaru a au Canada, la durée de sa résidence au Canada et les efforts louables qu’il déploie pour assurer sa réadaptation et améliorer son éducation ». En outre, la directrice a conclu qu’il ne représente pas un danger pour le public et qu’il est improbable qu’il récidive. Elle a également reconnu les liens familiaux forts de M. Katwaru au Canada et les conséquences néfastes que le renvoi du demandeur du Canada aurait sur les membres de sa famille, particulièrement sur son épouse actuelle, qui dépend de lui financièrement, affectivement et physiquement. De plus, elle n’a pas réfuté ses observations quant aux taux élevés de criminalité, au caractère inadéquat des services de police et aux tensions raciales au Guyana.

 

[48]           M. Katwaru prétend que les seuls facteurs négatifs mentionnés par la directrice pour contrecarrer tous les facteurs susmentionnés qui militent en faveur de l’accueil de sa demande sont la nature du crime qu’il a commis et sa conclusion selon laquelle il est peu probable qu’il soit exposé à des risques réels le visant personnellement s’il était renvoyé au Guyana.

 

[49]           Compte tenu de ce qui précède, il soutient que la directrice a été indûment influencée par sa déclaration de culpabilité antérieure.

 

[50]           M. Katwaru reconnaît la gravité de son infraction. Cependant, il note que l’infraction a été commise il y a plus de 14 ans, qu’il a purgé sa peine, qu’il assure sa réadaptation, qu’il est peu probable qu’il récidive, qu’il entretient des liens étroits avec le Canada et qu’il est un membre productif de la société. Si sa demande devait être rejetée, il estime qu’il a le droit de savoir pourquoi elle devrait l’être et de demander qu’on lui fournisse une raison autre que la simple existence de l’infraction.

 

[51]           M. Katwaru allègue que la directrice peut exercer son pouvoir discrétionnaire de la façon demandée, et ce pouvoir discrétionnaire n’aurait pas été accordé s’il n’y avait pas de circonstances dans lesquelles il peut être exercé de façon positive, malgré l’existence d’un dossier criminel. S’appuyant sur la décision Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 380, aux paragraphes 11 à 16, et l’arrêt Lau c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] 1 C.F. 434, il soutient que le fait de fonder une décision uniquement sur ses activités criminelles antérieures, à l’exclusion de tous les autres facteurs, correspond à accorder une influence indue à ce seul facteur et constitue par conséquent une erreur susceptible de révision.

 

[52]           Je ne puis souscrire à la position de M. Katwaru.

 

[53]           Dans la décision Pushpanathan, précitée, au paragraphe 15, la juge Sharlow (alors juge à la Section de première instance) a conclu que la décision défavorable dans le cadre de l’appel du demandeur de son ordonnance d’expulsion avait été fondée à tort sur le « seul [...] fait que l’infraction a été commise ». Dans cette affaire, l’infraction avait trait à des stupéfiants et le demandeur avait été condamné à une peine d’emprisonnement de huit ans en 1988 et avait obtenu une libération conditionnelle en 1991. Dans l’arrêt Lau, précité, qui portait sur la prise d’une mesure d’expulsion pour d’autres motifs, la Cour d’appel fédérale a jugé que si le législateur avait voulu faire de la violation de la Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976‑77, ch. 52, le facteur dominant et déterminant, il ne lui aurait servi à rien de conférer à l’arbitre le pouvoir discrétionnaire du paragraphe 32(6) de cette loi.

 

[54]           Les faits de l’affaire qui nous intéresse en l’espèce sont différents. La directrice ne s’est pas uniquement appuyée sur le seul fait de la perpétration de l’infraction décrite à la LIPR. Elle s’est plutôt fondée sur le fait que M. Katwaru a été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable relativement à la mort d’un enfant, après avoir [traduction] « été averti des conséquences liées au fait de secouer un bébé ». Elle a de plus fait observer que [traduction] « cela ne l’a pas empêché de continuer à maltraiter l’enfant ». Elle avait avant cela cité les circonstances aggravantes supplémentaires qui avaient été énumérées par le juge LaForme dans ses motifs de détermination de la peine. Ces circonstances comprenaient le fait qu’il y avait eu [traduction] « des mauvais traitements répétés qui ont finalement abouti à cet événement tragique que constitue la mort d’un bébé secoué », contrairement à un seul acte impulsif. Après avoir décrit la brutalité de ces mauvais traitements répétés, le juge LaForme a qualifié l’infraction d’[traduction] « un des crimes les plus graves en vertu de nos lois à l’encontre de l’un des membres les plus vulnérables de la société ».

 

[55]           En présence de circonstances aggravantes, il était tout à fait loisible à la directrice d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la demande de M. Katwaru au motif qu’il n’existait pas de considérations d’ordre humanitaire justifiant de lever son interdiction de territoire pour criminalité.

 

[56]           En fait, cette conclusion se justifie en outre par sa décision selon laquelle [traduction] « il est peu probable que M. Katwaru soit exposé à des risques réels le visant personnellement s’il était renvoyé au Guyana ».

 

[57]           En ce qui a trait aux six facteurs dégagés dans la décision Ribic, précitée, alors que quatre d’entre eux militaient en faveur de l’accueil de la demande de M. Katwaru, le premier et le sixième appuyaient la conclusion à laquelle est parvenue la directrice. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, il y avait également des circonstances aggravantes, dont certaines sont prévues à l’article 11.4 de l’IP 5.

 

[58]           Étant donné la « nature hautement discrétionnaire et factuelle » du processus de pondération prévu à l’article 25 de la LIPR (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, par. 61), il convient de faire preuve de « retenue considérable » envers la décision de la directrice (Baker, par. 62).

 

[59]           Après avoir défini et apprécié les différents facteurs militant en faveur de l’accueil de la demande de M. Katwaru, la directrice pouvait raisonnablement conclure que la gravité de l’infraction et les circonstances aggravantes qu’elle a soulevées, soit directement soit indirectement dans les passages cités de sa décision, étaient telles que les circonstances d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier la levée de l’interdiction de territoire pour criminalité. Il n’appartient pas aux tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les ministres et leurs délégués en vertu de l’article 25 de la LIPR (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Legault, 2002 CAF 125, par. 11).

 

[60]           À mon avis, la décision de la directrice appartenait assurément « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, par. 47), compte tenu particulièrement de la « nature hautement discrétionnaire et factuelle » de cette décision (Baker, précité, par 61). Pour les motifs que j’ai exposés, cette décision était également transparente, intelligible et valablement justifiée.

 

[61]           Il se peut dans certains cas que les facteurs militant en faveur d’une décision favorable en vertu de l’article 25 de la LIPR puissent l’emporter sur la gravité de l’infraction qui a mené à la mesure d’expulsion en cause. À l’inverse, il peut y avoir des situations où la gravité de l’infraction, à elle seule, l’emportera sur les facteurs positifs établis par le demandeur et acceptés par le ministre ou son délégué. En effet, n’eût été des autres circonstances aggravantes en l’espèce, la présente affaire aurait pu être un bon exemple de ce dernier type de situation.

 

[62]           Au bout du compte, une décision concernant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dépendra de l’importance accordée aux facteurs négatifs et positifs, plutôt que sur le nombre de ces facteurs, eu égard à la priorité accordée à la sécurité en vertu de l’alinéa 3(2)f) de la LIPR, et au fait que « [p]our réaliser cet objectif, il faut [...] renvoyer ceux qui ont un [...] casier [judiciaire], et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada » (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, par. 10). Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans l’arrêt Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Cha, 2006 CAF 126, au paragraphe 24, « [l]e législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens ». Les arrêts Medovarski et Cha sont postérieurs aux décisions invoquées par M. Katwaru.

 

[63]           Dans la présente affaire, il y avait un grand nombre de facteurs qui jouaient en faveur d’une décision favorable à l’égard de la demande CH de M. Katwaru. Cependant, dans l’ensemble, ils ne sont pas sensiblement différents des autres types de facteurs qui sont généralement invoqués par les demandeurs dans les demandes CH entendues par la Cour. Étant donné la gravité de l’infraction et des facteurs aggravants mentionnés ou reconnus par la directrice, il n’était pas déraisonnable de sa part de rejeter la demande de M. Katwaru, particulièrement eu égard aux objets de la LIPR, tel qu’il a été expliqué dans les arrêts Medovarski et Cha, précités.

 

[64]           Le critère auquel il faut satisfaire pour obtenir une dispense de l’obligation de demander la résidence permanente à partir de l’étranger est exigeant. C’est le demandeur qui a le fardeau de satisfaire à ce critère (Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 816, par. 11 et 12). En l’espèce, M. Katwaru n’y est pas parvenu.

 

B.     La directrice a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère dans son évaluation de la demande CH?

[65]           M. Katwaru soutient que la directrice a commis une erreur dans son évaluation en appliquant le critère de « la menace réelle à la vie » au lieu du critère fondé sur « des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ». Il fait valoir de plus que bien que le risque généralisé ne puisse être examiné dans le cadre d’un ERAR, il est approprié d’examiner ce risque dans le cadre d’une demande CH. S’appuyant sur la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, au paragraphe 5, il maintient qu’il peut exister des considérations relatives au risque qui sont pertinentes dans le cadre d’une demande CH, lesquelles sont loin de satisfaire au critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements ou peines cruels et inusités, critère sur lequel porte une demande d’ERAR. Tout porte à croire que la directrice n’a pas examiné ces considérations générales ou moins importantes liées aux risques dans son évaluation.

 

[66]           Me fondant sur une lecture attentive de la décision rendue par la directrice, je ne suis pas en mesure d’accepter qu’elle a appliqué le mauvais critère dans son évaluation. Je reconnais que, en structurant sa décision, elle n’a pas explicitement fait référence au critère établi que sont les « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ». Cependant, elle a explicitement abordé et apprécié les facteurs qui sont typiquement évalués dans le cadre de demandes CH, soit la mesure dans laquelle M. Katwaru s’est établi au Canada, sa famille et les autres liens sociaux qu’il a au Canada, les intérêts des enfants des membres de sa famille (il n’a aucun enfant biologique) et les conséquences que le renvoi du demandeur aurait sur lui et sur les membres de sa famille. De plus, elle a explicitement reconnu les « difficultés » que l’épouse de M. Katwaru serait susceptible d’avoir, sur les plans affectif, physique et financier, si elle devait être séparée de M. Katwaru. Elle a également explicitement reconnu les [traduction] « difficultés liées à une séparation permanente des membres de sa famille » auxquelles il serait exposé s’il était expulsé du Canada.

 

[67]           En ce qui concerne les risques généraux soulevés par M. Katwaru, la directrice en a traité explicitement dans sa décision dans presque deux pages. En fin de compte, elle a conclu [traduction] : « Il ne fait aucun doute que ces facteurs représentent de graves inconvénients, mais la preuve dont je suis saisie ne permet pas de démontrer que ces facteurs auraient une incidence directe sur M. Katwaru, surtout s’il recommence rapidement à observer les coutumes guyanaises indiquées dans les avis de voyage ». À mon avis, cette conclusion est tout simplement une autre façon d’indiquer que ces risques généraux ne causeraient probablement aucune difficulté à M. Katwaru, encore moins des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ».

 

[68]           Pour ce qui est des risques personnalisés mentionnés par M. Katwaru, la directrice a conclu qu’il n’y a pas d’[traduction] « éléments de preuve suffisants pour démontrer que M. Katwaru serait exposé à des risques personnalisés s’il devait être renvoyé au Guyana, en raison de son statut de criminel déporté, de la couverture médiatique de son dossier criminel au Guyana, du fait qu’il se retrouverait à la merci de la famille de son ex‑épouse ». Encore là, je suis d’avis qu’il s’agit simplement d’une autre façon de dire que ces risques personnalisés ne causeraient probablement aucune difficulté à M. Katwaru.

 

[69]           En bref, il ressort clairement d’une lecture contextuelle de la décision de la directrice qu’elle est arrivée à [traduction] « la conclusion que le demandeur ne connaîtrait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives puisqu’il n’existait aucune preuve objective d’un risque personnalisé » (Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, par. 37; Akinbowale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1221, par. 21; El Doukhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1464, par. 27).

 

[70]           Je suis d’avis que la directrice n’a pas commis d’erreur en appliquant un mauvais critère pour son évaluation. Son défaut d’exposer explicitement sa conclusion en fonction des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » n’était pas déraisonnable.

 

[71]           L’emploi par la directrice des termes [traduction] « risque » et [traduction] « risque personnalisé » plutôt que le terme [traduction] « difficultés » à différents endroits semble découler d’une tentative d’utiliser les termes employés dans les mises à jour des observations sur les risques, datées du 11 mai 2007 et du 28 octobre 2008, présentées par M. Katwaru et mentionnées dans sa lettre à l’agent d’ERAR, A. Dello, datée du 5 janvier 2010, dans lesquelles on a répété un certain nombre de ces prétendus « risques ».

 

C.     La directrice a‑t‑elle commis une erreur en appréciant de manière déraisonnable la preuve dont elle a été saisie?

[72]           M. Katwaru prétend également que la directrice a commis une erreur en appréciant de façon déraisonnable un certain nombre d’éléments de preuve dont elle avait été saisie.

 

[73]           Plus précisément, M. Katwaru note que la directrice a conclu que le récit de son ami concernant les menaces à l’égard du demandeur qu’il a reçues était vague, imprécis et non étayé par la preuve. Il soutient que cette conclusion faisait peu de cas de sa déclaration solennelle selon laquelle il avait reçu des menaces ainsi que de la déclaration de son oncle selon laquelle son ancienne belle‑mère avait proféré des menaces à son endroit.

 

[74]           Je ne suis pas d’accord. À la page 9 de sa décision, la directrice a explicitement cité un passage de la déclaration solennelle de M. Katwaru quant à ces menaces. Après avoir cité plusieurs extraits de la déclaration solennelle de son ami, elle a conclu de manière raisonnable que la déclaration ne fournissait que peu de détails, qu’elle était vague et non étayée par une preuve corroborante. À mon avis, il était tout à fait raisonnable de la part de la directrice de conclure que la déclaration de M. Singh n’était pas [traduction] « suffisamment étayée pour appuyer l’affirmation que M. Katwaru serait exposé à des menaces ou serait la cible de la famille de son ex‑épouse ou d’autres personnes inconnues ».

 

[75]           M. Katwaru soutient de plus qu’il était déraisonnable de la part de la directrice de conclure qu’il pouvait s’établir ailleurs au Guyana. Il affirme que la directrice a fondamentalement conclu qu’il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Guyana, mais qu’elle a fait défaut de préciser à quel endroit il pouvait se réinstaller au Guyana.

 

[76]           J’estime qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la directrice de faire cette observation compte tenu des faits de la présente affaire, étant donné en particulier qu’elle avait explicitement conclu qu’il n’existait pas de preuve suffisante (i) qu’il serait exposé à des risques personnalisés s’il devait retourner au Guyana ou (ii) que les risques généralisés qu’il a mentionnés représenteraient plus que de graves inconvénients.

 

[77]           M. Katwaru prétend en outre que la directrice a banalisé la gravité de sa situation lorsqu’elle a déclaré qu’elle accordait [traduction] « peu de poids aux commentaires anonymes [affichés sur Internet] comme preuve que le public guyanais serait d’une quelconque manière motivé à le rechercher activement, en conservant une photo de M. Katwaru pour le cas où il serait expulsé et en commettant des actes de justice de rue ».

 

[78]           Je ne suis pas d’accord. La directrice a simplement tiré une conclusion raisonnable, en se fondant sur le contenu de ces publications et sur le fait qu’il n’est pas d’emblée évident que ces commentaires ont été faits par des personnes habitant au Guyana. En effet, comme je l’ai indiqué précédemment, bon nombre de ces commentaires semblent avoir été écrits par des personnes se trouvant au Canada et aux États‑Unis.

 

[79]           Ensuite, M. Katwaru soutient que la conclusion de la directrice selon laquelle la législation relative à la protection de la vie privée empêche CIC et l’ASFC de rendre public tout développement est erronée. Il fait observer que CIC et l’ASFC ont dans le passé diffusé des communiqués de presse relativement à l’expulsion de certaines personnes. À mon avis, ce commentaire ne rend pas la décision de la directrice déraisonnable, particulièrement eu égard à l’importante publicité dont a fait l’objet la déclaration de culpabilité de M. Katwaru et les circonstances entourant la mort de son fils.

 

[80]           De plus, M. Katwaru prétend que la directrice a conclu à tort qu’il pourrait éviter les risques généralisés s’il observait « les coutumes guyanaises indiquées dans les avis de voyage ». Il affirme que la directrice a agi de manière abusive en appliquant les mesures de prévention qui s’adressent aux touristes à une personne qui vivrait à cet endroit de façon permanente.

 

[81]           Je suis d’avis que cette observation n’a pas eu de conséquences importantes sur la conclusion de la directrice que les risques généralisés mentionnés par M. Katwaru ne seraient rien de plus que de graves inconvénients. Comme l’indiquent les observations faites par la directrice dans le même paragraphe dans lequel elle a tiré sa conclusion sur les risques généralisés, cette conclusion se fondait sur (i) le fait que la preuve ne permettait pas de démontrer que ces risques auraient des conséquences directes sur M. Katwaru et (ii) la preuve selon laquelle M. Katwaru et les membres de sa famille sont retournés à quelques reprises au Guyana, laissant ainsi entendre qu’ils avaient l’impression que les conditions au Guyana n’étaient pas aussi dangereuses qu’il ne le laissait entendre dans sa demande CH.

 

[82]           Enfin, M. Katwaru soutient que la directrice a commis une erreur en affirmant que son épouse pourrait l’accompagner au Guyana. Il affirme que cette conclusion a été tirée sans tenir compte de l’état de santé de son épouse et de la nécessité pour elle de suivre un traitement continu.

 

[83]           Ce commentaire de la directrice a été fait après qu’elle eut résumé les facteurs négatifs et positifs qui forment le fondement de sa décision. Le commentaire a été fait dans le contexte d’une discussion sur une solution partielle possible pour réduire la « certitude des difficultés » qu’auraient, selon la directrice, M. Katwaru, son épouse, et les autres membres de sa famille s’il devait retourner au Guyana. Dans ce contexte, j’estime que ce commentaire n’a pas, dans l’ensemble, rendu sa décision déraisonnable.

 

[84]           En résumé, je suis convaincu que les diverses conclusions, constatations et observations faites par la directrice et que M. Katwaru aurait jugé déraisonnables n’étaient pas, individuellement ou collectivement, déraisonnables. Comme je l’ai indiqué précédemment, je suis d’avis que la décision rendue par la directrice appartenait aux « issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, par. 47). Pour les raisons que j’ai exposées, cette décision était également transparente, intelligible et valablement justifiée.

 

VI. Conclusion

[85]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[86]           Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

          LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire ainsi que la requête du demandeur en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales sont rejetées.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1066‑10

 

INTITULÉ :                                                   RAMNARESH KATWARU c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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