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Date : 20101209

Dossier : IMM-2812-10

Référence : 2010 CF 1263

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

YONG QIANG YU

 

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur cherche à faire annuler la décision négative par laquelle un agent a refusé sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il soutient que l’agent a commis une erreur de droit en ne fournissant pas des motifs suffisants relativement à la protection de l’État en Chine et en n’accordant pas au demandeur une audience. Il soutient également que la décision est déraisonnable.

 

[2]               Je ne suis pas convaincu que l’agent a commis les erreurs reprochées ou que la décision est déraisonnable. Par conséquent, je rejette la présente demande.

 

Contexte

[3]               Le demandeur, un citoyen chinois, a présenté une demande d’ERAR fondée sur sa crainte des trafiquants de drogue en Chine.

 

[4]               En 2005, le demandeur a ouvert une usine de traitement de matériel à En Ping, en Chine. Il affirme avoir découvert qu’une usine voisine appartenait à un homme ayant des liens avec le gouvernement, la police et la mafia. Après que la forte odeur qui se dégageait de l’usine voisine ait éveillé ses soupçons, le demandeur a ramassé une pilule qui s’était échappée d’un paquet tombé d’une camionnette qui y effectuait des livraisons. Un ami du demandeur a analysé la pilule et a déterminé qu’il s’agissait de MDMA (ecstasy).

 

[5]               M. Yu a dénoncé l’usine de fabrication de drogue à la police. Cependant, la police était de connivence avec le propriétaire et lui aurait parlé du rapport du demandeur. Deux jours après le rapport du demandeur, plus de dix hommes sont allés à son usine, l’ont battu avec des bâtons en bois et en métal, ont endommagé l’équipement de son usine et l’ont menacé de brûler l’usine et de tuer sa famille s’il retournait voir la police. Les hommes qui ont attaqué le demandeur ont dit qu’ils savaient qu’il avait dénoncé leur patron à la police. Le demandeur a reconnu certains des hommes comme étant des employés de l’usine voisine et a remarqué que certains d’entre eux avaient un aigle tatoué sur leur main gauche. Par suite de cette agression, le demandeur a été hospitalisé. Il a déposé le rapport médical avec sa demande d’ERAR.

 

[6]               À la suite de cet incident, M. Yu a fermé son usine et s’est caché. Il a de nouveau porté plainte à la police, mais en vain, et a ensuite décidé de dénoncer la fabrication de drogue à une instance policière supérieure, le service de police de la ville de Jiangmen. Il a déclaré que le 23 décembre 2006, après deux mois d’enquête, la police de Jiangmen a fait une descente dans l’usine et a arrêté le propriétaire. La descente a été rapportée par les médias, et le demandeur a déposé un reportage avec sa demande d’ERAR.

 

[7]               Le demandeur a continué de se faire poursuivre par des complices des trafiquants de drogue. Ils lui ont téléphoné pour lui demander où il se trouvait et l’ont menacé de tuer sa famille. Le 1er janvier 2007, quatre hommes se sont présentés chez lui en son absence. Ils ont lancé de la peinture rouge sur la porte d’en avant, se sont introduits par effraction et ont saccagé tous ses meubles, ont tué son chien, ont menacé de tuer son oncle qui était présent à ce moment‑là et ont dit à ce dernier qu’ils avaient des hommes partout, même à l’étranger. Les hommes ont déclaré être membres de la triade du Grand Cercle.

 

[8]               L’oncle a signalé l’incident à la police, et trois policiers sont allés chez le demandeur pour enquête et ont dit qu’ils poursuivraient leur enquête. M. Yu n’est pas retourné chez lui, mais son oncle lui a dit qu’une voiture de police venait et [traduction] « patrouillait près de chez [le demandeur] de temps en temps mais que, après trois ou quatre jours, la voiture de police ne venait plus du tout ».

 

[9]               Le 4 janvier 2007, le demandeur a déménagé à Jiangmen, où il travaillait dans une usine et vivait dans la résidence des travailleurs de l’usine. Alors que le demandeur était parti en voyage d’affaires, des hommes sont venus et ont demandé à son camarade de chambre où il se trouvait. L’un des hommes avait un aigle tatoué sur la main. Les hommes ont dit à son camarade de chambre que s’il ne pouvait le trouver, ils s’en prendraient à son fils. Le demandeur soupçonnait que les membres de la triade l’avaient retrouvé grâce à leurs liens avec la police.

 

[10]           À son retour à Jiangmen, le demandeur n’est pas retourné à la résidence mais est plutôt allé vivre chez des proches et a commencé à travailler comme chauffeur pour une société immobilière. Puis, en septembre 2007, quatre hommes se sont présentés à l’entreprise où le demandeur travaillait alors que ce dernier se trouvait sur un chantier de construction. Les hommes ont menacé son employeur, qui leur a révélé que le demandeur se trouvait sur le chantier de construction. L’employeur a ensuite téléphoné au demandeur pour l’avertir et lui dire qu’il était congédié pour avoir causé autant d’ennuis.

 

[11]           Le demandeur a alors fui à Guangzhou, où il demeurait chez un parent éloigné. Les trafiquants de drogue ont réussi à le retrouver là‑bas aussi et, le 15 octobre 2007, trois hommes s’y sont présentés en brandissant un couteau et ont menacé M. Yu. Le demandeur s’est enfui par une fenêtre d’en arrière. M. Yu affirme que, comme la Chine oblige les personnes à s’enregistrer auprès de la police pour obtenir un permis de séjour temporaire, ses persécuteurs seraient capables de le retrouver n’importe où en Chine. En conséquence, le demandeur a retenu les services d’un intermédiaire qui a fait le nécessaire pour lui permettre de se rendre au Canada en transitant par les États‑Unis.

 

[12]           Le demandeur affirme que depuis son arrivée au Canada, les gangsters ont continué de le chercher en Chine. Il croit qu’ils collaborent avec la police et qu’ils cherchent toujours à se venger. En novembre 2009, son cousin a découvert des graffitis à teneur menaçante sur le domicile du demandeur.

 

[13]           Durant cette période, le demandeur a pris des dispositions pour que ses enfants habitent chez un ami à Guangzhou. Il a ensuite pris des dispositions pour que son fils aîné, Wei Bin Yu, étudie à New York. Le 14 décembre 2009, quelqu’un a téléphoné aux amis du demandeur pour demander où ce dernier se trouvait et a déclaré qu’il savait que son fils étudiait à l’école Windsor, à New York, et qu’ils savaient où il vivait. Le 15 décembre 2009, des camarades de classe ont informé le fils du demandeur que deux hommes le cherchaient à la sortie de l’école et qu’ils avaient une photo de lui. Son fils n’est pas retourné à l’école et le demandeur a fait le nécessaire pour que son fils se rende au Canada. Son fils a actuellement une demande d’asile distincte en instance au Canada.

 

[14]           Le tuteur de son fils à New York a fourni un affidavit dans lequel il déclare que des hommes avaient appelé pour savoir où se trouvait sont fils, s’étaient présentés pour savoir où son fils se trouvait et l’avaient menacé. Il a remarqué que l’un des hommes avait un aigle tatoué sur la main gauche.

 

[15]           L’agent qui a procédé à l’ ERAR du demandeur a rejeté la demande d’ERAR aux motifs [traduction] « d’invraisemblances, d’insuffisance de preuve et de l’existence de la protection de l’État en Chine ».

 

[16]           L’agent s’est dit convaincu que M. Yu avait créé et exploitait sa propre entreprise en 2005 et qu’il avait été hospitalisé en 2006, en raison de blessures pouvant avoir été causées par une grave agression. Cependant, l’agent a constaté que le demandeur n’avait pas fourni la preuve de cette déclaration à la police, de sa participation à l’enquête sur les stupéfiants, du rapport de police de son oncle ou du fait que les tatouages d’aigle sont le signe de l’appartenance à la triade du Grand Cercle.

 

[17]           L’agent a constaté que l’article de presse qui décrivait la descente pour des stupéfiants du 23 décembre 2006 semblait tiré d’Internet mais ne comportait pas [traduction] « les en‑têtes et pieds de page habituels (c’est‑à‑dire la date d’impression, l’adresse Web, etc.) » et qu’il était donc impossible de connaître son origine.

 

[18]           L’agent a remarqué que le demandeur a déclaré qu’il avait signalé le trafic de stupéfiants à la mi‑octobre 2006 et qu’il avait été agressé deux jours plus tard, et que le demandeur a dit déposer une autre plainte auprès d’une instance policière supérieure, ce qui avait conduit à l’enquête. L’agent a fait remarquer que si, comme le laisse entendre l’article de presse et contrairement aux déclarations du demandeur, la police faisait enquête sur l’usine deux mois avant que le demandeur ne découvre le trafic de stupéfiants, le demandeur n’aurait eu aucune influence apparente sur l’enquête. Compte tenu de cette contradiction et de l’absence de rapports de police, l’agent s’est fondé sur l’article de presse et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur était à l’origine de l’enquête policière ou y a participé.

 

[19]           L’agent a également constaté qu’aucune preuve n’a été produite concernant le rapport de police que l’oncle du demandeur a fait à la suite de l’incident au cours duquel le chien a été tué, si ce n’est la déclaration selon laquelle l’oncle est décédé en 2008. L’agent a estimé que l’absence d’éléments de preuve concernant l’utilisation de tatouages d’aigle par la triade du Grand Cercle posait problème, car les tatouages étaient ce qui reliait les hommes qui ont menacé le fils du demandeur à New York aux incidents survenus en Chine.

 

[20]           En ce qui concerne l’incident survenu à l’école du fils du demandeur, l’agent a jugé improbable que la présence d’individus suspects, qui, selon la preuve, [traduction] « semblaient être membres d’un gang », avec la photo du fils de demandeur demandant aux étudiants s’ils le connaissaient ne sonnerait pas l’alarme à une école secondaire. L’agent a jugé improbable que les camarades de classe du fils ne le diraient pas à un professeur ou à une autre personne en autorité, et qu’il était improbable que le tuteur du fils du demandeur parle à un notaire public mais non à la police des menaces de mort. Compte tenu de ces doutes, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le fils du demandeur avait fait l’objet de menaces à New York.

 

[21]           L’agent a examiné la lettre jointe aux photos des menaces peintes sur le domicile du demandeur en Chine, mais a constaté que la lettre semblait [traduction] « plutôt joviale ». L’agent a jugé qu’il était difficile d’évaluer le vandalisme compte tenu de l’absence d’éléments de preuve concernant les autres aspects de la demande.

 

[22]           L’agent a conclu que, de toute façon, le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. L’agent a examiné la protection que le demandeur avait cherché à obtenir de la police et la protection dont il avait bénéficié, plus particulièrement la déclaration du demandeur selon laquelle il avait songé à aller voir la police après l’incident survenu à Guangzhou, mais ne l’a pas fait parce qu’il a conclu qu’il serait impossible que la police le protège 24 heures par jour. L’agent a reconnu que le demandeur avait fort probablement raison de penser que la police ne serait pas en mesure de lui assurer une protection constante, mais a fait remarquer que la protection de l’État n’a pas à être parfaite. L’agent a conclu que la preuve démontrait que les autorités chinoises prennent la corruption et le crime organisé au sérieux et a expressément souligné que la police a réussi à mettre fin à un vaste réseau de fabrication et de trafic de stupéfiants et à incarcérer dix membres de la triade, dont le chef. L’agent a jugé improbable que la police ne fasse pas ensuite le suivi des allégations du demandeur selon lesquelles d’autres membres de l’organisation l’avaient menacé. L’agent a fait remarquer que la police avait offert de protéger le demandeur après l’incident mettant en cause son oncle et son chien et avait effectivement effectué des patrouilles, mais que le demandeur avait fui dans une autre région au lieu de se prévaloir de cette protection.

 

[23]           L’agent a constaté que les articles de presse fournis par le demandeur portaient sur de récentes campagnes de lutte contre la corruption en Chine qui ont donné lieu à un grand nombre d’arrestations et à une [traduction] « répression massive ». L’agent a reconnu que l’infiltration des gangs au sein de la police et du gouvernement représente toujours un problème important en Chine, mais a également indiqué que la preuve démontre que les instances supérieures sont conscientes du problème et prennent des mesures tangibles pour mettre un frein à l’influence du crime organisé.

 

[24]           L’agent a jugé, sur la foi du récit du demandeur , que ce dernier avait été victime d’un crime et n’était pas persécuté pour un des motifs prévus dans la Convention, et n’était pas donc visé par l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Quant à l’article 97 de la Loi, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer la prétention du demandeur, et également que le demandeur n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Par conséquent, la demande a été rejetée.

 

Analyse

[25]           Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il était impossible de retrouver le reportage sur la descente pour des stupéfiants, compte tenu de l’absence des en‑têtes et pieds de page figurant habituellement sur un article de presse tiré d’Internet, n’était pas fondée et que [traduction] « tous les renseignements soi‑disant manquants s’y trouvaient ». Les observations du demandeur concernant le site Web sont dépourvues de fondement et les conclusions de l’agent sont justes. Les adresses Web figurant sur le document imprimé produit par le demandeur sont des liens généraux vers des sites de nouvelles et ne conduisent pas à l’article de presse décrivant la descente pour des stupéfiants. C’était en chinois, l’agent était donc dans l’impossibilité, sans une adresse précise, de vérifier l’article original.

 

[26]           Le demandeur soutient que l’agent a tiré une conclusion défavorable relativement à sa crédibilité en raison des éléments de preuve en apparence contradictoires et que ce dernier est passé à côté de l’essentiel de l’allégation de risque soulevé par le demandeur : il était dans la mire des complices du réseau de trafiquants de drogue pour avoir dénoncé à la police l’usine et son dirigeant. Le demandeur affirme que le moment où la descente pour des stupéfiants a eu lieu n’a aucune importance et que l’agent a donc tiré ses conclusions de façon arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve.

 

[27]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, son affidavit laisse entendre qu’il a influencé l’enquête policière, et il n’était pas déraisonnable pour l’agent de l’interpréter ainsi. Au paragraphe 15 de son affidavit, le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]

J’ai de nouveau porté plainte auprès de la police, ce qui s’est terminé pas aucune réponse [sic]. J’ai donc dû dénoncer leurs activités de fabrication et de trafic de stupéfiants à une instance policière supérieure — le service de police de la ville de Jiangmen. Le 23 décembre 2006, après avoir passé plus de deux mois à mener une enquête complète et à recueillir des preuves, le service de police de Jiangmen, son chef de police étant à la tête de plus de 100 policiers a arrêté M. Xu et 8 autres employés s’occupant de la fabrication de drogue.

 

 

[28]           Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure, compte tenu de l’ordre chronologique établi dans cet extrait, que la plainte du demandeur a mené à l’enquête policière. De plus, le fait que la chronologie des événements établie par le demandeur concerne sa plainte, puis deux mois d’enquête et ensuite la descente, confirment également le caractère raisonnable de l’interprétation de l’agent selon laquelle le témoignage du demandeur laisse entendre qu’il a provoqué la descente. Les deux mois d’enquête dont parle le demandeur se rapportent clairement aux mois d’octobre à décembre 2006, alors que la période de deux mois dont parle l’article de presse se rapporte aux mois de juillet à septembre 2006. L’affidavit du demandeur indique que la police a fait enquête pendant deux mois avant d’effectuer la descente, alors que l’article de presse indique qu’ils ont fait enquête pendant cinq mois. Compte tenu de ces faits, la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait une contradiction entre le reportage et l’affidavit du demandeur était raisonnable et, étant donné l’absence de rapports de police ou d’autres éléments de preuve, la décision de l’agent d’accorder la préférence à l’article de presse et de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur était à l’origine de l’enquête policière ou y avait participé était raisonnable.

 

[29]           Le demandeur affirme que la conclusion de l’agent qu’il y avait [traduction] « insuffisance de preuve » était inextricablement liée aux questions concernant la crédibilité du demandeur, et que, par conséquent, la justice naturelle exigeait que le demandeur obtienne une audience pour lui permettre de dissiper les doutes de l’agent.

 

[30]           Je conviens avec le demandeur que certaines des conclusions de l’agent équivalaient à des conclusions relatives à la crédibilité malgré l’utilisation des termes insuffisance de preuve, contradiction et invraisemblance. Toutefois, le fait de soulever une question en matière de crédibilité ne satisfait qu’aux exigences de l’alinéa a) de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. Cette disposition prévoit également comme facteurs « b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection; c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection ». À mon avis, les éléments de preuve contestés, à supposer qu’ils aient été admis, n’étaient pas suffisamment importants pour la prise de décision pour justifier qu’ait été accordée la protection, et ce, d’autant plus que l’agent a tiré une conclusion raisonnable concernant la protection de l’État qui n’était entachée d’aucun doute quant à la crédibilité.

 

[31]           Selon le demandeur, pour que la protection de l’État soit adéquate, elle doit être efficace, et cela exige que le décideur ne se contente pas de simplement souligner ce qu’ont fait les autorités après qu’une plainte ait été déposée : Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 530. Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant les menaces et l’agression dont il a été victime et du fait que les documents portant sur la situation au pays indiquent que la corruption est endémique au sein de la police et du gouvernement en Chine. Le demandeur affirme que le problème de la corruption et des liens qu’entretiennent les policiers avec les criminels [traduction] « n’était même pas mentionné » dans la décision et que l’agent n’a pas tenu compte de la véritable efficacité de la protection à sa disposition. Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il était persuadé que la police collaborait avec ses poursuivants pour les aider à trouver où il vivait, qu’il a été poursuivi à travers la Chine, que des membres de sa famille avaient fait l’objet de menaces sérieuses et que des documents objectifs portant sur la situation au pays indiquent une absence de protection de l’État. Il soutient également que le fardeau de preuve qui incombe au demandeur qui cherche à établir l’absence de protection de l’État est proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause, et que la démocratie est inexistante en Chine. Par conséquent, le demandeur affirme que la conclusion relative à la protection de l’État a été tirée de façon arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve.

 

[32]           Le demandeur a procédé à l’examen des motifs de l’agent mais a ignoré l’un des indices les plus éloquents de l’existence de la protection de l’État en l’espèce : la police a effectué une descente à l’usine de drogue et a arrêté plusieurs têtes dirigeantes, dont le propriétaire de l’usine voisine, le présumé agent de persécution. Je souscris à l’observation de l’agent selon laquelle si les autorités étaient disposées à effectuer une descente bien planifiée et à large échelle contre les fabricants de drogue, il serait peu probable qu’elles ne soient ensuite pas disposées à protéger le demandeur.

 

[33]           Par ailleurs, l’agent a également pris en considération le fait que la police a dit à son oncle qu’elle ferait enquête et protégerait le demandeur et qu’elle a envoyé une patrouille chez lui pendant trois ou quatre jours après l’incident mettant en cause son oncle et son chien. Cependant, le demandeur a décidé de s’enfuir. L’agent a constaté que le demandeur n’avait pas déposé d’autres plaintes auprès de la police.

 

[34]           L’agent n’a pas mal interprété le critère relatif à la protection de l’État; il a déterminé qu’il existait une protection efficace en Chine. Contrairement à ce que prétend le demandeur, il ressort clairement de l’extrait suivant que l’agent a pris en considération le problème de la corruption, mais a néanmoins conclu que des mesures avaient prises à cet égard et que cela n’avait pas empêché le demandeur de bénéficier de la protection de l’État :

[traduction[

[L’agent examine l’article du Vancouver Sun fourni par le demandeur, puis écrit ce qui suit.] D’autres articles fournis par le demandeur, tirés du « Huffington Post », du Daily Telegraph et du Wall Street Journal, font état de cette même répression massive. Des éléments de preuve crédibles établissent que l’infiltration des gangs au sein de la police et du gouvernement en Chine représente un problème important. Cependant, la preuve révèle aussi que les instances supérieures sont conscientes du problème et prennent des mesures tangibles pour mettre un frein à l’influence du crime organisé.

 

[35]           Contrairement à l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il était persuadé que la police collaborait avec ses poursuivants, l’agent indique dans sa décision qu’il a pris en considération cette allégation, tel qu’il ressort de l’extrait suivant de la décision : [traduction] « Lorsque le demandeur déménageait, il devait s’enregistrer auprès du service de police local et c’est ainsi que, selon lui, les membres du gang ont pu le retrouver partout où il allait ».

 

[36]           En ce qui a trait à l’analyse de la protection de l’État par l’agent, le demandeur reproche essentiellement à l’agent de ne pas avoir accordé à certains aspects de son témoignage l’importance qu’il souhaitait. L’agent a souligné que la protection de l’État n’a pas à être parfaite et a déterminé, à la lumière de la preuve, que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État. Cette conclusion était raisonnable et ne faisait abstraction d’aucune des questions soulevées par le demandeur. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve.

 

[37]           Le demandeur propose que la question suivante soit certifiée :

Dans le cas d’une décision sur l’ERAR visant l’existence de la protection de l’État, et lorsque la SPR n’a pas rendu de décision, l’agent est‑il tenu de procéder à une analyse plus approfondie et exhaustive de la protection de l’État?

 

[38]           Il ne convient pas de certifier cette question car elle ne permettrait pas de régler l’appel, étant donné que rien ne prouve que l’agent n’a pas procédé à une analyse approfondie et exhaustive de la protection de l’État : Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyennetée et de l’Immigration), 2004 CAF 89.


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2812-10

 

INTITULÉ :                                                   YONG QIANG YU
c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 25 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 9 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Iven K. S. Tse

POUR LE DEMANDEUR

 

Kimberly Shane

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

IVEN K. S. TSE

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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