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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101210

Dossier : IMM-1482-10

Référence : 2010 CF 1271

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2010

En présence de Monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ELENA YOLANDA DURAN et

FRANCISCO OSWALDO ALVAREZ DURAN

demandeurs

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision écrite datée du 23 mars 2010 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux deux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[2]               Les demandeurs, une mère et son fils adulte, sont citoyens du Salvador. La demanderesse affirme qu’en 1995 son beau‑fils a été enlevé en raison de son affiliation au Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), un parti politique de gauche. À la suite de sa libération, sa fille et lui ont reçu des menaces et ont été victimes d’autres types d’attaques en 1998 et en 2001. En 2002, sa fille et son beau‑fils ont obtenu l’asile au Canada. La demanderesse a emménagé avec un autre fils, Douglas, dans la maison que sa fille habitait, pour le reste de son bail.

 

[3]               Selon les demandeurs, en avril 2003, un groupe d’hommes sont entrés de force dans la maison et ont demandé où se trouvait la fille. La demanderesse a dit qu’ils l’ont menacée lorsqu’elle a refusé de collaborer. Elle a dit également que, selon la façon dont ils parlaient, la violence dont ils faisaient usage, leur taille et leur coupe de cheveux, elle a su qu’ils étaient des agents de police.

 

[4]               En mai 2003, deux hommes ont tiré sur la demanderesse, mais celle‑ci n’a pas été grièvement blessée. Les demandeurs ont affirmé à l’audience qu’ils croyaient que cet incident était lié aux évènements que la fille et le beau‑fils avaient vécus. Peu après l’incident, la demanderesse a toutefois porté plainte à la police, affirmant que les auteurs des coups de feu ne lui ont pas parlé, qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait été prise pour cible et qu’elle croyait que les coupables étaient peut‑être des voleurs.

 

[5]               Les demandeurs et Douglas ont déménagé dans une autre ville. Ils n’ont eu aucun problème jusqu’en 2007, lorsqu’une personne en contact avec la police leur a appris que les ravisseurs du beau‑fils avaient été mis en liberté. L’enfant de la fille n’était donc pas en sécurité et elle a été envoyée au Canada.

 

[6]               En février 2008, deux hommes ont frappé le demandeur à la tête avec un fusil et il a dû recevoir des soins médicaux. La famille a changé de nouveau de domicile. En mai 2008, Douglas a disparu et la famille n’a eu depuis aucune nouvelle de lui. Les demandeurs ont quitté le pays, craignant pour leur sécurité.

 

[7]               Le 9 juin 2008, la demanderesse est entrée au Canada via les États‑Unis et a demandé immédiatement l’asile. Le 5 août 2008, le demandeur est entré au Canada via le Mexique et les États‑Unis et a demandé immédiatement asile à son tour. La SPR a instruit les deux demandes le 1er mars 2010; ni l’un ni l’autre des demandeurs n’était représenté par avocat. La SPR a rendu une décision de vive voix le même jour et une décision écrite le 23 mars 2010. Ni l’un ni l’autre des demandeurs ne s’est vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]               La décision de la SPR était fondée sur deux facteurs : une conclusion défavorable relative à la crédibilité de la demanderesse et l’omission des deux demandeurs d’établir un lien entre les évènements vécus par la fille et le beau‑fils et ce qui leur était arrivé après que ceux‑ci eurent quitté le Salvador.

 

[9]               Le SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse était « vague, confus et contradictoire ». Il est noté dans la décision que la demanderesse a « rarement » répondu aux questions directement et que la SPR a ainsi dû répéter des questions à plusieurs reprises.

 

[10]           La SPR n’a pas accepté la déclaration de la demanderesse selon laquelle les crimes dont sa famille et elle-même avaient été victimes ont été commis par des agents de police. Par exemple, la preuve ne permettait pas d’établir que les personnes qui étaient entrées de force dans la maison étaient des agents de police. Ces personnes n’étaient pas en uniforme, elles ne se sont pas présentées comme des policiers et elles n’ont pas fait preuve d’un comportement permettant de les distinguer de simples criminels.

 

[11]           De plus, le témoignage oral de la demanderesse concernant l’enlèvement de son beau‑fils était contredit par la preuve documentaire constituée d’un article de journal, dont elle avait elle‑même confirmé l’exactitude. Bien qu’elle ait affirmé que son beau‑fils avait été enlevé pour des motifs politiques, selon l’article, le motif de l’enlèvement était « exclusivement pécuniaire ». En outre, bien qu’elle ait déclaré que les auteurs de l’enlèvement étaient des agents de police, l’article indiquait qu’il s’agissait de membres d’un « réseau criminel ». La SPR a jugé que, puisque l’article reproduisait les noms des auteurs de l’enlèvement et leurs photos, il aurait également indiqué si ces personnes étaient des policiers. L’arrestation et l’emprisonnement des ravisseurs ont été considérés par la SPR comme preuve supplémentaire qu’ils n’étaient pas des agents de police et qu’ils n’avaient aucun lien avec la police.

 

[12]           L’article indiquait également que les ravisseurs avaient été arrêtés en 1995. La demanderesse a dit qu’ils avaient été libérés en 2007, et, selon la SPR, ils n’auraient donc pas pu lui tirer dessus en 2003.

 

[13]           Enfin, la demanderesse a dit à l’audience que l’incident de 2003 relatif aux coups de feu était lié à ce qui est arrivé à sa fille et à son beau‑fils pour des raisons politiques. Cette affirmation contredisait ses déclarations à la police et aux agents d’immigration, à savoir qu’elle ne connaissait pas les coupables et ne savait pas pourquoi elle avait été prise pour cible.

 

[14]           La SPR a conclu que le témoignage du demandeur selon lequel il avait été frappé avec un fusil n’était pas assez solide pour établir un lien avec ce qui est arrivé à la fille et au beau‑fils; sa prétention relative à l’existence d’un tel lien n’était qu’une simple hypothèse. Le demandeur ne pouvait pas identifier ses agresseurs ni préciser les raisons de l’agression.

 

[15]           Dans le même ordre d’idées, rien ne permettait d’établir un lien entre la disparition de Douglas et les événements vécus par la fille et le beau‑fils pour des raisons politiques. Personne ne connaît les motifs de sa disparition ni les personnes responsables, s’il en est le cas.

 

[16]           Enfin, la SPR a conclu que, contrairement à leurs prétentions, les demandeurs n’ont pas été victimes d’une machination politique, liée à la police, mais qu’ils ont plutôt été « victimes d’une série d’attaques violentes qui [n’étaient] pas liées aux événements vécus par les autres membres de [la] famille ». La preuve ne permettait pas d’établir un lien entre les événements vécus par la fille et le beau‑fils pour des raisons politiques et les événements décrits par les demandeurs. En ce qui concerne les autres motifs prévus dans la Convention, les demandeurs ne craignaient personne au Salvador en raison de leur nationalité, de leur race, ou de leur religion, et le seul fait d’être victimes d’un crime ne peut étayer leur appartenance à un groupe social. Bien que la famille constitue un groupe social, ce critère ne peut s’appliquer en l’absence d’un lien.

 

[17]           Après avoir examiné les revendications fondées sur l’article 96, la SPR s’est penchée sur les revendications fondées sur l’article 97. Elle a conclu, compte tenu de la preuve documentaire et de la jurisprudence, que les demandeurs n’étaient pas personnellement exposés à un risque au Salvador. Dans ce pays, les meurtres sont en quelque sorte endémiques. L’extorsion, le vol, et les enlèvements sont très courants. Ce sont des risques généralisés auxquels est exposé quiconque vit au Salvador. Les demandeurs ne s’étant pas acquittés du fardeau de produire une preuve suffisante pour établir le bien‑fondé de leurs demandes suivant l’un ou l’autre article de la Loi, celles‑ci ont été rejetées.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.      La SPR a‑t‑elle commis des erreurs dans ses conclusions sur la crédibilité?

2.      La SPR a‑t‑elle mal interprété ou a‑t‑elle omis de tenir compte d’importants éléments de preuve?

3.      La SPR a‑t‑elle fondé sa décision sur des conclusions qui n’étaient pas étayées par la preuve?

 

 

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

 

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

  

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Au contraire, dans le cas où la norme de contrôle applicable à la question dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement dans le cas où cette recherche ne porte pas fruit que la cour de révision doit entreprendre une analyse relative à la norme de contrôle applicable en fonction des quatre facteurs que celle‑ci comprend.  

 

[21]           La décision de la SPR est fondée en partie sur son appréciation de la crédibilité des demandeurs. L’appréciation de la crédibilité relève de l’expertise de la SPR. Ainsi, les conclusions sur la crédibilité commandent la norme de la raisonnabilité lors d’un contrôle. Voir Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 C.F. 571, [2008] A.C.F. no 732, au paragraphe 14.

 

[22]           Les demandeurs ont également soulevé devant la Cour une question relative à l’appréciation de la preuve par la SPR. Pour déterminer si la SPR a omis ou non de tenir compte d’éléments de preuve importants, si elle a mal interprété les éléments de preuve ou si elle a tenu compte d’éléments de preuve non pertinents, la norme qui convient est celle de la raisonnabilité. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53.

 

[23]           Lorsque le tribunal examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Les demandeurs

                        Les conclusions en matière de crédibilité ne tiennent pas compte de la fragilité psychologique

 

[24]           Les demandeurs font valoir que l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse effectuée par la SPR ne tient pas compte de ses problèmes psychologiques et émotionnels, exposés dans l’évaluation des besoins en counselling de février 2010 effectuée par Fanny Oliphant, conseillère familiale auprès de la Calgary Immigrant Women’s Association. Mme Oliphant a rencontré la demanderesse 16 fois et a signalé notamment les symptômes de troubles psychologiques suivants : confusion, troubles émotionnels, très grande anxiété, troubles de mémoire, insomnie et stress post‑traumatique possible. Non seulement la SPR a‑t‑elle omis de tenir compte de l’évaluation des besoins en counselling, mais aussi elle a omis d’aborder cette question.

 

[25]           La SPR a également omis de prendre en considération le fait que ni l’un ni l’autre des demandeurs n’était représenté par un avocat à l’audience et que la demanderesse, plus particulièrement, avait de la difficulté à présenter sa cause en raison de sa fragilité psychologique.

 

La preuve permet de conclure à l’existence d’un lien

[26]           Les demandeurs soutiennent que le lien existant entre la violence dont ils ont été victimes et la persécution politique subie par la fille et le beau‑fils de la demanderesse est évident, compte tenu de la preuve. Des membres de la famille ont été antérieurement victimes d’agressions; il va de soi que ces événements sont directement liés aux attaques dont les demandeurs ont été victimes. Selon les demandeurs, la conclusion de la SPR selon laquelle ces attaques ne constituaient rien de plus que des « crimes indépendants les uns des autres » est illogique, ridicule et montre le caractère insuffisant de l’appréciation de la preuve documentaire effectuée par la SPR.

 

[27]           La persécution subie en raison de leurs liens de parenté avec la fille et le beau‑fils fait clairement en sorte que les demandes d’asile présentées par les demandeurs tombent dans la catégorie de la persécution du fait de l’« appartenance à un groupe social », aux termes de l’article 97. La SPR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas conclu à l’existence d’un tel lien.

 

Le défendeur

            Les conclusions en matière de crédibilité sont raisonnables et appellent la déférence

 

[28]           Il convient de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Comme le juge Simon Noël l’a affirmé dans Ankrah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (1re inst.), au paragraphe 7 : « La Cour doit se montrer très prudente afin de ne pas substituer sa propre décision à celle du tribunal, en particulier lorsque la décision repose sur une évaluation de la crédibilité ».

 

[29]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse sont raisonnables compte tenu de ses réponses vagues et confuses ainsi que d’un certain nombre de contradictions entre son témoignage à l’audience et la preuve documentaire, à savoir le rapport de police sur l’incident relatif aux coups de feu, l’article de journal et le compte rendu de son entrevue avec des agents de l’immigration.

 

La Cour ne doit pas réévaluer la preuve

[30]           Le défendeur soutient que les demandeurs sont simplement en désaccord avec les conclusions de fait de la SPR et avec son interprétation de la preuve. Or, la SPR est un tribunal ayant une expertise en la matière, chargé de trancher précisément les questions qui ont été tranchées dans la présente affaire. Il n’appartient dons pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 4, 46, 59, 61; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 à 49.

 

[31]           L’existence d’un lien constitue un élément nécessaire qui doit être prouvé à l’égard de toute demande d’asile. Il appartient au demandeur d’établir un lien entre sa demande d’asile et l’un des cinq motifs de la Convention énoncés à l’article 96. Voir Rizkallah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 412 (C.A.F.). En l’espèce, les demandeurs n’ont pas produit une preuve permettant d’établir l’existence du lien en question.

 

[32]           En ce qui concerne l’analyse fondée sur l’article 97, la SPR a soigneusement examiné la situation au Salvador et a mis l’accent sur le caractère généralisé des organisations criminelles et sur la violence extrême infligée par ces organisations à l’ensemble de la population. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que le risque auquel étaient exposés les demandeurs était non pas un risque personnalisé, mais plutôt un risque généralisé auquel étaient exposés leurs concitoyens. Pour ce motif, les demandeurs n’ont pas qualité de personnes à protéger en vertu de l’article 97.

 

ANALYSE

[33]           Les motifs invoqués par les demandeurs pour soutenir que la décision est susceptible de contrôle sont énoncés dans leurs observations écrites et dans l’exposé oral de leur avocate à l’audience. Certains de ces motifs donnent à penser que les demandeurs sont simplement en désaccord avec la décision.

 

[34]           Par exemple, les demandeurs soutiennent que la SPR [traduction] « a omis de considérer tous les motifs possibles permettant de demander l’asile », même ceux qui n’ont pas été invoqués par les demandeurs. Les demandeurs ne précisent cependant pas de quels autres motifs possibles permettant de demander l’asile la SPR avait été saisie en l’espèce. La Cour ne peut donc pas voir quelle erreur susceptible de contrôle aurait pu se produire à cet égard. Aucun motif subsidiaire évident ne se présente à la Cour, et la décision elle‑même énonce que la SPR estime « qu’il n’y a aucun lien avec l’un ou l’autre des motifs prévus dans la Convention, c’est à dire que vous ne craigniez pas ces personnes en raison de votre nationalité, de votre race, de votre religion ou de vos opinions politiques. Je conclus également que vos craintes ne s’expliquent pas non plus par une appartenance à un groupe social. » À mon avis, cela indique que la SPR a cherché tous les motifs possibles permettant de conclure à l’existence d’un lien.

 

[35]           Les demandeurs affirment également que la SPR [traduction] « n’a pas tenu compte du fait que les demandeurs d’asile n’étaient pas "représentés" par avocat et qu’ils étaient confrontés à des problèmes psychologiques et émotionnels graves, et que le revendicateur principal [la demandeure d’asile] aurait dû faire l’objet de plus de diligence ». Toutefois, rien dans la preuve ne démontre le manque de diligence. La SPR n’a tout simplement pas trouvé de lien entre les événements vécus par les demandeurs et ce qui est arrivé antérieurement à la fille et au beau‑fils.

 

[36]           L’argument le plus solide invoqué par les demandeurs porte que la SPR ne fait pas expressément référence à l’évaluation des besoins en counselling concernant l’état d’esprit et la fragilité de la demanderesse, permettant à la Cour, selon les principes énoncés dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, de conclure que l’évaluation en question n’a pas été examinée.

 

[37]           L’évaluation des besoins en counselling, bien entendu, n’a aucune incidence sur les conclusions concernant le demandeur.

 

[38]           La conclusion principale de la décision porte que les demandeurs n’ont pas réussi à établir objectivement un lien entre les événements qu’ils ont vécus au Salvador et ce qui est arrivé à la fille et à son mari, de sorte à établir ainsi un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention.

 

[39]           Afin d’établir le lien en question, les demandeurs ont renvoyé à des événements qui remontaient à 2003 et à 2007 ainsi qu’à des événements postérieurs. Il n’y avait aucune preuve objective de l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention. Les demandeurs étaient, s’il en est, des victimes du crime généralisé. La demande d’asile n’a pas été rejetée uniquement en raison du témoignage contradictoire de la demanderesse. Même si la demanderesse été confuse à l’audience, la SPR ne disposait d’aucune preuve objective de l’existence d’un lien avec l’un des motifs de la Convention. L’évaluation des besoins en counselling ne contredit pas cette conclusion. Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’était pas nécessaire de faire expressément référence à l’évaluation en question.

 

[40]           L’avocate a également invoqué à l’audience un nouvel argument portant que la SPR a omis de prendre en considération l’évaluation des besoins en  counselling et les risques pour la santé de la demanderesse si elle retournait au Salvador. J’estime toutefois qu’il n’y a rien dans l’évaluation qui justifie, en ce qui concerne la demanderesse, l’application des facteurs de risque énoncés à l’article 97 de la Loi. La demanderesse n’a pas qualité de personne à protéger contre la torture, la mort ou des traitements ou peines cruels et inusités. Les risques pour la santé de la demanderesse, argument que les demandeurs invoquent maintenant tardivement, relèvent d’une analyse des considérations d’ordre humanitaire (CH), et rien au dossier n’indique que les demandeurs ne peuvent présenter une demande CH; ils seront en mesure de soulever la question de l’évaluation des besoins en counselling au moment opportun. Le seul fait que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ne signifie pas qu’ils ne peuvent se prévaloir d’autres recours s’ils souhaitent demeurer au Canada. Cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle dans la présente demande.

 

[41]           Les demandeurs font également des affirmations qui ne sont aucunement étayées par l’examen de la décision au dossier. Par exemple, ils disent que [traduction] « la commissaire n’a pas correctement analysé les documents » sur la question du lien existant, mais en définitive, il est manifeste que la Commission a examiné tous les éléments de preuve à cet égard et qu’elle est arrivée à une conclusion avec laquelle les demandeurs sont en désaccord. Il s’agit d’une question d’appréciation de la preuve. Les demandeurs demandent simplement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et d’arriver à une conclusion en leur faveur. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Dans Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, le juge Robert Decary de la Cour d’appel fédérale a fait remarquer ce qui suit :

4.         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

 

 

En me fondant sur cette interprétation, j’ai dit ce suit, dans Petrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 613 (CF) :

55        La Cour ne doit pas chercher à apprécier de nouveau la preuve dont disposait la Commission, simplement parce qu’elle serait arrivée à un résultat autre. Tant que la preuve autorise la conclusion de la Commission au chapitre de la crédibilité, et si aucune erreur rédhibitoire n’a été commise, sa décision ne doit pas être modifiée.

 

[42]           Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la SPR a effectué une analyse acceptable et raisonnable. Le désaccord des demandeurs avec l’appréciation du poids que la SPR a accordé à la preuve ne constitue pas un motif permettant d’annuler une décision pour erreur susceptible de contrôle. Voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1146, [2003] A.C.F. no 1451, au paragraphe 11.

 

[43]           Les demandeurs sont naturellement déçus de la décision, mais celle‑ci est transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

          « James Russell »

       Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1482-10

 

INTITULÉ :                                       ELENA YOLANDA DURAN et

                                                            FRANCISCO OSWALDO ALVAREZ DURAN

 

demandeurs

-   et   -

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                      défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE  RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Roxanne Haniff-Darwent                                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Camille Audain                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Darwent Law Office                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Calgary (Alberta)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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