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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101207

Dossier : T-2221-07

Référence : 2010 CF 1236

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2010

En présence de la juge Heneghan

 

ENTRE :

 

PFIZER CANADA INC. ET PHARMACIA ATKIEBOLAG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET PHARMASCIENCE INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Pfizer Canada inc. et Pharmacia Atkiebolag, collectivement « Pfizer », ont poursuivi une demande d’ordonnance d’interdiction en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, et ont eu gain de cause. Le 8 décembre 2009, une ordonnance a été rendue empêchant le ministre de la Santé de délivrer à Pharmascience inc. (« Pharmascience ») un avis de conformité jusqu’à l’expiration du brevet canadien n1 339 132. Pfizer a aussi obtenu ses dépens relatifs à la demande.

 

  • [2] Par un avis de requête déposé conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »), Pfizer demande que des directives soient données concernant la taxation de ses dépens. Pharmascience a déposé un dossier de réponse le 28 mai 2010. Par une lettre datée du 18 août 2010, le ministre a fait savoir qu’il ne participerait pas à cette requête.

 

  • [3] En résumé, Pfizer demande la taxation de ses dépens à un tarif élevé se situant à mi-chemin de la colonne IV du tableau du tarif B des Règles, ainsi que des directives concernant le nombre d’avocats à l’égard desquels des dépens devraient être adjugés et une augmentation des dépens de 25 % à titre de pénalité pour l’omission alléguée de Pharmascience de faire valoir tous les motifs d’invalidité affirmés dans son avis d’allégation.

 

  • [4] Pour sa part, Pharmascience a d’abord soutenu que Pfizer n’avait pas le droit de bénéficier des dispositions de la règle 403, c’est-à-dire de directives concernant la taxation des dépens, puisqu’elle a déposé sa requête à cet égard après l’expiration du délai pour ce faire et n’a pas réussi à satisfaire au critère applicable à l’octroi d’une prorogation de délai. En outre, Pharmascience soutient que si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai applicable au dépôt de la requête, les dépens plus élevés sollicités par Pfizer ne devraient pas être autorisés.

 

  • [5] J’examinerai en premier lieu la question du dépôt tardif de la requête de Pfizer et sa demande de prorogation du délai.

 

  • [6] En demandant une prorogation du délai dans ses observations écrites déposées dans le cadre du dossier de requête, Pfizer reconnaît que sa requête pour directives en vertu de la règle 403 est tardive. Le délai de prorogation est demandé dans l’avis de requête. Dans ses observations écrites, Pfizer prétendait expliquer pourquoi la requête a été déposée après la période que prévoit la règle 403 et a mis l’accent sur l’absence de préjudice causé à Pharmascience par le dépôt tardif de sa requête.

 

  • [7] Pharmascience souligne que Pfizer n’a fourni aucune preuve par affidavit quant à la raison justifiant le retard qu’elle a mis à déposer la requête, ni concernant son intention constante de présenter une requête en vertu de la règle 403. Pharmascience soutient que des arguments présentés dans des observations écrites ne peuvent pas remplacer l’absence de preuves requises pour appuyer une requête voulant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai fixé dans la règle 403.

 

  • [8] La règle 403 prévoit ce qui suit :

Motion for directions

 

403. (1) A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

 

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

 

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).

 

 

 

Motion after judgment

 

(2) A motion may be brought under paragraph (1)(a) whether or not the judgment included an order concerning costs.

Same judge or prothonotary

 

(3) A motion under paragraph (1)(a) shall be brought before the judge or prothonotary who signed the judgment.

Requête pour directives

 

403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l’officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

 

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

 

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

 

Précisions

 

(2) La requête visée à l’alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

Présentation de la requête

 

(3) La requête visée à l’alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.

 

  • [9] Le règle 8 régit les requêtes visant la prorogation d’un délai. Les règles 8(1) et 8(2) sont pertinentes et sont rédigées comme suit :

8. (1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.

When motion may be brought

 

 

(2) A motion for an extension of time may be brought before or after the end of the period sought to be extended.

8. (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

Moment de la présentation de la requête

 

(2) La requête visant la prorogation d’un délai peut être présentée avant ou après l’expiration du délai.

 

 

  • [10] La décision Canada c Hennelly (1999), 244 NR 399 (CAF) établit quatre critères qui doivent être pris en considération dans le cadre d’une demande de prorogation de délai. Pour obtenir la prorogation d’un délai, le demandeur doit d’abord démontrer une intention constante de poursuivre sa demande; ensuite, que la demande est bien-fondée; troisièmement, que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; quatrièmement, qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai. La considération sous-jacente en appréciant les quatre critères est la nécessité que justice soit faite entre les parties; voir Toronto Sun Wah Trading inc. c Canada (Procureur général) (2008), 383 N.R. 340 (CAF).

 

  • [11] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la règle 403 prévoit qu’une requête pour directives peut être présentée « en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement » (règle 403(1)a)). Le but d’un délai spécifique dans la règle 403 est de faire en sorte que l’affaire soit assez récente pour que la Cour puisse juger des circonstances de l’espèce; voir Smerchanski c Ministre du Revenu national [1979] 1 C.F. 801.

 

  • [12] Le jugement final dans la présente cause a été rendu le 18 décembre 2009. Le répertoire des inscriptions enregistrées indique que le jugement a été inscrit dans le livre des jugements et ordonnances à cette date. Les vacances judiciaires de Noël ont lieu du 21 décembre 2009 au 7 janvier 2010 et la règle 6(3) des Règles de la Cour fédérale précise clairement que les vacances judiciaires de Noël n’entrent pas dans le calcul des délais applicables selon les règles. Cela signifie que la période de 30 jours débutant à partir de la date du jugement final, excluant les vacances de Noël, prend fin le 4 février 2010. Pourtant, comme je l’ai mentionné plus haut, Pfizer n’a pas déposé sa requête pour directives avant le 26 mai 2010, un retard de quelque trois mois et trois semaines après le délai prescrit.

 

  • [13] En demandant à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai applicable au dépôt de la requête, Pfizer invoque tout simplement l’absence de préjudice à l’égard de Pharmascience. À juste titre, Pharmascience répond en disant que l’absence de préjudice n’est qu’un des éléments que la Cour doit prendre en considération et apprécier pour exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

 

  • [14] En réponse aux observations écrites, l’avocat de Pfizer a soutenu que Pfizer attendait l’issue d’une procédure connexe en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), à savoir le dossier T-124-08 dans lequel Pfizer se retrouvait demandeur et qui visait le même brevet et le même médicament, soit Latanoprost. Dans sa plaidoirie, Pfizer a soutenu qu’il était raisonnable d’attendre l’issue de la procédure connexe pour que Pfizer puisse déposer ses requêtes en directives relatives aux deux dossiers en même temps, par souci d’économie des ressources des parties et du temps de la Cour.

 

  • [15] Le jugement final dans le dossier T-124-08 a été rendu le 26 avril 2010. Une requête pour directives en vertu de la règle 403 a été déposée par Pfizer le 26 mai 2010.

 

  • [16] Pour appuyer sa demande de recours extraordinaire, Pfizer tente de distinguer la présente affaire de la décision dans Maytag Corp. c Whirlpool Corp. (2001), 14 CPR (4th) 368 (CAF). Dans Maytag, l’affaire était passée de la Division de première instance de la Cour fédérale, telle qu’elle était alors désignée, à la Cour d’appel fédérale et, en fin de compte, à la Cour suprême du Canada. Maytag a eu gain de cause et les dépens lui ont été adjugés à chaque étape du litige. Après la décision de la Cour d’appel, Maytag n’a pas sollicité des directives concernant les dépens, ayant décidé plutôt d’attendre que la Cour suprême rende sa décision. En conséquence, la requête de Maytage a été déposée plus de deux ans après l’expiration du délai de 30 jours.

 

  • [17] La Cour d’appel fédérale a conclu que le fait d’attendre la décision de la Cour suprême du Canada ne justifiait pas le retard mis à déposer la requête pour directives. Pfizer soutient que le long délai de deux ans dans cette affaire en fait un cas exceptionnel. À mon avis, cet argument ne saurait être retenu. Attendre pour déposer une requête pour directives en raison d’une décision imminente dans une affaire semblable distincte est beaucoup moins impérieux que d’attendre une décision en appel de la Cour suprême du Canada concernant la même affaire.

 

  • [18] L’avocat de Pharmascience a cité une récente décision du juge Pinard dans Collins cCanada (Procureur général), 2010 CF 949. Dans cette décision, le juge Pinard a refusé d’accorder une prorogation du délai pour déposer un dossier de demande, affirmant ce qui suit :

[traduction] La prorogation du délai demandée est refusée au motif principal que le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

 

 

  • [19] L’avocat de Pfizer soutient qu’il faut établir une distinction entre les cas où une prorogation du délai est refusée dans les demandes de contrôle judiciaire et la présente affaire. Pfizer soutient que les demandes de contrôle judiciaire peuvent comporter des droits fondamentaux alors que la prorogation de délai dans la présente affaire est demandée simplement pour permettre à la Cour de statuer sur une question de procédure, c’est-à-dire la façon dont les dépens seront taxés, les dépens ayant déjà été adjugés.

 

  • [20] Cet argument ne me convainc pas. Les règles précisent clairement qu’une requête pour directives doit être déposée dans les 30 jours suivant le jugement final. Pfizer a attendu trois mois et demi avant de déposer sa requête en directives. Pfizer n’a pas présenté une preuve justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai en vertu de la règle 403. Pfizer n’a pas démontré avec une preuve acceptable son intention constante de demander une prorogation de délai. Pfizer n’a pas démontré pourquoi cette Cour devrait déroger à la jurisprudence qui a établi les paramètres sur lesquels se baser pour exercer le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai.

 

  • [21] Je souscris aux observations de Pharmascience selon lesquelles Pfizer n’a pas apporté la preuve pour justifier l’exercice positif du pouvoir discrétionnaire de proroger le délai. Je souscris aux arguments de Pharmascience voulant que Pfizer n’ait pas fourni une explication acceptable pour le retard et n’ait pas démontré, en raison de l’absence de preuve, une intention constante de présenter une requête pour directives.

 

  • [22] Comme l’a signalé la Cour dans la décision Hennelly, quatre facteurs doivent être pris en compte et, à mon avis, cela signifie qu’un demandeur, comme Pfizer, doit examiner chacun des facteurs. Dans le cas présent, Pfizer n’a pas abordé adéquatement la raison du retard.

 

  • [23] Par conséquent, la requête pour directives de Pfizer est rejetée. Pfizer a droit à ses dépens pour la requête conformément à l’ordonnance du 18 décembre 2009, à être taxés par un officier taxateur en l’absence de directives. Pharmascience a droit aux dépens de la présente requête.

 

  • [24] Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens, de brèves observations d’au plus deux (2) pages pourront être déposées, ces observations devant être signifiées et produites par Pharmascience au plus tard le 14 décembre 2010 et par Pfizer au plus tard le 20 décembre 2010.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête pour directives soit rejetée avec dépens en faveur de Pharmascience conformément au paragraphe 24 ci-dessus.

 

 

« E. Heneghan »

juge


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-2221-07

 

INTITULÉ :  PFIZER CANADA INC. ET PHARMACIA

ATKIEBOLAG c LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET PHARMASCIENCE INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 25 octobre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :  Le 7 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian Daley

Kavita Ramamoorthy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Carol Hitchman

POUR LE DÉFENDEUR

PHARMASCIENCE INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats et conseillers juridiques *(Barristers and Solicitors

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Gardiner Roberts, s.r.l.

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

PHARMASCIENCE INC.

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

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