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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101207

Dossier : T-124-08

Référence : 2010 CF 1238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

 

PFIZER CANADA INC. ET PHARMACIA ATKIEBOLAG

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Pfizer Canada Inc. et Pharmacia Atkiebolag (collectivement « Pfizer ») ont réussi à obtenir une ordonnance d’interdiction déposée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) (DORS/93-133) (« le règlement ») concernant le brevet canadien no 1,339,132 (le « brevet ‘132 ») par motifs du jugement et jugement rendu le 26 avril 2010. Pfizer, la partie ayant eu gain de cause, s’est vue adjuger des dépens.

 

[2]               Par un avis de requête daté du 18 mai 2010, Pfizer a demandé des directives au sujet de la taxation des dépens, conformément aux Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106 (les « Règles »).

 

[3]               Par un avis de requête daté du 26 mai 2010, Apotex Inc. (« Apotex »), la défenderesse dans la procédure d’interdiction de Pfizer, a également demandé des directives au sujet de la taxation des dépens. Apotex a déposé un avis de requête aux fins d’examen sans comparution personnelle. Apotex a déposé l’affidavit de M. Andrew Brodkin à l’appui de sa requête.

 

[4]               Au moyen d’un autre avis de requête daté du 12 octobre 2010, Pfizer a demandé qu’une ordonnance soit rendue afin de retrancher l’affidavit de M. Brodkin.

 

[5]               Les trois requêtes ont été engagées en vue d’une audience en même temps. Les présents motifs aborderont les trois requêtes et les ordonnances individuelles seront alors déposées. J’aborderai d’abord la requête de Pfizer visant à radier l’affidavit de M. Brodkin.

 

Requête en radiation de l’affidavit de M. Andrew Brodkin

 

[6]               Comme il a été mentionné plus tôt, Pfizer a déposé une requête le 12 octobre 2010 afin d’obtenir une ordonnance en vue de radier l’affidavit de M. Andrew Brodkin. Cet affidavit a été déposé dans le cadre du dossier de requête d’Apotex et à l’appui de sa requête pour directives.

 

[7]               M. Brodkin a joué un rôle actif comme avocat dans les instances concernant un AC. Il a participé aux contre‑interrogatoires et il a plaidé la cause en première instance.

 

[8]               Pfizer s’oppose à cet affidavit pour un certain nombre de motifs. D’abord, pour citer l’article 82 des Règles, Pfizer soutient que l’on doit obtenir l’autorisation de la Cour avant qu’on ne puisse se fonder sur l’affidavit de l’avocat. Ensuite, Pfizer soutient que l’affidavit est largement fondé sur une preuve par ouï‑dire et comporte de ce fait des failles et est inadmissible. Ensuite, Pfizer soutient que l’affidavit est argumentatif.

 

[9]               L’article 82 des Règles prévoit ce qui suit :

Utilisation de l’affidavit d’un avocat

 

82. Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

Use of solicitor's affidavit

 

 

82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

 

[10]           En général, la Cour n’examine pas d’un œil favorable l’affidavit d’un avocat, particulièrement lorsque cet affidavit renvoie à des faits litigieux comme c’est le cas dans la présente affaire. À cet égard, veuillez consulter Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.F). De plus, Apotex aurait dû demander l’autorisation de la Cour avant de déposer l’affidavit.

 

[11]           J’estime que cette affaire est exceptionnelle. Apotex porte des accusations d’inconduite à l’égard de l’avocat de Pfizer en ce qui a trait à la tenue du contre-interrogatoire du Dr Stjernschantz. Apotex soutient que cette conduite devrait être prise en considération par la Cour dans les requêtes en vue d’obtenir des directives en ce qui concerne les dépens. Je souscris aux observations d’Apotex selon lesquelles l’avocat d’Apotex est la meilleure personne pour aborder l’inconduite présumée de l’avocat de Pfizer. Pour ce motif, je refuse de rejeter l’affidavit de M. Brodkin dans son ensemble.

 

[12]           Néanmoins, je suis d’accord avec Pfizer pour dire que certaines parties de l’affidavit sont inadmissibles parce qu’elles comportent une preuve par ouï-dire qui ne satisfait pas aux critères de nécessité et de fiabilité analysés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144.

 

[13]           Le paragraphe 52 de l’affidavit de M. Brodkin sera rayé au motif qu’il contient une preuve par ouï-dire qui ne satisfait pas aux critères d’admissibilité examinés dans Starr. Bien que la déclaration de M. Brodkin soit probablement fiable, elle n’est pas nécessaire.

 

[14]           Néanmoins, les autres paragraphes de l’affidavit de M. Brodkin peuvent être conservés. Les paragraphes 10, 36, 48 et 49 ne sont pas une preuve par ouï-dire, contrairement aux observations de Pfizer. Ils renvoient aux déclarations extrajudiciaires, mais ils ne sont pas fournis pour la véracité de leur contenu, mais plutôt pour le fait que les déclarations ont été effectuées ou autrement communiquées.

 

[15]           En outre, certains paragraphes de l’affidavit de Brodkin contiennent un fondement juridique, par exemple, les paragraphes 11 et 23.

 

[16]           Le paragraphe 19 contient un fait selon lequel Pfizer tient compte du litige, mais, autrement, ce paragraphe n’est pas argumentatif et ne contient aucune preuve par ouï-dire inadmissible. À mon avis, un paragraphe qui expose un fait sur lequel Pfizer est en désaccord n’est pas, en soi, susceptible de radiation.

 

[17]           Au paragraphe 36, seule la dernière phrase devrait être radiée. Le reste du paragraphe expose des éléments factuels non contestés.

 

[18]           Les autres paragraphes de l’affidavit de M. Brodkin, contestés par Pfizer, devraient être radiés. Les parties admissibles de l’affidavit fournissent un contexte factuel utile qui est pertinent pour la requête d’Apotex en vue d’obtenir des directives.

 

Requêtes en vue d’obtenir des directives

[19]           Pfizer et Apotex demandent des directives concernant la taxation des dépens en l’espèce. L’article 403 des Règles permet à la Cour de donner ces directives et elle est ainsi libellée :

Requête pour directives

 

403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l’officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

 

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

 

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

 

Précisions

 

(2) La requête visée à l’alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

 

Présentation de la requête

 

(3) La requête visée à l’alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.

Motion for directions

 

403. (1) A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

 

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

 

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).

 

 

 

Motion after judgment

 

(2) A motion may be brought under paragraph (1)(a) whether or not the judgment included an order concerning costs.

 

Same judge or prothonotary

 

(3) A motion under paragraph (1)(a) shall be brought before the judge or prothonotary who signed the judgment.

 

[20]           D’abord, je signale que les deux parties ont déposé leur requête à temps, conformément à l’article 403 des Règles.

 

[21]           Pfizer demande la taxation des dépens au point médian de la colonne IV, Tarif B des Règles. Les parties conviennent que Pfizer a droit aux dépens de deux avocats, un avocat principal et un avocat adjoint, pour la tenue des contre-interrogatoires, ainsi que des dépens pour un avocat principal pour le travail de défense lors des contre-interrogatoires. Pfizer demande à recouvrer les dépens pour trois avocats à l’audience, deux avocats principaux et un avocat adjoint, sur le fondement débattu en l’espèce, immédiatement après l’audience, dans le dossier T-2221-07.

 

[22]           En outre, Pfizer demande une augmentation de vingt-cinq pour cent des frais prévus par le Tarif, à titre de pénalité contre Apotex, au motif qu’Apotex avait retiré la question de la sélection invalide, seulement pour débattre de cette question au cours de l’audience.

 

[23]           Apotex prétend que tous les frais de déplacement devraient être taxés en classe économique, pour des chambres d’hôtel standards et qu’ils doivent exclure les dépenses liées au divertissement et à l’alcool.

 

[24]           Apotex soutient que les frais de photocopies devraient être recouvrables seulement pour un nombre limité de pages et non pour l’ensemble des copies des plaidoiries et de la jurisprudence qui ont été déposées par Pfizer. Les parties conviennent que le recouvrement admissible devrait être établi à 25 cents par page.

 

[25]           Pfizer ne souscrit pas à la limite proposée d’Apotex quant au nombre de copies pour lesquelles les dépens sont adjugés et elle soutient que ce point devrait être abordé par l’officier taxateur suivant la norme de la décision raisonnable.

 

[26]           Apotex, pour sa part, demande des directives concernant l’adjudication des dépens et des débours liés au contre-interrogatoire du Dr Stjernschantz. Elle prétend que les dépens et les débours à cet égard devraient être réduits de vingt‑cinq pour cent afin de tenir compte de la conduite de Pfizer, particulièrement en ce qui concerne le dépôt de l’affidavit de Stjernschantz comme un affidavit de « faits », alors qu’il s’agissait clairement d’un affidavit d’opinion.

 

[27]           Apotex soutient également que Pfizer ne devrait pas être en mesure de se voir adjuger des dépens pour ses déplacements en Suède aux fins du contre-interrogatoire et que les frais de déplacement d’Apotex devraient être compensés, puisque le contre-interrogatoire du Dr Stjernschantz aurait pu être mené dans un lieu autre qu’en Suède.

 

[28]           Pfizer répond à cet argument en indiquant que la question des honoraires liés au Dr Stjernschantz avait été abordée par le protonotaire Aalto dans son ordonnance du 25 juin 2009. Au moment de rendre cette ordonnance, le protonotaire Aalto a découvert que le Dr Stjernschantz était un témoin expert, et non un témoin des faits, et il a rejeté la requête de Pfizer de présenter des éléments de preuve venant de plus de cinq témoins experts.

 

[29]           Le protonotaire a permis à Pfizer de choisir cinq de ses six experts qu’elle invoquerait, mais il a accordé à Apotex des dépens pour le sixième expert que Pfizer aurait écarté. L’adjudication des dépens du protonotaire Aalto n’a pas abordé la conduite de Pfizer dans son maintien du traitement du Dr Stjernschantz en tant que témoin des faits, les conséquences de ce traitement sur l’interrogatoire préalable du Dr Stjernschantz par Apotex ou la planification de cette découverte à Uppsala en Suède.

 

[30]           Apotex prétend qu’aucun expert ne devrait recevoir une rémunération disproportionnée aux dépens adjugés à l’égard de tous les autres experts. Pfizer soutient qu’il s’agit d’une question relative à la norme de la décision raisonnable qu’il vaut mieux laisser à l’officier taxateur.

 

[31]           Apotex prétend que les honoraires recouvrables pour les témoins experts devraient se limiter au temps consacré à préparer les affidavits des experts et au temps requis pour préparer le contre‑interrogatoire et y participer. Autrement dit, Apotex adopte la position selon laquelle Pfizer ne devrait pas se voir adjuger des dépens pour le temps consacré par ses experts à préparer l’avocat pour le contre-interrogatoire des témoins experts d’Apotex. Pfizer, sans surprise, n’est pas de cet avis et demande une adjudication des dépens pour cette préparation au motif que ce temps de préparation est une dépense raisonnable dans le contexte de la présente instance.

 

[32]           Apotex prétend que, puisqu’il y a un chevauchement entre les témoins de l’instance et le dossier T-2221-07, une procédure d’interdiction concernant le même médicament et intentée par Pfizer à titre de demanderesse contre Pharmascience Inc. à titre de défenderesse est en cours. Apotex indique que le chevauchement justifie une réduction de cinquante pour cent des dépens qui doivent être adjugés à Pfizer.

 

[33]           Pfizer, dans sa réponse, prétend que le chevauchement dans les parties essentielles des affidavits n’est pas important. En effet, Pfizer soutient que, seuls les faits étaient les mêmes et que, quoi qu’il en soit, ils seront pris en compte dans la facturation des honoraires.

 

Analyse et décision

[34]           Le principe suprême qui s’applique à la taxation des dépens est énoncé au paragraphe 400(1) des Règles comme suit :

400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

 

[35]           Bien que Pfizer et Apotex aient établi plusieurs questions dans leur avis de requête respectif, certaines questions ont été réglées entre elles avant ou après l’audience des requêtes. Les parties conviennent que le taux horaire des experts admissibles doit être limité au taux horaire de l’avocate principale de Pfizer, Mme Robinson, et qu’aucuns dépens ne seront recouvrables pour les honoraires d’autres personnes, y compris les avocats internes, les recherchistes, les étudiants et le personnel de soutien qui auraient apporté une aide dans le cadre du présent litige.

 

[36]           Les parties conviennent également que Pfizer a le droit de recouvrer des dépens seulement pour les experts qui sont les auteurs des affidavits déposés dans la présente instance. Je n’ai pas d’autres remarques à faire à ce sujet. J’aborderai maintenant les questions litigieuses.

 

[37]           D’abord, il y a la question des dépens recouvrables concernant le Dr Stjernschantz. Je souscris aux observations avancées par Apotex selon lesquelles l’ordonnance du protonotaire Aalto n’a pas réglé la question des dépens en ce qui concerne le rôle du Dr Stjernschantz en tant que témoin expert.

 

[38]           Je suis convaincue, indépendamment du protonotaire Aalto, que les éléments de preuve du Dr Stjernschantz sont essentiellement un témoignage d’opinion et qu’ils sont qualifiés de preuves d’expert. C’est ce qui ressort du Dr Stjernschantz lui-même dans les premières minutes de son contre-interrogatoire.

 

[39]           Le fait que le Dr Stjernschantz a fourni une preuve d’expert, mais qu’il a été contre‑interrogé avant qu’une décision judiciaire soit rendue sur la nature de cette preuve, a eu une incidence sur la capacité de l’avocat d’Apotex à vérifier entièrement ces éléments de preuve. Apotex a soulevé cet argument à l’audition de sa requête pour directives. Je suis persuadée, après examen de la transcription du contre-interrogatoire du Dr Stjernschantz, que l’argument est solidement établi. À cet égard, je fais référence aux pages sept, vingt et vingt et un de cette transcription du contre-interrogatoire. L’avocat de Pfizer, tout en insistant sur le fait que le Dr Stjernschantz était un témoin des faits, quoique son propre interrogatoire préalable ait indiqué le contraire, s’est opposé aux questions de l’avocat d’Apotex concernant le témoignage d’opinion du Dr Stjernschantz. Cette interférence a limité à tort la portée de l’interrogatoire préalable.

 

[40]           Il ne convient pas que la Cour évalue comment l’absence d’un contre-interrogatoire vaste du Dr Stjernschantz, c’est-à-dire un examen de toutes les questions soulevées dans son affidavit, peut avoir eu une incidence sur l’issue définitive. Il suffit de signaler qu’Apotex était privée de son droit à un contre-interrogatoire complet et que cela devrait être reconnu dans la taxation des dépens. J’enjoindrai à l’officier taxateur de réduire de cinquante pour cent le montant auquel Pfizer aurait par ailleurs droit afin de recouvrer des honoraires payés au Dr Stjernschantz.

 

[41]           La portée du contre-interrogatoire du Dr Stjernschantz est une chose; le lieu de ce contre‑interrogatoire en est une autre. Apotex soutient que Pfizer a tenu de manière déraisonnable à ce que le contre-interrogatoire ait lieu en Suède, un endroit qui nécessite deux jours de temps de déplacement. Compte tenu de la preuve admissible et non contestée dans l’affidavit de M. Brodkin, il est évident que l’avocat de Pfizer a insisté déraisonnablement pour obtenir le témoignage du Dr Stjernschantz à Uppsala, en Suède, au lieu de Londres, au Royaume-Uni, ou un autre lieu qui aurait été plus commode pour les avocats des deux parties. Par conséquent, je vais ordonner que Pfizer n’ait pas droit de recouvrer ses dépens pour le déplacement de son avocat en Suède.

 

[42]           Ensuite, je renvoie au témoignage des témoins experts avancé dans la présente instance et au chevauchement qu’il y aurait concernant la preuve d’experts entendue dans la procédure d’interdiction associée de Pharmascience. Je refuse l’argument de Pfizer selon lequel ce chevauchement est limité aux renseignements généraux. Pfizer a déposé la preuve du Dr Fechtner, du Dr Maxey, du Dr Neufeld et du Dr Stjernschantz en l’espèce ainsi que dans le dossier T‑2221‑07.

 

[43]           Selon mon examen des affidavits déposés par ces témoins dans les demandes de Pharmascience et d’Apotex, il existe un degré important de chevauchement, particulièrement dans les éléments de preuve du Dr Fechtner et du Dr Neufeld. La majorité des paragraphes dans l’affidavit déposé par le Dr Fechtner en l’espèce, établis sous serment le 15 janvier 2009, sont identiques ou près identiques à l’affidavit déposé par cet expert dans le dossier T-2221-07 le 26 août 2008. Autrement, les ajouts et les modifications sont effectués principalement en réponse à la preuve des témoins experts d’Apotex. Il en va de même pour les affidavits déposés par le Dr Neufeld en l’espèce comparativement aux affidavits déposés dans le dossier T-2221-07.

 

[44]           Apotex prétend que les dépens recouvrables pour ces experts devraient être réduits de cinquante pour cent afin de tenir compte du chevauchement dans les éléments de preuve. En particulier, la preuve déposée par quatre des témoins experts de Pfizer se chevauche dans une large mesure. Je suis convaincue que les honoraires devraient être réduits pour l’un ou l’autre des quatre témoins experts qui ont fourni des éléments de preuve dans le dossier T-2221-07, puis dans la présente affaire. On pourra tenir compte de ce chevauchement dans les honoraires des experts. Étant donné que ces factures n’ont pas été déposées devant la Cour sur ces requêtes, je ne suis pas en mesure de décider si c’est le cas. Par conséquent, j’enjoindrai à l’officier taxateur de réduire les honoraires de chacun des experts communs de vingt-cinq pour cent afin de tenir compte du chevauchement.

 

[45]           Pfizer demande que lui soient adjugés les dépens de trois avocats à l’audition de la demande. Elle indique que cela est justifié parce que les avocats ont débattu de la présente affaire immédiatement après l’audience du dossier T-2221-07, une procédure d’interdiction concernant Pharmascience. Elle prétend que les avocats qui ont participé à cette affaire devaient préparer d’autres documents pendant la fin de semaine afin de préparer l’audience de l’affaire.

 

[46]           Je ne suis pas convaincue que les audiences « successives » justifient d’adjuger des dépens pour le troisième avocat, des dépens qui seraient assumés par Apotex qui n’était pas une partie dans l’affaire de Pharmascience. Les audiences consécutives étaient prévues par la Cour. Pfizer, dans sa documentation écrite déposée aux fins de sa requête pour directives, n’a fourni aucun élément de preuve concernant un travail supplémentaire qui devait être préparé pour l’audience qui a débuté le 14 septembre.

 

[47]           De toute façon, la majorité du travail de l’avocat a été effectuée avant l’audience. Une adjudication des dépens pour un troisième avocat serait inappropriée. Les honoraires de l’avocat doivent être taxés par l’officier taxateur en fonction d’un avocat principal et un avocat adjoint à l’audience.

 

[48]           Les experts retenus par Pfizer pour fournir la preuve peuvent avoir fourni une aide technique à l’avocat de Pfizer au-delà de la préparation de ses propres affidavits et de la préparation de ses propres contre-interrogatoires. Cependant, Pfizer n’a le droit de recouvrer que les dépens pour lesquels elle peut démontrer le caractère raisonnable et nécessaire. À cet égard, je fais référence à Biovail Corporation c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al. (2007), 61 R.P.C. (4e) 33 (C.F.) :

Les experts peuvent offrir une assistance technique pour les aspects de la préparation du dossier qui excèdent les capacités de l’avocat qui assure la surveillance. Toutefois, ce travail, qui sera éventuellement recouvrable sur la base d’une indemnité complète au motif qu’il était raisonnablement nécessaire, ne devrait pas toucher aux aspects incombant uniquement à l’avocat assurant la surveillance. Bref, les limites du tarif pourraient être contournées puisque les dépens taxables de l’avocat sont limités à l’indemnité partielle.

 

[49]           Pfizer demande une augmentation des dépens taxés de vingt-cinq pour cent pour le motif qu’Apotex a [traduction] « abandonné » ses allégations quant à savoir ce qu’il en était de la situation du brevet ‘132 en tant que brevet de sélection uniquement pour soulever la question à l’audience et pour présenter d’autres observations à la question présentée après l’audience.

 

[50]           Il y a eu de nombreux débats au cours de l’audience de septembre 2009 concernant la question du brevet de sélection et la signification de certains courriels et de certaines lettres qui ont été échangés entre les avocats des parties en juin et en juillet 2009. Cette correspondance est incluse dans le dossier de la demande de Pfizer au volume 11, pages 3371 à 3377.

 

[51]           Pfizer a soutenu à l’audience que ces courriels signifient qu’Apotex avait abandonné la question du brevet de sélection. Apotex soutient que Pfizer avait abordé cette question dans son mémoire des faits et du droit qui a été déposé dans le cadre du dossier de sa demande.

 

[52]           Après l’audience, l’avocat d’Apotex a déposé une décision récemment rendue de la Cour fédérale qui aborde les brevets de sélection, soit Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (2009), 78 R.P.C. (4e) 1 (C.F.). L’avocat a eu l’occasion de présenter, s’il le souhaite, des observations concernant la pertinence de cette décision quant aux questions soulevées dans la présente instance.

 

[53]           La question du brevet de sélection a été examinée à fond par Pfizer et Apotex, en septembre 2009, et au cours d’une autre audience en janvier 2010. En effet, en janvier 2010, Pfizer a répondu à la décision Eli Lilly invoquée par Apotex en présentant une décision rendue plus récemment de Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles dans Dr. Reddy’s Laboratories (UK) Ltd. c. Eli Lilly and Co. Ltd., [2010] R.P.C. 9 (C.A.). La question du brevet de sélection a été abordée dans les motifs du jugement aux paragraphes 114 à 134.

 

[54]            Par conséquent, je ne suis pas convaincue qu’Apotex avait retiré la question du brevet de sélection. Cette question a été débattue à fond, et Pfizer n’a pas démontré qu’elle avait subi un préjudice soit en étant prise par surprise, soit en étant privée de la possibilité d’aborder la question. Pfizer avait présenté des arguments écrits sur ce point avant ses plaidoiries, en septembre 2009 et en janvier 2010. Je refuse d’ordonner l’imposition de dépens supplémentaires à un quelconque pourcentage.

 

[55]           Apotex demande des directives quant à la nature des frais de déplacement et d’hébergement qui doivent être recouvrés par Pfizer, en indiquant que ces débours devraient être taxés en fonction des tarifs de classe économique et des chambres simples.

 

[56]           En l’absence d’un précédent indiquant le contraire, à mon avis, cette approche est raisonnable et justifiable. J’ordonne que l’officier taxateur évalue ces dépenses en fonction des tarifs de classe économique et des chambres d’hôtel standards.

 

[57]           Apotex demande des directives afin de placer une limite au nombre de photocopies pour lesquelles des dépens seront taxés. Les parties conviennent des dépens, c’est-à-dire 25 cents par page, mais Pfizer n’est pas d’accord sur le fait que le nombre de copies soit limité par la Cour.

 

[58]           À mon avis, il s’agit d’un point qui devrait être décidé par l’officier taxateur suivant la norme de la décision raisonnable. Un certain nombre de copies ont été nécessaires conformément aux Règles. Les parties peuvent aborder les exigences raisonnables des autres copies dans leurs observations devant l’officier taxateur.

 

[59]           En dernier lieu, il reste la question de la colonne appropriée du Tarif B sur laquelle on procédera à la taxation des dépens. Pfizer demande un dédommagement au point médian de la colonne IV, fondant cet argument sur les propos du juge Hughes dans deux décisions, Novopharm Limited c. Canada (Santé), 2010 CF 156 et Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc. (2009), 75 C.P.R. (4e) 165 (C.F.).

 

[60]           Apotex prétend que les dépens à la colonne IV du Tarif B ne sont pas devenus la norme et, en outre, qu’il incombe à Pfizer de démontrer qu’il est approprié de ne pas se servir de la colonne III. Apotex soutient que Pfizer n’a présenté aucun élément de preuve justifiant un écart de la colonne III et, de toute façon, il ne s’agit pas d’une affaire de propriété intellectuelle particulièrement complexe qui justifierait une adjudication des dépens de la colonne III insuffisante.

 

[61]           La Cour d’appel fédérale n’a fait aucun commentaire jusqu’à présent sur la reconnaissance de la colonne IV du Tarif B comme la norme pour la taxation des dépens dans une procédure d’interdiction. Les décisions citées par Pfizer n’énoncent aucune raison de principe pour justifier le recours au point médian de la colonne IV du Tarif B comme la norme dans une procédure d’interdiction. Ces procédures, bien que complexes, ne sont pas uniques.

 

[62]           Le fait que la présente procédure a eu lieu parallèlement au dossier no T-2221-07 a permis d’économiser des efforts dans une certaine mesure. Ce fait penche en faveur de l’adjudication de la taxation des dépens à un point inférieur, non médian, de la colonne IV du Tarif B.

 

[63]           En conclusion, les dépens de Pfizer concernant cette affaire seront taxés conformément aux directives qui suivent :

a.                              Les dépens de Pfizer concernant les honoraires du Dr Stjernschantz seront réduits de cinquante pour cent;

b.                  Les dépens des avocats de Pfizer pour se déplacer en Suède sont rejetés;

c.                                           Le taux horaire pour les experts admissibles doit être limité au taux horaire de l’avocat principal de Pfizer, c’est-à-dire Mme Robinson;

d.                                          Aucuns dépens ne seront recouvrables pour les honoraires des personnes, y compris les avocats à l’interne, les recherchistes, les étudiants et le personnel de soutien;

e.                               Pfizer a le droit de recouvrer des dépens pour les experts qui sont les auteurs des affidavits déposés dans la présente instance.

f.                                            Pfizer peut recouvrer les honoraires versés aux experts pour le temps qui n’a pas été consacré à préparer le propre affidavit de l’expert ou pour préparer le propre contre-interrogatoire de l’expert, alors qu’il a été démontré que le fait de fournir une aide technique à l’avocat de Pfizer était raisonnable et nécessaire;

g.                               Les honoraires des experts qui se chevauchent avec le dossier T-2221-07 seront réduits de vingt-cinq pour cent afin de tenir compte du chevauchement qui n’a pas été pris en considération dans la facturation des experts;

h.                               Les honoraires de l’avocat doivent être taxés par l’officier taxateur en fonction d’un avocat principal et d’un avocat adjoint à l’audience, d’un avocat principal et d’un avocat adjoint pour mener un contre-interrogatoire et d’un avocat principal pour défendre le contre-interrogatoire;

i.                                             Les frais de déplacement et d’hébergement seront taxés en fonction des tarifs de classe économique et des chambres simples;

j.                                            Les coûts de photocopies seront taxés à 25 cents par page, et l’officier taxateur déterminera le nombre de copies que l’on peut recouvrer en fonction des Règles et des exigences raisonnables;

k.                                          Les dépens doivent être taxés à l’échelon le plus bas de la colonne IV du Tarif B.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 7 décembre 2010


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-124-08

 

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC. ET PHARMACIA ATKIEBOLAG c. LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET APOTEX INC.                  

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 octobre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   LE JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Brian Daley

Me Kavita Ramamoorthy

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Me David Sherman

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy, Renault s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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