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FCHdrF

Date : 20101130

Dossier : T-1357-09

Référence : 2010 CF 1209

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2010

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

SANOFI-AVENTIS

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH et SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

 

 

 

 

défenderesses

 

 

 

 

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]  Dans la présente requête, déposée en vertu de la règle 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, les défenderesses portent en appel une ordonnance de madame la protonotaire Martha Milczynski (la protonotaire) rendue le 22 février 2010 (la décision) et dans laquelle la protonotaire a refusé la requête des défenderesses visant le rejet de l’action intentée contre les défenderesses Sanofi-Aventis (Sanofi France) et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (Sanofi Allemagne).

 

[2]  Il s’agit d’une action faisant l’objet d’une gestion spéciale par la protonotaire.

 

[3]  Bien que les affaires n’aient pas été réunies officiellement, l’appel a été instruit conjointement avec deux appels connexes dans l’action T-1161-07. Des motifs distincts ont été présentés relativement à ces appels.

 

LE CONTEXTE

 

[4]  L’appel a trait au régime de réglementation créé par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement).  Aux pages 4 et 5 de sa décision, la protonotaire présente le résumé suivant du régime de réglementation :

[Traduction] Avant de vendre une « drogue nouvelle » au Canada, un fabricant (qu’il fabrique une « innovation » ou un médicament générique) doit, après en avoir présenté la demande, obtenir un avis de conformité auprès du ministre fédéral de la Santé. La délivrance d’un avis de conformité constitue une approbation de la commercialisation d’une drogue nouvelle et signifie que le ministre est convaincu que la nouvelle drogue est sûre et efficace pour l’usage humain.

 

En vertu du [Règlement], le fabricant d’une drogue innovante peut présenter une liste de brevets au ministre de la Santé relativement à toute présentation de drogue nouvelle pour laquelle il a reçu un avis de conformité. Une telle liste de brevets peut comprendre un ou plusieurs brevets contenant des revendications relatives à l’ingrédient médicinal contenu dans le produit ou à ses utilisations mentionnées dans la présentation approuvée.

 

Lorsque le fabricant d’un médicament générique cherche à obtenir un avis de conformité et qu’il a comparé son produit contenant un ingrédient médicinal particulier au produit d’un fabricant innovant qui contient le même ingrédient médicinal et pour lequel un avis de conformité a déjà été délivré, le fabricant du médicament générique doit soit a) accepter que l’avis de conformité ne lui sera délivré qu’une fois le brevet ou les brevets expirés; soit b) signifier au fabricant innovant, pour chaque brevet pertinent inscrit au registre, un avis d’allégation indiquant que le brevet est expiré, que le brevet n’est pas valide ou que la fabrication, l’utilisation ou la commercialisation du médicament générique ne contrefera aucune des revendications relatives aux brevets pertinents.

 

Sur réception d’un avis d’allégation, le fabricant de la drogue innovante peut, dans un délai maximal de 45 jours, intenter une action afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité au fabricant du médicament générique tant que le brevet ou les brevets ne sont pas expirés. Tant que l’action n’est pas réglée ou qu’un délai de 24 mois suivant l’introduction de l’instance n’est pas expiré, selon la première de ces éventualités, le ministre ne peut délivrer l’avis de conformité au fabricant du médicament générique. Cette période de « sursis automatique » empêche le fabricant d’un médicament générique de commercialiser son produit; si le fabricant de la drogue innovante n’obtient pas gain de cause dans l’action en interdiction et que le fabricant du médicament générique obtient un avis de conformité, ce dernier peut intenter une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du [Règlement].

 

[5]  La défenderesse Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi Canada) a déposé la présentation de drogue nouvelle et les listes de brevets, et elle a obtenu un avis de conformité lui permettant de commercialiser et de vendre le ramipril. Le ramipril est un inhibiteur de l’ECA utilisé pour le traitement de l’hypertension artérielle. En 2003, Apotex Inc. (Apotex) a présenté sa propre demande d’avis de conformité pour le ramipril et elle a déposé des avis d’allégation.

 

[6]  Sanofi Canada a répondu à ces avis en intentant cinq actions en interdiction distinctes contre Apotex. Toutes ont finalement été rejetées, et Apotex a obtenu son avis de conformité le 12 décembre 2006.

 

[7]  Sanofi Canada a ensuite intenté une action contre Apotex (dossier de la Cour T-161-07), alléguant la contrefaçon d’un des brevets visés. L’action a été rejetée par la juge Judith Snider dans un jugement daté du 29 juin 2009.

 


L’ACTION D’APOTEX

 

[8]  Le 14 août 2009, Apotex a intenté une action contre Sanofi France, Sanofi Allemagne, Sanofi Canada et la Schering Corporation pour obtenir des dommages-intérêts visés à l’article 8 du Règlement. Cet article prévoit que, si une « première personne » demande une ordonnance d’interdiction et que la demande est retirée, abandonnée ou rejetée, la « première personne » est responsable envers la « seconde personne » de toute perte subie pendant la période de sursis automatique. Il ne fait aucun doute qu’Apotex est la « seconde personne » et qu’elle a le droit d’intenter une action contre une « première personne ».

 

[9]  La « première personne » est définie à l’article 2 du Règlement comme « la personne visée au paragraphe 4(1) ». Le paragraphe 4(1) décrit ensuite la « première personne » comme une personne qui dépose une présentation de drogue nouvelle et qui a le droit de présenter une liste de brevets qui se rattache à la présentation.

 

[10]  Il ne fait aucun doute que Sanofi Canada a déposé une présentation de drogue nouvelle et une liste de brevets relativement au ramipril, et qu’il s’agit donc d’une « première personne ». Il ne fait non plus aucun doute que Sanofi France et Sanofi Allemagne n’ont pas déposé de présentations de drogue nouvelle et de listes de brevets. Cependant, Apotex prétend que Sanofi France et Sanofi Allemagne sont responsables en tant que « premières personnes » en raison du contrôle qu’elles exerçaient sur Sanofi Canada. À cet égard, dans sa déclaration modifiée du 15 octobre 2009, soit la version qui a été présentée à la protonotaire (l’action d’Apotex), Apotex présente les arguments suivants :

 

(a)  Sanofi France, Sanofi Allemagne et Sanofi Canada sont affiliées les unes aux autres au sein du groupe Sanofi, dont Sanofi France est au bout du compte la société mère (par. 7);

(b)  Sanofi France supervise et dirige les opérations des filiales du Groupe Sanofi, y compris les activités de recherche et de développement, et elle fournit du financement (par. 11);

(c)  Sanofi France exerce le contrôle sur le groupe Sanofi (par. 12);

(d)  Les actions en interdiction visées ont été intentées avec l’accord, l’autorisation, l’aide et la collaboration de Sanofi France, Sanofi Allemagne, Sanofi Canada et Schering Corporation (par. 55);

(e)  Toutes les défenderesses sont responsables solidairement du paiement des dommages-intérêts à Apotex (par. 73);

(f)  Sanofi France, elle-même ou par l’entremise de filiales, dont Sanofi Allemagne, exerçait un contrôle total sur la prise des décisions de Sanofi Canada à l’égard du ramipril, notamment sur les questions suivantes (par. 74) :

(i)  si Sanofi Canada présenterait une demande d’avis de conformité;

(ii)  si Sanofi Canada serait autorisée à inclure des brevets pour le ramipril dans ses listes de brevets;

(iii)  si Sanofi Canada intenterait des actions en interdiction;

(iv)  comment Sanofi Canada intenterait des actions en interdiction;

(v)  comment Sanofi Canada commercialiserait et distribuerait le ramipril;

(vi)  comment Sanofi Canada achèterait ou fabriquerait le ramipril pour la vente;

(Vii)  à quel prix Sanofi Canada obtiendrait le ramipril.

 


LES REQUÊTES

 

[11]  Des requêtes ont été présentées à la protonotaire par Sanofi Canada, Sanofi Allemagne et Sanofi France (collectivement Sanofi) le 16 septembre 2009 et par Schering Corporation le 9 octobre 2009, et les requêtes visaient notamment l’obtention d’ordonnances radiant l’action d’Apotex et rejetant l’action intentée contre toutes les défenderesses à l'exception de Sonofi Canada. Les parties requérantes ont dit que Sanofi Canada était la seule « première personne », puisque c’était la seule défenderesse à avoir déposé une présentation de drogue nouvelle ou une liste de brevets relativement au ramipril. Parce que l’article 8 du Règlement crée un droit à des dommages-intérêts uniquement contre une « première personne », Sanofi et Schering Corporation ont déclaré que l’action d’Apotex n’avait révélé aucune cause d’action raisonnable contre Sanofi Allemagne, Sanofi France et Schering Corporation.

 

LA DÉCISION

 

[12]  La protonotaire a rejeté l’action intentée contre Schering Corporation, et cet aspect de sa décision n’est pas contesté. La protonotaire a toutefois refusé de radier ou de rejeter l’action intentée contre Sanofi France ou Sanofi Allemagne, se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co., 2004 CAF 358 (Lilly 2004). Dans cette affaire, le juge John Evans, rédigeant l’arrêt de la Cour, a indiqué qu’une société mère qui ordonne à une filiale de déposer une présentation de drogue nouvelle et une liste de brevets pourrait être une « première personne » conjointement avec sa filiale. La Cour n’a pas tranché la question, mais l’a décrite comme une « question de droit assez difficile » pour exiger un procès.

 

[13]  La protonotaire a conclu, à la lumière de cet arrêt, qu’il n’était pas clair et évident que Sanofi France et Sanofi Allemagne n’étaient pas aussi des premières personnes, et que, même si l’arrêt dans Lilly 2004 avait été rendu dans le contexte d’une demande de restitution de profits (qui n’est plus une cause d’action valide), l’arrêt était assez général pour s’appliquer à l’action d’Apotex.

 

[14]  La protonotaire s’est également demandée si Apotex avait présenté suffisamment de faits pertinents pour justifier une cause d’action raisonnable. Elle a conclu que le paragraphe 74 de l’action d’Apotex était suffisant, puisqu’il y était allégué que Sanofi France et Sanofi Allemagne exerçaient un contrôle total sur Sanofi Canada, et que les plaidoiries pourraient permettre de conclure que Sanofi France et Sanofi Allemagne étaient des « premières personnes » si l’interprétation d’Apotex de « première personne » devait être acceptée pendant un procès. D’autre part, la protonotaire a conclu que, peu importe l’interprétation retenue, aucun fait substantiel ne montrait que Schering pourrait être une « première personne ». Pour ces motifs, la protonotaire a radié les parties de l’action d’Apotex contenant des allégations contre Schering et elle a rejeté l’action contre Schering, mais elle a maintenu l’action contre Sanofi France et Sanofi Allemagne.

 

LES QUESTIONS

 

[15]  Voici les questions à trancher en l’espèce :

(a)  Quelle est la norme de contrôle?

(b)  L’action d’Apotex devrait-elle être rejetée contre Sanofi France et Sanofi Allemagne?


Question I  La norme de contrôle

 

[16]  Les parties conviennent que le critère à appliquer à l’examen d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire est celui reformulé par la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488 (Merck 2003) au paragraphe 19. Dans cet arrêt, la Cour a déclaré ce qui suit :

[Traduction] Afin d'éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu'il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l'occasion pour renverser l'ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d'abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l'issue de l'affaire. Ce n'est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J'énoncerais le critère comme suit :

 

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)  l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

b)  l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[17]  La mention dans Merck 2003 du choix des termes employés par le juge MacGuigan se rapportait à la décision du juge Mark MacGuigan dans R. c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2. C.F. 425 (CAF) (Aqua-Gem). Dans cette décision, le juge a déclaré :

[Traduction]  Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans c. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski c. Casement  (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

  a)  l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits,

  b)  l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

 

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

 

[18]  La question est de savoir si « l’influence déterminante » doit être évaluée en examinant la question faisant l’objet de la requête devant la protonotaire ou en examinant la décision. Dans Peter G. White Management Ltd. c. Canada, 2007 CF 686, le juge James Hugessen a conclu que, dans des situations (affaires similaires à celle qui nous occupe) où l’appel porte sur une décision d’un protonotaire rejetant une requête en radiation d’un défendeur, ce n’est pas le recours présenté (c’est-à-dire la question faisant l’objet de la requête devant la protonotaire) mais plutôt l'ordonnance que le protonotaire rend (c’est-à-dire la réponse) qui doit être analysée et permettre de déterminer si la question a une influence déterminante sur l'issue du principal. Le juge Hugessen a fondé sa conclusion sur son interprétation d’Aqua-Gem. Plusieurs juges de la Cour fédérale ont depuis adopté son interprétation. La décision de la juge Anne Mactavish dans Ridgeview Restaurant Limited c. le Procureur général du Canada et Steve Gibson, 2010 CF 506 aux paragraphes 20 à 24, contient un résumé de la jurisprudence sur cette question.

 

[19]  Selon l’approche du juge Hugessen, l’accent serait mis sur la réponse ou, en d’autres termes, sur la décision rendue par la protonotaire. En l’espèce, parce que la protonotaire a rejeté la requête en radiation, aucun changement n’a été apporté dans l’affaire – elle suit son cours jusqu’au procès. Dans de telles circonstances, on ne peut pas dire que son ordonnance a eu une influence déterminante sur l'issue de l’affaire. En conséquence, l’examen de l’affaire depuis le début ne serait pas approprié, à moins que la protonotaire n’ait manifestement commis une erreur en fondant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits, et aucune observation en ce sens n’a été présentée en l’espèce.

 

[20]  J’ai toutefois examiné les arrêts rendus par la Cour d’appel fédérale dans Aqua-Gem et Merck 2003, et j’ai observé ce qui suit :

 

[21]  Dans Aqua-Gem, l’intimée avait demandé que l’action soit suspendue pour défaut de poursuivre. Le protonotaire a rejeté la requête, de sorte que l’action est demeurée en vigueur. Bien que la question dont a été saisi le protonotaire avait une influence déterminante, en ce sens que l’action pouvait être rejetée, l’ordonnance n’avait pas une influence déterminante sur l'issue de l’affaire. Le juge qui a été saisi de l’appel de l’ordonnance du protonotaire a examiné l’affaire depuis le début, et la Cour d’appel fédérale a maintenu cette approche. La seule justification possible d’une telle conclusion, à mon avis, c’est que la Cour d’appel a examiné la question de l’influence déterminante en fonction de la question soumise au protonotaire.

 

[22]  Le juge MacGuigan a déclaré au paragraphe 95 d’Aqua-Gem que « le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : […] l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause ».

 

[23]  Cela signifie que le juge examine l’ordonnance rendue par le protonotaire et qu’il ne l’examine depuis le début que si elle a vraiment sur le procès une influence qui pourrait être jugée de déterminante.

 

[24]  Le problème, c’est que le juge MacGuigan, lorsqu’il a examiné l’affaire, n’a pas en réalité appliqué le critère qu’il a énoncé. Il a plutôt examiné la question soumise au protonotaire. Il a dit au paragraphe 98 : « Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question [...] ».

 

[25]  J’ai donc conclu que la reformulation dans Merck 2003 du critère utilisé dans Aqua-Gem donne effet au libellé utilisé dans l’analyse du juge MacGuigan et dans sa conclusion dans Aqua-Gem.

 

[26]  Dans Merck 2003, Apotex a cherché à apporter des modifications fondamentales à sa défense. Le juge qui a été saisi de la requête et qui a examiné la décision du protonotaire de permettre les modifications a refusé de traiter les modifications proposées comme des modifications ayant une influence déterminante et il n’a pas procédé à un examen depuis le début. Il a confirmé la décision du protonotaire d’autoriser les modifications d’Apotex.

 

[27]  La Cour d’appel a conclu que les modifications proposées avaient une influence déterminante et elle a effectué son propre examen depuis le début. Elle a finalement décidé de ne pas permettre les modifications. Cet arrêt est important pour la présente affaire, car la reformulation et l’analyse subséquente de la Cour indiquent clairement que, comme l’affirme Sanofi, c’est la question soumise à la protonotaire qui est au centre de l’analyse de l’« influence déterminante ».

 

[28]  En 2006, la Cour d’appel fédérale a de nouveau abordé la question de l’influence déterminante. Dans Peter G. White Management Ltd. c. Canada, 2006 CAF 190, la Cour a notamment examiné un appel d’une décision d’un juge de la Cour fédérale sur un appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance d’un protonotaire. Dans une requête soumise au protonotaire, la Couronne avait demandé que soit radié l’appel contre les défendeurs individuels, soit une ministre de la Couronne et trois fonctionnaires. Le protonotaire a accueilli la requête. Le juge des requêtes a rejeté l’appel sans tenir compte de l’affaire depuis le début.

 

[29]  Au paragraphe 33 et par la suite, la Cour d’appel a examiné la norme de contrôle et a conclu que le juge des requêtes avait commis une erreur en concluant que la requête en rejet n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal. La Cour d’appel a souligné que les causes d’action contre les défendeurs individuels étaient bien distinctes de celles présentées contre la Couronne et elle a conclu que l’exclusion des défendeurs mettait un terme aux causes d’action de la demanderesse contre ces derniers devant la Cour fédérale.

 

[30]  Dans son analyse, la Cour d’appel a examiné la question visée par la requête soumise au protonotaire et elle a conclu qu’elle avait une influence déterminante. Elle a donc conclu que le juge des requêtes aurait dû examiner l’affaire depuis le début.

 

[31]  Compte tenu des affaires mentionnées, je dois ensuite me demander si la question dont est saisi le protonotaire en l’espèce peut avoir une influence déterminante.

 

[32]  À cet égard, j’ai conclu que les questions portant sur la présence ou l’absence d’une défenderesse auraient une influence déterminante si l’exclusion d’une défenderesse faisait perdre quelque chose d’essentiel à un demandeur. Dans la présente affaire, sans Sanofi France et Sanofi Allemagne, la demanderesse ne peut pas soutenir qu’il pourrait y avoir une responsabilité conjointe parce que ces défenderesses contrôlaient Sanofi Canada. Je conclus donc que l’exclusion des défenderesses a une influence déterminante. Par conséquent, la décision de ne pas rejeter l’action d’Apotex contre Sanofi France et Sanofi Allemagne sera révisée depuis le début.

 


Question II  L’action d’Apotex devrait-elle suivre son cours contre Sanofi France et Sanofi Allemagne?

 

[33]  Un acte de procédure ne devrait être radié que s’il est « évident et manifeste » qu’il ne révèle aucune cause d’action raisonnable : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 à la page 980.

 

[34]  Sanofi fait valoir que, selon une simple lecture du paragraphe 4(1) du Règlement, Sanofi Canada est la seule « première personne » puisque c’est la seule défenderesse qui a déposé une présentation de drogue nouvelle ou une liste de brevets relativement au ramipril. Sanofi a affirmé que, puisque l’article 8 du Règlement crée un droit à des dommages-intérêts uniquement contre une « première personne », l’action d’Apotex ne révèle aucune cause d’action raisonnable contre Sanofi France et Sanofi Allemagne.

 

[35]  Dans Lilly 2004, la Cour d’appel fédérale a examiné un argument semblable. Un fabricant de médicaments génériques avait intenté une action en vertu de l’article 8 contre deux fabricants de médicaments innovateurs : une filiale canadienne qui avait déposé une présentation de drogue nouvelle et une liste de brevets, et sa société mère américaine qui n’en avait pas présentées. La société mère a présenté une requête en jugement sommaire au motif qu’elle n’était pas une « première personne ». Comme dans la présente affaire, l’action intentée par le fabricant de médicaments génériques contre la société mère étrangère était fondée sur le degré de contrôle que cette dernière exerçait sur la filiale canadienne.

 

[36]  La Cour d’appel a décrit la situation dans Lilly 2004 au paragraphe 9. Elle a affirmé :

[Traduction]  La question en litige est donc de savoir si l'on peut dire que [la société mère] a soumis au ministre la liste de brevets sous le régime du paragraphe 4(1), même si cette liste a été soumise nominalement par [la filiale].

 

 

À mon avis, c'est précisément la question que nous devons trancher dans la présente affaire.

 

 

[37]  La Cour a conclu, aux paragraphes 11 à 13 de son arrêt, que les concepts de la common law comme celui du mandat pourraient être pertinents pour l'interprétation de la législation. La Cour a précisé que, si une société mère exerçait sur une filiale un degré de contrôle tel que la filiale pourrait être perçue comme son mandataire, les actions de la filiale pourraient être considérées comme des actions entreprises autant par la filiale que par la société mère. Ainsi, la société mère pourrait être une « première personne » et, par conséquent, un défendeur approprié.

 

[38]  Il convient de souligner que la Cour a ajouté, au paragraphe 14 :

[Traduction]  Le point de savoir si, pour l'application de l'article 8, peut être considérée comme la « première personne » la société qui a ordonné la présentation au ministre de la liste de brevets soumise nominalement par sa filiale est une question de droit assez difficile pour exiger un procès.

 

[39]  De plus, au paragraphe 15, la Cour a déclaré ce qui suit dans Lilly 2004 :

[Traduction]  La réponse à cette question peut dépendre, par exemple, du point de savoir si les « profits » qui peuvent être recouvrés en vertu de l'article 8 sont les profits tirés de la drogue en question par la « première personne » pendant le sursis à la délivrance d'un AC ou bien les profits que la « seconde personne » n’a pas tirés de sa version de la drogue durant cette période. Si l'objet de l'article 8 est d'autoriser la « seconde personne » à choisir le recouvrement des profits de la « première personne » plutôt que simplement celui de son propre manque à gagner, pourrait s'en trouver étayée l'interprétation de l'expression « première personne » qui s'appliquerait à la société qui contrôlait toute l'activité pertinente de la société qui a nominalement présenté la demande d'AC, soumis au ministre la liste de brevets et fait l'objet de la délivrance de l'AC. Dans le cas contraire, la seconde personne pourrait se voir dans l'incapacité de recouvrer les profits de l'entreprise innovatrice et, si l'intention du législateur est d'autoriser le recouvrement des profits de l'entreprise ayant dirigé l'activité de la personne dont le nom apparaît sur les documents énumérés au paragraphe 4(1), cette intention s'en trouverait contrariée. La raison en est que les deux sociétés en question pourraient avoir pris des arrangements propres à faire en sorte que les profits tirés de la vente de la drogue au Canada fussent inscrits dans les livres de la société mère et non de sa filiale canadienne.  [Non souligné dans l’original.]

 

[40]  Le principal argument de Sanofi, qui s’appuie sur le paragraphe 15 de Lilly 2004, est que l’arrêt de la Cour d’appel était fondé sur la possibilité de restitution de profits comme réparation visée à l’article 8 du Règlement. Dans Lilly, la Cour d’appel a soutenu qu’une cause d’action pour la restitution de profits n’est valable que si la demanderesse peut mettre en cause toutes les parties qui auraient pu réaliser les profits. Il fallait donc une interprétation large de « première personne ». Cependant, dans Merck Frosst Canada Ltd. c. Apotex Inc., 2009 CAF 187, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée [2009] C.S.C.R. no 347 (Merck 2009), la Cour d’appel fédérale a conclu que la restitution de profits ne peut pas être une réparation visée à l’article 8 du Règlement. C'est pourquoi Sanofi affirme que la raison d’être de Lilly 2004 a été éteinte et qu’une interprétation large ou élastique de « première personne » n’est plus justifiée.

 

[41]  Je ne suis toutefois pas convaincu que l’arrêt Lilly 2004 était uniquement fondé sur l’existence d’une demande de restitution de profits. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour a formulé plusieurs énoncés généraux appuyant la possibilité que soit responsable, en vertu de l’article 8, une société qui contrôlait et dirigeait la personne qui a en réalité déposé la présentation de drogue nouvelle et la liste des brevets. La Cour a par exemple déclaré que les principes de la common law comme celui du mandat pourraient s’appliquer dans le contexte de l’article 8 et que les actions d’une filiale pourraient être considérées comme les actions de sa société mère.

 

[42]  Le paragraphe 15 de Lilly 2004 présente simplement la restitution de profits comme un exemple de situation où une définition large de « première personne » peut être appropriée. À mon avis, la mention des profits n’était qu’un exemple, et ces énoncés ne se voulaient pas exhaustifs. En d’autres termes, je pense qu’il est probable que la Cour, dans Lilly 2004, serait parvenue à la même conclusion au sujet de la nécessité de tenir un procès pour décider du sens de « première personne », même si la restitution de profits n’avait pas été une réparation possible. Par conséquent, pour ce qui est de savoir si une « première personne » comprend une société contrôlante dans le contexte d’une action en dommages-intérêts visée par l’article 8, la question demeure ouverte.

 

[43]  Au cours de l’audience, Sanofi a présenté plusieurs arguments sur la façon de régler la question de l’interprétation de la législation. Par exemple, l’alinéa 4(4)d) et le paragraphe 6(4) du Règlement font tous deux référence aux propriétaires de brevets pertinents, mais le paragraphe 4(1) ne fait référence à aucune autre partie additionnelle. Cela laisse entendre que le rédacteur du Règlement avait l’intention d’exclure, de la définition de « première personne » au paragraphe 4(1), les parties autres que celle qui a déposé la présentation de drogue nouvelle et la liste de brevets.

 

[44]  Il ne m’appartient toutefois pas de décider du sens de « première personne ». Mon rôle est de déterminer s’il est clair et évident que l’interprétation d’Apotex de « première personne » doit être rejetée. À la lumière de Lilly 2004, j’ai conclu que cela n’est pas clair et évident.

 

[45]  Pour tous ces motifs, j’en suis arrivé à la même conclusion que la protonotaire. L’appel est donc rejeté avec dépens à Apotex peu importe l’issue de l’affaire.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que  l’appel soit rejeté et que les dépens soient payables à Apotex par Sanofi Canada peu importe l’issue de l’affaire.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :   T-1357-09

 

INTITULÉ :    Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 14 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :    LA JUGE SIMPSON

 

DATE :   LE 30 NOVEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jerry Topolski

Karen Murdock

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sheldon Hamilton

Andrew Mandlsohn

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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