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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20101125

Dossier : IMM-6689-09

Référence : 2010 CF 1167

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

DANIELE DONETTE NELSON

 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Mme Daniele Donette Nelson (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La Commission a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

* * * * * * * *

[2]               La demanderesse, une citoyenne de Saint-Vincent, soutient être victime de violence conjugale.

 

[3]               Mère monoparentale, la demanderesse vivait seule avec son fils lorsqu’elle a rencontré M. Elroy Barnum en 2002. Elle dit qu’il était très gentil avec elle et qui l’a aidé à subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de son fils. Elle et M. Barnum se sont engagés dans une relation amoureuse par la suite. Ils ont donc emménagé ensemble et elle est tombée enceinte d’une fille.

 

[4]               Cependant, la relation a rapidement tourné à la violence. Elle soutient que, de manière fréquente, il la frappait et l’insultait, contrôlait ses déplacements, la suivait et restait à la maison simplement pour la surveiller; il l’aurait également violé à au moins une occasion.

 

[5]               En décembre 2006, elle attendait l’autobus pour rentrer à la maison lorsqu’elle a remarqué une foule dans la rue. Lorsqu’elle est allée voir se qui se passait, elle a aperçu le corps d’une jeune femme. Sa tête avait été coupée. Elle affirme que les témoins lui ont dit que le petit ami de la victime l’avait tuée. C’est à ce moment qu’elle a décidé de quitter Saint-Vincent.

 

[6]               La demanderesse a communiqué avec sa mère, laquelle a commencé à économiser pour la faire venir au Canada. La demanderesse a demandé à son frère s’il pouvait s’occuper des enfants pendant qu’elle serait au Canada et il a accepté. Quelques jours avant son départ, elle a dit à M. Barnum qu’elle le quittait. Elle affirme qui l’a battu gravement et a menacé de la tuer si elle le quittait. Elle dit qu’elle est partie cette nuit‑là et qu’elle est restée avec son frère jusqu’au moment de son vol. Elle affirme également que M. Barnum appelle encore sa sœur pour lui demander où elle se trouve tout en proférant des menaces de mort à son endroit.

 

[7]               La demanderesse est arrivée au Canada le 5 août 2007, avec en main un visa de visiteuse d’une durée de six mois, et a présenté une demande d’asile le 14 février 2008.

 

* * * * * * * *

 

[8]               La Commission a tout d’abord examiné la crédibilité de la demanderesse. Bien que la Commission ait conclu en fin de compte que son récit était plausible, elle a émis des réserves quant au délai qui s’est écoulé entre l’arrivée de la demanderesse au Canada et la présentation de sa demande d’asile. La Commission a souligné qu’elle a attendu environ six mois avant de présenter sa demande, et qu’elle a témoigné que ce délai est attribuable au fait qu’elle n’était pas au courant du programme de protection des réfugiés et qu’elle était venue au Canada pour relaxer et chercher de l’aide. La Commission a ensuite souligné qu’elle a décidé de venir au Canada lorsqu’elle a été témoin du meurtre d’une jeune femme à Saint-Vincent et que les notes de l’agent d’immigration indiquent que la demanderesse est venue au Canada parce qu’elle éprouvait de la crainte. Toutefois, la Commission a conclu que la demanderesse n’a fait aucun effort pour s’informer des recours dont elle pouvait disposer, et que le fait d’avoir tardé avant de présenter sa demande d’asile est incompatible avec le comportement d’une personne qui craint pour sa vie. Bien que la Commission ait statué que le délai à revendiquer ait affecté la crédibilité de la demanderesse sur le plan de la crainte subjective, elle a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant.

 

[9]               La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse principalement parce qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver que l’État de Saint-Vincent ne pouvait ou ne voulait la protéger. La Commission a souligné que la demanderesse n’a pas tenté d’obtenir la protection de la police avant de demander l’asile au Canada. La demanderesse affirme qu’elle ne l’a pas fait parce que M. Barnum la surveillait constamment et que la police ne ferait rien. La Commission reconnaît que la protection offerte par l’État de Saint-Vincent n’est pas parfaite, mais juge que ce pays possède effectivement une force policière et que l’appareil gouvernemental ne s’est pas complètement effondré.

 

[10]           La Commission a alors analysé la preuve documentaire établissant que la Domestic Violence (Summary Proceedings) Act 1995 prévoit une protection pour les victimes de violence conjugale commise par l’époux ou le conjoint de fait. La Commission a ajouté que le gouvernement de Saint-Vincent a déployé des efforts sérieux pour enrayer la violence, pour sensibiliser les policiers et les intervenants judiciaires à la violence conjugale et pour encourager l’application de la Domestic Violence Act. La Commission a également souligné qu’il existe des éléments de preuve établissant qu’il n’était pas futile de demander la protection de la police compte tenu des données suivantes :

[…] de janvier à octobre 2007, sur un total de 177 demandes d’ordonnances de protection qui ont été déposées, le tribunal à acc[é]dé à 75 demandes, 70 demandes ont été [rayées], 13 demandes ont été refusées, 7 demandes ont été rejetées et 5 ont été retirées. Au cours de la même période 33 arrestations pour violence conjugale ont été enregistrées : 222 ont mené à des condamnations, 7 à des rejets, et 5 ont été jugées comme étant [traduction] « dépourvues de preuve » […]

 

(Comme l’a souligné l’avocate de la demanderesse, le nombre 222 dans l’extrait précédent semble résulter d’une faute de transcription étant donné que le dossier révèle que les 33 arrestations ont mené à 22, et non 222, condamnations.)

 

 

 

[11]           La Commission s’est appuyée sur des précédents pour conclure que « [d]outer de l’efficacité de la protection offerte par l’État alors [que la demandeure d’asile] ne l’a pas vraiment testée ne réfute pas pour autant l’existence d’une présomption de protection étatique dans son pays d’origine ». Par conséquent, la Commission a conclu que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la protection de l’État était inadéquate.

 

* * * * * * * *

 

[12]           La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

A.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective?

 

B.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait pu réclamer la protection de l’État?

 

 

[13]           S’agissant de l’analyse de la Commission portant sur la question de la crainte subjective de la demanderesse, le juge Michael Kelen a récemment confirmé dans Cornejo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 261, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. S’agissant de l’analyse faite par la Commission de l’existence d’une protection offerte par l’État, la Cour d’appel dans Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable.

 

* * * * * * * *

 

A.     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective?

 

[14]           La demanderesse fait valoir qu’en concluant que le délai pour présenter sa demande d’asile a nui à sa crédibilité sur le plan de la crainte subjective, la Commission n’a pas tenu compte des autres explications. La demanderesse souligne qu’elle est restée au Canada légalement pendant six mois et n’était pas exposée au risque d’être expulsée. Elle a également témoigné avoir pris connaissance du processus de demande d’asile seulement à la fin de son visa de visiteuse. Elle soutient que le fait que la Commission n’a pas tenu compte de ces explications rend la décision déraisonnable.

 

[15]           Comme l’a souligné le défendeur, la Commission avait certainement le droit d’examiner le temps que la demanderesse a laissé écouler avant de faire sa demande d’asile pour évaluer sa crainte subjective de persécution. Toutefois, le délai n’est pas habituellement un facteur déterminant pour se prononcer sur une demande d’asile (Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324). C’est précisément ce que la Commission a conclu en l’espèce. Bien qu’elle ait exprimé ses doutes quant à la crainte subjective de persécution de la demanderesse en raison de son comportement, la Commission a conclu en fin de compte que le délai n’était pas déterminant et que le récit de la demanderesse était vraisemblable. La décision de la Commission sur ce point n’a rien de déraisonnable.

 

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait pu réclamer la protection de l’État?

 

[16]           La demanderesse soutient que la décision de la Commission portant sur l’existence d’une protection par l’État est déraisonnable parce la Commission n’as pas tenu compte d’éléments de preuve indiquant que les victimes de violence conjugale disposent de peu de recours et que les policiers traitent souvent les victimes comme si elles méritaient un tel traitement ainsi que du témoignage qu’elle a livré dans lequel elle affirme que son conjoint de fait avait menacé de la tuer si elle le dénonçait à la police.

 

[17]           Comme l’a mentionné le défendeur, la demanderesse a le fardeau de convaincre la Commission, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que l’État était incapable de la protéger (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Bien que cette preuve étaye certainement la thèse de la demanderesse, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une preuve « claire et convaincante » que l’État était incapable de la protéger.

 

[18]           En effet, la Commission s’est fondée sur des éléments de preuve importants pour conclure que la demanderesse pouvait obtenir la protection de l’État. Compte tenu du fait que la Commission est présumée avoir examiné la totalité des éléments de preuve dont elle a été saisie (Florea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)) et qu’elle n’est aucunement tenue de mentionner chaque élément de preuve (Kumar c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 643), il ne serait pas approprié pour la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la Commission. Dans ce contexte, j’estime essentiellement que les commentaires suivants formulés par la juge Marie-Josée Bédard dans Rocque et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 802, et par le juge Maurice Lagacé dans Dean c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 772, s’appliquent mutadis mutandis à la présente affaire.

 

[19]           Dans Rocque et al. :

[19]     En l’espèce, la Commission a conclu que Saint-Vincent était une démocratie parlementaire ayant un appareil judiciaire efficace et qu’il y existait des lois claires visant à protéger les personnes comme les demandeurs des agressions. Cette conclusion se fondait sur la preuve, qui comprenait notamment le Cartable national de documentation sur Saint-Vincent-et-les-Grenadines et les Country Report on Human Rights Practices pour 2008. Ayant lu l’ensemble de la preuve documentaire qui a été présentée à la Commission relativement à la situation à Saint-Vincent, je suis d’avis que la conclusion de la Commission était raisonnable et que la Commission ne l’a pas tirée sans tenir compte de la preuve.

 

 

 

[20]           Dans Dean :

[17]     Or, malgré les allégations de menaces et de crainte pour la sécurité de sa mère, son frère et sa sœur en raison de l’influence dont était censé jouir son beau-père en tant que producteur et trafiquant de drogue, la demanderesse n’a jamais porté plainte aux autorités, avant de quitter Saint-Vincent-et-les-Grenadines pour venir demander l’asile au Canada.

 

[18]           L’octroi d’une protection internationale ne doit être qu’une mesure auxiliaire de dernier recours. Par conséquent, la SPR était en droit de présumer qu’un État étranger était capable de protéger ses ressortissants. Le fardeau incombait à la demanderesse d’établir, par une preuve claire et convaincante, l’incapacité de son pays d’origine de la protéger. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’il est capable de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c. Ward, 1993 CanLII 105 (C.S.C.), [1993]  2 R.C.S. 689, 725-726; Mendivil c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 167 N.R. 91, 95 (C.A.F.); Roble c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 169 N.R. 125, 130 (C.A.F.); Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992]  A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), paragraphes 6-7).

 

[19]           La SPR a pesé la preuve documentaire avant de conclure que la protection assurée par l’État de Saint-Vincent-et-les-Grenadines était adéquate. Elle a de plus examiné les raisons pour lesquelles la demanderesse n’a jamais porté plainte à la police suite aux agressions de son beau-père, mais ne les a pas trouvées satisfaisantes. La SPR a conclu que les explications de la demanderesse ne constituaient pas des preuves claires et convaincantes du caractère inadéquat de la protection de l’État.

 

[20]           Lorsque le demandeur d’asile provient d’un État démocratique, comme Saint-Vincent-et-les-Grenadines, il lui est d’autant plus impératif de rechercher d’abord la protection de cet État. En conséquence, il doit démontrer avoir épuisé tous les recours raisonnables ouverts dans son pays pour obtenir la protection nécessaire des autorités nationales, avant de songer à rechercher la protection d’un pays étranger (Kadenko c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.F.) (QL)). Or, en l’occurrence, la demanderesse a beau invoquer les évènements remontant à sa jeunesse, pour se justifier de ne pas avoir demandé la protection de son pays, rien cependant ne l’empêchait de réclamer cette protection lors des évènements survenus à l’âge adulte, avant de choisir de quitter pour le Canada.

 

[21]           En l’espèce, la demanderesse n’a pas établi l’« effondrement complet de l’appareil étatique » de son pays d’origine. Comme l’a souligné à juste titre la SPR, la demanderesse n’a fait état que de réticences subjectives pour ne pas porter plainte, sans toutefois démontrer un refus ou un défaut de protection de l’État.

 

[22]           Par ailleurs, la SPR s’est fondée sur une preuve documentaire objective indiquant que l’État est doté d’un appareil judiciaire indépendant qui applique la loi dans les cas de violence conjugale et de violence contre des mineurs. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle de la SPR, un tribunal administratif spécialisé possédant toute l’expertise nécessaire pour analyser la preuve et tirer les conclusions qui s’imposent.

 

[21]           Puisque j’estime qu’aucune des conclusions de la Commission relatives à la protection de l’État n’était déraisonnable et qu’au contraire, elles appartenaient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190), l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[22]           Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 novembre 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6689-09

 

INTITULÉ :                                                   DANIELE DONETTE NELSON c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile                                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

Émilie Tremblay                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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