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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101125

Dossier : IMM-1220-10

Référence : 2010 CF 1185

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

MARIA DE LOURDES DIAZ ORDAZ CASTILLO,
CARLO ALBERTO ZAPATA DIAZ ORDAZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En 2008, la demanderesse principale et son fils (le demandeur mineur), tous deux citoyens du Mexique, ont présenté une demande d’asile au Canada, disant craindre d’être persécutés par l’ex-conjoint violent de la demanderesse principale. En janvier 2009, cette dernière a volontairement retiré sa demande d’asile. En avril 2009, les demandeurs ont présenté une demande en vue de rétablir la demande d’asile. Dans une décision datée du 6 mai 2009 (la première décision), une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de rétablissement. Dans une décision datée du 1er décembre 2009 (Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1227, 85 Imm. L.R. (3d) 238 (Castillo 2009)), le juge James W. O’Reilly a fait droit à la demande de contrôle judiciaire concernant la première décision. Dans une décision datée du 11 janvier 2010, confirmée par une lettre datée du 16 février 2010 (la seconde décision), une formation différente de la Commission a rejeté la demande de rétablissement de la demande d’asile. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette seconde décision.

 

[2]               La disposition réglementaire applicable est le paragraphe 53(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles), prises en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans le contexte du reste de l’article 53 des Règles, le paragraphe 53(3) prévoit ce qui suit :

53. (1) Toute personne peut demander à la Section de rétablir la demande d’asile qu’elle a faite et ensuite retirée.

 

Forme et contenu de la demande

 

(2) La personne fait sa demande selon la règle 44; elle y indique ses coordonnées et transmet une copie de la demande au ministre.

 

 

(3) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire.

53. (1) A person may apply to the Division to reinstate a claim that was made by that person and withdrawn.

 

Form and content of application

 

(2) The person must follow rule 44, include their contact information in the application and provide a copy of the application to the Minister.

 

(3) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or if it is otherwise in the interests of justice to allow the application.

 

[3]               En l’espèce, les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y a pas eu de manquement à un principe de justice naturelle. La seule question qui m’est soumise consiste à savoir si la Commission a tenu convenablement compte du volet « intérêt de la justice » du paragraphe 53(3) des Règles. La norme de contrôle est la décision raisonnable. Selon la Cour suprême, pour déterminer si une décision est raisonnable, les facteurs dont il faut tenir compte sont la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. L’issue doit pouvoir se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 (arrêt Dunsmuir)).

 

[4]               Le paragraphe 53(3) des Règles contient deux moyens distincts pour rétablir une demande d’asile. Une demande de rétablissement peut être accueillie s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle. De plus, et séparément du premier moyen, la demande doit être accueillie s’il est possible d’établir qu’il est « dans l’intérêt de la justice » de le faire. Ce paragraphe 53(3) peut être mis en contraste avec le paragraphe 55(4) des Règles, lequel s’applique dans le cas d’une demande présentée en vue de rouvrir une demande d’asile ayant fait l’objet d’une décision ou d’un désistement. Aux termes du paragraphe 55(4), la demande doit être accueillie « sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle ». Dans cette disposition, comparativement au paragraphe 53(3) des Règles, il n’est pas question de savoir s’il est « dans l’intérêt de la justice » d’accueillir la demande.

 

[5]               Compte tenu du principe d’interprétation législative selon lequel le législateur évite les mots superflus ou dénués de sens (R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170, à la page 188, 137 N.R. 161; Ward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 61), il est évident que le paragraphe 53(3) requiert un examen distinct de chaque moyen dans les cas où l’on présente des observations qui sont fondées sur les deux moyens. Il est tout à fait possible que la preuve soumise à la Commission soit pertinente à l’égard des deux moyens. Cependant, une décision qui présente un caractère raisonnable, lequel tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47), doit traiter des deux volets du paragraphe 53(3) des Règles. Il doit être évident aux yeux du lecteur (et du tribunal de contrôle) que la Commission était consciente que le paragraphe 53(3) comporte deux moyens distincts. La Commission ne peut satisfaire aux deux éléments de ce paragraphe en disant simplement qu’elle a examiné la question de savoir s’il était dans l’intérêt de la justice de faire droit à la demande.

 

[6]               Une interprétation claire du sens des mots « dans l’intérêt de la justice », que l’on trouve au paragraphe 53(3) des Règles, est donnée par le juge Michael Phelan dans la décision Ohanyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1078, [2006] A.C.F. no 1358 (QL), au paragraphe 13 (Ohanyan), citant Ahmad c. Canada (MCI), 2005 CF 279, 25 Admin. L.R. (4th) 220 :

L’expression « par ailleurs dans l’intérêt de la justice » a un sens large et donne à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu pour rétablir une demande, mais cela exige de sa part qu’elle pèse toutes les circonstances d’une affaire, et non pas uniquement sous l’angle des intérêts d’un demandeur. Le rétablissement est une exception à la norme et doit être interprété et appliqué dans ce contexte

 

[7]               Gardant à l’esprit ce qui précède, je passe maintenant à la seconde décision. Après avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve, de même que la décision rendue dans Castillo 2009, la Commission a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice de rétablir la demande d’asile des demandeurs en vertu du paragraphe 53(3) des Règles, et la demande a été rejetée.

 

[8]               La Commission a tenu compte de la décision rendue dans Castillo 2009, où il a été conclu qu’elle avait tenu compte de l’état d’esprit de la demanderesse principale ainsi que des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour conclure que la demanderesse principale avait retiré sa demande d’asile volontairement et sans contrainte, ce qui n’était pas assimilable à un manquement à la justice naturelle.

 

[9]               La Commission a pris en considération la décision Ohanyan, une affaire dans laquelle un demandeur avait retiré sa demande d’asile après avoir été informé par son épouse que les agents de l’État n’étaient plus à sa recherche et qu’il pouvait rentrer sans danger en Arménie. La Commission a fait une analogie entre cette affaire et l’espèce, dans laquelle la demanderesse principale a retiré sa demande d’asile après une conversation téléphonique avec son amoureux, soit l’agent de persécution prétendu, dont elle était séparée. Dans la décision Ohanyan, au paragraphe 14, la Cour déclare ceci :

Le demandeur a pris une décision stratégique qui, apparemment, ne l’a pas servi. L’article ne vise pas à protéger les demandeurs des conséquences de la conduite qu’ils ont librement choisi d’adopter, même lorsqu’ils ont pris une décision ou une mesure qui n’a pas donné les résultats espérés.

 

 

[10]           À mon avis, la seconde décision n’est pas raisonnable.

 

[11]           Le premier problème que pose cette décision est que je ne suis pas convaincue que la Commission a tenu compte de la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis. Je conviens avec le défendeur que l’on présume en général que la Commission a pris en compte la totalité des éléments de preuve, et qu’elle n’est pas obligée de faire référence à tous les documents qui se trouvent dans le dossier. Cependant, en l’espèce, la Commission ne fait référence à aucun document. Il est généralement admis que, lorsqu’un document occupe une place importante dans une décision que la Commission doit rendre, il est nécessaire que le décideur traite explicitement de ce document (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.)). La Commission avait en main de nombreux documents qui étaient pertinents quant à la question de savoir ce qui était « dans l’intérêt de la justice » et qu’il aurait fallu prendre en considération. Il ne suffit pas que la Commission dise simplement : [traduction] « les éléments de preuve présentés ne me font pas changer d’idée ».

 

[12]           De plus, la seconde décision ne fait pas état des circonstances personnelles du demandeur mineur, auquel on ne peut pas reprocher la décision prise par la demanderesse principale de retirer sa demande d’asile.

 

[13]           L’affaire Ohanyan se distingue de l’espèce. Dans cette affaire, le demandeur n’avait présenté aucune observation importante quant à la question de savoir s’il serait « dans l’intérêt de la justice » de faire droit au rétablissement de la demande d’asile (Ohanyan, paragraphe 10). Il n’était donc pas nécessaire de traiter du second moyen visé au paragraphe 53(3) des Règles. Comme je l’ai fait remarquer, la situation dont la Commission était saisie en l’espèce était différente. Les observations que les demandeurs ont présentées en l’espèce étaient pertinentes en rapport avec la question de savoir s’il était « dans l’intérêt de la justice » d’accueillir la demande de rétablissement de la demande d’asile. Je ne suis pas convaincue que la Commission a pris ces observations en compte dans la seconde décision.

 

[14]           En bref, la Commission n’a fait qu’examiner les circonstances dans lesquelles la demanderesse principale a retiré sa demande d’asile. Bien qu’il s’agisse là d’un facteur important qui peut militer contre l’intérêt de la justice et contre le fait que soit accueillie la demande, ce n’est que l’un des nombreux facteurs que les demandeurs avaient fait valoir dans leurs observations. Il n’y a pas eu d’analyse de la situation particulière des demandeurs, pas plus que des autres facteurs qui auraient pu militer en faveur, ou en défaveur, du fait d’accueillir la demande de rétablissement de la demande d’asile.

 

[15]           La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sera accueillie. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire;

 

2.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1220-10

 

INTITULÉ :                                       MARIA DE LORDES DIAZ ORDAZ CASTILLO

                                                            ET AL c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

PLACE DE L’AUDIENCE :             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 NOVEMBRE 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Aisling Bondy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aisling Bondy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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