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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101125

Dossier : T-1209-09

Référence : 2010 CF 1184

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

ENTRE :

 

DIAMANT ELINOR INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

88766 CANADA INC.

 

 

 

défenderesse

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Le concept d’emploi est central en droit des marques canadiennes : il est générateur de la titularitée de la marque. L’emploi permet d’obtenir et de préserver des droits sur la marque à l’encontre de tiers. Tel que l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772 :

[5]        Contrairement à d'autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l'inventeur canadien a droit à un brevet même s'il n'en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d'auteur même si sa pièce n'est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d'ordre est de l'employer sous peine de la perdre. L'enregistrement d'une marque déposée qui n'a pas été employée est susceptible de radiation (par. 45(3)) [...]

 

[2]               La jurisprudence est constante à l’effet que le fardeau du propriétaire inscrit de la marque n’est pas rigoureux dans le cadre de la procédure de radiation prévue à l’article 45. Le propriétaire ne doit établir qu’une preuve prima facie d’emploi au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T-13 (LMC); Prince c. Orange Cove-Sanger Citrus Association, 2007 CF 1229, 322 F.T.R. 212, au paragraphe 7. À ce sujet, la Cour fédérale a affirmé :

[44]      De cette jurisprudence et de ces énoncés de principes fondamentaux, quel principe tirer qui s'applique en l'espèce? Nous savons que l’objet de l’article 45 est de débarrasser le registre du « bois mort ». Nous savons que la simple affirmation par le propriétaire de l’emploi de sa marque de commerce ne suffit pas et que le propriétaire doit « indiquer » quand et où la marque a été employée. Il nous faut des éléments de preuve suffisants pour être en mesure de nous former une opinion en vertu de l’article 45 et d’appliquer cette disposition. Également, nous devons maintenir le sens des proportions et éviter la preuve surabondante. Nous savons également que le genre de preuve exigée varie d’une affaire à l’autre, en fonction d’une gamme de facteurs tels que la nature du commerce et les pratiques commerciales du propriétaire de la marque de commerce.

 

(Uvex Toko Canada Ltd. c. Performance Apparel Corp., 2004 CF 448, 429 F.T.R. 105).

 

            Quelle preuve doit être déposée?

[3]               L'affidavit ou la déclaration solennelle doit indiquer et non simplement énoncer si la marque de commerce est employée. Le propriétaire doit bien expliquer l’emploi de la marque dans son affidavit, mais de simples affirmations d’emploi ont été jugées insuffisantes pour maintenir un enregistrement de marque de commerce selon la procédure prévue à l’article 45 LMC (Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc., [1981] 1 C.F. 679, 5 A.C.W.S. (3d) 317 au par. 9 (C.A.F.)). Les exigences en matière de preuve sont d'ordre non pas quantitatif, mais qualitatif (Phillip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 8 F.T.R. 310, 3 A.C.W.S. (3d) 109 au par. 10 (C.F. 1re inst.)).

[4]               Le genre de preuve permettant de démontrer l'emploi varie d'un cas à l'autre (Union Electric Supply Co. Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1982] 2 C.F. 263, 63 C.P.R. (2d) 56 au par. 9 (C.F. 1re inst.)).

 

[5]               Comme la procédure à l’article 45 LMC vise à savoir si la marque est employée telle qu’enregistrée, il faut que le propriétaire de la marque dépose un échantillon de la marque. En effet, la Cour a n’a pas conclu à l’emploi de la marque lorsque cette marque ne passait pas le test quant à savoir si la marque utilisée était identique, ou du moins dont les distinctions avec la marque enregistrée sont minimes (Coastal Culture Inc. c. Wood Wheeler Inc., 2007 CF 472, 312 F.T.R. 158, le concept reste pareil peu importe si on se sert de l’article 38 ou 45 de la LMC).

 

[6]               Pour ce qui est du commerce lié aux marchandises, il faut prouver au moins une transaction commerciale, pour chaque marchandise pour laquelle l’emploi de la marque est allégué (selon le principe spécifié à l’intérieur de l’arrêt Phillip Morris, ci-dessus). La Cour fédérale a déclaré qu’il n’est pas nécessaire de fournir des factures dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45 (Lewis Thomson & Sons Ltd. c. Rogers, Bereskin & Parr (1988), 21 C.P.R. (3d) 483, 12 A.C.W.S. (3d) 33 au par. 9 (C.F. 1re inst.)).

 

[7]               Le propriétaire de la marque doit à tout le moins faire référence aux dates de la période pertinente dans son affidavit. Entre autres, l’affiant ne doit pas traiter de la situation « actuelle » de l’emploi de la marque, ni d’une période extérieure à la période pertinente (88766 Canada Inc. c. Monte Carlo Restaurant Ltd., 2007 CF 1174, 63 C.P.R. (4th) 391 au par. 9). La preuve doit convaincre le registraire que la marque a été employée pendant la période pertinente (Boutique Limité c. Limco Investments, Inc. (1998), 232 N.R. 190, 84 C.P.R. (3d) 164 (C.A.F.); Grapha-Holding AG c. Illinois Tool Works inc., 2008 CF 959, 161 A.C.W.S. (3d)  181).

 

            La Cour peut inférer de l’ensemble de la preuve

[8]               Dans le jugement Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg, 2004 CF 717, 35 C.P.R. (4th) 443 (Footlocker, C.F., décision infirmée en Cour d’appel fédérale : Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg, 2005 CAF 99, 38 C.P.R. (4th) 508 (Footlocker, C.A.F.), mais pas sur ce point en particulier), la Cour fédérale rappelle que la preuve déposée par l’inscrivant n’a pas à être parfaite :

[51]      La jurisprudence établit que le fardeau qui incombe au propriétaire d'une marque de commerce dans le cadre d'une procédure intentée en vertu de l'article 45 se limite à fournir une preuve d'emploi suffisante pour éviter la radiation. Elle établit également que la preuve par affidavit n'a pas à être parfaite. Dans Gesco Industries Inc., précité, le juge Wetston a affirmé que « la preuve présentée au registraire doit établir les faits à partir desquels on peut déduire logiquement qu'il y a eu "emploi" ou "'emploi dans la pratique normale du commerce" » [...]

 

[9]               Le fardeau de preuve à atteindre est très bas : il suffit que les affidavits et les pièces déposées à leur soutien établissent des faits à partir desquels une conclusion d’emploi peut logiquement être inférée (Grapha-Holding, ci-dessus, au par. 16). Par exemple, dans la décision Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, 48 C.P.R. (4th) 223 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale avait inféré de l’ensemble de la preuve, qui avait été jugée insuffisante en première instance, que la marque avait été employée :

[7]        Bien sûr, les affidavits devant le registraire et la Cour fédérale auraient pu être plus explicites. Mais, à l'instar de ce que disait le juge Cattanach dans Keepsake, Inc. v. Prestons Ltd. (1983) 69 C.P.R. (2d) 50 (C.F. 1ère inst.), à la page 61, il y a dans l'ensemble une preuve qui permet raisonnablement d'inférer que des ventes de vêtements féminins ont été faites par l'appelante dans le cours du commerce et que la marque a été employée ou en usage durant la période concernée.

 

[10]           L’ensemble de la preuve incluait des factures, des étiquettes, des dessins et des photos de la marque. Les factures déposées affichaient la marque de commerce (Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2004 CF 617, 259 F.T.R. 5 au par. 9), mais la Cour fédérale avait jugé que « les factures déposées au soutien de ces affirmations ne contiennent aucune indication que les styles vendus étaient des vêtements de sport pour femmes, ni que ceux-ci portaient la marque de commerce ECLIPSE. La mention du nom ECLIPSE sur ces factures fait référence au nom de la demanderesse, et non à la marque des vêtements » (Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Cohen 2004 CF 617 au par. 9). La Cour d’appel fédérale a par la suite tranché que tous ces éléments mis ensemble, c’est-à-dire les factures et les autres éléments mis en preuve, ainsi que les informations qu’ils renfermaient, permettaient d’inférer que la marque avait été utilisée. Aussi, dans la décision Union Electric, ci-dessus, la Cour a jugé suffisante la preuve quant à l’emploi d’une marque de commerce, en se basant sur l’affidavit du déposant qui avait pour seule pièce une étiquette de prix telle qu’apposée sur les marchandises qui portaient la marque de commerce en question, et une énumération détaillée des marchandises liées à la marque.

 

[11]           Dans la procédure prévue à l’article 45 de la LMC, il faut soumettre à la Cour un commencement de preuve qui permet à la Cour de se fonder sur une inférence tirée de faits établis plutôt que sur de la spéculation (Curb c. Smart & Biggar, 2009 CF 47, 72 C.P.R. (4th) 176 au par. 20). Chaque élément de l’article 4 doit pouvoir être inféré d’une façon ou d’une autre dans la preuve déposée par le titulaire de la marque et l’emploi de la marque doit ressortir de l’ensemble de la preuve.

 

[12]           Dans les cas où la preuve déposée est ambiguë, la Cour fédérale, dans la décision Fairweather Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248, 301 F.T.R. 263 (décision maintenue par la Cour d’appel fédérale : Bereskin & Parr c. Fairweather Ltd., 2007 CAF 376, 62 C.P.R. (4th) 266) a affirmé :

[41]      Enfin, tout doute qui peut exister au sujet de la preuve doit être résolu en faveur du propriétaire de la marque de commerce sans diminuer pour autant l'obligation qui incombe au propriétaire de fournir une preuve prima facie d'emploi : Boutiques Progolf, juge Desjardins, qui était dissidente, mais non sur ce point.

 

[13]           Cependant, la Cour fédérale dans la décision Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd., [1980] 2 C.F. 338, [1979] 3 A.C.W.S. 460 (décision maintenue par : Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc., [1980] 1 C.F. 679, 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.)), avait préalablement conclu que :

[21]      […] L'affidavit ne doit donc être sujet à plus d'une interprétation; si tel est le cas, il convient alors d'adopter l'interprétation qui va à l'encontre de l'intérêt de la partie pour laquelle le document a été rédigé.

 

[14]           Considérant que la procédure prévue à l’article 45 interdit le registraire à recevoir d’autre preuve que l’affidavit, et considérant qu’aucun contre-interrogatoire et que la preuve contradictoire ne sont pas permis, la Cour est d’avis que toute ambigüité doive être interprétée à l’encontre du titulaire de la marque, puisque c’est ce dernier qui a tout loisir de déposer la preuve à l’effet de l’emploi de sa marque.

 

[15]           Par ailleurs, on peut faire un parallèle entre une telle interprétation et celle de la décision Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, [2002] 3 C.F. 405, de la Cour d’appel fédérale, dans le cadre d’une procédure en vertu du paragraphe 38(8) de la LMC, où il a été affirmé que « tout doute doit être résolu en faveur de l’opposant » (par. 10).

[16]           Ainsi, le fardeau de preuve repose entièrement sur l’inscrivante et toute ambigüité dans son affidavit devrait s’interpréter contre elle.

 

II.  Procédure judiciaire

[17]           Il s’agit d’un appel en vertu de l’article 56 de la LMC de la décision rendue par le registraire des marques de commerce en date du 26 mai 2009 à l’effet que la marque LMC no 408863 de Yves Delorme Dessin devrait être radiée du registre pour défaut d’emploi, conformément à l’article 45 de la LMC.

 

III.  Faits

[18]           Monsieur Joseph Sebag est président de la compagnie demanderesse, Diamant Élinor Inc, depuis sa formation le 2 décembre 1983.

 

[19]           Le 28 octobre 1991, la demanderesse a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce Yves Delorme Dessin en relation avec les marchandises « Montres et Bijoux ».

 

[20]           La Marque a fait l’objet d’un enregistrement en date du 26 février 1993.

 

[21]           Le 6 décembre 2006, à la demande de la défenderesse, 88766 inc., le registraire a transmis l’avis prescrit par l’article 45 de la LMC à la demanderesse, la propriétaire inscrite de la marque de commerce. Le registraire enjoignait la demanderesse de lui fournir, dans les trois mois de la date de l’avis, un affidavit ou une déclaration solennelle démontrant à l’égard de chacune des marchandises ayant figurées au registre depuis au moins trois ans que la marque visée par l’enregistrement a été employée au Canada.

 

[22]           En réponse à cet avis, la demanderesse a produit en preuve trois affidavits : l’affidavit de monsieur Sebag du 29 janvier 2007, un second affidavit de monsieur Sebag daté du 27 septembre 2007, ainsi que l’affidavit de monsieur Armando Elbaz, président de Fiori Canada inc., daté du 27 septembre 2007.

 

[23]           Le 26 mai 2009, le registraire rendait une décision concluant que la marque devait être radiée du registre pour défaut d’emploi.

 

[24]           Le 24 juillet 2009, la demanderesse a déposé un avis d’appel en vertu de l’article 56 de la LMC et contestait seulement la décision du registraire relativement à la catégorie des montres.

 

[25]           Le même jour, monsieur Sebag a déposé un autre affidavit et les pièces à son soutien.

 

[26]           L’audition devant la Cour fédérale a eu lieu le 15 novembre 2010. Seul le procureur de la demanderesse a comparu.

 

IV.  Décision contestée

[27]           Le registraire des marques a étudié une par une chaque preuve qui avait été déposée devant lui :

 

1.      l’affidavit de monsieur Sebag du 29 janvier 2007, ainsi qu’une facture datée du 16 octobre 2008 et un bon de renseignement de produits arborant la Marque en pièces jointes;

2.      l’affidavit de monsieur Sebag daté du 27 septembre 2007 et un bon de garantie en pièce à son soutien;

3.      l’affidavit de monsieur Elbaz, président de Fiori Canada inc. daté du 27 septembre 2007, et la pièce à son soutien étant la même facture du 16 octobre 2008 que celle déposée par monsieur Sebag.

 

[28]           Le registraire a conclu que la preuve déposée devant lui était ambiguë, entre autres parce qu’aucun renseignement n’était donné qui permettait de déterminer si la marque avait été employée en lien avec les marchandises avec laquelle la marque est associée, ni si la marque a été utilisée durant la période pertinente.

 

[29]           En vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés en application du paragraphe 63(3) de la LMC, le registraire a conclu que la Marque LMC no 408863 devrait être radiée du Registre pour défaut d’emploi.

 

V.  Questions en litige

[30]           (1) La nouvelle preuve produite devant cette Cour aurait-elle pu avoir un effet sur la décision du registraire?

(2) La demanderesse a-t-elle présenté une preuve acceptable d’emploi qui satisfait aux exigences de l’article 45 de la LMC?

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[31]           L’article 2 de la LMC contient une définition de ce que constitue l’emploi de la marque :

2.      […]

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

2.      …

“use”, in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

 

[32]           L’article 2 de la LMC réfère à l’article 4 de la LMC :

4.       (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

 

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

4.       (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

 

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

 

(3) A trade-mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.

 

[33]           Quant à la procédure prévue à l’article 45 de la LMC, elle permet au registraire de demander au propriétaire inscrit de la marque de démontrer si la marque en question a été employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises que spécifie l’enregistrement à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis. Dans le cas présent, la période pertinente s’étend du 6 décembre 2003 au 6 décembre 2006 :

45.      (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à

compter de la date de l’enregistrement d’une

marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

(4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l’enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l’avis visé au paragraphe (1) a été donné.

 

 

(5) Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n’en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

45.      (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

 

 

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

 

(4) When the Registrar reaches a decision whether or not the registration of a trade-mark ought to be expunged or amended, he shall give notice of his decision with the reasons therefore to the registered owner of the trade-mark and to the person at whose request the notice referred to in subsection (1) was given.

 

(5) The Registrar shall act in accordance with his decision if no appeal therefrom is taken within the time limited by this Act or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

 

[34]           L’avis prescrit à l’article 45 de la LMC tel qu’envoyé à la demanderesse faisait référence aux « Règles de pratique ayant trait aux procédures relatives à l’article 45 » (publiées dans le Journal des marques de commerce le 21 décembre 2005. Ces Règles décrivent ce en quoi consiste la preuve d’emploi de la marque de commerce enregistrée :

III.2 Preuve d'emploi de la marque de commerce enregistrée

 

La preuve produite en réponse à l'avis prévu à l'article 45 doit être sous forme d'affidavit ou de déclaration solennelle. Il est possible de fournir, pour le compte du propriétaire inscrit, plus d'un affidavit ou plus d'une déclaration solennelle, que l'affidavit ou la déclaration soit signé(e) ou non par le propriétaire inscrit [Canada (Registraire des marques de commerce) c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 à la p. 494 (C.A.F.)].

 

La preuve doit démontrer l'emploi de la marque de commerce par le propriétaire inscrit ou un cessionnaire en droit d'être inscrit en tant que propriétaire inscrit [Star Kist Foods Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1988), 20 C.P.R. (3d) 46 à la p. 52 (C.A.F.)], l'emploi sous licence de la marque de commerce conformément à l'article 50 de la Loi ou l'emploi sous licence de la marque de certification conformément au paragraphe 23(2) de la Loi.

 

Bien que le genre de preuve permettant de démontrer l'emploi varie d'un cas à l'autre [Union Electric Supply Co. Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1982), 63 C.P.R. (2d) 56 à la p. 60 (C.F. 1re inst.)], l'emploi de la marque de commerce doit être conforme à l'article 4 de la Loi et doit être démontré à l'égard de chacune des marchandises/chacun des services que spécifie l'enregistrement [art. 45(1) de la Loi]. L'affidavit ou la déclaration solennelle doit contenir suffisamment de faits pour permettre de conclure que la marque de commerce a été employée au Canada, par opposition à des simples affirmations d'emploi qui ont été jugées insuffisantes pour maintenir un enregistrement de marque de commerce aux termes de l'article 45 de la Loi [Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 aux pp. 65-66 (C.A.F.)]. Les exigences en matière de preuve sont d'ordre non pas quantitatif, mais qualitatif [Phillip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., précité, à la p. 294].

III.2 Evidence of Use of the Registered Trade-mark

 

 

The evidence filed in response to the Section 45 Notice must be in the form of an affidavit or statutory declaration. More than one affidavit or statutory declaration may be filed on behalf of the registered owner, regardless of whether the affidavit or statutory declaration is signed by the registered owner Canada (Registrar of Trade-marks) v. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 at 494 (F.C.A.)].

 

The evidence must show use of the trade-mark by the registered owner or an assignee entitled to be recorded as registered owner [Star-Kist Foods Inc. v. Canada (Registrar of Trade-marks) (1988), 20 C.P.R. (3d) 46 at 52 (F.C.A.)], licensed use of the trade-mark pursuant to s. 50 of the Act, or licensed use of a certification mark pursuant to s. 23(2) of the Act.

 

 

 

 

 

 

Although the type of evidence necessary to show use varies from case to case [Union Electric Supply Co. Ltd. v. Registrar of Trade-marks (1982), 63 C.P.R. (2d) 56 at 60 (F.C.T.D.)], the use of the trade-mark must be in compliance with s. 4 of the Act and must be shown with respect to each of the wares/services listed in the registration [s. 45(1) of the Act]. The affidavit or statutory declaration must contain sufficient facts to support a conclusion that the trade-mark has been used in Canada, as opposed to containing bare assertions of use, which have been held to be insufficient to maintain a trade-mark registration under s. 45 of the Act [Plough (Canada) Ltd. v. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 at 65-6 (F.C.A.)]. The evidence should be forthcoming in quality, not quantity [Phillip Morris Inc. v. Imperial Tobacco Ltd., supra, at 294].

 

[35]           L’article 56 de la LMC permet aux parties, une fois rendues en appel devant la Cour fédérale, d’apporter une preuve additionnelle à ce qui avait été déposé comme preuve devant le registraire :

56.      (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

 

[…]

 

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant

le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

56.      (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

 

 

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

VII.  Prétention des parties

[36]           La demanderesse soutient qu’elle a employé au Canada, et ce, de façon continue, la Marque en relation avec des montres, entre le 6 décembre 2003 et le 6 décembre 2006.

 

[37]           La défenderesse soutient que rien dans la preuve de la demanderesse, tant en première instance que devant cette Cour, ne permet de conclure à l’emploi de la marque Yves Delorme Dessin au sens des articles 4 et 45 de la LMC. La défenderesse soumet également que, si emploi il y a, la marque de commerce de la demanderesse n’a pas conservé les caractéristiques essentielles et dominantes de la Marque Yves Delorme & Dessin.

VIII.  Norme de contrôle

[38]           La norme de contrôle applicable à une décision relative à la radiation d’une marque en vertu de l’article 45 de la LMC varie selon que de nouvelles preuves ont été déposées ou non devant une cour en appel. La décision Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] A.C.F. no 159 (QL), [2000] 3 C.F. 145, de la Cour d’appel fédérale a conclu que :

[51]      […] Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

 

[39]           Ainsi, les tribunaux appliquaient la norme de la décision raisonnable simpliciter aux appels interjetés à l’encontre de décisions du registraire rendues en vertu de l’article 56 de la LMC (Mattel au par. 40), dans les cas où aucune preuve additionnelle n’avait été présentée en appel, ou que cette preuve n’aurait pas influé sur la décision du registraire. La norme de la décision raisonnable simpliciter a notamment été appliquée dans des appels interjetés à l’encontre de décisions rendues par le registraire en vertu de l’article 45 de la LMC (United Grain Growers Ltd. c. Lang Michener, 2001 CAF 66, [2001] 3 C.F. 102 au par.8).

 

[40]           Il importe de rappeler que, suite à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la distinction entre la norme « manifestement déraisonnable » et le « raisonnable simpliciter » a été abandonnée. Les deux normes se sont fondues en une seule norme dont :

[47]      [...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[41]           Lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Cour fédérale et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire :

[35]      […] Lorsqu'un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l'affaire comme s'il s'agissait d'une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. nº 849 (C.A.)).

 

(Mattel, ci-dessus, au par. 35).

 

[42]           La nouvelle preuve justifie alors un examen fondé sur la norme de la décision correcte. Il faut donc d’abord déterminer si la nouvelle preuve aurait eu un effet important sur la décision du registraire, mais pas nécessairement sur sa conclusion finale (Worldwide Diamond Trademarks Ltd. c. Canadian Jewellers Assoc., 2010 CF 309, 363 F.T.R. 83).

 

[43]           L’évaluation de la nouvelle preuve exige que la Cour se demande dans quelle mesure cette preuve est plus probante que celle soumise au registraire : « [s]i l’élément apporté a peu de poids et ne consiste qu'en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel » (Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. no1763, 3 C.P.R. (4th) 224 au par. 37).

 

[44]           Le cas en l’espèce exige donc une analyse par la Cour de chaque élément nouveau déposé en preuve par la demanderesse à la lumière de la norme de contrôle appropriée selon la valeur probante de cette nouvelle preuve.

 

IX.  Analyse

(1) La nouvelle preuve produite devant cette Cour aurait-elle pu avoir un effet sur la décision du registraire?

 

[45]           Dans son affidavit daté du 24 juillet 2009, monsieur Sebag a produit cinq éléments de preuve à titre de démonstration pour la période pertinente. Nous reproduisons ici l’extrait pertinent de l’affidavit :

a)   La Marque, en association avec des montres, a fait l’objet d’une affiche publicitaire laquelle existait durant la période pertinente en 2005 et 2006, tel qu’en fait foi copie de la fiche produite sous la côte P-1;

 

b)   Je dépose sous la côte-P-2, en liasse, trois (3) cartes de garantie des montres, portant la Marque, et je confirme que lesdites cartes existaient durant la période pertinente et elles existent toujours;

 

c)   La Demanderesse achète les montres portant la marque d’une compagnie appelée Fiori Canada et à cet égard, je dépose une série de factures de Fiori Canada démontrant clairement que la Demanderesse a fait l’achat de montres portant la Marque pour la période pertinente. Les factures déposées à titre d’échantillons sont datés d’août 2005, novembre 2005, octobre 2006, septembre 2008 et octobre 2008, tel qu’en fait foi la copie desdits factures déposées sous la côte P-3;

 

d)   L’achat des montres par la Demanderesse a fait l’objet d’une revente au détail durant la période pertinente, tel qu’en fait foi une série d’états de comptes datées en 2005 et 2006, déposées sous la côte P-4. Ces états portent les initiales « MYD ». Je confirme que cette appellation représente les mots « Montres Yves Delorme »;

e)   La Marque a été exploitée, commercialisé, et utilisé au Canada durant la période pertinente et cette démonstration est aussi étayée par des montres elle-même, et leurs boitiers respectives lesquelles, comprennent clairement la Marque « Yves Delorme ».

 

(Déclaration Solennelle de Joseph Sebag à la p. 2).

 

La pièce sous la cote P-1 : la publicité

[46]           La jurisprudence a établi que la publicité en soi est un élément de preuve insuffisant pour établir l’emploi de la marque de commerce. Dans la décision BMW Canada Inc. v. Nissan Canada Inc., 2007 CAF 255, 60 C.P.R. (4th) 181 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale précise:

[25]      Selon la preuve, l’emploi de la marque M par BMW se limitait à des annonces publicitaires et à des documents de promotion. Un tel emploi d’une marque n’est pas en soi suffisant pour constituer un « emploi » suivant le paragraphe 4(1) de la Loi. Il faut, pour que l’emploi d’une marque dans des annonces publicitaires et dans des documents de promotion soit suffisamment lié à une marchandise pour constituer un emploi, que les annonces publicitaires et les documents de promotion aient été donnés lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises : voir Clairol International Corp. et al. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 176, à la page 190 (Cour de l’Échiquier du Canada), et General Mills Canada Ltd. c. Procter & Gamble Inc. (1985), 6 C.P.R. (3d) 551 (C.O.M.C.).

 

[…]

 

[28]      De façon assez simple, en l’absence de preuve indiquant si les annonces publicitaires ou le matériel de promotion ont été donnés aux acheteurs lors du transfert des marchandises de BMW, il n’y a pas de preuve appuyant une conclusion de l’emploi des marques M et M6 selon la définition de ce terme dans la Loi.

 

[47]           La Cour fédérale a appliqué cette exigence de la décision BMW, notamment dans le cadre d’un appel d’une décision du registraire relative à la procédure de l’article 45, où la preuve ne démontrait pas que les brochures en question avaient été remises au moment du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises (Grapha-Holding, ci-dessus).

 

[48]           Or, rien n’indique ici dans la preuve déposée par la demanderesse que la publicité aurait été utilisée au moment du transfert de bien. Cette pièce sous la cote P-1 n’aurait pas pu avoir pour effet de changer la décision du registraire.

 

La pièce sous la cote P-2 : les cartes de garantie

[49]           Une carte de garantie avait été fournie par la demanderesse en pièce jointe à son affidavit du 27 septembre 2007. Une carte représentant la marque Yves Delorme accompagnée d’un logo de panthère au-dessus des mots avait été déposée, ainsi qu’un autre document séparé qui indiquait que la montre est garantie contre tout défaut de fabrication.

 

[50]           Les différences entre cette preuve déposée en pièce jointe de l’affidavit du 27 septembre 2007 et les cartes de garantie déposées en pièces jointes de l’affidavit du 24 juillet 2009 sont minimes. Entre autres, les cartes de garantie sont accompagnées de l’adresse des points de vente de Diamant Élinor inc. De plus, la même page relative à la garantie a été fournie, comprenant des détails sur les types de montres, mais sans afficher ni date ni marque de commerce. L’élément apporté ne consiste essentiellement qu’en une répétition des éléments déjà mis en preuve, sans en accroître la force probante. La Cour ne peut pas conclure qu’il s’agisse d’une preuve nouvelle au dossier. Il s’agit donc de déterminer si la décision du registraire était raisonnable quant au traitement de cette preuve.

 

[51]           Comme dans le cadre de la publicité, une marque de commerce apparaissant sur un document inséré dans l’emballage contenant les marchandises peut équivaloir à une preuve d’emploi.

[52]           Dans le cas en l’espèce, le registraire a évalué la carte de garantie de la façon suivante :

[...] M. Sebag soutient qu’à chaque vente, le consommateur est informé du fait que la marque de commerce concernée est une marque maison puisque chaque consommateur reçoit un bon de garantie de 5 ans. Un échantillon de bon est joint sur lequel on peut lire les mots YVES DELORME en caractère type avec un dessin de panthère situé au-dessus des mots. Aucune indication n’est donnée quant aux marchandises avec lesquelles le bon est associé et rien n’indique si le bon a été distribué au cours de la période pertinente. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si le fait que la marque figure sur le bon d’information du produit équivaut à emploi de la marque de commerce telle qu’enregistrée. (La Cour souligne).

 

(Décision du registraire à la p. 3).

 

[53]           Dans son affidavit du 24 juillet 2009, monsieur Sebag décrit les pièces déposées sous la cote P-2 comme « trois cartes des garanties des montres, portant la Marque, et […] lesdites cartes existaient durant la période pertinente et elles existent toujours » (Affidavit, 24 juillet 2009 à la p. 2). Comme pour la preuve déposée devant le registraire, elle ne permet pas de savoir de quelle manière les cartes de garantie ont été utilisées ni si les cartes arboraient la marque. La décision du registraire quant à cette preuve était raisonnable.

 

La pièce sous la cote P-3 : la série de factures de Fiori Canada

[54]           En pièces sous la cote P-3, la demanderesse a joint à son affidavit une série de cinq factures provenant de la compagnie Fiori Canada et destinées à la compagnie demanderesse, Diamant Élinor inc. :

1.                  Facture 25602 datée du 19 août 2005

2.                  Facture 26226 datée du 23 novembre 2005

3.                  Facture 26522 datée du 10 janvier 2006

4.                  Facture 33976 datée du 18 septembre 2008

5.                  Facture 34342 datée du 24 octobre 2008

[55]           La Cour souligne d’abord que les deux dernières factures ont été émises après la période pertinente.

 

[56]           Pour ce qui est des trois autres factures, celles-ci sont similaires à la facture de Fiori Canada (no 28017) qui avait été déposée devant le registraire au soutien de l’affidavit de monsieur Sebag daté du 29 janvier 2007, ainsi qu’au soutien de l’affidavit de monsieur Elbaz, du 27 septembre 2007. En ce sens, les trois factures ne pourraient pas avoir eu d’effet sur la décision du registraire.

 

[57]           Le registraire avait évalué la facture qui avait été déposée devant lui:

[…] même s’il avait été clair que la facture avait été émise pour des montres, aucun renseignement n’est donné qui permettrait de déterminer si la facture a été émise pour les montres au moment de la vente. En d’autres mots, aucune preuve n’est fournie quant au type de relation entre les factures et les marchandises au sens du paragraphe 4 (1) de la Loi. 

 

De plus, sans renseignements supplémentaires sur la pratique normale du commerce quant aux produits YVES DELORME, une certaine ambigüité demeure quant au fait que la facture représente des ventes effectuées à l’inscrivante. Aucune preuve de ventes effectuées par l’inscrivante au sens de l’article 45 de la Loi n’a été présentée.

 

(Décision du registraire à la p. 3).

 

[58]           Il était raisonnable pour le registraire de conclure que l’achat de montres par la demanderesse ne démontre pas un emploi de la marque par le titulaire. L’achat d’une marchandise ne peut pas être un élément déterminant dans la preuve de l’emploi d’une marque; autrement, chaque consommateur pourrait ultimement se réclamer de l’emploi des marques de chaque marchandise qu’il ait jamais achetée.

 

 

La pièce sous la cote P-4 : les états de compte

[59]           Les pièces déposées sous la cote P-4 constituent une preuve qui n’avait pas été déposée devant le registraire.

 

[60]           Les documents que le procureur de la demanderesse intitule « Invoices for the retail sale of watches bearing the mark Yves Delorme for the period 2005 - 2006 » (Dépôt de l’affidavit du 24 juillet 2009 par le procureur de la demanderesse) sont en fait mieux définis par la version française de l’affidavit du 24 juillet 2009 de monsieur Sebag qui désigne ces documents comme “une série d’états de comptes datés en 2005 et 2006 ».

 

[61]           La liasse de documents déposés sous la cote P-4 a pour titre « Diamant Élinor – Rapport détaillé des ventes ». Les séries de comptes représentent les ventes respectives pour les mois de mai 2005, juillet 2005, août 2005, septembre 2005, octobre 2005, mai 2006, août 2006, septembre 2006, octobre 2006, novembre 2006 et décembre 2006.

 

[62]           Ces états fournissent les chiffres de vente de la compagnie Diamant Élinor inc., notamment pour des marchandises portant les initiales « MYD ». La marque « Yves Delorme » n’y est nulle part mentionnée. La demanderesse confirme dans son affidavit « que l’appellation ‘MYD’ représente les mots ‘Montres Yves Delorme’ » (Affidavit du 24 juillet 29 à la p. 2). Autrement, les états de compte n’indiquent pas qu’il soit question de vente de montres. Les noms des clients n’apparaissent pas non plus sur ces états de compte. La demanderesse ne remplit pas son fardeau de démontrer que la marque a été employée en rapport avec les marchandises.

 

[63]           Dans la décision Footlocker (C.A.F.), ci-dessus, le propriétaire de la marque avait soumis les chiffres de vente en preuve. Il était également question d’une enseigne qui arborait la marque en jeu. La décision du registraire et de la Cour fédérale de première instance a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, sur la base qu’aucune preuve nouvelle n’avait été déposée devant la Cour fédérale, et que celle-ci aurait dû examiner la décision du registraire selon la norme de la décision raisonnable. Or, dans le cas en l’espèce, les états de compte constituent de la nouvelle preuve, et la Cour peut utiliser son pouvoir discrétionnaire pour trancher de sa valeur probante.

 

La pièce sous la cote P-5 : les montres elles-mêmes et leurs boîtiers

[64]           L’article 4 de la LMC stipule qu’une marque de commerce est réputée employée si « […] elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées […] ». Ainsi, la manière la plus directe de faire la preuve de l’emploi d’une marque dans le cadre de marchandises est de prouver que ladite marque était apposée sur les produits eux-mêmes.

 

[65]           La demanderesse soumet dans son affidavit du 24 juillet 2009 que : « La marque a été exploitée, commercialisé, et utilisé au Canada durant la période pertinente et cette démonstration est aussi étayée par des montres elle-même, et leurs boitiers respectives lesquelles, comprennent clairement la Marque « Yves Delorme » (Affidavit du 24 juillet 2009 à la p. 2).

 

[66]           Le procureur de la demanderesse, sur la première page de l’affidavit déposé, daté du 24 juillet 2009, affirmait pouvoir fournir des montres elles-mêmes et leurs boîtiers respectifs arborant la marque Yves Delorme et ce, « sur demande » (« if required » dans la version originale de l’affidavit du 24 juillet 2009).

 

[67]           Afin de s’assurer que toute la preuve était disponible pour les fins d’équité et de justice, la Cour a elle-même, de son propre gré, donné l’occasion à la partie demanderesse de soumettre toute preuve additionnelle (en vertu du par. 56(5) de la LMC) qu’elle aurait aimé soumettre à la Cour suite à sa remarque tel qu’apparaissant sur la première page de l’affidavit daté du 24 juillet 2009 de l’existence d’une preuve additionnelle considérée comme « if required ». (Tint King of California Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1440, 304 F.T.R. 174 au par. 23, dans laquelle la Cour traite de cas où un affidavit supplémentaire a été accepté tardivement « pour que justice soit rendue » : « Bien que la décision Larson-Radok soit axée sur le fait que l'avocat des demandeurs n'avait pas suivi les instructions de ces derniers, la situation de la demanderesse dans le cas qui nous occupe permet également de penser qu'en l'espèce, un affidavit complémentaire s'impose ׳pour que justice soit rendue׳. Comme les intérêts de la justice ne seront aucunement compromis si l'on autorise le dépôt d'un affidavit complémentaire, il semblerait qu'il y ait lieu pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse et d'admettre l'affidavit complémentaire de Mme Starkman. »).

 

[68]           Suite à l’invitation par directive de la Cour à l’occasion d’une conférence téléphonique, la demanderesse a soumis sa preuve deux jours plus tard, preuve que la Cour était prête à accepter en mettant de côté la nécessité d’une requête selon les articles 55-60-312 et 313 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles).

 

[69]           L’esprit de la loi est tel que la Cour doit s’assurer que la procédure n’empiète pas sur la substance pour faire valoir toute preuve que la Cour pourrait considérer selon le paragraphe 56(5) de la LMC (semblable à l’article 2 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., chapitre C-25), même suite aux objections de la partie défenderesse à l’effet que la partie demanderesse ne devrait pas produire cette preuve sans requête; néanmoins, en discutant de cette nouvelle preuve, la demanderesse a elle-même admis, au courant de la conférence téléphonique, et spécifiée en ses propres paroles, qu’elle réalise que cette preuve n’ajoute rien à ce qu’elle a déjà soumis initialement. Cette preuve a donc été mise de côté sans être acceptée en preuve devant la Cour, compte tenu de la tournure de la discussion entre les deux parties. En fin de compte, dans le cas actuel, cela n’a rien changé.

 

[70]           Il n’y a donc pas de preuve à l’appui de cette allégation de la demanderesse. Or, il est établi depuis la décision Aerosol, que l’affidavit doit démontrer et non simplement affirmer l’emploi de la marque.

 

(2) La demanderesse a-t-elle présenté une preuve acceptable d’emploi qui satisfait aux exigences de l’article 45 de la LMC?

 

[71]           La Cour ne peut pas inférer l’emploi de la marque de la preuve prise dans son ensemble. Comme dans la décision du registraire, les affidavits et les pièces déposées à leur soutien sont ambigües et insuffisantes. Les dates sont manquantes, ainsi que la relation avec les marchandises, en l’occurrence des montres. De plus, la demanderesse n’a soumis en preuve aucun exemple de son utilisation alléguée de la marque sous la forme enregistrée.

 

[72]           C’est la décision Registraire des marques de commerce c. CII Honeywell Bull, [1985] 1 C.F. 406, 61 N.R. 286, qui a établi le principe de base en la matière :

[4]        […] La seule et véritable question qui se pose consiste à se demander si, en identifiant ses marchandises comme elle l'a fait, CII a employé sa marque de commerce "Bull". Il faut répondre non à cette question sauf si la marque a été employée d'une façon telle qu'elle n'a pas perdu son identité et qu'elle est demeurée reconnaissable malgré les distinctions existant entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et celle sous laquelle elle a été employée. Le critère pratique qu'il faut appliquer pour résoudre un cas de cette nature consiste à comparer la marque de commerce enregistrée et la marque de commerce employée et à déterminer si les distinctions existant entre ces deux marques sont à ce point minimes qu'un acheteur non averti concluerait, selon toute probabilité, qu'elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine.

 

[73]           La demanderesse a enregistrée la marque « Yves Delorme » sous la forme d’une signature fictive :

[74]           Or, les affidavits démontreraient plutôt l’utilisation de la marque Yves Delorme, en caractères type avec un dessin de panthère situé au-dessus des mots :

[75]           Considérant que la marque telle que déposée en preuve n’arbore pas l’aspect graphique de la signature et comporte un élément figuratif supplémentaire, la Cour ne peut que conclure que la demanderesse n’a pas employé la marque telle que déposée. « Les mêmes traits dominants n’ont pas été préservés » et les différences peuvent difficilement être qualifiées « d’insignifiantes » (selon les mots utilisés dans Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc. (1992), 142 N.R. 230, 44 C.P.R. (3d) 59 au par. 35).

 

[76]           L’emploi de la marque telle qu’enregistrée est ambigu dans la preuve déposée. Certes, la preuve par affidavit n’a pas à être parfaite. Elle doit toutefois soumettre à la Cour un commencement de preuve qui permette à la Cour de se fonder sur une inférence tirée de faits établis plutôt que sur de la spéculation (Curb, ci-dessus, au par. 20). De plus, les ambigüités dans la preuve doivent être interprétées à l’encontre du propriétaire inscrit.

 

[77]           Par exemple, dans la décision Eclipse (C.A.F.), ci-dessus, la Cour d’appel fédérale avait inféré un emploi de la marque de l’ensemble de la preuve, qui incluait des factures, des étiquettes, des dessins et des photos de la marque. Dans le cas en l’espèce, la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour inférer que la demanderesse a employé la marque. La Cour pourrait difficilement inférer que des ventes ont été effectuées durant la période pertinente; elle ne peut pas inférer que la marque en elle-même, ou une version s’y rapprochant suffisamment, a été utilisée par la demanderesse. Une telle conclusion de la part de la Cour serait pure spéculation, considérant qu’aucune pièce n’a été déposée arborant la marque de commerce telle qu’enregistrée. Même les états de compte ne démontrent que l’utilisation des lettres « MYD ». En ce sens, la demanderesse ne remplit pas son fardeau de preuve.

 

 

 

X.  Conclusion

[78]           Pour ces motifs, la Cour rejette l’appel et confirme la décision du registraire qui radie la marque Yves Delorme Dessin.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  L’appel de la demanderesse soit rejeté ;

2.                  La décision rendue par le registraire des marques de commerce le 26 mai 2009 soit confirmée;

3.                  Comme la défenderesse a préparé les documents, mais n’a pas participé à l’appel en salle de Cour, les frais et dépens seront limités à tout travail préparatif fait par la défenderesse avant et pour l’audition, sauf sa présence physique devant la Cour à l’audition elle-même, laquelle elle n’a pas participé.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1209-09

 

INTITULÉ :                                       DIAMANT ELINOR INC.

                                                            c. 88766 CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Benabou

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Laurent Carrière

Me Catherine Daigle

POUR LA DÉFENDERESSE

(pas présente à l’audition)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MADAR BENABOU

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

(pas présente à l’audition)

 

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