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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20101124

Dossier : IMM-1393-10

Référence : 2010 CF 1180

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

Entre :

 

ANDREA ESTEFANIA POVEDA MAYORGA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Madame Andrea Estefania Poveda Mayorga est une citoyenne de l'Équateur. Elle a présenté une demande de permis de travail temporaire en qualité d’aide familiale conformément à l'article 111 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), après avoir reçu une offre d'emploi au Canada à titre d’aide familiale pour son grand‑oncle.

 

[2]               En mars 2010, une agente des visas à l’emploi de Citoyenneté et Immigration Canada (l'agente) a rejeté la demande de permis de travail temporaire de la demanderesse au motif qu'elle n'avait pas l'expérience de travail rémunéré requise ni la formation à temps plein de six mois en salle de classe requise dans un domaine ou une catégorie d'emploi lié au travail pour lequel le permis de travail était demandé.

 

[3]               La demanderesse sollicite l'annulation de la décision au motif que l’agente a commis les erreurs suivantes :

 

                                                               i.      elle a conclu que la demanderesse ne répondait pas aux exigences de l'article 112 du Règlement;

 

                                                             ii.      elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents pour prendre sa décision;

 

                                                            iii.      elle a mal interprété les éléments de preuve dont elle était saisie pour prendre sa décision.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[5]               En octobre 2009, Blanca Eleana Escobar, la fille de Carlos Enrique Escobar Cevallos ‑ grand-oncle de la demanderesse ‑, lui a demandé d'agir à titre d'aide familiale auprès de son grand‑oncle. Madame Escobar et M. Escobar Cevallos sont tous deux des citoyens canadiens. Monsieur Escobar Cevallos est actuellement atteint de plusieurs maladies, dont la leucémie, et a en permanence besoin de soins prodigués par un compagnon qui demeure sur les lieux.

 

[6]               Au moment où la demanderesse a reçu l'offre d'emploi, Mme Escobar lui a indiqué ce qui suit : (i) son grand‑oncle avait besoin d'une personne qui pouvait parler sa langue, partager sa culture et l'accompagner de façon quotidienne; (ii) le médecin de son grand‑oncle avait déclaré que ce dernier ne pouvait demeurer seul et qu'il bénéficierait de soins à domicile prodigués par un proche parent.

 

[7]               Après avoir accepté l'offre d'emploi, la demanderesse a reçu un avis relatif au marché du travail favorable le 21 janvier 2010. Elle a ensuite eu une entrevue téléphonique le 1er mars 2010 avec un commis au programme à l'ambassade du Canada à Bogotá. Elle allègue notamment qu'à la fin de l'entrevue, on lui a dit qu'elle recevrait des documents et des renseignements concernant les examens médicaux qu'elle serait tenue de subir parce qu'elle resterait au Canada pendant six mois. Cependant, elle a finalement reçu une lettre de décision de l’agente, datée du 4 mars 2010, déclarant que sa demande de permis de travail avait été refusée.

 

 

II.        La décision faisant l'objet du contrôle

 

[8]               Dans sa brève lettre d'une page, l’agente a déclaré que la demanderesse ne remplissait pas les exigences de l'article 112 du Règlement : [traduction] « Parce que vous n'avez pas prouvé que vous possédiez l'expérience professionnelle rémunérée requise, ni la formation de six mois en salle de classe requise, dans un domaine ou une catégorie d'emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé, c’est-à-dire prodiguer des soins à une personne âgée malade. » 

 

[9]               Dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI), qui sont considérées comme faisant partie de la décision de l’agente, cette dernière a notamment indiqué que la demanderesse avait une expérience professionnelle rémunérée comme enseignante d’anglais auprès de jeunes élèves, mais qu'elle n'avait pas présenté de preuve d'emploi rémunéré pour avoir pris soin de personnes âgées. L’agente a ajouté qu'elle n'était pas convaincue que la demanderesse répondait à l’exigence relative à l'expérience professionnelle ou à la formation pour le programme des aides familiaux résidants. Elle a également indiqué qu'elle n'était pas convaincue que la demanderesse possédait les connaissances nécessaires acquises dans le cadre de son travail bénévole pour prendre adéquatement soin d'une personne ayant l'état de santé de son grand-oncle. 

 

III.       La norme de contrôle

 

[10]           Les questions soulevées par la demanderesse sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 56; Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, au paragraphe 15). En bref, la décision de l’agente sera maintenue à moins qu'elle n'appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » ou n'est pas suffisamment justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

IV.       La question préliminaire

 

[11]           Au paragraphe 16 de l'affidavit déposé à l'appui de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a déclaré qu'elle avait présenté des éléments de preuve établissant qu’[traduction] « elle avait eu un emploi pour prendre soin d’enfants handicapés et leur enseigner l'anglais et ce, à la fois aux niveaux primaire et secondaire ». Elle s'est ensuite reportée à la pièce B de son affidavit, à laquelle elle a joint [traduction] « une copie de la lettre de l'école » où elle était employée. Au paragraphe 24 du même affidavit, elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Lors de l'entrevue, lorsqu'on m'a posé la question, j'ai réitéré que j'avais eu un travail rémunéré auprès d'enfants atteints de trisomie et de déficience mentale à titre d'enseignante spéciale aux niveaux primaire et secondaire. »

 

[12]           En réponse à cette affirmation, le défendeur a déposé les affidavits de l’agente, du commis au programme qui a interviewé la demanderesse au téléphone et d'une adjointe au programme dont les fonctions sont d’aider les agents des visas relativement au traitement des demandes de résidence temporaire dans le cadre d'un séjour temporaire au Canada, aux entrevues, à la vérification des documents et à l'examen préliminaire des pièces qui s’y rapportent.

 

[13]           Dans son affidavit, l'adjointe au programme a déclaré que lorsqu'elle a constaté que la lettre d'emploi fournie par la demanderesse – laquelle constitue la page 16 du dossier certifié du tribunal (le DCT) ‑ ne correspondait pas à la copie de la lettre jointe à son affidavit, l'agente lui a demandé de téléphoner à l'employeur de la demanderesse. Elle a de plus indiqué que lors de sa conversation téléphonique avec le directeur de l'école où travaille la demanderesse, elle a été informée qu'il n'y avait pas à l'école d'élèves avec des besoins spéciaux comme des troubles mentaux ou la trisomie. Elle a ajouté que dans une deuxième conversation téléphonique avec l'ancienne directrice de l'école, qui a signé la lettre versée au DCT, elle a été informée de ce qui suit : (i) l'ancienne directrice n'a pas rédigé la version non signée qui était jointe à l'affidavit de la demanderesse; (ii) aucun élève de l'école n'avait de besoins spéciaux comme la trisomie ou des troubles mentaux; (iii) lorsqu'elle a mis dans sa lettre les mots « entre ellos niño@s [sic] con capacidades especiales », elle l’a fait [traduction] « à la demande de la demanderesse et ces mots désignaient des élèves réguliers ayant une difficulté d'apprentissage dans un sujet ou un autre comme il y en a toujours dans toutes les écoles parce que tous les élèves ne possèdent pas la même capacité pour commencer à lire ou à écrire ou la même capacité pour comprendre les mathématiques ».

 

[14]           L'affidavit présenté par l'adjointe au programme indiquait notamment que le commis au programme n'aurait pas dit à la demanderesse qu'elle recevrait les formulaires médicaux nécessaires ni que sa demande avait été approuvée. Elle a ajouté que, si la demanderesse avait déclaré, comme elle l’alléguait au paragraphe 24 de son affidavit, qu'elle avait de l'expérience comme enseignante [traduction] « auprès d'enfants atteints de trisomie et de déficience mentale à titre d'enseignante spéciale », elle aurait noté ce fait dans les notes du STIDI.

 

[15]           L'affidavit présenté par l’agente indiquait notamment que la preuve dont elle était saisie ne la convainquait pas que l'expérience professionnelle de la demanderesse comme enseignante d'anglais auprès d’élèves de la première à la septième année pouvait être utilisée pour prendre soin d'une personne âgée qui souffre et qui est atteinte de cancer.

 

[16]           Dans ses observations écrites, la demanderesse était d’avis que l'affidavit de l'adjointe au programme n'était pas admissible en l'espèce parce qu'il s'agissait d'un élément de preuve ex post facto. Toutefois, lors de l'audience tenue devant moi, son avocat a reconnu que l'affidavit de l'adjointe au programme était admissible pour réfuter la preuve présentée dans l'affidavit de la demanderesse. Il a également reconnu que la demanderesse avait eu l'occasion de contre‑interroger l'adjointe au programme, mais qu’elle ne l’avait pas fait. Il n'a pas prétendu que les déclarations dans cet affidavit étaient fausses. Par conséquent, ces déclarations seront présumées véridiques. Il en va de même à l'égard des déclarations dans les autres affidavits mentionnés ci‑dessus, puisque la demanderesse ne s'est pas opposée à ces autres affidavits.

 

[17]           Le défendeur prétend que parce que la demanderesse a présenté de faux éléments de preuve devant la Cour pour tenter de paraître avoir l'expérience de travail pertinente, elle ne s'est pas présentée devant la Cour sans reproche. Il soutient que la présente demande devrait donc être rejetée sans l’examiner au fond.

 

[18]           Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2006 CAF 14, la Cour d'appel fédérale a dit au paragraphe 9 que si la cour « est d'avis qu'un demandeur a menti, ou qu'il est d'une autre manière coupable d'inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l'existence d'une erreur sujette à révision, elle peut refuser d'accorder la réparation sollicitée ». La Cour a ajouté, au paragraphe 10, que les facteurs à prendre en compte pour se prononcer sur le rejet d'une demande de cette façon sont les suivants :

 

[…] la gravité de l'inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d'une dissuasion à l'égard d'une conduite semblable, la nature de l'acte prétendument illégal de l'administration et la solidité apparente du dossier […].

 

[19]           À l'audience tenue devant moi, l'avocat de la demanderesse a soutenu que les faux éléments de preuve déposés par celle-ci étaient relativement mineurs et non importants dans le contexte de l'ensemble de sa demande. Il a ajouté qu'il était purement conjectural de laisser entendre, comme l'a fait le défendeur, que les faux éléments de preuve aient eu quelque incidence que ce soit sur la décision de la Cour d'accorder l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en l'espèce. 

 

[20]           Je ne suis pas d'accord. Les faux éléments de preuve étaient au cœur de l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait la formation ou l'expérience professionnelle dans un domaine ou une catégorie d'emploi lié à l'emploi pour lequel elle sollicitait un permis de travail temporaire, tel que le prévoit l'alinéa 112c) du Règlement. L'exposé des faits et du droit déposé par la demanderesse en l'espèce insiste à plusieurs reprises sur ces éléments de preuve, par exemple, aux paragraphes 15, 16, 17, 19, 21, 22, 24 et 25. Dans ces paragraphes, la mention répétée de l'expérience professionnelle rémunérée de la demanderesse commet enseignante auprès d'enfants normaux et d’enfants qui ont des besoins spéciaux, y compris ceux atteints de trisomie et de troubles mentaux, était l'élément principal de l'argument de la demanderesse faisant valoir que l’agente avait commis une erreur en concluant qu'elle ne répondait pas aux exigences de l'alinéa 112c) du Règlement. L'affidavit déposé par la demanderesse à l'appui de la présente demande mentionne à de nombreuses reprises ces mêmes faux éléments de preuve, par exemple, aux paragraphes 16, 17, 18, 19 et 24.

 

[21]           À mon avis, la nature de l'inconduite de la demanderesse relativement au dépôt de faux éléments de preuve était très grave. Elle a miné la présente instance de façon importante. En déposant de faux éléments de preuve dans son affidavit, la demanderesse a jeté un doute sérieux sur l’ensemble de son affidavit et les autres documents déposés dans la présente instance. Elle a également miné l'intégrité de notre système judiciaire. Pour maintenir l'intégrité de notre système judiciaire et promouvoir le respect de l'administration de la justice, ce type d'inconduite devrait être fortement dissuadé. Lorsqu'une demanderesse se présente devant la Cour pour solliciter une ordonnance discrétionnaire, comme c'est le cas en l'espèce, elle doit le faire avec les mains propres (Kouchek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 323, au paragraphe 6 (1re inst.); Mutanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1101, au paragraphe 16).

 

[22]           Toutefois, compte tenu des faits de l'espèce, bien que je sois porté à être d'accord avec le défendeur que la présente demande devrait être rejetée sans l’examiner au fond, je préfère rejeter la demande au fond et accueillir la demande du défendeur quant à l’adjudication des dépens en sa faveur.

 

V.        Les dispositions législatives pertinentes

 

[23]           En vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), l'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d'un contrôle, que l'étranger n'est pas interdit de territoire et se conforme à la LIPR.

 

[24]           En vertu de l'article 111 du Règlement, l'étranger qui cherche à entrer au Canada à titre d'aide familial fait une demande de permis de travail conformément à la partie 11 du Règlement, ainsi qu'une demande de visa de résident temporaire si ce visa est requis par la partie 9 du Règlement.

 

[25]           L'article 112 du Règlement énonce les conditions qui doivent être remplies avant qu’un permis de travail puisse être délivré à l'étranger. Cet article dispose :

 

Permis de travail : exigences

 

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

 

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

 

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

 

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

 

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

 

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

 

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

 

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

 

Work permits - requirements

 

112. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

 

 

 

(a) applied for a work permit as a live-in caregiver before entering Canada;

 

 

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

 

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

 

 

(i) successful completion of six months of full-time training in a classroom setting, or

 

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

 

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

 

(e) have an employment contract with their future employer.

 

[26]           Selon l'article 2 du Règlement, l'expression « aide familial » désigne une « [p]ersonne qui fournit sans supervision des soins à domicile à un enfant, à une personne âgée ou à une personne handicapée, dans une résidence privée située au Canada où résident à la fois la personne bénéficiant des soins et celle qui les prodigue ».

 

VI.       L’analyse

 

A. L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne répondait pas aux exigences prévues à l'alinéa 112c) du Règlement?

 

[27]           La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas l'expérience professionnelle rémunérée suffisante pour répondre aux exigences énoncées à l’alinéa 112c) du Règlement. La demanderesse soutient qu'elle a fourni la preuve d’une expérience professionnelle rémunérée en qualité d'enseignante aux niveaux primaire et secondaire auprès d'enfants ayant des besoins spéciaux et des enfants n’ayant pas de tels besoins pendant six ans. Elle affirme également que ce fait a été confirmé par une lettre de son employeur. Elle prétend que l’agente a commis une erreur parce qu’elle n’a pas bien évalué la question de savoir si les compétences qu'elle a acquises alors qu'elle travaillait auprès d'enfants atteints de trisomie et de déficience intellectuelle sont transférables à l'emploi d’aide familial pour lequel elle demandait un permis de travail temporaire.

 

[28]           Une fois les faux éléments de preuve de la demanderesse exclus de l'examen, celle-ci s’est limitée à dire que l’agente avait commis une erreur parce qu’elle n’avait pas vérifié si son expérience professionnelle rémunérée à titre d'enseignante auprès d’élèves du primaire et du secondaire n’ayant pas de besoins spéciaux pouvait être utilisée comme expérience de soins à une personne âgée en phase terminale.

 

[29]           Selon la demanderesse, si l'expérience de soins prodigués à des patients gériatriques à titre d'infirmier peut être transférable aux soins à des enfants, comme l'a conclu la Cour dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 684, alors l’inverse devrait aussi être vrai. Elle déclare que la décision Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459, vient aussi appuyer sa prétention. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’une demanderesse possédant sept ans d’expérience à titre d'institutrice avec des enfants de l'école primaire avait probablement les aptitudes requises pour surveiller et prendre soin des enfants. 

 

[30]           À mon avis, il faut distinguer ces deux affaires de l’espèce parce que la possibilité de transférer les compétences acquises en qualité d'infirmier auprès de patients gériatriques à des soins à des enfants ainsi que la possibilité de transférer les compétences acquises comme institutrice auprès d’enfants de l'école primaire à la surveillance et aux soins des enfants, est beaucoup plus évidente que la possibilité de transférer les compétences acquises comme enseignante auprès d'élèves du primaire et du secondaire à des soins à prodiguer à une personne âgée en phase terminale.

 

[31]           Je suis convaincu que l'expérience de l'enseignement à des élèves de l'école primaire et secondaire n’ayant pas de besoins spéciaux se différencie suffisamment des soins à prodiguer à une personne âgée en phase terminale pour conclure que l’agente n'a pas commis d’erreur en n’appréciant pas expressément dans sa lettre de décision ou dans ses notes du STIDI la possibilité de transférer l'expérience professionnelle de la demanderesse à l'emploi d'aide familial pour lequel elle demandait un permis de travail. La demanderesse n'a pas établi la manière dont son expérience professionnelle rémunérée était ou pouvait être transférée à des soins à prodiguer à une personne âgée en phase terminale. Compte tenu du fait que l'agente n'était pas saisie de la fausse version de la lettre de son employeur, qui mentionnait son expérience avec des enfants atteints de trisomie et de déficience mentale, il n’était pas du tout clair selon le dossier de preuve que l'expérience professionnelle de la demanderesse pouvait être transféré à l'emploi d’aide familial pour lequel elle demandait un permis de travail temporaire.

 

[32]           À mon avis, il était raisonnablement loisible à l'agente de conclure, compte tenu des éléments de preuve dont elle était saisie, que la demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle possédait soit l'expérience professionnelle soit la formation en salle de classe qu’exige l'alinéa 112c) du Règlement. En bref, sa conclusion appartenait tout à fait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et était suffisamment justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[33]           La demanderesse fait valoir en outre que l’agente a mal interprété l'alinéa 112c) en exigeant qu'elle ait à la fois une expérience professionnelle rémunérée et une formation en salle de classe. Au soutien de cette prétention, elle s'appuie sur l'emploi du mot [traduction] « ni » dans sa lettre de décision. Dans cette lettre, l'agente a déclaré ce qui suit : [traduction] « J'ai conclu que vous ne remplissiez pas ces exigences parce que vous n'avez pas prouvé que vous possédiez l'expérience professionnelle rémunérée requise, ni la formation de six mois en salle de classe requise, dans un domaine ou une catégorie d'emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé, c’est-à-dire prodiguer des soins à une personne âgée malade. »

 

[34]           Je ne suis pas d'accord. Selon mon interprétation, rien dans ce passage ou dans les notes du STIDI de l’agente n'indique que cette dernière croyait que la demanderesse était tenue de posséder à la fois l'expérience professionnelle rémunérée et la formation à temps plein pertinente.

 

B.  L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents pour prendre sa décision?

 

[35]           La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve relatifs à son expérience professionnelle rémunérée antérieure à titre d'enseignante auprès d'enfants normaux et d'enfants ayant des besoins spéciaux.

 

[36]           La lettre en question est la lettre de son employeur qui est mentionnée à la partie IV des présents motifs. Comme je l’ai indiqué, la version de la lettre dont l'agente était saisie n'était pas la version modifiée frauduleusement qui était jointe à l'affidavit déposé par la demanderesse au soutien de la présente demande. La lettre qu’a donc examinée l'agente ne comportait pas la mention frauduleuse d’enfants atteints de trisomie et de déficience mentale. 

 

[37]           Conformément aux explications contenues dans l'affidavit de l'adjointe au programme, examiné au paragraphe 13 ci-dessus, l'ancienne directrice de l'école où travaillait la demanderesse a confirmé que les enfants ayant des besoins spéciaux qu'elle mentionnait dans sa lettre étaient [traduction] « des élèves réguliers ayant une difficulté d'apprentissage dans une matière ou une autre ».

 

[38]           En ce qui a trait plus particulièrement à cet élément de preuve, je suis convaincu que l’agente n'a pas commis d'erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents pour prendre cette décision.

  

C. L’agente a-t-elle commis une erreur en interprétant mal les éléments de preuve pour prendre sa décision?

 

[39]           La demanderesse prétend que l’agente a mal interprété les éléments de preuve (i) en ne tenant pas compte du fait qu'elle était engagée pour prodiguer des soins à titre de compagnon et (ii) en évaluant la question de savoir si elle possédait une expérience professionnelle rémunérée s’apparentant à des soins infirmiers en gériatrie.

 

[40]           Je ne suis pas d'accord.

 

[41]           Dès le début de sa lettre datée du 21 janvier 2010, qui se trouve à la page 13 du DCT, Mme Blanca Eleana Escobar a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] En raison de l'état avancé de sa maladie, Carlos Escobar a besoin d'aide pour accomplir les tâches de la vie quotidienne, tels que les soins personnels, marcher et se rendre à des rendez-vous médicaux.

 

En janvier 2009, Carlos Escobar a reçu le diagnostic de lymphome de stade IV et en mars de la même année, il a reçu son congé de l'hôpital pour recevoir des soins palliatifs. Je travaille à temps plein et je ne suis pas en mesure d'offrir à mon père les soins personnels nécessaires. Je dois donc engager une préposée au service de soutien à la personne. Toutefois, il s'agit uniquement d'une mesure temporaire et comme l'état de mon père empire, il a besoin des soins d’un aide familial.

 

[42]           En outre, le Dr Vadasz, le médecin de M. Escobar, a déclaré dans une lettre en date du 21 janvier 2010 ‑ laquelle faisait partie des documents présentés par la demanderesse au soutien de sa demande de permis de travail temporaire ‑ que M. Escobar souffrait de plusieurs maladies chroniques très graves, dont le diabète de type 2, la leucémie, l'arthrite et des déficits cognitifs. Il a ajouté ce qui suit : [traduction] « Monsieur Escobar a besoin de soins 24 heures sur 24 et ne voulait pas demeurer seul. Il bénéficierait de soins prodigués par un proche parent. Il a besoin d’aides à la mobilité, notamment une canne, une marchette et un fauteuil roulant s'il doit sortir. Le pronostic d'ensemble est réservé. »

 

[43]           À mon avis, il était tout à fait indiqué que l’agente évalue la question de savoir si Mme Mayorga possédait soit une expérience professionnelle rémunérée soit une formation à temps plein liée à la capacité de fournir des soins à domicile à une personne dans la situation de M. Escobar, plus particulièrement eu égard aux lettres présentées par son médecin et sa fille.

 

[44]           Contrairement à la prétention de la demanderesse, l’agente n'exigeait pas que cette dernière possède une expérience professionnelle rémunérée auprès des personnes âgées. Elle a tout simplement conclu que l'expérience professionnelle rémunérée que la demanderesse possédait n'était pas liée à l'emploi pour lequel elle demandait un permis de travail, comme l'exige l'alinéa 112c) du Règlement. 

 

[45]           Compte tenu de la preuve dont elle était saisie, il était raisonnablement loisible à l’agente de tirer cette conclusion. En bref, cette conclusion appartenait tout à fait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et était suffisamment transparente, intelligible et justifiée dans les deux derniers paragraphes des notes du STIDI de l’agente (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

D. Les dépens

 

[46]           Conformément à l'article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens.

 

[47]           Pour les motifs décrits dans la partie IV ci‑dessus, je suis convaincu qu'il existe des raisons spéciales pour adjuger les dépens en faveur du défendeur.

 

VII.     Conclusion

[48]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

[49]           Il n'y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

                                                                                     « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1393-10

 

INTITULÉ :                                       MAYORGA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 novembre 2010 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 novembre 2010 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Max Chaudhary

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Chaudhary Law Office

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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