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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101125

Dossier : IMM-115-10

Référence : 2010 CF 1164

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

MARIANA SURYANTI

KEVIN KAO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Normand Leduc de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), présentée par Mariana Suryanti (la demanderesse).

 

[2]               La demanderesse a présenté une demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi, alléguant qu’elle avait une crainte bien fondée d’être persécutée dans son pays d’origine, l’Indonésie, et que si elle y retournait, elle serait exposée à une menace à sa vie ou à des peines cruelles et inusitées parce qu’elle est chrétienne d’origine chinoise. La Commission a estimé que la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’un « risque de retour » et qu’elle ne serait pas victime de discrimination équivalant à de la persécution si elle devait retourner dans son pays d’origine. Par conséquent, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Elle a également rejeté la décision concernant le statut de réfugié du fils de la demanderesse, Kevin Kao, qui ne fait pas l’objet du présent contrôle.

 

* * * * * * * *

 

[3]               La demanderesse, une chrétienne de 33 ans d’origine chinoise, est citoyenne de l’Indonésie. Ses expériences liées à son origine ethnique et à ses convictions religieuses l’ont amenée à quitter son pays à l’âge de 18 ans. Elle a affirmé avoir vécu dans un état de tension en Indonésie puisqu’elle a été volée par des individus d’origine indonésienne dans les transports publics et victime d’attouchements dans la rue. Lorsqu’elle a demandé de l’aide à la police, on lui a simplement demandé de l’argent. La demanderesse a également affirmé qu’une personne d’origine indonésienne a une fois lancé une roche dans la fenêtre de l’église qu’elle fréquentait et qu’elle n’osait pas se promener ouvertement avec une Bible par crainte d’attiser la colère de certains musulmans. De plus, elle a fait l’objet de commentaires grossiers et désobligeants dans la rue en raison de son origine chinoise. La demanderesse a fait valoir qu’en raison de la discrimination dont sont victimes les personnes d’origine chinoise et les chrétiens en Indonésie, elle avait constamment peur d’être attaquée à son église ou à sa maison.

 

[4]               En 1998, la demanderesse a quitté l’Indonésie pour les États‑Unis, où elle a vécu sans statut et où elle a accouché de son fils. Le 22 mars 2008, elle a traversé illégalement la frontière vers le Canada et a subséquemment présenté sa demande d’asile le 7 avril 2008. Son fils est arrivé légalement au Canada avec des amis à elle le 17 mars 2008.

 

[5]               Le 26 octobre 2009, la demanderesse et son fils se sont présentés à l’audience relative à leur demande d’asile à Montréal. Le 20 novembre 2009, la Commission a rendu sa décision, concluant que la demanderesse et son fils n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

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[6]               La Commission a estimé que la demanderesse a livré un témoignage « sobre et sans exagération », mais que les événements qu’elle a vécus dans son pays d’origine sont des événements isolés qui n’équivalent pas à de la persécution ou qui ne démontrent pas l’existence d’un « risque de retour ». De plus, la Commission a fait remarquer que la sœur de la demanderesse, également chrétienne d’origine chinoise, vit toujours en Indonésie sans problème.

 

[7]               La Commission a également cité la preuve qui avait été déposée concernant la situation générale des Chinois et des chrétiens en Indonésie. Elle a reconnu que la preuve démontrait que « certaines minorités » étaient attaquées et victimes de discrimination dans le pays, que ce type de comportement envers les personnes d’origine chinoise avait diminué en 2008 et que le gouvernement « respecte généralement » la liberté de religion.

 

[8]               Dans l’ensemble, la Commission n’était pas convaincue que la vie de la demanderesse serait en danger ni qu’il existe un risque qu’elle soit victime de peines ou de tortures cruelles et inusitées si elle devait retourner en Indonésie. De plus, elle n’a pas conclu que la discrimination dont elle pourrait être victime en Indonésie équivaudrait à de la persécution.

 

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[9]               La demanderesse soulève nombre de questions dans ses observations qui peuvent être résumées comme suit :

a.       Le Commission a-t-elle commis une erreur en ne motivant pas convenablement sa décision?

 

b.      La Commission a‑t‑elle tenu compte de la totalité des éléments de preuve lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

c.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en appliquant le critère du « risque de retour » fondé sur l’article 97 lorsqu’elle a évalué le statut de la demanderesse à titre de réfugiée au sens de la Convention suivant l’article 96?

 

 

 

[10]           La prétention voulant qu’un décideur n’ait pas motivé convenablement sa décision est une question d’équité procédurale qui devrait être examinée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 50; Andryanov c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 186, paragraphe 15).

 

[11]           La question de savoir si un décideur a commis une erreur dans sa façon de traiter la preuve devrait être examinée selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, précité, paragraphes 51 et 53; Cabrera c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 709, paragraphe 21).

 

[12]           Enfin, la question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère juridique pour déterminer le statut de la demanderesse à titre de réfugiée au sens de la Convention est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, paragraphes 55 et 60).

 

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A.  Le Commission a-t-elle commis une erreur en ne motivant pas convenablement sa décision?

[13]           La demanderesse prétend que la Commission n’a pas convenablement expliqué comment elle est venue à la conclusion que la discrimination dont elle pourrait être victime si elle retourne en Indonésie n’équivaudrait pas à de la persécution. De plus, la demanderesse prétend que la Commission n’a pas examiné tous les effets des actes discriminatoires et s’ils pouvaient constituer de la persécution fondée sur des motifs cumulés. Plus particulièrement, en concluant que les événements vécus par la demanderesse équivalaient à des « événements isolés », la Commission a démontré un manque de sensibilité à l’égard de l’incidence cumulative de chacun des événements et du sentiment général d’insécurité qu’éprouvent les Indonésiens d’origine chinoise.

 

[14]           Les motifs doivent être suffisants pour que la partie sache pourquoi sa demande est rejetée et doivent refléter l’examen des principaux facteurs pertinents (Townsend c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 371, paragraphe 22; VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.)).

 

[15]           Pour rejeter une demande d’asile fondée sur l’article 96, la Commission est tenue de conclure que la demanderesse ne risque pas sérieusement d’être persécutée ni subjectivement, ni objectivement. La Cour d’appel fédérale a tenté de définir la persécution dans Rajudeen c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] A.C.F. no 601 (QL), 55 N.R. 129 :

     La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le requérant craint d’être persécuté. La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l’immigration ne comprend pas une définition du mot « persécution ». Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le « Living Webster Encyclopedic Dictionary » définit [traduction] « persécuter » ainsi :

 

[traduction] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier. »

 

Le « Shorter Oxford English Dictionary » contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » :

 

[traduction] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine. »

 

 

 

[16]           Le plus troublant, c’est que la Commission n’a pas examiné les facteurs démontrant que les Chinois et les chrétiens risquent objectivement d’être persécutés en Indonésie. Dans ses brefs motifs, elle cite des « évènements d’agressions ou de discrimination envers certaines minorités » qui ont eu lieu au cours des dernières années avant d’affirmer que la discrimination dont la demanderesse pourrait être victime n’équivaudrait pas à de la persécution. Il est légitime de reconnaître que la discrimination existe dans un pays et d’affirmer ensuite qu’elle n’équivaut pas à de la persécution, mais uniquement si le décideur motive sa décision.

 

[17]           La demanderesse invoque les décisions récentes de la Cour fédérale Junusmin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 673, et Limarto c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 521. Ces deux décisions analysent en détail la situation des chrétiens chinois en Indonésie et les effets cumulatifs de la discrimination sur cette population. La situation des demandeurs dans ces décisions est très différente de ceux en l’espèce; il faut donc les examiner avec soin. Or, le principe qu’elles énoncent est tout de même solide : bien que la Commission ne soit pas tenue de se référer à chacun des éléments de preuve dans ses décisions, elle doit examiner tout élément de preuve important dans les documents portant sur la situation du pays en cause qui contredit directement sa conclusion (Junusmin, paragraphe 38; Limarto, paragraphe 23).

 

[18]           En l’espèce, les documents portant sur la situation dans le pays en cause laissent entrevoir des problèmes persistants pour les Indonésiens d’origine chinoise. La réponse de mars 2006 à la demande d’information indique que même si la situation des Chinois de souche en Indonésie s’est améliorée depuis la chute du régime de Suharto en 1998 et qu’aucune attaque visant le groupe n’a été signalée entre janvier 2004 et mars 2006, elle est toujours « précaire sur les plans juridique et social » (IDN101030.EF, 28 mars 2006, Rapport sur la réponse à la demande d’information (2004-2006)). Selon le même rapport, les réformes adoptées après 1998 ont été « insuffisantes pour libérer les Chinois de souche en Indonésie de la discrimination institutionnalisée », qui éprouvent toujours de la difficulté à obtenir des pièces d’identité comme des certificats de naissance ou de mariage. De plus, la Commission disposait de nombreux articles portant sur l’attaque à la bombe incendiaire d’églises par des extrémistes musulmans, la décapitation d’écolières chrétiennes et la contrainte des congrégations à fermer leurs églises par crainte, événements qui démontrent tous qu’il y a un manque sérieux de tolérance religieuse en Indonésie. La Commission n’a que brièvement mentionné ces événements avant de déclarer qu’ils ne constituaient pas de la persécution.

 

[19]           Comme les personnes d’origine chinoise et les chrétiens en Indonésie ont systématiquement été victimes de discrimination durant la dernière décennie, je conclus que la Commission aurait dû examiner davantage la preuve pour expliquer pourquoi elle a conclu que la discrimination envers les membres de ces groupes minoritaires, y compris la demanderesse, n’équivaut pas à de la persécution. Je ne veux pas dire qu’une telle conclusion serait déraisonnable, mais simplement que la Commission était tenue d’expliquer son raisonnement d’une façon plus significative.

 

[20]           Par conséquent, je ne crois pas que la Commission a motivé adéquatement sa décision.

 

B.  La Commission a‑t‑elle tenu compte de la totalité des éléments de preuve lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

[21]           La demanderesse prétend que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve dans le classeur de la Section de la protection des réfugiés qui démontrent indubitablement que les chrétiens chinois de l’Indonésie font l’objet de persécutions systématiques. De plus, elle fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte des [traduction] « éléments de preuve abondants » qui contredisent ses conclusions.

 

[22]           Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la Commission n’a effectivement pas tenu compte de la totalité des éléments de preuve dont elle disposait. Comme l’a affirmé le juge dans la décision Cepeda-Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, paragraphe 17, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Bien qu’elle ait précisément cité les attaques et la discrimination envers les minorités en Indonésie, y compris les émeutes de 1998 contre les Chinois, la Commission l’a fait sommairement, sans évaluer les renseignements d’une manière critique. De plus, la Commission n’a pas tenu compte des effets cumulatifs des années de discrimination en Indonésie envers les chrétiens et les Chinois, à l’égard desquels beaucoup d’éléments de preuve avaient été présentés. Bien qu’il ne revienne pas à notre Cour de soupeser de nouveau la preuve dont disposait la Commission (Dunsmuir, précité, paragraphe 47), sa décision démontre qu’elle n’a pas soupesé beaucoup d’éléments de preuve. 

 

[23]           Ainsi, la Commission n’a pas motivé adéquatement sa décision et n’a pas semblé tenir compte de la totalité des éléments de preuve dont elle disposait. Cela suffit à accueillir la présente demande de contrôle judiciaire sans avoir à examiner la question concernant le critère appliqué par la Commission relativement à l’article 96 de la Loi.

 

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[24]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvel examen.

 

[25]           Aucune question n’est certifiée.


 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 20 novembre 2009, est annulée, et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvel examen.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-115-10

 

INTITULÉ :                                                   MARIANA SURYANTI, KEVIN KAO c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 19 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mitchell Goldberg                                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Sylviane Roy                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mitchell Goldberg                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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