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Cour fédérale

Federal Court

 Date : 20101122

Dossier : T-1073-09

Référence : 2010 CF 1173

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 novembre2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

CHRISTOPHER BENNETT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les défendeurs font appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 1er novembre 2010, dans laquelle il a accueilli la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires et un dossier complémentaire en vertu des alinéas 312a) et c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 

[2]               Il est bien établi que la Cour ne doit pas intervenir dans le cadre d’un appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire, sauf si l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens qu’elle est fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488.

[3]               Les défendeurs soutiennent que l’ordonnance portée en appel était entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a appliqué le mauvais principe lorsqu’il a accordé l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires et parce qu’il a mal apprécié la [traduction] « preuve non controversée mise à la disposition de la Cour lorsqu’il a conclu que les documents n’étaient [traduction] “manifestement pas à la disposition du demandeur au moment où il a déposé son affidavit à l’appui de la requête” ».

 

[4]               Le protonotaire a bien exposé le critère auquel est subordonnée l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires dans son ordonnance. J’ai toutefois conclu que le protonotaire n’a pas bien appliqué le critère aux faits dont il disposait ou qu’il a mal apprécié les faits. L’ordonnance rendue était entachée d’erreur flagrante.

 

[5]               Le 12 février 2009, l’avocat de demandeur a écrit à la ministre de la Santé pour lui demander d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 (la « LRCDAS ») de façon à permettre au demandeur de produire et d’avoir en sa possession des quantités suffisantes de marijuana pour qu’il puisse continuer à consommer sept grammes de marijuana par jour sans craindre d’être poursuivi en raison d’une interdiction prévue à la LRCDAS. Il a été soumis qu’il était dans l’intérêt public qu’une exemption de ce type lui soit accordée parce qu’il avait besoin de marijuana pour des motifs religieux. Dans une lettre datée du 29 mai 2009, le demandeur a été informé que la ministre de la Santé n’accorderait pas l’exemption parce qu’il ne serait pas dans l’intérêt public de l’accorder.

 

[6]               Le demandeur a ensuite déposé la présente requête le 30 juin 2009 pour contester la constitutionnalité de la décision de la ministre de refuser d’accorder l’exemption et des articles 4 et 7 de la LRCDAS.

 

[7]               L’avis de requête présenté en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales visait l’obtention notamment de [traduction] « [t]out document qui expose les critères utilisés par la ministre de la Santé ou par son fonctionnaire délégué pour décider les demandes d’exemption en vertu de l’article 56 de la LRCDAS ».

 

[8] En réponse à l’avis, les défendeurs ont fourni au demandeur un dossier certifié du tribunal en vertu de l’article 318 des Règles et déclaré ce qui suit plus précisément en ce qui concerne les documents demandés :

[Traduction]

 

Il n’y a aucun document qui expose les critères utilisés par la ministre de la Santé (ou par son fonctionnaire délégué) pour décider les demandes d’exemption fondées sur des raisons d’intérêt public en vertu de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui sont pertinents quant à la requête présentée par le demandeur. Pour plus de précision, le seul document qui expose des critères utilisés par la ministre de la Santé (ou par son fonctionnaire délégué) pour décider les demandes d’exemption en vertu de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est un document qui mentionne les exemptions accordées à des fins scientifiques, qui n’est pas pertinent quant à l’évaluation de l’exemption demandée et qui n’a pas servi à cette évaluation.

 

[9]               Cette déclaration était semble-t-il erronée. Les défendeurs admettent maintenant que l’ébauche d’une ligne directrice avait servi à l’évaluation faite par la ministre de la Santé en réponse à une demande d’exemption présentée en 2001 en vertu de l’article 56 de la LRCDAS pour des raisons d’intérêt public fondées sur la religion par les membres d’une église montréalaise qui demandaient une exemption en vue de consommer un thé qui contenait trois substances désignées (la demande visant le thé). La demande visant le thé indiquait que le thé était traditionnellement consommé pendant les cérémonies religieuses des membres. La ministre a fini par approuver conditionnellement cette demande.

 

[10]           Le demandeur soutient dans éléments matériels qu’il a produits dans le cadre de la présente requête que le défaut de produire les documents concernant la demande visant le thé constituait une tentative délibérée de la part des défendeurs de dissimuler les documents. Je ne me prononce pas sur cet argument; je tiens cependant à mentionner que les défendeurs n’étaient pas seuls s’ils tentaient de dissimuler des documents à leurs propres fins. À mon avis, le demandeur a aussi dissimulé des documents en sa possession qu’il jugeait pertinents quant à sa requête. Ce sont les documents que le protonotaire l’a autorisé à déposer.

 

[11]           Le demandeur a déposé sa preuve par affidavit à l’appui de sa demande le 3 novembre 2009, et les défendeurs ont produit leurs éléments de preuve le 28 janvier 2010.

 

[12]           La personne qui a témoigné pour le compte des défendeurs a été contre-interrogée concernant son affidavit le 20 mai 2010. Durant son contre-interrogatoire, on lui a présenté un ensemble de documents de quelque 395 pages dont chacune était numérotée et portait la mention [Traduction] « Document communiqué sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information » (la communication par la Direction de l’AIPRP). La communication par la Direction de l’AIPRP concernait la demande visant le thé présentée en 2001 en vue d’une exemption en vertu de l’article 56 de la LRCDAS. Les défendeurs se sont opposés à l’admission de la communication par la Direction de l’AIPRP lors du contre-interrogatoire, et elle a été produite comme pièce uniquement à des fins d’identification, bien que le témoin ait répondu à certaines questions concernant les documents.

 

[13]           Le 9 août 2010, le demandeur a déposé son dossier de requête. Il comportait la communication par la Direction de l’AIPRP. La Cour a toutefois émis des directives selon lesquelles le demandeur ne pouvait pas produire de nouveaux éléments de preuve sans l’autorisation de la Cour. Le dossier a été accepté pour dépôt, sans la communication par la Direction de l’AIPRP qui figurait à l’onglet « R » du dossier de requête.

 

[14]      Le 4 octobre 2010, le demandeur a déposé une requête en vue d’obtenir l’autorisation en vertu de l’article 312 des Règles de faire inclure la communication par la Direction de l’AIPRP dans le dossier de requête. La requête a été décidée par le protonotaire en vertu de l’article 369 des Règles, en fonction de la documentation écrite à sa disposition.

 

[15]           Le protonotaire a exposé le critère applicable à l’admission de nouveaux éléments de preuve en ces termes : [Traduction] « Au moment de décider s’il y a lieu d’accorder l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales (RCF), la Cour doit examiner la pertinence de l’affidavit qui est proposé, le risque de préjudice à l’autre partie, l’aide éventuelle que les éléments de preuve complémentaires pourraient apporter à la Cour, ainsi que l’intérêt général de la justice. La Cour doit aussi décider si l’affidavit complémentaire était disponible et aurait pu être déposé à une date antérieure ».

 

[16]           Le protonotaire a déclaré ce qui suit lorsqu’il s’est demandé l’affidavit complémentaire était disponible et aurait pu être déposé à une date antérieure : [Traduction] « Les documents n’étaient manifestement pas à la disposition du demandeur au moment où il a déposé sa preuve par affidavit à l’appui de sa requête ». À mon avis, le protonotaire, en fonction du dossier dont il disposait, a mal apprécié les faits lorsqu’il a conclu que la communication par la Direction de l’AIPRP n’était pas à la disposition du demandeur lorsqu’il a déposé son affidavit à l’appui de sa requête. De plus, le protonotaire a commis une erreur en recherchant seulement si les documents étaient à la disposition du demandeur à la date du dépôt de son affidavit pour décider si les documents étaient disponibles et auraient pu être déposés à une date ultérieure.

 

[17]           L’avis de requête du demandeur en vue d’obtenir l’autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires indiquait parmi les motifs de la requête que [traduction] « [c]es documents n’étaient pas en la possession du demandeur au moment où il a déposé sa requête et ses affidavits à l’appui en l’espèce ». L’énoncé des motifs dans un avis de requête ne constitue toutefois pas un élément de preuve, et aucun élément de preuve n’a été déposé par le demandeur pour étayer cette déclaration. Le demandeur ne faisait que déclarer dans son affidavit à l’appui de sa requête que les documents qu’il souhaitait déposer avaient été [traduction] « fournis par le gouvernement du Canada, plus précisément par Santé Canada, en réponse à une demande d’accès à l’information ». Il n’a nullement mentionné qu’il était entré en possession de ces documents, pas plus qu’il n’a justifié son retard à demander l’autorisation de les déposer.

 

[18]           En revanche, les défendeurs ont déposé un affidavit en réponse à la requête qui indiquait que Santé Canada avait reçu deux demandes sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information en vue de l’obtention de documents concernant la demande visant le thé. Santé Canada n’obtient pas le nom de l’auteur d’une demande en vertu de cette loi et ne pouvait donc pas préciser si les demandes, ou l’une d’elles, provenaient du demandeur ou de son avocat. La première demande a été faite le 31 mars 2009. La déposante déclare que la documentation communiquée par Santé Canada [traduction] « semble identique à la communication par la Direction de l’AIPRP que M. Bennett cherche maintenant à faire admettre en preuve ». La seconde communication date du 21 décembre 2009. La déposante déclare : [traduction] « bien qu’un bon nombre des documents étaient déjà inclus dans la communication par la Direction de l’AIPRP que le demandeur cherche maintenant à faire admettre en preuve, les deux ensembles de documents ne sont pas identiques ».

 

[19]           Le demandeur en l’espèce a déposé ses affidavits à l’appui de la présente demande le 3 novembre 2009, bien après la communication par Santé Canada du premier ensemble de documents et peu après la communication du second. La conclusion du protonotaire selon laquelle [traduction] « les documents n’étaient manifestement pas à la disposition du demandeur au moment où il a déposé sa preuve par affidavit à l’appui de la requête » [soulignement ajouté] ne peut être exacte que si l’ensemble de documents en la possession du demandeur était celui qui a été communiqué le 21 décembre 2009 et non pas celui qui a été communiqué préalablement, le 31 mars 2009. Le protonotaire n’a pas explicitement tiré cette conclusion, et, à mon avis, cette conclusion ne pouvait pas être tirée sur le fondement de la preuve non controversée selon laquelle le seul ensemble de documents communiqué qui semblait identique à celui qui était en la possession du demandeur était l’ensemble de documents communiqué le 31 mars 2009. Par conséquent, le protonotaire est parvenu à sa décision en se fondant sur une mauvaise appréciation des faits.

 

[20]           Dans le cadre du présent appel, le demandeur a tenté de déposer un affidavit auquel était joint comme pièce une lettre de Santé Canada adressée à son avocat le 21 décembre 2009, à laquelle étaient joints des documents en réponse à une en vertu de la Loi sur l’accès à l’information [traduction] « présentée par mon avocat, et que j’ai cherché à produire à l’onglet « R » de mon dossier de cause [sic] ». Ce sont les documents que le demandeur a demandé l’autorisation de déposer. L’affidavit, s’il est accepté, semble étayer la conclusion selon laquelle ces documents étaient en la possession du demandeur seulement après le 21 décembre 2009. Il est souligné que le demandeur dans cet affidavit subséquent n’atteste pas qu’il n’avait aucun des documents contenus dans la communication par la Direction de l’AIPRP à une date antérieure, comme on pourrait s’y attendre étant donné les éléments de preuve déposés précédemment par les défendeurs.

 

[21]           Le défendeur s’est opposé au dépôt du nouvel affidavit du demandeur dans le cadre de l’appel et soutient qu’aucun nouvel élément de preuve ne devrait être admis par la Cour dans le cadre d’un appel de l’ordonnance d’un protonotaire : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2003 CF 1229, au paragraphe 10, citant James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc., [1997] A.C.F. no 152, aux paragraphes 31 et 32.

 

[22]           Le demandeur n’a cité aucune jurisprudence selon laquelle la Cour a examiné dans le cadre d’un appel de l’ordonnance d’un protonotaire de nouveaux éléments de preuve portant sur des faits dont le protonotaire ne disposait pas. Il est illogique que la Cour examine de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel de ce type. D’une part, la Cour doit décider si le protonotaire a mal apprécié les faits. Cette décision doit reposer sur le dossier dont disposait le protonotaire, et non pas sur le dossier dont il aurait pu être mis à sa disposition. D’autre part, la Cour procède à un examen de novo. Un tel examen nécessite que le juge exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction des éléments matériels dont disposait le protonotaire, autrement dit, pour parvenir à la décision à laquelle le protonotaire serait parvenu si elle n’avait pas été fondée sur une mauvaise appréciation des faits ou sur un mauvais principe.

 

[23]           Pour les motifs qui précèdent, je n’examinerai pas le nouvel affidavit que le demandeur a tenté de déposer. Si l’affidavit avait été accepté, cependant, le demandeur n’a toujours pas justifié son retard à demander l’autorisation de déposer cet élément matériel. La requête en autorisation a été présentée plus de neuf mois après qu’il a obtenu, de son propre aveu, les documents sur lesquels il souhaite maintenant se fonder.

 

[24]           L’avocat du demandeur a admis qu’il lui semblait évident à la réception de la communication par la Direction de l’AIPRP qu’au moins certains des documents seraient pertinents quant à la requête qui avait été introduite. L’affidavit que le demandeur a cherché à déposer indique clairement qu’il était en possession de ces documents bien avant que les défendeurs ne déposent leurs affidavits et bien avant qu’il ne contre-interroge l’auteure de l’affidavit produit par les défendeurs. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel une partie doit traiter d’une question qui est survenue lors du contre-interrogatoire et qu’elle n’aurait pas pu prévoir en faisant preuve de diligence raisonnable. Il s’agit plutôt d’un cas dans lequel le demandeur a pris connaissance de documents qu’il a perçus comme étant pertinents quant à sa requête, mais qu’il a aussi considérés comme pouvant servir à établir que l’auteure de l’affidavit produit par le défendeur avait manqué de franchise et d’honnêteté en déclarant qu’il n’y avait [traduction] « aucun document qui expose les critères utilisés par la ministre de la Santé (ou par son fonctionnaire délégué) pour décider les demandes d’exemption présentées fondées sur des raisons d’intérêt public en vertu de l’article 56 ». Le demandeur a pris la décision tactique de ne pas demander le consentement des défendeurs au dépôt de ces documents ou de ne pas demander l’autorisation de la Cour en l’absence de ce consentement. Il a décidé de les conserver et de les utiliser pour surprendre la déposante lors de son contre-interrogatoire. Je le renverrais à Mathieu 26:52 – [Traduction] « Celui qui vit par l’épée périra par l’épée ».

 

[25]           Le demandeur soutient que le critère applicable consiste à savoir si les documents étaient à sa disposition lorsqu’il a déposé son affidavit à l’appui de la requête. Je ne suis pas d’accord avec lui. Je souscris aux observations faites par le juge Teitelbaum dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2006 CF 984, au paragraphe 20, selon lesquelles on doit examiner la justification de l’interdiction générale contre le dépôt d’éléments de preuve complémentaires, soit qu’une partie doit faire valoir ses meilleurs arguments à la première occasion et ne peut fractionner sa cause.

Pfizer essaie aussi de limiter la portée de l’arrêt Atlantic Engraving en avançant qu’il ne s’applique qu’aux cas où le contre-interrogatoire a déjà eu lieu. S’il est vrai que les contre‑interrogatoires avaient déjà été effectués dans l’affaire Atlantic Engraving, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale consigné au paragraphe 9 de son exposé de motifs donne à penser qu’une partie est tenue de présenter la meilleure preuve aussitôt que possible et qu’il ne doit pas lui être permis de diviser sa cause. Cela signifiait, dans le contexte d’Atlantic Engraving, que le requérant devait démontrer que la preuve qu’il voulait obtenir l’autorisation de produire n’était pas disponible avant l’étape des contre-interrogatoires, mais il peut arriver dans d’autres affaires que le requérant doive établir que sa preuve n’était pas disponible avant une étape antérieure (par exemple, le moment du dépôt de sa preuve par affidavit principale) pour convaincre la Cour qu’il n’essaie pas de diviser sa cause ou ne manque pas autrement à son obligation de présenter la meilleure preuve aussitôt que possible. Je n’interprète pas le raisonnement de la Cour d’appel fédérale comme étant limité aux cas où le contre-interrogatoire a déjà eu lieu. Je constate plutôt que l’arrêt Atlantic Engraving exprime le souci général que l’article 312 des Règles ne soit pas utilisé pour permettre à une partie de diviser sa cause ou de différer la présentation de la meilleure preuve. [Soulignement ajouté]

 

[26]           En l’espèce, le demandeur n’a pas fait valoir ses meilleurs arguments sans délai; il a attendu après avoir contre-interrogé l’auteure de l’affidavit produit par les parties adverses. De plus, étant donné que les seuls éléments de preuve qui ont été régulièrement portés devant la Cour établissent que le seul ensemble de documents apparemment identique à la communication par la Direction de l’AIPRP a été fourni par Santé Canada à l’auteur inconnu d’une demande le 31 mars 2009, bien avant l’introduction de la présente requête, je dois conclure que le fait de permettre au demandeur en l’espèce de déposer les documents à ce stade avancé des procédures constitue un fractionnement de la cause.

 

[27] La Cour doit aussi examiner si les éléments de preuve seront utiles à la Cour. Dans Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Attorney General), 2009 FCA 101, la Cour d’appel a précisé la question que la Cour doit se poser en soupesant ce facteur : [Traduction] « Les éléments de preuve sont-ils pertinents quant à la question à trancher et ont‑ils une valeur probante suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire? »

 

[28] Le demandeur formule les demandes ci-après dans son avis de requête :

[Traduction]

1.         Une ordonnance de mandamus enjoignant à la ministre de la Santé d’accorder au demandeur, en vertu de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, une exemption de l’application des articles 4 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dans leur application au cannabis (marijuana) inscrit à l’annexe 2(1), tant que le demandeur produira et aura en sa possession du cannabis à des fins personnelles.

 

2.         Un jugement déclaratoire portant que les articles 4 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dans leur application au cannabis (inscrit à l’annexe II [1] de cette loi), sont invalides et contreviennent aux droits protégés aux 2, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

 

[29]      La communication par la Direction de l’AIPRP que le demandeur cherche à déposer pourrait étayer un argument selon lequel le demandeur n’a pas reçu le même traitement que l’auteur de la demande visant le thé. La communication par la Direction de l’AIPRP indique aussi les critères utilisés par la ministre dans son évaluation de cette demande; le défendeur a toutefois déposé un affidavit concernant la requête dont le protonotaire était saisi dans lequel il est attesté que l’ébauche de la ligne directrice relative aux critères qui a servi à évaluer la demande visant le thé n’avait pas servi à évaluer la demande de M. Bennett et n’a jamais été adoptée en tant que politique de Santé Canada. Par conséquent, ces nouveaux éléments de preuve proposés pourraient, au mieux, démontrer que des critères différents ont guidé l’évaluation de la demande d’exemption du demandeur que ceux qui ont servi à évaluer la demande d’exemption antérieure d’une autre personne à l’égard d’une autre substance désignée. Bien que ces éléments de preuve puissent être pertinents quant à une question soulevée par la requête, j’estime qu’ils n’ont pas une valeur suffisamment probante pour influer sur l’issue de l’affaire.

 

[30]           Les défendeurs soutiennent que l’admission des éléments de preuve à cette date tardive causera un préjudice, en ce sens que la demande est presque en état d’être entendue. Les défendeurs n’ont pas déposé leur dossier, et aucune date d’audience devant la Cour n’est prévue. L’admission des éléments matériels causera toutefois un délai de quelques mois pendant le dépôt par les défendeurs déposent d’éléments complémentaires en réponse et la tenue des contre‑interrogatoires. Les défendeurs soutiennent aussi qu’ils subiront un préjudice parce que les nouveaux éléments de preuve sont présentés sous la forme d’un affidavit du demandeur et que, bien qu’un bon nombre des documents faisant partie de la communication par la Direction de l’AIPRP proviennent de membres du ministère de la Santé, d’autres documents proviennent d’autres sources, de sorte qu’il n’y a personne à contre-interroger à leur sujet.

 

[31]           Le demandeur soutient que, s’il y a un préjudice, c’est lui qui le subira, puisque le retard fera en sorte qu’il devra attendre avant de pouvoir produire et utiliser de la marijuana à ses fins religieuses.

 

[32]           J’accorde peu de poids à l’argument du demandeur selon lequel il subira un préjudice en raison d’un quelconque retard, puisqu’il est responsable du retard. S’il avait demandé le consentement ou l’autorisation en vue de déposer le contenu de la communication par la Direction de l’AIPRP lorsqu’il l’a d’abord reçue, aucun délai n’aurait été occasionné. Dans un même ordre d’idées, l’attente que les défendeurs subiront sera brève et aurait été évitée s’ils avaient déposé une réponse exacte en vertu de l’article 317 des Règles. Bref, s’il y a préjudice, il est partagé également entre les parties.

 

[33]           Pour les motifs qui précèdent, il est fait droit à l’appel des défendeurs, et la requête du demandeur en vue du dépôt d’éléments de preuve complémentaires et d’un dossier complémentaire en vertu des alinéas 312a) et c) des Règles est rejetée.

 

[34]           J’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens devant notre Cour et dans les procédures inférieures. Bien que le demandeur doive porter une part de blâme pour la nécessité de ces requêtes tardives, les défendeurs sont aussi à blâmer pour leur défaut d’inclure la communication par la Direction de l’AIPRP dans la documentation produite en vertu de l’article 317 des Règles, ou de s’opposer alors à sa production.

 

 LA COUR ORDONNE qu’il soit fait droit au présent appel et que l’ordonnance rendue le 1er novembre 2010 par le protonotaire Lafrenière soit annulée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : T -1073-09

 

INTITULÉ : CHRISTOPHER BENNETT c. PGC et autre

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 novembre 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE : LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS : Le 22 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Kirk I. Tousaw

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Danay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kirk I. Tousaw Law Offices

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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