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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20101118

Dossier : T-292-10

Référence : 2010 CF 1149

Ontario (Ottawa), le 18 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

J.M. ROBERT BEAULIEU

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’arbitre du niveau II de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), rendue le 12 janvier 2010. Cette décision rejette le grief du demandeur au motif qu’il est prescrit en vertu de l’alinéa 31(2)a) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R., 1985, ch. R-10 (la Loi). Le demandeur sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l'affaire pour qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen.

 

 

Exposé des faits

[2]               Le demandeur est membre de la GRC depuis le 23 mars 1982 et il détient présentement le grade de caporal.

 

[3]               Pour accéder au prochain grade de sergent, le demandeur doit participer aux examens de simulation d’emploi de la GRC. La procédure de la GRC prévoit que le membre qui veut être promu doit s’inscrire au Bureau du personnel de la GRC pour ensuite être convoqué aux examens de promotion de la GRC.

 

[4]               Le demandeur est convoqué et participe aux examens de promotion de la GRC qui ont lieu le samedi 9 février 2008 à l’Université de Montréal.

 

[5]               Le 27 mars 2008, la GRC refuse sa demande de compensation pour ses heures supplémentaires.

 

[6]               Le lendemain, le 28 mars 2008, le demandeur dépose un grief auprès du Bureau de la coordination des griefs (BCG) de la Région du centre de la GRC alléguant qu’il a subi une perte de salaire équivalente à quatre (4) heures supplémentaires à taux double en raison du refus de sa demande de rémunération le 27 mars 2008.

 

 

 

Décision de l’arbitre du niveau I

[7]               Le 5 janvier 2009, la décision préliminaire de l’arbitre du niveau I rejette le grief du demandeur au motif que ce dernier ne l’a pas présenté à l’intérieur du délai de trente (30) jours prévu à l’alinéa 31(2)a) de la Loi. L’arbitre également refuse de renvoyer le grief devant le Comité externe pour examen (CEE) au motif que le grief ne fait pas partie de la catégorie de griefs qui doivent être renvoyés devant le Comité.

 

[8]               Au soutien de sa décision, l’arbitre du niveau I souligne qu’à deux reprises, soit le 13 décembre 2007 et le 15 janvier 2008, la GRC a diffusé dans les deux langues officielles au compte ‘News’ ainsi que dans chaque boîte individuelle des membres, un communiqué dans lequel on y précise que les examens se font sur une base libre et volontaire et qu’aucun remaniement d’horaire ni temps supplémentaire ne sera autorisé.

 

[9]               L’arbitre conclut ensuite que les membres ont pris connaissance de la décision de la GRC dès l’instant où ils ont lu le communiqué, mais ont tout de même décidé de se présenter à l’examen. Selon l’arbitre, les membres auraient dû déposer un grief dans les trente (30) jours où ils ont pris connaissance du communiqué. L’arbitre ajoute que le rejet éventuel de la réclamation de chaque requérant ne représente pas une nouvelle décision puisque ce rejet équivaut à une confirmation ou une mise à exécution de la décision notée au communiqué.

 

[10]           Puisque l’arbitre n’a pas de date de référence comme date à laquelle le demandeur aurait pris connaissance du communiqué précisant les particularités de l’examen, il conclut que la date applicable est la date à laquelle le demandeur s’est présenté à l’examen soit le 9 février 2008.

 

[11]           L’arbitre conclut finalement que dans le cas du demandeur, il s’est présenté à l’examen le 9 février 2008 et a déposé son grief le 28 mars 2008, soit quarante-huit (48) jours plus tard, excédant ainsi le délai de trente (30) jours prévu à l’alinéa 31(2)a) de la Loi.

 

Décision contestée (décision de l’arbitre du niveau II)

[12]           Le 12 janvier 2010, l’arbitre de grief du niveau II, Robert Codère, surintendant, de la GRC, confirme la décision de l’arbitre du niveau I et rejette le grief du demandeur puisqu’il n’a pas respecté le délai de dépôt d’un grief prévu à l’alinéa 31(2)a) de la Loi et qu’il n’a pas demandé de prorogation de délai.

 

[13]           L’arbitre du niveau II conclut que la seule publication des avis voulant que des heures supplémentaires ne soient pas payées pour les membres qui se présenteraient aux examens de promotion ne constituait pas un préjudice en soi [Décision de l’arbitre du niveau II, au para 41].

 

[14]           L’arbitre du niveau II souligne qu’il est d’accord avec la décision de l’arbitre du niveau I quant au point de départ du calcul du délai de prescription pour présenter le grief, c’est-à-dire le 9 février 2008. L’arbitre ajoute que lorsque le demandeur s’est présenté aux examens du 9 février 2008, cela lui occasionnait une perte immédiate et il aurait dû déposer son grief à l’intérieur du délai de trente (30) jours suivant le 9 février 2008.

 

[15]           Le 2 mars 2010, le demandeur dépose auprès de cette Cour une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’arbitre du niveau II, Robert Codère, datée du 12 janvier 2010.

 

Questions en litige

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

1-        Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision de l’arbitre du niveau II de la GRC rendue le 12 janvier 2010?

 

2-        Est-ce que la décision de l’arbitre du niveau II qui rejette le grief du demandeur est raisonnable?

 

3-        Est-ce que l’arbitre du niveau II a erré en ne renvoyant pas le grief du demandeur devant le Comité externe d’examen (CEE) de la GRC conformément au paragraphe 33(4) de la Loi?

 

Dispositions pertinentes

[17]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada sont les suivantes :

PARTIE I

 

COMMISSAIRE

 

Nomination

 

5. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du ministre, a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte.

 

 

Délégation

 

(2) Le commissaire peut déléguer à tout membre les pouvoirs ou fonctions que lui attribue la présente loi, à l’exception du pouvoir de délégation que lui accorde le présent paragraphe, du pouvoir que lui accorde la présente loi d’établir des règles et des pouvoirs et fonctions visés à l’article 32 (relativement à toute catégorie de griefs visée dans un règlement pris en application du paragraphe 33(4)), aux paragraphes 42(4) et 43(1), à l’article 45.16, au paragraphe 45.19(5), à l’article 45.26 et aux paragraphes 45.46(1) et (2).

 

PARTIE III

 

GRIEFS

 

PRÉSENTATION DES GRIEFS

 

Règle

 

31. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.

 

Prescription

 

(2) Un grief visé à la présente partie doit être présenté :

 

a) au premier niveau de la procédure applicable aux griefs, dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l’acte ou l’omission donnant lieu au grief;

 

b) à tous les autres niveaux de la procédure applicable aux griefs, dans les quatorze jours suivant la signification au membre de la décision relative au grief rendue par le niveau inférieur immédiat.

 

 

[…]

 

Dernier niveau

 

32. (1) Le commissaire constitue le dernier niveau de la procédure applicable aux griefs; sa décision est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n’est pas susceptible d’appel ou de révision en justice.

 

 

Non-assujettissement du commissaire

 

(2) Le commissaire n’est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans un rapport portant sur un grief renvoyé devant le Comité conformément à l’article 33; s’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

 

 

 

Annulation ou modification de la décision

 

(3) Par dérogation au paragraphe (1), le commissaire peut annuler ou modifier sa décision à l’égard d’un grief visé à la présente partie

si de nouveaux faits lui sont soumis ou s’il constate avoir fondé sa décision sur une erreur

de fait ou de droit.

 

 

 

 

 

RENVOI DEVANT LE COMITÉ

 

Renvoi devant le Comité

 

33. (1) Avant d’étudier un grief d’une catégorie visée par règlement pris en vertu du paragraphe (4), le commissaire le renvoie devant le Comité.

 

 

[…]

 

Griefs qui doivent être renvoyés devant le Comité

 

(4) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prescrire, pour l’application du paragraphe (1), les catégories de griefs qui doivent faire l’objet d’un renvoi devant le Comité.

 

[…]

 

Règles

 

36. Le commissaire peut établir des règles pour régir la présentation et l’étude des griefs en vertu de la présente partie, et notamment :

 

 

 

a) pour déterminer les membres ou catégories de membres qui constitueront les différents niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs;

 

b) pour imposer, au nom de la sécurité ou de la protection de la vie privée, des restrictions

au droit que le paragraphe 31(4) accorde à un membre qui  présente un grief de consulter la

documentation pertinente placée sous la responsabilité de la Gendarmerie.

 

 

PART I

 

COMMISSIONER

 

Appointment

 

5. (1) The Governor in Council may appoint an officer, to be known as the Commissioner of the Royal Canadian Mounted Police, who, under the direction of the Minister, has the control and management of the Force and all matters connected therewith.

 

Delegation

 

(2) The Commissioner may delegate to any member any of the Commissioner’s powers, duties or functions under this Act, except the power to delegate under this subsection, the power to make rules under this Act and the powers, duties or functions under section 32 (in relation to any type of grievance prescribed pursuant to subsection 33(4)), subsections 42(4) and 43(1), section 45.16, subsection

45.19(5), section 45.26 and subsections 45.46(1) and (2).

 

 

 

 

PART III

 

GRIEVANCES

 

PRESENTATION OF GRIEVANCES

 

Right of member

 

31. (1) Subject to subsections (2) and (3), where any member is aggrieved by any decision,

act or omission in the administration of the affairs of the Force in respect of which no

other process for redress is provided by this Act, the regulations or the Commissioner’s standing orders, the member is entitled to

present the grievance in writing at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Part.

 

Limitation period

 

(2) A grievance under this Part must be presented

 

(a) at the initial level in the grievance process, within thirty days after the day on which the aggrieved member knew or reasonably ought to have known of the decision, act or omission giving rise to the grievance; and

 

(b) at the second and any succeeding level in the grievance process, within fourteen days after the day the aggrieved member is served with the decision of the immediately preceding level in respect of the grievance.

 

 

Final level in grievance process

 

32. (1) The Commissioner constitutes the final level in the grievance process and the Commissioner’s decision in respect of any grievance is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal to or review by any court.

 

Commissioner not bound

 

 

(2) The Commissioner is not bound to act on any findings or recommendations set out in a report with respect to a grievance referred to the Committee under section 33, but if the Commissioner does not so act, the Commissioner shall include in the decision on the disposition of the grievance the reasons for not so acting.

 

Rescission or amendment of decision

 

(3) Notwithstanding subsection (1), the Commissioner may rescind or amend the Commissioner’s decision in respect of a grievance under this Part on the presentation to the Commissioner of new facts or where, with respect to the finding of any fact or the interpretation of any law, the Commissioner determines that an error was made in reaching the decision.

 

REFERENCE TO COMMITTEE

 

Reference to Committee

 

33. (1) Before the Commissioner considers a grievance of a type prescribed pursuant to subsection (4), the Commissioner shall refer the grievance to the Committee.

 

 

Grievances referable to Committee

 

(4) The Governor in Council may make regulations prescribing for the purposes of subsection (1) the types of grievances that are to be referred to the Committee.

 

 

 

Rules

 

36. The Commissioner may make rules governing the presentation and consideration of grievances under this Part, including, without limiting the generality of the foregoing, rules

 

a) prescribing the members or classes of members to constitute the levels in the grievance process; and

 

 

b) specifying, for the purposes of subsection 31(4), limitations, in the interests of security or the protection of privacy of persons, on the right of a member presenting a grievance to be granted access to information relating thereto.

 

 

[18]           L’article 36 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361 (le Règlement) prévoit que :

PARTIE II

 

GRIEFS

 

PRÉSENTATION DES GRIEFS

 

36. Pour l'application du paragraphe 33(4) de la Loi, les catégories de griefs qui doivent faire l'objet d'un renvoi devant le Comité externe d'examen sont les suivants :

 

a) les griefs relatifs à l'interprétation et à l'application, par la Gendarmerie, des politiques gouvernementales visant les ministères qui ont été étendues aux membres;

 

b) les griefs relatifs à la cessation, en application du paragraphe 22(3) de la Loi, de la solde et des allocations des membres;

 

c) les griefs relatifs à l'interprétation et à l'application, par la Gendarmerie, de la Directive sur les postes isolés;

 

d) les griefs relatifs à l'interprétation et à l'application, par la Gendarmerie, de la Directive de la Gendarmerie sur la réinstallation;

e) les griefs relatifs au renvoi par mesure administrative pour les motifs visés aux alinéas 19a), f) ou i).

PART II

 

GRIEVANCES

 

PRESENTATION OF GRIEVANCES

 

36. For the purposes of subsection 33(4) of the Act, the types of grievances that are to be referred to the External Review Committee are grievances relating to

 

(a) the Force's interpretation and application of government policies that apply to government departments and that have been made to apply to members;

 

 

(b) the stoppage of the pay and allowances of members made pursuant to subsection 22(3) of the Act;

 

 

(c) the Force's interpretation and application of the Isolated Posts Directive;

 

 

 

(d) the Force's interpretation and application of the R.C.M.P. Relocation Directive; and

 

 

(e) administrative discharge for grounds specified in paragraph 19(a), (f) or (i).

 

Norme de contrôle

1-      Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision de l’arbitre du niveau II de la GRC rendue le 12 janvier 2010?

 

[19]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de la prescription prévue à l’alinéa 31(2)a) de la Loi est celle de la décision correcte, et quant à l’application aux faits de cette prescription, celle de la décision raisonnable (Thériault c. Canada (Gendarmerie royale), 2006 CAF 61, [2006] A.C.F. no 169).

 

[20]           Le défendeur soumet plutôt que la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre du niveau II est celle de la décision raisonnable puisque l’arbitre devait établir à quel moment le demandeur a connu ou aurait dû connaître la décision donnant lieu au grief pour établir le point de départ de la prescription. Il s’agit essentiellement d’une question de fait qui doit être soumise à la norme de la décision raisonnable.

 

[21]           Pour démontrer le degré plus élevé de retenue judiciaire que doit exercer cette Cour, le défendeur soulève que dans l’affaire Horton c. Canada (Procureur général), 2004 CF 793, [2004] A.C.F. no 969, les faits étaient très similaires à ceux du présent dossier puisque l’arbitre devait également déterminer si le grief avait été déposé dans le délai imparti. La juge Layden-Stevenson a conclu qu’il s’agissait d’une question de fait et que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable.

 

[22]           Le défendeur fait également référence aux enseignements du juge Décary dans l’affaire IBM Canada Ltée c. Hewlett-Packard (Canada) Ltée, 2002 CAF 284, [2002] A.C.F. no 1008, au paragraphe 16 selon qui :

[16] […] Il faut résister à la tentation de qualifier certaines questions de "juridictionnelles" dans le simple but d'appliquer une norme faisant appel à un degré moindre de retenue judiciaire (voir Canada c. McNally Construction Inc. et Abco Industries Limited, 2002 CAF 184, le juge Stone, au par. 23). Le Tribunal a compétence pour décider si une plainte est prescrite; l'interprétation du paragraphe 6(1) du Règlement ne soulève aucune question juridique; la détermination, en l'espèce, du point de départ constitue une pure question de fait; et la connaissance qu'a le Tribunal de la procédure de passation des marchés publics en fait le mieux placé pour se prononcer sur le moment où un plaignant a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l'origine d'une plainte.

 

[23]           Cette Cour note également qu’au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, la Cour suprême du Canada a défini la raisonnabilité comme suit :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. […] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[24]           La question de la prescription dans le cas en l’espèce est essentiellement une question mixte de faits et de droit davantage axée sur les faits, c’est-à-dire à quel moment le demandeur a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l’acte ou l’omission. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée à appliquer à la décision de l’arbitre du niveau II quant au point de départ de la prescription est la norme de la décision raisonnable et la Cour doit faire preuve de retenue.

 

La procédure de griefs de la GRC

[25]           Aux termes des articles 31 et suivants de la Loi, la procédure de griefs de la GRC débute par la présentation d’un grief au premier niveau qui est effectué par un officier de la GRC. Le membre qui n’est pas satisfait de la décision rendue par l’arbitre du niveau I peut présenter son grief devant l’arbitre du niveau II. En vertu des paragraphes 32(1) et 32(3) de la Loi, le niveau II constitue le dernier niveau d’appel des griefs.

 

[26]           En ce qui a trait aux catégories de griefs définies à l’article 36 du Règlement, c’est le commissaire de la GRC qui constitue le niveau II. Le paragraphe 33(1) de la Loi prévoit qu’avant d’étudier un grief d’une catégorie visée à l’article 36 du Règlement, le commissaire le renvoie devant le CEE qui étudie le dossier et présente ses conclusions et recommandations. Le commissaire est libre d’accepter ou de rejeter les conclusions du CEE. S’il les rejette, le paragraphe 32(2) prévoit qu’il doit motiver sa décision par écrit.

 

[27]           Pour les griefs qui ne font pas l’objet d’un renvoi devant le CEE, le commissaire a délégué ses pouvoirs à un officier de la GRC qui agit à titre d’arbitre du niveau II.

Analyse

2-      Est-ce que la décision de l’arbitre du niveau II qui rejette le grief du demandeur puisqu’il ne l’a pas présenté dans les délais est raisonnable?

 

[28]           Le demandeur soutient qu’il ne pouvait contester le refus de sa demande de compensation pour des heures supplémentaires avant d’avoir soumis cette demande et d’avoir reçu la décision rejetant sa demande. Selon le demandeur, il n’avait pas l’intérêt nécessaire pour présenter un grief et donc n’était pas obligé de contester la politique annoncée de la GRC sur une base théorique ou préventive avant même qu’il effectue du temps supplémentaire, qu’il ne fasse sa demande de compensation et qu’il ne reçoive la décision défavorable. Il allègue que la décision de l’arbitre du niveau II est donc déraisonnable.

 

[29]           De son côté, le défendeur allègue que la décision de l’arbitre du niveau II concluant que le point de départ de la prescription est la date à laquelle le demandeur s’est présenté à l’examen, soit le 9 février 2008, est raisonnable. Le défendeur soutient qu’à deux reprises, soit le 13 décembre 2007 et le 15 janvier 2008, la GRC a diffusé le communiqué qui précisait que les examens de promotion se faisaient sur une base libre et volontaire et qu’aucun remaniement d’horaire ni temps supplémentaire ne serait autorisé.

 

[30]           En confirmant la décision de l’arbitre du niveau I à l’effet que le délai de prescription commence à courir à partir de la date à laquelle le demandeur se présente à l’examen, la Cour est d’avis que la décision de l’arbitre du niveau II est raisonnable. En effet, le demandeur pouvait raisonnablement s’attendre à ce que sa demande de compensation pour les heures supplémentaires lui soit refusée. Dans l’arrêt Horton, la Cour fédérale a conclu que la décision de l’arbitre au deuxième niveau, qui a jugé que le grief du caporal Horton était prescrit puisqu’il savait depuis le mois d’octobre 1995 (près de deux ans avant la réponse à sa demande formelle) que sa demande de compensation relative aux heures d’astreinte serait refusée, était raisonnable. Partant des principes énoncés dans cet arrêt et de l’alinéa 31(2)a) de la Loi, cette Cour est d’avis que la même conclusion s’applique à cette cause : le demandeur devait savoir depuis le 13 décembre 2007 ou le 15 janvier 2008 que sa demande serait refusée. En ce sens, le libellé de l’alinéa 31(2)a) de la Loi est clair :

31. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.

 

Prescription

 

(2) Un grief visé à la présente partie doit être présenté :

 

a) au premier niveau de la procédure applicable aux griefs, dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l’acte ou l’omission donnant lieu au grief;

31. (1) Subject to subsections (2) and (3), where any member is aggrieved by any decision,

act or omission in the administration of the affairs of the Force in respect of which no

other process for redress is provided by this Act, the regulations or the Commissioner’s standing orders, the member is entitled to

present the grievance in writing at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Part.

 

Limitation period

 

(2) A grievance under this Part must be presented

 

(a) at the initial level in the grievance process, within thirty days after the day on which the aggrieved member knew or reasonably ought to have known of the decision, act or omission giving rise to the grievance; and

                                                                                                            (Je souligne)

[31]           En l’espèce, le demandeur a été informé de la décision de l’employeur à deux (2) reprises – au compte « News » ainsi que dans la boîte individuelle. La preuve au dossier et plus particulièrement l’affidavit du demandeur ne révèle pas que ce dernier n’ait pas reçu, pris connaissance ou lu les communiqués du 13 décembre 2007 et du 15 janvier 2008. De plus, la preuve au dossier ne contient pas de demande de prorogation de délai du demandeur.

 

[32]           La Cour doit donc conclure que le demandeur savait ou devait savoir que sa demande de compensation pour des heures supplémentaires serait refusée par la GRC. Fort de ces informations, le demandeur a décidé de se présenter à l’examen de promotion le 9 février 2008 en toute connaissance de cause. En l’absence de date de référence comme date à laquelle le demandeur aurait pris connaissance du communiqué, la décision de l’arbitre de faire courir le délai de prescription le 9 février 2008, date à laquelle le demandeur s’est présenté à l’examen et, date à laquelle il aurait subi un préjudice, est donc, en l’espèce, raisonnable.

 

 

3-     Est-ce que l’arbitre du niveau II a erré en ne renvoyant pas le grief du demandeur devant le Comité externe d’examen (CEE) de la GRC conformément au paragraphe 33(4) de la Loi?

 

[33]           Le rôle du Comité externe d’examen (CEE) de la GRC est de fournir le rapport d’un tiers indépendant de la GRC qui expose ses conclusions et recommandations aux parties sur le grief.

 

[34]           Le demandeur allègue que l’arbitre du niveau II a erré en ne renvoyant pas son grief devant le CEE conformément au paragraphe 33(4) de la Loi et au paragraphe 36a) du Règlement de la GRC. Selon le demandeur, sa demande de compensation pour les heures supplémentaires résulte de l’application d’une politique gouvernementale aux membres de la GRC.

 

[35]           En réponse, le défendeur soutient que la question sur laquelle l’arbitre du niveau II devait se pencher n’était pas visée par l’une des catégories énumérées au paragraphe 36a) du Règlement puisque la décision disposait d’une question préliminaire (et non sur le fond) et la demande de compensation des heures supplémentaires du demandeur ne vise pas l’application d’une politique gouvernementale visant les ministères qui a été étendue aux membres.

 

[36]           Subsidiairement, le défendeur soutient que l’arbitre du niveau II n’aurait pas eu compétence pour renvoyer le grief du demandeur devant le CEE puisque seul le commissaire a le pouvoir de le faire. Le défendeur note également que lorsque de façon préliminaire l’arbitre du niveau I détermine que le grief d’un membre n’a pas été déposé à l’intérieur du délai prévu à l’alinéa 31(2)a) de la Loi, il ne procède pas à une étude du grief au sens de l’article 33 de la Loi, mais il se prononce uniquement sur la recevabilité de ce grief.

 

[37]           La Cour est d’avis que la décision ne devrait pas faire l’objet d’un renvoi devant le CEE car, en l’espèce, il est question d’abord et avant tout d’une décision préliminaire.

 

[38]           Quoi qu’il en soit, la question des heures supplémentaires dans les circonstances ne s’applique pas car elle n’équivaut pas à une politique gouvernementale d’application générale qui aurait été étendue aux membres de la GRC au sens du paragraphe 36a) du Règlement. En effet, l’article 22 de la Loi établi que le Conseil du Trésor fixe les indemnités à verser aux membres de la GRC. Les documents soumis en preuve concernant le temps supplémentaire pour les membres de la GRC (Volume 2 – onglet 3 et 4 du dossier du demandeur) ne s’appliquent qu’aux membres de la GRC et ne peuvent être apparentés à une politique gouvernementale d’application générale qui aurait été étendue aux membres de la GRC au sens que l’entend le paragraphe 36a) du Règlement. À cet effet, le document de 1995 intitulé Temps supplémentaire pour les membres de la Gendarmerie royale du Canada (Volume 2 – onglet 4 du dossier du demandeur) fait explicitement référence au paragraphe 22 de la Loi sous la section « autorité ».

 

[39]           Conséquemment le grief en cause n’est pas visé par le paragraphe 36a) du Règlement et n’avait donc pas à faire l’objet d’un renvoi devant le CEE.

 

[40]           Pour tous ces motifs, la Cour est d’avis que la décision de l’arbitre du niveau II est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir). La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-292-10

 

INTITULÉ :                                       J.M. ROBERT BEAULIEU c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

James R.K. Duggan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marie-Josée Bertrand

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

James R.K. Duggan, Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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