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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101118

Dossier : IMM-5491-09

Référence : 2010 CF 1160

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

ENTRE :

MOHAMMED ABED
(ALIAS MOHAMED HASSAN ABED)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 2 octobre 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ( la Commission) a rejeté sa demande d’asile.

 

[2]               Le défendeur présente également une requête en vue d’obtenir une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire pour que l’on statue à nouveau sur elle.

 

[3]               Le point de divergence entre le demandeur et le défendeur a trait à la réparation qu’il convient d’accorder s’il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Dans sa requête, le défendeur demande que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre commissaire pour qu’il statue à nouveau sur elle, et ce, sans dépens. Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite diverses mesures de réparation :

a.       que la Cour ordonne à la Commission de déclarer que le demandeur a la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

b.      subsidiairement, que l’affaire soit renvoyée en se fondant sur le dossier existant, afin de la réexaminer en conformité avec les motifs ou l’ordonnance de la Cour;

c.       subsidiairement encore, que l’affaire soit renvoyée à la Commission en vue de la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué;

d.      que la Cour lui octroie les dépens.

 

[4]               Je suis persuadé qu’il convient de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. La question à trancher consiste à savoir si la Cour doit donner des instructions quant à la décision à rendre.

 

Le contexte

[5]               Le demandeur avait demandé l’asile de pair avec son frère parce que tous deux s’étaient convertis de la religion musulmane au christianisme, quoique auprès d’églises différentes. Leurs prétentions étaient fondées sur l’attitude hostile des musulmans en Égypte à l’endroit des apostats convertis. Dans sa décision écrite, la Commission a déclaré que le demandeur ne s’était pas véritablement converti au christianisme parce qu’il ignorait les principes de base de sa foi. Elle a analysé ensuite une prétention subsidiaire, qu’elle a rejetée pour des motifs de crédibilité en se fondant en partie sur sa conclusion antérieure selon laquelle le demandeur n’avait pas les connaissances qu’aurait une personne convertie au christianisme.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               Le demandeur, qui s’était converti au christianisme en se joignant à l’Église unie, avait déclaré que cette dernière n’avait que deux sacrements : la communion (l’Eucharistie) et le baptême. La Commission a rejeté en ces termes la prétention du demandeur :

 

Il ne me semble pas raisonnable qu’une personne qui va à l’église chaque semaine et qui lit la Bible ne connaisse pas les principes fondamentaux de sa foi, comme l’appellation des sacrements et leur nombre. Pour cette raison, je conclus que le demandeur d’asile ne s’est pas réellement converti au christianisme.

 

La norme de contrôle applicable

[7]               Aux termes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, une décision peut être infirmée si elle est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont la Cour dispose.

 

Analyse

[8]               Il ressort de la preuve documentaire que le demandeur avait raison : l’Église unie ne célèbre que deux sacrements, l’Eucharistie et le baptême. De plus, la Commission avait d’abord déclaré qu’elle admettait que la réponse du demandeur était digne de foi, mais elle a changé plus tard sa conclusion dans sa décision écrite pour cause d’erreur. Le défendeur reconnaît que la Commission s’est trompée et il a demandé une ordonnance faisant droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               La Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas réellement converti au christianisme, et qu’il ne l’avait fait que par souci de commodité. La Commission est tenue de rendre une décision en se fondant sur des éléments de preuve et non sur des conjectures. La seule mention sommaire qu’elle a faite à des éléments de preuve relatifs à la conversion au christianisme est erronée. Plus loin dans sa décision, en traitant du récit du demandeur sur ses problèmes avec les autorités égyptiennes pour des questions de nature religieuse, elle mentionne que ces « [problèmes] pourraient être attribuables à d’autres raisons que celles révélées au tribunal », ce qui est manifestement conjectural.

 

[10]           La preuve du demandeur au sujet de sa croyance religieuse grandissante n’était ni brève ni sommaire. Il avait été interrogé au sujet de sa religion par l’agent de protection des réfugiés ainsi que par son propre conseil. Il avait également produit des éléments de preuve documentaires non contestés.

 

[11]           Non seulement le demandeur avait-il répondu correctement à la question concernant les sacrements, mais il avait produit des documents à l’appui de sa conversion au christianisme. Il ne s’agissait pas d’une conversion récente. Il s’était converti par baptême, un des sacrements de l’Église unie. Il avait produit un certificat de baptême prouvant qu’il avait été baptisé en 2003, et le ministre de l’Église unie avait confirmé son adhésion et sa contribution à la communauté de l’Église unie depuis cette époque. L’épouse de son frère, que la Commission a reconnue comme un témoin digne de foi, a déclaré que le demandeur préférait que l’on utilise son nom de baptême. Le demandeur a lui aussi témoigné et produit des documents sur son intérêt antérieur à l’égard du christianisme et sur les difficultés qu’il avait eues de ce fait en Égypte. La Commission ne fait aucunement référence à ces documents.

 

[12]           En définitive, je conclus que la Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[13]           Pour ce qui est des mesures de réparation, je demeure conscient que la demande du demandeur avait été jointe à celle de son frère. Ce dernier avait subi un grave accident qui l’empêchait de témoigner, et le demandeur avait par la suite demandé que son dossier soit traité séparément. La Commission a décidé de ne pas disjoindre les demandes parce que des éléments de preuve avaient déjà été révélés au sujet des deux frères.

 

[14]           À l’audience, l’épouse du frère a témoigné au sujet de la conversion de son époux au christianisme, et plus précisément au fait de se joindre à l’Église catholique romaine. Elle a déclaré aussi connaître le demandeur sous son nom de baptême, ce qui confirme selon moi sa conversion au christianisme. Je note que la demande d’asile du frère a été acceptée par la Commission au motif que celui-ci s’était converti au christianisme. Je ne vois aucune différence entre les demandes des deux frères, sinon que l’un des deux a choisi de se joindre à l’Église catholique romaine et l’autre à l’Église unie. La question concernant la conversion au christianisme est en soi déterminante, et a été acceptée comme telle par la Commission dans le cas du frère.

 

[15]           Aux termes de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour est habilitée à donner des instructions quant à la façon de trancher de nouveau une affaire. Il s’agit là d’un pouvoir extraordinaire. Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31, la Cour d’appel fédérale conclut ce qui suit au paragraphe 14 :

Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu’elle annule la décision d’un tribunal, il s’agit d’un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs : […] Ce pouvoir doit rarement être exercé dans les cas où la question en litige est de nature essentiellement factuelle (Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (C.F. 1re inst.)), surtout lorsque, comme en l’espèce, le tribunal n’a pas tiré la conclusion pertinente.

 

[16]           On m’a soumis un certain nombre de décisions dans lesquelles la Cour a renvoyé l’affaire avec et sans instructions. Dans Antwi-Boasiako c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 96 F.T.R. 186 (C.F. 1re inst.), la Cour a ordonné que l’affaire soit réexaminée au motif que la demande d’asile du demandeur reposait sur un minimum de fondement. Dans Dhanai c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1994] A.C.F. no 636, le juge Rothstein, qui siège aujourd’hui à la Cour suprême du Canada, a renvoyé l’affaire en donnant comme instruction que le demandeur ait la possibilité de produire des éléments de preuve additionnels.

 

[17]           La Section de la protection des réfugiés a compétence pour connaître de la demande d’asile d’un demandeur en vertu des articles 162 et 170 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. L’affaire est donc renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle. Cette affaire sera tranchée sur le dossier, portera sur la question de savoir si le demandeur s’est converti de la foi musulmane au christianisme et on y tiendra compte des éléments de preuve additionnels que le demandeur décidera de produire.

 

[18]           À mon avis, la présente affaire ne se prête pas à la certification d’une question grave de portée générale.

 

[19]           Étant donné que les éléments de preuve figurant au dossier seront accessibles lors du réexamen et que le défendeur ne s’est pas opposé à la demande de contrôle judiciaire elle-même, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      l’affaire est renvoyée pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire en conformité avec les motifs donnés dans la présente ordonnance;

3.      aucune question de portée générale n’est certifiée;

4.      aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5491-09

 

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMED ABED (ALIAS MOHAMED HASSAN ABED) c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 JUIN 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 NOVEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Rocco Galati

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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