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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20101117

Dossier : IMM-174-10

Référence : 2010 CF 1116

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

SUKHNINDER SINGH GILL

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), présentée par Sukhninder Singh Gill (le demandeur) à l’égard d’une décision de la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI). Le 21 décembre 2009, après audition de l’appel interjeté contre la décision de la Section de l’immigration, la SAI a pris une mesure de renvoi à l’encontre du demandeur. Comme la Section de l’immigration, la SAI a conclu que, le mariage du demandeur à sa répondante étant un mariage de convenance, la demande de résidence permanente fondée sur l’appartenance à la catégorie du regroupement familial était entachée par la présentation erronée d’un fait important. La SAI a aussi conclu à l’absence de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.

 

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[2]               Le demandeur est citoyen indien. Ses parents et ses deux sœurs sont devenus résidents permanents du Canada après avoir été parrainés par sa sœur aînée. Le demandeur n’avait pas été parrainé, à cette époque, car il avait dépassé la limite d’âge et n’était pas étudiant à temps plein.

 

[3]               La première femme du demandeur, Kulwinder Kaur, était résidente permanente ou citoyenne canadienne en 2000 (le dossier n’est pas clair sur ce point). Elle s’est rendue en Inde où elle a épousé le demandeur. Le mariage, qui avait été arrangé par les familles des époux, a été célébré le 9 février 2000. Le demandeur affirme que le couple a cohabité pendant une semaine et que le mariage a été consommé. Kulwinder Kaur est revenue au Canada une semaine plus tard, prétendument pour terminer ses études. Elle a présenté une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial, et le demandeur est arrivé à Toronto le 13 février 2001.

 

[4]               Le demandeur affirme qu’à son arrivée sa femme l’a informé qu’elle avait un petit ami en Colombie‑Britannique et qu’elle voulait mettre fin à leur union. Elle a quitté Toronto le 15 février 2001 pour retourner en Colombie‑Britannique. Elle a entamé une procédure de divorce, mais la requête n’a jamais été signifiée au demandeur, et celui‑ci n’a eu connaissance de la démarche qu’en recevant le jugement, devenu définitif le 12 novembre 2001. Dans sa requête, Kulwinder Kaur fait état du 18 février 2000 comme date de séparation et déclare que les parties n’ont jamais cohabité.

 

[5]               Le demandeur a ensuite épousé une citoyenne indienne en 2004, et il a présenté une demande de parrainage à son égard. L’Agence des services frontaliers du Canada a donc entrepris une enquête, et le demandeur a fait l’objet d’un rapport portant qu’il avait fait une présentation erronée dans sa demande originale de résidence permanente. Les réponses données par Kulwinder Kaur aux questions qui lui ont été posées n’indiquent pas que la séparation avait été causée par l’existence d’un petit ami, mais plutôt que le mariage avait rapidement connu l’échec parce que le demandeur était très attaché aux traditions et qu’elle ne l’était pas. Une mesure de renvoi a été prononcée contre le demandeur le 30 juillet 2008; il l’a portée en appel le 20 août 2008. L’audience s’est tenue les 22 septembre et 26 novembre 2009, et la SAI a rendu sa décision le 21 décembre 2009.

 

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[6]               La SAI a rejeté l’argument préliminaire du demandeur (soumis à l’audience) selon lequel la Loi actuelle est inapplicable et ne peut donner lieu à une mesure de renvoi puisque la conduite en cause est antérieure à cette loi et n’a pas fait l’objet d’un rapport en application des articles 20 ou 27 de la loi antérieure, la Loi sur l’immigration (L.R.C. 1985, ch. I‑2). Selon la SAI, les enquêtes n’étaient assujetties à aucun délai et il n’était pas nécessaire qu’une enquête ait été entreprise en vertu de l’ancienne loi. Elle a conclu que la date de la conduite en cause ne revêtait aucune importance lorsqu’il s’agissait d’ouvrir une enquête.

 

[7]               Relativement à la validité de la mesure de renvoi, la SAI a considéré que les contradictions entre le témoignage du demandeur et la requête en divorce de sa femme au sujet de la date de la séparation et leur témoignage contradictoire relativement à la période de cohabitation n’étaient pas fatals en soi mais que, combinés à la séparation survenue à l’arrivée du demandeur au Canada et au peu d’efforts déployés par le demandeur pour se réconcilier avec sa femme, ils prenaient plus d’importance. Elle a conclu que s’il s’était agi d’un mariage véritable, le demandeur ne se serait pas contenté de quelques coups de téléphone et aurait mis plus d’ardeur à se réconcilier avec sa femme, et considéré que, même si le mariage avait été consommé en Inde, ce facteur n’était pas le seul applicable. Elle a jugé qu’aucun des témoignages n’était crédible. Estimant que le mariage n’était pas authentique et que cela constituait une présentation erronée d’un fait important relatif à une question pertinente, dont résultait une erreur d’application de la Loi, elle a conclu que le demandeur n’aurait pas dû obtenir le statut de résident permanent.

 

[8]               Concernant les motifs d’ordre humanitaire, la SAI s’est reportée aux facteurs applicables énumérés dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, en indiquant qu’il ne s’agissait pas là d’une liste exhaustive et que les facteurs étaient discrétionnaires. Selon elle, la présentation erronée relative au mariage était grave par nature, mais le demandeur était bien établi au Canada. Elle a considéré que la mère du demandeur, dont la santé était fragile, devrait déménager si le demandeur était renvoyé, mais que les sœurs de ce dernier pourraient s’occuper de leur mère. Elle a signalé que l’épouse et l’enfant du demandeur se trouvaient en Inde, que depuis 2004 le demandeur y séjournait régulièrement pendant de longues périodes et qu’il connaissait le commerce des vidéos et de la musique qui se pratiquait là‑bas et pourrait y poursuivre une activité professionnelle semblable à celle qu’il exerçait au Canada. La SAI a tenu compte de l’intérêt du fils du demandeur mais, estimant que l’enfant était établi en Inde et que la preuve n’indiquait pas qu’il serait mieux au Canada, elle a jugé qu’il s’agissait là d’un facteur neutre. Elle a conclu que, tout bien considéré, les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour permettre au demandeur de rester au Canada, compte tenu que le renvoi résultait de la propre présentation erronée des faits par le demandeur.

 

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            A.  Respect du délai applicable à l’enquête relative au mariage

[9]               Le demandeur a répété l’argument qu’il avait soumis lors de l’audience devant la SAI et auquel celle‑ci avait fait allusion dans sa décision, selon lequel il ne pouvait faire l’objet d’un rapport parce qu’aux termes de l’article 321 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), les dispositions transitoires ne s’appliquent pas en l’espèce du fait qu’aucun rapport n’a été établi contre lui sous le régime de l’article 27 de l’ancienne loi. Cet argument ne tient pas. La SAI a bien interprété la Loi à mon avis. L’article 44 de la loi actuelle n’énonce pas que la conduite fondant l’interdiction de territoire alléguée doit être postérieure à l’entrée en vigueur de la Loi. Je suis d’avis que les dispositions transitoires établies à l’article 321 du Règlement ne s’appliquent qu’aux rapports déjà établis et non aux conduites non encore exposées, autrement les présentations erronées non découvertes avant l’entrée en vigueur de la Loi seraient soustraites à tout examen.

 

B.  Authenticité du mariage du demandeur

[10]           Le demandeur prétend que sa femme et lui ayant témoigné que le mariage était authentique, la conclusion de la SAI a été tirée sans égard à la preuve et constitue une conclusion de fait erronée. Il fait valoir que la date de séparation déclarée dans son témoignage diffère de celle qui figure dans la requête en divorce parce que Kulwinder Kaur a donné une fausse date afin que son divorce soit prononcé plus rapidement. Il affirme qu’il lui a été impossible de faire corriger la date puisqu’il n’a été informé de la procédure que lorsqu’il a reçu le jugement.

 

[11]           Suivant le défendeur, bien que le demandeur soit en désaccord avec la décision de la SAI, il n’a pas démontré qu’elle procède d’une erreur susceptible de contrôle justifiant son infirmation par notre Cour. Le défendeur souligne qu’il était loisible à la SAI de conclure que les contradictions et invraisemblances du témoignage du demandeur, combinées, étaient suffisamment importantes pour faire conclure au mariage de convenance. Je donne raison au défendeur sur ce point. Les arguments du demandeur ne font que répéter que le mariage est authentique sans signaler d’erreur susceptible de contrôle commise par la SAI.

 

[12]           Le demandeur a déposé un affidavit supplémentaire accompagné de pièces additionnelles afin d’étoffer sa position au sujet de l’authenticité du mariage. Je partage l’avis du défendeur que le demandeur ne peut, au moment du contrôle judiciaire, apporter de nouveaux éléments de preuve visant à suppléer les éléments de son témoignage jugés non crédibles par la SAI. Ce point a été clairement établi dans des décisions comme Nejad c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1444, paragraphes 15 à 17, et Deol c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 406, paragraphes 44 à 46.

 

C.  Motifs d’ordre humanitaire

[13]           Selon le demandeur, la SAI n’a pas accordé l’attention voulue à la preuve soumise lorsqu’elle a conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour faire échec à la mesure de renvoi. Il allègue que la SAI a estimé à tort que ses sœurs prendraient soin de sa mère malade, alors qu’il est la seule personne à pourvoir aux besoins de cette dernière. Il soutient aussi que sa situation serait pénible en Inde parce qu’en dehors de sa femme et de son fils il n’y a aucun parent proche et qu’il n’est pas garanti qu’il pourra s’y trouver un travail dans le domaine du vidéo et de la musique et subvenir aux besoins de sa famille.

 

[14]           Le défendeur cite l’arrêt Legault c. Minisre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2002] 4 C.F 358, au paragraphe 11, à l’appui de son argument que ce n’est pas « le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents ». Il soutient que, compte tenu des facteurs applicables en l’espèce, notamment la gravité de la présentation erronée, la présence de la femme et de l’enfant du demandeur en Inde, la fréquence des visites de celui‑ci dans ce pays et sa connaissance du commerce des vidéos et de la musique en Inde, la décision de la SAI n’est pas déraisonnable.

 

[15]           À mon avis, le demandeur n’a pas non plus invoqué, à cet égard, d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAI. Il n’est pas d’accord avec la pondération des facteurs effectuée en l’espèce, mais il ne fait que répéter la preuve dont disposait la SAI et ajouter des explications, sans démontrer que la SAI a tiré une conclusion déraisonnable.

 

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[16]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[17]           Aucune question n’est certifiée.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 21 décembre 2009 est rejetée.

 

 

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-174-10

 

INTITULÉ :                                                   SUKHNINDER SINGH GILL c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rameshwer Sangha                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Alexis Singer                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sangha Law Office                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Brampton (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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