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Date : 20101115

Dossier : T-1162-09

Référence : 2010 CF 1142

Toronto, Ontario, 15 novembre 2010

En présence de madame la protonotaire Milczynski

 ENTRE :

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

UNITED STATES STEEL CORPORATION
ET U.S. Steel CANADA INC.

 

 

 

intimées

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]  Le procureur général du Canada a déposé la présente requête le 15 octobre 2010 pour obtenir une ordonnance lui accordant l’autorisation de modifier le paragraphe 3 de l’avis de demande, en vue d’obtenir une réparation différente de celle qui avait été demandée au départ, afin de tenir compte du temps écoulé depuis l’introduction de la demande.  Pour les motifs énoncés ci-dessous, la requête du procureur général du Canada est accueillie.

 

[2]   La demande a été introduite le 17 juillet 2009 par le procureur général du Canada en vertu de l’article 40 de la Loi sur Investissement Canada en vue de l'obtention, entre autres, d'une ordonnance obligeant les intimées, la United States Steel Corporation et la U.S. Steel Canada Inc. (ensemble « U.S. Steel ») à se conformer à deux des engagements pris par la U.S. Steel relativement à son acquisition de Stelco Inc. pendant le reste de la période pour laquelle les engagements ont été pris. Ces deux engagements (l’engagement en matière de production et l’engagement en matière d’emploi, respectivement) devaient être remplis sur une période de trois ans, soit  du 1er novembre 2007 au 31 octobre 2010 (la « durée »), et sont les suivants :

[traduction] « Engagement en matière de production :  L’investisseur [U.S. Steel] augmentera le niveau annuel de production des installations de l’entreprise canadienne d’au moins 10 % sur la durée (à l’exclusion des périodes d’interruption en raison de projets d’immobilisations) par rapport à la moyenne des trois dernières années civiles terminées. »

 

[3]  Comme l’indique l’avis de demande, selon le procureur général du Canada, l’engagement de production devait tenir compte de la production annuelle moyenne de Stelco Inc. pour les trois années civiles précédant l’acquisition de U.S. Steel (qui était de 3 950 000 tonnes), et établir un volume annuel cible de production d’acier pour l’engagement de production plus élevé de 10 %, soit à au moins 4 345 000 tonnes d’acier, et un volume total à la fin de la durée d’au moins 13 035 000 tonnes (3 x 4 345 000). 

 

« Engagement en matière d’emploi :  Au cours de la durée, l’investisseur maintiendra un niveau d’emploi global moyen dans l’entreprise canadienne d’au moins 3 105 employés en équivalent temps plein si le laminoir à barres continue d’être exploité, ou de 2 790 employés à temps plein si le laminoir à barres est vendu ou fermé. »

 [4]  Au moment où la demande a été introduite, il ne restait que 15 mois à la durée.  Il était déjà assez optimiste de présumer qu’au cours de ces 15 mois, les diverses étapes de cette demande pourraient être complétées afin que la demande puisse être entendue et tranchée, et que les engagements soient satisfaits.  La contestation constitutionnelle déposée par U.S. Steel à l’égard des articles 39 et 40 de la Loi sur Investissement Canada, qui, selon le procureur général du Canada, constituait une contestation « indépendante » ou « distincte » et devrait être tranchée en premier lieu comme question préliminaire, a établi la condition voulant que cette demande ne puisse être entendue qu’après l’expiration de la durée.  Cette requête a été déposée en octobre 2009, entendue en janvier 2010 et rejetée le 14 juin 2010.  Elle fait actuellement l’objet d’un appel.

 

[5]  Par conséquent, étant donné que la durée des engagements en matière de production et d’emploi est maintenant expirée, le procureur général du Canada cherche à faire respecter les engagements par les modifications suivantes demandant à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à U.S. Steel de :

 

(i)  produire X millions de tonnes d’acier avec l’entreprise canadienne selon la définition de la présente demande [l’ancienne Stelco], à raison de 4 345 000 tonnes par année suivant la délivrance de l’ordonnance de la Cour dans cette affaire, suivant laquelle :

  X = Y - Z

   Y = 13 035 000 tonnes

 Z = somme totale des tonnes d’acier produites par l’entreprise canadienne au cours de ces mois pendant la durée, selon la définition de la présente demande, lorsque la production d’acier était égale ou supérieure à 362 083 tonnes;

(ii)    maintenir un niveau d’emploi moyen de 3 105 employés en équivalent temps plein pendant X mois suivant la délivrance de l’ordonnance de la Cour dans cette affaire, pour laquelle :

    X = Y - Z

    Y = 36 mois

Z = nombre de mois pendant la durée au cours desquels le niveau d’emploi moyen de l’entreprise canadienne était égal ou supérieur à 3 105 employés en équivalent temps plein.

[6]  Le procureur général du Canada soutient que ces modifications sont conformes au redressement demandé à l’origine, en ce sens qu’elles visent à faire en sorte que la U.S. Steel respecte ses engagements, ne font que repousser le moment où la U.S. Steel doit satisfaire aux engagements initiaux et exigent seulement que la U.S. Steel comble le manque à gagner.  Dans la demande, à l’origine, le procureur général du Canada avait demandé à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à U.S. Steel de se conformer immédiatement aux engagements en matière de production et d’emploi par :

(i)    une augmentation de la production d’acier à l’entreprise canadienne, telle que définie dans la présente demande, de sorte que :

(a)    entre le 1er novembre 2007 et le 31 octobre 2009, la production d’acier de l’entreprise canadienne soit supérieure ou égale à un total de 8 690 000 tonnes (2 x 4 345 000);

(b)  entre le 1er novembre 2009 et le 31 octobre 2010, la production d’acier de l’entreprise canadienne soit supérieure ou égale à 4 345 000 tonnes nettes;

(ii)    toutes les mesures nécessaires soient prises pour s’assurer que, pendant la durée des engagements définis dans la présente demande, les intimées maintiennent un niveau d’emploi moyen de 3 105 employés à temps plein dans l’entreprise canadienne.

[7]  Cependant, les modifications proposées créent de nouvelles obligations en ce sens que la durée originale est prolongée et semble se poursuivre jusqu’à ce que les engagements soient remplis.  De plus, en ce qui concerne la production, le procureur général du Canada a ajouté une nouvelle durée qui n’existait pas dans l’engagement initial en matière de production.  Si aux fins de la présente requête, comme l’affirme le procureur général du Canada, l’on suppose que l’engagement en matière de production a nécessité une production annuelle d’au moins 4 345 000 tonnes d’acier et, sur la durée, une production totale d’au moins 13 035 000 tonnes d’acier, le procureur général du Canada propose de ne reconnaître que la production mensuelle excédant les 362 083 tonnes (soit la cible annuelle minimale de 4 345 000 tonnes divisée par 12 mois).  Toute quantité produite en deçà de ce niveau cible mensuel, peu importe le montant réel produit ou la distance par rapport à la cible mensuelle, n’est pas créditée pour compenser le manque à gagner sur la production des 13 035 000 tonnes entreprise à l’origine.  En d’autres termes, en vertu des modifications proposées et du calcul de « X », la U.S. Steel pourrait être tenue de produire plus que le manque à gagner ou plus de 13 035 000 tonnes d’acier, puisque « Z » a défini quel crédit ou quelle compensation sera accordé à la U.S. Steel pour la production réelle pendant la durée aujourd'hui expirée.  Dans la mesure où la quantité cible mensuelle indiquée par le procureur général du Canada dans cette demande n’a pas été produite à quelque moment que ce soit pendant la durée, l’engagement en matière de production serait repris dans sa totalité.  Une approche semblable est adoptée pour l’engagement en matière d’emploi.

[8]  Sans surprise, la U.S. Steel s’oppose vigoureusement aux modifications proposées et affirme qu’elles :

-   constituent une réécriture des engagements originaux et imposent de nouvelles obligations et modalités qui n’ont pas été demandées au départ ni convenues par les parties;

-   sont alléguées sans que la Cour ait la compétence d’accorder la réparation demandée;

-   exigent qu’une nouvelle demande soit émise en vertu de l’article 39 de la Loi sur Investissement Canada, puisque la première (et la seule) demande était, selon U.S. Steel, uniquement pour la première année de la durée;

-   privent la U.S. Steel de la possibilité de réagir en ce qui concerne la deuxième et la troisième années de la durée pour ce qui est de savoir si la U.S. Steel se conformait aux engagements ou pourrait justifier son défaut de conformité;

-  imposent pour une période déjà passée de nouvelles normes de rendement mensuelles ou des exigences relatives aux niveaux de production et d’emploi qui ne peuvent pas être modifiées par U.S. Steel, mais qui, en vertu des modifications proposées, ont un effet rétroactif.

[9]  À l'examen du dossier de la requête, il ressort que la demande originale émise en vertu de la Loi sur Investissement Canada et l’avis de demande original renvoient clairement à l’ensemble de la durée et réclament des mesures correctives ou une ordonnance couvrant l’ensemble de la durée afin d’assurer le respect intégral des engagements en matière de production et d’emploi.  Les questions de savoir si la demande était prématurée, si elle était valide seulement pour la première année du mandat et si une nouvelle demande pour les deuxième et troisième années est nécessaire constituent déjà des points en litige dans la demande telle qu’elle a été rédigée à l’origine et ne découlent pas uniquement des modifications proposées.  Ce sont aussi des questions qui devraient être laissées à l’appréciation du juge qui entend la demande.  Il semble également, d’après cette requête, que les parties pourraient comprendre différemment le sens des engagements de production et d’emploi et les véritables exigences imposées à la U.S. Steel pendant la durée pour remplir ces engagements.  Cette question doit aussi être laissée à l’audition de la demande sur le fond.

[10]  En ce qui concerne les modifications proposées à l’avis de demande, elles sollicitent une ordonnance de remplir les engagements après la date de leur exécution en vertu de l’accord original et, ce faisant, elles cherchent à faire prescrire ou limiter la compensation ou le crédit qui est à la disposition de U.S. Steel pour les niveaux d’emploi et pour l’acier qui a effectivement été produit pendant la durée des engagements d’une manière qui n’a peut-être pas été envisagée par les parties au moment où les engagements ont été pris. 

[11]  La décision d’accorder ou non l’autorisation d’apporter les modifications relève des Règles des Cours fédérales et d’une jurisprudence bien établie.  La règle 75 des Règles prévoit ce qui suit :

75 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

(2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

b) une nouvelle audience est ordonnée; c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

[12]  Dans Canderel Ltd. c. Canada [1994] 1 CAF 211, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[L]a règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

[13]  Dans Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp. 2009 CF 555, la Cour fédérale a déclaré :

[TRADUCTION] Le critère de modification d’un acte de procédure doit être appliqué de façon cohérente avec le critère de radiation d’un acte de procédure.  Les modifications ne seront refusées et les actes de procédure ne seront radiés que s’il est clair et évident que la demande ne révèle aucune cause d’action raisonnable.  Dans l’arrêt Enoch Band of Stony Plain Indians c. Canada [1993] A.C.F. no 1254, la Cour d’appel fédérale a indiqué très clairement que la Cour ne devrait [traduction] « refuser des modifications que dans les cas clairs et évidents où il n’existe aucun doute ».

[14]  Je suis convaincu que les modifications proposées, si elles avaient été incluses dans l’avis initial, survivraient à une requête en radiation.  C’est un cas de première impression qui a des ramifications importantes. Il s’agit de la première demande présentée par le procureur général du Canada en vertu des articles 39 et 40 de la Loi sur Investissement Canada, et le pouvoir que l’article 40 de la Loi confère à la Cour n’a jamais été exercé.  Ce pouvoir est vaste : la Loi énonce que lorsque la Cour décide, à la conclusion de l’audition, que le ministre était justifié d’envoyer une demande en vertu de l’article 39 de la Loi, la Cour peut rendre toute ordonnance que les circonstances exigent, selon elle, et elle n’est pas limitée par les options prévues aux alinéas 40a) à g) de la Loi.  À cet égard, bien que ce soit peut-être ambitieux, il n’est ni évident ni certain que la Cour est dans l’impossibilité d’accorder au moyen des modifications le redressement demandé par le procureur général du Canada.

[15]  De plus, si la Cour accorde l’autorisation de modifier l’avis de demande de la manière proposée par le procureur général du Canada, rien n’empêche U.S. Steel de soulever des arguments quant au caractère prématuré, à la validité ou à la justification de la demande, et, si la demande passe à l’étape de la réparation, U.S. Steel peut présenter tous les arguments qu’elle souhaite au sujet de la pertinence ou de la légalité du redressement demandé par le procureur général du Canada ou de l’ordonnance, le cas échéant, que la Cour devrait accorder.  Par conséquent, je ne suis pas convaincu que l’on porte à U.S. Steel un préjudice qui ne peut être compensé par l’adjudication des dépens. 

 [16]  Malheureusement, le moment choisi pour déposer la présente requête retardera davantage la présentation de la demande à une audience.  Il aurait fallu présenter cette requête plus tôt ou réclamer le redressement dès le départ, dans la demande initiale.  Comme il a été mentionné ci-dessus, il aurait dû être clair que même si cette demande avait été entendue et tranchée rapidement, il était douteux que toute ordonnance exigeant la conformité, telle que demandée au départ, puisse être significative ou mise en œuvre dans les quelques mois qui seraient restés dans la durée.  Cette réalité est apparue à l’évidence il y a un an, après la contestation constitutionnelle du projet de loi.  Entre-temps, les parties ont déposé leur preuve par affidavit conformément aux règles 306 et 307 des Règles des Cours fédérales dans le cadre de la demande, telle que rédigée à l’origine. En réponse aux affidavits déposés par U.S. Steel, le procureur général du Canada est déjà en train de présenter une requête en autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires, à l’encontre desquels U.S. Steel peut demander l’autorisation de déposer d’autres éléments de preuve.  U.S. Steel a également indiqué à l’audition de la présente requête qu’elle demandera probablement l’autorisation de déposer d’autres éléments de preuve s'il est fait droit à la requête en réponse au nouveau redressement demandé.  Il ne serait pas étonnant que le procureur général du Canada demande une autre autorisation de réponse à ces nouveaux éléments.  Bien que les deux parties se soient engagées à faire en sorte que la demande soit entendue rapidement, celle-ci risque de s’embourber dans ces étapes procédurales interlocutoires concernant l’échange de preuves.

 [17]  Par conséquent, la présente requête étant accueillie, les parties doivent faire le point sur le processus approprié pour l’échange de la preuve de façon ordonnée et en temps opportun, sur toute entente concernant la production de documents, sur les contre-interrogatoires et sur toute requête découlant des contre-interrogatoires.  Le procureur général du Canada et U.S. Steel doivent envisager un échéancier raisonnable et réalisable et soumettre une proposition à la Cour. 


ORDONNANCE

 

LE TRIBUNAL ORDONNE :

1.  La requête est accueillie par les présentes.

2.  Toute partie qui souhaite présenter des observations sur les dépens associés à la présente requête doit déposer des observations écrites d’au plus trois (3) pages dans les dix (10) jours suivant la date de la requête.

3.  Dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance, le procureur général du Canada et U.S. Steel doivent présenter une proposition conjointe pour les étapes et le calendrier de l’échange ordonné de la preuve, et y inclure les dates de leur disponibilité mutuelle et celle des intervenants pour une téléconférence sur la gestion de cas.

« Martha Milczynski »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-1162-09

INTITULÉ :  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. UNITED STATES STEEL CORPORTION ET U.S. STEEL CANADA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 29 octobre 2010

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

DATE DES MOTIFS :  Le 15 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

John L. Syme

Jeffrey G. Johnston

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael E. Barrack

Ronald Podolny

Marie Henein

 

POUR LES INTIMÉES

 

 Jeffrey A. Kaufman

(Pour Lakeside Steel)

 Robert Champagne

(Pour United Steelworkers Union)

 

 

INTERVENANTS

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John L. Syme

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thornton Grout Finigan LLP

Toronto (Ontario)

 Henein & Associates

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

 

 

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