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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20101116

Dossier : IMM-2365-10

Référence : 2010 CF 1145

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

BAO SHENG XU

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au sujet d’un « déserteur de navire » originaire de Chine. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a accueilli sa demande d’asile.

 


II.         CONTEXTE

[2]               M. Xu affirme avoir été persécuté en raison de sa foi chrétienne. En 2004, la police chinoise a allégué que Xu se livrait à des activités chrétiennes illicites et l’a obligé à se présenter tous les mois aux services de police. Lorsque son employeur a eu vent de ses démêlés avec la police, il l’a congédié et M. Xu affirme que personne d’autre n’a voulu l’employer.

 

[3]               Il semblerait que M. Xu soit parvenu, par l’intermédiaire de ses relations familiales, à se faire engager comme marin. Malgré ses ennuis avec la police, il a pu obtenir un passeport et en avril 2005 a quitté la Chine à bord d’un navire.

 

[4]               Le défendeur reconnaît être venu au Canada quatre fois avant d’abandonner son navire. Il s’était également rendu aux États-Unis, en Corée du Sud et même en Chine, mais le demandeur n’a pas fait valoir qu’il aurait pu se réclamer à nouveau de la protection de son État d’origine.

 

[5]               Il est arrivé au Canada en 2005, mais ce n’est qu’en avril 2007 qu’il a déposé sa demande d’asile et reçu le baptême chrétien.

 

[6]               Son témoignage comprenait toute une série de contradictions, mais la Commission l’a néanmoins jugé crédible et a accueilli sa demande d’asile.

 

III.       ANALYSE

[7]               Les questions soulevées en l’espèce sont celles de savoir a) si la Commission n’a, effectivement, pas suffisamment motivé sa décision; et b) si la Commission a commis une erreur en parvenant, sur des points essentiels, à des conclusions déraisonnables.

 

[8]               La Cour estime que la décision de la Commission étant insuffisamment motivée, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question même si, sur celle-ci, la Cour entretient là encore des réserves.

 

[9]               La question de la motivation suffisante ou non d’une décision est une question intéressant l’équité procédurale. Elle relève par conséquent de la norme de contrôle de la décision correcte. La deuxième question, concernant les conclusions de fait fondées sur la crédibilité, relève de la norme de la raisonnabilité, appliquée avec toute la déférence due aux décisions de la Commission.

 

[10]           Si la politique jurisprudentielle exige qu’une décision soit suffisamment motivée, c’est notamment pour que les parties sachent quelles sont les raisons justifiant la décision, qu’elles puissent décider des recours pouvant être exercés, et aussi pour assurer la transparence et l'intelligibilité qu’exigent l’équité, la légalité et l’exercice de l’autorité judiciaire. Dans l’affaire Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 172, au par. 81, le juge Lemieux s’est, à cet égard, prononcé en ces termes :

81     M. le juge Hugessen, alors juge à la Cour d'appel fédérale, s'est exprimé de la façon suivante dans l'arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 :

 

Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration, L.R. (1985), ch. I-2 impose à la section du statut l'obligation de « motiver par écrit » toute décision défavorable à l'intéressé. Pour satisfaire à cette obligation, il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler

 

[…]

 

 

Voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Koriagin, 2003 CF 1210, au par. 5 :

5     Pour satisfaire à l'obligation prévue à l'alinéa 69.1 (11)b) de la Loi, les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles afin de permettre au Ministre ou à l'intéressé de comprendre les motifs sous-jacents la décision, et le cas échéant, advenant un appel de la décision, afin de permettre à la Cour de s'assurer que la Section du statut de réfugié a exercé sa compétence de façon conforme à la Loi. Voir notamment : Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) (QL); Ministre de la citoyenneté et de l'immigration c. Roitman, [2001] A.C.F. no 718 (C.F. 1re inst.) (QL); Zannat c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration 2000 CanLII 15337 (F.C.), (2000), 188 F.T.R.148; Zoga c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration, [1999] A.C.F. n1253 (C.F. 1re inst.) (QL); Khan v. Minister of Citizenship and Immigration, [1998] F.C.J. no 1187 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

[11]           Cette règle est dans l’intérêt du demandeur d’asile comme dans l’intérêt du ministre. Il ne s’agit aucunement d’un droit à sens unique.

 

[12]           La question de savoir si les motifs étaient suffisants ou non va dépendre des faits de l’affaire et va donc devoir être évaluée par rapport à l’ensemble des éléments du dossier. La règle exige que les motifs soient « suffisants », non « parfaits ».

 

[13]           En l’espèce, les motifs exposés sont défectueux et insuffisants au niveau de l’analyse. Ils ne répondent en rien aux preuves décisives et au témoignage contradictoire produits devant la Cour. Voici quelques exemples seulement des problèmes que soulève la décision en cause.

 

[14]           La Commission n’a pas cherché à analyser les objections formulées par le ministre au niveau de la crédibilité et de l’identité du demandeur d’asile, et n’en a pas tenu compte pour apprécier la véracité de l’intéressé. La Commission n’a pas retenu les contradictions sensibles entre l’entrevue avec les services de CIC, le FRP de l’intimé, et les témoignages livrés à l’audience.

 

[15]           La Commission est parvenue, au sujet de ce qui pourrait arriver à Xu s’il rentrait en Chine, à des conclusions contradictoires. La Commission a d’abord estimé qu’il serait arrêté, puis a dit qu’on ne savait pas très bien s’il serait arrêté ou non.

 

[16]           La Commission a reconnu à Xu le statut de réfugié au sens de la Convention en partie en raison de ses opinions politiques, puis a conclu qu’on ne savait pas très bien, à vrai dire, s’il serait considéré comme un opposant politique.

 

[17]           Quant à savoir s’il y avait des chances que la police arrête, retienne et torture Xu sans que celui-ci ait droit à la moindre garantie procédurale, la Commission a simplement dit qu’[traduction] « il ressort clairement des documents […] », sans mentionner les contradictions que recelaient les documents en question.

 

[18]           La question de la PRI ne fait l’objet d’aucune analyse, la Commission ne faisant que conclure à l’inexistence d’une PRI. Aucun effort pour éclaircir le fait que seule la police locale posait un problème ou pour répondre à l’absence de tout élément de preuve démontrant que la police se lancerait vraisemblablement à ses trousses. Aucune prise en compte, non plus, du fait que Xu était rentré en Chine au moins une fois sans éprouver de difficultés et qu’avant de s’engager comme marin, il n’avait pas même essayé d’aller s’installer dans une autre région de Chine.

 

[19]           Pris dans leur ensemble et sans les soumettre à un examen microscopique, les motifs exposés par la Commission sont insuffisants.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie, la décision de la Commission est annulée, l’affaire étant renvoyée devant la Commission pour être tranchée à nouveau par une formation différente.

 

[21]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission étant annulée et l’affaire renvoyée devant la Commission afin d’être tranchée à nouveau par une formation différente.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2365-10

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            et

 

                                                            BAO SHENG XU

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 26 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                            le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Helen Park

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Robert Kincaid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

ROBERT J. KINCAID LAW CORP.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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