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Date : 20101116

Dossier : IMM‑1185‑10

Référence : 2010 CF 1147

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

RODOLFO NAVA FLORES,

PENNY LYNN HARE

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR. Elle a en outre conclu que le demandeur était exclu de la protection en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, du 28 juillet 1951, 189 UNTS 150 (la Convention) parce qu’il a été déclaré coupable d’un « crime grave de droit commun » à l’étranger. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Contexte

[2]               Le demandeur, Rodolfo Nava Flores, est un citoyen du Mexique, tandis que la demanderesse, Penny Lynn Hare, est une citoyenne des États‑Unis (É.‑U.). Ces deux personnes vivent en union de fait.

 

[3]               M. Nava Flores a quitté le Mexique pour vivre aux É.‑U. en 1993. Il n’avait pas de statut juridique dans ce pays. En juillet 2001, les autorités américaines l’ont arrêté et accusé de voies de fait ‑ violence conjugale au deuxième degré. Il a été reconnu coupable le 27 septembre 2002 et a été condamné à une peine de 12 mois avec sursis assortie de deux ans de probation. Pendant qu’il était encore en probation, M. Nava Flores a été arrêté pour [traduction] « possession d’une arme à feu par un étranger illégal ». M. Nava Flores a plaidé coupable et a été reconnu coupable le 5 novembre 2003. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 24 mois et à une mise en liberté surveillée d’une durée de 24 mois. Le 2 novembre 2004, après avoir purgé sa peine d’emprisonnement (qui a été ramenée à 18 mois, incluant la période déjà purgée), il a été expulsé des É.‑U. au Mexique. M. Nava Flores allègue qu’à ce moment‑là, Mme Hare l’a rejoint à Guadalajara.

 

[4]               Les demandeurs allèguent que, le 17 mars 2005, un groupe de personnes s’identifiant comme des policiers les ont accostés. M. Nava Flores déclare que ces personnes lui ont ordonné de leur payer 250 000 $, somme que son beau‑père leur aurait volée. Un délai de 15 jours lui a été accordé pour rembourser l’argent. Après cette rencontre, M. Nava Flores a pris des mesures pour communiquer avec son beau‑père qui était en prison par suite d’une accusation de trafic de stupéfiants. Son beau‑père lui aurait expliqué que le chef du groupe qui a abordé les demandeurs était M. Palencia Meza. Le beau‑père a dit à M. Nava Flores qu’il s’occupait de l’affaire.

 

[5]               Au cours des 15 jours qui ont suivi l’altercation, les demandeurs allèguent avoir reçu de nombreuses menaces par téléphone. Après cette période, les choses se sont toutefois calmées. Le couple a cru que le beau‑père s’était occupé de l’affaire comme il l’avait dit. Cependant, le 16 mai 2005, en quittant la maison, les demandeurs ont découvert leur chien décapité. Ils ajoutent qu’ils ont trouvé près de l’animal une note les avertissant que, s’ils ne versaient pas l’argent, la prochaine cible serait un membre de la famille.

 

[6]               Les demandeurs allèguent que, le 2 juin 2005, un groupe de six personnes a brutalement battu M. Nava Flores. Le chef du groupe était M. Palencia Meza. M. Nava Flores a été averti que s’il ne remboursait pas l’argent, on ne le laisserait pas tranquille. M. Nava Flores dit avoir déposé une plainte auprès du ministère public. 

 

[7]               Les demandeurs disent avoir déménagé, le ou vers le 8 juin 2005, à Apaseo Alto, où des membres de la famille de l’ancien mari de Mme Hare vivaient, pour s’y cacher.

 

[8]               Le 17 juillet 2005, le fils de Mme Hare a été tué à Apaseo Alto par un véhicule automobile dont le conducteur a pris la fuite. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Nava Flores a indiqué que l’enfant [traduction] « a été délibérément frappé par une voiture ». Les demandeurs allèguent que plusieurs heures après l’incident, M. Nava Flores a reçu un appel téléphonique l’informant qu’il continuerait à perdre des membres de sa famille jusqu’au paiement de l’argent. Aux dires du couple, ils ont alors décidé que le fils aîné de Mme Hare serait plus en sécurité s’il allait vivre aux É.‑U., et ils l’y ont donc envoyé. Les demandeurs se sont ensuite enfuis au Canada le 10 août 2005.

 

[9]               Ce n’est que le 29 juin 2006 qu’ils ont présenté une demande d’asile au Canada. Les audiences relatives au statut de réfugié ont eu lieu les 17 février 2009, 21 mai 2009 et 2 juillet 2009. Le ministre est intervenu en vertu de l’alinéa 170e) de la LIPR et a présenté son opinion selon laquelle M. Nava Flores était exclu de la protection en raison de l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[10]           En ce qui a trait à la demande d’asile de Mme Hare, la Commission a tout simplement indiqué qu’elle était une citoyenne des É.‑U. et que rien ne semblait indiquer qu’elle avait une crainte d’y retourner.

 

[11]           En ce qui concerne M. Nava Flores, la Commission a rejeté sa demande pour deux motifs : premièrement, parce qu’elle a conclu qu’il était exclu en vertu de l’article 98 de la LIPR et, deuxièmement, parce qu’elle a estimé que son récit n’était pas crédible.

 

[12]           Pour ce qui est de la question de l’exclusion, la Commission a conclu que M. Nava Flores avait commis « un crime grave de droit commun » à l’étranger, au sens de la section Fb) de l’article premier de la Convention. À ce titre, M. Nava Flores était exclu en vertu de l’article 98 de la LIPR. La Commission a traité des deux infractions commises par M. Nava Flores.

 

[13]           La Commission a indiqué que si elle avait été commise au Canada, l’infraction de voies de fait aurait constitué une infraction en vertu du paragraphe 265(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (le Code criminel), et l’infraction relative à l’arme à feu aurait constitué une infraction de possession illégale d’une arme à feu en vertu du paragraphe 92(1) du Code criminel.

 

[14]           La Commission a souligné qu’il existait très peu de renseignements concernant l’infraction de voies de fait, à l’exception de la peine qui a été imposée. Cependant, en ce qui a trait à l’infraction relative à l’arme à feu, la Commission s’est reportée à l’arrêt Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) de la Cour d’appel fédérale, 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164 (l’arrêt Jayasekara), et a pris en compte plusieurs facteurs pour conclure que M. Nava Flores avait commis un crime grave de droit commun aux É.‑U. La Commission a fondé sa conclusion sur les éléments suivants :

 

  • la peine prévue pour l’infraction de possession illégale d’une arme à feu en vertu du Code criminel : une peine d’emprisonnement maximum de dix ans;
  • la peine imposée aux É.‑U. : une peine d’emprisonnement de 24 mois assortie d’une période de probation de 24 mois, qu’elle a jugée relativement sévère;
  • l’existence de circonstances aggravantes : M. Nava Flores a commis l’infraction alors qu’il était en probation pour un crime avec violence. De plus, la Commission a conclu que si la possession de l’arme à feu ne lui avait pas été retirée, il existait une possibilité que M. Nava Flores l’utilise (il avait acheté l’arme pour se protéger et avait déjà été ridiculisé et menacé). 

 

[15]           La Commission a rejeté la prétention de M. Nava Flores selon laquelle il s’est vu infliger une peine sévère simplement parce qu’il était un étranger.

 

[16]           Compte tenu de sa conclusion selon laquelle l’infraction relative à une arme à feu constituait un crime grave de droit commun, la Commission a conclu que M. Nava Flores était exclu de la protection en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

 

[17]           Par souci d’exhaustivité, la Commission a poursuivi avec l’examen de la question de l’inclusion en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. La Commission n’a pas cru les allégations des demandeurs et a conclu qu’ils n’étaient pas crédibles. La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité s’appuyait sur plusieurs éléments.

 

[18]           Premièrement, la Commission n’a pas compris la raison pour laquelle M. Nava Flores n’avait pas communiqué avec son beau‑père après leur première conversation et après l’intensification des menaces, plus particulièrement compte tenu du fait que le beau‑père avait indiqué qu’il s’occuperait du problème avec M. Palencia Meza, et qu’il avait clairement omis de le faire. La Commission a rejeté l’explication de M. Nava Flores selon laquelle il était difficile de communiquer avec son beau‑père au motif qu’il fallait recourir à un intermédiaire (c’est‑à‑dire à la mère aveugle du beau‑père). La Commission a conclu que ces explications floues influaient sur la crédibilité de M. Nava Flores.

 

[19]           Deuxièmement, la Commission a estimé que la crédibilité de M. Nava Flores était entachée parce qu’il avait indiqué dans son FRP qu’il avait déposé une plainte auprès du ministère public, mais il n’a jamais mentionné qu’elle n’avait pas été acceptée. La Commission a conclu que cette omission était en contradiction avec le témoignage de M. Nava Flores à l’audience : il avait alors déclaré que la police avait refusé de recevoir sa plainte en apprenant qu’elle était dirigée contre M. Palencia Meza. La Commission a conclu que l’excuse de M. Nava Flores pour cette contradiction ‑ il était stressé lorsqu’il a rempli le FRP ‑ était douteuse.

 

[20]           Troisièmement, la Commission n’a pas cru que le décès du fils de Mme Hare était lié aux menaces dont ils auraient fait l’objet. Elle a souligné que M. Nava Flores avait tout d’abord indiqué qu’aucun rapport de police n’avait été déposé concernant l’incident et que ce n’est qu’après que la Commission eut insisté pour avoir une preuve que les demandeurs ont avoué que les policiers s’étaient en effet présentés sur la scène de l’accident.

 

[21]           La Commission a suspendu l’instance à deux reprises pour accorder aux demandeurs du temps pour obtenir une copie du rapport de police concernant le décès du fils de Mme Hare. La Commission a indiqué que lorsque les demandeurs ont finalement présenté le rapport, la traduction qu’ils en ont fournie était incomplète et des extraits particulièrement pertinents avaient été omis. La Commission a fait traduire l’ensemble du rapport et a conclu, vu le contenu qui avait été omis, que les omissions dans la traduction initiale étaient destinées à tromper. Les parties omises du rapport de police contenaient des contradictions importantes lorsqu’elles étaient comparées à la version des événements des demandeurs.

 

[22]           La Commission a conclu que le rapport de police contredisait le témoignage des demandeurs à plusieurs égards. Elle a souligné que les deux personnes qui ont été interrogées par la police mexicaine, soit le grand‑père et le grand‑oncle paternels de la victime, ont indiqué que le fils vivait avec ses grands‑parents paternels à Apaseo Alto depuis décembre et qu’il ne vivait pas avec sa mère, car c’était le père, et non la mère, qui avait la garde de l’enfant. La Commission a conclu que cela allait à l’encontre de la version des événements des demandeurs. Le grand‑père a de plus déclaré que son autre petit‑fils, le fils aîné de Mme Hare, vivait aux É.‑U. avec son père. La Commission a conclu que cela contredisait la prétention des demandeurs selon laquelle ils avaient envoyé le fils aîné aux É.‑U. après que son frère eut été frappé par un automobiliste qui a pris la fuite. En outre, aucun des membres de la famille interrogés n’a indiqué que la mère de la victime était présente à Apaseo Alto à ce moment‑là. La Commission a conclu que cela mettait en doute la question même de savoir si les demandeurs se trouvaient sur place comme ils l’ont déclaré.

 

[23]           Au bout du compte, la Commission a conclu que les demandeurs avaient recouru à une « utilisation éhontée de la mort du fils de la demanderesse pour étayer [leur] demande d’asile ». À ce titre, elle a rejeté le récit des demandeurs concernant la menace au Mexique et conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. 

 

Questions en litige

[24]           Les demandeurs allèguent que la Commission a commis plusieurs erreurs. Les prétentions des demandeurs soulèvent les questions suivantes :

 

i.                                                                        La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve et dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs?

2)         L’ancien représentant des demandeurs a‑t‑il fait preuve d’une négligence telle qu’elle a constitué un déni de justice naturelle? 

3)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Jayasekara pour conclure que M. Nava Flores était exclu de la protection au Canada malgré le fait qu’il avait fini de purger sa peine pour le crime en cause? 

4)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la gravité du crime en appliquant incorrectement les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara?

 

4.1)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant au poids qu’elle a accordé à la sévérité de la peine imposée aux É.‑U.?

4.2)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de prendre en compte le fait que M. Nava Flores avait fini de purger sa peine ou, subsidiairement, la partie de sa peine qu’il a été autorisé à finir de purger avant son expulsion au Mexique?

4.3)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Nava Flores n’avait pas rejeté la possibilité d’utiliser l’arme à feu et en considérant cette possibilité comme étant un facteur aggravant?

 

Norme de contrôle

[25]           Les décisions de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) quant aux questions de fait et de crédibilité doivent être examinées selon la norme de la « raisonnabilité » (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, au paragraphe 4, 42 ACWS (3d) 886 (CAF); Yin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544, au paragraphe 22 (accessible dans CanLII)).

 

[26]           Il est bien établi que la SPR a droit à un degré élevé de déférence lorsqu’elle évalue la crédibilité (Shaiq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 149, au paragraphe 73 (accessible dans CanLII); Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321, au paragraphe 50, 76 Imm LR (3d) 81) parce que les décisions en matière de crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » (Siad c. Canada (Secrétaire d’État) (1996), [1997] 1 C.F. 608, au paragraphe 24, 206 NR 127 (CA)). La Cour n’est pas aussi bien placée que la SPR pour apprécier la crédibilité des témoignages.

 

[27]           La décision ultime de la Commission concernant la question de savoir si M. Nava Flores est une personne décrite à la section Fb) de l’article premier de la Convention met en jeu des questions mixtes de fait et de droit, et elle doit donc aussi être examinée selon la norme de la raisonnabilité (arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 10; Noha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF  683, au paragraphe 21, 347 FTR 265 (la décision Noha)).

 

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[…] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

i.          La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve et dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs?

 

[29]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis deux erreurs quant à ses conclusions défavorables en matière de crédibilité concernant le rapport de police traduit. Premièrement, les demandeurs prétendent que la Commission a erronément déclaré que Mme Hare et M. Nava Flores alléguaient vivre avec les grands‑parents de la victime au moment de son décès, puisque dans leur témoignage, ils avaient déclaré vivre avec une tante. Deuxièmement, les demandeurs font valoir que la Commission a eu tort de conclure que le rapport de police indiquait que Mme Hare n’était pas présente au moment de la mort de son fils. Cela n’était pas mentionné explicitement dans le rapport et il s’agissait plutôt d’une inférence que la Commission a tirée en s’appuyant sur le rapport.

 

[30]           Je conclus que ces lacunes ne minent pas la conclusion de la Commission quant à la crédibilité concernant le rapport de police. Comme les demandeurs le reconnaissent à juste titre, il ne s’agit pas de lacunes importantes. 

 

[31]           Les demandeurs font également valoir que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion d’invraisemblance relativement à l’omission de M. Nava Flores de communiquer avec son beau‑père à la suite de leur discussion initiale. Les demandeurs soutiennent qu’une explication suffisante a été fournie : il était difficile de joindre le beau‑père en prison, ce dernier n’avait pas résolu leur problème plus tôt et la relation entre les deux était tendue. La Commission a rejeté ces explications. Ce rejet était raisonnable : il avait été assez facile de communiquer avec le beau‑père la première fois et, comme le beau‑père avait affirmé qu’il s’occuperait du problème avec M. Palencia Meza, le bon sens aurait voulu que M. Nava Flores souhaite faire un suivi pour voir si quelque chose avait été fait, le cas échéant, particulièrement compte tenu des enjeux importants. La Commission a le droit de prendre des décisions fondées sur la raison et le bon sens (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (QL) (CAF); Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 206, au paragraphe 9, 170 ACWS (3d) 159), et je conclus que c’est exactement ce qu’elle a fait en l’espèce.

 

[32]           Les demandeurs contestent également la conclusion de la Commission quant à la crédibilité relativement au FPR de M. Nava Flores. Ils soutiennent que la Commission a fait preuve d’un excès de zèle et que le récit de M. Nava Flores concernant sa plainte à la police manquait tout simplement de détails. En toute déférence, il existe une différence importante entre déclarer qu’une plainte a été déposée auprès de la police et déclarer ne pas avoir réussi à déposer une plainte auprès de la police. De plus, M. Nava Flores a eu l’occasion d’expliquer cette différence entre son FRP et son témoignage à l’audience. Il a déclaré qu’il était stressé lorsqu’il a rempli le FRP. Il n’est pas déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité dans ces circonstances.

 

[33]           La principale préoccupation de la Commission à l’égard de la crédibilité des demandeurs concernait les événements entourant la mort du fils de Mme Hare. La Commission a écrit ce qui suit dans sa décision : « Il y a eu beaucoup d’ambiguïté dans la preuve apportée, de telle sorte que la crédibilité des demandeurs a été grandement affectée, en particulier en ce qui a trait au meurtre de l’enfant McClane. »

 

[34]           Les demandeurs ne contestent pas les contradictions soulevées dans le rapport de police : le fils cadet de Mme Hare vivait avec ses grands‑parents depuis décembre (et non avec les demandeurs, comme ceux‑ci l’avaient allégué), Mme Hare n’avait pas la garde de ses deux enfants (contrairement à ce qu’elle avait allégué), et son fils aîné était déjà au É.‑U. au moment où son fils cadet a été tué par un automobiliste qui a pris la fuite (il n’y a pas été envoyé après la tragédie comme cela avait été allégué). Ainsi, il n’est pas possible de dire que la conclusion de la Commission quant à la crédibilité, en ce qui concerne le rapport de police, était déraisonnable. La prétention des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas eu l’occasion de répondre à ces contradictions apparentes est un élément sur lequel je reviendrai plus loin.

 

[35]           Ces contradictions, ainsi que les autres éléments discutés ci‑dessus, m’amènent à conclure que la conclusion générale de la Commission concernant l’absence de crédibilité répond au critère de la raisonnabilité. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

2) L’ancien représentant des demandeurs a‑t‑il fait preuve d’une négligence telle qu’elle a constitué un déni de justice naturelle? 

 

[36]           Les demandeurs soutiennent que la Commission leur a reproché d’avoir déposé une traduction partielle du rapport de police et de ne pas avoir fourni de commentaires une fois que la Commission a obtenu une version entièrement traduite du rapport. Les demandeurs allèguent que leur ancien représentant a lui seul décidé des parties du rapport qui seraient traduites. Ils soutiennent de plus que leur ancien représentant ne les a pas informés que la Commission avait effectué une traduction complète. Compte tenu de ce qui précède, ils allèguent qu’ils n’ont pas eu l’occasion de répondre aux contradictions qu’a révélées la traduction complète. Ils prétendent que tout cela équivalait à une faute d’omission de la part de leur ancien représentant et constituait donc un déni de justice naturelle. 

 

[37]           Premièrement, j’estime que les demandeurs ne peuvent pas s’absoudre aussi facilement de leur responsabilité. Ils savaient que la Commission voulait une copie du rapport de police. À mon avis, ils avaient la responsabilité de veiller à ce qu’une traduction adéquate soit fournie. Ils ne peuvent pas simplement invoquer l’ignorance à cet égard. À tout le moins, le 2 juillet 2009 (c’est‑à‑dire à la dernière audience, après le dépôt de la traduction partielle), les demandeurs auraient pu vérifier l’exhaustivité – ou plutôt déceler l’absence d’exhaustivité – de ce que leur représentant avait présenté. Il ressort clairement du dossier que M. Nava Flores parle espagnol et aurait été en mesure de comprendre la totalité de la version originale du rapport de police. En conséquence, lorsqu’ils se sont présentés à l’audience le 2 juillet 2009, les demandeurs auraient en principe su que le rapport de police contredisait des aspects importants de leur récit. Ils auraient également su que la traduction fournie omettait ces contradictions. Ils ont eu l’occasion d’expliquer ces contradictions et ont choisi de ne pas le faire. Dans ces circonstances, j’accepte difficilement l’argument qu’ils me présentent maintenant, à savoir qu’ils auraient été privés de l’occasion de fournir une explication en raison de la faute d’omission de leur représentant.

 

[38]           Quoi qu’il en soit, les demandeurs n’ont pas fourni une preuve suffisante de la faute d’omission qu’aurait commise leur ancien représentant. Dans certaines situations, la faute d’omission de la part de l’avocat d’un demandeur peut constituer un manquement à la justice naturelle (Medawatte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 1374, 52 Imm LR (3d) 109). Cependant, pour qu’un demandeur puisse avoir gain de cause en présentant un argument fondé sur la faute d’omission de son avocat, il doit s’acquitter d’un certain fardeau de preuve. Dans Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 FTR 147, 97 ACWS (3d) 303 (la décision Nunez), le juge Pelletier a déclaré ce qui suit au paragraphe 19 :

Je ne suis pas disposé à admettre une accusation de faute professionnelle grave contre un avocat, auxiliaire de la justice, sans une explication par celui‑ci des agissements en question ou sans la preuve que l’affaire a été soumise à l’ordre des avocats pour enquête. En l’espèce, il y avait amplement de temps pour faire l’une ou l’autre de ces deux choses, mais ni l’une ni l’autre n’a été faite. Ce défaut ne s’accorde pas avec la gravité de l’allégation. Cette observation n’est nullement une manifestation de la sollicitude de la Cour à l’égard des avocats et aux dépens de leurs clients. La Cour ne fait que reconnaître qu’il est facile de faire des allégations de faute professionnelle et que, une fois jugées fondées, celles‑ci aboutissent généralement au redressement demandé. La preuve administrée à l’appui d’une allégation de ce genre doit être à la mesure de la gravité des conséquences pour tous les intéressés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[39]           Dans la décision Nunez, précitée, le juge Pelletier examinait une allégation d’inconduite professionnelle dans le contexte d’un demandeur qui affirmait que son avocat ne l’avait pas informé du rejet de sa demande d’asile. Bien que cette affaire soit quelque peu différente de la situation dont la Cour est saisie en l’espèce, il a été statué que les principes énoncés dans la décision Nunez s’appliquent « à un demandeur qui jette le doute sur sa représentation par un consultant d’immigration assujetti aux règlements de la [SCCI]. » (Shakiban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1177, au paragraphe 15 (accessible dans CanLII)).

 

[40]           Dans leur mémoire additionnel, les demandeurs indiquent qu’ils ont déposé une plainte auprès de la Société canadienne de consultants en immigration concernant leur ancien représentant. Mme Hare a présenté un affidavit à cette fin. Toutefois, aucune plainte n’est présentée en preuve devant notre Cour et aucun détail n’est fourni concernant cette plainte, pas plus qu’une explication de la part de l’ancien représentant n’a été fournie. Par conséquent, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de preuve requis. Je conclus donc qu’il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle.

 

[41]           Malgré la conclusion selon laquelle la décision de la Commission concernant l’inclusion en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR n’est pas susceptible de contrôle, je continuerai à examiner la question de l’exclusion, étant donné que, comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 1 à 3, la décision selon laquelle une personne est exclue à titre de réfugié au sens de la Convention en vertu de la section Fb) de l’article premier a des répercussions qui vont au‑delà des articles 96 et 97 de la LIPR. Cela signifie, par exemple, que la personne ne peut pas obtenir l’asile en vertu de l’article 95 de la LIPR (en raison de l’effet combiné des alinéas 95(1)c) et 112(3)c)) et ne peut pas obtenir le statut de résident permanent dans le cadre d’une demande de protection en vertu de l’article 112 de la LIPR (en raison de l’alinéa 114(1)b)).

 

3) La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Jayasekara pour conclure que M. Nava Flores était exclu de la protection au Canada malgré le fait qu’il avait fini de purger sa peine pour le crime en cause?

 

[42]           La section Fb) de l’article premier de la Convention est rédigée comme suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes

dont on aura des raisons sérieuses de penser:

 

[…]

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays

d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are

serious reasons for considering that:

. . .

( b ) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his

admission to that country as a refugee;

 

[43]           L’article 98 de la LIPR incorpore la section Fb) de l’article premier de la Convention comme suit :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[44]           Les demandeurs soutiennent que si la personne qui a commis un « crime grave de droit commun » à l’étranger a fini de purger sa peine, elle devrait être exemptée de l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention (c’est‑à‑dire que l’article 98 de la LIPR ne s’applique pas pour l’exclure de l’application des articles 96 et 97 en ce qui a trait à une demande de protection). Ils font valoir que M. Nava Flores avait fini de purger sa peine et, en conséquence, la Commission a commis une erreur en concluant qu’il ne pouvait pas demander l’asile en raison de l’article 98 de la LIPR et de la section Fb) de l’article premier de la Convention. À l’appui de leur argument, les demandeurs invoquent des remarques incidentes de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 DLR (4th) 1, au paragraphe 75 (l’arrêt Ward) et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, 160 DLR (4th) 193, au paragraphe 73, ainsi que l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390, 190 DLR (4th) 128 (CA) (l’arrêt Chan) de la Cour d’appel fédérale.

 

[45]           Cependant, comme les demandeurs le savent très bien, dans l’arrêt Jayasekara, précité, la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion de revenir sur l’interprétation de la section Fb) de l’article premier de la Convention à la lumière de la nouvelle LIPR. La cour a comparé les dispositions régissant l’irrecevabilité en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (la Loi sur l’immigration) à celles de la LIPR actuelle et a conclu que « [s]ous le régime de la LIPR, la règle relative à l’irrecevabilité a été modifiée » (arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 32). Compte tenu de cette modification, la cour a poursuivi en concluant que le fait d’avoir fini de purger une peine n’exempte plus une personne de l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention. Au paragraphe 57, la cour a déclaré ce qui suit :

La Cour répond par la négative à la première question, formulée comme suit :

 

Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1Fb) de la Convention?

 

 

[46]           Les demandeurs soutiennent que les différences mentionnées par la Cour d’appel fédérale sont illusoires. Plus particulièrement, ils prétendent qu’elle a commis une erreur en décrivant l’application de la règle d’irrecevabilité en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration et de la nouvelle LIPR pour arriver à la conclusion que les deux régimes étaient différents, alors que dans les faits, ils sont essentiellement les mêmes.

 

[47]           Dans l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 31, la Cour d’appel fédérale a décrit la règle d’irrecevabilité créée en vertu du sous‑alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration en déclarant ce qui suit :

[. . .] un revendicateur n’[a] pas droit à une audience concernant son statut de réfugié s’il n’était pas admissible au Canada pour cause de grande criminalité sauf si […] le ministre était convaincu que le demandeur d’asile s’était réadapté et que cinq ans s’étaient écoulés depuis l’expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l’infraction ou depuis la commission du fait.

 

 

[48]           Les demandeurs soutiennent que cette description est erronée parce qu’elle ne tient pas compte du fait qu’en vertu du sous‑alinéa 46.01(1)e)(i), pour qu’une personne n’ait pas droit à une audience, le ministre devait également donner un avis de danger. Ainsi, il n’était pas automatique pour une personne de ne pas avoir le droit à une audience concernant son statut de réfugié simplement parce qu’elle était réputée inadmissible au Canada pour cause de grande criminalité. Un avis de danger était également nécessaire. En effet, les demandeurs font valoir que la description du régime d’irrecevabilité en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration serait la bonne si la description de la Cour d’appel fédérale était modifiée comme suit :

[traduction] [. . .] un revendicateur n’[a] pas droit à une audience concernant son statut de réfugié si le ministre est d’avis que la personne constitue un danger pour le public au Canada et s’il n’était pas admissible au Canada pour cause de grande criminalité sauf si [. . .] le ministre était convaincu que le demandeur d’asile s’était réadapté et que cinq ans s’étaient écoulés depuis l’expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l’infraction ou depuis la commission du fait.

 

 

[49]           Les demandeurs soutiennent essentiellement que trois éléments de base sont nécessaires à l’égard de l’irrecevabilité en vertu du sous‑alinéa 46.01(1)e)(i) de l’ancienne Loi sur l’immigration : a) un avis de danger; b) la personne a été reconnue coupable d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale et serait punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans; c) le ministre n’est pas d’avis que la personne s’est réadaptée (à supposer que cinq ans se soient écoulés depuis l’expiration de toute peine infligée ou depuis la commission du fait).

 

[50]           Les demandeurs soutiennent essentiellement qu’il s’agit des trois mêmes éléments qui sont nécessaires à l’égard de l’irrecevabilité en vertu de la nouvelle LIPR.

 

[51]           Dans l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 32, la Cour d’appel fédérale a décrit la règle de l’irrecevabilité en vertu de la nouvelle LIPR (qui repose sur l’alinéa 101(1)f)), en déclarant ce qui suit :

[. . .] l’interdiction de territoire pour grande criminalité n’emporte irrecevabilité de la demande « que si elle a pour objet [. . .] une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, [et que] le ministre estim[e] que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada ».

 

 

[52]           Les demandeurs soutiennent que cette description est également inexacte. Ils prétendent que la Cour d’appel fédérale a omis de mentionner qu’en raison de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR, une personne n’est pas interdite de territoire pour cause de grande criminalité si le ministre estime qu’elle s’est réadaptée. Ainsi, selon eux, la demande d’une personne qui est réputée réadaptée n’est pas irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)f). Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs font valoir qu’en vertu du nouveau régime législatif, les trois mêmes éléments de base que sous l’ancienne Loi sur l’immigration sont nécessaires à l’irrecevabilité : a) un avis de danger; b) la personne a été déclarée coupable d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans; c) le ministre n’est pas d’avis que la personne s’est réhabilitée (à supposer que la « période prescrite » se soit écoulée).

 

[53]           Compte tenu de l’analyse ci‑dessus, les demandeurs soutiennent que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur dans son arrêt pour s’écarter de l’arrêt Chan à l’égard de l’effet de la peine purgée. Ils prétendent que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale était fondé sur la conclusion erronée que la règle concernant l’irrecevabilité pour cause de grande criminalité a été [traduction] « renversée » en vertu de la LIPR alors que, dans les faits, le régime législatif est pratiquement identique.

 

[54]           Aussi intéressante que soit l’analyse présentée par les demandeurs, en vertu de la doctrine du stare decisis, la Cour est liée par l’arrêt Jayasekara, précité, de la Cour d’appel fédérale. À la fois dans Chawah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 324, au paragraphe 12, 79 Imm LR (3d) 262, et dans la décision Noha, précitée, aux paragraphes 24 et 48, la Cour a cité l’arrêt Jayasekara pour affirmer qu’une peine purgée ne constitue plus un facteur déterminant de la section Fb) de l’article premier de la Convention (c’est‑à‑dire que bien que le fait qu’une peine a été purgée ait déjà voulu dire que la section Fb) de l’article premier ne s’appliquait pas pour exclure une demande d’asile, ce n’est plus le cas maintenant). Compte tenu de ce qui précède, je ne peux pas conclure que la Commission a commis une erreur en omettant de prendre en compte la question de savoir si M. Nava Flores pouvait éviter l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention parce qu’il avait fini de purger sa peine. 

 

4) La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la gravité du crime en appliquant incorrectement les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara?

 

[55]           Les demandeurs prétendent que la Commission a commis plusieurs erreurs en concluant que l’infraction de M. Nava Flores relative à une arme constituait un « crime grave de droit commun » au sens de la section Fb) de l’article premier de la Convention. Ils soutiennent plus particulièrement que la Commission a commis une erreur dans l’évaluation de la gravité : a) en prenant en compte la sévérité de la peine infligée aux É.‑U.; b) en omettant de tenir compte du fait que M. Nava Flores avait fini de purger sa peine (ou du moins la partie de la peine qu’il a été autorisé à purger); c) en émettant des hypothèses sur ce que M. Nava Flores aurait pu faire avec l’arme qu’il avait été autorisé à garder. 

 

[56]           Après avoir examiné les observations des deux parties, je suis convaincue que la Commission n’a pas commis d’erreur qui rendrait sa décision déraisonnable.

 

4.1)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant au poids qu’elle a accordé à la sévérité de la peine imposée aux É.‑U.?

 

[57]           Les demandeurs ont tout d’abord soutenu qu’il n’y avait pas au Canada d’infraction « équivalente » à l’infraction que M. Nava Flores a commise aux É.‑U., soit la possession illégale d’une arme à feu par un étranger illégal. À l’audience, ils ont précisé qu’ils ne contestent pas l’équivalence de l’infraction en soi. Ils reprochent plutôt à la Commission d’avoir pris en compte et qualifié la durée de la peine imposée aux É.‑U. sans tenir compte du fait que l’un des éléments punissables de l’infraction n’est pas un élément punissable au Canada, c’est‑à‑dire être un « étranger illégal ». Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en prenant en compte la durée de la peine isolément. Ils soutiennent qu’il n’était pas indiqué de punir encore plus le demandeur pour un élément qui n’est pas un crime au Canada.

 

[58]           Dans l’arrêt Jayasekara, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la durée d’une peine ne devait pas être examinée isolément. Elle a également conclu que la durée d’une peine ne constituait pas un facteur déterminant et a déclaré ce qui suit aux paragraphes 41 à 44 :

[41]      Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire que, si aux termes de la section Fb) de l’article premier de la Convention, il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis. En revanche, une personne peut encourir dans certains pays des peines d’emprisonnement prolongées pour des actes qui ne sont pas considérés criminels au Canada.

 

[42]      De plus, dans de nombreux pays, pour déterminer la peine à infliger pour une infraction criminelle, on ne tient pas uniquement compte de la gravité du crime. [. . .]

 

[. . .]

[44]      Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité. [. . .]

 

 

[59]           En toute déférence, la Commission n’a pas, en l’espèce, pris en compte isolément la durée de la peine de M. Nava Flores. Elle a plutôt examiné la peine infligée ainsi que d’autres facteurs, dont le principal était la peine maximale prévue pour une infraction « équivalente » en vertu du Code criminel. Je ne peux donc pas conclure que la conclusion de la Commission était déraisonnable. Elle ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

4.2)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de prendre en compte le fait que M. Nava Flores avait fini de purger sa peine, ou subsidiairement, la partie de sa peine qu’il a été autorisé à finir de purger avant son expulsion au Mexique?

 

[60]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis de prendre en compte le fait que M. Nava Flores avait fini de purger sa peine (ou, à tout le moins, la partie de la peine qu’il a été autorisé à finir de purger) pour se prononcer sur la gravité de l’infraction. Les demandeurs prétendent que le fait de finir de purger une peine constitue un facteur essentiel, même selon l’arrêt Jayasekara, précité. Ils soulignent de plus que la seule mention de la Commission du fait que la peine avait été purgée dans son entier était brève et erronée. La Commission a déclaré que la « peine a été de 24 mois d’emprisonnement en plus d’une probation de 24 mois à partir de sa mise en liberté, cette probation ne pouvant pas être comptabilisée si le demandeur était déporté des États‑Unis » [non souligné dans l’original]. Les demandeurs soutiennent que les conditions de la peine de M. Nava Flores lui ont permis de purger la période de probation à l’extérieur des É.‑U. et que, par conséquent, au moment où la Commission a rendu sa décision, la peine avait été purgée.

 

[61]           Le défendeur fait valoir que dans l’arrêt Jayasekara, précité, la Cour d’appel fédérale a établi que la Commission peut exclure un demandeur d’asile en vertu de la section Fb) de l’article premier, peu importe si la peine imposée à l’extérieur du Canada a été purgée. Le défendeur prétend également que lorsque M. Nava Flores est entré au Canada, il n’avait pas fini de purger sa peine. Le défendeur s’appuie sur un passage de l’arrêt Chan, précité, pour affirmer que la peine doit avoir été purgée avant d’entrer au Canada. Pour leur part, les demandeurs soutiennent que la date pertinente devrait être la date de la décision relative à la demande d’asile et non la date d’entrée au Canada.

 

[62]           Au bout du compte, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur qui justifie l’intervention de la Cour. Je suis d’accord avec les demandeurs que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a indiqué que M. Nava Flores ne pouvait pas purger la période de probation de sa peine à l’extérieur des É.‑U. J’estime toutefois que cette erreur n’est pas déterminante. Dans l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 41, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’« il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément » [non souligné dans l’original]. Le fait qu’une peine a été purgée n’est pas un facteur déterminant. La Cour d’appel fédérale a conclu sans équivoque que le fait d’avoir purgé une peine avant de venir au Canada n’empêche pas l’exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier.

 

[63]           Puisque le fait d’avoir purgé la peine (ou de ne pas l’avoir purgé) ne constituait pas un facteur déterminant en l’espèce, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si le moment pertinent pour évaluer si la peine a été purgée est la date d’entrée au Canada ou la date de la décision relative à la demande d’asile.

 

4.3)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Nava Flores n’avait pas rejeté la possibilité d’utiliser l’arme à feu et en considérant cette possibilité comme étant un facteur aggravant?

 

[64]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant que M. Nava Flores n’avait pas rejeté la possibilité d’éventuellement utiliser l’arme à feu. Ils font valoir que la Commission n’était saisie d’aucun élément de preuve lui permettant de tirer une conclusion quant aux intentions de M. Nava Flores à l’égard de l’arme et qu’elle a essentiellement renversé le fardeau qui incombe au ministre de prouver que le requérant a commis un crime grave de droit commun. En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec eux.

 

[65]           Il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue que M. Nava Flores n’avait pas rejeté la possibilité d’éventuellement utiliser l’arme et même qu’il existait une forte possibilité qu’il puisse utiliser l’arme. La Commission a tiré cette conclusion, comme le souligne à bon droit le défendeur, en s’appuyant sur les éléments de preuve suivants : a) M. Nava Flores avait acheté l’arme pour se protéger contre le racisme et le ridicule; b) les événements qui l’avaient incité à acheter l’arme perduraient. Compte tenu de ce qui précède, les inférences de la Commission n’étaient pas déraisonnables.

 

[66]           Au bout du compte, je n’estime pas déraisonnable la décision de la Commission selon laquelle M. Nava Flores avait commis un crime grave de droit commun qui l’excluait de la protection accordée aux réfugiés. Sa conclusion était fondée sur l’évaluation des facteurs pertinents, à savoir la sanction prévue au Canada pour l’infraction équivalente, la peine infligée dans les faits aux É.‑U., le fait que M. Nava Flores a commis l’infraction alors qu’il était en probation pour un crime avec violence et le fait qu’il existait une possibilité que M. Nava Flores puisse utiliser l’arme, étant donné qu’il l’avait achetée pour se protéger et qu’il avait déjà été ridiculisé et menacé. 

 

Questions proposées AUX FINS DE certification

[67]           Les demandeurs proposent deux questions aux fins de certification. La première question est la suivante :

 

[traduction] 1) Aux fins de se prononcer sur l’applicabilité de la section Fb) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, la Commission devrait‑elle prendre en compte le statut de la peine imposée à l’étranger à la date d’entrée au Canada ou à la date de la décision relative à la demande d’asile?

 

[68]           Les demandeurs soutiennent que la question répond au critère d’une question à certifier parce qu’elle transcende les intérêts des parties, aborde une question ayant des conséquences importantes et est déterminante quant à l’issue du contrôle judiciaire.

 

[69]           Le défendeur soutient que l’arrêt Jayasekara, précité, permet d’affirmer que le fait qu’une peine a été purgée n’empêche pas un revendicateur du statut de réfugié d’être exclu en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention, que ce fait ne constitue pas un facteur déterminant et qu’il ne devrait pas être pris en compte isolément. Le défendeur indique de plus qu’une question concernant le moment où une peine a été imposée ou le fait qu’elle a été purgée dans le contexte de l’exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier a déjà été certifiée dans l’arrêt Jayasekara et que la Cour d’appel fédérale a refusé de répondre à cette question.

 

[70]           Dans l’arrêt Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2004 CAF 89, 318 NR 365, la Cour d’appel fédérale a souligné l’exigence qu’une question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel pour faire l’objet d’une certification. Dans l’arrêt Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, 357 NR 326, la Cour d’appel fédérale a de nouveau traité du sujet et a réitéré le même principe :

10        [...] Il est bien établi qu’une question qui ne transcende pas la décision particulière à l’égard de laquelle elle se pose ne devrait pas être certifiée et que, le cas échéant, la Cour d’appel ne devrait pas y répondre (voir Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1049; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637, (1994) 176 N.R. 4 au para. 4).

 

11     Je crois utile d’ajouter que, de toute façon, il ne serait pas opportun pour la Cour de se prononcer sur la question certifiée puisque la réponse ne changerait rien au dénouement du litige (Liyanagamage, supra). [...]

 

 

[71]           Comme je l’ai déclaré plus tôt dans la présente décision, j’estime que le fait que le demandeur a fini de purger sa peine ne constitue pas un facteur déterminant en l’espèce et, par conséquent, il n’est pas possible de dire qu’il est déterminant quant à l’issue de l’appel.

 

[72]           La deuxième question proposée par les demandeurs est la suivante :

 

[traduction] 2) Le fait qu’ un revendicateur du statut de réfugié a fini de purger sa peine criminelle lui permet‑il d’éviter l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention à l’égard de ce crime?

 

[73]           Les demandeurs soutiennent qu’ils ont présenté des motifs convaincants dans le cadre de leur argumentation qui justifieraient que la Cour d’appel fédérale revoie les conclusions qu’elle a tirées dans l’arrêt Jayasekara, précité, ou qu’elle les explique plus en détail. Les demandeurs soulignent également que l’arrêt Jayasekara n’a jamais été confirmé par la Cour suprême du Canada puisqu’aucun appel n’a été déposé.

 

[74]           Le défendeur prétend que, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a déjà examiné cette question et y a répondu et que les questions qui ont déjà été examinées et réglées ne devraient pas être certifiées. Il soutient qu’un simple désaccord avec les motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara ne justifie pas une certification. J’en conviens.

 

[75]           Dans l’arrêt Jayasekara, la question suivante a été certifiée et la Cour d’appel fédérale y a répondu :

La Cour répond par la négative à la première question, formulée comme suit:

 

Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1Fb) de la Convention?

 

 

[76]           Les demandeurs proposent essentiellement la même question. Dans Dubrézil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 142, au paragraphe 16, 149 ACWS (3d) 133, le juge Noël a conclu comme suit au regard de la question en cause dans cette affaire : « [...] il n’y a pas lieu de certifier la question puisqu’il s’agit d’une question déjà réglée par les tribunaux, qui ne transcende donc pas les intérêts des parties. » Le même principe s’applique en l’espèce. Aussi intéressants et convaincants que puissent être les arguments des demandeurs, la Cour d’appel fédérale a déjà réglé de façon définitive la question proposée aux fins de certification.

 

[77]           Pour les motifs qui précèdent, aucune question ne sera certifiée.

 

[78]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1185‑10

 

INTITULÉ :                                                   RODOLFO NAVA FLORES et
PENNY LYNN HARE c.
MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jared Will

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shams

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Miles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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