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Date : 20101112

Dossier : T-1349-09

Référence : 2010 CF 1139

TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE

ENTRE :

 

PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS YELLOWKNIVES,

PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS

LUTSEL K’E,

CHEF TED TSETTA et CHEF EDWARD SANGRIS, en leur nom et au nom de tous les membres de la Première nation des Dénés Yellowknives, et CHEF STEVEN NITAH, en son nom et au nom de tous les membres de la Première nation des Dénés Lutsel K’e

 

demandeurs

 

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

NORTH ARROW MINERALS INC.

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PHELAN

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs, la Première nation des Dénés Yellowknives et la Première nation des Dénés Lutsel K’e (collectivement, les Premières nations), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie (l’Office), en date du 16 juillet 2009, de délivrer à North Arrow Minerals Inc. (North Arrow) un permis d’utilisation de terres (le permis) pour procéder à des prospections minières. La principale question en l’espèce est de savoir si les demandeurs ont été convenablement consultés.

Bien qu’il y ait deux défendeurs, North Arrow n’a pas pris part à l’instance. Le terme « défendeur » désigne le procureur général du Canada.

 

[2]               Les demandeurs prient la Cour d’annuler le permis parce que les exigences prévues à la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie (la Loi) et aux règlements y afférents n’ont pas été respectées. Ils sollicitent aussi une série de réparations additionnelles, notamment une déclaration constatant un manquement à l’équité procédurale et une crainte raisonnable de partialité; une déclaration portant que la Couronne a manqué à son obligation de consulter; une ordonnance prescrivant à la Couronne de consulter et d’accommoder les demandeurs avant qu’un permis puisse être accordé; enfin, une ordonnance enjoignant à North Arrow de consulter et d’accommoder.

 

[3]               Les défendeurs ont présenté une requête préliminaire pour faire radier en tout ou en partie plusieurs des affidavits des demandeurs. La requête a été entendue au moment du contrôle judiciaire, et la Cour a différé sa décision afin que le contrôle judiciaire puisse être instruit en entier dans le délai imparti pour l’audience à Yellowknife.

 

II.         CONTEXTE

A.        Les parties et les ententes

[4]               La demanderesse Yellowknives (qui comprend deux collectivités, celle de Dettah et celle de Ndilo) et la demanderesse Lutsel K’e font partie des Premières nations dénées de l’Akaitcho (les PNDA). Il ne fait aucun doute que ces Premières nations constituent des peuples autochtones au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[5]               Le 25 juillet 1900, les PNDA ont signé avec la Couronne le « Traité no 8 » créant des droits issus de traités qui sont protégés constitutionnellement. Toutefois, chaque partie interprète ce traité différemment, ce qui a donné lieu à plus d’un siècle de différends et de négociations visant à clarifier les droits des PNDA.

 

[6]               Depuis, les PNDA ont présenté une revendication (la revendication de l’Akaitcho) dans laquelle elles réclament la reconnaissance de divers droits ancestraux et droits issus de traités, dont les droits à la possession et au contrôle exclusifs du territoire, le droit à l’autonomie gouvernementale, les droits culturels et les droits de chasser, de piéger, de voyager et de se réunir sur le territoire. En 1976, la Couronne a accepté la revendication aux fins de négociation dans le cadre d’une revendication élargie Dénés-Métis. En 1996 ont débuté des négociations visant tout particulièrement l’Akaitcho; ces négociations se poursuivent aujourd’hui.

 

[7]               Cent ans après la signature du Traité, les PNDA et la Couronne ont signé une « entente cadre » dans le but de clarifier le processus de négociation. L’entente cadre est un document relativement sommaire et général, qui traite presque exclusivement des aspects procéduraux des négociations, énonce certains principes de base et établit certaines échéances, lesquelles n’ont pas été respectées. Il importe de signaler que cette entente cadre prend acte de l’assertion des PNDA quant à leur utilisation traditionnelle et actuelle des terres. L’article 11 de l’entente cadre, cependant, prévoit expressément qu’aucune disposition de l’entente ne doit être interprétée comme créant, reconnaissant ou niant des droits ou des obligations de la part de l’une ou l’autre des parties.

 

[8]               En 2001, les parties ont signé une « Entente relative à des mesures provisoires » (EMP) dans laquelle le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest reconnaissent que les Premières nations dénées de l’Akaitcho revendiquent leur territoire traditionnel tel qu’il est représenté sur la carte annexée à l’EMP. L’EMP traite d’un certain nombre d’activités exercées par le gouvernement du Canada et celui des Territoires du Nord‑Ouest, y compris celles afférentes à l’attribution de permis d’utilisation des terres fédérales. Pour l’essentiel, l’EMP établit un processus en vertu duquel les PNDA peuvent procéder à un examen préalable de ce genre de décisions en recevant avis, dans les meilleurs délais, des demandes relatives à divers permis et l’information nécessaire pour y répondre. Une série d’annexes jointes à l’EMP exposent des moyens plus élaborés devant servir au bref examen préalable prescrit à l’égard de divers permis et autres décisions gouvernementales.

 

[9]               L’annexe C de l’EMP énonce le processus à suivre pour les permis d’utilisation des terres. Il y est précisé que le comité d’examen préalable de l’Akaitcho doit être notifié de la tenue d’un processus de demande aussi tôt que possible. Lorsqu’il reçoit une demande, l’Office doit notifier le comité d’examen préalable de l’Akaitcho dans les cinq jours et, dans le cas d’un permis de type A (comme celui en cause en l’espèce), les Premières nations concernées doivent répondre dans un délai de 21 jours. L’annexe C est entrée en vigueur par arrêté du ministre le 23 février 2004. L’arrêté ne donne pas de directives sur la façon dont l’Office doit tenir compte des observations des Premières nations; il indique simplement qu’il doit le faire [traduction] « de manière approfondie et impartiale ».

 

[10]           Le comité d’examen préalable de l’Akaitcho exerce ses activités par l’intermédiaire du bureau de mise en œuvre de l’EMP. Ce bureau est une unité de soutien pour les Premières nations, pour l’essentiel un organisme régional de coordination. Il assure la communication entre les Premières nations, les gouvernements et les [traduction] « promoteurs de projets » (par exemple, les sociétés qui souhaitent entreprendre des activités dans la région, comme North Arrow).

Les demandeurs soutiennent que même si le bureau existe précisément pour faciliter le processus, il ne garantit nullement une consultation adéquate. Ils prétendent que le bureau, en substance, met les intervenants en communication et peut exercer des fonctions consultatives sur la façon dont les communications devraient avoir lieu.

De l’avis des demandeurs, cette EMP ne saurait remplacer la consultation.

 

B.         L’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie

[11]           L’Office a été constitué sous le régime de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, L.C. 1998, ch. 25, et de ses règlements d’application.

 

[12]           Les parties ne s’entendent pas sur la façon dont le régime de l’Office a été créé. Les demandeurs prétendent que ce régime a été établi unilatéralement par le gouvernement du Canada sans la contribution des PNDA. Les défendeurs assurent pour leur part qu’il fait suite notamment aux exigences de l’Entente sur les revendications territoriales globales des Gwich’in et de l’Entente sur les revendications territoriales globales des Dénés et des Métis du Sathu.

 

[13]           Le juge Blanchard, dans la décision Première nation de Ka’a’Gee Tu c. Canada (Procureur général), 2007 CF 763 (Ka’a’Gee no 1), a décrit en détail la Loi et ses règlements ainsi que leur origine. Il a signalé que le régime, y compris l’Office des terres et des eaux et le Bureau d’examen des répercussions environnementales, tire en effet son origine de ces revendications territoriales. Il a de plus relevé que le projet de loi C‑6, qui a précédé l’adoption de la loi, a nécessité cinq ans de travaux et a donné lieu à « de nombreuses consultations […] avec tous les groupes intéressés ». La thèse selon laquelle ce régime a été imposé unilatéralement et sans consultation est tout simplement incompatible avec les motif du juge Blanchard.

 

[14]           La Loi n’est pas un modèle de concision, de simplicité ni de clarté. Elle décrit le plan d’aménagement territorial et prévoit la réglementation des terres et des eaux et la composition de divers offices, édictant des dispositions particulières pour les Premières nations dont les ententes sont à l’origine de la Loi.

 

[15]           Si la partie 3 décrit de façon générale les attributions des offices, la partie 4 énonce expressément la composition et les pouvoirs de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie. De plus, la partie 4 incorpore la partie 3 par renvoi, selon le paragraphe 102(1) :

102. (1) L’Office a compétence en ce qui touche toute forme d’utilisation des terres ou des eaux ou de dépôt de déchets réalisée dans la vallée du Mackenzie pour laquelle un permis est nécessaire sous le régime de la partie 3 ou aux termes de la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest. Il exerce à cet égard les attributions conférées aux offices constitués en vertu de cette partie, exception faite toutefois de celles prévues aux articles 78, 79 et 79.2 à 80.1, la mention de la zone de gestion dans les dispositions pertinentes de cette partie valant mention de la vallée du Mackenzie, sauf au paragraphe 61(2) où cette mention continue de viser le Wekeezhii.

102. (1) The Board has jurisdiction in respect of all uses of land or waters or deposits of waste in the Mackenzie Valley for which a permit is required under Part 3 or a licence is required under the Northwest Territories Waters Act, and for that purpose the Board has the powers and duties of a board established under Part 3, other than powers under sections 78, 79 and 79.2 to 80.1, as if a reference in that Part to a management area were a reference to the Mackenzie Valley, except that, with regard to subsection 61(2), the reference to management area continues to be a reference to Wekeezhii.

 

Par conséquent, les facteurs et les exigences énoncés à la partie 3 sont pertinents pour l’Office et pour le présent litige.

 

[16]           Les dispositions de la partie 3 les plus pertinentes dans le cadre du contrôle judiciaire en l’espèce sont comprises dans les articles 60.1 à 65 (les dispositions pertinentes sont reproduites ci‑dessous) :

60.1 Dans l’exercice de ses pouvoirs, l’office tient compte, d’une part, de l’importance de préserver les ressources pour le bien-être et le mode de vie des peuples autochtones du Canada visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui utilisent les ressources d’une région de la vallée du Mackenzie et, d’autre part, des connaissances traditionnelles et des renseignements scientifiques mis à sa disposition.

 

 

 

62. L’office ne peut délivrer de permis ou d’autorisation visant à permettre la réalisation d’un projet de développement au sens de la partie 5 avant que n’aient été remplies les conditions prévues par celle-ci. Il est en outre tenu d’assortir le permis ou l’autorisation des conditions qui sont imposées par les décisions rendues sous le régime de cette partie.

 

 

63. (1) L’office adresse une copie de toute demande de permis dont il est saisi aux ministères et organismes compétents des gouvernements fédéral et territorial, ainsi qu’au propriétaire des terres visées.

 

 

 (2) Il avise la collectivité et la première nation concernées de toute demande de permis ou d’autorisation dont il est saisi et leur accorde un délai suffisant pour lui présenter des observations à cet égard.

 

 

 

64. (1) L’office doit demander et étudier l’avis de toute première nation concernée, des ministères et organismes compétents des gouvernements fédéral et territorial et, s’agissant de l’Office des terres et des eaux du Wekeezhii, du gouvernement tlicho au sujet des ressources patrimoniales susceptibles d’être touchées par l’activité visée par la demande de permis dont il est saisi.

 

 (2) Il doit de plus demander et étudier l’avis de l’office des ressources renouvelables constitué par l’accord de revendication au sujet des ressources fauniques et de leur habitat susceptibles d’être touchés par l’activité visée par la demande de permis.

 

 

 

 

65. L’office peut, sous réserve des règlements, établir des principes directeurs et des directives concernant les permis et autorisations, notamment en ce qui touche leur délivrance sous le régime de la présente partie.

60.1 In exercising its powers, a board shall consider

 

(a) the importance of conservation to the well-being and way of life of the aboriginal peoples of Canada to whom section 35 of the Constitution Act, 1982 applies and who use an area of the Mackenzie Valley; and

 

(b) any traditional knowledge and scientific information that is made available to it.

2005, c. 1, s. 35.

 

 

62. A board may not issue a licence, permit or authorization for the carrying out of a proposed development within the meaning of Part 5 unless the requirements of that Part have been complied with, and every licence, permit or authorization so issued shall include any conditions that are required to be included in it pursuant to a decision made under that Part.

 

 

63. (1) A board shall provide a copy of each application made to the board for a licence or permit to the owner of any land to which the application relates and to appropriate departments and agencies of the federal and territorial governments.

 

 (2) A board shall notify affected communities and first nations of an application made to the board for a licence, permit or authorization and allow a reasonable period of time for them to make representations to the board with respect to the application.

 

 

64. (1) A board shall seek and consider the advice of any affected first nation and, in the case of the Wekeezhii Land and Water Board, the Tlicho Government and any appropriate department or agency of the federal or territorial government respecting the presence of heritage resources that might be affected by a use of land or waters or a deposit of waste proposed in an application for a licence or permit.

 

 (2) A board shall seek and consider the advice of the renewable resources board established by the land claim agreement applicable in its management area respecting the presence of wildlife and wildlife habitat that might be affected by a use of land or waters or a deposit of waste proposed in an application for a licence or permit.

 

 

65. Subject to the regulations, a board may establish guidelines and policies respecting licences, permits and authorizations, including their issuance under this Part.

 

 

[17]           De plus, dans la partie 5, qui traite de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie (l’Office d’examen), le paragraphe 118(1) prévoit expressément que la délivrance d’un permis nécessaire à la réalisation d’un projet de développement n’a lieu qu’une fois remplies les exigences de la partie 5.

 

[18]           Les différents aspects du processus sont décrits de façon plus détaillée dans la partie 5, et les étapes prescrites sont décrites aux alinéas 124(1)a) et b) et 125(1)a) et b) :

124. (1) L’autorité administrative ou l’organisme administratif désigné saisi, en vertu d’une règle de droit fédérale ou territoriale mentionnée dans les règlements pris en vertu de l’alinéa 143(1)b), d’une demande de permis ou d’autre autorisation relativement à un projet de développement est tenu d’en informer l’Office par écrit et d’effectuer un examen préalable du projet, sauf si celui-ci y est soustrait parce que, aux termes des règlements pris en vertu de l’alinéa 143(1)c) :

 

 

a) soit ses répercussions environnementales ne sont pas importantes;

 

 

 

b) soit l’examen ne serait pas indiqué pour des motifs de sécurité nationale.

 

 

 

 

125. (1) Sauf dans les cas visés au paragraphe (2), l’organe chargé de l’examen préalable indique, dans un rapport d’examen adressé à l’Office, si, à son avis, le projet est susceptible soit d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement, soit d’être la cause de préoccupations pour le public. Dans l’affirmative, il renvoie l’affaire à l’Office pour qu’il procède à une évaluation environnementale.

124. (1) Where, pursuant to any federal or territorial law specified in the regulations made under paragraph 143(1)(b), an application is made to a regulatory authority or designated regulatory agency for a licence, permit or other authorization required for the carrying out of a development, the authority or agency shall notify the Review Board in writing of the application and conduct a preliminary screening of the proposal for the development, unless the development is exempted from preliminary screening because

 

(a) its impact on the environment is declared to be insignificant by regulations made under paragraph 143(1)(c); or

 

(b) an examination of the proposal is declared to be inappropriate for reasons of national security by those regulations.

 

 

125. (1) Except as provided by subsection (2), a body that conducts a preliminary screening of a proposal shall

 

(a) determine and report to the Review Board whether, in its opinion, the development might have a significant adverse impact on the environment or might be a cause of public concern; and

 

(b) where it so determines in the affirmative, refer the proposal to the Review Board for an environmental assessment.

 

[19]           Les principes directeurs et l’objet de l’ensemble du processus sont expliqués en ces termes, aux articles 114 et 115 :

114. La présente partie a pour objet d’instaurer un processus comprenant un examen préalable, une évaluation environnementale et une étude d’impact relativement aux projets de développement et, ce faisant :

 

a) de faire de l’Office l’outil primordial, dans la vallée du Mackenzie, en ce qui concerne l’évaluation environnementale et l’étude d’impact de ces projets;

 

b) de veiller à ce que la prise de mesures à l’égard de tout projet de développement découle d’un jugement éclairé quant à ses répercussions environnementales;

 

c) de veiller à ce qu’il soit tenu compte, dans le cadre du processus, des préoccupations des autochtones et du public en général.

 

115. Le processus mis en place par la présente partie est suivi avec célérité, compte tenu des points suivants :

 

 

a) la protection de l’environnement contre les répercussions négatives importantes du projet de développement;

 

b) le maintien du bien-être social, culturel et économique des habitants et des collectivités de la vallée du Mackenzie;

 

c) l’importance de préserver les ressources pour le bien-être et le mode de vie des peuples autochtones du Canada visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui utilisent les ressources d’une région de la vallée du Mackenzie.

114. The purpose of this Part is to establish a process comprising a preliminary screening, an environmental assessment and an environmental impact review in relation to proposals for developments, and

 

(a) to establish the Review Board as the main instrument in the Mackenzie Valley for the environmental assessment and environmental impact review of developments;

 

(b) to ensure that the impact on the environment of proposed developments receives careful consideration before actions are taken in connection with them; and

 

(c) to ensure that the concerns of aboriginal people and the general public are taken into account in that process.

 

 

115. The process established by this Part shall be carried out in a timely and expeditious manner and shall have regard to

 

(a) the protection of the environment from the significant adverse impacts of proposed developments;

 

 

(b) the protection of the social, cultural and economic well-being of residents and communities in the Mackenzie Valley; and

 

(c) the importance of conservation to the well-being and way of life of the aboriginal peoples of Canada to whom section 35 of the Constitution Act, 1982 applies and who use an area of the Mackenzie Valley.

 

 

[20]           L’article 123.1 traite des consultations, lesquelles s’appliquent uniquement à l’Office ou à une formation de l’Office.

123.1 Au cours de l’étude d’impact ou de l’examen des répercussions environnementales d’un projet de développement, la formation de l’Office ou la formation conjointe ou la commission conjointe établie par l’Office et une autre autorité procède aux consultations exigées par les accords de revendication et, en outre, elle peut consulter toute personne qui utilise les ressources de la région où le projet peut avoir des répercussions sur l’environnement.

123.1 In conducting a review or examination of the impact on the environment of a development, a review panel of the Review Board or a review panel, or a joint panel, established jointly by the Review Board and any other person or body,

 

(a) shall carry out any consultations that are required by any of the land claim agreements; and

 

(b) may carry out other consultations with any persons who use an area where the development might have an impact on the environment.

 

[21]           Le Règlement établit de façon plus détaillée le processus de demande de permis. La personne qui sollicite un permis doit fournir des renseignements particuliers concernant l’utilisation des terres dans un plan préliminaire. Le demandeur doit donner certains détails quantitatifs ou qualitatifs, lorsqu’il les connaît, et un inspecteur peut procéder à une inspection et faire rapport de ses conclusions à l’Office. L’article 22 du Règlement énumère les options de l’Office :

22. (1) Dans les 10 jours suivant la réception de la demande d’un permis de type A, l’office :

 

a) dans le cas où la demande n’est pas conforme au présent règlement, la retourne au demandeur et l’informe par écrit des motifs du rejet;

 

 

 

b) dans tout autre cas, donne au demandeur un avis écrit indiquant la date de réception de la demande et précisant qu’il prendra, sous réserve des articles 23.1 et 24, l’une des mesures visées au paragraphe (2) dans les 42 jours suivant la réception de la demande.

 

(2) Sous réserve des articles 23.1 et 24, lorsque l’office ne retourne pas la demande aux termes de l’alinéa (1)a), il prend l’une des mesures ci‑après dans les 42 jours qui suivent la réception de la demande :

 

a) il délivre un permis de type A assorti de toute condition prévue au paragraphe 26(1);

 

 

b) il effectue une enquête en vertu de l’article 24 de la Loi ou exige la réalisation d’études ou d’investigations supplémentaires au sujet des terres visées par le projet et en communique les raisons par écrit au demandeur;

 

 

 

c) il renvoie, aux termes du paragraphe 125(1) ou de l’alinéa 126(2)a) de la Loi, la demande à l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie afin que celui-ci procède à une évaluation environnementale, et il en communique les raisons par écrit au demandeur;

 

d) dans le cas où les exigences des articles 61 ou 61.1 de la Loi ne sont pas respectées, il refuse de délivrer le permis et en communique les raisons par écrit au demandeur.

 

[Non souligné dans l’original]

22. (1) The Board shall, within 10 days after receipt of an application for a Type A permit,

 

(a) where the application was not made in accordance with these Regulations, return the application to the applicant and advise the applicant in writing of the reasons for its return; or

 

(b) notify the applicant in writing of the date of receipt of the application and of the fact that the Board will take, subject to sections 23.1 and 24, one of the measures referred to in subsection (2) within 42 days after its receipt.

 

 

(2) Subject to sections 23.1 and 24, if the Board does not return an application under paragraph (1)(a), it shall, within 42 days after receipt of the application,

 

 

 

(a) issue a Type A permit, subject to any conditions included pursuant to subsection 26(1);

 

(b) conduct a hearing under section 24 of the Act or require that further studies or investigations be made respecting the lands proposed to be used in the land-use operation and notify the applicant in writing of the reasons for the hearing, studies or investigations;

 

(c) refer the application to the Mackenzie Valley Environmental Impact Review Board under subsection 125(1) or paragraph 126(2)(a) of the Act for an environmental assessment and notify the applicant in writing of its referral and of the reasons for the referral; or

 

 

(d) if a requirement set out in section 61 or 61.1 of the Act has not been met, refuse to issue a permit and notify the applicant in writing of its refusal and of the reasons for the refusal.

 

 

L’alinéa 22(2)b) a été qualifié d’option de « pause » en vertu de laquelle, une fois une étude terminée, un nouveau délai de 42 jours commence à courir.

 

[22]           L’importance de toutes ces dispositions tient en partie à ce que les demandeurs s’appuient sur leur interprétation selon laquelle une Première nation qui envoie une lettre exprimant des préoccupations quant à la consultation déclenche l’application de l’alinéa 22(2)b) du Règlement, de sorte qu’Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) sera informé de la transmission de ces [traduction] « lettres d’assertion » et ouvrira donc la voie à la consultation.

 

[23]           En plus de la Loi et du Règlement, l’Office a établi des lignes directrices en matière de permis et de demandes d’autorisation, afin d’aider les personnes qui souhaitent obtenir un permis. Il a publié les « Public Involvement Guidelines for Permit and Licence Applicants to the Mackenzie Valley Land and Water Board » [lignes directrices sur l’engagement du public, à l’intention des personnes sollicitant un permis ou une autorisations à l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie], un document de nature générale, et il existe également des lignes directrices particulières pour ce qui est des Premières nations dénées de l’Akaitcho. Ce sont ces lignes directrices, et non le régime législatif, qui font expressément état de consultations avec les Premières nations concernées à l’étape préliminaire. Ainsi peut‑on lire, dans les lignes directrices des PNDA : [traduction] « Il est important que les promoteurs rencontrent les PNDA en personne avant de présenter une demande ».

 

[24]           Même si ces lignes directrices n’ont pas force de loi, elles sont importantes parce que le gouvernement a indiqué qu’il examinera les consultations engagées par les demandeurs de permis pour décider s’il y a eu une consultation suffisante.

 

[25]           Outre les politiques de l’Office en matière de consultation, les Premières nations de l’Akaitcho ont mis au point leurs propres lignes directrices (les « Akaitcho Exploration Guidelines » [ou lignes directrices de l’Akaitcho en matière de prospection]) et un modèle d’entente de prospection. Le modèle d’entente établit un processus de consultation suivi et continu, exige des possibilités d’emploi et des occasions d’affaires (si possible, la réalisation d’études et de surveillance archéologiques (incluant des visites des lieux)) et prévoit certaines mesures d’atténuation. Le coût de ces mesures doit être supporté par le demandeur de permis. En contrepartie, les Premières nations offrent leur soutien.

 

C.        North Arrow Inc. et le projet Phoenix

[26]           North Arrow, défenderesse désignée qui ne participe pas au présent contrôle judiciaire, est une société de prospection relativement modeste, établie à Vancouver et possédant un bureau technique à Yellowknife. Les activités de la société consistent à acquérir de nouvelles [traduction] « occasions » de prospection de lithium en Amérique du Nord.

 

[27]           Le projet Phoenix est situé à 340 kilomètres au nord‑est de Yellowknife, dans une zone éloignée et sur des terres publiques. Des recherches et une prospection antérieures avaient révélé la présence de lithium.

 

[28]           North Arrow souhaitait entreprendre une prospection plus sérieuse et cherchait donc à obtenir un permis autorisant la prospection, la cartographie, l’étude géophysique du sol et le sondage au diamant à certains endroits choisis susceptibles de receler du lithium sur la propriété.

 

[29]           North Arrow s’est adressée à l’Office en décembre 2008 au sujet de la présentation d’une demande de permis de type A pour l’utilisation de terres à des fins de prospection minière. On a conseillé au représentant de la société, un certain M. Clarke, de consulter les Premières nations concernées.

 

[30]           Au début de janvier 2009, un agent d’examen préalable en vertu du Traité no 8 de l’Akaitcho, qui travaillait au bureau de mise en œuvre de l’EMP, a reçu de North Arrow un feuillet de documentation sur le lithium et une ébauche de demande de permis. L’agent d’examen préalable a porté la demande à la connaissance de l’office d’examen préalable plus tard ce mois‑là.

 

[31]           Le 21 janvier 2009, M. Clarke a rencontré un représentant du bureau des terres et de l’environnement des Yellowknives, auquel il a transmis essentiellement les mêmes renseignements que ceux fournis plus tôt à l’agent d’examen préalable.

 

[32]           Plus tard, au cours du mois de février, M. Slack du bureau des terres et de l’environnement des Yellowknives a présenté les renseignements compris dans la demande au chef et aux conseils des Yellowknives, qui ont conclu que les renseignements fournis faisaient craindre que le projet ait des répercussions sur la collectivité. Il a décidé de s’employer à parvenir à une entente avec North Arrow afin de circonscrire et d’atténuer les éventuelles répercussions.

 

[33]           M. Slack a subséquemment fait part à M. Clarke d’un projet d’accord de prospection qui soulignait la compréhension qu’avait la bande des limitations financières d’une petite société minière et laissait voir un consentement à négocier. Le courriel précisait que les Yellowknives n’entretenaient pas de préoccupations sérieuses à l’égard du projet, pour autant que l’accord de prospection soit conclu.

 

[34]           North Arrow souhaitait visiblement traiter avec un seul interlocuteur au sein de la nation autochtone plutôt que négocier avec les deux bandes, mais ce n’était pas possible.

 

[35]           Après avoir examiné le projet d’accord de prospection, M. Clarke a laissé savoir que s’il était d’accord avec certains aspects afférents à la notification des activités et des informations à jour sur le projet, les exigences de l’accord touchant l’étude archéologique, la surveillance environnementale, la formation professionnelle et les occasions d’affaires n’étaient pas acceptables parce qu’elles ne comportaient pas de coût fixe et ne pouvaient être supportées par la société. M. Clarke s’est aussi opposé à ce que la société doive payer pour que le chef, le conseil et le sénat des aînés participent à une réunion entre l’entreprise et la bande.

 

[36]           North Arrow a déposé sa demande de permis auprès de l’Office le 14 avril 2009; à la même date, une lettre de M. Clarke informait les Yellowknives que l’accord proposé était inacceptable. Le même jour, North Arrow a informé l’Office que la consultation avec la bande était terminée.

 

[37]           Le lendemain, M. Slack a tenté de répondre aux préoccupations de M. Clarke, insistant sur le fait qu’il s’agissait d’une ébauche d’accord et que la bande était disposée à être suffisamment flexible pour traiter tant avec de petites qu’avec de grandes sociétés. M. Slack précisait que certains sujets pouvaient faire l’objet de négociations, mais concluait en disant qu’à défaut d’un accord de prospection, les Yellowknives ne pourraient pas appuyer le projet. M. Clarke n’a jamais répondu à cette lettre.

 

[38]           North Arrow était aussi en contact avec les Lutsel K’e, mais de manière encore moins régulière et structurée. Un certain M. Ellis a envoyé à M. Clarke un courriel dans lequel il expliquait le chevauchement des territoires respectifs des deux Premières nations et la nécessité de traiter avec les deux bandes, Une semaine plus tard, M. Clarke a transmis un courriel pour s’enquérir de la possibilité d’une rencontre avec les Premières nations.

 

[39]           Bien que la bande Lutzel K’e ait été avisée du projet dans une certaine mesure, les relations officielles n’ont débuté qu’à la fin de février. À cette époque, North Arrow a transmis un ensemble de documents d’information, par courrier électronique, au département de la faune, des terres et de l’environnement des Lutsel K’e. Cette fois encore, North Arrow a rejeté les propositions parce que les coûts étaient trop élevés, mais avant que la bande Lutsel K’e ait pu répondre en proposant un budget plus modeste, la demande de permis a été déposée.

[40]           Selon la preuve, il n’y a eu aucune consultation ni rencontre en personne avec des membres des collectivités au sujet du projet, si ce n’est des rapports établis avec M. Slack.

 

[41]           Sur réception de la demande de permis, l’Office en a donné avis aux deux Premières nations, notamment, et les a invitées à transmettre des observations écrites au plus tard le 6 mai 2009. L’Office a demandé l’avis de l’office d’examen préalable et, les 4 et 6 mai respectivement, les Yellowknives et les Lutsel K’e ont présenté à l’Office des lettre dites [traduction] « d’assertion » dans lesquelles elles exposent les droits protégés par l’article 35 et déclarent que les demandes porteraient atteinte à ces droits.

 

[42]           Les Lutsel K’e, plus particulièrement, ont déploré de n’avoir pas été consultés. Ils ont décrit de façon générale les utilisations traditionnelles que fait la bande du territoire, particulièrement pour la chasse, et ont fait part de leur conviction qu’un certain nombre de lieux historiques et de lieux de sépulture se trouvent sur le territoire. Les Lutsel K’e ont aussi fait valoir que les consultations ne devaient pas être [traduction] « symboliques » comme elles l’avaient été en l’occurrence. Ils ont rejeté la proposition suggérant qu’ils ne faciliteraient pas les relations avec de petites sociétés et ont affirmé que North Arrow avait tout simplement refusé leurs propositions comme étant déraisonnables, sans mentionner que la société avait entendu les préoccupations des Lutsel K’e.

 

[43]           La nature et la teneur de la lettre des Yellowknives est semblable. La différence la plus frappante réside dans la déclaration confirmant en ces termes la nécessité d’un accord de prospection : [traduction] « Sans un accord de prospection signé, la société et AINC devront veiller à tenir une consultation adéquate et à ménager des accommodements appropriés sous une autre forme juridique satisfaisante. À défaut, la Première nation des Dénés Yellowknives n’aura d’autre choix que de dénoncer l’atteinte à ses droits ».

 

[44]           En recevant ces deux lettres, l’Office a invoqué l’alinéa 22(2)b) du Règlement pour entreprendre une « étude supplémentaire ». Il semble bien que cette étude supplémentaire se soit limitée à une consultation auprès d’AINC pour décider s’il y avait eu une consultation suffisante.

 

[45]           Au début de juin, M. Clarke, au nom de North Arrow, a écrit au personnel de l’Office pour demander si l’obligation de consulter représentait le seul obstacle à demande de la société. La réponse a été la suivante : [traduction] « L’Office ne décide pas si la Couronne a tenu une consultation. C’est AINC qui se prononce sur cette question. Si AINC informe l’Office que la consultation est complétée, l’Office poursuivra le processus de délivrance d’un permis d’utilisation des terres. »

 

[46]           La preuve de tous les déposants autochtones, en l’espèce, confirme massivement que ni l’Office ni AINC n’ont communiqué avec les bandes à quelque moment que ce soit avant la délivrance du permis. Pour mieux faire ressortir ce fait, les déposants ont déclaré qu’aucun ministère n’avait communiqué avec eux.

 

[47]           La première communication du gouvernement, et en particulier d’AINC, a eu lieu en août 2009, lorsque AINC a contacté une personne du nom de Stephanie Poole pour lui demander si elle était au courant de la lettre transmise par AINC à l’Office et comment la bande pourrait répondre à une décision qui ne lui plaisait pas.

 

[48]           Effectivement, le 29 juin, AINC avait transmis à l’Office, par télécopieur, une lettre en date du 18 juin contenant sa réponse à la demande de confirmation concernant l’obligation de consulter. La position prise par AINC était que [traduction] « dans la présente situation, l’obligation juridique de consultation a été respectée ».

 

[49]           Les détails de la lettre donnent une idée de la façon dont AINC pourrait être parvenue à la conclusion que l’obligation de consulter avait été respectée :

[traduction]

·        Les conditions recommandées par d’autres ministères – pourvu qu’elles soient soit respectées, soit dépassées – atténueront tout effet néfaste sur la faune et sur l’environnement. Les Premières nations ont soulevé des questions quant à certaines répercussions négatives sur des lieux culturels, mais elles n’ont fourni aucune précision. AINC aidera à trouver des accommodements à cette préoccupation en travaillant de concert avec les Premières nations pour identifier ces lieux, étant entendu que l’entreprise devrait adapter son programme de travail de façon à réduire les répercussions sur ces lieux.

 

·        AINC attire l’attention sur la participation des Autochtones dans le processus réglementaire et fait remarquer que le ministère tient compte des aspects procéduraux de la consultation tenue dans ce contexte. AINC prend acte de l’exigence des PNDA que North Arrow signe un accord et du fait que leur réaction, devant le refus de la société, a été [traduction] « qu’elles ne participeraient pas aux processus consultatifs avant la signature d’un accord de prospection ». La lettre indique ensuite qu’AINC s’attend à ce que les groupes autochtones [traduction] « ne fassent pas obstacle aux efforts raisonnables déployés par des sociétés pour fournir de l’information sur une éventuelle exploration des ressources et pour en discuter […] » et à ce que [traduction] « les mesures d’accommodement soient proportionnelles aux possibles répercussions négatives sur leurs droits ».

 

·        AINC décrit également les autres mécanismes destinés à permettre la présentation d’observations (comme l’EMP et ses processus connexes) et l’expectative du ministère que les groupes autochtones utiliseront ces mécanismes.

 

[50]           Le 16 juillet 2009, l’Office a délivré à North Arrow le permis de type A demandé pour l’utilisation de terres à des fins de prospection minière au lac Aylmer. Le permis, d’une durée de cinq ans, doit expirer le 15 juillet 2014.

 

[51]           Une liste de conditions établies conformément au Règlement était annexée au permis, dans un document totalisant cinq pages. Ces conditions incluent des précisions quant à la protection des lieux historiques et archéologiques et des lieux de sépulture (à savoir qu’aucun véhicule ne doit être utilisé à proximité d’un tel lieu et qu’il faut aviser l’Office de toute découverte d’un lieu de cette nature) et des exigences concernant la gestion générale des déchets, l’entreposage des carburants et la restauration des terres. Aucune condition précise ne porte sur les dispositions du Règlement relatives à la faune et à l’habitat du poisson.

 

[52]           Il appert maintenant très clairement qu’en août 2009, lorsque AINC a communiqué avec Stephanie Poole, l’agente d’examen préalable au titre du Traité no8, le permis avait déjà été délivré et de fait, le forage avait déjà débuté.

 

III.       QUESTIONS EN LITIGE

[53]           Les demandeurs soulèvent toute une série de questions découlant de la décision de l’Office, mais pour l’essentiel, leurs préoccupations sont axées sur la nature des obligations de l’Office, la délégation à AINC, le défaut de l’Office de se conformer à la Loi et la question de savoir si la Couronne a manqué à son obligation de consulter.

 

[54]           Si les questions suivantes sont interdépendantes jusqu’à un certain point, on peut néanmoins les subdiviser comme suit :

1.         Quelle est la nature de la compétence de l’Office en matière de consultation?

a)         L’Office doit‑il décider si la Couronne a rempli son obligation d’accommoder, et a‑t‑il commis une erreur en déléguant cette décision à AINC?

b)         Cette délégation de l’Office à AINC a‑t‑elle donné lieu à une décision inéquitable sur le plan de la procédure (suscite‑t‑elle notamment une crainte raisonnable de partialité)?

2.         L’Office a‑t‑il dérogé aux dispositions de la Loi, et en particulier à l’article 62, en ne respectant pas, selon les allégations, les dispositions de la partie 5 et de l’article 60.1?

3.         La Couronne s’est‑elle acquittée de son obligation de consulter (cette question porte aussi sur la nature et l’étendue de cette obligation).

 

IV.       ANALYSE

A.        Requête en radiation présentée par le défendeur

[55]           Le défendeur a déposé une requête visant la radiation, en tout ou en partie, de plusieurs des affidavits des demandeurs. Cette requête porte sur neuf des vingt‑six affidavits déposés en preuve.

La principale objection tient à ce que les affidavits en cause contiennent des renseignements dont l’Office ne disposait pas.

 

[56]           Cinq des affidavits dont la radiation intégrale est demandée ont été souscrits par des experts qui traitent des répercussions de l’exploitation minière pour les Premières nations dénées de l’Atkaitcho ou pour les peuples de premières nations en général.

Les autres affidavits, dont on sollicite seulement une radiation partielle, consistent en des déclarations de membres de la collectivité qui traitent de l’importance de leurs terres, des éventuelles répercussions et de leurs propres expériences.

 

[57]           Certaines parties de certains affidavits traitent de questions juridiques et expriment des opinions d’ordre juridique; la Cour est tout à fait capable de faire abstraction de ces paragraphes irréguliers. Par ailleurs, certains des affidavits abordent des questions pertinentes, notamment les intérêts que possèdent les Premières nations dans cette région, ce qu’elles entendent par « consultation » et les répercussions du projet. Ils examinent en partie la question de savoir si et pourquoi l’obligation de consulter existe, et ce que pourrait supposer une consultation suffisante.

 

[58]           Les affidavits traitent des moyens invoqués dans la présente demande – l’omission de consulter et le défaut de l’Office d’exercer adéquatement sa compétence. Compte tenu des faits de l’espèce et de la façon dont la consultation a censément été menée, cette preuve n’a pu être mise à la disposition de l’Office, parce que les demandeurs n’ont jamais eu la possibilité de ce faire.

 

[59]           L’avis de demande soulève expressément la question de l’équité procédurale, tant à l’égard de la consultation qu’à l’égard de la crainte raisonnable de partialité. Dans de tels cas, on s’attend à ce qu’une preuve additionnelle soit déposée au soutien des arguments présentés dans le cadre du contrôle judiciaire. La preuve n’est pas admise dans le but d’étayer le bien‑fondé du permis ni pour permettre à la Cour d’étendre ou de restreindre le permis en soi, mais bien pour établir la nature des droits et des intérêts en cause, la véritable importance des droits procéduraux et leur étendue.

 

[60]           La Cour, dans l’affaire Première nation Liidlii Kue c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.N.L.R. 123, devait trancher un litige similaire de permis de forage et des répercussions de ce permis sur les groupes de premières nations vivant dans le territoire en cause. Les affidavits contestés dans cette affaire étaient à peu de choses près les mêmes que ceux présentés en l’espèce, et en permettant qu’ils soient versés au dossier, la Cour a exposé le raisonnement suivant :

31     Le principe suivant lequel le contrôle judiciaire d'une décision ne peut avoir lieu qu'en fonction des éléments dont disposait son auteur s'applique lorsqu'une décision est contestée au motif qu'elle est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'auteur de la décision disposait. Or, la contestation de la décision en cause en l'espèce ne repose pas sur ces motifs. Elle repose sur l'argument que l'auteur de la décision était tenu de consulter suffisamment la demanderesse, que ces consultations n'ont pas eu lieu et qu'on n'envisage pas en tenir.

 

32     Lorsqu'une décision est contestée au motif que l'équité procédurale n'a pas été respectée étant donné qu'on n'a pas accordé à la personne qui s'estime lésée une possibilité suffisante de faire valoir son point de vue, il arrive le plus souvent qu'on produise des éléments d'information dont ne disposait pas l'auteur de la décision. En l'espèce, les éléments de preuve se rapportant au statut de la demanderesse et à la question de savoir s'il existe une obligation de la consulter, de même que la portée de cette obligation, constituent des éléments de preuve pertinents, même s'ils n'avaient peut-être pas été portés à la connaissance de l'auteur de la décision. Dans la mesure où les nouveaux éléments de preuve se rapportent à ces questions, c'est à bon droit qu'ils ont été versés aux dossiers de la demande.

 

[61]           Dans Bande indienne Shubenacadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198, le juge Rothstein a traité aussi bien de l’exception déclinatoire que de la situation impossible dans laquelle se trouve une partie à qui on n’a pas donné une possibilité raisonnable d’être entendue alors qu’on plaide que sa preuve ne peut être admise en Cour fédérale parce qu’elle n’était pas devant le tribunal qui en avait interdit la production.

40     […] Puisqu'une décision rendue par un tribunal administratif au-delà des limites de sa compétence « n'est pas une décision du tout », il semble paradoxal de dire que cette même « décision » puisse être à l'abri d'un contrôle judiciaire si le défaut de compétence n'est jamais soulevé, et de dire que la compétence du tribunal ou la constitutionnalité de la loi organique de ce tribunal puisse être présumée. Cela équivaut à dire que les parties à une procédure administrative peuvent, par renonciation ou acquiescement, conférer à un tribunal une compétence qui n'a pas été, ou n'a pu être, conférée par le Parlement et que cette attribution de compétence par les parties échappe à tout contrôle judiciaire après que la décision est rendue. Il n'est d'ailleurs pas difficile d'imaginer qu'un tribunal outrepassera les limites de sa compétence simplement pour ne pas avoir entendu les arguments concernant cet aspect.

 

[62]           En l’espèce, on ne peut escompter que les demandeurs aient présenté à l’Office la preuve afférente au défaut de consulter, puisqu’on ne leur a jamais donné la possibilité de le faire.

 

[63]           Aucune preuve n’indique que le défendeur a subi un préjudice. Celui‑ci savait que les questions dont était saisie la Cour étaient l’absence de consultation et l’existence et la portée de cette obligation. Il a eu l’occasion de traiter de ces questions en présentant des éléments de preuve et des observations bien avant l’audition du présent contrôle judiciaire.

 

[64]           Par conséquent, la preuve est admise aux fins précisées ci‑dessus. La Cour peut facilement faire abstraction, et a d’ailleurs fait abstraction, de tous les paragraphes irréguliers, comme ceux qui portent sur des questions juridiques.

 

B.         Norme de contrôle

[65]           La question relative à la compétence de l’Office, à savoir si l’Office pouvait et aurait dû se prononcer sur l’obligation de consultation incombant à la Couronne, est une question de droit qui doit être décidée selon la norme de la décision correcte, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 59.

 

[66]           Nul ne conteste l’existence d’une obligation de consulter. Les véritables questions sont l’étendue de cette obligation et celle de savoir si cette obligation a été respectée.

 

[67]           En ce qui touche la norme de contrôle régissant l’étendue de l’obligation, la Cour en l’espèce n’a procédé à aucune analyse ni tiré aucune conclusion de fait sur cette question. La lettre adressée par AINC à l’Office décrit les processus dont peuvent se prévaloir les demandeurs et indique si l’obligation de consulter a été remplie. La question de l’étendue de l’obligation peut être dissociée de celle du respect de cette obligation et constitue une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

 

[68]           Quant à savoir si l’obligation de consulter a été respectée, l’analyse nécessite un contexte factuel que l’Office doit pouvoir définir. La Cour, dans les décisions Première nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, au paragraphe 93, et Ka’a’Gee no 1, précitée, aux paragraphes 91 à 93, a conclu que la norme de contrôle applicable à cet égard est celle de la décision raisonnable.

 

[69]           Bien que l’opportunité de délivrer un permis fasse appel à l’expertise de l’Office, tel n’est pas le cas pour ce qui est de l’existence de l’obligation de consulter, de la forme que prend cette obligation et, en l’espèce, de son respect. Dans les circonstances de l’espèce, l’Office a délégué à AINC la responsabilité de se prononcer sur la teneur de l’obligation de consulter.

 

[70]           La question de savoir si la Loi impose à l’Office de tenir compte de la consultation est une reformulation de la question de compétence décrite plus tôt. Dans Première nation Ka’a’Gee Tu c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 764 (Ka’a’Gee no 2), la Cour a jugé que la question de savoir si l’absence de consultation commande la conclusion que les exigences de la partie 5 de la Loi n’ont pas été observées, est une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

 

[71]           En conséquence, la question de savoir s’il faut interpréter la Loi comme imposant une obligation de consulter appelle la norme de la décision correcte et est incluse dans la question de compétence. La décision relative au respect effectif des exigences de la Loi est révisée suivant la norme de la décision raisonnable. .

 

C.        Question 1 – L’étendue des obligations de l’Office aux termes de la Loi – L’obligation de consulter

[72]           La Cour doit décider si l’Office était tenu de conclure que l’obligation de consulter existait et a été remplie.

 

[73]           Le défendeur prétend que l’Office doit tenir compte des préoccupations des peuples autochtones mais ne partage pas l’obligation de consultation de la Couronne. C’est à la Couronne, avance-t-il, qu’incombe cette obligation, et bien que l’Office puisse tenir compte des processus réglementaires pour décider si l’obligation a été respectée, la Couronne demeure responsable de satisfaire à cette obligation. Partant, l’Office peut agir indépendamment de l’obligation de consultation de la Couronne.

 

[74]           Le défendeur reconnaît que si, de l’avis de la Cour, l’Office était tenu de décider si la Couronne avait rempli son obligation de consulter, l’Office a délégué cette responsabilité à AINC sans être habilité à ce faire. Toutefois, le défendeur soutient qu’il a été satisfait à l’obligation de consulter et que la décision devrait être maintenue.

 

[75]           Les parties ont inutilement compliqué cette question et le litige dont la Cour est saisie. La Cour ne fera pas de déclarations générales sur l’ensemble du processus, mais limitera ses remarques aux questions réellement nécessaires pour statuer sur la validité de la décision de l’Office de délivrer un permis à North Arrow.

 

[76]           La véritable question est la portée des responsabilités qui incombent à l’Office sous le régime législatif. Cette question peut être résolue assez facilement en examinant le libellé de la Loi et la décision rendue par le juge Blanchard dans les deux décisions Ka’a’Gee. J’adopte le raisonnement de celui‑ci aussi bien par courtoisie judiciaire que parce que je souscris à ce raisonnement.

 

[77]           Bien que la décision Ka’a’Gee no 1 soit pertinente quant à l’obligation de consulter qui incombe à la Couronne, Ka’a’Gee no 2 traite tout spécialement des responsabilités de l’Office. Cette décision porte sur une décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie de délivrer un permis modifié d’utilisation de terres. La Cour devait décider si l’absence de consultation par la Couronne emportait le défaut de satisfaire aux exigences de la partie 5 de la Loi. Le juge Blanchard a conclu que oui :

66     L’article 114 de la Loi expose l’objet de la partie 5 : « instaurer un processus comprenant un examen préalable, une évaluation environnementale et une étude d’impact relativement aux projets de développement » pour, entre autres objectifs, « veiller à ce qu’il soit tenu compte, dans le cadre du processus, des préoccupations des autochtones et du public en général ». Les conditions prévues par la partie 5 ne visent pas un office ou les ministres, mais plutôt le processus lui‑même, qui doit veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones.

 

68     L’obligation de consultation de la Couronne comporte en soi l’obligation de veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones. Il s’agit là, selon moi, de l’objet fondamental de cette obligation. On ne peut donc pas dire que la Couronne, en omettant de s’acquitter de son obligation de consultation et d’accommodement dans les circonstances de l’espèce, a tenu compte des préoccupations des Autochtones, comme le prescrit l’article 114 de la Loi, avant de décider d’approuver le projet d’expansion. Toute autre conclusion ne cadrerait pas avec ma conclusion antérieure. Il importe peu dans les circonstances que l’obligation de consultation soit qualifiée de constitutionnelle ou non puisque qu’il n’est pas nécessaire de l’inclure. L’article 114 de la Loi prévoit expressément que le processus a pour objet de veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones. On ne peut donc pas dire que cette condition fondamentale de la partie 5 de la Loi a été remplie.

 

[78]           L’article 114 et l’obligation de consultation s’appliquent au processus dans son ensemble. L’examen préalable fait partie du processus. Il n’y a aucune raison, comme le soutient le défendeur, de conclure que pour une raison quelconque, les articles 62 et 114 ne s’appliquent pas à cette partie du processus.

 

[79]           De toute évidence, l’Office était aussi d’avis que la consultation par la Couronne constituait un élément qu’il devait prendre en considération pour décider s’il convenait d’accorder un permis. L’Office a fondé sa décision sur l’assurance donnée par AINC.

 

[80]           L’argument selon lequel l’Office n’avait pas compétence pour tenir compte du respect de l’obligation de consulter étant donné qu’aucune disposition législative ne l’exige est mal fondé. La Cour a rejeté un argument semblable dans Ka’a’Gee #2, le jugeant sans pertinence, parce que l’important était de vérifier si les préoccupations des Autochtones avaient été prises en compte dans le cadre du processus.

69     Comme je l’ai signalé plus tôt, les défendeurs soutiennent que, étant donné que les ministres ont un pouvoir de décision définitif, l’Office n’est pas habilité à réviser les décisions qu’ils prennent. Cela est peut‑être vrai, mais cet argument ne peut servir à remédier à une lacune fondamentale du processus. Les efforts faits par la Couronne à l’égard de l’obligation de consultation, conformément au processus prévu par la Loi, ont été jugés incompatibles avec l’honneur de la Couronne. Il n’importe donc pas de savoir si l’Office était habilité à mettre en doute le processus que les ministres responsables ont suivi. Ce qui importe, c’est qu’il y a eu manquement à l’obligation et qu’il n’a pas été tenu compte des préoccupations des Autochtones.

 

[81]           Le défendeur invoque à tort l’arrêt Standing Buffalo Dakota First Nation c. Enbridge Pipelines Inc., 2009 CAF 308. Cette décision n’étaye pas non plus l’argument des demandeurs portant que l’Office pouvait prétendre évaluer l’obligation de consultation incombant à la Couronne.

 

[82]           L’arrêt Standing Buffalo portait sur la question de savoir si l’Office national de l’énergie (ONE) était tenu de procéder à une analyse de type « Haïda » de la consultation effectuée pour prendre sa décision finale. La Cour a jugé que l’exercice des pouvoirs de l’ONE s’inscrit dans le cadre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’Office avait statué qu’il n’avait pas besoin de savoir si la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter pour rendre sa décision.

 

[83]           En l’espèce, l’Office agit apparemment conformément tant à sa loi habilitante qu’à l’article 35, puisque sa décision dépend du respect par la Couronne de son obligation de consulter. La Cour, dans Ka’a’Gee no 2, indique que l’appréciation de cette question est requise par la loi. Cela ne signifie pas que l’Office notifierait à la Couronne que cette dernière est tenue de consulter, mais il est évident que l’Office aurait pu rendre une décision différente ou mener différemment son propre processus si elle avait eu connaissance des faits entourant la consultation.

 

[84]           Compte tenu de l’arrêt Standing Buffalo et des deux décisions Ka’a’Gee, qui donnent à entendre que les questions entourant la suffisance de la consultation relèvent des tribunaux, les questions de la présumée délégation de l’Office à AINC et de la crainte raisonnable de partialité sont sans pertinence en l’espèce.

 

[85]           L’Office était justifié de demander à AINC s’il y avait eu consultation. La question de fond consiste à déterminer si l’Office s’est appuyée sur des renseignements adéquats, étant donné que sa décision dépendait de la réponse à la question de savoir si l’obligation de consulter avait été respectée. L’omission, par l’Office, d’entendre les demandeurs, mine les assises de l’information de l’Office tout en étant fautive sur le plan de la procédure.

 

D.        Question 2 – Obligation de consulter incombant à la Couronne et observation de cette obligation

[86]           La règle applicable, quant à ce qui fait naître l’obligation de consulter et quant à l’étendue de cette obligation, a fait l’objet de nombreuses décisions. Essentiellement, l’obligation de consulter et d’accommoder est fondée sur le principe de l’honneur de la Couronne, qui suppose la participation honorable de la Couronne aux processus de négociation dans le but de concilier les intérêts en jeu de la Couronne et des peuples autochtones (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69).

 

[87]           Pour que l’obligation prenne naissance, il doit y avoir i) un droit ou titre ancestral existant ou potentiel sur lequel les actions envisagées par la Couronne pourraient avoir une incidence défavorable, et ii) une connaissance (réelle ou implicite) de ce droit ou titre par la Couronne, ainsi que du fait que les actions envisagées risquent d’avoir une incidence défavorable sur ce droit ou titre.

 

[88]           Comme il a été jugé dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, le contenu de l’obligation varie selon la solidité de la revendication et les répercussions des actions envisagées sur le droit revendiqué. D’où la notion d’un « continuum » depuis la revendication peu solide et un faible risque d’atteinte jusqu’à la revendication solidement fondée où l’atteinte potentielle est sérieuse. Même à l’extrémité inférieure du continuum, la Couronne est tenue de discuter des questions soulevées sans garantie de réparation.

 

[89]           Le défendeur ne soutient pas véritablement qu’il n’y avait en l’espèce aucune obligation de consulter. Les lettres de revendication soulignent clairement l’existence de droits substantiels, touchant notamment aux lieux de sépulture, aux sentiers, à la chasse au caribou et à d’autres utilisations du territoire. La prospection pourrait avoir des répercussions sur ces droits. Le fait que le permis comporte des conditions destinées à atténuer les répercussions du projet tend à indiquer à tout le moins que celui‑ci entraînera certaines répercussions.

 

[90]           Le cas présent ne peut être assimilé à l’affaire Nation Ojibway de Brokenhead c. Canada (Procureur général), 2009 CF 484, où les droits en cause étaient « marginaux ». (Dans cette affaire, le projet de développement visait des terres privées déjà utilisées à des fins de développement semblables et non pour des activités ancestrales). En l’espèce, les terres visées sont des terres de la Couronne à l’égard desquelles existent des revendications reconnues d’utilisations traditionnelles. En outre, le débat concernant la nature du Traité de 1900, les droits rattachés aux terres et le contrôle de ces terres demeure bien vivant.

 

[91]           Au stade actuel (et considérant les commentaires des demandeurs selon lesquels des études et des consultations plus poussées feraient apparaître d’autres incidences), les répercussions se situent vers le centre du continuum. Elles justifient certainement un droit à la consultation sur les moyens à mettre en œuvre pour atténuer les répercussions, sur la façon dont les peuples autochtones continueront d’être informés des développements du projet et sur les mesures qui seront prises pour répondre à leurs préoccupations existantes et éventuelles.

 

[92]           Les observations formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Mikisew, précité, où l’obligation se situait à l’extrémité inférieure du continuum (alors qu’en l’espèce, elle est plus élevée dans le continuum), sont pertinentes :

64     L’obligation en l’espèce comporte des éléments informationnels et des éléments de solution. Dans cette affaire, étant donné que la Couronne se propose de construire une route d’hiver relativement peu importante sur des terres cédées où les droits de chasse, de pêche et de piégage des Mikisew sont expressément assujettis à la restriction de la « prise », j’estime que l’obligation de la Couronne se situe plutôt au bas du continuum. La Couronne devait aviser les Mikisew et nouer un dialogue directement avec eux (et non, comme cela semble avoir été le cas en l’espèce, après coup lorsqu’une consultation publique générale a été tenue auprès des utilisateurs du parc). Ce dialogue aurait dû comporter la communication de renseignements sur le projet traitant des intérêts des Mikisew connus de la Couronne et de l’effet préjudiciable que le projet risquait d’avoir, selon elle, sur ces intérêts. La Couronne devait demander aux Mikisew d’exprimer leurs préoccupations et les écouter attentivement, et s’efforcer de réduire au minimum les effets préjudiciables du projet sur les droits de chasse, de pêche et de piégeage des Mikisew. Elle n’a pas respecté cette obligation lorsqu’elle a déclaré unilatéralement que le tracé de la route serait déplacé de la réserve elle‑même à une bande de terre à la limite de celle‑ci. Sur ce point, je souscris à l’opinion exprimée par le juge Finch (maintenant Juge en chef de la C.‑B.) dans Halfway River First Nation, par. 159‑160 :

 

[traduction] Ce n’est pas parce qu’on a donné un avis suffisant d’une décision envisagée qu’on a aussi respecté l’exigence de la consultation suffisante.

 

L’obligation de consultation de la Couronne lui impose le devoir concret de veiller raisonnablement à ce que les Autochtones disposent en temps utile de toute l’information nécessaire pour avoir la possibilité d’exprimer leurs intérêts et leurs préoccupations, et de faire en sorte que leurs observations sont prises en considération avec sérieux et, lorsque c’est possible, sont intégrées d’une façon qui puisse se démontrer dans le plan d’action proposé. [Je souligne.]

 

[93]           Le défendeur fait valoir à juste titre que la Couronne peut s’en remettre aux actions de tiers pour évaluer si l’obligation de consultation été remplie. Elle peut déléguer la responsabilité de prendre certaines mesures consultatives à des tiers tels que North Arrow, mais l’obligation fondamentale demeure celle de la Couronne. Une tierce partie peut être assimilée à un agent de la Couronne à des fins limitées, mais non à un délégué de la Couronne. La responsabilité ultime de satisfaire à l’obligation de consultation incombe à la Couronne, non à l’Office ni à North Arrow.

 

[94]           Le problème ne réside pas dans le fait que la Couronne et l’Office ont compté sur la « consultation » effectuée par North Arrow, mais bien en ce qu’ils ont considéré à tort que cette consultation était suffisante.

 

[95]           La Couronne (AINC) et l’Office se sont effectivement fondés sur la parole de l’une des parties à la « consultation » : ils ont accepté l’affirmation de North Arrow selon laquelle la consultation était terminée et les Premières nations avaient fait échouer le processus. Or, la preuve révèle essentiellement le contraire. Même la dernière réponse des Yellowknives transmise par courrier électronique dénotait une disposition à négocier.

 

[96]           North Arrow, en revanche, a mis fin aux négociations à la première offre et n’a pas suivi les lignes directrices de l’Office en matière de consultation. North Arrow était libre d’agir ainsi impunément, parce qu’elle n’a pas d’obligation constitutionnelle envers les Premières nations. Cependant, la Couronne ne peut se réfugier derrière North Arrow ou se décharger de ses obligations en confiant les négociations à une tierce partie. La Couronne et, partant, l’Office, subissent le contrecoup de l’éclat de North Arrow.

 

[97]           Dans le cadre de négociations, des pourparlers serrés peuvent s’engager entre les parties. Les Premières nations risquent de voir leurs demandes rejetées et les tierces parties quitter la table. Toutefois, dans la mesure où une tierce partie souhaite encore mener des activités sur des terres de Premières nations ou d’une façon qui se répercute sur leurs droits, la Couronne demeure tenue à tout le moins de consulter et d’accommoder.

 

[98]           En l’espèce, aucun ministère ni office ou commission n’a discuté du projet avec les demandeurs, n’a abordé la question des mesures d’atténuation ni n’a vérifié l’exactitude des déclarations de North Arrow auprès des demandeurs.

 

[99]           Le défendeur invoque le processus réglementaire pour remédier à l’absence de communication avec les demandeurs, mais cet argument ne repose pas sur des assises solides. Bien qu’une consultation suffisante effectuée suivant le processus réglementaire puisse satisfaire à l’obligation de consultation, cela ne relève pas la Couronne de la responsabilité de vérifier si cette obligation a été respectée.

121     Il ne suffit pas d’invoquer le processus que prévoit la Loi. Dès le départ, les représentants de la Couronne ont soutenu que le processus prévu par la Loi répondait suffisamment à l’obligation de consultation, essentiellement puisque c’était ce que prévoyait la Loi. Je conviens avec les demandeurs que l’obligation de la Couronne en matière de consultation ne peut pas être circonscrite par une loi. Cela ne veut pas dire que le fait de faire jouer un processus légal ne répond jamais à l’obligation de consultation. Dans l’arrêt Taku, au paragraphe 22, la Cour suprême a conclu que le processus emprunté par la province de la Colombie‑Britannique en vertu de l’Environmental Protection Act de cette province répondait à l’obligation de la Couronne en matière de consultation. En l’espèce, les circonstances sont différentes. Les pouvoirs que la Loi accorde aux ministres doivent être exercés de manière conforme au principe de l’honneur de la Couronne. Vu la façon dont le processus de consultation pour fins de modifications a été mis en œuvre en l’espèce, pour les raisons mentionnées dans les présentes, la Couronne n’a pas respecté son obligation de consultation et il y a eu atteinte au principe de l’honneur de la Couronne.

 

Ka’a’Gee no 1, précitée, au paragraphe 121

 

[100]       La décision Ka’a’Gee no 1 n’endosse pas sans réserve la proposition selon laquelle le régime réglementaire suffit à satisfaire à l’obligation de consultation. Les faits dans cette affaire englobaient les trois étapes du processus, qui a comporté des consultations et des discussions étendues ainsi que d’importants moyens mis en œuvre pour assurer la participation des Premières nations. La loi prévoit différents types de consultation suivant l’étape du processus.

 

[101]       La Couronne, par l’intermédiaire d’AINC, a omis d’évaluer si, compte tenu des faits de l’espèce, le processus réglementaire suffisait à répondre à ses obligations en matière de consultation. La rareté des dispositions portant sur la consultation en ce qui touche l’examen préalable est révélatrice. Il n’existe aucune disposition semblable à celles en jeu dans les affaires Ka’a’Gee.

 

[102]       Seules les lignes directrices fournissent des précisions sur la consultation; or, même celles‑ci n’ont pas été suivies. Il n’est pas suffisant de disposer d’un processus, d’un cadre de référence ou d’un autre mécanisme visant la facilitation de la négociation, même si tel était le cas en l’espèce. Il demeure nécessaire d’évaluer la mise en oeuvre et les processus effectivement réalisés dans le cas sous étude. Il ne suffit pas de mettre au point un processus élaboré et de le mettre ensuite sur le pilote automatique en espérant que tout ira bien.

 

[103]       Le défendeur soutient que les préoccupations exprimées par les Premières nations n’étaient pas suffisamment précises, mais elles étaient suffisamment importantes pour faire naître l’obligation de consulter. Si cette obligation avait été remplie, ou bien les précisions auraient été dévoilées, ou bien leurs déficiences auraient été mises au jour, ou bien les problèmes auraient été réglés; sans véritable consultation, toutefois, aucun de ces résultats ne pouvait être obtenu.

 

[104]       Le défendeur a la tâche difficile de soutenir, d’une part, que l’Office ne peut évaluer si l’obligation de consultation a été remplie et, d’autre part, qu’étant donné le processus que suit l’Office, la Couronne n’est pas tenue dans les faits de consulter, parce que cette obligation est remplie.

 

[105]       En l’espèce, personne n’a assumé la responsabilité de s’assurer de la tenue d’une véritable consultation. L’obligation n’a pas été remplie. Peut‑être les demandeurs n’avaient‑ils pas le droit d’obtenir tout ce qu’ils désiraient, mais ils pouvaient prétendre à une consultation véritable d’une certaine envergure.

 

E.         Question 3 – Le respect des exigences de la Loi par l’Office

[106]       La Cour ayant conclu que toutes les parties du processus sont assujetties aux exigences de la partie 5 qui prescrivent de tenir compte des préoccupations des Autochtones, ce qui inclut la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de son obligation, la réponse à la question énoncée ci‑dessus dépend de la conclusion sur la question 2.

Si la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation, l’Office n’a pas respecté les exigences de la Loi en accordant le permis.

 

[107]       Indépendamment de la question 1, si l’Office n’a pas tenu compte des préoccupations des Autochtones ou n’a pas agi équitablement, la décision peut être annulée pour ces motifs.

 

[108]       Comme il a été jugé dans l’arrêt Standing Buffalo, tout office fédéral doit agir en conformité avec l’article 35. Ce principe trouve confirmation dans la loi régissant l’Office et dans les lignes directrices de celui‑ci.

 

[109]       La prise en considération des préoccupations des Autochtones suppose à tout le moins un examen sérieux de ces préoccupations. Or, en l’espèce, les demandeurs n’ont eu aucune possibilité de faire valoir leur point de vue sur les conditions proposées. En fait, ils n’ont jamais été informés de ces conditions.

 

[110]       L’Office n’a jamais donné aux demandeurs la possibilité d’exprimer leurs préoccupations, pas plus que ne l’a fait quelque ministère que ce soit du gouvernement fédéral.

 

[111]       Outre qu’il n’a pas donné aux demandeurs la possibilité de faire connaître leurs préoccupations, l’Office a agi sur la foi de la déclaration de North Arrow relativement à la consultation, tout comme l’a fait AINC, sans jamais entendre la réponse de ces Premières nations. Ni l’Office ni AINC ne se sont renseignés sur l’existence, la nature ou la forme des consultations alléguées.

 

[112]       L’Office a aggravé le problème en cautionnant tout simplement l’assurance donnée par AINC.

 

[113]       Dans les faits, North Arrow n’a pas agi conformément aux lignes directrices de l’Office en matière de consultation. Il n’y a eu aucune réunion en personne avec les chefs pour discuter des questions, aucune rencontre véritable avec les collectivités ni aucune tentative de répondre aux points de vue des collectivités ou de leurs dirigeants dans la proposition de North Arrow. Cette dernière a tout simplement refusé de négocier.

 

[114]       AINC s’est borné à accepter l’assurance donnée par North Arrow et à informer l’Office qu’il y avait eu consultation. Il n’y a eu aucune vérification indépendante de la part de l’un ou l’autre de ces organismes et, a fortiori, les demandeurs n’ont eu aucune « possibilité de se faire entendre ». Ces actions (ou ces omissions) dérogent aux obligations de l’Office et aux principes d’équité.

 

[115]       En conséquence, le permis ne peut pas être maintenu.

 

V.        DÉPENS

[116]       La Cour a demandé aux parties soit de s’entendre sur les dépens en convenant d’une somme forfaitaire ou de la méthode de calcul des dépens, soit de présenter des observations à la Cour. Les parties ont été incapables de parvenir à une entente.

 

[117]       Les demandeurs ont proposé une somme forfaitaire de 80 000 $ incluant les honoraires et les débours relatifs à la requête en radiation d’affidavits ou de parties d’affidavits ainsi qu’à la demande de contrôle judiciaire pour les deux Premières nations demanderesses.

Pour sa part, le défendeur préconise que chaque partie supporte ses propres dépens.

 

[118]       Vu le résultat de l’instance et l’absence de quelque élément donnant à penser que la proposition des demandeurs est déraisonnable, et compte tenu de la nature et des difficultés de l’instance, la somme forfaitaire proposée par les demandeurs est raisonnable.

 

[119]       En conséquence, la Cour adjuge aux demandeurs, à titre de dépens, une somme forfaitaire de 80 000 $ incluant les honoraires et les débours.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 12 novembre 2010

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1349-09

 

INTITULÉ :                                                   PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS YELLOWKNIVES, PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS LUTSEL K’E, CHEF TED TSETTA et CHEF EDWARD SANGRIS, en leur nom et au nom de tous les membres de la Première nation des Dénés Yellowknives, et CHEF STEVEN NITAH, en son nom et au nom de tous les membres de la Première nation des Dénés Lutsel K’e

 

                                                                        et

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        NORTH ARROW MINERALS INC.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 24 et 25 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kate Kempton

Matt McPherson

Judith Rae

 

POUR LES DEMANDEURS

Andrew Fox

Jacques-Benoit Roberge

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OLTHUIS KLEER TOWNSHEND s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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