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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

Date : 20101110

 

Dossier : IMM-2776-10

Référence : 2010 CF 1122

 

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2010

 

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

 

ENTRE :

 

 

PIERRE BOULOS ZAZA

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               M. Zaza demande à la Cour d’annuler la décision d’un agent de refuser sa demande d’examen des  risques avant renvoi (ERAR). Pour les motifs exposés ci-après, sa demande est rejetée.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen libanais âgé de 37 ans et il est de confession chrétienne maronite. Le 13 juillet 2002, il est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur pour assister à la Journée mondiale de la jeunesse. La demande de prolongation de son visa de visiteur qu’il avait faite a été rejetée et, le 2 avril 2003, il a présenté une demande d’asile. Cette demande a été rejetée et il n’a pas obtenu la permission d’interjeter appel à la Cour.  M. Zaza a alors présenté une demande d’ERAR qui a été rejetée le 27 novembre 2007. Il a été autorisé à demander le contrôle judiciaire de cette première décision relative à l’ERAR mais la Cour n’a pas eu à intervenir car le défendeur a consenti à ce que l’affaire soit renvoyée pour qu’il soit à nouveau statué sur elle. La demande d’ERAR a été réexaminée par un autre agent, qui l’a lui aussi rejetée. La présente demande porte sur le contrôle de la seconde décision relative à l’ERAR.

 

[3]               M. Zaza prétend courir des risques au Liban du fait qu’il a été pris pour cible par le Hezbollah, un puissant groupe de militants et de terroristes actif au Liban. Il affirme que le Hezbollah le persécute parce qu’il est chrétien et qu’il est perçu comme un espion par l’organisation. En avril 2002, il aurait été battu à deux reprises par des agents du Hezbollah. Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a joint quatre lettres pour étayer ses dires; chacune d’elles a été écrite en 2007, quelques années après l’instruction de sa demande d’asile.

 

[4]               L’agent a rédigé une longue décision exposant les raisons pour lesquelles il rejetait la demande après avoir, note-t-il, examiné [traduction] « très soigneusement » toute la preuve présentée.

 

[5]               L’agent a passé en revue les conclusions de la Section de la protection des réfugiés (SPR), y compris les conclusions portant que certains éléments de la revendication du demandeur n’étaient pas crédibles et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve permettant de croire qu’il serait persécuté s’il rentrait au Liban. L’agent a noté que, dans sa demande d’ERAR, le demandeur n’avait formulé aucune observation en réponse aux préoccupations soulevées par la SPR sur le plan de la crédibilité.

 

 

[6]               L’agent a conclu que le demandeur avait [traduction] « essentiellement repris l’exposé » des risques  qu’il avait présenté à la SPR, soulignant par ailleurs que la procédure d’ERAR ne visait pas à donner aux demandeurs la possibilité d’obtenir le réexamen de leur revendication mais plutôt à évaluer s’il y avait de nouveaux développements concernant les risques. L’agent a reconnu que le demandeur avait présenté des observations concernant sa famille et son degré d’établissement au Canada, mais il a souligné qu’il n’était pas habilité à tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire dans le cadre des demandes d’ERAR.

 

[7]               L’agent a procédé à l’examen de chacune des quatre lettres présentées par le demandeur. En ce qui a trait à la lettre du DElie Chanin, il a conclu que même si elle avait été écrite après l’instruction de la demande d’asile, elle contenait des renseignements qui étaient déjà disponibles avant l’audience. Il a noté que le demandeur n’avait pas tenté d’expliquer pourquoi il n’avait pu produire la lettre à l’audience de la SPR et en définitive, a conclu que la lettre ne constituait pas un nouvel élément de preuve et qu’il n’en tiendrait pas compte[1].

 

[8]               L’agent a prêté peu d’importance aux lettres écrites par le frère du demandeur, Joseph Zaza, son ami, Michel Macdeci, et son collègue de travail Joseph Abdaem, et ce, pour un certain nombre de raisons : ces lettres étaient rédigées en termes vagues et confus (elles parlaient « d’eux » sans autre précision), elles auraient pu être produites à l’audience de la SPR, elles étaient avares de détails, elles n’étaient pas accompagnées des enveloppes dans lesquelles on les avait postées depuis le Liban et elles ne provenaient pas de sources indépendantes. L’agent a conclu que les lettres ne renfermaient pas d’éléments de preuve suffisamment objectifs que le demandeur était « directement ciblé » par le Hezbollah ou qu’il serait torturé ou exécuté s’il rentrait au Liban, compte tenu que ces risques n’y étaient pas mentionnés, non plus que le risque que le demandeur soit perçu comme un espion.

 

[9]               L’agent a indiqué avoir tenu compte de la preuve documentaire relative à la situation des droits de la personne au Liban, ajoutant que c’est à la preuve documentaire courante qu’il accorderait la plus grande importance. Il souligne notamment que le Liban est une république parlementaire dont les dirigeants étaient d’appartenances diverses et ayant comme président un chrétien maronite. L’agent a également retenu des éléments de preuve indiquant que le Hezbollah conservait une importante influence dans certaines parties du pays, faisant état d’épisodes de violence impliquant le Hezbollah et offrant un résumé de l’évolution récente de la situation politique au Liban.

 

[10]           L’agent a conclu que la preuve démontrait clairement l’existence de problèmes en matière de droits de la personne au Liban et il a reconnu qu’on y rencontrait continuellement des épisodes de violence.  Néanmoins, il conclut : [traduction] « les éléments de preuve objectifs portés à ma connaissance ne sont pas suffisants pour démontrer que le Hezbollah, ou quelque autre groupe ou individu, aurait un intérêt à pourchasser le demandeur ou à le prendre pour cible s’il rentrait au Liban, plusieurs années après avoir quitté le pays, soit en juillet 2002 ». L’agent a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour conclure que le demandeur figurait dans la liste des personnes ciblées par le Hezbollah ou qu’il serait perçu comme un espion s’il était renvoyé au Liban, ou encore qu’il représenterait pour le Hezbollah un élément nuisible ou une menace sérieuse.

 

[11]           Le demandeur conteste la décision de l’agent de rejeter les lettres qu’il a produites, alléguant que ce dernier [traduction] « a tiré une série d’inférences négatives, a tenu compte de facteurs non pertinents pour apprécier la valeur probante des lettres et a exigé une preuve corroborante ». Selon le demandeur, il n’est pas obligatoire que les lettres d’appui proviennent uniquement de sources indépendantes et il invoque à cette effet l’affaire Mata Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 319, où le juge O’Keefe, acceptant des lettres rédigées par des membres de la famille, a conclu, au paragraphe 37 :

[…] il me semble que, si l’on suit le raisonnement de la Commission, n’importe quelle lettre produite au soutien de la demande d’asile serait intéressée. Cela ne saurait être. Un demandeur d’asile doit pouvoir exposer son cas.

 

[12]           J’accepte les observations du défendeur. La demande d’ERAR est fondée sur des risques qui formaient déjà le fondement de la demande d’asile du demandeur. Les quatre lettres constituaient le seul élément de preuve « nouveau » produit par le demandeur. L’agent a conclu que les lettres auraient pu être produites à l’audience devant la SPR et qu’elles auraient dû l’être. Un élément de preuve n’est pas nouveau au sens de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, du seul fait qu’il porte une date postérieure à la décision de la SPR.  Le fait que l’agent ait conclu que trois des quatre lettres ne provenaient pas de sources indépendantes ne constituait qu’un facteur de plus dans l’appréciation qu’il a faite de la preuve, et cela ne suffit pas à discréditer l’ensemble de la décision.

 

[13]           Le demandeur soutient aussi que l’agent a appliqué un critère juridique erroné et qu’il a négligé de s’interroger sur la capacité du Liban d’offrir une protection efficace aux membres de sa population qui sont la cible du Hezbollah. Le demandeur a formulé diverses observations concernant l’incapacité du gouvernement libanais à protéger sa population contre le Hezbollah et la « mauvaise appréciation » de l’agent quant au critère juridique à appliquer en matière de protection de l’État.

 

[14]           Les conclusions de l’agent selon lesquelles la preuve ne permettait pas d’affirmer que le Hezbollah s’intéressait au demandeur sont très claires. L’agent n’a pas examiné la question de la protection de l’État, et en fait, il a reconnu que le Hezbollah conservait une influence considérable dans certaines parties du pays et que le gouvernement négligeait de désarmer l’organisation. En somme, l’agent est arrivé à la même conclusion que la SPR, à savoir que le demandeur n’était pas pourchassé par le Hezbollah. Par conséquent, la question de la protection de l’État ne se posait pas.

 

[15]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’agent n’a pas conclu qu’il était possible de bénéficier de la protection de l’État au Liban du fait qu’il s’agissait d’une république parlementaire dont les dirigeants étaient d’appartenances diverses. Cet énoncé ne représentait qu’une partie de l’analyse globale de la situation du pays à laquelle s’était livré l’agent. Il n’y a pas d’erreur dans la décision de l’agent.

 

[16]           Les motifs de l’agent n’ont rien de confus ou d’incongrus. Il a passé en revue la documentation sur la situation au Liban et a conclu que le pays était aux prises avec des problèmes sur le plan des droits de la personne et que le Hezbollah continuait d’y exercer une influence. Les conclusions de l’agent ne sont pas incompatibles avec le fait qu’il a déterminé que le demandeur n’était pas recherché par le Hezbollah. À défaut de conclure que le demandeur est pourchassé comme il l’a prétendu, ce dernier ne court aucun risque en retournant au Liban.

 

[17]           La présente demande est rejetée.

 

[18]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         la présente demande est rejetée;

2.         aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                            « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2776-10

 

INTITULÉ :                                       PIERRE BOULOS ZAZA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Tayeye

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tayeye Law Office

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1]               Bien que l’agent n’en fasse pas mention, deux des lettres que le Dr Elie Chanin aurait remises au demandeur renferment des contradictions manifestes et importantes. Ces lettres, qui sont reproduites aux pages 39 et 40 du dossier de la demande, ne sont pas de la même écriture et portent des signatures différentes, et le nom de leur auteur n’y est pas épelé de la même façon.

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