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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20101109

Dossier : IMM-448-10

Référence : 2010 CF 1120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

ALEMAYEHU WORKIE GELAW,

ELFINESH ADEM MEHAMED et

YEROME ALEMAYEHU WORKIE

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour accueillera la demande présentée par les demandeurs, laquelle visait à faire annuler la décision du 2 janvier 2009 d’un agent d’immigration à Calgary, en Alberta, de rejeter leur demande de dispense de l’application des exigences relatives à l’obtention d’un visa de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) afin de leur permettre de solliciter le statut de résident permanent de l’intérieur du Canada.

 

Le contexte

[2]               Les demandeurs étaient au Canada depuis treize ans et deux mois à la date de l’audience.

 

[3]               Alemayehu Workie Gela est né le 5 janvier 1964 en Éthiopie. Il est d’ethnie amhara. Son épouse, Elfinesh Adem Mehamed, est née le 17 janvier 1973. En 1987, M. Workie Gelaw a commencé sa carrière de diplomate.

 

[4]               En mai 1993, M. Workie Gelaw a été affecté à un poste à l’ambassade d’Éthiopie à Rome. Le 4 février 1996, alors qu’il était encore en Italie, son épouse a donné naissance à leur fille, Yerome Alemayehu Workie.

 

[5]               Les défendeurs ont fui au Canada, où ils sont arrivés le 27 août 1997. Leur demande d’asile a été rejetée le 15 avril 1999. La Cour leur a refusé l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire contre cette décision. M. Workie Gelaw et son épouse ont eu une deuxième fille, Addis Alemayehu Workie, le 17 mars 2000. Addis est une citoyenne canadienne.

 

[6]               Le 20 mars 2000, un agent de révision des revendications refusées a décidé que les demandeurs ne seraient pas exposés à une menace sérieuse à leur vie ou à un risque sérieux de subir des sanctions extrêmes ou des traitements inhumains s’ils étaient obligés de quitter le Canada. Par conséquent, ils n’étaient pas admissibles à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. La Cour leur a refusé l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire contre cette décision.

 

[7]               Les demandeurs ont présenté une demande CH en avril 2000, laquelle a été rejetée le 25 juin 2002. La Cour leur a refusé l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire contre cette décision.

 

[8]               Les demandeurs ont présenté une deuxième demande CH le 1er mai 2003. La décision rendue à l’égard de cette dernière demande est celle qui est contestée.

 

[9]               Adam Alemayehu Workie, le troisième enfant de M. Workie Gelaw et de son épouse, est né le 31 octobre 2003 et est un citoyen canadien.

 

[10]           Les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 5 juin 2006. Elle a été rejetée le 7 juin 2006. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire introduite à l’encontre de cette décision.

 

[11]           Le 28 janvier 2009, l’agent a rejeté la deuxième demande CH des demandeurs. Ils n’ont été informés de cette décision qu’en mars 2009, lorsqu’ils ont vérifié le statut de leur demande en ligne. Ils ont présenté deux demandes visant à obtenir une copie de la décision, mais on ne leur en a fourni une que le 13 janvier 2010, lors d’une réunion avec l’Agence des services frontaliers du Canada concernant leur renvoi du Canada.

 

Les questions en litige

[12]           À mon avis, compte tenu des observations écrites et orales des parties, les questions appelant l’attention de la Cour sont les suivantes :

1.                  Quelles sont les normes de contrôle applicables aux questions en litige?

2.                  L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne fournissant pas aux demandeurs une décision en temps opportun?

3.                  L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne donnant aux demandeurs la possibilité de répondre à tout doute que l’agent avait?

4.                  L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère juridique?

5.                  L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte du guide IP 5?

6.                  La décision de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants est-elle raisonnable?

 

[13]           À l’audience, l’avocat des demandeurs a fait porter principalement ses observations sur la dernière question en litige, l’intérêt supérieur des enfants, sans délaisser, a-t-il dit, les autres questions qu’il avait soulevées. À mon avis, cette question est la seule qui mérite une attention sérieuse; je ne traiterai que brièvement des autres questions.

 

1. Les normes de contrôle

[14]           Les demandeurs font valoir, et je suis d’accord, que les deuxième et troisième questions en litige sont des questions d’équité procédurale susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12. Ils disent, et je suis encore d’accord, que les autres questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Yoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 343. Je suis également d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle, pour apprécier la raisonnabilité, il convient de faire montre d’une retenue judiciaire considérable à l’égard de la décision de l’agent, et selon laquelle la Cour ne doit pas soupeser à nouveau la preuve déjà appréciée par l’agent.

 

2. Une décision en temps opportun

[15]           Les demandeurs font valoir que le fait de beaucoup tarder à rendre une décision est, en l’absence de circonstances spéciales, inacceptable : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1985] A.C.F. no 1742 (1re inst.). En l’espèce, quoiqu’ils aient présenté leur demande en 2003, la décision n’a été rendue qu’en 2009, et cette décision ne leur a été communiquée que près d’un an plus tard, soit le 13 janvier 2010. Ils font valoir que cela leur est préjudiciable en raison des troubles constants qui agitent l’Éthiopie et du fait que les dangers et les difficultés auxquels ils sont susceptibles d’être exposés changent quotidiennement. Ils font en outre remarquer que la période entre la date de la décision et celle à laquelle ils ont reçu la décision, un nouveau guide IP 5 a été publié, lequel donne des instructions plus précises sur ce qu’il convient de considérer pour examiner l’intérêt supérieur des enfants. Ils font valoir que l’agent aurait dû apprécier à nouveau la demande après la publication du second guide IP 5.

 

[16]           Je suis d’accord avec le défendeur que les demandeurs doivent démontrer que le retard est déraisonnable et, en outre, qu’il leur cause un préjudice réel : Quazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1667. En l’espèce, le dossier montre que le retard a été bénéfique et non préjudiciable aux demandeurs. Après que la décision sur la demande d’ERAR a été rendue en 2008, les demandeurs ont mis à jour plus d’une fois leurs observations CH. Ils ont choisi de rester au Canada malgré les décisions antérieures selon lesquelles leur retour en Éthiopie ne les exposait à aucun risque; cette décision était la leur et ne constituait pas une circonstance qui leur était imposée. L’exercice de tous les recours disponibles prévus par la Loi ne correspond pas à une circonstance échappant au contrôle des demandeurs de contrôle judiciaire : Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356.

 

[17]           La preuve dont dispose la Cour n’est pas suffisante pour conclure que la situation en Éthiopie s’est transformée de manière importante dans la période entre le moment où la décision a été rendue et celui où elle a été communiquée aux demandeurs. De même, les demandeurs n’ont fait état d’aucun changement dans le nouveau guide IP 5 dont il serait raisonnable de dire qu’il justifie une issue différente. Le fait demeure que, en dépit du guide en vigueur, la décision de l’agent était en dernière analyse régie par les mêmes textes législatifs et la même jurisprudence.

 

3. La possibilité de répondre aux doutes

[18]           Les demandeurs font valoir qu’il ressort clairement de la décision que l’agent avait de nombreux doutes fondés sur le manque prétendu de renseignements fournis. Plus important encore, ils affirment que l’agent a rejeté leur argument selon lequel les enfants seraient tenus de renoncer à leur citoyenneté canadienne pour retourner en Éthiopie. Ils se plaignent du fait que, malgré cela, l’agent n’a pas sollicité de rencontre avec eux, ni demandé qu’ils lui fournissent davantage de renseignements, comme il aurait dû le faire selon eux. Ils prétendent que l’agent ne leur a pas donné la possibilité de dissiper les doutes qu’il avait et ils invoquent, à cet égard, la décision de la Cour dans Del Cid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 326.

 

[19]           Je ne suis pas d’accord avec l’observation écrite des demandeurs selon laquelle l’agent, dans le présent cas et étant donné les faits de l’espèce, avait l’obligation de requérir plus de renseignements des demandeurs.

 

[20]           Au paragraphe 30 de Del Cid, invoqué par les demandeurs, la Cour a déclaré que les agents avaient « l’obligation d’obtenir d’autres renseignements concernant l’intérêt des enfants né[…]s au Canada s[‘ils] pensai[en]t que les renseignements fournis par l[e] demande[ur] n’étaient pas suffisants pour l[eur] permettre d’évaluer l’intérêt des enfants ».

 

 

[21]           La question consiste à savoir si, en l’espèce, l’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour apprécier l’intérêt supérieur des enfants. La réponse à cette question est négative.

 

[22]           L’agent a porté attention au fait qu’il devait examiner de nouveaux éléments de preuve, et non procéder à une appréciation entièrement nouvelle. Tout au long de sa décision, l’agent fait bel et bien référence au manque de preuve de la part des demandeurs. Cependant, cela vise à démontrer que la preuve présentée était insuffisante pour établir des faits particuliers selon la prépondérance des probabilités. Il s’agit d’une chose différente de celle de dire que la preuve est insuffisante pour procéder à une appréciation. Par exemple, l’agent note que les demandeurs ont présenté des éléments de preuve selon lesquels ils avaient peu de rapports avec leur famille en Éthiopie. Par conséquent, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que les filles seraient exposées à une pression significative de la part de leur famille étendue pour qu’elles subissent la mutilation de leurs organes sexuels. En ce qui concerne la citoyenneté, l’agent a conclu que, étant donné les renseignements contraires, la preuve était insuffisante pour établir qu’Addis et Adam devraient renoncer à leur citoyenneté canadienne ou qu’ils seraient incapables d’obtenir des visas pour entrer en Éthiopie et y résider avec leurs parents. L’agent disposait de suffisamment de renseignements pour procéder à une appréciation, comme le requiert Del Cid, et il a noté que la preuve était insuffisante pour étayer la position des demandeurs. Par conséquent, je conclus qu’il n’y avait pas de raison pour que l’agent soulève ces questions auprès des demandeurs.

 

4. Le critère juridique appliqué

 

[23]           Les demandeurs font valoir que l’agent n’a pas considéré la preuve dans son ensemble. Ils affirment que, lorsqu’on les considère dans leur ensemble, les observations écrites justifient une décision favorable, bien qu’il soit possible qu’elles ne permettent d’établir des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives lorsqu’on les considère une à une. Ils font valoir que l’agent s’est appuyé sur des décisions antérieures rendues à leur égard, alors qu’il aurait dû procéder à une nouvelle enquête, et ils font remarquer que le seuil permettant d’établir une menace à la vie ou un risque de traitement cruel et inusité, dans le cadre d’une demande d’ERAR, est beaucoup plus élevé que le seuil permettant de conclure à un risque de difficultés indues dans le contexte d’une demande CH : Thalang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 340.

 

[24]           La conclusion de l’agent comporte un résumé ainsi qu’une appréciation globale des nombreuses observations formulées par les demandeurs, et je suis convaincu que l’agent a considéré la preuve dans son ensemble. Par ailleurs, il est clair que l’agent a considéré la question des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, et non celle des risques, conformément à Thalang.

 

[25]           Enfin, la référence faite par l’agent à la décision Wilson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 488, ainsi que l’application qu’il en a faite, comme signifiant qu’une nouvelle demande CH ne constitue pas un nouveau départ, mais que l’agent a le droit d’accorder du poids aux conclusions précédentes et qu’il ne doit considérer les nouveaux éléments de preuve que relativement aux allégations contenues dans la demande, étaient une interprétation correcte du rôle de l’agent aux fins de trancher une deuxième demande CH. Par conséquent, l’agent n’a pas commis d’erreur en accordant du poids aux décisions antérieures et en refusant de procéder à une nouvelle enquête.

 

            5. Le guide IP 5

[26]           Les demandeurs font valoir que la conclusion de l’agent, selon laquelle les difficultés que la rupture de leurs liens avec le Canada était susceptible de leur causer relevaient de leur volonté, était contraire au guide IP 5. Ils soutiennent que les exemples de circonstances relevant de la volonté d’un demandeur dans le guide IP 5 ne comprennent pas la situation dans laquelle un demandeur reste au Canada pour exercer des recours juridiques. Ils affirment que l’agent n’a pas tenu compte des considérations dont il est fait état dans le guide IP 5 et qu’il a, en conséquence, commis une erreur susceptible de contrôle : Ismeal c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1366.

 

[27]           La liste des facteurs qui dépendent de la volonté d’un demandeur, qui est fournie dans le guide IP 5, ne vise pas à l’exhaustivité. De plus, le seul facteur indépendant de la volonté d’un demandeur dont il est question dans le guide IP 5 se produit lorsque le ministre de la Sécurité publique ordonne le sursis à l’exécution des renvois dans un pays en particulier et que le demandeur établit des liens avec le Canada durant ce sursis. La conclusion de l’agent selon laquelle le séjour des demandeurs au Canada dépendait de leur volonté était raisonnable et compatible avec la jurisprudence de la Cour.

 

6. L’intérêt supérieur des enfants

[28]           Les demandeurs soutiennent que l’agent ne fut pas réceptif, attentif et sensible lors de la détermination de l’intérêt supérieur des enfants, comme cela est décrit dans Kolosovs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165. Ils font remarquer que l’agent n’a pas tenu compte de ce qui arriverait si, lors de leur retour en Éthiopie, les demandeurs laissaient au Canada les deux enfants les plus jeunes nés ici. Ils disent que la conclusion de l’agent selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants était de demeurer au Canada aurait dû mettre un terme à l’analyse. Par la suite, disent-ils, l’agent aurait pu considérer des facteurs qui auraient pu l’emporter sur cette considération, mais, au moment de considérer l’intérêt supérieur des enfants, il n’était pas approprié d’amoindrir leur intérêt en considérant leur aptitude à s’en sortir en Éthiopie.

 

[29]           Le défendeur soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’agent, après avoir conclu que les enfants étaient exposés à un risque, ne leur aurait pas accordé protection. On soutient que l’agent n’a trouvé aucune preuve de risque et qu’il s’agit de la même conclusion que celle à laquelle les autres décideurs étaient parvenus et qui avait été confirmée lors d’un contrôle judiciaire.

 

[30]           Je conclus que l’analyse à laquelle l’agent s’est livré quant à l’intérêt supérieur des enfants et, en particulier, des deux enfants les plus jeunes nés au Canada était superficielle et faisait peu de cas de leur intérêt, et que, lorsque la décision est interprétée dans son ensemble, on ne peut pas dire que l’agent fut réceptif, attentif et sensible à leur intérêt ou qu’il a analysé cet intérêt de manière appropriée.

 

[31]           L’agent a défini l’intérêt supérieur des enfants comme [traduction] « 1) de demeurer au sein d’une unité familiale et 2) d’avoir accès à l’éducation et aux soins de santé ».

 

[32]           En ce qui a trait à l’éducation, l’agent conclut qu’il [traduction] « n’est pas convaincu, selon l’ensemble de la preuve, […] que les enfants subiront des restrictions et/ou des désavantages en ce qui a trait à leur éducation » en Éthiopie. Quant aux soins de santé, l’agent conclut que [traduction] « la preuve dont je dispose est insuffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que leurs besoins en matière de santé ne seraient pas satisfaits en Éthiopie ».

 

[33]           L’agent conclut que les enfants réussiront à s’adapter à la vie en Éthiopie et que toute difficulté qu’ils pourraient rencontrer [traduction] « appartient aux conséquences malheureuses mais courantes d’avoir à quitter le Canada en raison d’une expulsion ». Cette conclusion, à mon avis, est déraisonnable, compte tenu de la montagne de renseignements présentés à l’agent quant à la situation en Éthiopie et des risques auxquels y seraient exposés les enfants.

 

[34]           Les documents soumis à l’agent faisaient état d’une situation en Éthiopie que toute personne raisonnable ne pourrait pas décrire comme des « difficultés », et il n’est pas non plus possible de la décrire comme [traduction] « les conséquences courantes d’avoir à quitter le Canada ». Un rapport de Carol A. Daw, déposé en même temps que la demande initiale, résume certains de ces éléments de preuve de la manière suivante :

[traduction]

 

L’Éthiopie est pauvre et accablée par des cycles de sécheresse et d’instabilité politique. On les [sic] considère actuellement comme une « démocratie fragile ». Le produit national brut (PNB) est de 100 $ et leur infrastructure de santé n’est accessible qu’à 50 p. 100 de la population. Seulement 14 à 17 p. 100 des femmes sont considérées comme sachant lire et écrire, et leur espérance de vie est basse, entre 41 et 45 ans. Une femme sur sept meurt des complications de la grossesse et de l’accouchement. On estime que trois millions de personnes sont séropositives pour le VIH et, selon certaines prévisions, un adolescent éthiopien sur trois mourra du SIDA.

 

[…]

 

Certains reportages de Radio-Canada décrivent la situation actuelle en Éthiopie comme pire que la grande famine de 1984. Le secrétaire général des Nations Unies a exprimé quelque espoir pour les enfants d’Éthiopie, en disant que ceux qui bénéficient des programmes de suppléments alimentaires survivent à la famine. Les soins de santé gratuits sont rares.

 

Le rapport mondial sur le développement humain de 2000 de l’ONU donne un indice du développement humain (IDH) selon lequel le Canada arrive premier pour ce qui est de l’espérance de vie, de l’éducation et du revenu. L’Éthiopie arrive au 171e rang dans une liste de 174 pays (le dernier étant la Sierra Leone). L’indice de pauvreté humaine de l’ONU constitue une mesure des privations relativement à quatre dimensions de la vie humaine, soit la longévité, la connaissance, le niveau de vie et l’inclusion sociale. L’Éthiopie arrive au 83e rang parmi 85 pays « en développement ». Selon l’indice sexospécifique du développement humain, qui se fonde sur les mêmes variables que l’IDH, mais en tenant compte des inégalités entre les hommes et les femmes, le Canada arrive premier, tandis que l’Éthiopie arrive 141e dans une liste de 143 pays.

 

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les filles éthiopiennes sont exposées à la violence et à l’abus sexuel, y compris aux viols et aux enlèvements. Cela affecte leur développement physique ainsi que leur bien-être mental et social. Les femmes éthiopiennes ont une probabilité 200 fois plus grande de mourir de complications consécutives à la grossesse. Leur statut peu élevé dans la société augmente leurs risques.

 

[35]           À mon avis, conclure que les risques sérieux, comprenant la mort prématurée, le viol, l’enlèvement, le mariage forcé et la discrimination violente, auxquels seraient exposés ces enfants (dont deux sont nés au Canada) s’ils étaient renvoyés ne constituent que des conséquences habituelles et ordinaires d’une expulsion est inique.

 

[36]           La Cour d’appel fédérale dans Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, a statué que l’on pouvait satisfaire à l’exigence selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte « en évaluant le degré de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant ». L’agent supposait en l’espèce que les deux enfants les plus jeunes voyageraient avec leurs parents et leur sœur plus âgée en Éthiopie. Par conséquent, il incombait à l’agent de considérer le degré de difficultés auquel les enfants seraient exposés en Éthiopie. À mon avis, cela requérait que l’agent considérât les risques auxquels les enfants seraient exposés en Éthiopie. Étant donné la preuve relative aux risques sérieux et importants auxquels les enfants seraient exposés en Éthiopie, la conclusion de l’agent selon laquelle les difficultés auxquelles ils étaient exposés [traduction] « dans cette situation, sont celles auxquelles sont exposés ceux qui doivent quitter le Canada après une longue période de temps » montre que l’agent n’a pas bien apprécié la tâche qu’il était tenu d’accomplir.

 

[37]           Quoique l’intérêt supérieur des enfants ne constitue pas un facteur déterminant dans les demandes CH, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il était un « facteur important » et qu’il fallait lui accorder un « poids considérable ». Dans la présente affaire, les seuls facteurs qui ont été déterminés comme défavorables à la demande CH étaient que les demandeurs n’avaient pas le droit d’être au Canada, que leur renvoi avait été ordonné et qu’ils pouvaient bénéficier de nombre des processus disponibles dans le cadre de la législation en matière d’immigration. Ces facteurs négatifs sont communs à la plupart des demandes CH, sinon à toutes. Aucune preuve n’a été présentée selon laquelle les demandeurs n’étaient pas des membres respectueux de la loi, indépendants et productifs de la société canadienne. Quoiqu’il revienne à l’agent affecté à la demande CH, et non à la Cour, de procéder à l’appréciation des facteurs positifs et négatifs, on doit se demander quel poids a été accordé à l’intérêt des enfants, y compris au fait qu’aucun d’eux n’ait jamais été en Éthiopie, alors que le côté négatif du bilan est si faible.

 

[38]           La décision de l’agent sera annulée.

 

[39]           Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie et la demande CH des demandeurs est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-448-10

 

INTITULÉ :                                       ALEMAYEHU WORKIE GELAW ET AUTRES c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 9 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter W. Wong, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CARON & PARTNERS, LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POU R LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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