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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101108

Dossier : T-1784-06

Référence : 2010 CF 1099

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2010

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

PHILIP MORRIS PRODUCTS S.A.

et ROTHMANS, BENSON & HEDGES INC.

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

MARLBORO CANADA LIMITÉE

et IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE

défenderesses

(demanderesses reconventionelles)

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction......................................................................................................................... para. 1

 

II. Les faits …......................................................................................................................... para. 8

........... A. Les parties.............................................................................................................. para. 8

 

........... B. Les faits pertinents antérieurs au litige................................................................. para. 11

                        (1) Les demanderesses et leurs activités …………………………………….para. 12

....................... (2) Les activités des défenderesses............................................................... para. 40

.......................

....................... (3) Les faits pertinents relatifs au marché canadien des cigarettes …………...para. 51

 

........... C. Le lancement de la marque Rooftop au Canada.................................................. para. 58

 

III. Les témoins..................................................................................................................... para. 66

 

........... A. Les employés des demanderesses......................................................................... para. 67

 

........... B. Les employés et les représentants des ventes des défenderesses

........... ainsi que les personnes dont elles ont retenu les services.......................................... para. 86

 

........... C. Les experts des parties........................................................................................ para. 123

 

........... D. Les détaillants (témoins des défenderesses)........................................................ para. 155

 

........... E. Les consommateurs (témoins des demanderesses)............................................. para. 161

 

IV. Les questions en litige…….......................................................................................... para. 165

 

V. Analyse : Les questions relatives aux marques de commerce........................................ para. 167

 

........... A. Les défenderesses sont-elles précluses de contester l’emploi des marques de commerce figuratives ROOFTOP ou ont-elles acquiescé autrement à pareil emploi?................................................................................................. para. 170

 

........... B.  Les enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP constituent‑ils un moyen de défense complet aux allégations de violation des défenderesses? Le cas échéant, ces enregistrements sont‑ils valides?..... para. 183

 

........... C. Les articles 19 et 22 de la Loi sur les marques de commerce ont‑ils été enfreints?................................................................................................. para. 222

 

........... D. L’article 20 de la Loi sur les marques de commerce a-t-il été enfreint?.... para. 240

 

........... E. L’enregistrement de la marque MARLBORO est‑il valide?................ para. 294

 

VI. Analyse : La question relative au droit d’auteur.......................................................... para. 309

 

........... A. Les paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1996, 2001 et 2007 violent‑ils le droit d’auteur que possède PMPSA à l’égard de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro, selon les articles 2, 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur, et ces paquets contreviennent‑ils à l’accord intervenu entre les parties en 1952?.................................................................................................. para. 309

 

VII. Conclusion….…………………………………………........................................... ..para. 373

 


JUGEMENT

 

Paquets de cigarettes Rooftop Red, Rooftop Gold et Rooftop Silver......................... ANNEXE A

Enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP............................ ANNEXE B

Chronologie des modifications apportées aux paquets................................................. ANNEXE C

 

I.                   Introduction

[1]               La présente instance concerne les cigarettes les plus vendues dans le monde, qui sont vendues au Canada par les demanderesses en liaison avec certaines marques figuratives et nominales également associées au produit ailleurs dans le monde. Ce produit est appelé « Marlboro » sur les marchés internationaux. Au Canada, les demanderesses n’emploient pas la marque nominale MARLBORO en liaison avec leur produit parce que cette marque est enregistrée au nom d’un concurrent, l’une des défenderesses. Elles appellent plutôt leur produit « Rooftop » au Canada, en référence aux éléments graphiques figurant sur le paquet. La marque nominale ROOFTOP ne se trouve cependant pas sur les paquets de cigarettes. Il semble que ce soit la première fois que des cigarettes ont été vendues au Canada (et, fort probablement, dans le monde) sans qu’aucune marque de fabrique ne figure sur le paquet[1].

 

[2]               Le différend a pris naissance lors du lancement, en 2006, de ce produit « sans nom » que les demanderesses appellent « Rooftop ». Les défenderesses ont réagi à ce lancement en faisant parvenir aux demanderesses une mise en demeure, dans laquelle elles alléguaient que la nouvelle marque constituait une contrefaçon de leur marque de commerce déposée MARLBORO. Les demanderesses ont alors intenté la présente action afin d’obtenir un jugement déclarant que la vente des cigarettes Rooftop au Canada ne viole aucun des droits des défenderesses relatifs à la marque de commerce MARLBORO déposée. Les défenderesses ont répondu en déposant une demande reconventionnelle dans laquelle elles allèguent précisément une telle contrefaçon.

 

[3]               La présente affaire est particulière en ce qu’elle soulève une question qui n’a encore jamais été traitée. En gros, les demanderesses affirment n’avoir en rien contrefait la marque de commerce des défenderesses, alléguant, au contraire, qu’elles ne font qu’employer un emballage dont les éléments constitutifs ont été créés pour elles et leur appartiennent, et sont, de surcroît, enregistrés comme marque de commerce au Canada. Elles soutiennent en outre qu’il n’y a pas de confusion quant à la source, pas plus qu’il n’y a de confusion quant au produit contenu dans les paquets de Rooftop. Selon leur thèse, les empêcher d’identifier et de vendre leurs produits Rooftop au Canada équivaudrait à outrepasser et à accroître de manière démesurée les droits que les défenderesses pourraient détenir à l’égard de la marque nominale MARLBORO.

 

[4]               Pour leur part, les défenderesses soutiennent que les demanderesses incitent délibérément les consommateurs à associer leurs produits à la marque internationalement connue Marlboro en les commercialisant dans des paquets reproduisant l’habillage des paquets Marlboro et en se gardant d’apposer sur ces paquets quelque marque de fabrique que ce soit. En agissant ainsi, les demanderesses usurperaient implicitement – et, si je puis dire, de manière subliminale – les droits des défenderesses à l’égard de la marque nominale MARLBORO, contrevenant ainsi aux articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi).

 

[5]               Par ailleurs, les demanderesses ont modifié leur déclaration le 8 janvier 2008 afin d’alléguer que les versions de 1996, 2001 et 2007 du paquet de Marlboro des défenderesses sont essentiellement des copies et des imitations déguisées de l’[traduction] « habillage au toit rouge du paquet de Marlboro », qui est formé de différents éléments graphiques et dont le droit d’auteur leur appartient. En conséquence, elles allèguent que les défenderesses contreviennent ainsi aux articles 2, 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R. 1985, ch. C‑42, ainsi qu’à un accord conclu entre les parties en 1952.

 

[6]               Une semaine avant la date prévue pour le procès, les défenderesses ont présenté une requête afin de modifier leur défense et leur demande reconventionnelle, dans le but de contester la validité de six des enregistrements de marque de commerce figurative ROOFTOP de Philip Morris Products S.A. (PMPSA) (voir l’annexe B à la fin des présents motifs). Cette requête a été accueillie et les demanderesses ont été autorisées à modifier leurs actes de procédure en conséquence.

 

[7]               Dans leur réponse et défense à ces modifications, les demanderesses alléguaient que l’enregistrement no LMCDF55988 des défenderesses pour la marque MARLBORO était invalide parce que celle‑ci ne distinguait pas les marchandises fabriquées et vendues par la défenderesse Marlboro Canada Limitée et qu’elle n’était pas adaptée à les distinguer, contrairement aux articles 2 et 18 de la Loi sur les marques de commerce. Elles ont modifié leur déclaration en conséquence.

 

II.        Les faits

A.  Les parties

[8]               Les deux demanderesses, PMPSA et Rothmans Benson & Hedges Inc. (RBH), sont des filiales appartenant en propriété exclusive à Philip Morris International Inc. (PMI). PMPSA, une société constituée en personne morale en Suisse, est propriétaire des marques de commerce figuratives ROOFTOP et de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro qui est protégé par le droit d’auteur. RBH est une société canadienne constituée en vertu d’une loi fédérale, qui a son établissement principal à Toronto (Ontario) et qui est la licenciée exclusive des marques de commerce figuratives ROOFTOP. RBH fabrique et distribue des produits du tabac au Canada et elle est le deuxième fabricant canadien en importance de produits du tabac.

 

[9]               La défenderesse Imperial Tobacco Limitée (ITL), une société constituée en vertu d’une loi fédérale au Canada qui a son établissement principal à Montréal (Québec), est le plus grand fabricant de produits du tabac au Canada. ITL appartient en propriété exclusive à British‑American Tobacco Plc (BAT) et est la licenciée de l’enregistrement de la marque de commerce LMCDF55988 pour le mot MARLBORO. L’autre défenderesse, Marlboro Canada Ltée (MCL), est une entité constituée en vertu d’une loi fédérale dont l’établissement principal est également situé à Montréal (Québec). MCL est une filiale possédée en propriété exclusive par ITL. Elle est actuellement la propriétaire enregistrée de la marque de commerce MARLBORO.

 

[10]           Les sociétés mères PMI et BAT sont les deux plus grandes sociétés ouvertes de fabrication de produits du tabac au monde. Elles se disputent les parts de marché dans plus de 160 pays, notamment au Canada par l’entremise de leurs filiales canadiennes, RBH et ITL.

 

B.  Les faits pertinents antérieurs au litige

[11]           Le résumé qui suit est tiré en grande partie de l’exposé conjoint des faits déposé par les parties.

 

(1)  Les demanderesses et leurs activités

[12]           Les prédécesseurs en titre et anciennes sociétés affiliées de PMPSA (Philip Morris) ont commencé à exploiter leur entreprise de produits du tabac en tant que société du Royaume-Uni en 1846. En 1883, ils ont commencé à vendre des cigarettes sans filtre de marque Marlboro au Royaume-Uni. Les activités ont débuté plus tard aux États-Unis et au Canada, les ventes de cigarettes Marlboro ayant commencé en 1906 dans ces deux pays. Le paquet utilisé au Canada et aux États-Unis (le paquet Marlboro original) ressemblait à ceci :

 

[13]           En 1902, la société du Royaume-Uni a décidé de transférer les activités qu’elle menait aux États-Unis à une société américaine qui allait devenir « Philip Morris US ». Peu de temps après, elle a cédé à Philip Morris US ses droits sur le marché canadien.

 

[14]           En 1924, une société canadienne fabriquant des produits du tabac, la Tuckett Tobacco Company d’Hamilton (Ontario) (Tuckett), a commencé à vendre des cigarettes Marlboro au Canada dans le paquet Marlboro original. Tuckett a enregistré la marque MARLBORO auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada en 1932, sous le no LMCDF55988, en liaison avec les marchandises suivantes : [traduction] « tabac sous toutes ses formes et destiné plus particulièrement à être employé en liaison avec la vente de cigarettes, de papier à cigarettes, de tubes à cigarettes, de tabac, de tabac à priser et de cigares ». Même si les circonstances exactes précédant ces faits ne peuvent être vérifiées aujourd’hui, la preuve disponible datant de cette époque a été passée en revue au cours d’autres instances de la Cour concernant les mêmes parties. Dans ce contexte, le juge Rouleau a déduit de cette preuve que Tuckett avait acquis le droit relatif à la marque de commerce MARLBORO de Philip Morris.

 

[15]           Les prédécesseurs d’ITL sont devenus propriétaires de l’enregistrement de la marque de commerce MARLBORO après avoir acquis le contrôle de Tuckett vers 1930.

 

[16]           Entre 1924 et 1969, Tuckett Tobacco, maintenant sous le contrôle d’ITL, a continué de vendre des cigarettes au Canada dans le paquet Marlboro original. La promotion de ces cigarettes visait principalement les femmes; on faisait valoir qu’elles étaient destinées à des personnes raffinées, avec des slogans comme « Mild as May » [traduction] « Douce comme le mois de mai » et « Ivory Tips Caress the Lips » [traduction] « Le bout filtre ivoire caresse les lèvres ». L’une des versions avait un bout filtre rouge qui camouflait les marques de rouge à lèvres.

 

[17]           Pour sa part, Philip Morris a continué de vendre des cigarettes aux États-Unis dans le paquet Marlboro original entre 1924 et 1954. L’image projetée par la publicité était semblable à celle du produit de Tuckett Tobacco – une cigarette pour les personnes raffinées vivant en milieu urbain – et l’une de ses versions possédait également un bout filtre rouge camouflant les marques de rouge à lèvres.

 

[18]           Le paquet Marlboro original utilisé par Tuckett Tobacco jusqu’en 1969 et celui utilisé par Philip Morris jusqu’en 1954 n’étaient différents sur aucun élément important. Les ventes de ces produits ont décliné et leur distribution est devenue de plus en plus limitée.

 

[19]           Certaines des publicités canadiennes de Tuckett ont été à la source d’un litige entre les parties; ces publicités ont été décrites dans la correspondance à l’époque. Au début des années 1950, Philip Morris avait allégué que l’une de ces publicités contrevenait à un accord intervenu entre les parties le 27 août 1951. L’accord a été décrit par le président d’ITL, M. Edward C. Wood, dans une lettre datée du 22 juillet 1952 :

[traduction] Le 27 août, nous sommes parvenus à un accord ferme selon lequel nous [ITL] n’avions aucun droit d’utiliser la publicité que vous [Philip Morris] aviez créée ou de la copier, ni d’utiliser les slogans que vous pourriez créer maintenant ou dans l’avenir ou tout nouvel habillage ou changement que vous pourriez apporter aux anciens habillages. […] L’idée générale était d’arriver à un accord et de vous donner l’assurance ferme que Tuckett n’avait pas le droit de suivre les changements que vous pourriez apporter à l’habillage et à l’apparence du paquet ou de copier les différentes campagnes de publicité ou de reproduire celles en cours ou celles qui pourraient être lancées dans l’avenir.

 

Exposé conjoint des faits (ECF), paragraphe 18, annexe 5.

 

Comme M. Wood l’écrit dans sa lettre, l’accord de 1952 a été accepté et reconnu par les parties. Cet accord confirmait que les défenderesses reconnaissaient qu’elles n’auraient aucun droit relativement à l’habillage et à l’apparence des paquets que les demanderesses allaient créer dans l’avenir, ni le droit de copier les futures campagnes de publicité des demanderesses.

 

[20]           Au début des années 1950, des recherches menées par Philip Morris ont révélé que les cigarettes à bout filtre étaient de plus en plus populaires. Les filtres avaient jusque‑là été perçus comme ayant un caractère féminin. Philip Morris voulait lancer une cigarette à bout filtre à l’intention des fumeurs masculins. Il a été décidé d’adapter à cette fin la marque Marlboro dont les ventes étaient relativement faibles. Philip Morris a donc décidé de repenser complètement ses cigarettes Marlboro, leur emballage et leur image. La société a créé un mélange de tabac américain pleine saveur et a ajouté des filtres à ses cigarettes. Elle a embauché un graphiste, Francesco Gianninoto, afin qu’il crée un nouveau paquet ayant une apparence masculine et forte. Une étude de marché effectuée à l’époque a révélé que les formes angulaires étaient perçues comme étant plus masculines que les formes rondes et que le rouge était la couleur la plus efficace sur le plan psychologique à cet égard.

 

[21]           Le nouvel habillage (l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro) a été utilisé sur un nouveau paquet à abattant lancé également par Philip Morris, qui contenait 20 cigarettes longues. Ce nouveau paquet arborait le dessin d’un toit rouge vif, avec l’emblème de Philip Morris et le mot MARLBORO écrit à l’aide d’une police à empattement spéciale. M. Ross Randolph Millhiser, qui a été président de Philip Morris de 1973 à 1978 et qui était le chef de la marque MARLBORO de Philip Morris en 1954, a dirigé tous les aspects du renouvellement de la marque, de la recherche et de la conception du paquet à la publicité et aux ventes. Il décrit le nouveau paquet dans les termes suivants dans un affidavit signé en 1987 dans le cadre d’une poursuite engagée devant la Cour suprême de l’Afrique du Sud :

[traduction] Le dessin du toit rouge avec la cigarette et le bout filtre liège placés à l’intérieur du « l » et du « b » allongés – ou « ascendantes » comme nous avons appelé ces lettres – placé dans la pointe de la section blanche du dessin visait à projeter une image masculine et était compatible avec l’image de « cowboy » de la publicité qui (comme nous le verrons ci‑après) allait être adoptée. De plus, le triangle était essentiellement complété par les lettres « l » et « b » graphiquement allongées du mot MARLBORO. Le concept traduit par cette forme abstraite forte visait à évoquer clairement un style masculin et macho.

 

ECF, paragraphes 19 à 24 et 30 et annexe 7. Les parties se sont entendues pour que l’affidavit de M. Millhiser puisse être admis pour faire preuve de son contenu, M. Millhiser étant décédé en 2003.

 

 

[22]           Le créateur de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro, Francesco Gianninoto, est décédé en 1988, mais il a lui aussi signé un affidavit en 1987 dans le cadre de la même instance de la Cour suprême de l’Afrique du Sud. Dans cet affidavit, M. Gianninoto confirme qu’il a créé seul l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro et que le droit d’auteur en a été cédé à Philip Morris. Les parties s’entendent pour que l’affidavit de M. Gianninoto puisse être admis pour faire preuve de son contenu.

 

[23]           Les parties conviennent que, par suite d’une cession, PMPSA est la propriétaire du droit d’auteur au Canada relatif à l’œuvre artistique originale de Francesco Gianninoto appelée l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro :

 

[24]           Pour commercialiser son produit à l’image renouvelée, Philip Morris a lancé des campagnes publicitaires qui montraient de rudes cow-boys au travail dans la [traduction] « contrée Marlboro » et s’accompagnaient de messages comme « Come to where the flavor is. Come to Marlboro country » [traduction] « Venez au pays du goût. Venez dans la contrée Marlboro ». Ces publicités ont fait l’objet d’une grande diffusion et sont devenues très connues.

 

[25]           Le renouvellement de l’image du produit et de l’emballage et les campagnes publicitaires ont connu un immense succès et sont reconnus aujourd’hui pour compter parmi les campagnes les plus efficaces de l’histoire de la publicité. Les cigarettes Marlboro de Philip Morris ont ensuite été vendues partout dans le monde, dans plus de 160 pays, à l’exception notable du Canada. Elles sont devenues les cigarettes les plus vendues dans le monde en 1972 et les plus vendues aux États‑Unis en 1975. Aujourd’hui, les cigarettes de Philip Morris ont conservé leur premier rang dans bon nombre de pays et elles sont toujours les cigarettes les plus vendues dans le monde.

 

[26]           Deux autres produits ont été vendus au Canada en liaison avec les marques de commerce figuratives ROOFTOP. En 1958, les prédécesseurs des demanderesses ont commencé à vendre des cigarettes de marque Matador au Canada. Ce produit était commercialisé dans un paquet rouge et blanc (Matador Red) qui arborait essentiellement tous les éléments des produits Marlboro de Philip Morris qui étaient vendus ailleurs dans le monde par PMPSA, à l’exception du mot Marlboro qui était remplacé par le mot Matador sur les paquets. Une marque de commerce a été enregistrée en liaison avec ce paquet le 15 août 1958 (LMC111226). Elle est reproduite ci‑dessous :

[traduction] 20        Venez au pays du goût

 

[27]           Les cigarettes contenues dans les paquets Matador Red étaient des cigarettes canadiennes à mélange de Virginie. Une version « légère » de ces cigarettes a été mise sur le marché au Canada vers 1971. Ces cigarettes étaient vendues dans un paquet or et blanc (Matador Gold). Elles étaient également faites d’un mélange de Virginie.

 

[28]           Les paquets Matador Red et Matador Gold ont toujours contenu des cigarettes canadiennes à mélange de Virginie depuis leur lancement, et c’est encore le cas aujourd’hui. Leur apparence a été modifiée à l’occasion afin de respecter les exigences relatives aux avertissements sanitaires. Ils arborent toujours les marques de commerce figuratives ROOFTOP et les marques nominales MATADOR et COME TO WHERE THE FLAVOR IS qui font l’objet d’enregistrements distincts et qui appartiennent aussi aux demanderesses :

 

 

[traduction]             Avertissement

                        La cigarette peut causer le cancer du poumon.

85% des cancers du poumon sont causés par la cigarette. 80% des gens atteints du cancer du poumon meurent dans les trois ans suivant le diagnostic. Santé Canada

CIGARETTES FILTRE

 

Avertissement

La cigarette vous coupe le souffle

Le tabac peut causer des maladies pulmonaires dévastatrices et souvent mortelles comme l’emphysème. Santé Canada

CIGARETTES FILTRE

 

[29]           Ce produit semble être vendu dans certaines régions du Canada seulement et sa part de marché est actuellement inférieure à 0,01 %.

 

[30]           Des cigarettes de marque Maverick ont également été vendues par les prédécesseurs des demanderesses à partir environ de 1970, dans des paquets arborant les marques de commerce figuratives ROOFTOP ainsi que la marque nominale MAVERICK, qui faisait l’objet d’un enregistrement distinct et qui appartenait aux demanderesses. Ce produit n’a plus été vendu à partir de 1978 environ. Les cigarettes vendues dans les paquets Maverick étaient des cigarettes canadiennes à mélange de Virginie. Les ventes et le rayonnement de ce produit sont demeurés très limités.

 

[31]           Le 21 décembre 1979, Philip Morris a produit trois demandes en vue de faire enregistrer des marques de commerce figuratives. Toutes étaient fondées sur l’emploi des marques au Canada depuis le 8 août 1958. Deux de ces marques ont été enregistrées le 21 décembre 1979, sous les nos LMC252082 et LMC252083, alors que la troisième a été enregistrée le 9 janvier 1981 sous le no LMC254670.

[traduction] No d’enregistrement : TMA254,670

                        Date d’enregistrement : 9 janvier 1981

                        Date de dépôt : 21 décembre 1979

                        Marchandise : (1) Cigarettes

                        Fondé sur l’utilisation au Canada depuis le 8 août 1958

                        La couleur rouge est représentée sur l’image par des hachures.

                       

[traduction] No d’enregistrement : TMA252,082

                        Date d’enregistrement : 4 novembre 1980

                        Date de dépôt : 21 décembre 1979

                        Marchandise : (1) Cigarettes

                        Fondé sur l’utilisation au Canada depuis le 8 août 1958.

 

                        No d’enregistrement : TMA252,083

                        Date d’enregistrement : 4 novembre 1980

                        Date de dépôt : 21 décembre 1979

                        Marchandise : (1) Cigarettes

                        Fondé sur l’utilisation au Canada depuis le 8 août 1958

La couleur rouge est représentée sur l’image par des hachures.

 

À l’époque, les paquets de cigarettes Matador ont été utilisés pour faire la preuve de l’emploi des marques.

 

[32]           Le 26 juin 1981, Philip Morris a intenté deux poursuites contre ITL. La première visait à faire radier l’enregistrement canadien no LMCDF55988 concernant la marque nominale MARLBORO appartenant à ITL. Philip Morris prétendait notamment que cette marque n’était pas distinctive au moment de son enregistrement ni au moment de la poursuite. Au moyen de la deuxième poursuite, Philip Morris tentait d’obtenir du registraire des marques de commerce qu’il radie le même enregistrement pour défaut d’emploi.

 

[33]           Le 14 septembre 1981, ou vers cette date, ITL a intenté une action devant la Cour contre PMI pour contrefaçon de la marque de commerce enregistrée sous le no LMCDF55988, parce que PMI importait en vue de vendre et vendait des cigarettes en liaison avec la marque nominale MARLBORO au Canada.

 

[34]           À la même époque, Philip Morris a produit trois demandes d’enregistrement. Deux de ces demandes concernaient deux paquets de cigarettes Marlboro très semblables à la marque figurative Rooftop et étaient fondées sur l’emploi projeté de la marque; la troisième avait trait à un autre paquet qui arborait l’image du toit et la couleur or en arrière‑plan, mais sans aucun nom. Les deux premières demandes ont été retirées à la suite de la décision qui a été rendue par la Cour et qui a été confirmée par la Cour d’appel. La troisième demande a donné lieu à l’enregistrement no LMC274442 le 3 décembre 1982.

[traduction] No d’enregistrement : TMA274,442

                        Date d’enregistrement : 3 décembre 1982

                        Date de dépôt : 1er octobre 1981

                        Marchandise : (1) Cigarettes

                        Fondé sur l’utilisation au Canada depuis au moins 1971

                        La couleur or est représentée sur l’image par des hachures.

 

[35]           Avant que l’instance relative à la radiation de l’enregistrement no LMCDF55988 ait lieu devant le juge Rouleau, le registraire des marques de commerce avait refusé de radier cet enregistrement pour défaut d’emploi sous le régime de ce qui est maintenant l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. En conséquence, le juge Rouleau a statué à la fois sur la demande de radiation et sur l’appel relatif à la procédure prévue à l’article 45. Il a rejeté la demande de radiation et l’appel au motif que la marque de commerce d’ITL pouvait toujours être distinguée et n’avait pas été abandonnée. Il a écrit à cet égard :

[traduction] Après un examen attentif de cette question, je suis parvenu à la conclusion que le sondage et les éléments de preuve touchant la diffusion des publications américaines au Canada n’établissent pas, de façon à me convaincre, que la marque de commerce canadienne MARLBORO, dont la radiation est demandée, ait perdu son caractère distinctif. En effet, le critère à appliquer est le point de savoir si la marque de commerce employée par la défenderesse sur le marché canadien distingue ses marchandises des marchandises offertes par d’autres entreprises sur le même marché au moment de la présente procédure.

 

[...] Les marchandises produites et vendues par la défenderesse peuvent encore être distinguées de celles d’autres entreprises vendues sur le marché canadien, ainsi que de celles portant la marque de la demanderesse/appelante. Il a été prouvé que les cigarettes américaines Marlboro sont bien et avantageusement connues, bien qu’elles ne soient en général pas disponibles sur le marché canadien. Ce fait démontre et établit l’influence qu’ont eue les retombées de la publicité américaine sur l’esprit des Canadiens. Ces cigarettes sont bien connues au Canada, et les Canadiens en achètent sans doute quand ils sont à l’étranger. Toutefois, le sondage et les campagnes publicitaires ne me convainquent pas que les fumeurs canadiens sont incapables de distinguer une marque américaine d’une marque canadienne de cigarettes.

 

Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254, pages 272 et 273.

 

 

[36]            Le 29 septembre 1987, la Cour d’appel fédérale a rejeté à l’unanimité l’appel interjeté par PMI à l’encontre de la décision du juge Rouleau. Le 28 janvier 1988, la demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada de PMI a aussi été rejetée.

 

[37]           Le 13 septembre 1995, Philip Morris a produit une autre demande en vue de faire enregistrer un dessin‑marque sur la foi de son emploi au Canada depuis le 12 avril 1995. Un paquet de cigarettes Matador a été produit pour démontrer l’emploi de la marque. Le dessin‑marque a été enregistré le 1er novembre 1996 sous le no LMC465532 :

[traduction] No d’enregistrement : TMA465,532

                        Date d’enregistrement : 1er novembre 1996

                        Date de dépôt : 13 septembre 1995

                        Marchandise : (1) Cigarettes

                        Fondé sur l’utilisation au Canada depuis le 12 avril 1995

L’arrière-plan de l’image est de couleur or et un motif triangulaire noir y est superposé. Aucune couleur dans la partie ovale vide.

 

 

[38]           Enfin, les demanderesses possèdent également l’enregistrement no LMC693326 concernant le mot ROOFTOP en liaison avec des cigarettes.

 

[39]           Depuis que le produit Maverick a été retiré du marché, les demanderesses n’ont lancé aucun nouveau produit portant les marques de commerce figuratives ROOFTOP jusqu’en 2006, lorsqu’elles ont commencé à vendre des cigarettes Rooftop sans nom.

 

(2)  Les activités des défenderesses

[40]           Comme il a été mentionné précédemment, ITL a vendu des cigarettes Marlboro canadiennes dans le paquet Marlboro original au Canada jusqu’en 1969, lorsque la fabrication de ce produit a cessé. En 1970, ITL a remis sur le marché des cigarettes Marlboro canadiennes sous la forme de cigarettes à bout filtre à mélange canadien. Un nouveau paquet sur lequel figurait un paysage de l’Ouest canadien montrant des prairies et une chaîne de montagnes a été conçu pour le produit. La marque de commerce MARLBORO était dorénavant écrite en italique, avec une police sans empattement, et le « m » n’était plus en majuscule. Le paquet lancé sur le marché en 1970 est reproduit ci‑dessous :

[traduction] Tabac canadien haut de gamme [l’encadré est illisible]

 

[41]           Une note de service interne d’ITL datant de 1970 et intitulée [traduction] « projet Ranch » traitait du lancement des cigarettes Marlboro canadiennes en 1970. ITL avait entrepris ce projet en réponse au lancement prévu des cigarettes Maverick au Canada par le prédécesseur de RBH, Benson & Hedges. Il ressort clairement de quelques extraits de cette note de service que le projet Ranch avait pour but non seulement de maintenir la part du marché d’ITL, mais aussi d’atténuer l’effet du lancement des cigarettes Maverick :

[traduction] […] nous savons maintenant avec certitude que Benson & Hedges lancera les cigarettes Maverick au Canada en utilisant le thème et l’emballage employés par Marlboro aux États‑Unis. Cette entrée sur le marché pourrait être forte et représenter une menace sérieuse si ITPL ne réplique pas avec les cigarettes Marlboro.

[…]

Nous avons élaboré un plan solide qui devrait contribuer à lancer les cigarettes Marlboro sur le marché et à maintenir le produit à un niveau extrêmement élevé. Le plan vise à contrer une attaque directe par le produit d’un compétiteur, les cigarettes Maverick de Benson and Hedges.

[…]

Si les éléments essentiels sont prêts au début de novembre, des décisions judicieuses pourraient être prises à chaque geste que posera Benson & Hedges relativement aux cigarettes Maverick. L’objectif général étant toujours de couper l’herbe sous le pied de Benson & Hedges.

 

ECF, paragraphe 44, annexe 13, pages 6, 15 et 24.

 

 

[42]           Les auteurs de cette note de service ne cachaient pas leur intention de se servir de la publicité de Marlboro aux États‑Unis pour bénéficier de la réputation de la marque dans ce pays. Ils ont écrit ce qui suit à ce sujet :

[traduction] Nos Prairies et nos Rocheuses canadiennes […] évoquent de nombreuses choses, des idées de liberté, de nature sauvage, tranquille et propre, d’individualité, d’indépendance. Ce thème doit être l’esprit, le tempo et l’objectif du projet Ranch. Le concept de création de base n’est pas original, car il est similaire au thème actuel de Marlboro aux États-Unis, mais il n’est pas nécessaire de limiter ce concept à une marque ou à une gamme de produits, étant donné que, en particulier dans l’Ouest canadien, les grands espaces sont un domaine public. En fait, l’Ouest canadien était le thème de création de Gold Leaf en 1963. Cet objectif ayant été défini, il a été décidé de relancer la marque de commerce Marlboro au Canada pour le projet Ranch.

[…]

La cigarette portera le nom de Marlboro afin : a) de tirer profit des opinions positives que suscite ce nom et b) de prévenir, de diminuer ou d’atténuer l’effet du lancement d’un produit concurrent.

 

ECF, paragraphe 44, annexe 13, pages 2 et 7

 

 

[43]           Cela étant dit, les auteurs étaient conscients de la nécessité de distinguer les cigarettes Marlboro canadiennes du produit américain. Par conséquent, ils ont insisté sur ce point immédiatement après avoir mentionné qu’ils s’attendaient à pouvoir tirer profit de la renommée et de la cote d’estime dont jouissait la marque Marlboro à l’étranger :

[traduction] Les cigarettes Marlboro seront et doivent être perçues comme des cigarettes canadiennes, fabriquées au Canada, adaptées aux goûts des fumeurs canadiens. Les consommateurs ne doivent pas avoir l’impression qu’il s’agit d’une version canadienne d’une marque américaine. Les cigarettes Marlboro contiendront le « tabac canadien haut de gamme », du « tabac de Virginie pur », et ces éléments seront utilisés pour faire ressortir la nature canadienne de notre produit.

 

ECF, paragraphe 44, annexe 13, page 7

 

 

[44]           Les défenderesses ont reconnu que, à leur connaissance, tous les renseignements contenus dans la note de service sur le projet Ranch étaient exacts au moment où celle‑ci a été rédigée. En outre, les documents disponibles indiquent que le projet Ranch a été réalisé conformément au plan d’ITL décrit dans cette note de service. Des exemples de publicité montrent des scènes se déroulant dans un ranch de l’Ouest, des cowboys et des chevaux. ITL utilisait bien en vue dans sa publicité le slogan « To make it in Canada, you’ve got to know the country » [traduction] « Pour réussir au Canada, il faut connaître le pays », ce qui rappelait la signature employée abondamment par Philip Morris dans sa publicité internationale : COME TO MARLBORO COUNTRY.

 

[45]           Le paquet de Marlboro d’ITL de 1970 a été utilisé jusqu’en 1981, après quoi il a été repensé. ITL a laissé tomber le paysage de montagnes de couleur marron et a lancé un paquet de couleur beige comportant des éléments rouge et noir. La marque nominale MARLBORO était écrite en noir, avec une police sans empattement :

 

 

[46]           Ce paquet a été utilisé jusqu’en 1988. Il a alors été redessiné, afin qu’y soit ajouté le nouvel avertissement exigé par Santé Canada :

[traduction]             Tabac canadien haut de gamme

                        20 cigarettes filtre [les rabats sont illisibles]

 

 

[47]           En 1996, le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL a à nouveau été modifié. Le produit était offert dans un seul format à cette époque : 20 cigarettes longues dans un paquet à abattant. Comme il est indiqué ci‑dessous, il y avait sur le paquet de 1996 un emblème situé sous le mot MARLBORO, qui était lui‑même écrit en marron avec une police à empattement.

[traduction]             Fumer la cigarette pendant la grossesse peut nuire au bébé

                        Canadien

                        20 cigarettes filtre

 

 

[48]           Le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL a été modifié encore une fois en 2001. L’emblème était maintenant placé non plus au‑dessous, mais au‑dessus du mot MARLBORO, lequel était écrit avec une police à empattement différente.

[traduction]             Avertissement

                        La cigarette cause des AVC

Le tabac peut causer une obstruction des artères dans votre cerveau. Cela peut bloquer les vaisseaux sanguins et causer un AVC. Un AVC peut causer des handicaps et la mort.

 

[49]           Après le lancement des cigarettes Rooftop en 2006, ITL a commandé une campagne de publicité destinée aux détaillants. La campagne incluait la distribution de brochures faisant référence aux cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL vendues dans le paquet ci‑dessus, sous la signature « Do you carry the REAL Marlboro? » [traduction] « Vendez‑vous les VRAIES cigarettes Marlboro? » Cette campagne, qui constituait une réponse directe aux cigarettes Rooftop, s’est déroulée au Canada à la fin de 2006.

 

[50]           Après cette campagne publicitaire, le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL a encore une fois été redessiné en 2007. Dorénavant, l’arrière‑plan était de couleur argent et le mot MARLBORO était écrit en noir et était comprimé de façon à ce qu’il ait une apparence plus verticale. L’emblème placé au centre au‑dessus des lettres « l » et « b » du mot MARLBORO comportait maintenant un élément central de couleur rouge en superposition, une feuille d’érable. Ce paquet est encore utilisé aujourd’hui :

[traduction]             Avertissement

La cigarette vous coupe le souffle

Le tabac peut causer des maladies pulmonaires dévastatrices et souvent mortelles comme l’emphysème. Santé Canada

CIGARETTES FILTRE

 

(3)  Les faits pertinents relatifs au marché canadien des cigarettes

[51]           La première chose qu’il faut noter au sujet du marché canadien des cigarettes est le fait qu’environ quatre‑vingt‑dix‑neuf pour cent (99 %) des cigarettes vendues au Canada sont des cigarettes à mélange de Virginie, que l’on appelle aussi parfois des cigarettes à mélange canadien. L’autre un pour cent du marché canadien est occupé par des cigarettes à mélange américain et européen. Contrairement à la situation au Canada, environ quatre‑vingt‑dix‑neuf pour cent (99 %) des cigarettes vendues aux États‑Unis sont des cigarettes à mélange américain. De même, la grande majorité des cigarettes vendues dans la plupart des autres pays sont des cigarettes à mélange américain et européen. Selon les fumeurs, une cigarette à mélange de Virginie a un goût plus fade et plus doux qu’une cigarette à mélange pleine saveur américain ou européen. Une cigarette à mélange américain est faite d’un mélange de plusieurs variétés de tabac, dont le tabac de Virginie qui est utilisé dans les produits canadiens, le tabac Burley de couleur foncée qui donne aux cigarettes américaines leur force et leur saveur et une petite quantité d’un tabac oriental qui ajoute un arôme.

 

[52]           Comme il a déjà été mentionné, les cigarettes Matador et Maverick étaient faites de tabac de style canadien connu sous le nom de mélange de Virginie. Par contre, les cigarettes Rooftop sans nom vendues par RBH sont fabriquées avec essentiellement le même mélange de tabac que les cigarettes Marlboro de Philip Morris vendues ailleurs dans le monde.

 

[53]           Le deuxième facteur qui doit être pris en compte est le fait que la vente des produits du tabac a été de plus en plus réglementée au Canada. Non seulement les paquets de cigarettes doivent maintenant arborer un avertissement sanitaire couvrant 50 p. 100 de leur surface (voir la Loi sur le tabac, L.C. 1997, ch. 13, art. 15 et le Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, DORS/2000‑272, art. 5), mais toutes les provinces ont adopté des lois interdisant l’exposition des produits du tabac dans les points de vente au détail. Après le Nunavut en février 2004, toutes les autres provinces ont adopté une telle loi, la dernière à l’avoir fait étant Terre‑Neuve‑et‑Labrador en janvier 2010. Ainsi, le marché canadien est devenu, à tous égards, ce qu’on appelle un « marché invisible ». De même, la promotion et la publicité des produits du tabac font maintenant l’objet de sévères restrictions faisant en sorte qu’il est pratiquement impossible pour les fabricants de ces produits de communiquer directement avec les consommateurs, si ce n’est dans des circonstances très limitées.

 

[54]           Enfin, il faut dire un mot des parts de marché des trois fabricants de produits du tabac au Canada. Il semble que la part de marché d’ITL était d’environ 69 % au milieu des années 1990, alors qu’elle était de 18 % dans le cas de RBH et de 12,5 % dans le cas de JTI (le troisième fabricant de cigarettes en importance dans le monde). [omis]

 

[55]           La vente de cigarettes a diminué de façon constante au cours des 25 dernières années. En effet, alors que 66 milliards de cigarettes étaient vendues en 1981, moins de la moitié de ce nombre sont maintenant vendues chaque année.

 

[56]           Jusqu’en 2003, toutes les cigarettes étaient essentiellement vendues au même prix. Vers cette époque, un certain nombre de petits fabricants régionaux ont commencé à vendre et à commercialiser des produits à prix réduit au Canada. Pour contrer ce phénomène, les trois grands fabricants ont commencé à segmenter leurs produits en produits « haut de gamme », « économique » et « à bas prix » selon leur prix, avec des sous‑catégories qui ont varié au fil du temps et d’un fabricant à l’autre. [omis]

 

[57]           [omis]

 

C.  Le lancement de la marque Rooftop au Canada

[58]           Le lancement de la marque Rooftop en 2006 a ouvert le marché canadien aux cigarettes à mélange américain de la demanderesse PMPSA, autres que les cigarettes Marlboro américaines de Philip Morris qui pouvaient être achetées dans des points de vente hors taxes. C’était aussi la première fois que les marques de commerce figuratives ROOFTOP étaient employées en liaison avec des cigarettes à mélange américain au Canada.

 

[59]           Ce nouveau produit avait un certain nombre de similitudes avec les paquets de cigarettes Marlboro de Philip Morris :

A.                le dessin géométrique d’un toit;

B.                 les couleurs dominantes du rouge, de l’or ou de l’argent (selon le cas) et du blanc;

C.                 l’emblème de Philip Morris avec les initiales PM;

D.                les mots [traduction] « cigarettes filtres » placés dans une bulle ovale blanche dans l’arrière‑plan coloré au‑dessus du toit:

E.                 la ligne rouge, or ou argent (selon le cas) au bas du paquet. 

Il est intéressant également de noter que le mot MARLBORO imprimé près du filtre des cigarettes Marlboro de Philip Morris a été remplacé par le dessin du toit sur les cigarettes vendues dans les paquets ROOFTOP sans nom.

     

[traduction] Cigarettes filtre

                        Avertissement

                        Éteinte, mais mortelle

                        [Les premières lignes de l’avertissement sont illisibles]

La fumée secondaire peut causer la mort découlant du cancer du poumon ou d’autres maladies. Santé Canada

Cigarettes filtre

Venez au pays du goût

 

[60]           Ailleurs qu’au Canada, ces cigarettes à mélange américain sont vendues sous les marques de commerce figuratives ROOFTOP et sous la marque nominale MARLBORO. Les demanderesses ne  pouvaient pas employer cette marque nominale au Canada parce que les défenderesses en sont les propriétaires enregistrées. Au lieu d’employer un autre nom, comme dans le cas de MAVERICK et de MATADOR, il a été décidé de vendre le nouveau produit sans inscrire un nom sur l’emballage. Il semble que c’était la première fois dans le monde que des cigarettes étaient vendues dans un paquet sans nom.

 

[61]           Les raisons pour lesquelles les cigarettes étaient vendues dans un paquet sans nom ne sont pas parfaitement claires. Selon le directeur principal du capital‑marque et des nouveaux produits de Marlboro, M. Tom Garguilo, la décision a été prise très tôt de concevoir un paquet qui serait fidèle à la marque, en utilisant seulement les marques de commerce appartenant à PMPSA et en se gardant d’utiliser des éléments étrangers à la marque Marlboro. On pensait que le produit ne semblerait pas authentique si un autre nom que Marlboro était employé. C’est pour cette raison, selon les demanderesses, que l’idée de mettre le mot ROOFTOP sur le paquet a été rapidement écartée, même si PMPSA avait présenté une demande d’enregistrement de cette marque nominale en 2003.

 

[62]           Cela étant dit, je pense qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que l’absence d’un nom sur un paquet arborant les marques figuratives ROOFTOP et certains autres éléments figurant sur le paquet de cigarettes Marlboro vendu à l’échelle internationale comme « COME TO WHERE THE FLAVOR IS » et « WORLD FAMOUS IMPORTED BLEND » ferait en sorte qu’il serait plus facile pour le consommateur de faire un lien entre ce paquet et les cigarettes Marlboro vendues ailleurs dans le monde. La directrice des affaires publiques de RBH, Mme Karen Bodirsky, n’a d’ailleurs pas caché cet objectif dans une entrevue qu’elle a donnée en août 2006, peu de temps après le lancement des produits Rooftop :

[traduction] En ne mettant pas le nom Marlboro sur le paquet, Rothmans a contourné la mesure défensive d’Imperial. « Nous croyons que les consommateurs verront l’habillage, verront la marque de commerce « Venez là où la saveur se trouve », qui sont employés par Philip Morris en liaison avec la marque Marlboro, et nous pensons qu’ils feront le lien et considéreront qu’il s’agit de cigarettes de style américain », dit la directrice des affaires publiques de Rothmans, Karen Bodirsky. « Nous pensions que l’emploi d’un autre nom, voire d’un nom quel qu’il soit, ternirait le concept. »

 

Pièce TX-204, copie d’un article de Matt Semansky intitulé « Rothmans introduces no-name cigarette », publié dans Marketing Daily, 14 août 2006.

 

 

[63]           Comme il a déjà été mentionné, d’autres éléments sont également utilisés avec les marques figuratives ROOFTOP. La marque de commerce COME TO WHERE THE FLAVOR IS figure sur les paquets de Rooftop, ainsi que la mention « WORLD FAMOUS IMPORTED BLEND » [traduction] « MÉLANGE IMPORTÉ RENOMMÉ MONDIALEMENT » ; fait intéressant, ces éléments n’apparaissent pas sur les paquets de cigarettes Marlboro américaines ni sur les paquets de cigarettes Marlboro vendues ailleurs dans le monde. De plus, le fait que les cigarettes Rooftop étaient faites d’un mélange américain était mis en évidence dans le matériel des points de vente de ces cigarettes qui était permis au Canada avant que le marché ne devienne invisible. Ces éléments figuraient également dans la publicité des cigarettes Rooftop qui était autorisée. Il y a lieu de mentionner en outre que le nom du produit, Rooftop, est imprimé sur les boîtes des produits, même s’il n’est pas apposé sur chacun des paquets.

 

[64]           Ce nouveau produit semble avoir fait l’objet d’un lancement de grande envergure. Les détaillants ont reçu du matériel promotionnel et ont été invités, à tout le moins en Ontario, à une fête où du matériel promotionnel de Ferrari a été distribué aux nombreuses personnes présentes (Marlboro étant le commanditaire de l’équipe Ferrari). De plus, ces personnes ont participé au tirage d’un voyage au Grand Prix de Monaco. Par ailleurs, des lettres commerciales ont été envoyées ou remises aux détaillants. L’une de ces lettres, qui a été envoyée le 25 juillet 2006 (pièce TX‑131), annonçait le lancement de [traduction] « la marque de cigarettes connue pour son dessin ROOFTOP qui orne les paquets partout dans le monde depuis 1954 ». Cette lettre indiquait que, [traduction] « [c]ontrairement à toutes les autres marques de commerce, elle est maintenant reconnue pour sa grande qualité et son tabac à l’arôme riche. Le paquet arborant le dessin ROOFTOP n’a pas besoin d’un nom parce que, après tout … c’est ce qu’il y a à l’intérieur du paquet qui compte – des cigarettes à mélange américain de grande qualité fabriquées à partir de la célèbre recette Richmond! » Une autre lettre (pièce TX‑132), qui était datée du même jour et qui accompagnait une boîte de présentation contenant un paquet de chacun des produits Rooftop, était encore plus explicite :

[traduction]

[…]

 

Vous constaterez que ce nouveau produit est unique du fait qu’aucun nom de marque n’apparaît sur l’emballage. Au lieu d’un nom, le produit est identifié par le dessin ROOFTOP distinctif qui figure sur l’emballage. Ce dessin est la propriété de Philip Morris Products S.A., dont RBH est le titulaire d’une licence exclusive au Canada. Vous reconnaîtrez le dessin ROOFTOP qui est employé à l’échelle internationale par Philip Morris Products S.A. et ses sociétés affiliées.

 

Il importe qu’en qualité de détaillant, vous sachiez que, pour des raisons historiques, l’enregistrement du mot MARLBORO au Canada n’appartient pas à Philip Morris Products S.A., à RBH ou à leurs sociétés affiliées. En conséquence, la marque de commerce MARLBORO ne peut pas être employée en liaison avec la nouvelle marque ROOFTOP de RBH.

 

Une marque de cigarettes est vendue au Canada sous l’appellation « MARLBORO Canadian/Canadien ». Ce produit n’a toutefois aucun lien avec Philip Morris Products S.A., RBH ou leurs sociétés affiliées et l’emballage de ce produit est très différent de la nouvelle marque ROOFTOP de RBH.

 

[…]

 

 

[65]           Les faits mentionnés ci‑dessus ne sont pas contestés et composent donc la toile de fond du présent litige. L’effet, sur les consommateurs, de la décision des demanderesses de vendre leur nouveau produit sans aucun nom de marque est manifestement plus litigieux. Cette question a fait l’objet d’une grande partie des dépositions faites par les différentes personnes appelées à témoigner.

 

III.       Les témoins

[66]           Les témoins peuvent être regroupés en cinq catégories : a) les employés des demanderesses; b) les employés et les représentants des ventes des défenderesses ainsi que les personnes dont elles ont retenu les services; c) les experts des parties; d) les détaillants; e) les consommateurs.

 

A.  Les employés des demanderesses

[67]           Les demanderesses ont présenté la preuve de quatre témoins. Deux d’entre eux ont témoigné devant la Cour et des affidavits des deux autres, qui étaient décédés, ont été lus à l’audience.

 

[68]           Tom Garguilo travaille pour Philip Morris USA en qualité de directeur principal du capital‑marque et des nouveaux produits Marlboro. Il a travaillé auparavant pour des sociétés Philip Morris affiliées pendant plus de 20 ans. Il a passé une grande partie de sa carrière dans le domaine de la commercialisation des produits Marlboro et il a participé à la conception de l’emballage et au positionnement des cigarettes Rooftop. Son témoignage a porté sur l’histoire de la marque Marlboro de Philip Morris aux États‑Unis et dans le monde et sur les raisons justifiant l’habillage des paquets de Rooftop sur le plan du marketing.

 

[69]           M. Garguilo a expliqué qu’il se servait des éléments du capital‑marque – comme le toit, la phrase « Come to where the flavor is » [traduction] « Venez au pays du goût » et l’emblème – pour présenter le produit d’une manière authentique, tout en l’adaptant à la réglementation canadienne qui exige qu’un avertissement sanitaire occupe la moitié de la surface du paquet. Il a également indiqué qu’il ne connaissait pas le produit Maverick qui était vendu au Canada pendant les années 1970 et qui utilisait également le dessin du toit et l’emblème, mais qui était fait de tabac de Virginie, jusqu’à ce qu’il en entende parler pour la première fois alors qu’il se préparait en vue de la présente instance. Il s’est alors rendu compte qu’une grande partie de l’imagerie associée à Marlboro à l’échelle internationale avait aussi été employée au Canada en liaison avec les cigarettes Maverick. 

 

[70]           Selon M. Garguilo, la marque de fabrique « Rooftop » ne figure pas sur le paquet pour la simple raison que Philip Morris est très soucieux de l’authenticité de ses produits, et aussi parce que l’élément le plus important est le produit qui se trouve à l’intérieur du paquet, non le nom qui figure sur celui‑ci. Après avoir étudié différentes options (notamment la possibilité d’appeler le produit « Rooftop » ou « Red Roof »), il a été décidé de ne pas ajouter d’élément étranger au produit authentique et de ne mettre aucune marque de fabrique sur le paquet. Le seul élément qui paraît sur le paquet de Rooftop mais non sur les paquets de Marlboro ailleurs dans le monde (bien qu’il soit traditionnellement utilisé dans le matériel publicitaire et le publipostage direct) est la mention, sur le côté du paquet, de « WORLD FAMOUS IMPORTED BLEND » [traduction] « MÉLANGE IMPORTÉ RENOMMÉ MONDIALEMENT »; cette mention a été ajoutée afin de signaler qu’il s’agit en fait du produit contenant un mélange américain.

 

[71]           Lors de son contre‑interrogatoire, M. Garguilo a insisté sur le fait que le lancement du produit Rooftop avait pour but d’amener les consommateurs à établir un lien entre le dessin du toit et les cigarettes Marlboro vendues ailleurs dans le monde par Philip Morris. Par conséquent, PMI n’avait pas envisagé d’employer la marque de fabrique « Matador » pour lancer le produit Marlboro de PM fait d’un mélange de tabac américain qui était vendu sur le marché international. PMI n’avait pas non plus envisagé la possibilité de créer un nouveau paquet et un nouvel habillage pour le produit Rooftop, parce qu’elle ne voulait pas se servir du capital‑marque étranger pour la vente d’une marque établie. L’objectif consistait clairement à faire en sorte que les consommateurs associent le paquet de Rooftop et les cigarettes Marlboro vendues par PM à l’échelle internationale. L’emploi d’un autre nom aurait amené le consommateur à penser que le produit n’était pas authentique. Cela étant dit, M. Garguilo a affirmé que le nom employé pour communiquer avec les détaillants et les grossistes aujourd’hui et le nom inscrit sur les factures, sur les bons de commande et sur les grandes boîtes contenant les cartouches de cigarettes est « Rooftop ». Il a aussi fait ressortir les similitudes et les différences entre les paquets de Rooftop canadiens et les paquets de Marlboro américains, et il a convenu qu’il y avait quelques différences entre les trois versions des produits Rooftop et les enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP appartenant à PMPSA au Canada.

 

[72]           Francesco Gianninoto est le concepteur graphique qui a créé l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro en 1954. Il était décédé au moment du procès, mais les parties ont accepté qu’un affidavit qu’il avait signé le 18 mai 1987 dans le cadre d’une autre instance judiciaire soit admis pour faire preuve de son contenu. Dans son affidavit, M. Gianninoto confirme que c’est lui qui a créé l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro et qu’il avait cédé auparavant à PMI son droit d’auteur sur cette œuvre.

 

[73]           Randolph Millhiser a été un directeur de Philip Morris Companies Inc., une société de portefeuille de PMI. Il était lui aussi décédé au moment du procès, mais les parties ont accepté qu’un affidavit qu’il avait signé le 28 avril 1987 dans le cadre de la même instance judiciaire que M. Gianninoto soit admis pour faire preuve de son contenu. M. Millhiser avait participé au renouvellement de la marque Marlboro de Philip Morris au début des années 1950. Dans son affidavit, il décrit les faits et le processus de réflexion qui ont entouré le renouvellement, ainsi que le lancement subséquent de la nouvelle Marlboro de Philip Morris en 1955.

 

[74]           Derek Guile, le directeur du marketing et des ventes de RBH, travaille pour cette société depuis 26 ans. Il est chargé de la promotion et de la réalisation de toutes les ventes et stratégies de marketing de RBH, et il surveillait les stratégies employées relativement aux cigarettes Rooftop. Son témoignage a porté sur le marché canadien et sur la réglementation des produits du tabac, ainsi que sur le lancement de la marque Rooftop et sa réception au Canada. Il a également parlé dans son témoignage de l’emploi d’un emblème sur les paquets de cigarettes distribués par RBH et sa prédécesseure, Benson & Hedges.

 

[75]           Selon M. Guile, le marché est segmenté de différentes façons : taille du paquet (20 ou 25 cigarettes), prix (supérieur au prix haut de gamme, prix haut de gamme, prix économique, bas prix), tabac à coupe fine ou cigarettes, force, taille des cigarettes (régulières, longues, 100 millimètres), mélange, avec ou sans menthol. Avant 2003, le marché canadien était essentiellement un marché à prix unique, mais à cause de petits fabricants régionaux qui ont commencé à vendre et à commercialiser des produits à prix réduit au Québec, RBH a baissé le prix de l’une de ses marques haut de gamme, ce qui lui a permis d’augmenter sa part de marché. Depuis ce temps, les marques vendues à prix réduit se sont multipliées sur le marché canadien. À l’heure actuelle, le prix de 60 % des cigarettes vendues au Canada est inférieur au prix des cigarettes haut de gamme, et il y a même des différences de prix importantes dans le cas des cigarettes de catégorie économique.

 

[76]           [omis]

 

[77]           M. Guile a ensuite parlé de la réglementation du marché canadien. Comme il l’a expliqué, la commercialisation comporte cinq éléments essentiels : l’emballage, le produit, le prix, la promotion et l’endroit. Au Canada, les fabricants de tabac peuvent plus ou moins faire ce qu’ils veulent en ce qui concerne le prix, l’emballage et le produit, mais ils sont assujettis à des restrictions sévères pour ce qui est de l’endroit et de la promotion.

 

[78]           La promotion des produits du tabac – c’est‑à‑dire l’exposition dans les magasins, les activités de commandite, la publicité‑médias et l’affichage – est maintenant interdite au Canada. La publicité‑médias est interdite depuis de nombreuses années et la commandite, depuis 2000. De plus, par suite d’un processus commencé en 2003, toutes les provinces interdisent dorénavant l’exposition dans les magasins, Terre‑Neuve‑et‑Labrador ayant été la dernière à le faire le 1er janvier 2010. La Loi sur le tabac et le Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, DORS/2000‑272, interdisent également la promotion directe des produits du tabac aux consommateurs adultes par l’utilisation de bons de réduction, d’échantillons, etc.

 

[79]           Des restrictions sévères s’appliquent aussi aux endroits où les produits du tabac peuvent être distribués. Par exemple, les fabricants de tabac ne sont pas autorisés à vendre leurs produits dans des points de vente comme les pharmacies. Même dans les magasins où elles peuvent être vendues, les cigarettes ne peuvent être exposées à la vue des consommateurs, comme il a été mentionné précédemment.

 

[80]           Au sujet de la vente et de la distribution des produits de RBH, M. Guile a indiqué que cette société vend ses cigarettes à des distributeurs en gros. Ces derniers offrent différents types de services, d’un service complet de livraison avec lequel le détaillant peut communiquer par téléphone ou par télécopieur ou auquel il peut commander un produit par Internet, aux services d’un distributeur en gros au comptant comme Costco. Par ailleurs, ITL possède son propre système de distribution qui expédie les commandes directement aux détaillants. Après avoir identifié un bon de commande de Costco qui lui était présenté (pièce P‑6), M. Guile a souligné que les produits du tabac sont énumérés par ordre alphabétique, les produits internationaux – le plus souvent des produits très haut de gamme et des mélanges – figurant dans une section ombrée. Les produits Rooftop inscrits sur ce bon de commande sont appelés [traduction] « rooftop rouge », [traduction] « rooftop or »  et [traduction] « rooftop argent ».

 

[81]           La dernière partie du témoignage public de M. Guile a porté sur le lancement des produits Rooftop. Ces produits ont d’abord été mis sur le marché en Ontario en juillet 2006, puis graduellement dans toutes les autres provinces, à l’exception de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, avant la fin de cette année‑là. La décision de lancer le produit a été prise par M. Guile en collaboration avec le président et chef de la direction de RBH et avec le président de la division de l’Amérique latine et du Canada de PMI, en octobre 2005. À l’époque, l’habillage du produit n’était pas encore tout à fait terminé, mais il avait déjà été décidé que les éléments du paquet enregistré au Canada qui pouvaient être utilisés devaient l’être. La décision d’appeler le produit « Rooftop » sans que ce nom ne figure sur le paquet a été prise seulement au printemps de 2006, par l’équipe exécutive de RBH. Celle‑ci a décidé de ne pas mettre de marque de fabrique sur le paquet parce qu’un nom qui n’était pas associé au produit contenu dans le paquet pourrait avoir un effet dissuasif sur les consommateurs et les amener à croire qu’il ne s’agissait pas d’un produit authentique.

 

[82]           Selon M. Guile, le lancement de ce produit n’a pas été différent du lancement de produits semblables qui avait eu lieu dans le passé. Des représentants des ventes ont commencé par vendre le produit à des distributeurs en gros, avant de se rendre dans des magasins de vente au détail pour informer les propriétaires au sujet de la possibilité d’acheter le produit en gros ou pour en vendre de petites quantités directement par commande ou vente au comptant. Le témoin a mentionné que la plupart des provinces autorisaient encore l’exposition des produits du tabac en 2006.

 

[83]           M. Guile a confirmé que l’un des outils de marketing utilisés pour lancer le produit était l’envoi ou la remise de lettres commerciales aux détaillants en juillet 2006 (voir le paragraphe 64 ci‑dessus). Il a ajouté que de nombreuses réunions avaient eu lieu avec les représentants des ventes afin de leur expliquer pourquoi le produit ne portait pas de marque de fabrique et que la marque Marlboro appartenait à une autre entreprise. Les représentants des ventes ont également reçu l’instruction de désigner le produit par le terme « Rooftop », qui était employé également dans les publications spécialisées, les bons de commande et le matériel promotionnel.

 

[84]           M. Guile a aussi fait référence à un grand nombre de publications spécialisées (pièce TX‑147), qui ont été distribuées exclusivement au sein de l’industrie, dans lesquelles la publicité des produits du tabac était permise parce que ces publications ne s’adressaient pas aux consommateurs, ainsi qu’à un document commercial préparé par un distributeur au Québec. Tous ces documents indiquaient que les trois nouveaux produits Rooftop étaient des mélanges américains. D’autres exemples d’annonces parues dans des publications pour adultes ont aussi été produits en vrac sous la cote TX‑148. Selon le témoin, ces annonces ont été permises pendant quelques mois en 2009. Tous ces documents promotionnels mettaient en évidence le fait que la cigarette la plus vendue dans le monde était maintenant disponible au Canada et qu’elle était faite d’un mélange américain. Tous les autres documents promotionnels (pièces TX‑118, 120, 121, 123, 126, 128, 129 et 130) faisaient ressortir également que le nouveau produit était fait d’un mélange américain. Bien entendu, tous ces documents et techniques publicitaires destinés à attirer l’attention des consommateurs sur des produits du tabac sont maintenant interdits sur le marché invisible canadien. Dans son contre‑interrogatoire, le témoin a aussi fait état d’un certain nombre d’objets promotionnels (marqueur d’étagère, boîte de présentation, affiche, autocollant, affichette à soulever, illustration à suspendre, présentoir de comptoir, briquet et cendrier arborant la marque, etc.) destinés aux détaillants (et, dans quelques cas, aux consommateurs dans des publications pour adultes) aux fins du lancement des nouveaux produits Rooftop (pièces TX‑114 à TX‑159).

 

[85]           Selon M. Guile, le mélange américain était mis en évidence à ce point simplement parce que, dans un marché dominé essentiellement par des produits à mélange de Virginie, il était important de faire savoir aux consommateurs que Rooftop est le mélange américain habituellement associé aux éléments graphiques de la cigarette la plus populaire au monde. M. Guile a insisté sur le fait que chacun des trois produits Rooftop est commandé par des grossistes au comptant sous le nom de « Rooftop » et que les autres grossistes qui distribuent les produits à des détaillants via des bons de commande désignent aussi les produits de cette façon.

 

B.  Les représentants des ventes et les employés des défenderesses ainsi que les personnes dont les services ont été retenus par celles‑ci

[86]           Ed Ricard est le chef de division, Stratégie, planification et perspectives d’ITL. Son témoignage a porté sur les parts de marché d’ITL, ses ventes, l’organisation de ses employés et ses paquets de cigarettes.

 

[87]           [omis]

 

[88]           M. Ricard a parlé également de l’évolution des restrictions en matière de publicité, faisant un résumé semblable à celui présenté par l’avocat des défenderesses au cours du contre‑interrogatoire de M. Guile (pièce D‑24). Aujourd’hui, l’emballage constitue le principal moyen de communication avec les consommateurs. Bien sûr, l’emballage a toujours été très important. Contrairement à de nombreux autres types de produits, le paquet de cigarettes est un objet que le consommateur manipule plusieurs fois par jour; il doit donc être à l’aise avec lui. Dans l’esprit d’un grand nombre de consommateurs, le paquet de cigarettes révèle aussi quelque chose à leur sujet. Aujourd’hui comme dans le passé, les couleurs, la forme du nom, les symboles sont des éléments qui sont étudiés avec soin, actualisés et modifiés à l’occasion afin de faire en sorte que le consommateur continue d’être à l’aise avec la marque qui transmet l’image qu’il souhaite. Tout cela est encore plus important aujourd’hui, dans le contexte d’un marché invisible.

 

[89]           M. Ricard a indiqué que 75 % de toutes les cigarettes sont vendues par des dépanneurs et des stations‑service. Certains grands magasins et épiceries vendent aussi des cigarettes. C’est le cas également de magasins de tabac, de bars, de restaurants, d’hôtels et de nombreux autres endroits. La moitié des dépanneurs et des stations‑service qui vendent des cigarettes appartiennent à des chaînes nationales ou régionales. Le système de distribution d’ITL a été modifié en 2006; les produits sont maintenant distribués directement aux détaillants. Pour leur part, les concurrents continuent à distribuer leurs produits par un réseau de vente en gros. Aucune exclusivité n’est accordée dans le cadre de la distribution de produits du tabac aux magasins de vente au détail. Il arrive cependant qu’un espace d’étalage soit obtenu chez certains détaillants en vertu d’un contrat prévoyant le volume de présentation du produit, l’endroit où celui‑ci sera placé, le stock disponible et, parfois, la position du produit sur le mur arrière. Avant que le marché ne devienne invisible, les représentants des ventes se rendaient dans les magasins de vente au détail et négociaient avec le détaillant l’espace, le nombre de marques, le volume d’exposition du produit, etc. Ces représentants s’assuraient de l’exposition appropriée du produit et de sa qualité dans le magasin en rendant visite aux détaillants chaque semaine. Depuis que le marché est devenu invisible, il n’est plus important que le produit occupe l’espace le plus visible du magasin étant donné qu’il doit être caché. Ce qui est important aujourd’hui, c’est que le produit soit placé à un endroit qui est facile d’accès pour le détaillant et que les marques d’une même société soient regroupées pour éviter la confusion.

 

[90]           Lors de son contre‑interrogatoire, M. Ricard a identifié un document émanant d’ITL et daté de 2002 (pièce P‑34), qui indiquait que [traduction] « [b]ien qu’elles ne puissent pas légalement être vendues au Canada, les cigarettes Marlboro américaines occupent une part de marché assez importante, en particulier chez les jeunes adultes ». M. Ricard a indiqué que cela ne signifiait pas nécessairement que ce produit était acheté au Canada, même s’il a reconnu qu’il savait que des représentants des ventes constataient à l’occasion que des magasins de vente au détail légitimes vendaient des cigarettes Marlboro américaines de PM. L’avocat des demanderesses a aussi attiré l’attention de M. Ricard sur d’autres passages du même document, qui mentionnaient que la marque subissait les conséquences fâcheuses de niveaux de distribution très bas et que la part de marché des cigarettes Marlboro canadiennes était très mince parmi tous les groupes ciblés. Le document concluait qu’il fallait trouver des moyens de maximiser les bénéfices tirés de cette marque, notamment [traduction] « en intensifiant les efforts en matière de distribution », [traduction] « en renouvelant la marque », [traduction] « en créant un nouveau mélange (goût américain) », [traduction] « en concluant une entente de distribution avec PM » et [traduction] « en vendant ou en échangeant les droits de Marlboro ».

 

[91]           Malgré les nombreuses questions posées par l’avocat des demanderesses, M. Ricard n’a pas confirmé qu’il savait que la campagne publicitaire d’ITL concernant les cigarettes Marlboro et la modification, en 1970, du paquet d’ITL contenant ces cigarettes, qui arborait un paysage champêtre, des montagnes et des chevaux, découlaient directement de la note de service traitant du projet Ranch dont il a été question précédemment (pièce P‑35). On a demandé à M. Ricard ce qu’il pensait des nombreuses mentions du futur lancement, par RBH, de son produit Maverick et de la nécessité, pour ITL, de contre‑attaquer avec sa propre marque Marlboro qui figuraient dans ce document. Il a répondu que [traduction] « les discussions au sujet de “Maverick” portaient davantage sur le moment auquel une activité particulière ou une réaction à une activité concurrente éventuelle devait se produire, que, nécessairement, sur un objectif fondamental du projet ».

 

[92]           Richard Frasier travaille pour ITL en qualité de gestionnaire des perspectives de marché. Il a mis en branle et dirigé le processus de renouvellement de l’image des cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL en 2001, en collaboration avec Jennifer DeVito d’Axion Design. Son témoignage a porté sur les données relatives à la part de marché de la marque et sur les différentes marques d’ITL.

 

[93]           Il a expliqué que le processus de renouvellement de la marque a été déclenché par le projet de loi C‑71, qui proposait d’agrandir la surface que devait occuper l’avertissement sanitaire illustré sur la plupart des paquets de cigarettes. L’objectif consistait à moderniser la marque tout en faisant en sorte qu’elle soit encore reconnaissable par les consommateurs. Sur le plan des couleurs, Axion Design avait pour instruction de laisser tomber l’arrière‑plan beige jaunâtre, mais de ne pas utiliser la combinaison de rouge et de blanc habituellement associée à la marque Marlboro américaine de PM. Un grand nombre de propositions ont été présentées à ITL, comme le montrent les pièces D‑77 à D‑80. Au bout du compte, la police de caractères devait être plus moderne, tout en étant reconnaissable et conforme à l’image dans l’ensemble. Quant à l’emblème, il était placé au centre au‑dessus du mot MARLBORO, afin que la symétrie de l’habillage précédent soit conservée, ce qui pensait‑on, aiderait les consommateurs à localiser la marque dans les magasins utilisant des marqueurs d’étagère.

 

[94]           Jennifer DeVito est la présidente et la directrice artistique d’Axion, une agence de graphisme de San Francisco dont les services ont été retenus dans le passé par ITL. Dans son témoignage, elle a parlé de sa participation au renouvellement de l’image des cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL en 2001. Dans le cadre de son contre‑interrogatoire, elle a mentionné que la relation professionnelle entre Axion et ITL avait pris fin un an et demi plus tôt environ.

 

[95]           Mme De Vito a déclaré dans son témoignage qu’elle avait été chargée de rafraîchir et de moderniser le paquet de cigarettes Marlboro dans le cadre d’un processus d’évolution de l’image originale, sans toutefois révolutionner celle‑ci. Elle était au courant de la situation de la marque et de l’importance d’éviter toute confusion avec les cigarettes Marlboro américaines de PM. Elle n’a reçu aucune instruction particulière à propos des couleurs, si ce n’est qu’elle devait travailler à partir de la version de 1996. Axion avait aussi le choix de la police de caractères, pourvu que l’objectif de modernisation soit atteint. De même, aucune directive particulière concernant l’emplacement de l’emblème n’a été donnée.

 

[96]           Au cours de la première phase du processus d’exploration, Mme De Vito a acheté un paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM et s’est procuré toutes les marques concurrentes vendues au Canada, ainsi qu’une sélection de différents habillages de produits du tabac vendus aux États‑Unis. Cette phase a mené aux propositions d’éléments graphiques figurant dans la pièce D‑78 et aux descriptions de ces éléments faites par Mme De Vito dans la pièce D‑77. Les différentes propositions décrivent la taille, la forme et l’emplacement de l’emblème ainsi que la police de caractères. Il était évident aux yeux d’Axion qu’il fallait être prudent à l’égard de l’emploi du rouge parce que cette couleur était prédominante sur les paquets de cigarettes Marlboro américaines de PM.

 

[97]           Au cours de son contre‑interrogatoire, elle a mentionné que les lettres n’avaient pas été étirées ou manipulées pendant la première phase du projet; les polices utilisées étaient à la disposition de n’importe qui sur le marché. Au bout du compte, la différence entre les lettres figurant sur le paquet de Marlboro de 1996 et sur celui de 2001 réside dans le fait que des caractères mi‑gras plus gros et condensés écrits avec la police Utopia figuraient sur ce dernier, alors que le premier arborait des caractères non comprimés plus petits écrits avec la police Garamond. De plus, le mot MARLBORO était placé au centre, mais aucune manipulation particulière n’avait été faite pour centrer les lettres « l » et « b ».

 

[98]           L’emplacement de l’emblème sur le paquet d’ITL de 2001 a été choisi de manière à refléter une hiérarchie logique de l’information. En outre, il tenait compte du fait que seule la partie supérieure du paquet serait visible sur les tablettes des magasins. Mme De Vito a reconnu que cette hiérarchie pyramidale était utilisée également sur les paquets de Marlboro américaines de PM, mais elle a ajouté que c’était le cas d’un certain nombre de marques.

 

[99]           Louis-Philippe Pelletier est le chef de marque d’ITL pour les cigarettes duMaurier. Il a auparavant fait partie du groupe chargé de la gestion des cigarettes Player’s et des cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL. Son témoignage a porté sur la campagne publicitaire « Real Marlboro » de 2006 et sur le renouvellement de l’image des cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL effectué en 2007.

 

[100]       Après avoir pris en charge la marque Marlboro en février 2006 et avoir étudié le volume des ventes, les parts de marché, la distribution et le profil des consommateurs de cette marque, M. Pelletier a conclu que celle‑ci ne jouissait pas d’une distribution optimale et que l’image de 2001 devait être modernisée afin d’accroître la part de marché de la marque. Dans un document intitulé [traduction] « Note d’information sur la mise en place d’un projet » adressée à l’équipe de gestion du marketing d’ITL, M. Pelletier a recommandé que la distribution soit accrue et qu’une nouvelle image soit créée pour Marlboro. Avec l’autorisation des gestionnaires, il a chargé Pigeon Branding + Design de renouveler l’image du produit Marlboro et d’en redessiner l’emballage afin de mettre en évidence son image canadienne et de la rafraîchir en créant un paquet moderne qui attirerait les jeunes fumeurs adultes et qui augmenterait le prestige et la qualité projetée du produit.

 

[101]       En novembre 2006, Pigeon Branding + Design a soumis une série de propositions préliminaires, notamment quelques images et les phrases suivantes : « Do you carry the REAL Marlboro? » [traduction] « Vendez‑vous les VRAIES cigarettes Marlboro? » et « Product Distributed by Imperial Tobacco Canada » [traduction] « Produit distribué par Imperial Tobacco Canada ». Ces propositions faisaient suite au lancement du produit Rooftop survenu peu de temps auparavant, car il semblait important de mettre en évidence le fait que la seule marque Marlboro existant au Canada appartenait à ITL. M. Pelletier a affirmé avec force que l’agence n’avait reçu aucune directive au sujet de la police et des couleurs à utiliser ou de l’emplacement de l’emblème. En consultation avec d’autres gestionnaires, il a opté pour l’incorporation de la feuille d’érable dans l’emblème, parce qu’il s’agissait d’une manière intéressante d’intégrer les deux éléments. De plus, on pensait que la couleur rouge associée au mot « Canadian » atteignait l’objectif du projet, alors que, grâce au changement global de couleurs, les paquets avaient l’apparence haut de gamme et moderne désirée. L’idée d’utiliser une police de caractères différente a été écartée, parce que celle‑ci était trop différente de celle employée en 2001. La proposition consistant à placer l’emblème et la feuille d’érable au‑dessus du mot MARLBORO a été retenue parce que les deux éléments étaient ainsi plus visibles.

 

[102]       D’autres changements ont été envisagés jusqu’à ce que la version définitive de l’image soit établie en janvier 2007. Il a été finalement décidé de ne pas utiliser le nouveau paquet pour les cigarettes très haut de gamme, mais de lancer le produit à l’image renouvelée dans le segment haut de gamme, puis d’augmenter graduellement son prix. M. Pelletier a mentionné que certaines des nouvelles textures de l’arrière‑plan n’avaient pas été approuvées par les services juridiques parce qu’il pouvait y avoir des similitudes avec les paquets de cigarettes Marlboro américaines de PM.

 

[103]       Lors de son contre‑interrogatoire, M. Pelletier a confirmé que, lorsqu’il a commencé à travailler à la marque Marlboro, peu de magasins vendaient la marque et la disponibilité du produit à l’échelle du pays était limitée. Il a aussi répété que la décision de mettre la phrase « Do you carry the REAL Marlboro? » [traduction] « Vendez‑vous les VRAIES cigarettes Marlboro? » sur les dépliants publicitaires spécialisés en 2007 avait été prise afin de mettre en évidence le fait que le produit était canadien et que le seul produit Marlboro vendu sur le marché canadien était les cigarettes Marlboro d’ITL. Enfin, il a confirmé que le paquet de 2007 devait être une version remaniée du paquet de 2001, et non constituer une révolution ou une rupture avec l’ancien paquet.

 

[104]       Olivier Chevillot a été le concepteur graphique employé par l’agence de conception d’ITL, Pigeon Branding + Design, pour créer les brochures concernant Real Marlboro de 2006 et le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 2007. Il a témoigné au sujet des principes du graphisme en général, ainsi que des raisons justifiant l’emplacement des éléments sur le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL conçu en 2007.

 

[105]       M. Chevillot a confirmé que les objectifs communiqués à Pigeon Design par ITL consistaient à renforcer les caractéristiques canadiennes et haut de gamme du produit (ce qui a mené à l’ajout de la feuille d’érable) et à rafraîchir la marque afin de la rendre plus attrayante pour les jeunes consommateurs. Le client n’a pas donné de directives particulières au sujet des couleurs et des autres éléments. M. Chevillot a ajouté que, lorsqu’ils créent ou modernisent un emballage, les concepteurs examinent habituellement tous les autres emballages de cigarettes faisant partie du même segment de prix afin de faire en sorte que le produit puisse être distingué des produits concurrents.

 

[106]       Le témoin a expliqué les raisons pour lesquelles l’arrière‑plan de couleur argent avait été choisi. Les couleurs métalliques en général dénotent un produit de grande qualité et la couleur argent en particulier (par opposition à la couleur or), un produit haut de gamme plus jeune. Il a aussi expliqué que la décision de placer le logo au centre au‑dessus de la marque de fabrique n’était pas inusitée, car cette façon de faire est employée dans 90 % des cas parce qu’elle est conforme à l’image classique d’un logo et à l’ordre naturel dans lequel les gens lisent un emballage.

 

[107]       M. Chevillot s’est ensuite intéressé à la police de caractères utilisée pour le mot MARLBORO, laquelle, sur la version finale du paquet, est une version comprimée de la police Utopia. La compression fait en sorte que la hauteur des lettres reste la même, mais que leur largeur est réduite. Sur les paquets de 2001 et de 2007, le mot MARLBORO est écrit avec une police Utopia comprimée à 70 %. La taille de la police est toutefois plus petite sur le paquet de 2007. La réduction d’une police de caractères est différente de la compression : lorsqu’une police est comprimée, seule la largeur d’un caractère (et non l’espace entre les caractères) est réduite alors que la hauteur n’est pas modifiée. Par contre, lorsque la police est réduite, la hauteur et la largeur des caractères sont réduites proportionnellement.

 

[108]       La réduction de la taille de la police dans la version de 2007 visait à donner une apparence plus haut de gamme au paquet, tout comme devaient le faire l’utilisation de l’arrière‑plan argent et les caractères noirs. Un autre changement concernant la version finale du paquet de 2007 était l’ajout d’une ombre portée discrète sur le mot MARLBORO, qui visait également à renforcer l’impression de qualité. L’une des caractéristiques de la police Utopia qui a été choisie tient au fait qu’en minuscules, les lettres « l », « b », « h » et « k » sont toujours légèrement plus grandes que les lettres majuscules. La lecture est ainsi plus facile parce que la hauteur et les proportions des lettres sont harmonieuses, une caractéristique qui n’est pas propre à cette police. Enfin, M. Chevillot a mentionné que la marque de fabrique était placée au centre, le long de l’axe du milieu, conformément à une pratique courante qui vise à rendre l’apparence du paquet plus classique et plus équilibrée.

 

[109]       Lors de son contre‑interrogatoire, M. Chevillot a reconnu qu’on aurait pu obtenir un résultat similaire si on avait utilisé des lettres plus petites qui auraient ensuite été étirées, au lieu des caractères mi‑gras Utopia comprimés à 70 %. Ce résultat n’a rien d’étonnant, car la compression de la largeur des lettres et l’étirement de lettres plus petites s’équivalent sur le plan mathématique. M. Chevillot a aussi confirmé que la petite taille de la feuille d’érable figurant sur le paquet découlait d’un choix délibéré et réfléchi et visait à démontrer l’origine canadienne du produit, sans que la feuille soit trop grande et ressorte trop vivement de manière à diminuer le caractère haut de gamme du produit.

 

[110]       Marc-André Lacroix est représentant des ventes d’ITL pour le district de l’Est de Montréal depuis juin 2006. Il est le représentant des ventes pour deux des détaillants qui ont témoigné, M. Sam Hajjali et M. Samer Tarbouche. Dans son témoignage, il a décrit ses fonctions et ce qu’il se rappelait au sujet des ventes et des étalages de Rooftop.

 

[111]       Julie Lucier travaille à temps plein en qualité de représentante des ventes d’ITL depuis 2006. Elle est chargée du Plateau Mont-Royal et de La Petite Patrie, deux quartiers de Montréal. Dans son témoignage, elle a décrit ses fonctions en matière de commercialisation et de distribution de cigarettes de manière générale. Mme Lucier a aussi participé à une étude commandée par ITL en 2008 et portant sur l’étalage des produits Marlboro d’ITL dans les magasins de vente au détail.

 

[112]       Aris Zervos est représentant des ventes d’ITL depuis juin 2006. Il est chargé des régions de Stoney Creek, Yorkville et Scarborough. Dans son témoignage, il a parlé de manière générale de ses fonctions dans le domaine de la commercialisation et de la distribution des produits d’ITL.

 

[113]       Mark Doerr est représentant des ventes d’ITL depuis mai 2006. Il travaille dans l’Ouest et dans le centre‑ville de Toronto. L’un des comptes dont il s’occupe est celui du magasin où travaille l’un des détaillants qui a témoigné, Jake Shim. 

 

[114]       Tous les représentants des ventes ont déclaré dans leur témoignage que les territoires dont ils s’occupent comptent de 90 à 100 magasins environ, auxquels ils rendent visite pendant une vingtaine de minutes une ou deux fois par semaine. Ils prennent les commandes des détaillants, les informent au sujet des produits et des lancements d’ITL et effectuent le retour des produits.

 

[115]       Leurs témoignages se rejoignaient à maints égards. Par exemple, tous ont mentionné qu’ils avaient souvent vu les paquets de Rooftop placés près des paquets de cigarettes Marlboro canadiennes sur les tablettes, autant avant que le marché devienne invisible qu’après. Ils ont aussi affirmé que les produits Rooftop se trouvaient souvent derrière des abattants sur lesquels le détaillant avait inscrit le mot « Marlboro ». Enfin, ils ont tous mentionné avoir vu des centaines de consommateurs acheter des produits Rooftop dans les magasins de vente au détail en les appelant « Marlboro »; de même, dans des conversations avec des clients au sujet des produits Rooftop, des détaillants utilisaient presque toujours le mot « Marlboro » pour désigner ces cigarettes.

 

[116]       Lors de leur contre‑interrogatoire, ils ont tous convenu qu’ils devaient, dans le cadre de leur travail, veiller à ce que les produits d’ITL soient bien placés sur les tablettes et que les marques concurrentes ne se trouvent pas sur les tablettes destinées aux produits d’ITL et renseigner les détaillants sur les produits d’ITL et sur les différences entre ceux‑ci et les produits des concurrents. Ils ont aussi raconté le lancement mémorable des produits Rooftop; certains ont dit qu’il s’agissait du lancement le plus important et le plus médiatisé qu’ils avaient vu. Enfin, tous ont expliqué que, lorsqu’un consommateur demande des cigarettes Marlboro, le détaillant lui remet habituellement un paquet rouge de cigarettes Rooftop. Si ce n’est pas le produit qu’il veut, le consommateur précise s’il veut le paquet or ou le paquet argent. Les témoins ont convenu que le détaillant doit interpréter ce que le consommateur veut, mais, au bout du compte, celui‑ci l’obtient. Ils ont ajouté que les détaillants remettent un produit Rooftop aux clients qui demandent un produit « Marlboro » parce que, lorsqu’ils leur tendent un paquet de Marlboro d’ITL, les clients répondent presque toujours que ce n’est pas ce qu’ils veulent.

 

[117]       M. Lacroix a dit qu’il connaissait bien le « Alternate Product Guide » [traduction] « Guide sur les produits de rechange » d’ITL. Les représentants d’ITL se servent de ce document lorsqu’ils traitent avec les détaillants, à qui ils proposent des produits d’ITL en remplacement des marques d’autres fabricants. Avant que le guide lui soit présenté, l’avocat des demanderesses lui a demandé de confirmer que le guide indiquait bien que les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL devaient être présentées comme un produit pouvant remplacer un mélange américain. Il a été en mesure de le faire de mémoire. Il a ensuite essayé de faire marche arrière et a dit, lorsqu’on lui a montré la version anglaise de ce guide, qu’il ne connaissait pas cette version parce qu’il se servait de la version française, qu’il ne se servait pas souvent du document de toute façon, qu’il en existait plusieurs versions et qu’il n’était pas certain si les cigarettes Marlboro étaient présentées comme un produit de rechange aux cigarettes à mélange américain dans la version française du guide. Cependant, lorsqu’on lui a montré la version française numérisée du document (pièce P‑47), il a dit qu’il s’agissait du document qu’il connaissait bien et il a reconnu que la même comparaison était faite entre les cigarettes Marlboro canadiennes et les cigarettes Camel ou Winston à mélange américain. 

 

[118]       À l’audience, l’avocat des défenderesses s’est opposé à la production des deux versions (française et anglaise) du document, parce que ni le témoin ni le représentant de la société ne pouvaient l’identifier et aussi parce qu’il n’était probablement pas pertinent étant donné qu’il n’était pas allégué que les défenderesses s’étaient livrées à de la commercialisation trompeuse. Plus tard, il a fait savoir à la Cour que les défenderesses avaient confirmé l’existence de ces documents, et il a accepté que ceux‑ci soient déposés à titre de pièces confidentielles; il a toutefois maintenu son objection quant à la pertinence du document. Ayant maintenant pu examiner tous les éléments de preuve produits par les parties, je suis d’avis que ces documents devraient être admis. Je conviens avec l’avocat des demanderesses que ceux‑ci sont très pertinents au regard de la question de savoir de quelle manière les défenderesses positionnent elles‑mêmes leur produit Marlboro, au même titre que l’étalage et l’emplacement du produit dans les magasins dont le témoin a parlé.

 

[119]       Mme Lucier a affirmé, au cours de son interrogatoire principal, qu’on trouve très fréquemment (au moins dans 70 % des cas) à la fois des produits Marlboro canadiens d’ITL et des produits Rooftop derrière des étiquettes d’étagère arborant le mot MARLBORO. Elle a toutefois constaté qu’il n’y avait que dans quatre des 16 magasins où elle s’était rendue avec un parajuriste en 2006, dans le cadre de l’étude sur l’exposition des cigarettes Marlboro qui avait été commandée par ITL, que les cigarettes ROOFTOP et les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL étaient placées les unes près des autres sur les tablettes et que, dans un seul magasin, un produit Rooftop se trouvait derrière une étiquette d’étagère « Marlboro » (pièce P‑49). Il est intéressant de noter que, lorsque des photos prises au cours de cette enquête lui ont été présentées, Mme Lucier a été incapable de se rappeler si l’on avait demandé aux détaillants de corriger leur étiquette.

 

[120]       M. Zervos a admis que de plus en plus de détaillants adoptent un système de lecture des codes barres figurant sur chaque produit, qui enregistre l’opération et montre le produit et le prix au moment de la lecture. Lorsqu’il a été interrogé par l’avocat des demanderesses au sujet de deux magasins où il s’était rendu, il n’a pas été en mesure de confirmer si les clients pouvaient voir l’écran sur lequel le nom et le prix du produit étaient indiqués. M. Zervos a reconnu que les magasins dotés d’un tel système peuvent produire un reçu sur lequel figure le nom du produit, mais il a affirmé qu’il ne pouvait pas se rappeler un cas où un tel reçu avait été remis relativement à un produit du tabac ou avait été demandé par le client.

 

[121]       M. Zervos a également confirmé qu’il connaissait bien le « Alternate Product Guide » [traduction] « Guide sur les produits de rechange » (pièce P‑48), remis aux représentants des ventes par ITL et indiquant que les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL sont le premier produit capable de remplacer les marques américaines CAMEL et WINSTON. Il a dit qu’il n’était pas au courant du contenu de la lettre envoyée aux détaillants par RBH lors du lancement du produit Rooftop et qu’il était incapable de se rappeler avoir vu l’un ou l’autre des documents spécialisés qui faisaient la promotion de Rooftop en soulignant qu’il s’agissait d’un mélange américain et qui avaient été envoyés aux détaillants.

 

[122]       Comme M. Doerr, il a été mis en présence du témoignage de l’un des détaillants auxquels il rendait visite chaque semaine, M. Shim, selon lequel il désignait les produits Rooftop par le mot « Rooftop ». M. Doerr a répondu qu’il ne se rappelait pas avoir entendu M. Shim parler des produits Rooftop en employant ce nom, ni quand le produit Rooftop avait commencé à être mis en vente dans son magasin. 

 

C.  Les experts des parties

[123]       Cinq experts ont été appelés par les parties, trois par les demanderesses et deux par les défenderesses. Dans les paragraphes qui suivent, je tenterai de décrire l’essentiel de leurs rapports et de leurs témoignages, puis j’analyserai de manière plus approfondie et plus critique leurs observations lorsque je traiterai des questions de fond qui sont en litige en l’espèce.

 

[124]       Robert Klein a été présenté par les demanderesses comme un expert en études de marché et en sondages. Il est le président et le cofondateur d’Applied Marketing Science Inc., une firme d’études de marché et de conseils du Massachusetts, aux États‑Unis. M. Klein a témoigné en qualité d’expert dans de nombreuses instances au Canada et aux États‑Unis. Il a présenté les résultats de deux sondages qu’il a effectués dans quatre centres commerciaux situés dans différentes villes du Canada (Vancouver, Edmonton, Toronto et Montréal). Des mesures ont été prises afin d’assurer la qualité des résultats. Par exemple, les sondages étaient des enquêtes « en double aveugle » où ni les répondants ni les intervieweurs ne connaissaient l’objet de l’étude ou la validation des entrevues.

 

[125]       Dans le cadre du premier sondage (le sondage sur Rooftop), il s’agissait de montrer un paquet de cigarettes Rooftop aux répondants et de leur poser des questions afin de savoir s’ils connaissaient la source de ce produit. Cette étude avait pour but d’évaluer les opinions des consommateurs, le cas échéant, sur l’origine ou la source du paquet de cigarettes Rooftop. Les répondants étaient d’abord interrogés sur la marque de cigarettes qu’ils fumaient, après quoi un paquet de Rooftop de couleur rouge leur était présenté et les questions suivantes leur étaient posées :

A.                avaient-ils déjà vu cette marque et, le cas échéant, à quel endroit;

B.                 avaient-ils déjà acheté cette marque et, le cas échéant, à quel endroit;

C.                 de quelle manière désigneraient‑ils cette marque s’ils voulaient l’acheter et pour quelles raisons;

D.                que pouvaient‑ils dire d’autre au sujet de cette marque;

E.                 associaient‑ils l’habillage et l’apparence à une autre marque et, le cas échéant, de quelle façon désigneraient‑ils cette autre marque, pourquoi faisaient‑ils cette association et où cette autre marque était‑elle vendue?

 

[126]       Selon le témoin, l’étude a révélé ce qui suit :

A.                aucun des répondants n’a répondu qu’il fumait habituellement des cigarettes Marlboro ou Rooftop;

B.                 seulement 23 % des fumeurs à qui le paquet de Rooftop a été présenté l’avaient déjà vu;

C.                 seulement 15 % des fumeurs à qui le paquet de Rooftop a été présenté le désigneraient par le mot « Marlboro »;

D.                96 % des répondants qui désigneraient le paquet de Rooftop par le mot « Marlboro » ont fondé leur réponse sur le fait qu’ils connaissaient le produit Marlboro vendu à l’extérieur du Canada par Philip Morris;

E.                 aucun des répondants qui désigneraient le paquet de Rooftop par le mot « Marlboro » n’a indiqué qu’il croyait que le produit avait un quelconque lien avec ITL;

F.                  32 autres répondants (sur un total de 389) ont dit qu’ils associaient l’habillage et l’apparence du paquet de Rooftop avec « Marlboro »; 88 % d’entre eux ont fondé leur réponse sur le fait qu’ils connaissaient le produit Marlboro vendu à l’extérieur du Canada par Philip Morris;

G.                aucun des répondants n’a indiqué qu’il croyait que le produit avait un quelconque lien avec ITL;

H.                seulement 0,05 % des répondants ont désigné le produit par le mot « Rooftop ».

 

[127]       La deuxième étude (l’étude sur les cigarettes Marlboro canadiennes) visait à évaluer les opinions des consommateurs sur l’origine du paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL. Les répondants étaient d’abord interrogés sur la marque de cigarettes qu’ils fumaient, après quoi un paquet de cigarettes Marlboro canadiennes de couleur argent qui était alors sur le marché, l’ancien paquet de cigarettes Marlboro canadiennes de couleur beige ou un paquet de cigarettes Belvedere leur était présenté. Le paquet de Belvedere était le paquet témoin utilisé pour détecter et filtrer les réponses données au hasard par les participants. Les questions suivantes étaient ensuite posées aux répondants :

A.                avaient-ils déjà vu cette marque et, le cas échéant, à quel endroit;

B.                 avaient-ils déjà acheté cette marque et, le cas échéant, à quel endroit;

C.                 que pouvaient‑ils dire d’autre au sujet de cette marque;

D.                associaient-ils l’habillage et l’apparence à une autre marque et, le cas échéant, de quelle façon désigneraient‑ils cette autre marque, pourquoi faisaient‑ils cette association et où cette autre marque était‑elle vendue?

 

[128]       Cette étude a démontré que 72 % des répondants qui croyaient reconnaître le produit canadien Marlboro d’ITL (une moyenne des résultats concernant les deux paquets d’ITL) pensaient que cela était attribuable à un produit vendu à l’extérieur du Canada. Étant donné que Philip Morris est la seule société qui commercialise la marque Marlboro à l’extérieur du Canada et que les cigarettes Marlboro sont les plus vendues dans le monde, ces répondants semblent faire référence au produit Marlboro de Philip Morris qui est vendu à l’extérieur du Canada. La connaissance des consommateurs qui ont reconnu les cigarettes Marlboro d’ITL semble s’expliquer en grande partie par le fait qu’ils avaient déjà vu la marque Marlboro de Philip Morris vendue à l’étranger.

 

[129]       Gilles Robert est un consultant en graphisme spécialiste de plusieurs facettes du graphisme, notamment la typographie, les logos de produit et d’entreprise et les communications graphiques. Il possède plus de 45 ans d’expérience dans le domaine, y ayant travaillé et ayant enseigné le graphisme depuis 1995. Il est considéré comme le père du graphisme moderne au Québec. Il a été chargé d’examiner chacun des paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL et de les comparer avec le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM afin d’évaluer l’importance des similitudes entre eux.

 

[130]       M. Robert a constaté que les paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1970, de 1981 et de 1988 étaient très différents du paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM sur le plan de l’apparence, des couleurs, de la disposition des éléments et de la police de caractères utilisée. Par contre, les paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1996, de 2001 et de 2007 ressemblaient beaucoup au paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM à cause des changements qui leur avaient été apportés. À son avis, les changements les plus importants étaient de deux ordres et concernaient la police utilisée pour le mot MARLBORO et l’emblème.

 

[131]       M. Robert a d’abord donné de l’information générale sur la typographie et expliqué qu’il existe deux grandes catégories de polices de caractères : les polices à empattement et les polices sans empattement. Un empattement est une petite extension qui forme la terminaison d’une lettre. Des sous‑catégories forment quatre grandes familles de polices. Le mot MARLBORO figurant sur le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM est écrit avec version modifiée de la police Corvinus Skyline. Cette police à empattement appartenant à la famille Didot se caractérise par un empattement fin et net. Sur le paquet de Marlboro américain de PM, les caractères sont comprimés de manière que le mot semble plus étroit et plus grand. Le « M » majuscule a été étiré, mais pas autant que le « l » et le « b » se trouvant au centre, qui sont plus grands que toutes les autres lettres, y compris le « M » majuscule.

 

[132]       Des versions différentes d’une police sans empattement appartenant à la famille des polices Antique ont été utilisées sur les paquets de cigarettes Marlboro d’ITL de 1970, 1981 et 1988. En 1996, la police a été remplacée par une police sans empattement appelée « Utopia Semi Bold ». Avec cette police, les lettres « M », « l » et « b » sont étirées verticalement de façon à avoir la même hauteur. Sur le paquet de 2001, le mot MARLBORO est écrit avec la police Utopia Semi Bold, mais  il a été étiré verticalement à 51 % afin qu’il soit plus grand et plus étroit, ce qui signifie que la largeur de chaque caractère est comprimée proportionnellement. Enfin, le mot MARLBORO a encore une fois été étiré d’environ 30 % en 2007.

 

[133]       M. Robert croit que la police Utopia Semi Bold utilisée sur les paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL est différente de la police Corvinus Skyline utilisée sur le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM, mais que cette différence serait trop petite pour être perçue par l’œil peu exercé du consommateur.

 

[134]       Le deuxième changement a trait à l’emplacement et à la forme de l’emblème. Celui‑ci a d’abord été placé au‑dessus du mot MARLBORO, comme sur le paquet de Marlboro américain de PM. Sa couleur a ensuite été modifiée par l’incorporation d’une feuille d’érable rouge en son centre. Selon M. Robert, à cause de ces changements, l’emblème ressemble fortement à celui qui se trouve sur le paquet de Marlboro américain de PM compte tenu de l’habillage global du paquet.

 

[135]       Stephen Candib est le troisième expert appelé à témoigner par les demanderesses. Il travaille dans le domaine de la valorisation des marques et de la gestion des concepts depuis plus de 25 ans. Il a été plus ou moins appelé à témoigner au nom de M. Don Watt, qui avait produit un affidavit d’expert, mais qui est malheureusement décédé en décembre 2009. Comme la période pendant laquelle les rapports d’expert devaient être échangés était terminée et qu’une date avait été fixée pour le procès, l’avocat des demanderesses a demandé à M. Candib d’examiner l’affidavit de M. Watt; après l’avoir fait, M. Candib n’avait pas d’objection à faire siennes l’analyse et les conclusions de M. Watt, à l’exception de son opinion sur le paquet de cigarettes canadiennes d’ITL de 1996. Contrairement à M. Watt qui était d’avis que les changements apportés au paquet de 1996 faisaient en sorte que celui‑ci ressemblait grandement au paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM dans l’ensemble, M. Candib ne croyait pas que le paquet donnait l’impression générale d’être une copie du paquet américain.

 

[136]       Il en est autrement des paquets de 2001 et de 2007. En 2001, le nom MARLBORO était placé sous l’emblème plutôt qu’au‑dessus. Les lettres de ce mot étaient comprimées de façon à ce qu’elles soient plus grandes, mais moins larges. L’arrière‑plan était plus clair et le contraste entre le mot MARLBORO et l’arrière‑plan était plus grand. Cette version du paquet de Marlboro d’ITL ressemblait davantage au paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM. En changeant l’ordre des éléments et en plaçant les lettres « l » et « b » de façon qu’elles pointent directement vers l’emblème rouge, la ressemblance était plus forte dans l’ensemble.

 

[137]       Plusieurs autres changements ont été apportés sur le paquet de 2007. Premièrement, le nouvel emblème, comportant une feuille d’érable de couleur rouge, rappelle l’ovale rouge se trouvant au centre de l’emblème qui figure sur le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM. Deuxièmement, le fait que l’emblème se trouve au‑dessus du mot MARLBORO et que les lettres « l » et « b » pointent vers lui renforce l’impression de similitude. Troisièmement, l’arrière‑plan de couleur blanche et or est similaire à celui du paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM, en particulier en raison du contraste qui existe avec le mot MARLBORO écrit en noir. Quatrièmement, la police de caractères comprimée verticalement est très semblable à celle du paquet américain de PM. Enfin, l’avertissement sanitaire occupe la partie supérieure du devant du paquet, tout comme sur la version de 2001, ce qui pourrait donner l’impression à un consommateur connaissant bien le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM que l’avertissement recouvre la partie du paquet où se trouve le toit rouge.

 

[138]       Chuck Chakrapani a été présenté comme l’expert des défenderesses en matière de marketing et de sondages. Il est un expert hautement qualifié dans le domaine de la recherche statistique, de l’étude des marchés et de l’analyse des données. Il est titulaire de plusieurs diplômes universitaires dans les domaines de la psychologie, de la statistique, des mathématiques et du comportement du consommateur. Il effectue des études de marché et des analyses de données depuis plus de 30 ans. Il est actuellement le conseiller en recherche et le conseiller de liaison avec l’industrie de la Ted Rogers School of Management. Il est aussi agrégé supérieur en matière de recherche du Centre for the Study of Commercial Activity à l’Université Ryerson, à Toronto. Il a également témoigné à titre d’expert devant la Cour dans six autres instances. 

 

[139]       Le mandat de M. Chakrapani consistait à évaluer la possibilité que les consommateurs et les détaillants au Canada confondent la marque sans nom de RBH appelée « Rooftop » et le produit Marlboro de PM vendu sur le marché international à l’extérieur du Canada. Les études se sont déroulées avant que le marché devienne invisible, entre janvier et avril 2007, à Vancouver, Edmonton, Toronto et Montréal. 

 

[140]       Dans le cadre de l’étude sur les consommateurs, les intervieweurs ont présenté à des fumeurs des paquets de Rothmans et de Dunhill démarqués et des paquets de Rooftop. Ils posaient d’abord la question suivante pour chaque marque : [traduction] « Pouvez‑vous me dire quelle est la marque de cette cigarette ou non? » Ils demandaient ensuite : [traduction] « Pourquoi dites‑vous cela? Y a‑t‑il autre chose? » Les paquets de Dunhill et de Rothmans étaient présentés aux répondants afin de corriger les réponses données au hasard, car ils possédaient certains éléments de la marque internationale de PM. Les trois marques étaient placées sur une planchette à pince et leur ordre était changé afin de réduire la possibilité de biais introduit par l’ordre de présentation.

 

[141]       Cinquante-sept pour cent (57 %) des répondants ont indiqué qu’ils connaissaient la marque Rothmans, 58 % la marque Dunhill et 44 % la marque Rooftop. Parmi les 44 % des répondants qui affirmaient connaître la marque Rooftop, 61 % l’ont identifié à tort comme la marque Marlboro. En d’autres termes, parmi les personnes ayant identifié une marque, six sur dix ont identifié incorrectement le paquet de cigarettes Rooftop en le confondant avec un paquet de Marlboro. Quarante pour cent (40 %) des fumeurs interrogés ont correctement identifié la marque Rothmans et 23 % ont correctement identifié la marque Dunhill, alors que 26 % ont cru à tort que la marque Rooftop était la marque Marlboro. Une fois que l’on a tenu compte de la proportion de 3 % des répondants qui avaient donné une réponse au hasard (le deuxième taux d’erreur d’identification avec une autre marque), il reste environ 24 % des répondants qui ont identifié à tort la marque Rooftop comme étant la marque Marlboro. Il n’y a aucune preuve d’identification erronée horizontale : aucun répondant n’a identifié à tort les paquets de Rothmans et de Dunhill en disant qu’il s’agissait de paquets de Marlboro. Il n’y a pas eu non plus d’identification erronée verticale importante. La marque Rooftop a été constamment prise à tort pour la marque Marlboro et pour cette marque uniquement. Les principales raisons données par les fumeurs pour expliquer leur erreur d’identification étaient la palette de couleurs, la conception graphique du paquet et leur connaissance de la marque.

 

[142]       Dans le cadre de la deuxième étude, des intervieweurs se présentant comme des consommateurs ont rendu visite à des détaillants dans les mêmes villes à deux occasions. Au cours de la première visite, l’intervieweur pointait le paquet de Rooftop et demandait [traduction] « Quelle est cette marque? », puis [traduction] « Que pouvez‑vous me dire à son sujet? » Près du tiers des détaillants ont identifié à tort la marque Rooftop comme étant « Marlboro ». Seulement un sur cinq a reconnu la marque Rooftop. C’est à Toronto que la proportion de cas de mauvaise identification était la plus élevée (79 %). En réponse à la deuxième question, 49 % des détaillants qui avaient répondu que le produit était de marque Marlboro ne pouvaient dire quoi que ce soit de plus ou refusaient de le faire. Les autres 51 % ont donné différentes réponses, dont les suivantes : il s’agit d’une nouvelle marque, c’est canadien ou américain, c’est une marque populaire, c’est une sorte de Marlboro ou c’est fabriqué par Marlboro, c’est un mélange américain, c’est fabriqué par Benson & Hedges, etc. Lors de la deuxième visite, à la question de savoir s’ils avaient des cigarettes Marlboro en stock, les détaillants ont indiqué la marque Rooftop ou ont tendu un paquet de cette marque dans 38 % des cas. Cette proportion était la plus élevée à Toronto (78 %). Vingt et un pour cent (21 %) des détaillants ont tendu ou montré des cigarettes Marlboro d’ITL et 42 % n’ont remis aucun paquet à l’intervieweur.

 

[143]       Sur la foi des deux études, M. Chakrapani a conclu :

A.       qu’il y une forte possibilité que la marque Rooftop soit identifiée à tort comme « Marlboro » : un fumeur sur quatre et six personnes sur dix ayant dit qu’elles connaissaient la marque qui leur était présentée ont identifié les cigarettes Rooftop de cette façon;

B.       qu’une grande proportion de détaillants ont laissé entendre sciemment ou autrement que la marque Rooftop était la marque Marlboro ou une variante de celle‑ci;

C.       qu’une grande proportion de détaillants (près de quatre sur dix) ont pointé du doigt ou remis des cigarettes Rooftop à leurs clients qui leur demandaient des cigarettes Marlboro.

 

[144]       Enfin, les défenderesses ont présenté Till Telmet comme leur expert en graphisme. M. Telmet est le directeur de Telmet Design Associates, une firme‑conseil de conception et de communication fondée en 1985. Il possède plus de 40 années d’expérience dans le domaine de la conception, notamment de l’image de marque et de l’emballage.

 

[145]       Les défenderesses ont demandé à M. Telmet d’examiner les paquets de Marlboro d’ITL de 1996, 2001 et 2007 et de les comparer avec le paquet de Marlboro de Philip Morris, dans le but de relever les éléments graphiques de chacun et, le cas échéant, les similitudes. On lui a également demandé de commenter les affidavits de Don Watt et de Gilles Robert. M. Telmet a aussi examiné le paquet de Marlboro de PM et le paquet sans nom de Rooftop et les a comparés.

 

[146]       Selon M. Telmet, la force du paquet de Marlboro de PM réside dans sa simplicité, la puissance de l’échelle et sa composition, ainsi que dans l’utilisation frappante de la couleur. Il a décrit ce qui, à son avis, constitue les cinq éléments graphiques les plus importants du paquet : le toit rouge, la maison blanche sous le toit rouge, la police de caractères modifiée de façon toute particulière avec laquelle le mot « MARLBORO » est écrit, la bulle oblongue de couleur blanche placée sous le toit rouge et contenant les mots [traduction] «cigarettes filtres » et la bande de couleur rouge figurant au bas du paquet qui représente les fondations de la maison. L’impression générale créée par la combinaison de ces éléments est une image simple, forte et très masculine qui est différente et dont on se rappelle. Pour ce qui est de l’emblème, M. Telmet ne le considère pas comme un élément particulièrement important; selon lui, il s’agit d’un ajout décoratif qui transmet un message visuel secondaire.

 

[147]       Au sujet de la police de caractères utilisée pour le mot MARLBORO figurant sur le paquet de PM, M. Telmet pense qu’il s’agit d’une version considérablement modifiée de la police Corvinus Skyline. Celle‑ci se caractérise par des empattements très fins et des lettres arrondies dont les côtés sont aplatis. L’aplatissement des lettres arrondies crée une condensation des lettres qui donne une apparence verticale générale. Lorsque la police Corvinus Skyline n’est pas modifiée, les lettres « M », « l » et « b » ont la même hauteur. Sur le paquet de Marlboro de PM, ces lettres ont été considérablement étirées, en particulier le « l » et le « b ». Les deux lettres situées au milieu du mot semblent ainsi exagérément allongées, ce qui accentue la pointe de la maison blanche et du toit rouge. De plus, ces lettres pointent vers l’emblème, parce que cette composition est placée sur l’axe central. Grâce à ces modifications importantes apportées à la police Corvinus Skyline, la police employée sur le paquet de PM est unique.

 

[148]       Selon M. Telmet, le paquet d’ITL de 2007 et le paquet de Marlboro de PM sont très différents parce que le premier est complexe et chargé, alors que le deuxième est simple et dégagé. En fait, aucun des cinq éléments graphiques importants du paquet de Marlboro de PM ne se retrouve sur le paquet d’ITL de 2007. Par contre, ce dernier comporte les éléments graphiques suivants : un arrière‑plan de couleur argent à l’intérieur d’un cadre blanc, le mot MARLBORO écrit avec une police très différente, une vignette plus claire au centre de l’arrière‑plan, une ombre portée de couleur argent derrière le mot MARLBORO et l’emblème d’une feuille d’érable rouge placé dans un carré aux coins arrondis.

 

[149]       Le paquet de Marlboro d’ITL de 2007 arbore aussi le mot « Canadian » écrit en rouge, au‑dessous du mot MARLBORO, un élément qui n’a aucune importance d’un point de vue graphique, selon M. Telmet. Cet élément n’a pas le même effet visuel et la même importance que la bande de couleur rouge au bas du paquet de Marlboro de PM. À part l’utilisation de la couleur rouge sur les deux paquets – une couleur qui est associée au drapeau canadien et à l’identité canadienne –, il n’y a aucune similitude entre les deux éléments. De même, M. Telmet ne considère pas l’emblème comme un élément important du paquet de Marlboro d’ITL de 2007 et il ne pense pas que sa simple utilisation crée un lien entre ce paquet et celui de Marlboro de PM.

 

[150]       Par ailleurs, M. Telmet ne croit pas que l’avertissement sanitaire couvre le toit rouge du paquet de Marlboro de PM sur le paquet d’ITL de 2007, car il n’y a aucun signe de cet élément sur le paquet d’ITL. Même si le toit rouge était couvert sur un côté du paquet, il serait toujours présent sur les autres, en particulier parce que l’habillage du paquet de Marlboro de PM a un effet tridimensionnel.

 

[151]       En ce qui concerne la police de caractères utilisée sur le paquet d’ITL de 2007, M. Telmet était d’avis que la police Utopia Semibold utilisée par ITL pour le mot Marlboro avait été comprimée à 70 %, mais qu’aucune autre manipulation n’avait été effectuée. M. Telmet parvient à cette conclusion après avoir superposé le mot MARLBORO écrit à l’aide d’une version comprimée à 70 % de la police Utopia Semibold aux caractères utilisés sur le paquet de 2007. Il en est autrement en ce qui concerne le paquet de Marlboro de PM, qui arbore des caractères Corvinus Skyline considérablement modifiés. M. Telmet est aussi arrivé à cette conclusion en superposant les caractères Corvinus Skyline non modifiés aux caractères figurant sur le paquet de Marlboro de PM.

 

[152]       En outre, selon le témoin, il existe de nombreuses différences entre les deux polices de caractères, même s’il s’agit de deux polices à empattement. Premièrement, les empattements sont différents : les caractères écrits avec la police Corvinus Skyline ont un empattement rectangulaire sans fioritures et perpendiculaire, alors que les empattements de la police Utopia Semibold sont très arrondis. De plus, les lettres écrites avec la police Utopia Semibold et leurs extrémités sont arrondies, tandis que celles écrites avec la police Corvinus Skyline sont droites et verticales. En outre, les lettres écrites avec la police Corvinus Skyline ont des parties très fines et des parties très larges, ce qui accentue le caractère masculin de l’ensemble de l’image. Enfin, il faut remarquer les lettres « M », « l » et « b » écrites avec la police Corvinus Skyline et très étirées qui figurent sur le paquet de PM, qui sont très différentes des lettres utilisées par ITL sur son paquet de 2007.

 

[153]       Selon M. Telmet, il existe un certain nombre de polices qui ressemblent davantage à la police Corvinus Skyline que l’Utopia Semibold. C’est le cas, par exemple, des polices Bodoni Poster Compressed et Didot Bold. De plus, l’utilisation de polices à empattement est courante sur le marché et le fait qu’ITL ait choisi une police de ce type n’est pas étonnant.

 

[154]       M. Telmet a préparé un modèle de paquet de cigarettes « Carlbone » en utilisant la police Utopia Semibold comprimée à 70 %. À son avis, si la marque de fabrique « Marlboro » est effacée, le paquet n’a plus aucune similitude avec le paquet de Marlboro de PM. M. Telmet conclut donc que la seule véritable similitude entre le paquet d’ITL de 2007 et le paquet de Marlboro de PM est l’utilisation du mot MARLBORO. Il tire la même conclusion au sujet des paquets d’ITL de 1996 et de 2001, qui n’arborent aucun des éléments graphiques importants du paquet de Marlboro de PM.

 

D. Les détaillants (témoins des défenderesses)

[155]       Jake Shim est caissier dans un dépanneur de Toronto appelé Busy Bee King Mart. Jim Kargakos est le propriétaire d’un dépanneur d’Ottawa appelé Kars Confectionery. Sam Hajjali est le propriétaire d’un dépanneur de Montréal, Variété Plus. Samer Tarbouch est le propriétaire d’un magasin de tabac de Montréal appelé Tabagie St.Laurent, où il lui est toujours permis d’exposer des produits du tabac. Toutes ces personnes ont parlé dans leur témoignage de leur expérience concernant la vente et les commandes de cigarettes Rooftop.

 

[156]       Tous ces témoins ont affirmé que la grande majorité des clients qui achètent des produits Rooftop les appellent « Marlboro » et que, s’ils remettent aux clients des cigarettes Marlboro d’ITL, la plupart d’entre eux répondent que ce n’est pas ce qu’ils veulent. Ils ont confirmé que très peu de clients demandent un reçu imprimé lorsqu’ils achètent des cigarettes, bien que leur système puisse imprimer sur demande un reçu indiquant le nom du paquet de cigarettes acheté. Certains de ces témoins ont aussi décrit le lancement des cigarettes Rooftop en disant qu’ils n’avaient jamais rien vu de pareil auparavant. M. Kargakos a expliqué que des marchandises Ferrari d’une valeur de 200 $, un blouson et un sac à dos avaient été promis à chacune des personnes présente au lancement à Toronto et que celles‑ci avaient le droit de participer au tirage d’une fin de semaine VIP au Grand Prix de Monaco. Il a dit que le lancement avait été [traduction] « incroyable ».

 

[157]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Shim a mentionné que très peu de clients demandent les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL et que c’était le cas même avant l’arrivée des cigarettes Rooftop sur le marché en 2006. Il a dit qu’il place les produits Rooftop avec les cigarettes à mélange américain et que les cigarettes Marlboro canadiennes se trouvent sur la même tablette, mais qu’il y a des produits de quatre autres marques environ entre elles et les produits Rooftop. Il est indiqué « Rooftop » sur la tablette où se trouvent les produits Rooftop. M. Shim savait que, sur les bons de commande qui doivent être remplis pour acheter des cigarettes en gros, les produits Rooftop sont inscrits dans une section réservée aux produits américains et sont appelés [traduction] « Rooftop Red – É.‑U. », [traduction] « Rooftop Gold – É.‑U. » et [traduction] « Rooftop Silver – É.‑U. ». Enfin, il a mentionné que les clients demandent généralement des « Marlboro Red », des « Marlboro Silver » ou des « Marlboro Gold » lorsqu’ils veulent des produits Rooftop; s’ils demandent seulement des « Marlboro », M. Shim leur demande lesquelles ils veulent. À la question de savoir comment il sait que les clients veulent des cigarettes Rooftop lorsqu’ils demandent des « Marlboro », il a répondu que la plupart d’entre eux sont des touristes ou des immigrants. Lorsqu’ils lui demandent des « Marlboro », M. Shim montre du doigt le produit Rooftop et dit qu’elles portent le nom de Rooftop au Canada. M. Shim essaie autant que possible d’appeler le produit « Rooftop ».

 

[158]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Kargakos a admis qu’il avait reçu, avec le matériel promotionnel afférent au lancement des cigarettes Rooftop, une lettre (pièce P‑46) indiquant que ce nouveau produit n’arborerait aucune marque de fabrique, qu’il serait identifié par le dessin distinctif d’un toit sur le paquet et que RBH n’était pas propriétaire de l’enregistrement de la marque de commerce pour le nom MARLBORO au Canada. La lettre expliquait aussi que la marque de commerce MARLBORO ne peut pas être employée en liaison avec le produit Rooftop. M. Kargakos a dit que sa première préoccupation en matière de ventes est de faciliter le plus possible les choses pour les clients; comme tous les clients appellent les produits Rooftop « Marlboro », il leur remet des cigarettes Rooftop sans donner trop d’explications. Il ne vend plus de cigarettes Marlboro canadiennes à cause de la confusion qu’elles créaient dans l’esprit de ses clients; quoi qu’il en soit, il a dit que les clients qui se font remettre des cigarettes Rooftop après avoir demandé des cigarettes Marlboro sont satisfaits.

 

[159]       M. Hajjali a déclaré dans son témoignage que, lorsque le produit Rooftop a été lancé, son représentant de RBH lui a dit qu’il devait l’appeler « Rooftop » et non « Marlboro ». Alors qu’il vendait habituellement une trentaine de paquets de cigarettes Marlboro d’ITL, il en vend très rarement depuis le lancement de Rooftop. Au cours de son contre‑interrogatoire, il a confirmé que les produits Rooftop sont appelés « Rooftop Red », « Rooftop Silver » et « Rooftop Gold » sur le bon de commande du grossiste à qui il achète les produits de RBH. Il a dit également qu’il place les cigarettes Rooftop à côté des produits Winston, et non sur la même tablette que les produits Marlboro canadiens ni près d’eux. Enfin, il a ajouté que, lorsqu’un client demande des « Marlboro Red », des « Marlboro Gold » ou des « Marlboro Silver », il lui offre le produit Rooftop équivalent sans toujours perdre du temps à poser des questions ou à expliquer la différence. Si, par contre, un client lui demande seulement des « Marlboro », il lui remet des cigarettes Marlboro canadiennes.

 

[160]       Enfin, M. Tarbouch a confirmé au cours de son contre‑interrogatoire que les produits Rooftop sont désignés par les noms suivants sur les bons de commande de Costco : « rooftop red », « rooftop silver » et « rooftop gold ». Il a aussi mentionné qu’il offre toujours des cigarettes Marlboro d’ITL quand un client demande des « Marlboro ». Si le client précise ensuite qu’il veut des [traduction] « vraies cigarettes Marlboro » ou des cigarettes [traduction] « rouges », [traduction] « légères » ou [traduction] « extra légères », il lui remet les cigarettes Rooftop correspondantes. Il avait l’habitude de reprendre les clients et de leur expliquer que ce produit s’appelait « Rooftop », mais il a arrêté de le faire après un certain temps parce que les clients ne l’écoutaient pas.

 

 

E. Les consommateurs (témoins des demanderesses)

[161]       Michelle Horrigan, Richard Lloyd et Michael McLaughlin sont des fumeurs. Mme Horrigan a dit qu’elle avait entendu parler de l’affaire avant qu’on lui demande de témoigner environ un mois avant le procès, car son fiancé joue dans un groupe de musique avec l’un des avocats des demanderesses. Elle a cependant ajouté qu’elle ne savait pas grand‑chose au sujet de l’affaire, si ce n’est le fait qu’elle concernait Marlboro. Quant aux deux autres témoins, ils ont été identifiés par un propriétaire ou un employé du magasin de vente au détail où ils se procurent régulièrement des cigarettes Rooftop et ils ont été dirigés vers les avocats des demanderesses.

 

[162]       Les trois témoins ont mentionné que le goût est un critère très important du choix d’une marque de cigarettes. Ils fument surtout ou à l’occasion des cigarettes Rooftop depuis qu’ils ont découvert la marque, il y a de deux à quatre ans. Ils connaissent les cigarettes Marlboro américaines de Philip Morris, qu’ils fument lorsqu’ils voyagent aux États‑Unis. Selon eux, les cigarettes Rooftop sont très semblables aux cigarettes Marlboro américaines.

 

[163]       Les trois témoins ont déjà essayé les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL. Ils ont d’abord pensé que c’était le même produit que les cigarettes Marlboro américaines. Ils ont indiqué qu’ils n’en aimaient pas le goût et qu’ils ne voulaient plus fumer ces cigarettes.

 

[164]       Ils ont dit aussi que, lorsqu’ils avaient essayé les produits Rooftop, ils avaient demandé des « Marlboro » aux détaillants ou décrit le paquet. Lorsqu’ils demandaient des « Marlboro », on leur remettait des cigarettes Marlboro d’ITL, et ils devaient décrire le paquet au détaillant pour obtenir des cigarettes Rooftop. Ils ont aussi mentionné que, quand ils demandent maintenant cette marque de cigarettes, ils l’appellent « Rooftop » parce que, s’ils disent qu’ils veulent un paquet de « Marlboro », le détaillant leur remet un paquet de cigarettes Marlboro d’ITL.

 

IV.       Les questions en litige

[165]       La présente instance soulève un certain nombre de questions qui concernent à la fois le droit relatif aux marques de commerce et les règles de droit régissant le droit d’auteur. Pour ce qui est des marques de commerce, la Cour doit répondre aux questions suivantes :

A.           Les défenderesses sont-elles précluses de contester l’emploi des marques de commerce figuratives ROOFTOP ou ont-elles acquiescé autrement à pareil emploi?

B.            Les enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP constituent‑ils un moyen de défense complet aux allégations de violation des défenderesses? Le cas échéant, ces enregistrements sont‑ils valides?

C.            Les articles 19 et 22 de la Loi sur les marques de commerce ont‑ils été enfreints?

D.           L’article 20 de la Loi sur les marques de commerce a‑t‑il été enfreint?

E.            L’enregistrement de la marque MARLBORO est-il valide?

 

[166]       En ce qui concerne le droit d’auteur, la Cour doit trancher la question suivante :

A.           Les paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1996, 2001 et 2007 violent‑ils le droit d’auteur que possède PMPSA à l’égard de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro, selon les articles 2, 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur, et ces paquets contreviennent‑ils à l’accord intervenu entre les parties en 1952?

 

V.        Analyse : Les questions relatives aux marques de commerce

[167]       Les parties s’entendent sur la nature et sur l’objet d’une marque de commerce et de la Loi sur les marques de commerce. Une marque de commerce a pour objet de différencier les marchandises d’un fabricant de celles de ses concurrents. Ainsi, les marques de commerce jouent un rôle public important et utile en indiquant aux acheteurs éventuels que des marchandises ou des services ont la même qualité que d’autres qu’ils en sont venus à associer à une marque de commerce en particulier, parce qu’ils proviennent de la même source. Essentiellement, les marques de commerce servent donc à distinguer les marchandises d’un propriétaire et à protéger les consommateurs en leur indiquant ce qu’ils achètent et à qui.

 

[168]       Dans l’environnement mondial et complexe actuel, où les fabricants font parfois partie de grandes sociétés de portefeuille et font l’objet d’opérations commerciales loin de l’œil du public, il n’est pas nécessaire pour les consommateurs de connaître l’identité exacte de la source associée aux marques de commerce apposées sur des marchandises. L’important, c’est que le consommateur puisse, s’il préfère la qualité ou les caractéristiques d’un produit d’une certaine marque, se servir de celle‑ci pour identifier plus facilement le produit dans l’avenir. Comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 2 (Mattel), cela a toujours été la raison d’être des marques :

Les techniques marchandes ont beaucoup progressé depuis l’époque où l’on gravait une « marque » sur des gobelets d’argent ou sur des pichets en terre cuite afin d’identifier les marchandises produites par un orfèvre ou un potier en particulier. Le rôle traditionnel des marques était de créer un lien dans l’esprit de l’acheteur éventuel entre le produit et son fabricant. Le pouvoir d’attraction des marques de commerce et autres « noms commerciaux célèbres » est maintenant reconnu comme l’un des plus précieux éléments d’actif d’une entreprise. Or, peu importe l’évolution commerciale des marques de commerce, elles ont toujours pour objet, sur le plan juridique, (selon les termes mêmes de l’art. 2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13) leur emploi par la personne qui en est propriétaire « de façon à distinguer […] les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres ». Il s’agit d’une garantie d’origine et, implicitement, d’un gage de la qualité que le consommateur en est venu à associer à une marque de commerce en particulier […] Le droit relatif aux marques de commerce appartient, en ce sens, au domaine de la protection des consommateurs.

 

Voir aussi Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 18.

 

 

[169]       Cela étant dit, la protection accordée aux marques de commerce par la Loi sur les marques de commerce ne devrait pas être étendue exagérément, parce que cela pourrait empêcher la juste concurrence. La Cour suprême a dit aussi : « Il faut prendre soin de ne pas créer une zone d’exclusivité et de protection qui aille au‑delà de l’objet du droit des marques de commerce » : Mattel, précité, au paragraphe 22. Même si les faits qui sous‑tendent la présente affaire sont inédits et tout à fait particuliers, ils mettent en cause encore une fois le délicat équilibre qui doit être atteint de tout temps entre la libre concurrence et la juste concurrence.

 

A. Les défenderesses sont-elles précluses de contester l’emploi des marques de commerce figuratives ROOFTOP ou ont-elles acquiescé autrement à pareil emploi?

 

[170]       L’avocat des demanderesses soutient que les défenderesses sont précluses, en raison de leur conduite, d’alléguer que l’emploi des marques de commerce figuratives ROOFTOP par les demanderesses portent atteinte à leurs droits et de contester la validité des enregistrements de ces marques. Plus particulièrement, il prétend que, comme elles ne se sont pas opposées aux sept enregistrements en question (dont le premier date de 1958), les défenderesses ne devraient pas maintenant pouvoir alléguer que les marques figuratives ROOFTOP violent leurs droits.

 

[171]       La préclusion par acquiescement est un moyen de défense en equity qui a déjà été examiné dans le contexte des marques de commerce. Selon le principe fondamental, si une partie qui allègue une violation a auparavant amené la partie accusée à croire que son emploi de la marque était acceptable, elle peut être précluse de faire valoir ce droit en raison de son acquiescement. Le critère général a été formulé par la Cour d’appel d’Angleterre dans Habib Bank Ltd. c. Habib Bank AG Zurich, [1981] 2 All E.R. 650, dont l’extrait suivant (figurant à la page 666) a été cité par la Cour d’appel fédérale dans Anheuser‑Busch et adopté comme énonçant le droit relatif à l’inertie et à l’acquiescement :

[traduction] En outre, la jurisprudence plus récente indique à mon avis que l’application du principe adopté dans l’affaire Ramsden v. Dyson (1866) LR 1 HL 129 (peu importe qu’on l’appelle proprietary estoppel, estoppel par [acquiescement] ou estoppel par incitation) exige une approche beaucoup plus libérale : il s’agit plutôt de déterminer, dans des circonstances données, s’il serait exagéré de permettre à une partie de s’opposer à une conduite qui lui a causé préjudice, mais qu’elle a permise ou encouragée, sciemment, ou non, plutôt que de faire enquête sur la situation afin de déterminer si elle peut s’inscrire dans une quelconque formule prédéterminée, utilisée pour jauger toutes les formes de comportement inacceptable.

 

Anheuser‑Busch, Inc. c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd. (1986), 10 CPR (3d) 433, à la page 448.

 

[172]       Après avoir passé en revue la jurisprudence pertinente sur le sujet, le juge Shore a énoncé les critères suivants pour établir l’acquiescement :

[…] 1. Il faut quelque chose de plus que le simple retard. À lui seul, le silence ne suffit pas pour empêcher une procédure judiciaire […]; 2. le détenteur de droits doit connaître son droit et doit connaître la violation de son droit par l’autre partie […]; 3. le détenteur de droits doit encourager l’autre partie à continuer la violation […]; et 4. l’autre partie doit agir à son détriment en se fiant à l’encouragement du détenteur de droits […]

                                            

Reno Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., 2005 CF 870, à la page 127.

 

[173]       Il ne fait aucun doute que les défenderesses ont grandement tardé à faire valoir leurs droits à l’encontre des enregistrements des demanderesses. La première des sept marques de commerce en cause en l’espèce a été enregistrée en 1958 (LMC111226) et quatre autres au début des années 1980 : LMC252082 et LMC252083 ont été enregistrées le 4 novembre 1980, LMC254670 le 9 janvier 1981 et LMC274442 le 3 décembre 1982. Même la marque LMC465532 a été enregistrée il y a près de 15 ans (le 1er novembre 1996). En fait, le seul enregistrement qui peut être qualifié de « récent » est celui portant le no LMC670898, qui date du 23 août 2006. Le retard n’est toutefois que l’un des facteurs qui doivent être pris en compte et il n’est pas suffisant en lui‑même pour constituer un acquiescement.

 

[174]       Les demanderesses alléguaient également que les défenderesses étaient au courant de chacune des marques de commerce figuratives ROOFTOP peu de temps après leur enregistrement. Cela a été confirmé par plusieurs admissions faites par l’avocat des défenderesses à l’étape de l’interrogatoire préalable. Cependant, je suis d’accord avec les défenderesses lorsqu’elles disent que nous ne devrions pas attacher une trop grande importance à ces admissions. L’avocat des défenderesses soutenait que celles‑ci n’avaient aucune raison de s’opposer aux enregistrements en question à l’époque, car les marques de commerce figuratives ROOFTOP étaient alors employées uniquement en liaison avec des cigarettes vendues dans des paquets arborant le nom « Matador », et non dans des paquets sans nom.

 

[175]       En fait, les enregistrements nos LMC252082, LMC252083 et LMC254670 étaient tous fondés sur une revendication d’usage au Canada depuis le 8 août 1958, en conformité avec la déclaration d’emploi liée à l’enregistrement du paquet de Matador. En outre, les dessins et échantillons qui ont été produits pour prouver l’emploi étaient les paquets de cigarettes Matador.

 

[176]       Il en est de même des enregistrements nos LMC274442 et LMC465532. Depuis que l’emploi de ces marques de commerce a été revendiqué au Canada (en 1971 pour la première et le 1er novembre 1995 pour la deuxième), elles ont été employées uniquement avec la marque de commerce MATADOR. Les dessins et échantillons qui ont été produits à titre de preuve d’emploi au soutien de l’enregistrement no LMC465532 étaient aussi des paquets de cigarettes Matador (aucune preuve d’emploi n’était requise à l’époque de l’enregistrement no LMC274442).

 

[177]       Compte tenu de ces faits, il serait ridicule que les demanderesses prétendent que les défenderesses devraient être précluses de s’opposer à la validité ou à l’emploi des marques de commerce figuratives ROOFTOP telles qu’elles figurent sur les paquets de cigarettes Rooftop. On ne peut pas sérieusement soutenir que les défenderesses avaient, par leur conduite, amené les demanderesses à croire que leur emploi des marques qui est maintenant contesté était acceptable. À l’époque de l’enregistrement des marques, les défenderesses n’avaient aucune raison de s’y opposer devant le commissaire des marques de commerce. Pour établir l’acquiescement, les demanderesses doivent non seulement démontrer que les défenderesses étaient au courant des enregistrements, mais aussi qu’elles étaient au courant de l’emploi des marques. Or, cette dernière condition n’est pas remplie en l’espèce.

 

[178]       Les demanderesses ont essayé de faire valoir que les défenderesses les avaient explicitement ou, à tout le moins, implicitement encouragées à continuer ce qu’elles prétendent maintenant être une contrefaçon de leur marque de commerce MARLBORO, d’abord en demandant une prorogation du délai dans lequel elles pouvaient s’opposer à l’enregistrement no LMC670898 en 2006 et en décidant finalement de ne pas s’y opposer et, ensuite, en menant à l’occasion des discussions sur des questions relatives aux marques de commerce. En toute déférence, la conduite des défenderesses que les demanderesses décrivent ne satisfait nettement pas au critère servant à établir l’acquiescement.

 

[179]       En ce qui concerne la marque de commerce figurative ROOFTOP enregistrée sous le no LMC670898, il n’est pas contesté qu’ITL a demandé une prorogation du délai d’opposition, mais qu’elle ne s’est finalement pas opposée à l’enregistrement de cette marque. À l’époque où la demande d’enregistrement a été produite cependant, les défenderesses n’avaient aucun moyen de savoir que cette nouvelle marque serait employée sans aucun nom sur le paquet de cigarettes. M. Ricard a déclaré dans son témoignage que la demande de prorogation de délai avait trait à l’utilisation du logo sur le paquet – on croyait que ce logo était similaire à un logo utilisé par les défenderesses sur le marché canadien. Ce n’est qu’après qu’un avocat externe leur a conseillé de ne pas s’opposer à l’enregistrement en entier pour cette seule raison que les défenderesses ont pris la décision de ne pas s’y opposer. Ce témoignage n’a pas été contredit, et il n’y a aucune raison de croire qu’il ne reflète pas fidèlement les raisons qui ont justifié la demande de prorogation de délai et la décision finale de ne pas s’opposer à l’enregistrement de la marque en question.

 

[180]       Dans les faits, le produit sans nom des demanderesses a été lancé le 25 juillet 2006, soit 20 jours après l’expiration du délai d’opposition, et la déclaration d’emploi a été produite le 28 juillet. Encore une fois, il est impossible dans ces circonstances de considérer que les défenderesses ont donné leur assentiment au droit des demanderesses d’employer leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP en liaison avec un paquet de cigarettes sans nom. S’il existait encore des doutes quant à l’intention des défenderesses, ils ont été dissipés par des faits survenus subséquemment : depuis que les défenderesses ont appris la nouvelle stratégie de commercialisation des demanderesses, elles se sont opposées à toutes les demandes d’enregistrement que celles‑ci ont produites en liaison avec une marque de commerce figurative ROOFTOP (voir les pièces TX‑32, TX‑34 et D‑47).

 

[181]       Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle des discussions ont eu lieu entre les parties depuis 1960 et même en 2005‑2006 au sujet de la vente possible de la marque de commerce MARLBORO, alors que rien n’indique qu’une plainte a déjà été déposée relativement aux marques de commerce figuratives ROOFTOP au Canada, je ne vois pas comment on peut considérer que ces discussions démontrent implicitement que les défenderesses avaient accepté l’emploi le plus récent de leurs marques de commerce par les demanderesses. Tout d’abord, nous ne savons rien au sujet de l’étendue de ces discussions. De surcroît, cet argument ne porte pas sur l’aspect essentiel de la thèse des défenderesses, à savoir qu’elles ignoraient et ne pouvaient pas prévoir à l’époque que les demanderesses emploieraient leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP autrement qu’en liaison avec le mot « Matador » ou, à tout le moins, avec une autre marque de fabrique. Cette hypothèse n’était manifestement pas déraisonnable, étant donné que les demanderesses avaient déjà employé leurs marques de commerce au Canada sur des paquets de cigarettes arborant le nom « Matador » (ou, pendant une courte période, « Maverick ») et étant donné également qu’il semble n’y avoir aucun précédent connu de paquet de cigarettes sans nom dans le monde.

 

[182]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis que les défenderesses ne peuvent être précluses d’alléguer que leurs droits ont été violés par les marques de commerce figuratives ROOFTOP.

 

B. Les enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP constituent‑ils un moyen de défense complet aux allégations de violation des défenderesses? Le cas échéant, ces enregistrements sont‑ils valides?

 

 

[183]       L’avocat des demanderesses a fait valoir que leurs enregistrements des marques de commerce concernant le dessin Rooftop constituent une réponse complète aux allégations de violation formulées par les défenderesses. S’appuyant sur l’article 19 de la Loi, il fait valoir que le titulaire d’une marque de commerce valablement enregistrée a le droit exclusif d’employer la marque dans tout le Canada.

 

[184]       Une telle prétention a été accueillie par la Cour d’appel de l’Ontario dans Molson Canada c. Oland Breweries Ltd., [2002] O.J. No. 2029, qui concernait des marques de commerce employées en lien avec de la bière. La demanderesse avait intenté une action pour commercialisation trompeuse, dans le cadre de laquelle elle alléguait que la marque de commerce OLAND EXPORT ALE de la défenderesse, qui était employée en lien avec de la bière, ainsi que la présentation des marchandises de la défenderesse, créaient ou étaient susceptibles de créer de la confusion avec la marque de bière qu’elle‑même vendait sous la marque MOLSON EXPORT ALE. La défenderesse avait fait enregistrer la marque OLAND EXPORT ALE. L’action avait été rejetée au motif que la demanderesse n’avait pas fait la preuve de la commercialisation trompeuse. Le juge du procès avait toutefois conclu que le simple fait que la défenderesse avait enregistré la marque ne constituait pas un moyen de défense à une allégation de commercialisation trompeuse. La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel pour la seule raison que le juge du procès avait commis une erreur fondamentale en ne concluant pas que l’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée était un moyen de défense complet à l’action de la demanderesse. S’appuyant sur Chemicals Inc. and Overseas Commodities Ltd. c. Shanahan’s Ltd (1951), 15 C.P.R. 1 (C.A. C.‑B.), Building Products Ltd. c. B.P. Canada Ltd. (1961), 36 C.P.R. 121 (C. de l’É.), et Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.F.), la Cour a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[12] Un examen approprié de la jurisprudence pertinente révèle qu’au Canada le titulaire d’une marque de commerce déposée a le droit exclusif d’employer la marque dans tout le Canada, tant qu’il n’est pas démontré que celle‑ci est invalide.

 

[…]

 

[16] Mon examen de la jurisprudence m’amène à conclure que l’intimée a le droit d’employer sa marque partout au Canada en lien avec sa bière. Si un concurrent s’oppose à cet emploi, son seul recours consiste à contester la validité de l’enregistrement. S’il en était autrement, un demandeur se plaignant de la confusion causée par la marque déposée d’un concurrent contreferait lui‑même cette marque en établissant cette confusion. Cette conclusion découle du libellé de l’article 20 de la Loi, qui prévoit que le droit du propriétaire d’une marque de commerce est réputé avoir été violé par une personne qui vend des marchandises en lien avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion.

 

[185]       L’avocat des défenderesses s’est opposé vigoureusement à cet argument. Selon lui, les demanderesses ne peuvent pas invoquer leurs enregistrements en défense pour les quatre raisons suivantes :

A.                la cession de l’enregistrement MARLBORO par les prédécesseurs en titre des demanderesses et l’effet de la chose jugée ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée vont à l’encontre de leur prétention;

B.                 il existe un principe selon lequel un droit doit être exercé de bonne foi;

C.                 les demanderesses n’emploient pas les marques de commerce figuratives ROOFTOP dans la forme dans laquelle elles ont été enregistrées;

D.                l’arrêt Oland est un mauvais précédent qui ne devrait pas être suivi.

En outre, et comme il a été mentionné précédemment, les défenderesses ont modifié leurs actes de procédure à la toute dernière minute afin de contester la validité de certains des enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP, dans le but évident de mettre à mal la thèse des demanderesses. Dans les paragraphes qui suivent, je traiterai de chacun des quatre arguments invoqués par les défenderesses.

 

[186]       Les défenderesses appuient leur premier argument sur la cession de l’enregistrement de la marque MARLBORO effectuée par les prédécesseurs en titre des demanderesses et sur l’effet de la chose jugée. Comme le juge Binnie l’a expliqué au nom de la Cour suprême dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 (Danyluk), un certain nombre de moyens visant à prévenir les recours abusifs ont été mis au point. L’un d’eux est la doctrine de la préclusion, qui est opposable tant à l’égard de la cause d’action qui a été décidée que de la question qui a été tranchée.

 

[187]       Les défenderesses n’ayant pas précisé leur argument sur ce point, je considère qu’elles n’invoquent pas la « préclusion fondée sur la cause d’action », mais plutôt la « préclusion découlant d’une question déjà tranchée », pour empêcher les demanderesses de s’appuyer sur leurs enregistrements. En fait, je ne pense pas que l’on puisse contester le fait que les jugements rendus par le juge Rouleau en 1985 et ensuite par la Cour d’appel fédérale portaient sur une cause d’action complètement différente. Je rappelle que, dans cette affaire, Philip Morris Incorporated contestait l’enregistrement de la marque de commerce MARLBORO d’Imperial Tobacco Ltée et prétendait que cet enregistrement devait être radié parce que son titulaire original n’avait pas acquis de l’utilisateur original le titre relatif à la marque et que, de toute façon, celle‑ci n’était plus distinctive en raison des effets au Canada de la publicité des produits Marlboro de PM diffusée aux États‑Unis. Ces causes d’action sont nettement séparées et distinctes de la cause d’action en l’espèce, laquelle concerne l’emploi, par les demanderesses, de leur marque de commerce figurative ROOFTOP et la possible violation des droits des défenderesses découlant de leur enregistrement de la marque nominale MARLBORO.

 

[188]       Peut-on affirmer cependant que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche les demanderesses de se servir de leurs enregistrements comme moyen de défense contre toute allégation de violation fondée sur les articles 19, 20 ou 22 de la Loi?  Je ne pense pas. Les conditions d’application de cette doctrine ont été énoncées par le juge Dickson dans Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248 (à la page 254), et répétées plus récemment dans Danyluk, précité :

A.                 que la même question ait été décidée;

B.                 que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale;

C.                 que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

 

[189]       Il ne fait aucun doute qu’il est satisfait aux deuxième et troisième conditions en l’espèce. Comme je l’ai dit précédemment, la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale a été rejetée par la Cour suprême du Canada. En ce qui concerne les parties, il est indiscutable que les demanderesses et les défenderesses sont les mêmes parties ou les ayants droit des parties engagées dans l’instance antérieure.

 

[190]       Toutefois, la première condition – que la même question ait été décidée – n’a pas été établie. Même si j’acceptais que la préclusion vise les questions de fait, les questions de droit ainsi que les questions mixtes de fait et de droit qui sont « nécessairement liées » à la résolution des questions de droit ou de fait qui ont été tranchées dans l’instance antérieure, comme le juge Binnie l’a dit dans Danyluk, précité (au paragraphe 54), je ne vois pas comment les conclusions tirées par le juge Rouleau peuvent être utiles aux défenderesses en l’espèce. Sa décision n’avait pas du tout trait au droit des demanderesses d’employer leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP au Canada, mais portait entièrement sur la validité de la marque nominale MARLBORO enregistrée par les défenderesses. C’est ce qui ressort clairement des premiers paragraphes de la décision du juge Rouleau :

[traduction] Par un avis de requête daté du 26 juin 1981, Philip Morris Incorporated (U.S.) a cherché à faire radier du registre des marques de commerce ou à faire modifier la marque de commerce « Marlboro » enregistrée sous le no 260/55988, en application de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1970, ch. T‑10. La société allègue que l’enregistrement ne définissait pas correctement, au moment où la présente action a été introduite, les droits d’Imperial Tobacco Limitée, la défenderesse en l’espèce (no du greffe : T‑3387‑81).

 

La demanderesse/appelante interjette aussi appel de la décision du registraire des marques de commerce, datée du 16 novembre 1983, de refuser de radier du registre des marques de commerce la marque MARLBORO ou de modifier le registre relativement à cette marque, en vertu de l’article 44 de la Loi (no du greffe : T‑91‑84).

 

Je dois donc décider si la marque de commerce MARLBORO enregistrée le 1er septembre 1932 doit être radiée du registre ou être modifiée.

 

[191]       Le juge Rouleau a ensuite relaté l’histoire des parties et examiné la preuve relative au transfert de la marque de commerce MARLBORO, et il a conclu que Tuckett (qui allait être achetée par Imperial Tobacco) avait acquis d’un prédécesseur de Philip Morris Inc. les droits relatifs à cette marque au Canada avant la fin de 1924 et qu’elle était propriétaire de la marque au Canada au moment de l’enregistrement en 1932. Après être parvenu à cette conclusion, le juge Rouleau a ajouté que la circulation de publications américaines au Canada n’était pas suffisante pour établir que la marque de commerce MARLBORO avait perdu son caractère distinctif; la conclusion contraire, d’ajouter la Cour d’appel, reviendrait à assujettir les inscrits canadiens à une force majeure indépendante de leur volonté (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobbaco Ltd. (No. 1) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289, à la page 297).

 

[192]       L’avocat des défenderesses a fait grand cas du paragraphe suivant, où le juge Rouleau a écrit (à la page 274) :

[traduction] En outre, comme j’ai conclu précédemment que la demanderesse/appelante avait transféré le droit canadien à la marque de commerce MARLBORO aux prédécesseurs de la défenderesse et étant donné que, durant 49 ans, elle n’a pas vendu ses cigarettes légalement au Canada et ne s’est pas plainte du fait que la défenderesse employait la marque, je peux difficilement être convaincu qu’elle pourrait recouvrer les droits au marché canadien au moyen d’actes unilatéraux visant à conquérir et à élargir son propre marché. Je dois également souligner la détermination évidente avec laquelle la défenderesse lutte pour son propre marché. La défenderesse a entrepris devant la Cour fédérale une action contre la demanderesse/appelante pour contrefaçon de sa marque de commerce MARLBORO.

 

[193]       Selon l’avocat des défenderesses, les demanderesses ne devraient pas être autorisées à faire indirectement ce qui leur était interdit de faire en 1985. En d’autres termes, elles ne devraient pas être autorisées à recouvrer le droit de vendre des cigarettes Marlboro au Canada en mettant sur le marché un paquet sans nom portant l’habillage Rooftop bien connu, tout comme il leur a été interdit de vendre leurs cigarettes dans des paquets arborant le nom Marlboro. Aussi intéressant que puisse être cet argument, on ne peut pas dire qu’il a déjà été présenté et tranché, même implicitement, dans une instance antérieure intéressant les parties. Il n’y a absolument rien dans les décisions rendues dans le passé par la Cour ou par la Cour d’appel qui concerne l’emploi, par les demanderesses, de leurs marques de commerce figuratives déposées, que ce soit seules ou avec une marque de fabrique. Il y a lieu de mentionner que les défenderesses n’ont pas énoncé expressément, dans leurs observations écrites ou orales, la question qui devrait être tranchée à nouveau si la thèse des demanderesses était retenue. Elles n’ont pas non plus présenté à la Cour des extraits des décisions antérieures qui étayeraient leur argument relatif à la préclusion. Dans ces circonstances, je ne peux pas accepter leur argument.

 

[194]       Le deuxième argument des défenderesses repose sur le principe selon lequel un droit doit être exercé de bonne foi. Les défenderesses s’appuient en particulier sur une théorie connue au Québec sous le nom d’abus de droit, selon laquelle une partie ne peut exercer un droit d’une manière déraisonnable. Il est loin d’être évident que cette théorie peut s’appliquer dans le contexte d’un droit conféré par une loi par opposition à un droit conféré par un contrat. Dans le mémoire des défenderesses, leur avocat a fait référence à un arrêt de la Cour suprême du Canada qui semble étayer leur thèse dans le contexte du droit d’auteur : voir Euro‑Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, au paragraphe 97. Or, il ressort d’une lecture attentive de cet arrêt et de ce paragraphe en entier que le juge Bastarache (qui a rédigé des motifs en son nom et au nom de deux de ses collègues) ne considérait pas qu’il était nécessaire de recourir à cette théorie pour trancher la question en litige dans cette affaire, alors que les six autres juges n’ont même pas fait mention de la théorie.

 

[195]       Malgré l’applicabilité limitée de la théorie de l’abus de droit, il est juste de dire que la zone d’exclusivité dont jouit le propriétaire d’une marque de commerce déposée ne devrait pas être étendue démesurément. Il faut se garder de limiter la capacité des autres marchands de commercialiser leurs produits dans une économie de marché libre au‑delà de ce qu’exigent l’équité et la protection de l’investissement fait par le propriétaire d’une marque de commerce. Peut‑on dire alors que les demanderesses ont dépassé ces limites en mettant leurs produits ROOFTOP sur le marché? Les défenderesses s’appuient à nouveau sur la vente, par les demanderesses, de leur marque nominale MARLBORO au Canada, sur la décision du juge Rouleau et sur le contexte dans lequel les différentes marques de commerce figuratives ROOFTOP ont été enregistrées pour soutenir que les demanderesses ne devraient pas être autorisées à se servir de leurs enregistrements pour démontrer qu’elles n’ont pas enfreint la Loi.

 

[196]       Comme il a été mentionné précédemment, rien n’indique que les demanderesses n’ont pas agi en tout temps de bonne foi et en s’appuyant sur leurs propres droits de propriété. Elles avaient très certainement le droit de modifier leur stratégie de commercialisation et, à cette fin, d’employer pleinement leurs marques de commerce déposées. L’accord de 1952 montre clairement que, en dépit des droits relatifs au mot MARLBORO qui ont été acquis par les défenderesses en 1924, ces droits ne visaient pas les futurs habillages des paquets ou les concepts publicitaires élaborés par les demanderesses et ne limitaient d’aucune façon le droit de ces dernières d’employer la marque MARLBORO dans n’importe quel autre pays. Il ne fait aucun doute que l’accord de 1952 s’applique aux marques de commerce figuratives ROOFTOP et que les défenderesses n’ont aucun droit à l’égard de ces éléments de l’emballage.

 

[197]       On ne peut considérer que, parce qu’elles avaient toujours employé leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP avec une marque de fabrique jusqu’en 2006, les demanderesses ont reconnu, légalement ou d’une autre façon, que ces droits enregistrés ne pouvaient être exercés que de cette manière. Les demanderesses n’ont peut‑être pas été aussi transparentes qu’elles auraient pu l’être au cours de la période qui a précédé le lancement des produits Rooftop, étant donné en particulier que celui‑ci est survenu 20 jours après l’expiration du délai dont disposaient les défenderesses pour s’opposer à l’enregistrement no LMC465532. Pour faire bonne mesure, les demanderesses soutiennent également que les défenderesses n’ont pas agi de bonne foi non plus en imitant les produits MARLBORO vendus par les demanderesses sur le marché international et en dérogeant à leurs obligations contractuelles expresses. Quoi qu’il en soit, la bonne ou la mauvaise foi n’a rien à voir avec l’étendue des droits conférés par l’enregistrement d’une marque de commerce. Si les demanderesses ont raison de penser qu’elles avaient le droit d’employer leurs marques comme elles l’ont fait, leur état d’esprit à l’époque n’a aucune importance. En conséquence, il ne peut pas leur être interdit d’employer leurs marques pour se défendre contre les allégations de violation en raison de leur conduite. La mauvaise foi n’a pas été établie et, de toute façon, elle ne serait pas pertinente au regard de la légalité de l’emploi que les demanderesses ont fait de leurs marques de commerce.

 

[198]       Selon le troisième argument soulevé par l’avocat des défenderesses, même si une marque de commerce déposée pourrait être invoquée à l’encontre d’une prétendue violation de la Loi sur les marques de commerce, les demanderesses n’ont utilisé aucune de leurs marques ROOFTOP déposées (c.‑à‑d. LMC252082, LMC252083, LMC254670, LMC274442, LMC465532 et LMC670898) conformément aux enregistrements, de sorte qu’elles ne peuvent pas invoquer ces enregistrements à l’encontre d’une allégation de violation. Selon la jurisprudence, l’emploi d’une marque de commerce déposée constitue une défense absolue à une action pour commercialisation trompeuse si la marque est employée exactement comme elle a été enregistrée ou ne s’écarte pas pour l’essentiel de la marque telle qu’elle a été enregistrée : Jonathan, Boutique Pour Hommes Inc. c. Jay‑Gur International Inc., 2003 CFPI 106, aux paragraphes 4 et 5; Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., 2007 CAF 258, au paragraphe 111. En l’espèce, soutiennent les défenderesses, il y a de nombreuses différences entre le paquet sans nom et les marques de commerce figuratives des demanderesses. Par exemple, les mots [traduction] « cigarettes filtres » placés dans une bulle oblongue de couleur blanche figurent seulement dans un enregistrement, et c’est le cas également de l’emblème de PM (les mots [traduction] « cigarettes filtres » figurent seulement dans l’enregistrement no LMC274442 et l’emblème, seulement dans l’enregistrement no LMC670898). En outre, la phrase COME TO WHERE THE FLAVOR IS ([traduction] « VENEZ AU PAYS DU GOÛT ») ne se trouve dans aucune des marques de commerce déposées. Par ailleurs, la ligne rouge au bas du paquet n’apparaît pas dans trois des six marques déposées et la bulle oblongue de couleur blanche ne figure pas dans deux des marques déposées. En résumé, les défenderesses font valoir qu’aucune des marques de commerce figuratives déposées n’est semblable au paquet sans nom.

 

[199]       À mon avis, cet argument n’est pas fondé non plus. Dans la mesure où il y a des différences mineures entre les marques de commerce figuratives ROOFTOP qui se trouvent sur les paquets de Rooftop et celles figurant sur les certificats d’enregistrement, la jurisprudence établit clairement que les différences entre la marque telle qu’elle a été enregistrée et la marque telle qu’elle figure sur un emballage sont permises, pourvu que la marque figurant sur l’emballage ne soit pas très différente de la marque enregistrée et que les différences ne trompent pas le public ou ne lui causent pas un préjudice. L’utilisation d’une marque comportant des différences mineures de ce genre constituerait toujours un « emploi » au sens de la Loi.

 

[200]       En d’autres termes, si les caractéristiques dominantes sont conservées et que les différences ne sont pas importantes au point où elles tromperaient un acheteur, les modifications n’affecteraient pas l’emploi de la marque telle qu’elle a été enregistrée. La Cour d’appel fédérale a énoncé ce principe dans Promafil Canada Ltée c. Munsingwear, Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 59 (aux pages 71 et 72). Le dessin d’un « pingouin maigre » avait été enregistré pour être employé sur des chemisettes, mais le dessin qui figurait en fait sur les vêtements était un « pingouin corpulent ». Le juge MacGuigan a statué que, en dépit du fait que l’apparence du pingouin était différente, le dessin enregistré avait été employé et l’enregistrement devait donc être maintenu. Il a dit ce qui suit à ce sujet :

[…] des modifications […] peuvent être apportées sans conséquences fâcheuses si les mêmes traits dominants sont préservés et si les différences sont si insignifiantes qu’elles ne trompent pas l’acheteur non averti.

 

Les légères et insignifiantes distinctions entre différents dessins s’expliquent par les différents tissus sur lesquels les pingouins utilisés en liaison avec la vente de chemisettes doivent être attachés et, par le fait même, par les diverses techniques utilisées pour les attacher. […] Ce qui ressort clairement malgré les photocopies de mauvaise qualité dans le dossier en l’espèce, c’est que l’appelante avait utilisé, et souvent simultanément, des dessins de pingouins légèrement différents. Je ne vois là aucune erreur inhérente nous contraignant à conclure à l’abandon, à condition que l’impression commerciale uniforme demeure la même.

 

Le droit doit tenir compte des réalités économiques et techniques. La loi relative aux marques de commerce n’exige pas, pour éviter l’abandon, le maintien de l’identité absolue des marques, ni ne considère les différences insignifiantes afin de prendre en faute le propriétaire d’une marque de commerce enregistrée agissant de bonne foi en fonction de la mode et des autres tendances. Elle exige seulement une identité qui maintienne le caractère reconnaissable de la marque et qui évite la confusion chez les acheteurs non avertis.

 

Voir aussi Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535, à la page 538.

 

[201]       En conséquence, je conviens avec les demanderesses que certaines différences concernant l’emploi d’une marque telle qu’elle a été enregistrée sont permises, pourvu qu’elles ne soient pas importantes au point où la marque est méconnaissable et où un acheteur est induit en erreur. Il n’est ni nécessaire ni réaliste d’exiger d’un commerçant qu’il enregistre l’emballage en entier.

 

[202]       Une comparaison de chacun des enregistrements ROOFTOP et des produits Rooftop vendus au Canada met clairement en évidence l’emploi des marques. La caractéristique dominante de toutes les marques de commerce figuratives – l’habillage ROOFTOP de couleur rouge, or ou argent – a été utilisée sur les produits sans nom. Il y a des différences mineures en ce qui concerne les proportions et l’espacement des éléments tels qu’ils ont été enregistrés, afin de tenir compte de l’avertissement sanitaire obligatoire. Quant à la bande figurant au bas du paquet dans certains enregistrements, elle a été légèrement modifiée : elle a été coupée au centre et le nombre 20 a été inscrit dans l’espace ainsi créé. Il s’agit cependant de modifications mineures qui n’ont pas une grande importance.

 

[203]       Certains ajouts sont toutefois plus importants. Les mots [traduction] « cigarettes filtres » figurant dans la bulle oblongue de couleur blanche et la phrase COME TO WHERE THE FLAVOR IS ([traduction] « VENEZ AU PAYS DU GOÛT ») placée au bas du paquet, ainsi que l’emblème dont il n’est question que dans l’enregistrement no LMC670898, sont manifestement plus importants que les différences décrites dans le paragraphe précédent. Ces caractéristiques ne modifient cependant pas l’habillage Rooftop, elles ne font que s’y ajouter. Après avoir soupesé avec soin ces facteurs, j’arrive à la conclusion que les caractéristiques dominantes des marques déposées n’ont pas été fondamentalement modifiées sur le paquet et que l’ajout d’éléments secondaires n’empêcherait pas un consommateur de se rendre compte que les marques de commerce figuratives ROOFTOP sont employées à titre de marques de commerce pour distinguer ces marchandises.

 

[204]       Le quatrième et dernier argument avancé par les défenderesses relativement à l’emploi de leurs marques de commerce par les demanderesses est que l’arrêt Oland de la Cour d’appel de l’Ontario est erroné et ne devrait pas être suivi. L’avocat des défenderesses a soutenu vigoureusement que la Cour d’appel avait écarté une décision antérieure de la Cour fédérale (Wing c. Golden Gold Enterprises Co. (1996), 66 C.P.R. (3d) 62 (Wing)), laquelle était elle‑même fondée sur un vieil arrêt de la Cour d’appel du Royaume-Uni (Re Lyle & Kinahan Ltd. (1907), 24 R.P.C. 249), parce qu’elle avait émis à tort l’hypothèse que la Loi sur les marques de commerce canadienne était différente de la loi du Royaume-Uni intitulée Trade Marks Act, 1905, 5 Edw. VII, ch. 15 (la loi du Royaume‑Uni).

 

[205]       La loi du Royaume-Uni renfermait une disposition semblable à notre article 19, mais aussi une autre disposition – l’article 45 – libellé comme suit :

[traduction] Aucune disposition de la présente loi n’est réputée porter atteinte aux droits d’action contre toute personne qui fait passer des marchandises pour celles d’une autre personne ou aux recours pouvant être exercés en conséquence.

 

[206]       Comme la Loi canadienne ne renferme aucune disposition comparable, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès (à l’instar de la Cour fédérale dans Wing, précitée) avait commis une erreur en s’appuyant sur de vieux précédents anglais pour conclure que le titulaire d’une marque de commerce déposée n’a pas le droit d’employer la marque si cet emploi induirait en erreur ou causerait de la confusion. Selon l’avocat des défenderesses, cette interprétation est erronée, car elle va à l’encontre du principe solidement établi selon lequel l’enregistrement d’une marque ne crée pas un nouveau droit, mais reconnaît simplement un droit existant et le rend exécutoire partout au Canada. L’avocat a aussi fait valoir que l’article 45 de la loi du Royaume‑Uni ne fait que codifier la common law existante et ne visait pas à créer une nouvelle règle de droit.

 

[207]       Aussi intéressante qu’elle puisse être, cette thèse ne tient pas. Il est au moins tout aussi vraisemblable d’interpréter l’absence d’une disposition équivalant à l’article 45 de la loi du Royaume-Uni comme la preuve de l’intention manifeste du législateur canadien de faire abstraction de la common law, à tout le moins en ce qui concerne cet aspect. Après tout, l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce confère de manière plutôt explicite au propriétaire d’une marque de commerce déposée le droit illimité de l’employer partout au Canada. En outre, le législateur connaissait sûrement la loi du Royaume-Uni et il aurait pu adopter une disposition équivalant à l’article 45 s’il avait voulu préserver les droits d’action pour commercialisation trompeuse analogues. Il me semble donc qu’il existe des motifs convaincants de conclure que l’article 19 confère au titulaire d’une marque déposée non seulement le droit d’empêcher les autres d’employer sa marque, mais aussi un moyen de défense complet à l’encontre de toute allégation de contrefaçon d’une autre marque de commerce déposée.

 

[208]       De plus, cette interprétation est logique. L’enregistrement valide d’une marque de commerce signifie nécessairement que cette marque indique de manière distinctive la source des produits sur lesquels elle est apposée. Il ne peut y avoir de confusion entre une marque de commerce distinctive et une autre marque faisant l’objet d’un enregistrement valide, parce que cette autre marque doit elle‑même être distinctive pour avoir été valablement enregistrée. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a dit dans Oland, précité, si une marque de commerce déposée crée de la confusion avec une autre, c’est que l’une ou l’autre ne distingue pas sa source et est donc invalide. Dans un tel cas, le recours consiste à demander la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce contrefaisante.

 

[209]       Quoi qu’il en soit, et peu importe la valeur de la thèse des défenderesses, je suis lié par l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario. Aucune raison impérieuse qui justifierait que la Cour ne suive pas un précédent d’une cour d’appel provinciale n’a été invoquée. En fait, l’avocat des défenderesses a lui‑même reconnu que l’arrêt Oland a été suivi à deux reprises par la Cour (voir Jonathan, Boutique Pour Hommes Inc., précitée, au paragraphe 4, et Advantage Car & Trucks Rentals c. 1611864 Ontario Inc., 2005 CF 325, aux paragraphes 7 et 11) et par la Cour d’appel fédérale dans Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., précité. Dans ce dernier arrêt, le juge Létourneau a écrit ce qui suit au nom de l’ensemble de la Cour :

111      Selon la jurisprudence, « l’emploi d’une marque de commerce déposée constitue une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse » lorsqu’il n’y a pratiquement pas de différence entre la marque telle qu’elle a été enregistrée et celle qui a été employée : Jonathan, Boutiques Pour Hommes Inc. c. Jay‑Gur International Inc., 2003 CFPI 106, aux paragraphes 4 et 6.

 

112      Une conclusion semblable a été tirée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Chemicals Inc. and Overseas Commodities Ltd. v. Shanahan’s Ltd. (1951), 15 C.P.R. 1, à la page 13, et par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Molson Canada v. Oland Breweries Ltd., (2002), 59 O.R. (3d) 607. […]

 

113      Cette conclusion de droit trouve également appui dans la remarque incidente suivante du juge Binnie, au paragraphe 16 de ses motifs du jugement dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin :

 

Les intimées soutiennent qu’il leur suffit d’invoquer l’enregistrement, en 1997, de leurs marques de commerce Cliquot et Cliquot « Un monde à part » pour répondre entièrement à la demande de l’appelante. Je ne suis pas d’accord. L’appelante a contesté la validité de l’enregistrement et en demande la radiation. Si l’appelante avait gain de cause et obtenait la radiation de l’inscription, les intimées pourraient assurément plaider qu’elles ne devraient pas être tenues de verser une indemnité pour la période pendant laquelle leurs propres inscriptions étaient en vigueur. Toutefois, comme l’appelante n’a pas eu gain de cause dans le pourvoi, il n’y a pas lieu de trancher la question de la portée de l’indemnisation. [Non souligné dans l’original.]

 

[210]       Compte tenu de ces précédents par lesquels la Cour est liée et du fait qu’une telle interprétation semble être valable en droit et conforme aux principes d’interprétation des lois, je ne peux donc pas retenir l’argument des défenderesses. Par conséquent, je dois conclure que leurs marques de commerce valablement enregistrées doivent être considérées comme un moyen de défense complet aux allégations de contrefaçon.

 

[211]       Dans le but évident d’empêcher une telle conclusion, l’avocat des défenderesses a demandé (et obtenu), la veille du procès, la permission de modifier les actes de procédure de ces dernières afin de contester la validité des enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP. Les motifs d’invalidité suivants ont été invoqués :

[traduction]

(55) Les enregistrements de marque de commerce canadiens nos LMC252082, LMC252083, LMC254670, LMC274442, LMC465532 et LMC670898 sont invalides, nuls et sans effet, car les marques de commerce qui en font l’objet, employées en liaison avec un produit du tabac ne portant aucune marque de fabrique, ne distinguent pas les produits de Philip Morris, contrairement à l’article 2 et à l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.

 

(56) Plus particulièrement :

a. lesdites marques de commerce, employées en lien avec un produit du tabac ne portant aucune marque de fabrique, portent à croire qu’il existe un lien avec Philip Morris et/ou sa marque MARLBORO et amènent le consommateur canadien à associer lesdites marques avec le nom MARLBORO. La marque de commerce MARLBORO appartient à MARLBORO Canada au Canada;

 

b. de plus, lesdites marques de commerce sont dépourvues de tout caractère distinctif en raison de l’utilisation de caractéristiques de ces marques par les demanderesses en liaison avec le nom MATADOR ou MAVERICK.

 

Deuxième défense et demande reconventionnelle nouvellement modifiée, datée du 10 mars 2010, dossier modifié de l’instance.

 

[212]       Dans le cadre de l’analyse de la question de l’invalidité, il convient d’abord de rappeler que la Loi sur les marques de commerce prévoit une présomption de validité en faveur du propriétaire d’une marque de commerce déposée. En conséquence, le fardeau de la persuasion et le fardeau de la preuve relatif à l’invalidité incombent entièrement aux défenderesses : Hughes on Trade‑Marks, 2e éd., section 21, page 601.

 

[213]       Selon les défenderesses, les six enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP sont invalides, car ils sont visés à l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, et les deux enregistrements les plus récents (LMC465532 et LMC670898) seraient aussi invalides en vertu des alinéas 18(1)a) et 12(1)d) de cette loi. Ces dispositions sont libellées ainsi :

Marque de commerce enregistrable

 

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

 

Quand l’enregistrement est invalide

 

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

When trade-mark registrable

 

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

 

 

(d) confusing with a registered trade-mark;

 

 

When registration invalid

 

 

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

 

 

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

 

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

 

 

 

[214]       Il faut satisfaire à trois conditions pour qu’une marque soit distinctive. Le juge Rouleau les a décrites brièvement dans la décision rendue précédemment par la Cour qui concernait les mêmes parties :

[traduction] 1) la marque doit être liée à un produit (ou à une marchandise); 2) le « propriétaire » doit utiliser ce lien entre la marque et son produit, en plus de fabriquer et de vendre ce produit; 3) ce lien permet au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d’autres fabricants.

 

Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., précitée, à la page 270. Voir aussi Drolet c. Stiftung Gralsbotschaft, 2009 CF 17, au paragraphe 169.

 

[215]       À première vue, il semble qu’il soit facilement satisfait aux deux premières conditions. Il ne fait aucun doute que les marques de commerce figuratives ROOFTOP déposées sont employées sur les paquets de Rooftop. Il est également satisfait à la deuxième condition. Le propriétaire de ces enregistrements (PMPSA) utilise le lien entre les marques et les produits vendus par l’entremise de sa licenciée RBH, qui vend le produit au Canada en lien avec ces marques. Il en est ainsi au Canada depuis 1958. L’emploi du dessin du toit a commencé avec la marque Matador et, depuis 2006, le dessin figure sur les produits Rooftop en cause en l’espèce.

 

[216]       Les parties ne s’entendent toutefois pas sur la troisième condition – la question de savoir si le lien entre la marque et le produit permet au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d’autres fabricants. Selon les défenderesses, les consommateurs associent l’habillage des paquets sans nom de Rooftop au nom Marlboro qui est présent sur les marchés étrangers, ce qui contrefait leur enregistrement no LMC55988 pour la marque nominale MARLBORO. En d’autres termes, les consommateurs canadiens reconnaissent l’habillage des paquets sans nom comme étant équivalent au paquet contenant les cigarettes célèbres dans le monde qui sont associées à la marque MARLBORO. Dans cette mesure, le paquet sans nom des demanderesses n’aurait pas pu être enregistré. Par conséquent, il doit en être de même des différents éléments de cet habillage qui font l’objet des enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP des demanderesses, car ils créent tout autant de confusion avec l’enregistrement MARLBORO des défenderesses. En conséquence, ces enregistrements doivent être déclarés invalides, parce que les marques de commerce qu’ils concernent n’étaient pas distinctives au début de la présente instance et (pour ce qui est des deux plus récents) parce que les marques n’étaient pas enregistrables à la date de l’enregistrement.

 

[217]       L’avocat des défenderesses soutient en outre que les marques de commerce figuratives ROOFTOP ne sont pas distinctives parce qu’elles ont été employées dans le passé avec les marques nominales MATADOR et MAVERICK. Je peux disposer facilement de cet argument. Premièrement, la marque MAVERICK n’a pas été employée avec les marques de commerce figuratives ROOFTOP depuis 1978. De surcroît, un tel emploi avec d’autres marques de commerce n’a aucune incidence sur le caractère distinctif. Il est clairement établi en droit que deux marques peuvent être employées ensemble sur un emballage. Dans la mesure où elles ne sont pas combinées de façon à ce qu’il soit impossible de distinguer chacune d’elles, la validité de chaque marque ainsi employée n’est pas touchée : voir, par exemple, A.W. Allen Ltd. c. Canada (registrar of Trade Marks) (1985), 6 C.P.R. (3d) 270 (C.F.), à la page 272; Loro Piana S.P.A. c. Canadian Council of Professional Engineers (2008), 72 C.P.R. (4th) 220 (C.O.M.C.), aux pages 223 et 224, conf. par 2009 CF 1095.

 

[218]       Une marque figurative et une marque nominale peuvent apparaître simultanément sur les mêmes marchandises. Il y a de nombreux exemples bien connus de marque nominale et de marque figurative déposées qui font chacune l’objet d’un enregistrement distinct, mais qui sont aussi enregistrées ensemble. Deux exemples qui ont été mentionnés devant la Cour sont reproduits ci‑dessous :

 

[traduction]  NIKE (mot seulement)

                        MCDONALD’S (mot seulement)

 

[219]       Il en est de même sur le marché du tabac au Canada. Selon la preuve produite en l’espèce, il arrive souvent que des marques de commerce figurative et nominale jouissent chacune d’un achalandage séparé, mais soient employées ensemble. Dans ces cas, l’utilisation d’une marque nominale en combinaison avec une marque figurative ne mène pas à la conclusion que cette dernière n’est pas employée.

- Pièces P-25 à P-27

- Témoignage d’Ed Ricard, volume 7A, pages 1234 à 1238

 

 

[220]       Enfin, la source des produits a toujours été la même : la source des marchandises arborant les marques de commerce figuratives ROOFTOP employées avec la marque nominale MATADOR ou MAVERICK est la même que celle des produits Rooftop arborant les marques de commerce figuratives ROOFTOP. Pour tous ces motifs, j’estime que le deuxième argument des défenderesses n’est pas fondé.

 

[221]       Je ne peux pas disposer aussi facilement du premier argument, car il soulève les questions relatives au caractère distinctif et à la confusion qui sont au cœur de l’allégation de violation fondée sur l’article 20 de la Loi. Une grande partie des éléments de preuve documentaire et des témoignages produits par les parties porte précisément sur cet aspect. Par conséquent, il est préférable d’examiner l’argument des défenderesses relatif à la validité des enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP après les allégations de violation, sur lesquelles je me pencherai maintenant.

 

C. Les articles 19 et 22 de la Loi sur les marques de commerce ont‑ils été enfreints?

[222]       Comme je l’ai mentionné précédemment, l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce confère au propriétaire d’une marque de commerce déposée le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en lien avec les marchandises et les services à l’égard desquels elle est enregistrée. Cette disposition est libellée ainsi :

Droits conférés par l’enregistrement

 

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

Rights conferred by registration

 

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

 

 

 

[223]       Cette disposition a été interprétée assez restrictivement et son application a été limitée aux cas où l’auteur de la violation emploie une marque identique à la marque déposée en lien avec les mêmes marchandises ou services que ceux décrits dans l’enregistrement : voir Canadian Council of Blue Cross Plans c. Blue Cross Beauty Products Inc. (1971), 3 C.P.R. (2d) 223, à la page 231 (C.F.); Cie Générale des Établissements Michelin‑Michelin & Cie c. C.A.W. Canada (1996), 71 C.P.R. (3d) 348, à la page 358 (C.F.); Mr. Submarine c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3, à la page 8 (C.A.F.); A&W Food Services of Canada Inc. c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd. (2005), 253 D.L.R. (4th) 736, à la page 742; 417394 Alberta Ltd. c. Beverages Ltd., 2005 CF 224. En outre, pour qu’il y ait violation, la marque ne doit pas simplement être employée, elle doit l’être en tant que marque de commerce. En d’autres termes, il ne suffit pas que la marque soit employée sur les marchandises ou en lien avec les services : la personne qui l’utilise doit aussi avoir voulu que la marque indique l’origine des marchandises ou des services. Cette exigence découle de la définition de « marque de commerce » contenue à l’article 2 de la Loi.

 

[224]       L’article 20 élargit la portée de l’article 19 de manière à viser les cas de violation dans lesquels l’auteur de celle‑ci a employé une marque qui n’est pas identique à la marque déposée. Cette personne contrevient à cette disposition si la marque ou le nom commercial contesté crée de la confusion (selon l’article 6 de la Loi) avec la marque de commerce déposée, peu importe les marchandises, les services ou les entreprises avec lesquels elle est employée. Je reviendrai à l’allégation de violation de cette disposition dans la section suivante.

 

[225]       L’article 22 va encore plus loin en prévoyant qu’il n’est même pas nécessaire que la marque qui viole les droits du propriétaire d’une marque déposée crée de la confusion. Il faut seulement que son emploi soit susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque originale. Cette disposition est libellée ainsi :

Dépréciation de l’achalandage

 

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

 

Action à cet égard

 

(2) Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d’ordonner le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.

Depreciation of goodwill

 

 

22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

 

 

 

Action in respect thereof

 

(2) In any action in respect of a use of a trade-mark contrary to subsection (1), the court may decline to order the recovery of damages or profits and may permit the defendant to continue to sell wares marked with the trade-mark that were in his possession or under his control at the time notice was given to him that the owner of the registered trade-mark complained of the use of the trade-mark.

 

 

 

 

[226]       Or, avant de déterminer si l’emploi d’une marque de commerce est susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque, il faut qu’il soit démontré qu’un défendeur a employé la marque de commerce déposée ou une variante très ressemblante de celle‑ci. En fait, pour qu’il y ait violation de l’article 19 ou de l’article 22, la marque qui serait contrefaite doit être « employée ». Comme le juge Teitelbaum l’a dit dans Cie Générale des Établissements Michelin, précitée, à la page 364, « [l]es motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon vont du plus strict, à l’article 19, au plus large, à l’article 22, mais l’“emploi” demeure la composante de base ou le pivot de tous les motifs ».

 

[227]       L’article 2 et le paragraphe 4(1) de la Loi définissent le terme « emploi » :

Définitions

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

 

Quand une marque de commerce est réputée employée

 

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

Definitions

 

2. In this Act,

 

 

“use”, in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

 

 

When deemed to be used

 

 

 

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

 

[228]       Il ne fait aucun doute que les demanderesses n’ont pas employé la marque nominale MARLBORO des défenderesses sur leurs produits, sur l’emballage de ceux‑ci ou sur les boîtes utilisées pour leur livraison. En fait, les défenderesses ont même admis, lors de l’interrogatoire préalable, que les demanderesses n’avaient pas employé cette marque nominale, à tout le moins d’une manière directe et explicite.

 

[229]       Il y a cependant d’autres façons dont une marque de commerce peut être réputée employée en lien avec des marchandises. Ainsi, une marque de commerce est réputée employée en lien avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises, « elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée ».

 

[230]       L’avocat des défenderesses a naturellement accordé une grande importance à cette troisième possibilité dans ses observations orales et écrites. Selon les défenderesses, les consommateurs font inévitablement le lien entre le produit sans nom des demanderesses et les cigarettes associées à la marque nominale MARLBORO qui sont connues partout dans le monde, en raison de la similarité entre le paquet sans nom et le paquet de Marlboro américain et du contexte entourant le produit canadien. En d’autres termes, comme PMPSA vend des cigarettes ailleurs qu’au Canada en lien à la fois avec les marques de commerce figuratives ROOFTOP et avec la marque nominale MARLBORO, certains fumeurs canadiens connaîtraient cet emploi à l’étranger et, en conséquence, l’emploi de ces marques de commerce figuratives au Canada rappellerait nécessairement le nom « Marlboro ».

 

[231]       Au paragraphe 59 des présents motifs, j’ai fait état des similitudes entre le produit (Rooftop) sans nom des demanderesses et le paquet de cigarettes Marlboro vendues sur le marché international. L’avocat des défenderesses a souligné en outre que deux autres phrases associées traditionnellement à ce paquet de Marlboro (« COME TO WHERE THE FLAVOR IS » et « WORLD FAMOUS IMPORTED BLEND » (« VENEZ AU PAYS DU GOÛT » et [traduction] « MÉLANGE IMPORTÉ DE RENOMMÉE MONDIALE ») ont été inscrites sur le paquet sans nom afin de renforcer l’association entre le produit canadien et la marque Marlboro internationale. Il a également soutenu qu’un grand nombre de Canadiens connaissent le produit vendu sur le marché international en raison de leurs voyages à l’étranger, d’événements sportifs télévisés qui sont commandités par les demanderesses et des nombreux immigrants vivant maintenant au Canada qui viennent de pays où ce produit est vendu. Enfin, il a affirmé que le lancement du produit sans nom et les gadgets promotionnels remis aux détaillants avaient également pour but d’établir un lien entre le produit Marlboro vendu sur le marché international et le produit sans nom canadien.

 

[232]       Cette thèse est déficiente à maints égards. Tout d’abord, la preuve n’étaye pas totalement la prétention des défenderesses selon laquelle un grand nombre de Canadiens connaissent la marque Marlboro internationale de Philip Morris et associent le produit sans nom à cette marque en raison de leurs caractéristiques communes, comme nous pouvons le voir lorsque nous examinons l’allégation de violation fondée sur l’article 20 de la Loi. En outre, la preuve montre non seulement que les demanderesses n’emploient jamais le mot « Marlboro » en lien avec les produits Rooftop et l’apposent encore moins sur les marchandises, mais qu’elles ont demandé à leurs détaillants de ne pas désigner leur produit sans nom par le terme « Marlboro ». Outre la lettre qui a été envoyée à tous les détaillants à l’occasion du lancement et le témoignage de M. Guile sur ce point, l’un des détaillants que les défenderesses ont appelé à témoigner, M. Hajjali, a même déclaré que les représentants des ventes des demanderesses lui avaient dit que la marque s’appelait « Rooftop » et lui avaient demandé de ne pas employer le terme « Marlboro ».

 

[233]       En outre, le lien que certains consommateurs peuvent faire parce qu’ils savent que les marques de commerce figuratives ROOFTOP sont employées avec la marque nominale MARLBORO à l’étranger ne peut créer un « emploi » au Canada. La décision du juge Rouleau étaye la proposition selon laquelle seule la vente de marchandises sur le marché canadien doit être prise en compte pour trancher la question du caractère distinctif et, par extension, de l’emploi d’une marque de commerce déposée au Canada. Les effets de la publicité et les liens que les consommateurs font avec des marchandises vendues à l’extérieur du Canada n’ont aucune importance au regard de la question du caractère distinctif et de l’emploi au Canada.

 

[234]       Le fait que je ne vois pas comment une marque pourrait être considérée comme étant employée uniquement en raison d’un lien abstrait fait dans l’esprit d’un consommateur est peut‑être plus important. Une telle interprétation libérale du terme « emploi » irait à l’encontre non seulement de l’intention et du but du législateur lorsqu’il a défini ce mot à l’article 4, mais aussi du sens même du mot « marque ».

 

[235]       L’avocat des défenderesses fait remarquer à juste titre que les termes « de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point » ont donné lieu à plusieurs décisions qui ont élargi les façons dont une marque peut être réputée employée. Dans Loblaws Ltd. c. Richmond Breweries Ltd. (1983), 78 C.P.R. (2d) 236 (C.O.M.C.), par exemple, il a été décidé que la marque de commerce « NO NAME », qui figurait bien en vue dans la publicité se trouvant dans les magasins de vente au détail, en particulier sur les casiers de bouteilles ou sur les tablettes où les marchandises étaient placées, avait été employée au sens du paragraphe 4(1) de la Loi. Voir, dans le même esprit, General Mills Canada Ltd. c. Procter & Gamble Inc. (1985), 6 C.P.R. (3d) 551 (C.O.M.C.).

 

[236]       De même, il a été décidé que les feuillets, dépliants, catalogues, documents sur le produit et étiquettes de prix autocollantes arborant la marque de commerce peuvent donner à l’acheteur l’avis de liaison requis entre la marque de commerce et les marchandises, lorsqu’ils sont utilisés pour commander et acheter les marchandises : voir, par exemple, Hudson’s Bay Co. c. Sklar‑Peppler Furniture Corp. (2007), 60 C.P.R. (4th) 174 (C.O.M.C.); Bélanger c. Accuride Corp. (2004), 31 C.P.R. (4th) 300 (C.O.M.C.); Swabay, Ogilvy Renault c. Miss Mary Maxim Ltd. (2003), 28 C.P.R. (4th) 543 (C.O.M.C.); Gowling, Strathy & Henderson c. Degrémont Infilco Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 550 (C.O.M.C.). Il en sera de même des factures portant la marque de commerce, lorsqu’elles sont remises au client au moment de l’achat : Central Soya of Canada Ltd. c. 88766 Canada Inc. (1993), 51 C.P.R. (3d) 509 (C.F.). Même une page Web sur laquelle figure une marque de commerce est suffisante pour établir l’emploi réputé de cette marque en lien avec des marchandises, si elle apparaît lorsqu’un programme est téléchargé au moment d’un achat : Info Touch Technologies Corp. c. HE Holdings, 2005 Carswell Nat 3154 (C.O.M.C.); BMB Compuscience Canada Ltd. c. Bramalea Ltd., [1989] 1 C.F. 362 (C.F.).

 

[237]       Bien que toutes ces décisions montrent qu’il faut adapter la définition étroite d’« emploi » afin de tenir compte de la réalité commerciale et des innovations technologiques, l’exigence d’une utilisation visuelle de la marque n’a jamais été écartée ou réduite. L’idée selon laquelle l’« avis de liaison » de la marque de commerce MARLBORO avec le produit sans nom est élastique au point où l’on pourrait dire que les consommateurs canadiens la connaissent même si les demanderesses ne l’ont jamais représentée visuellement de quelque manière que ce soit enlève à la disposition son sens ordinaire ou sa logique reconnue. En fait, l’aspect visuel est un élément fondamental d’une marque de commerce, qu’il s’agisse d’une marque nominale ou d’une marque figurative. Pour distinguer les marchandises d’un fabricant de celles de ses concurrents comme elle a pour objet de le faire, une marque doit nécessairement être arborée d’une quelconque façon. Comme le juge Pinard l’a décidé dans Playboy Enterprises Inc. c. Germain (1987), 16 C.P.R. (3d) 517 (C.F.), l’emploi d’une description verbale ne constituerait pas l’emploi d’une marque de commerce au sens de la Loi. Il a dit ce qui suit (à la page 523) :

[traduction] […] pour être réputée employée en lien avec des marchandises, il faut que, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, la marque de commerce soit visible, soit parce qu’elle est apposée sur les marchandises ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, soit parce qu’elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée.

 

Je n’interprète pas les mots « de toute autre manière » employés au paragraphe 4(1) de la Loi comme s’ils enlevaient au terme « marque » son sens normal et véritable. J’estime que ces mots signifient simplement que la « marque » peut être liée aux marchandises (et être visible) autrement qu’en étant apposée sur les marchandises elles‑mêmes ou sur les colis dans lesquels celles‑ci sont distribuées.

 

[238]       Cette décision a été continuellement suivie par la Commission des oppositions des marques de commerce : voir, en plus des décisions mentionnées précédemment, Alex World Wrestling Federation Entertainment Inc. (2008), 68 C.P.R. (4th) 244; Halliburton Energy Services Inc. c. Enviroseal Technologies (Canada) Inc. (2008), 69 C.P.R. (4th) 313; Cassels, Brock Blackwell c. Abex Corp. (2001), 16 C.P.R. (4th) 562. En conséquence, j’estime, sur la foi de ces décisions et des raisons sous‑tendant la Loi sur les marques de commerce dans l’ensemble, ainsi que de l’interprétation du paragraphe 4(1) de cette loi, que l’association de la marque avec les marchandises ne peut exister seulement dans l’esprit de l’acheteur lors du transfert, mais qu’elle doit être établie de manière plus concrète. Je conviens avec les demanderesses qu’attribuer des notions arbitraires d’emploi d’une marque de commerce qui peuvent découler des liens que les consommateurs peuvent faire dans leur esprit pourrait créer de l’incertitude quant à la portée des droits afférents aux marques de commerce en général et des dispositions relatives à l’acquisition et à la contrefaçon en général.

 

[239]       Ayant conclu que les demanderesses n’ont pas employé la marque nominale MARLBORO des défenderesses, je ne peux pas conclure qu’elles ont enfreint l’article 19 ou l’article 20, puisque l’« emploi » est une condition préalable à l’application de ces deux dispositions. En fin de compte, les demanderesses ne peuvent être tenues responsables d’avoir employé la marque MARLBORO en ne l’ayant pas employée.

 

D. L’article 20 de la Loi sur les marques de commerce a-t-il été enfreint?

[240]       Les défenderesses allèguent que l’emploi de leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP par les demanderesses contrefait leur marque de commerce MARLBORO selon l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, même si ces dernières n’emploient pas cette marque ou une autre marque nominale créant de la confusion. En d’autres termes, selon leur thèse, l’absence d’une marque nominale sur l’emballage et l’habillage général du produit évoqueraient, dans l’esprit de certains fumeurs canadiens, un lien avec la marque Marlboro internationale et créeraient ainsi de la confusion avec leur marque de commerce Marlboro. Il s’agit d’une thèse pour le moins nouvelle et très originale, et la Cour doit l’étudier avec soin.

 

[241]       L’article 20 de la Loi sur les marques de commerce prévoit ce qui suit :

Violation

 

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

 

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

 

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

 

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

 

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

 

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

 

Exception

 

(2) L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

Infringement

 

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

 

 

 

 

 

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

 

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

 

 

(i) of the geographical name of his place of business, or

 

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

 

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

 

Exception

 

(2) No registration of a trade-mark prevents a person from making any use of any of the indications mentioned in subsection 11.18(3) in association with a wine or any of the indications mentioned in subsection 11.18(4) in association with a spirit.

 

 

[242]       L’expression « créant de la confusion » est définie de manière plus détaillée aux paragraphes 6(1) et (2) de la Loi, auxquels renvoie la définition de cette expression contenue à l’article 2 de la Loi. Ces deux paragraphes prévoient ce qui suit :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

Idem

 

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

When mark or name confusing

 

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

 

 

 

 

 

 

 

Idem

 

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

[243]       Le paragraphe 6(5) oblige la Cour et le registraire, lorsqu’ils doivent se prononcer sur la question de la confusion, à tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris les éléments suivants :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

Éléments d’appréciation

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

When mark or name confusing

 

What to be considered

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

 

[244]       L’article 20 est manifestement d’application plus large que l’article 19, car la marque contestée et les marchandises avec lesquelles elle est employée ne doivent pas nécessairement être identiques à la marque déposée et aux marchandises avec lesquelles elle a été employée. L’ouvrage Fox on Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition explique ce qui suit à ce sujet :

[traduction] Contrairement à l’article 19 qui ne s’applique qu’aux marques de commerce identiques qui sont employées en lien avec des marchandises ou des services identiques, le paragraphe 20(1) prévoit que le droit du propriétaire est réputé être violé lorsque la marque de commerce contestée ou le nom commercial contesté crée de la confusion avec la marque de commerce déposée, peu importe les marchandises, services ou entreprises avec lesquels elle est employée. […] Le paragraphe 20(1) a ainsi une portée beaucoup plus large que l’article 19 et un demandeur sera en mesure d’interdire l’emploi d’une marque de commerce ou d’un nom commercial en lien avec des marchandises, des services ou des entreprises quels qu’ils soient, pourvu que la marque de commerce contestée ou le nom commercial contesté crée de la confusion avec la marque de commerce déposée.

 

Gill, Kelly et Jolliffe, R.S., Fox on Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 4e éd., feuilles mobiles (Toronto, Carswell, 2009), aux pages 7‑19 et 7‑20.

 

[245]       La norme de preuve relative à la confusion est la même dans le cas d’une violation que dans le cas d’une opposition à un enregistrement : il suffit de démontrer que l’emploi de la marque de commerce sur des marchandises auxquelles elle est liée est susceptible de faire conclure que les marchandises ont été fabriquées par la même source. Le critère applicable est celui de la première impression laissée dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé qui n’a qu’un vague souvenir de l’une des marques quand il voit l’autre : voir Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, aux paragraphes 56 à 58; Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20.

 

[246]       La protection offerte au titulaire de l’enregistrement par l’article 20 de la Loi est plus étendue que celle offerte par l’action pour commercialisation trompeuse de la common law, qui est codifiée à l’alinéa 7c) de la Loi. Tout d’abord, le demandeur qui intente une action pour violation n’est pas tenu de démontrer que les marchandises ou les services sont commercialisés dans la même région, alors que cette démonstration doit être faite dans le cas d’une action pour commercialisation trompeuse. De plus, il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’un dommage ni de la tentative de tromper : voir Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.). Il convient de citer à nouveau Fox au sujet de la différence entre une action pour violation et une action pour commercialisation trompeuse :

[traduction] L’action pour violation doit donc être distinguée de l’action pour commercialisation trompeuse. Une action pour violation est fondée sur le droit exclusif d’employer une marque de commerce qui est accordé par la loi au propriétaire inscrit et, pour avoir gain de cause, le demandeur doit démontrer que le défendeur emploie cette marque ou une marque de commerce créant de la confusion. Le droit législatif se rapportant à la violation diffère à certains égards du droit applicable à la commercialisation trompeuse : en premier lieu, il se rapporte uniquement à une méthode de commercialisation trompeuse, à savoir l’emploi d’une marque de commerce déposée; deuxièmement, la protection accordée par la loi est absolue en ce sens que, une fois qu’il est clairement démontré qu’une marque viole la loi, celui qui l’emploie ne saurait y échapper en établissant qu’il a distingué ses marchandises de celles du propriétaire inscrit au moyen d’une chose autre que la marque elle‑même.

 

Harold G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd. (Toronto, Carswell, 1972), à la page 59.

 

[247]       Il est donc inutile et sans intérêt, pour le défendeur visé par une action pour violation fondée sur l’article 20 de la Loi, de démontrer qu’il n’a fait aucune déclaration inexacte. De même, la motivation du prétendu auteur de la violation n’a aucune importance. La seule question pertinente est de savoir si le public est susceptible d’être amené à croire que les marchandises arborant les marques de commerce proviennent de la même source.

 

[248]       La présente affaire est quelque peu particulière, ne serait‑ce qu’en raison de la prétention des défenderesses selon laquelle les demanderesses sont coupables de créer de la confusion inverse avec leur produit sans nom. La confusion directe se produit lorsque le client pense, à tort, que les marchandises du nouvel utilisateur proviennent de la même source que les marchandises de l’ancien utilisateur ou ont un rapport avec celles‑ci. Par contre, lorsqu’il s’agit de confusion inverse, le client achète les marchandises de l’ancien utilisateur en croyant, à tort, qu’il achète les marchandises du nouvel utilisateur. Ce concept, élaboré aux États‑Unis, n’a pas été souvent appliqué au Canada. À l’instar de mon collègue le juge O’Reilly dans Services alimentaires A & W du Canada Inc. c. Restaurants McDonald du Canada Ltée, 2005 CF 406, je ne suis pas certain qu’il ajoute beaucoup à l’analyse de la confusion qui est exigée par l’article 20 de la Loi, et je suis d’accord avec lui lorsqu’il dit que la Loi est assez large pour viser à la fois la confusion directe et la confusion inverse. Au bout du compte, la probabilité de confusion reste le facteur le plus important de l’analyse.

 

[249]       S’appuyant sur l’alinéa 6(5)e) de la Loi et, en particulier, sur le passage « ou dans les idées qu’ils suggèrent », l’avocat des défenderesses a fait valoir que l’emballage d’un produit et, en conséquence, la manière dont la marque est employée et présentée au public peuvent créer de la confusion avec une marque nominale. En fait, il y a eu des cas où l’enregistrement d’une marque nominale a été refusé parce que celle‑ci était susceptible de créer de la confusion avec une marque de commerce figurative : voir, par exemple, WWF World Wide Fund for Nature c. 140808 Canada Inc. (1993), 50 C.P.R. (3d) 445 (C.O.M.C.); Munsingwear Inc. c. Prouvost S.A. (1992), 47 C.P.R. (3d) 114. Cependant, à part le fait que, dans ces affaires, on a jugé que c’était la marque nominale qui créait de la confusion avec une marque de commerce figurative préexistante et non l’inverse, il existait un lieu indéniable entre la marque nominale visée par une demande d’enregistrement et la marque de commerce figurative. Bien que la possibilité que la présentation d’une marque ou la façon dont une marque est employée sur un emballage crée également de la confusion ne puisse être exclue, le lien devrait être tout aussi évident. Dans les décisions mentionnées précédemment, les mots PANDA WEAR évoquaient clairement l’idée d’un panda, qui était depuis longtemps le logo du Fonds mondial pour la nature. Quant à la marque nominale PINGOUIN dans le deuxième cas, elle rappelait simplement la marque de commerce figurative représentant un pingouin de l’opposante. En l’espèce, le défi des défenderesses est de démontrer que le paquet ROOFTOP, qui arbore différentes marques de commerce figuratives appartenant aux demanderesses, évoque ou rappelle la marque nominale MARLBORO aussi clairement que dans ces affaires. L’alinéa 6(5)e) ne peut pas être interprété de manière à englober toutes les « idées » qui peuvent être suggérées par une marque.

 

[250]       Se fondant sur des décisions comme Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91, Miss Universe Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614, et Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, l’avocat des défenderesses a soutenu également que des facteurs extrinsèques comme le prix des marchandises, le segment de marché auquel elles sont destinées ou même leur composition (en l’espèce, le mélange de tabac des cigarettes) ne devraient pas être pris en compte dans le cadre d’une action pour violation fondée sur l’article 20, lorsque les marchandises contrefaites sont de la même nature que celles énumérées en rapport avec la marque déposée. Je ne suis pas certain cependant que les décisions mentionnées ci‑dessus appuient cette proposition.

 

[251]       Dans Mr. Submarine, précité, le propriétaire inscrit de la marque de commerce MR. SUBMARINE avait intenté une action pour contrefaçon contre la défenderesse relativement à l’emploi des marques MR. SUBS’N PIZZA et MR. 29 MIN. SUBS’N PIZZA en lien avec des marchandises très semblables. La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en considérant qu’il n’y avait aucune ressemblance entre la police de caractères utilisée et la couleur des enseignes des parties, et que l’apparence des deux marques utilisées sur les affiches, les boîtes, etc. était très différente. Alors que ces éléments auraient été très pertinents dans le cadre d’une action pour commercialisation trompeuse en common law, la Cour a statué qu’ils ne l’étaient pas dans une action pour contrefaçon d’une marque de commerce déposée et qu’ils ne devraient pas être pris en compte pour déterminer si les marques de commerce et les noms commerciaux en cause créaient de la confusion avec la marque déposée de la demanderesse.

 

[252]       De même, la Cour d’appel a décidé que le juge de première instance avait commis une erreur en insistant sur la nature différente des services et du commerce, au lieu de considérer la probabilité de confusion si les deux entreprises étaient exploitées dans la même région de la même façon. Dans cette affaire, la demanderesse avait produit une demande d’enregistrement d’une marque de commerce projetée au Canada, formée des mots « MISS NUDE UNIVERSE », en liaison avec des marchandises et des services particuliers. Les propriétaires inscrits de la marque de commerce déposée « MISS UNIVERSE » ont produit une déclaration d’opposition dans laquelle ils alléguaient que la marque de commerce projetée créerait de la confusion avec leur marque. La Cour a statué que les différences que l’intimé alléguait avoir en vue, mais qu’il n’avait ni garanties ni mentionnées dans sa demande d’enregistrement, par exemple le lieu des concours, les conditions que les participantes devraient remplir et l’ambiance dans laquelle les activités se dérouleraient, n’étaient pas suffisamment importantes étant donné la similarité fondamentale entre les services en cause. La Cour a statué également que ces différences n’étaient pas pertinentes dans la mesure où, indépendamment de l’intention présente de l’intimé, lui ou son ayant droit serait libre de changer n’importe quand la formule, le lieu, le style ou le caractère de ses concours de beauté, dans l’éventualité où la marque de commerce « MISS NUDE UNIVERSE » était jugée enregistrable.

 

[253]       Enfin, la Cour d’appel a réitéré ce principe dans Maison Cousin, précité, où les faits étaient similaires. Dans cette affaire, le juge de première instance avait statué que les marchandises vendues par la demanderesse étaient très différentes de celles vendues par le propriétaire inscrit de la marque de commerce « MAISON COUSIN » et que les produits en question n’étaient pas vendus dans les mêmes réseaux commerciaux ou dans les mêmes genres d’établissements, ceux de la demanderesse étant en vente dans des dépanneurs et des épiceries, tandis que ceux du propriétaire inscrit des marques de commerce déposées se vendaient dans ses restaurants. La Cour a conclu que les produits n’étaient pas à ce point différents qu’il fallait écarter toute possibilité de confusion, car tous ces produits étaient des produits d’alimentation et que, de toute façon, la différence entre eux ne suffisait pas à écarter toute possibilité de confusion compte tenu du paragraphe 6(2) de la Loi, qui prévoit la possibilité de confusion même si les produits en cause ne sont pas de la même catégorie générale. La Cour a ajouté (au paragraphe 15) :

En ce qui a trait à la nature du commerce, le juge a eu tort de comparer le mode d’opération actuel de l’intimée avec celui de l’appelante. L’intimée a toujours le loisir de changer ses réseaux de distribution et de vendre ses produits dans les mêmes dépanneurs ou établissements que l’appelante. Sa demande d’enregistrement ne limite aucunement son champ d’action quant à la distribution de ses produits. Le juge se devait de considérer non seulement ce que fait l’intimée mais aussi ce que celle‑ci pourrait faire, compte tenu de l’absence de restrictions dans l’enregistrement de sa marque de commerce. Mattel, supra, au paragraphe 53.

 

[254]       Dans toutes ces affaires, non seulement les services ou les marchandises de la partie demanderesse étaient très semblables à ceux du propriétaire inscrit d’une marque de commerce existante, mais la marque nominale qui faisait l’objet des demandes d’enregistrement était également très semblable à la marque nominale enregistrée précédemment. Dans de tels cas, il est logique de ne pas tenir compte des caractéristiques qui sont extrinsèques à la marque lorsqu’on évalue la possibilité de confusion (par exemple, l’apparence de la marque nominale, la présentation et les exigences relatives à un service particulier ou les canaux de distribution d’un produit), parce que ces caractéristiques ne sont pas immuables et peuvent être modifiées une fois que la marque a été enregistrée.

 

[255]       Les faits sont toutefois différents en l’espèce. Bien que les produits associés aux marques appartenant aux demanderesses et aux défenderesses soient très semblables, les marques employées par les demanderesses sont des marques figuratives et n’ont rien à voir avec la marque nominale déposée des défenderesses. Il me semble que, dans un tel scénario, la Cour peut et, en fait, doit tenir compte de facteurs extrinsèques aux marques elles‑mêmes, afin de déterminer si l’emploi, par les demanderesses, de leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP crée néanmoins de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO des défenderesses. En d’autres termes, comme les marques de commerce employées par les demanderesses en lien avec leurs produits sans nom n’ont rien de commun avec la marque de commerce MARLBORO des défenderesses, je crois que le prix de leurs cigarettes, le mélange particulier de celles‑ci et la clientèle visée font partie des « circonstances de l’espèce » qui doivent être prises en compte conformément au paragraphe 6(5) de la Loi pour déterminer la probabilité de confusion.

 

[256]       Une marque de commerce est une marque employée par une personne pour distinguer ses marchandises ou ses services de ceux d’autres propriétaires. Par conséquent, la marque ne peut pas être considérée isolément, mais seulement en lien avec ces marchandises ou ces services. C’est ce qui ressort clairement du libellé du paragraphe 6(2). La question posée par cette disposition ne concerne pas la confusion entre des marques, mais la confusion entre des produits ou des services provenant d’une source qui est considérée comme provenant d’une autre source. Que peut‑on alors faire de la preuve testimoniale produite par les deux parties au soutien de leurs prétentions selon lesquelles le produit sans nom des demanderesses crée ou ne crée pas de la confusion avec la marque déposée des défenderesses?

 

[257]       L’avocat des demanderesses a appelé à témoigner trois consommateurs, qui ont tous déclaré qu’ils appellent « Rooftop » le produit sans nom des demanderesses. Ces personnes connaissaient le produit Marlboro canadien d’ITL et aucune d’elles ne croyait que les cigarettes Rooftop provenaient de la même source que ce produit. En fait, il semble que ces consommateurs achetaient des cigarettes Rooftop uniquement parce qu’ils croyaient que ce produit provenait de la même source que les cigarettes Marlboro de Philip Morris qui étaient vendues sur le marché international. Bien que ces témoins semblent avoir dit la vérité et n’avoir aucun lien avec les parties ou les avocats, je ne pense pas qu’une grande valeur probante peut être accordée à leurs témoignages. Il est vrai que l’avocat des défenderesses aurait pu appeler ses propres témoins pour réfuter ces témoignages, mais il ne l’a pas fait. Il reste que les trois témoins des demanderesses ne semblent pas avoir été choisis au hasard; ils ont été approchés par l’un des avocats des demanderesses parce qu’il était connu qu’ils appelaient « Rooftop » le produit sans nom. En conséquence, on ne peut pas dire qu’ils représentent nécessairement les fumeurs canadiens, ni même les personnes qui connaissent ce produit.

 

[258]       Pour sa part, l’avocat des défenderesses a fait témoigner quatre détaillants et trois représentants des ventes. Les quatre détaillants ont affirmé dans leur témoignage que la grande majorité de leurs clients (l’un a même dit 99 %) désignent le produit sans nom des demanderesses par le mot « Marlboro ». Fait intéressant cependant, ces détaillants semblaient connaître la source de ce produit. Ils savaient exactement quels produits provenaient de quelle société. En fait, deux des détaillants ont déclaré dans leur témoignage qu’ils connaissaient déjà les cigarettes Marlboro internationales de Philip Morris dans leur pays d’origine. La plupart d’entre eux ont dit qu’ils corrigeraient un client qui demande des Marlboro, après avoir vérifié qu’il voulait réellement le produit des demanderesses, en lui disant que le produit s’appelle « Rooftop ». Il n’est pas surprenant que les détaillants connaissent la source de la marque Rooftop, si ce n’est que parce que les représentants des demanderesses les ont informés à ce sujet. En outre, les détaillants doivent connaître la source des deux produits pour pouvoir les obtenir et les commander. Les cigarettes Rooftop, comme les autres produits offerts par RBH, sont commandées auprès de grossistes à l’aide de bons de commande sur lesquels le mot « Rooftop » est inscrit, puis sont ramassées par le détaillant aux entrepôts des grossistes. Les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL sont commandées directement à un représentant des ventes de cette entreprise, lequel livre ensuite le produit au magasin.

 

[259]       L’avocat des demanderesses prétendait qu’aucune valeur probante ne devrait être accordée aux témoignages des détaillants et des représentants des ventes ou que ces témoignages devraient être déclarés inadmissibles parce qu’ils constituaient du ouï‑dire. Il est vrai que toutes ces personnes ont témoigné au sujet de la manière dont les clients appellent le produit sans nom des demanderesses. Je ne pense pas cependant que l’on puisse reprocher aux défenderesses d’avoir choisi de s’appuyer sur les témoignages de détaillants et de représentants des ventes au lieu d’appeler à témoigner des consommateurs qui pourraient déclarer eux‑mêmes qu’ils appellent le produit MARLBORO. Il était manifestement beaucoup plus pratique et plus rapide de faire témoigner des détaillants et des représentants des ventes au sujet de la manière dont les consommateurs appellent le produit sans nom que de demander à chacun de ces consommateurs de témoigner.

 

[260]       Je ne suis pas d’accord avec les demanderesses quand elles disent que ce type de preuve peut être considéré comme du ouï‑dire. La règle interdisant le ouï‑dire est fondée sur le principe selon lequel la valeur d’un tel témoignage repose sur la crédibilité d’une déclaration faite hors cour, où les mesures de protection que sont le serment et le contre‑interrogatoire ne s’appliquent pas. Toutefois, cette règle s’applique seulement lorsque la déclaration faite par un tiers est produite dans le but de prouver la véracité de son contenu. Comme le juge Sopinka l’a dit :

[traduction] Les déclarations écrites ou verbales ou autres formes de communication hors du cadre d’un témoignage à l’audience dans laquelle elles sont présentées sont irrecevables si elles sont présentées comme preuve de leur véracité ou comme preuve d’une assertion qui y est implicite.

Sopinka, J. et al, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., 1999, Butterworth, Toronto, paragraphe 6.2.

 

[261]       En l’espèce, les déclarations des détaillants et, sur ce point, des représentants d’ITL qui ont entendu des clients utiliser le nom « Marlboro » pour demander des cigarettes Rooftop ne sont pas produites dans le but d’étayer l’allégation selon laquelle les produits sans nom des demanderesses sont en fait des cigarettes Marlboro, mais simplement pour attester le fait que c’est de cette façon que les consommateurs appellent ce produit. Les témoins peuvent être interrogés, comme ils l’ont été d’ailleurs, au sujet de ces déclarations de fait, tout comme ils auraient pu l’être au sujet de ce qu’ils avaient observé. En conséquence, les témoignages des détaillants et des représentants des ventes ne peuvent pas être rejetés au motif qu’ils constituent du ouï‑dire.

 

[262]       Cela étant dit, je suis d’avis que les témoignages des quatre détaillants comportent les mêmes faiblesses que ceux des consommateurs. En dépit du fait que tous semblent être sincères et bien intentionnés, il est impossible de savoir comment ils ont été choisis et, en conséquence, de déterminer à quel point ils sont représentatifs. Il est intéressant de noter, à cet égard, que l’avocat des défenderesses s’est opposé vigoureusement à la production, dans le cadre du contre‑interrogatoire de M. Aris Zervos (l’un des représentants des ventes), de reçus de vente de cigarettes dans deux magasins situés dans la région dont M. Zervos était responsable, au motif que cette preuve ne donnerait qu’une idée très limitée de ce qui se passe dans les magasins de vente au détail. Or, il me semble que ce qui est vrai pour les reçus de vente doit l’être aussi pour les témoignages des quatre détaillants. En conséquence, je ne pense pas qu’il faille leur accorder beaucoup de poids.

 

[263]       On peut en dire autant de la preuve produite par les représentants des ventes des défenderesses, mais pour une foule d’autres raisons. En premier lieu, toutes ces personnes travaillent pour une partie à la présente action et comptent sur de bonnes relations avec leur employeur pour leur gagne‑pain. Cette relation de subordination employeur‑employé affaiblit la crédibilité de leurs témoignages. En outre, elles étaient relativement inexpérimentées et elles ont fait des déclarations à l’emporte‑pièce qui n’ont pas toujours résisté au contre‑interrogatoire et qui étaient même parfois contradictoires.

 

[264]       Par exemple, Mme Lucier a déclaré au cours de son interrogatoire principal qu’il y avait très souvent sur une tablette portant une affichette sur laquelle il était inscrit « Marlboro » des produits Marlboro canadiens d’ITL et des produits Rooftop. Or, il ressort d’un examen des 16 magasins situés sur son territoire qui étaient représentés sur les photographies tirées d’une étude à laquelle elle avait participé avec un parajuriste afin d’étudier la façon dont les produits Marlboro canadiens d’ITL et les produits Rooftop étaient placés sur les tablettes des magasins qu’il n’y avait que quatre endroits où ces produits se trouvaient les uns près des autres sur les tablettes et un seul où un produit Rooftop était placé sur une tablette dont l’affichette indiquait « Marlboro ».

 

[265]       Dans le même ordre d’idées, M. Lacroix a déclaré dans son témoignage que presque tous les détaillants de son territoire remettaient des cigarettes Rooftop aux clients qui demandaient des « Marlboro ». Cette déclaration ne concorde pas cependant avec les témoignages de deux détaillants dont M. Lacroix est chargé. Comme il a été mentionné précédemment, M. Sam Hajjali et M. Samer Tarbouche ont indiqué qu’ils remettaient le produit Marlboro d’ITL aux clients qui demandaient des « Marlboro ». En outre, le témoignage de M. Lacroix concernant un document qui lui a été présenté – le [traduction] « Guide sur les produits de substitution » – était incohérent. Ce document présente faussement les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL comme des cigarettes à mélange américain. Avant de lui présenter le guide, on a demandé à M. Lacroix, au cours de son contre‑interrogatoire, de confirmer que ce document indiquait effectivement que les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL devaient être fournies pour remplacer les cigarettes filtres Camel, des cigarettes à mélange américain. Il a pu le confirmer de mémoire, mais après que le document a été placé devant lui, il a essayé de faire marche arrière, affirmant qu’il ne se rappelait pas précisément que les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL étaient présentées comme un produit de substitution pour les cigarettes Camel, parce qu’il n’insistait pas sur ces marques lorsqu’il parlait à ses détaillants. Enfin, M. Lacroix s’est contredit : immédiatement après avoir dit que le [traduction] « Guide sur les produits de substitution » qui lui était présenté était l’une des nombreuses versions de ce document qu’il avait vues, il a affirmé que la version en question était la première qu’il avait vue.

 

[266]       De même, M. Doerr a déclaré dans son témoignage qu’il ne pouvait pas se rappeler un détaillant qui appelait les produits Rooftop par ce nom et que tous les détaillants les appelaient plutôt « Marlboro ». Lorsqu’on lui a fait remarquer que M. Shim, que M. Doerr connaît et qui travaille dans l’un des magasins où ce dernier se rend deux fois par semaine, désigne le produit Rooftop par le mot « Rooftop », M. Doerr a répondu : [traduction] « Je ne peux pas affirmer que je l’ai déjà entendu parler de ce produit en utilisant le mot “Rooftop”. » Il ne pouvait pas se rappeler non plus où ce détaillant plaçait le produit Rooftop dans ses magasins. Cela est très difficile à croire si, comme il le prétend, il passe 30 minutes, une ou deux fois par semaine, dans chaque magasin dont il est responsable. Dans le même ordre d’idées, il a déclaré dans son témoignage qu’il avait entendu des centaines de fois des clients demander des cigarettes Rooftop en employant uniquement le mot « Marlboro ». Lors de son contre‑interrogatoire cependant, il a reconnu que, lorsqu’un client demande seulement des « Marlboro », il peut devoir lui demander quelle version de Marlboro (rouge, or ou argent) il préfère; et s’il remet des « Marlboro Red » au client sans le demander, celui‑ci doit le corriger si ce n’est pas la version qu’il veut.

 

[267]       À la lumière de ce qui précède, j’arrive à la conclusion que très peu de poids devrait être accordé aux témoignages des représentants des ventes. Non seulement ils ne sont pas indépendants des défenderesses, de qui ils sont des employés peu expérimentés, mais leurs exagérations et les contradictions qui sont contenues dans leurs témoignages et qui ont trait aux détaillants minent sérieusement leur crédibilité.

 

[268]       Il ne reste donc à la Cour que la preuve par sondage qui a été présentée par les deux experts, M. Klein pour les demanderesses et M. Chakrapani pour les défenderesses. Il est maintenant bien établi que ce type de preuve présentée par un expert qualifié est admissible, pourvu que les conclusions soient pertinentes quant aux questions en litige et que le sondage ait été bien conçu et bien effectué : voir Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, aux paragraphes 43 à 50.

 

[269]       Comme il a été mentionné précédemment (voir le paragraphe 126 des présents motifs), l’étude de M. Klein a mené à la conclusion que la grande majorité des fumeurs canadiens interrogés (trois sur quatre) n’ont pas reconnu les paquets de Rooftop et que seulement 15 % d’entre eux ont indiqué qu’ils les auraient appelés « Marlboro ». Presque tous les consommateurs qui auraient appelé le paquet de Rooftop « Marlboro » ont répondu qu’ils l’auraient fait parce qu’ils connaissaient le produit Marlboro vendu à l’extérieur du Canada par Philip Morris. Aucun répondant n’a désigné ITL comme la source des paquets de Rooftop.

 

[270]       Les défenderesses ont raison de faire remarquer que la proportion de fumeurs qui ont associé le produit Rooftop au produit Marlboro de Philip Morris est quelque peu plus grande (43 %) lorsqu’on tient compte seulement des fumeurs qui ont indiqué avoir déjà vu les produits Rooftop, et non de tous les fumeurs. Il est vrai également que seulement deux des 389 fumeurs qui ont été interrogés ont désigné le produit Rooftop par son nom. L’avocat des demanderesses a souligné qu’un tel résultat n’était pas surprenant, étant donné que le fait d’avoir déjà entendu parler de Rooftop n’était pas une condition préalable à la participation à l’étude, [omis]. Il reste que 89 des 389 fumeurs à qui un paquet de Rooftop a été présenté ont répondu qu’ils l’avaient déjà vu et que seulement deux d’entre eux l’ont identifié comme un produit « Rooftop ». Enfin, les défenderesses insistent à juste titre sur le fait que les fumeurs qui ont établi un lien entre le produit Rooftop et le produit Marlboro de Philip Morris l’ont fait soit parce qu’ils avaient déjà vu le produit à l’étranger, soit en raison des éléments graphiques particuliers du paquet de Philip Morris.

 

[271]       Ces clarifications additionnelles n’ont toutefois pas d’incidence sur la conclusion centrale de M. Klein selon laquelle il n’y a aucune confusion quant à l’origine ou à la source du produit Rooftop. Les répondants qui pensaient que la source du produit Rooftop était Philip Morris, pour quelque raison que ce soit, ne se trompaient manifestement pas. Par contre, aucun des répondants qui ont appelé le paquet de Rooftop « Marlboro » n’a associé ce produit à la marque Marlboro canadienne des défenderesses.

 

[272]       Les défenderesses ont également produit deux sondages conçus et effectués par leur expert, M. Chakrapani : un sondage mené auprès de consommateurs et un autre auprès de détaillants (l’étude sur les consommateurs et l’étude sur les détaillants, respectivement). Comme il a été mentionné précédemment, l’étude sur les consommateurs a révélé :

A.                qu’un fumeur interrogé sur quatre a fait un lien entre le produit Rooftop des demanderesses et le produit Marlboro de Philip Morris;

B.                 que la principale raison mentionnée par les répondants pour faire ce lien avait trait aux éléments graphiques communs figurant sur les deux paquets, notamment les couleurs utilisées et le dessin du toit rouge;

C.                 qu’un seul des 406 fumeurs interrogés a appelé le produit Rooftop par le nom « Rooftop ».

 

[273]       Je conviens avec l’avocat des demanderesses que ces résultats ont une utilité limitée au regard des questions en litige en l’espèce, car les sondages n’avaient pas pour but d’évaluer la confusion créée quant à la source des produits Rooftop et du produit Marlboro canadien des défenderesses. Il est néanmoins intéressant de noter que la proportion de répondants qui ne pouvaient pas associer le paquet de Rooftop à une marque de fabrique était beaucoup plus grande que dans le cas des deux autres marques. Il est important de mentionner également que 27 % de tous les répondants ont répondu correctement que la source des cigarettes Rooftop était la même que celle des cigarettes Marlboro vendues sur le marché international; en fait, 60 % de tous les répondants qui affirmaient connaître la marque de fabrique du produit Rooftop l’ont identifiée comme étant « Marlboro »

 

[274]       Je conviens également avec l’avocat des demanderesses que l’étude sur les consommateurs effectuée par M. Chakrapani comporte des défauts importants sur le plan de la conception. En premier lieu, on a dit aux répondants que [traduction] « des paquets de cigarettes n’arborant aucune marque de fabrique » leur seraient présentés. Comme M. Chakrapani l’a dit au cours de son contre‑interrogatoire, cela équivaut à dire aux répondants qu’il n’y a rien sur le paquet qui pourrait être considéré comme une marque de fabrique. Ce préambule, combiné à la première question – « Pouvez‑vous me dire quelle est la marque de ces cigarettes ou non? » –, incite essentiellement les répondants à assigner la marque de fabrique qui a été effacée plutôt qu’à désigner un autre élément figurant sur le paquet, les lettres « PM » par exemple. En outre, il limite la marque de fabrique à un nom par opposition à un dessin.

 

[275]       Fait plus important, les deux paquets de contrôle (Rothmans et Dunhill) ont été présentés en même temps et sur la même planchette que le produit Rooftop. M. Chakrapani a admis lors de son contre‑interrogatoire qu’il sauterait aux yeux de quiconque connaissait les paquets de Rothmans ou de Dunhill que les marques de fabrique avaient été effacées, même si cela ne ressortait pas clairement du préambule du questionnaire. En outre, les répondants pouvaient penser également que la marque de fabrique avait été retirée du paquet de Rooftop s’ils connaissaient la marque Marlboro internationale; en fait, M. Chakrapani a indiqué que c’était précisément ce qu’il essayait d’évaluer. Compte tenu de cet objectif, il n’était peut‑être pas surprenant que l’on ne dise pas aux répondants d’exclure les cigarettes vendues à l’extérieur du Canada. Dans un tel contexte, les répondants ont pu être amenés à remplacer la marque de fabrique manquante par une quelconque marque qu’ils pouvaient avoir vue être associée à l’habillage du paquet, peu importe qu’ils aient entendu parler des cigarettes Rooftop dans le passé ou non. En conséquence, un poids limité peut être attribué aux conclusions de cette étude.

 

[276]       L’étude sur les détaillants ne visait pas non plus à évaluer la confusion quant à la source des produits, mais sa réalisation comportait également des défauts importants. De plus, le fait qu’elle a été effectuée avant que le marché devienne invisible diminue sa pertinence quant aux conditions du marché invisible qui existe maintenant partout au Canada.

 

[277]       La première question qui était posée dans le cadre de cette étude ne concernait pas le nom du produit sans nom, mais était la suivante : [traduction] « Quelle est cette marque? » Cette question a entraîné de graves problèmes d’identification, parce que la marque est beaucoup plus large et peut englober tous les attributs du produit. Ainsi, de nombreux détaillants semblent avoir essayé de décrire le produit et ses attributs, parfois en parlant de « Marlboro ». Les réponses de ce genre – en fait toutes les réponses qui incluaient le mot « Marlboro » – ont été prises en compte et considérées comme une [traduction] « erreur d’identification » des cigarettes Rooftop en tant que cigarettes Marlboro. Par exemple, des réponses comme [traduction] « ce sont des Marlboro américaines » ou [traduction] « c’est une Marlboro. C’est une sorte canadienne de Marlboro. C’est un mélange canadien‑américain. C’est comme une Marlboro. Je suis incapable de me rappeler le nom » ont été codées et considérées comme des [traduction] « erreurs d’identification » de Marlboro. L’absence de précision découlant du fait que l’on ne demandait pas aux répondants de donner le nom de la marque de fabrique a donc été aggravée par la décision de M. Chakrapani de considérer toute mention de « Marlboro » comme une [traduction] « erreur d’identification ». En conséquence, on ne peut pas dire avec exactitude que 32 % des détaillants ont [traduction] « identifié à tort » les cigarettes Rooftop comme des cigarettes Marlboro; on peut tout au plus affirmer que 32 % des détaillants ont mentionné le mot « Marlboro » lorsqu’ils ont décrit la marque.

 

[278]       L’étude sur les détaillants comporte également de très graves défauts sur le plan de sa réalisation. D’abord, les détaillants n’ont pas été choisis au hasard. Le choix des détaillants aurait dû se faire de manière aléatoire de sorte que chaque détaillant de la région puisse être sélectionné. Or, les détaillants ont été simplement choisis à partir d’une liste limitée de détaillants fournie par l’avocat des défenderesses. Étant donné que nous ne savons pas de quelle façon cette liste a été établie et que les détaillants composant l’échantillon n’ont pas été choisis au hasard, les résultats de l’étude doivent être considérés avec beaucoup de prudence.

 

[279]       Ensuite, la réalisation de l’étude a été sérieusement viciée par les intervieweurs eux‑mêmes. Ces derniers n’ont pas suivi les instructions explicites de M. Chakrapani. Alors qu’ils devaient noter toutes les réponses textuellement, il ressort très clairement des feuilles de réponses qu’ils ne l’ont pas fait. À Toronto et à Montréal, plus de 25 % des feuilles de réponses décrivent dans des termes identiques ce qui se serait produit dans les points de vente au détail et aucune réponse n’y est rapportée textuellement.

 

[280]       Le fait que l’étude sur les détaillants s’est déroulée en deux étapes est également problématique. Aucune instruction n’a été donnée aux intervieweurs quant à la question de savoir si la deuxième visite devait avoir lieu le même jour que la première ou s’ils devaient parler au commis qu’ils avaient interrogé précédemment ou à un autre commis. Certains intervieweurs n’ont pas bien suivi les instructions et ont effectué la deuxième entrevue quelques heures après la première visite. De plus, il est impossible, à la lecture des dossiers, de savoir si le même commis a été interrogé lors de la deuxième visite. En conséquence, les premières visites peuvent bien avoir influencé les deuxièmes. Par exemple, poser des questions sur le produit Rooftop, puis revenir une deuxième fois le même jour et poser au même commis des questions sur les cigarettes « Marlboro » pourrait fausser gravement les résultats si, lors de la première visite, le commis avait expliqué, par exemple, que les cigarettes Rooftop étaient semblables aux Marlboro vendues sur le marché international et qu’il se rappelait cette conversation lors de la deuxième visite. Il ne serait donc pas étrange que ce commis offre le paquet de Rooftop lorsque la même personne se présente une deuxième fois au magasin et demande des « Marlboro ».

 

[281]       L’étude sur les détaillants a aussi révélé des différences spectaculaires dans les résultats obtenus dans les quatre villes : alors que 79 détaillants de Toronto auraient identifié à tort les cigarettes Rooftop comme des « Marlboro », seuls huit détaillants de Montréal, huit de Vancouver et 30 d’Edmonton l’ont fait. M. Chakrapani ne pouvait pas expliquer ces résultats si différents. De plus, un grand nombre de feuilles de réponses de Montréal et de Toronto indiquaient exactement les mêmes réponses à la question [traduction] « Vendez‑vous des Marlboro? » Les réponses [traduction] « Oui, le détaillant m’a remis des Rooftop » et [traduction] « A pointé du doigt les Rooftop sans nom » ont été présentées comme si elles avaient été notées textuellement maintes fois. Cette curieuse répétition des mêmes réponses décrivant ce qui s’est passé dans un si grand nombre de magasins de vente au détail de Toronto et de Montréal, alors que les réponses obtenues à Vancouver et à Edmonton qui sont rapportées mot à mot sont beaucoup plus complètes, est pour le moins suspecte. Conjuguée aux différences spectaculaires concernant les résultats qui auraient été obtenus dans les quatre villes pour lesquelles M. Chakrapani n’a pas d’explication, elle porte à croire que les intervieweurs n’ont pas effectué leur travail de manière honnête et ont inventé des données; l’absence de vérification ne fait rien pour atténuer cette possibilité regrettable. 

 

[282]       Qu’est‑ce que la Cour doit faire de la preuve par sondage produite par les deux parties? En dépit des défauts des sondages effectués par M. Chakrapani qui sont décrits ci‑dessus, je suis disposé à reconnaître qu’il existe un degré élevé de confusion quant à la façon de désigner le produit sans nom, en particulier chez les consommateurs. Un grand nombre de répondants semblent associer le produit des demanderesses au produit Marlboro international de PM, et ce pour différentes raisons, encore que ce soit plus souvent le cas chez les consommateurs que chez les détaillants. Ces faits sont‑ils suffisants pour conclure que l’emploi, par les demanderesses, de leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP est susceptible de créer de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO des défenderesses? Je ne pense pas.

 

[283]       Le premier facteur dont il faut tenir compte pour répondre à cette question est le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus (alinéa 6(5)a)). Je pense qu’il est juste de dire que les deux marques ont un caractère distinctif inhérent et sont bien connues. Aucune preuve démontrant le contraire n’a été produite. Le mot MARLBORO et l’habillage ROOFTOP ayant la forme d’un toit ont un caractère distinctif inhérent concernant leur emploi en liaison avec des cigarettes. Les deux marques ont droit à une protection étendue, car elles ne sont ni descriptives ni suggestives.

 

[284]       Le deuxième facteur concerne la période pendant laquelle ces marques ont été en usage (alinéa 6(5)b)). Encore une fois, la marque MARLBORO et les marques de commerce figuratives ROOFTOP sont employées depuis longtemps au Canada. Comme il est mentionné dans le résumé des faits figurant dans les présents motifs, la marque MARLBORO est employée au Canada depuis le début des années 1900, alors que les marques de commerce figuratives ROOFTOP sont employées depuis 1958 en liaison avec la marque de cigarettes Matador.

 

[285]       Quant au genre de marchandises et à la nature du commerce (alinéas 6(5)c) et d)), la preuve révèle ce qui suit. Il ne fait aucun doute que les produits arborant les deux marques de commerce sont du même genre et sont vendus dans les mêmes établissements. Malgré cette similitude apparente, les cigarettes Marlboro des défenderesses et les paquets sans nom des demanderesses sont différents à certains égards. Premièrement, les cigarettes Marlboro d’ITL offrent un mélange de Virginie, alors que les produits Rooftop sont faits d’un mélange américain. La preuve révèle que les fumeurs tiennent tout particulièrement aux cigarettes qu’ils préfèrent et qu’ils ne passeront pas facilement d’une marque à une autre, encore moins d’un mélange de Virginie à un mélange américain.

 

[286]       Deuxièmement, les détaillants ne se procurent pas les produits des parties de la même manière. Les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL sont distribuées différemment des cigarettes de marque ROOFTOP. Ces dernières sont achetées en gros par les détaillants, en remplissant un bon de commande et en ramassant eux‑mêmes le produit chez le grossiste. Par contre, les cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL sont vendues et distribuées directement aux détaillants par des représentants des ventes d’ITL.

 

[287]       De plus, la manière dont les cigarettes sont vendues aux consommateurs diminue encore davantage toute probabilité de confusion. Les cigarettes doivent être demandées expressément au comptoir du magasin et il doit y avoir interaction entre les participants à la vente pour que le bon produit soit acheté. Une conversation entre le client et le détaillant s’avère nécessaire, si ce n’est que parce que les produits des demanderesses se présentent en trois goûts différents, alors que les cigarettes Marlboro des défenderesses n’ont qu’une seule saveur. Pour être certain de remettre au client le produit qu’il veut, le détaillant doit, dans la plupart des cas, obtenir des éclaircissements du client, de sorte qu’il est peu probable que ce dernier achète accidentellement, à cause de la confusion, une marque de cigarettes différente de celle qu’il voulait.

 

[288]       Enfin, il n’y a pas de ressemblance entre les marques des parties dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent (alinéa 6(5)e)). Le mot « Marlboro » vient probablement du nom d’une rue ou d’une région de l’Angleterre, alors que le symbole Rooftop ressemble au toit d’une maison.

 

[289]       Outre ces facteurs, les efforts déployés par RBH pour diminuer la probabilité de confusion sont également pertinents. Ces efforts ont commencé par une lettre adressée aux détaillants à l’occasion du lancement du produit sans nom, dans laquelle des renseignements clés concernant les produits Rooftop étaient donnés (voir le paragraphe 64 des présents motifs). En plus des documents afférents au lancement, tous les articles vendus au détail, annonces, publicités, matériel destiné aux points de vente (briquets, boîtes d’allumettes, cendriers, affichettes d’étagère, cartes‑annonces d’allée de stockage, etc.) mettaient en évidence le mot « Rooftop », en le mentionnant, en arborant le symbole Rooftop et en faisant ressortir la principale caractéristique distinctive du produit Rooftop : le mélange américain. La preuve révèle que, en plus de créer, de distribuer et d’exposer ces objets, RBH s’est donné beaucoup de mal pour former ses représentants des ventes afin qu’ils communiquent l’information exacte aux détaillants et leur expliquent la nature du produit et le fait qu’il ne pouvait pas être appelé « Marlboro ».

 

[290]       Les défenderesses prétendent que l’emploi, par les demanderesses, de leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP fait naître les [traduction] « mêmes idées suggérées » que leur marque de commerce MARLBORO. J’ai déjà indiqué qu’une telle interprétation de l’alinéa 6(5)e) élargirait démesurément la portée de cette disposition et que les « idées suggérées » devraient inclure seulement les idées inhérentes à la nature des marques en cause (par exemple, le dessin d’un pingouin suggérant l’idée d’un pingouin). Il y a cependant une autre raison de rejeter cet argument en l’espèce. Le raisonnement proposé par les défenderesses dépend nécessairement des liens qui se forment dans l’esprit de Canadiens en raison de l’emploi sur les marchés étrangers. Il a été décidé que ce genre d’association n’est pas pertinent pour déterminer le caractère distinctif de la marque MARLBORO des défenderesses dans Philip Morris Incorporated c. Imperial Tobacco Ltd. et al, précitée. Dans cette affaire, le juge Rouleau a affirmé explicitement que le caractère distinctif d’une marque doit être déterminé en tenant compte uniquement du marché canadien, et non des marchés étrangers. En conséquence, il a décidé que la marque MARLBORO des défenderesses n’avait pas perdu son caractère distinctif, en dépit du fait que les cigarettes Marlboro américaines sont largement connues et reconnues par les Canadiens à cause des retombées sur le territoire canadien des campagnes de publicité menées aux États‑Unis. Le même principe fondamental doit s’appliquer au regard de la confusion. Le lien que les consommateurs canadiens peuvent faire en raison de l’emploi d’une marque dans un marché étranger ne devrait pas être pris en compte pour déterminer si l’emploi de cette marque est susceptible de créer de la confusion au Canada.

 

[291]       Ayant examiné avec soin les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, ainsi que la preuve documentaire et les témoignages produits par les parties, j’arrive à la conclusion que l’emploi, par les demanderesses, de leurs marques de commerce figuratives ROOFTOP n’a pas créé de confusion et qu’il n’est pas susceptible d’en créer. Même si certains consommateurs désignent le produit sans nom des demanderesses par le mot « Marlboro », il n’y a pas de confusion quant à la source de ce produit. La marque « Marlboro » à laquelle ils font référence est la marque Marlboro américaine de PM, et non la marque Marlboro canadienne d’ITL. En fait, la preuve n’indique pas que les consommateurs canadiens croient à tort que les défenderesses sont la source du produit sans nom des demanderesses. Comme l’article 20 de la Loi a pour objet de prévenir la confusion quant à la source et non quant au nom, il ne s’applique pas dans le cas présent. Non seulement les demanderesses n’emploient pas la marque nominale déposée des défenderesses, mais l’emploi qu’elles font de leurs propres marques de commerce figuratives n’amène pas les consommateurs à croire à tort que leur produit est associé de quelque façon que ce soit à celui des défenderesses. Pour ces deux raisons, je ne peux pas conclure que l’article 20 a été enfreint.

 

[292]       Pour les mêmes raisons, il faut considérer que les marques de commerce figuratives ROOFTOP sont valides. Comme je l’ai mentionné précédemment, les défenderesses soutenaient que les enregistrements nos LMC252082, LMC252083, LMC254670, LMC274442, LMC465532 et LMC670898 étaient invalides à la date à laquelle elles ont modifié leur défense (c.‑à‑d. le 1er mars 2010), parce que ces marques ne distinguent pas les produits de Philip Morris, contrairement à l’article 2 et à l’alinéa 18(1)b) de la Loi. Cet argument n’est pas fondé. Les marques de commerce figuratives ROOFTOP ont été valablement enregistrées et jouent correctement leur rôle à titre de marques de commerce. La preuve démontre que les marques des demanderesses distinguent en fait les produits que celles‑ci vendent sur le marché canadien. Dans la mesure où certains consommateurs associent ces marques aux produits Marlboro internationaux de Philip Morris, ils ne sont pas induits en erreur, car il s’agit bien de la source des produits Rooftop. 

 

[293]       Outre ce motif d’invalidité, les défenderesses ont allégué que les marques faisant l’objet des enregistrements nos LMC465532 et LMC670898 n’auraient pas dû être enregistrées, parce que les demanderesses n’avaient pas droit à leur enregistrement puisqu’elles créaient de la confusion avec la marque nominative MARLBORO des défenderesses à la date des enregistrements. Pour des raisons qui devraient maintenant être parfaitement claires, je ne peux pas conclure que ces marques créent de la confusion ou sont trompeuses en elles‑mêmes ou en raison de leur emploi sur les paquets sans nom des demanderesses.

 

E. L’enregistrement de la marque MARLBORO est‑il valide?

[294]       Les demanderesses allèguent que, s’il y a confusion, ce n’est pas entre leurs produits sans nom et la marque Marlboro des défenderesses, mais plutôt entre cette marque et la marque Marlboro internationale de PM. En conséquence, l’enregistrement de la marque MARLBORO des demanderesses devrait être radié du registre des marques de commerce, étant donné que cette marque n’est pas distinctive et contrevient ainsi à l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

 

[295]       Il a été mentionné précédemment que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si la marque n’est pas distinctive à l’époque où sont introduites les procédures contestant la validité de la marque (c.‑à‑d. le 1er mars 2010). La marque de commerce doit continuer de distinguer les marchandises avec lesquelles elle est employée de celles d’autres propriétaires. La marque de commerce doit en fait servir d’indicateur de la qualité et de la provenance des marchandises sur lesquelles elle est apposée.

 

[296]       L’avocat des demanderesses a soutenu qu’une grande proportion de fumeurs canadiens continuent d’associer les produits Marlboro d’ITL aux produits internationaux de Philip Morris qui sont vendus à l’extérieur du Canada sous le nom « Marlboro ». Les demanderesses corroborent de nombreux aspects très importants des conclusions d’un sondage similaire mené au début des années 1980 aux fins d’un différend opposant les mêmes parties. Selon ce sondage, 72 % des répondants qui croyaient reconnaître le produit Marlboro canadien d’ITL (le paquet de couleur beige de 2001 ou le paquet de couleur argent de 2007) ont expliqué que cela était attribuable au fait qu’ils reconnaissaient un produit vendu à l’extérieur du Canada. Comme Philip Morris est la seule société qui commercialise les cigarettes Marlboro à l’extérieur du Canada et comme ces cigarettes sont les plus vendues dans le monde, M. Klein a conclu que ces répondants semblaient faire référence aux produits Marlboro de Philip Morris vendus à l’extérieur du Canada. 

 

[297]       L’avocat des demanderesses a aussi soutenu que ces conclusions sont conformes aux témoignages des consommateurs entendus à l’audience. M. Lloyd et Mme Horrigan ont déclaré devant la Cour qu’ils ont acheté les cigarettes Marlboro canadiennes des défenderesses parce qu’ils ont établi à tort un lien entre la marque de commerce MARLBORO figurant sur le paquet et les produits Marlboro internationaux de Philip Morris. Ils se sont immédiatement rendu compte de la nature et du goût différents de la cigarette Marlboro canadienne d’ITL et ils n’ont plus jamais acheté ce produit par la suite. Toutefois, j’ai mentionné précédemment que ces consommateurs ne sont pas nécessairement représentatifs et qu’une valeur probante limitée peut être attribuée à leurs témoignages.

 

[298]       Selon les défenderesses cependant, les résultats du sondage effectué par M. Klein ne sont pas très différents de ceux du sondage mené dans les années 1980 dont il a été question ci‑dessus. Le nombre de fumeurs qui associent la marque Marlboro des défenderesses aux produits Marlboro internationaux de PM aurait assurément diminué légèrement au fil des ans.

 

[299]       L’avocat des demanderesses soutient néanmoins que les arguments de politique qui ont amené la Cour à conclure, dans les années 1980, que l’enregistrement de la marque de commerce MARLBORO était valide ne sont plus convaincants aujourd’hui pour deux raisons. Premièrement, les retombées que la publicité menée aux États‑Unis avaient dans les années 1980 ne sont plus un facteur aujourd’hui, car les produits Marlboro internationaux des demanderesses n’ont pas fait l’objet de publicité imprimée ou télévisée depuis la fin des années 1990. Deuxièmement, l’absence de caractère distinctif de la marque de commerce MARLBORO des défenderesses au Canada est aujourd’hui le résultat direct des propres actions des défenderesses. Examinons ces deux raisons.

 

[300]       En ce qui concerne l’absence de retombées de la publicité au Canada, il faut d’abord mentionner que, lorsque le juge Rouleau a rendu sa décision en 1985, il y avait au moins dix ans que la publicité diffusée à la télévision américaine n’était plus vue au Canada. Par ailleurs, il est vrai que les publications américaines contenant des publicités de Marlboro faisaient l’objet d’une très grande diffusion à l’époque. Cependant, la connaissance que les fumeurs canadiens et les consommateurs canadiens en général peuvent avoir des produits Marlboro vendus sur le marché international ne découle pas exclusivement des médias imprimés. Dans une ère de médias électroniques, de tourisme de masse et même d’un marché noir qui sévit dans certaines régions du pays, sans parler des événements internationaux qui continuent à être commandités par la marque Marlboro de Philip Morris, il est plus que probable que le nombre de Canadiens qui ont été exposés à la cigarette la plus vendue dans le monde soit toujours élevé. Je ne peux donc pas partager l’avis des demanderesses selon lequel la politique juridique et les motifs sous‑tendant la décision du juge Rouleau ne sont plus pertinents aujourd’hui. Les propos de la Cour d’appel fédérale s’appliquent avec la même force aujourd’hui qu’à l’époque :

[traduction] En d’autres termes, les retombées, au Canada, de la publicité parue dans des périodiques américains peuvent être pertinentes au regard de l’enregistrement initial d’une marque au Canada ou lorsqu’il n’y a pas de cession légale, elle ne peut être réputée créer un utilisateur au Canada qui peut subséquemment invalider l’enregistrement légitime fondé sur un transfert valide de titre à l’inscrit canadien. La conclusion contraire reviendrait à assujettir les inscrits canadiens à une force majeure indépendante de leur volonté.

 

Philip Morris Inc. c. Imperial Tobbaco Ltd. (No. 1), précité, à la page 297.

 

 

[301]       L’avocat des demanderesses a essayé de s’appuyer sur les arrêts prononcés par la Cour suprême dans Crothers Co. Ltd. c. Williamson Canada Co. (1925), 2 D.L.R. 844, et par la Cour d’appel fédérale dans Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc. (1976), 30 C.P.R. (2d) 40, pour faire valoir que l’objet et les objectifs généraux du droit canadien relatif aux marques de commerce font obstacle au maintien de la validité de l’enregistrement de la marque MARLBORO des défenderesses. Dans la première de ces affaires, la défenderesse avait tenté d’enregistrer un nom qui avait d’abord été employé et enregistré aux États‑Unis. Dans la deuxième, deux sociétés de bois d’œuvre – une canadienne et une américaine – faisaient partie du même groupe de sociétés. Après la scission du groupe en trois entités (Moore Florida, Moore Oregon et Moore Canada), la société canadienne a obtenu l’enregistrement de la marque MOORE au Canada. La Cour d’appel a radié cet enregistrement après avoir conclu que la société au Canada avait continué de tabler sur l’héritage et la réputation des sociétés américaines qui existaient depuis longtemps, malgré le fait qu’elle en avait été séparée des années auparavant. Dans les deux cas, le tribunal a conclu que le public avait été induit en erreur par l’emploi d’une marque étrangère au Canada. 

 

[302]       La situation est totalement différente en l’espèce. Loin d’avoir enregistré illégitimement un nom qui a d’abord été utilisé aux États‑Unis, les défenderesses ont acquis les droits relatifs à la marque de commerce MARLBORO du prédécesseur en titre des demanderesses avant l’enregistrement. À moins que l’on puisse démontrer que les défenderesses ont employé leur marque de manière à tromper les consommateurs et à amener le public à croire que leurs cigarettes Marlboro sont de la même marque que les cigarettes Marlboro vendues sur le marché international, leur enregistrement ne peut pas être radié pour absence de caractère distinctif.

 

[303]       Il s’agit précisément de l’argument subsidiaire que font valoir les demanderesses. L’avocat a laissé entendre que la marque de commerce MARLBORO des défenderesses n’est plus distinctive, mais pas à cause d’une force majeure sur laquelle les défenderesses n’ont eu aucune prise au cours des 25 dernières années. Les demanderesses font plutôt valoir que les défenderesses ont trompeusement profité de l’absence de caractère distinctif de leur marque MARLBORO au Canada en laissant délibérément les fumeurs canadiens associer leur marque aux produits Marlboro internationaux de PM, plutôt que de créer leur propre achalandage et leur propre identité de marque.

 

[304]       L’avocat des demanderesses a donné les exemples suivants au soutien de sa thèse selon laquelle les défenderesses ont délibérément favorisé le faible caractère distinctif de la marque de commerce MARLBORO et tenté de profiter de celui‑ci :

D.                le thème du cowboy et de la campagne utilisé dans la publicité du projet Ranch en 1970, dans le prétendu but de se servir et de profiter de l’achalandage du produit Marlboro international de Philip Morris;

E.                 les modifications apportées par les défenderesses à l’habillage des paquets de 2001 et de 2007;

F.                  le [traduction] « projet Marlboro » (1995) et le [traduction] « projet Alaska » (2007) des défenderesses, dans la mesure où ils visaient et attaquaient la valeur intrinsèque de la marque des produits des demanderesses;

G.                le [traduction] « Guide sur les produits de substitution » de 2009 des défenderesses, dans lequel celles‑ci tentent vraisemblablement de mettre sur le même pied leur cigarette Marlboro canadienne à mélange de Virginie et des produits à mélange américain comme les cigarettes Rooftop des demanderesses.

 

[305]       Je suis loin d’être convaincu cependant que cette conduite est suffisante pour démontrer que les défenderesses ont eu un comportement trompeur. Bien au contraire, il me semble qu’elles ont déployé des efforts systématiques pour différencier leur produit de celui des demanderesses. Par exemple, la campagne « Real Marlboro » que les défenderesses ont menée au Canada à la fin de 2006 constituait clairement une réponse directe au lancement de la marque Rooftop. Dans le même ordre d’idées, le [traduction] « projet Ranch » avait pour but de mettre en échec le lancement du produit Maverick des demanderesses. Il est vrai que l’on pourrait considérer que les thèmes du plein air et des montagnes du projet Ranch sont très semblables au thème associé à la Marlboro de PM, mais, comme l’ont fait remarquer les auteurs du projet, ce concept a été utilisé avec succès dans presque tous les pays et il était lié autant à la psyché canadienne qu’à l’Ouest américain. Contrairement aux situations décrites dans Crothers et dans Moore Dry Kiln, précités, les défenderesses n’employaient pas des marques de commerce déposées aux États‑Unis à l’égard desquelles elles ne possédaient aucun droit. Elles essayaient plutôt de tirer le maximum d’un nom qu’elles avaient légitimement acquis de nombreuses années auparavant. Le fait que, en employant ce nom pour vendre des cigarettes, les défenderesses ont peut‑être tiré profit des impressions positives associées à ce nom à l’échelle internationale ne peut donc pas être retenu contre elles. En outre, je ne vois pas comment on peut reprocher aux défenderesses d’avoir ciblé les produits des demanderesses avec leur [traduction] « projet Marlboro » et leur [traduction] « projet Alaska »; dans une économie de marché libre, le positionnement de produits par rapport à la concurrence est courant et ne doit pas être entravé, sauf s’il est trompeur.

 

[306]       En ce qui concerne le [traduction] « Guide sur les produits de substitution », la preuve produite au procès est incertaine. En premier lieu, la mesure dans laquelle les représentants des ventes des défenderesses se servent de ce guide n’est pas claire. En deuxième lieu, les défenderesses prétendent (et cette prétention est étayée par les termes employés dans le Guide même) que les marques présentées comme des produits pouvant remplacer les produits des demanderesses ne sont pas choisies en fonction de leur mélange, mais plutôt en tenant compte de la taille des cigarettes et du format des paquets. Cet argument n’est pas totalement convaincant, même si je conviens que les deux autres produits de substitution pour les cigarettes filtres Camel et les cigarettes Winston qui sont mentionnés sont faits d’un mélange de Virginie et que leur goût ressemble davantage à celui de la Marlboro des défenderesses qu’à une cigarette à mélange américain. En résumé, la preuve est loin d’être concluante en ce qui concerne le [traduction] « Guide sur les produits de substitution ». De plus, avant la création du marché invisible, les défenderesses contrôlaient l’endroit où leurs produits étaient placés dans les magasins, en concluant des ententes avec les détaillants. La preuve semble indiquer que, à cette époque, leurs cigarettes Marlboro étaient placées sur une tablette réservée à leurs produits et étaient séparées des produits des demanderesses. À la lumière de l’ensemble de ce contexte, il ne serait pas justifié de conclure que le [traduction] « Guide sur les produits de substitution » illustre le comportement trompeur des défenderesses.

 

[307]       Enfin, il n’a pas été démontré que les modifications apportées à l’habillage du paquet du produit Marlboro des défenderesses visaient de manière frappante à imiter l’habillage au toit rouge des demanderesses et l’habillage du paquet de Marlboro vendu sur le marché international. Si les paquets de 2001 et de 2007 des Marlboro des défenderesses pourraient, à certains égards, ressembler davantage à la marque Marlboro internationale de PM et, en conséquence, violer le droit d’auteur des demanderesses (cette question sera analysée dans la deuxième partie des présents motifs), ils ne leur ressemblent certainement pas suffisamment pour qu’ils soient trompeurs. En fait, l’utilisation d’une feuille d’érable rouge sur le paquet de 2007 et du mot « Canadian » ou « Canadien » sous le mot « Marlboro » serait susceptible de différencier le produit des défenderesses du produit américain des demanderesses. Si ce n’était de l’emploi du même mot à titre de marque de fabrique des deux produits, il ne pourrait nettement pas y avoir de confusion entre les deux. 

 

[308]       En résumé, je ne suis pas convaincu par les arguments avancés par les demanderesses au soutien de leur prétention selon laquelle la marque de commerce MARLBORO des défenderesses n’est pas distinctive et son emploi est trompeur. Peu importe qu’ils soient considérés séparément ou ensemble, ces arguments ne sont pas suffisants pour infirmer les décisions rendues par la Cour et par la Cour d’appel il y a 25 ans environ. Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus donc que les marques de commerce figuratives ROOFTOP des demanderesses et la marque nominale MARLBORO des défenderesses sont valides et que les demanderesses n’ont pas enfreint les articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce. En conséquence, la demande présentée par les demanderesses afin que la Cour déclare qu’elles n’ont pas enfreint ces dispositions est accueillie et la demande reconventionnelle dans laquelle les défenderesses font valoir que leur marque a été contrefaite est rejetée.

 

VI.  Analyse : La question relative au droit d’auteur

A. Les paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1996, 2001 et 2007 violent‑ils le droit d’auteur que possède PMPSA à l’égard de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro, selon les articles 2, 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur, et ces paquets contreviennent‑ils à l’accord intervenu entre les parties en 1952?

[309]       Les demanderesses allèguent que les versions de 1996, de 2001 et de 2007 de l’habillage des paquets de Marlboro des défenderesses violent le droit d’auteur de Philip Morris sur son habillage au toit rouge du paquet de Marlboro, contrairement aux articles 27 et 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Les œuvres en question sont reproduites ci‑dessous pour plus de commodité :

      

 

[310]       Les parties s’entendent sur le fait que l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro est une œuvre artistique originale créée par Francesco Gianninoto en 1955. Il a été mentionné précédemment que M. Gianninoto a confirmé, dans un affidavit signé en 1987, qu’il avait créé l’œuvre seul et que le droit d’auteur sur celle‑ci avait été cédé en entier à Philip Morris. Les parties conviennent également que PMPSA est le titulaire, par suite d’une cession, de ce droit d’auteur au Canada. M. Gianninoto étant décédé en 1988, le droit d’auteur canadien sur l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro subsistera jusqu’en 2038.

- Loi sur le droit d’auteur, L.R. (1985), ch. C-42, articles 2 (définition d’« œuvre artistique »), 5 et 6.

 

[311]       Le droit d’auteur sur une œuvre confère à son titulaire un monopole en matière de production ou de reproduction de l’œuvre ou d’une partie importante de celle‑ci (Loi sur le droit d’auteur, article 3). En d’autres termes, la protection du droit d’auteur confère le droit d’empêcher toute reproduction de l’œuvre. L’acte de reproduction est un ingrédient essentiel de la violation du droit d’auteur. Si un auteur indépendant arrive aux mêmes résultats par des moyens indépendants plutôt que par la reproduction, il n’y a pas violation du droit d’auteur : Hutton c. Canadian Broadcasting Corp. (1992), 41 C.P.R. (3d) 45, à la page 48. En outre, le droit d’auteur protège une expression fixée particulière d’une idée; il ne protège pas l’idée elle‑même. Le titulaire du droit d’auteur ne peut donc exercer aucun monopole sur l’utilisation de l’idée que son œuvre exprime.

 

[312]       Il ne fait aucun doute que PMPSA n’a jamais consenti à la reproduction de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro par les défenderesses au Canada. En fait, dans l’accord conclu en 1952, ITL a convenu et reconnu qu’elle n’avait pas le droit de reproduire ou d’imiter les étiquettes, habillages ou publicités des demanderesses et qu’elle se garderait de le faire :

[traduction] Le 27 août, nous sommes parvenus à un accord ferme selon lequel nous [ITL] n’avions aucun droit d’utiliser la publicité que vous [Philip Morris] aviez créée ou de la copier, ni d’utiliser les slogans que vous pourriez créer maintenant ou dans l’avenir ou tout nouvel habillage ou changement que vous pourriez apporter aux anciens habillages. […] L’idée générale était d’arriver à un accord et de vous donner l’assurance ferme que Tuckett n’avait pas le droit de suivre les changements que vous pourriez apporter à l’habillage et à l’apparence du paquet ou de copier les différentes campagnes de publicité ou de reproduire celles en cours ou celles qui pourraient être lancées dans l’avenir.

 

Exposé conjoint des faits, paragraphe 18 et annexe 5.

 

 

[313]       L’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que la reproduction d’une « partie importante » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur constitue une violation de celui‑ci :

Règle générale

 

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

 

Violation à une étape ultérieure

 

(2) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre, d’une fixation d’une prestation, d’un enregistrement sonore ou d’une fixation d’un signal de communication alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit :

 

a) la vente ou la location;

 

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

 

c) la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public, dans un but commercial;

 

d) la possession en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c);

 

e) l’importation au Canada en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Précision

 

(3) Lorsqu’il s’agit de décider si les actes visés aux alinéas (2)a) à d), dans les cas où ils se rapportent à un exemplaire importé dans les conditions visées à l’alinéa (2)e), constituent des violations du droit d’auteur, le fait que l’importateur savait ou aurait dû savoir que l’importation de l’exemplaire constituait une violation n’est pas pertinent.

 

Planches

 

(4) Constitue une violation du droit d’auteur la confection d’une planche conçue ou adaptée précisément pour la contrefaçon d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur, ou le fait de l’avoir en sa possession.

 

Représentation dans un but de profit

 

(5) Constitue une violation du droit d’auteur le fait, dans un but de profit, de permettre l’utilisation d’un théâtre ou d’un autre lieu de divertissement pour l’exécution en public d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur sans le consentement du titulaire du droit d’auteur, à moins que la personne qui permet cette utilisation n’ait ignoré et n’ait eu aucun motif raisonnable de soupçonner que l’exécution constituerait une violation du droit d’auteur.

Infringement generally

 

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

 

Secondary infringement

 

 

(2) It is an infringement of copyright for any person to

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) sell or rent out,

 

(b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

 

(c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

 

 

(d) possess for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), or

 

(e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c),

 

a copy of a work, sound recording or fixation of a performer’s performance or of a communication signal that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.

 

Knowledge of importer

 

(3) In determining whether there is an infringement under subsection (2) in the case of an activity referred to in any of paragraphs (2)(a) to (d) in relation to a copy that was imported in the circumstances referred to in paragraph (2)(e), it is irrelevant whether the importer knew or should have known that the importation of the copy infringed copyright.

 

Plates

 

(4) It is an infringement of copyright for any person to make or possess a plate that has been specifically designed or adapted for the purpose of making infringing copies of a work or other subject-matter.

 

 

Public performance for profit

 

 

(5) It is an infringement of copyright for any person, for profit, to permit a theatre or other place of entertainment to be used for the performance in public of a work or other subject-matter without the consent of the owner of the copyright unless that person was not aware, and had no reasonable ground for suspecting, that the performance would be an infringement of copyright.

 

 

 

[314]       L’article 2 de la Loi, dans la définition de « contrefaçon », interdit également toute « imitation déguisée » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur.

 

[315]       Pour que la Cour conclue qu’il y a eu contrefaçon, les demanderesses doivent établir deux éléments essentiels. Premièrement, les œuvres doivent être suffisamment similaires pour que l’œuvre qui serait contrefaite puisse être considérée comme une copie ou une reproduction de l’œuvre protégée. En d’autres termes, il faut démontrer qu’il existe une similitude importante entre l’œuvre originale et l’œuvre qui serait contrefaite. La question de savoir si les défenderesses ont violé le droit d’auteur en utilisant une grande partie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est essentiellement une question de fait. Deuxièmement, les demanderesses doivent démontrer que les défenderesses ont eu accès à l’œuvre protégée par le droit d’auteur, c’est‑à‑dire que cette œuvre a été la source dont découlait l’œuvre qui serait contrefaite. C’est ce qui est parfois appelé un « lien de causalité ».

H.                McKeown, J.S., Fox on Canadian law of copyright and industrial designs, 4e éd., feuilles mobiles (Toronto, Carswell, 2009), aux pages 21-10 à 21-12;

I.                   Hughes, R.T. et S. J. Peacock, Copyright and Industrial Design, 2e éd., feuilles mobiles (Markham, LexisNexis Canada, 2005), au paragraphe 63.

J.                   Énergie atomique du Canada limitée c. AREVA NP Canada Ltd., 2009 CF 980;

K.                Boutin c. Bilodeau (1992), 33 A.C.W.S. (3d) 781 (C.A. Qc).

 

 

[316]       Une simple similitude entre deux œuvres n’est pas suffisante pour établir le plagiat. Il faut qu’il y ait une similitude importante entre l’œuvre originale et l’œuvre qui serait contrefaite et que cette similitude soit observable lorsque les œuvres sont examinées dans leur ensemble. À moins qu’une partie importante d’une œuvre soit plagiée, il ne peut y avoir une cause d’action pour violation du droit d’auteur. Il faut se demander si la reproduction contient, sur le plan qualitatif et non quantitatif, une partie importante du talent et du jugement exercés par le créateur de la marque originale qui est protégée : Robertson c. Thompson Corp., 2006 CSC 43, au paragraphe 81. Il y a [traduction] « similitude importante » lorsque l’œuvre contestée [traduction] « se rapproche de l’original à tel point que quiconque y distinguerait l’idée créée par l’original; une telle similitude constitue une preuve prima facie de plagiat » : Hughes, R.T. et S.J. Peacock, Hughes on Copyright & Industrial Design, précité, au paragraphe 63. Voir aussi Ladbroke (Football) Ltd. c. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 All E.R. 465, à la page 477.

 

[317]       Le juge Richard (alors juge de la Cour fédérale) a énuméré des facteurs qui peuvent être pris en compte pour déterminer si la partie plagiée d’une œuvre est « importante » :

Pour que le tribunal puisse conclure à la violation d’un droit d’auteur, le demandeur doit établir que l’œuvre ou une partie importante de celle-ci a été copiée et que le plagiaire avait accès à l’œuvre protégée par le droit d’auteur. En l’espèce, la défenderesse a admis avoir copié une partie du formulaire d’U & R. Il s’agit donc maintenant d’examiner si la partie qui a été copiée était « importante » au sens que les tribunaux donnent à ce terme : [traduction] « ce qui constitue “une partie importante” est une question de fait et, à cet égard, les tribunaux ont accordé plus d’importance à la qualité des parties plagiées qu’à leur quantité ». […] Dans la jurisprudence antérieure, les tribunaux ont retenu, entre autres, les facteurs suivants :

 

(a) la qualité et la quantité des parties plagiées;

(b) la gravité de l’atteinte que l’utilisation du défendeur a portée aux activités du demandeur et la mesure dans laquelle la valeur du droit d’auteur s’en trouve diminuée;

(c) la question de savoir si le document plagié est protégé à bon droit par un droit d’auteur;

(d) la question de savoir si le défendeur s’est intentionnellement emparé de l’œuvre du demandeur pour épargner du temps et des efforts;

(e) la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d’une façon identique ou similaire au demandeur.

 

U&R Tax Services Ltd. c. H&R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257, à la page 268.

 

 

[318]       Lorsqu’elle examine la question de la violation du droit d’auteur, la Cour doit exclure de son examen toute partie de l’œuvre qui n’est pas protégée par le droit d’auteur. En l’espèce, le fait que les demanderesses ne détiennent pas de droit d’auteur à l’égard du mot « Marlboro » lui‑même est important. En conséquence, ce mot ne doit pas être pris en compte dans le cadre de l’examen de la question de la violation du droit d’auteur, même si des éléments graphiques appliqués par les défenderesses à ce mot peuvent néanmoins être inclus dans l’examen.

 

[319]       Comme il a été mentionné précédemment, il faut, en plus de la similitude importante, un lien de causalité entre les œuvres. Autrement dit, l’œuvre protégée par le droit d’auteur doit être la source de l’œuvre qui serait contrefaite : Grignon c. Rousell (1991), 38 C.P.R. (3d) 4, à la page 20; Shewan c. Canada (Attorney General) (1999), 87 C.P.R. (3d) 475, aux pages 496 à 500; U&R Tax Services Ltd. c. H&R Block Canada Inc., précitée, à la page 269.

 

[320]       Un tribunal peut conclure au plagiat lorsqu’une similitude importante existe et qu’il est établi que l’auteur de la copie qui serait contrefaite a eu accès à l’œuvre du demandeur, sauf s’il est saisi d’une preuve établissant la création indépendante. Une preuve démontrant que la deuxième œuvre a été créée indépendamment de la première constitue un moyen de défense absolu à une allégation de violation du droit d’auteur. On ne peut pas non plus conclure au plagiat si la similitude entre les œuvres découle de l’utilisation d’idées conventionnelles ou d’une source commune : Kilvington Brothers Limited c. Goldberg (1957), 28 C.P.R. 13, à la page 16; Collins et al. c. Rosenthal et al. (1974), 14 C.P.R. (2d) 143, aux pages 148 et 149.

 

[321]       Ayant énoncé les principes fondamentaux sur lesquels repose la Loi sur le droit d’auteur et décrit les conditions auxquelles il faut satisfaire pour que l’on puisse conclure à une violation du droit d’auteur, je dois maintenant examiner la preuve dont je dispose afin de déterminer si le droit d’auteur a été violé en l’espèce. À cette fin, je dois déterminer si les paquets des défenderesses ont une similitude importante avec les paquets des demanderesses au point où il faut considérer qu’ils sont une copie ou une reproduction de ceux‑ci et, le cas échéant, s’il existe un lien de causalité entre ces paquets de sorte que l’on puisse affirmer que le paquet des demanderesses est la source du paquet des défenderesses.

 

[322]       Selon la preuve produite au procès, l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro est une œuvre que les graphistes connaissent très bien et l’un des paquets de cigarettes les plus largement connus et reconnaissables dans le monde. Le regretté Don Watt, dont M. Candib a fait sien l’affidavit relativement à cet aspect, l’a décrit comme [traduction] « l’un des plus grands succès de la conception d’emballages de l’histoire ». M. Telmet a écrit dans son rapport que cet habillage est [traduction] « l’un des paquets de cigarettes les plus connus dans le monde », dont la force réside dans [traduction] « la simplicité, la puissance de l’échelle et la composition, ainsi que dans l’utilisation frappante de la couleur ». 

 

[323]       M. Watt a relevé quatre éléments graphiques particuliers qui sont, selon lui, les [traduction] « éléments les plus distinctifs et dont on se rappelle le plus » du paquet :

L.                 l’[traduction] « habillage au toit rouge », qui est composé de la forme d’un toit, de sa couleur [traduction] « rouge profond » et de sa position au haut du paquet. M. Watt était d’avis que l’habillage au toit rouge [traduction] « attirait l’œil » et donnait une apparence masculine et énergique au paquet;

M.               le mot MARLBORO tel qu’il est écrit sur le paquet. M. Watt a insisté surtout sur les [traduction] « modifications particulières » apportées à la police de caractères Corvinus Skyline et, en particulier, sur l’étirement vertical des lettres « M », « l » et « b », ces deux dernières lettres étant plus hautes que le « M » majuscule. Cette technique attire l’œil vers le sommet et le nom du fabricant du produit – PM USA –indiqué par l’emblème. Il a qualifié ce travail de [traduction] « manipulation inusitée » et l’effet général de [traduction] « frappant et inoubliable »;

N.                l’emblème « PM USA », qui comporte un centre de couleur rouge entouré d’un dessin de couleur or et qui est placé sous le sommet du toit rouge, mais au‑dessus du mot « Marlboro ». L’intensité du centre de couleur rouge, combinée au fait qu’il se trouve près du centre du paquet, le « l » et le « b » pointant vers lui, crée l’effet d’une cible;

O.                la bulle oblongue de couleur blanche intégrée dans l’habillage au toit rouge et contenant les mots [traduction] « cigarettes filtres ». 

M. Watt a aussi décrit deux autres éléments de l’habillage du paquet de Marlboro de Philip Morris, bien que, selon lui, ils soient moins importants que les quatre éléments mentionnés ci‑dessus : i) l’utilisation de la mention [traduction] « cigarettes de catégorie A » au bas du paquet et ii) la bande rouge au bas du paquet. Il était d’avis que ces deux dernières caractéristiques [traduction] « servent à établir une base et à donner du corps au paquet ».

 

[324]       Dans l’ensemble, M. Watt a qualifié les six caractéristiques décrites ci‑dessus d’[traduction] « éléments graphiques importants » du paquet de Philip Morris, qui, une fois combinés, composaient un [traduction] « habillage visuel frappant et distinctif ».

 

[325]       L’autre expert appelé à témoigner par les demanderesses, M. Gilles Robert, a aussi commenté dans son affidavit trois éléments graphiques relevés sur le paquet de Philip Morris. À son avis, le [traduction] « toit rouge », l’emblème et le mot « Marlboro », dont le « l » et le « b » étaient [traduction] « considérablement étirés » et étaient plus grands que le « M » majuscule, se combinaient pour composer l’habillage du paquet. Il a commenté expressément les modifications apportées aux caractères écrits avec la police Corvinus Skyline utilisée par M. Gianninoto.

 

[326]       Lors de son contre‑interrogatoire, M. Robert a dit ce qui suit au sujet du paquet de Marlboro de Philip Morris. Premièrement, il a dit que l’habillage au toit rouge est l’un des principaux éléments visuels du paquet de Philip Morris. Il était d’accord avec M. Watt sur le fait que cet habillage était [traduction] « frappant et inoubliable » et l’un des [traduction] « principaux éléments graphiques du paquet », les deux autres étant l’emblème et le mot « Marlboro ». Il a dit aussi que la façon dont ce mot était écrit sur le paquet était [traduction] « tout à fait unique ». Enfin, il a convenu que la bulle oblongue de couleur blanche figurant sur le paquet de Philip Morris était un autre élément important, bien que non essentiel.

 

[327]       M. Till Telmet était l’expert en graphisme appelé à témoigner par les défenderesses. Il était d’accord en général avec M. Watt et les autres experts appelés comme témoins par les demanderesses au sujet des éléments graphiques les plus importants du paquet de Philip Morris. Il accordait toutefois une plus grande importance à la bande ou à la ligne rouge figurant au bas du paquet et moins d’importance à l’emblème. De plus, il était d’avis que la caractéristique [traduction] « entourant » le paquet de Philip Morris était importante. Quant à la police de caractères avec laquelle le mot « Marlboro » était écrit sur le paquet de Marlboro de Philip Morris, il a indiqué qu’il s’agissait d’une version de la police Corvinus Skyline qui avait été [traduction] « considérablement modifiée », en raison de l’étirement important des lettres « M », « l » et « b ».

 

[328]       En résumé, tous les experts en graphisme s’entendaient de manière générale sur les éléments graphiques les plus importants du paquet de Philip Morris, même si chacun n’attachait pas la même importance à chaque élément. Ces éléments sont les suivants :

P.                  l’habillage au toit rouge, constitué de la couleur rouge vif, de la forme d’un toit et de sa position au haut du paquet;

Q.                    la police Corvinus Skyline et la manipulation du mot « Marlboro » afin que les lettres « l » et « b » soient considérablement étirées par rapport aux autres lettres, y compris le « M » majuscule;

R.                    l’emblème et son dessin;

S.                      la bulle oblongue de couleur blanche placée dans l’habillage au toit rouge et contenant les mots [traduction] « cigarettes filtres »;

T.                     la bande ou la ligne rouge au bas du paquet;

U.                   la mention [traduction] « cigarettes de catégorie A » écrite au bas du paquet.

 

 

[329]       Les demanderesses admettent que l’apparence des paquets d’ITL de 1970, 1981 et 1988 est très différente de leur habillage au toit rouge du paquet de Marlboro qui est protégé par le droit d’auteur. Le marron et le beige étaient les couleurs utilisées sur le paquet de 1970, alors que le mot « Marlboro » était écrit en blanc, en italique, avec une police sans empattement – selon M. Robert, la police Avant Garde Gothic Demi – et le « m » en minuscule. De plus, le mot était placé le long du côté droit sur le devant du paquet. L’habillage des paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1981 et 1988 était très différent de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro. Les paquets étaient beiges avec des éléments de couleur noire et de couleur rouge. Un emblème de couleur or était placé dans un carré rouge dont les coins étaient arrondis. Il y avait une bande noire au centre du paquet. Le mot « Marlboro », dont le « m » était toujours en minuscule, était écrit en noir, avec une police sans empattement appelée Ronda Bold. Ces deux paquets étaient très différents de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro sur le plan du dessin, de la couleur et de la présentation.

 

[330]       Selon les demanderesses, en 1996 et, à nouveau, en 2001 et 2007, les défenderesses ont apporté des modifications systématiques à l’habillage des paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL en ce qui concerne le dessin, les couleurs, la présentation et la police de caractères.

 

[331]       Les demanderesses ont affirmé que le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1996 était très différent des précédents. Les défenderesses ont alors abandonné l’utilisation d’une police sans empattement et du « m » minuscule, et elles ont choisi une police à empattement appelée « Garamond » et ont commencé à employer un « M » majuscule. Le mot « Marlboro » et un emblème ont été placés au centre, sur le devant du paquet, et celui‑ci a été simplifié : les bandes centrales de couleur noire ont été supprimées, de sorte que le mot et l’emblème restants ressortaient davantage sur l’arrière‑plan plus pâle.

 

[332]       D’autres changements sont apparus sur le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 2001. L’emblème a été déplacé directement au‑dessus des lettres « l » et « b » du mot Marlboro. Une police avec empattement différente, l’Utopia Semibold, a été utilisée pour le mot « Marlboro », faisant en sorte que le « l » et le « b » étaient légèrement plus grands que le « M » majuscule et pointaient vers l’emblème. Enfin, selon M. Robert, le mot « Marlboro » était étiré d’environ 51 % par rapport au paquet de 1996 grâce à la nouvelle police. L’avocat des demanderesses prétendait que, à la suite de tous ces changements, la marque de fabrique ressemblait davantage au mot « Marlboro » faisant partie de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro.

 

[333]       Je ne peux pas souscrire aux prétentions des demanderesses lorsque j’examine les éléments particuliers mentionnés dans le paragraphe précédent ou la présentation et l’habillage dans l’ensemble. Non seulement je ne peux pas conclure à l’existence d’une similitude importante entre les œuvres dans l’ensemble, mais il y a très peu de similitudes entre les deux paquets de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL et les six éléments graphiques les plus importants de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro.

 

[334]       En premier lieu, les paquets de 1996 et de 2001 n’arborent pas le toit rouge ou un autre élément ayant une forme ou une couleur similaire. Cependant, M. Watt, dans son affidavit, et M. Candib, dans son témoignage, ont laissé entendre que les consommateurs pourraient peut‑être penser que l’avertissement sanitaire au haut du paquet des défenderesses couvre le toit rouge. M. Telmet n’était pas de cet avis. Selon lui, le toit rouge devrait, si cela était vrai, être visible sur les côtés du paquet en raison de la caractéristique [traduction] « entourant » le paquet des demanderesses. En outre, comme les différents paquets de cigarettes produits au procès le montrent clairement, les fabricants ont réagi aux exigences relatives à l’avertissement sanitaire en réduisant la taille de leurs habillages, non en en couvrant des parties, une chose que les consommateurs sont habitués à voir. Quoi qu’il en soit, cette opinion fondée sur des hypothèses qui a été exprimée par M. Watt et par M. Candib n’est pas pertinente au regard d’une allégation de violation du droit d’auteur. L’ingrédient essentiel de la violation du droit d’auteur est l’acte de reproduction. Si une similitude importante et un lien de causalité peuvent être utilisés pour conclure à la reproduction, aucune décision judiciaire ne permet de croire qu’il convient de déduire d’éléments graphiques qui ne se trouvent pas réellement sur l’œuvre protégée par le droit d’auteur qu’il existe une similitude importante. De manière générale, une impression erronée créée chez les consommateurs (et aucune preuve n’a été produite à cet égard) n’est pas un élément du critère servant à déterminer si le droit d’auteur a été violé. Ayant examiné avec soin la preuve d’expert des deux parties, je suis d’accord avec M. Telmet : le toit rouge n’est ni présent ni caché d’une quelconque façon derrière l’avertissement sanitaire.

 

[335]       Comme je l’ai mentionné précédemment, la Cour doit exclure de son examen toute partie de l’œuvre qui n’est pas protégée par le droit d’auteur. Il n’est pas contesté que le mot « Marlboro » ne fait pas partie en soi de l’œuvre des demanderesses qui est protégée par le droit d’auteur. Par conséquent, seuls les éléments graphiques appliqués à ce mot par les défenderesses peuvent être inclus dans l’examen de la question de la violation relative au mot. Il s’agirait essentiellement de la police de caractères utilisée par les défenderesses.

 

[336]       Sur le paquet de Philip Morris, le mot « Marlboro » est écrit en gras, avec une police avec empattement appelée Corvinus Skyline. De surcroît, et comme tous les experts l’ont reconnu, les caractères ont été grandement modifiés, par exemple le « M » a été étiré et encore plus le « l » et le « b ». L’étirement important de ces deux dernières lettres a notamment pour but d’accentuer le sommet de l’habillage au toit rouge. En outre, les caractères des demanderesses ont été condensés, ce qui donne au mot une apparence verticale. De manière générale, les experts estimaient que les modifications étaient tellement importantes que la forme des caractères était unique à Philip Morris.  

 

[337]       Les parties conviennent que les défenderesses n’utilisent pas les mêmes polices que les demanderesses sur les paquets contestés (y compris la version de 2007). La police Adobe Garmond est employée sur les paquets de 1996 et la police à empattement Utopia Semi-bold (une autre police Adobe) sur les paquets de 2001 et de 2007. Comme M. Telmet l’a décrit, les polices considérablement modifiées utilisées sur le paquet de Marlboro de Philip Morris et sur les paquets des défenderesses sont très différentes, la seule similitude étant le fait qu’il s’agit dans les deux cas d’une police à empattement.

- Pièce D-40 (affidavit de Till Telmet), au paragraphe 51.

 

[338]       Contrairement à la police considérablement modifiée utilisée par les demanderesses, celles choisies par les défenderesses sont offertes sur le marché et la taille et la forme des lettres n’ont pas été modifiées par les défenderesses. En particulier, la preuve a établi clairement que les défenderesses n’ont pas étiré le « l » et le « b » sur les paquets de 1996, 2001 et 2007. Les graphistes des défenderesses ont seulement comprimé ou condensé le mot « Marlboro » dans une certaine mesure, ce qui n’a cependant pas modifié la taille relative des lettres, comme l’a démontré M. Telmet dans sa propre analyse de la police Utopia Semi Bold utilisée par les défenderesses. 

 

[339]       Dans son affidavit, M. Watt a convenu qu’il y a des différences entre les polices utilisées sur le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 1996 et sur le paquet de Marlboro américaines de PM. Il a constaté que le mot « Marlboro » est moins condensé sur le paquet d’ITL que sur le paquet de PM. De plus, les empattements sont différents : ceux de la police utilisée par PM sont très fins et nettement définis, tandis que ceux de la police utilisée par ITL sont plus arrondis. Il n’a pas dit que les deux polices sont similaires, mais seulement que l’utilisation d’une police à empattement et d’un « M » majuscule sur le paquet d’ITL de 1996 constituait un changement important.

 

[340]       Pour ce qui est de M. Robert, son opinion selon laquelle les défenderesses avaient étiré verticalement le « M », le « l » et le « b » du mot « Marlboro » sur leur paquet de 1996 reposait sur l’hypothèse erronée qu’elles avaient utilisé la police Utopia Semi Bold. M. Robert a admis au cours de son contre‑interrogatoire qu’il s’était trompé et que, en fait, les défenderesses avaient plutôt employé la police Adobe Garamond, et que sa conclusion concernant la supposée manipulation des lettres par les défenderesses n’était pas fondée.

 

[341]       En ce qui concerne le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 2001, M. Robert et M. Watt (avec lesquels M. Candib étaient d’accord) étaient d’avis que les caractères avaient été étirés verticalement par rapport à l’apparence du mot sur le paquet de 1996, ce qui faisait en sorte qu’ils ressemblaient davantage à ceux figurant sur le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM.

 

[342]       Dans son affidavit et au procès, M. Telmet a cependant démontré que ce qui peut sembler être un étirement de la hauteur relative du mot « Marlboro » pourrait tout autant découler d’une simple compression du mot. D’ailleurs, M. Chevillot a fait une démonstration graphique dynamique à cet égard à l’aide d’un ordinateur devant la Cour. En fait, M. Telmet a démontré que les caractéristiques générales de la police Utopia Semibold sont essentiellement conservées, en superposant les caractères de cette police (comprimée à 70 %) aux caractères utilisés par ITL sur le paquet de 2007. Malgré le fait que la police utilisée sur le paquet de 2007 est encore plus comprimée que celle utilisée en 2001, il n’y a pas de différence perceptible entre la version comprimée et sans fioritures du mot « Marlboro » et la police qui a en fait été utilisée sur le paquet de 2007. Ces modifications très mineures effectuées par les défenderesses doivent être mises en contraste avec la modification fondamentale apportée à la police Corvinus Skyline par M. Gianninoto sur le paquet de cigarettes Marlboro américaines des demanderesses.

 

[343]       Il est bien possible que les paquets de Marlboro d’ITL aient ressemblé davantage aux paquets de cigarettes Marlboro américaines de PM par suite de l’adoption d’une police à empattement en 1996 et de la modification apportée à la police Utopia Semibold en 2001. M. Telmet et M. Candib (en contre‑interrogatoire) ont cependant convenu que l’utilisation de polices à empattement est courante dans le domaine du marketing de nos jours et que cette famille de polices est utilisée sur un certain nombre d’autres paquets de cigarettes. De plus, il convient de noter que les défenderesses utilisaient une police à empattement sur leurs paquets entre 1924 et 1970.

 

[344]       Quant au choix de la police Utopia Semibold par les défenderesses, dont l’une des caractéristiques réside dans le fait que les lettres « l » et « b » minuscules sont plus grandes que le « M » majuscule, il me suffit de dire que cette différence concernant la taille des lettres est à peine perceptible et est bien différente de l’étirement frappant du « l » et du « b » sur le paquet américain de PM. Lorsque je regarde les deux polices l’une à côté de l’autre et de manière isolée, je ne peux pas conclure qu’elles ont une similitude importante. Cela est encore plus clair lorsque l’on remplace le mot « Marlboro » par le mot « Carlbone » sur le paquet d’ITL, comme l’a montré M. Telmet, l’un des témoins des défenderesses. À part le fait que les deux polices sont à empattement, il y a une très faible similitude entre elles. En fait, il existe un certain nombre de polices qui ressemblent davantage à la police Corvinus Skyline que l’Utopia Semibold utilisée par les défenderesses, comme M. Telmet l’a démontré dans son affidavit.

 

[345]       Ce qui m’amène à l’emblème, le seul des six éléments graphiques les plus importants du paquet des demanderesses qui se retrouve aussi sur le paquet des défenderesses. L’emblème a été placé sous le mot « Marlboro » sur le paquet de Marlboro d’ITL de 1996, puis directement au centre, au‑dessus des lettres « l » et « b » du mot Marlboro en 2001.

 

[346]       Je rappelle que les défenderesses ont continuellement utilisé un emblème sur leurs paquets de Marlboro pendant près de 50 ans, soit entre 1924 et 1970. L’emblème faisait partie des droits cédés aux prédécesseurs en titre des défenderesses par les prédécesseurs des demanderesses en 1924. Les défenderesses ont réintroduit en 1981 une version modifiée de l’emblème original sur leur paquet de Marlboro, qu’elles ont utilisé sans interruption jusqu’en 2007. Si les demanderesses s’opposaient à l’utilisation de cet emblème en soi, il serait un peu tard, mais elles s’opposent en fait à l’utilisation de l’emblème avec tous les autres éléments et caractéristiques des paquets de Marlboro d’ITL. Je dois donc examiner l’emblème avec soin.

 

[347]       Les défenderesses affirment à juste titre que, en qualité de cessionnaires de l’emblème original au Canada, elles avaient et ont toujours le droit de l’utiliser. Elles n’ont toutefois pas le droit de le modifier de façon qu’il ressemble trop à l’emblème Marlboro de Philip Morris. Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Garguilo a reconnu que la nouvelle version de l’emblème utilisée par les défenderesses est une version simplifiée et modernisée de l’emblème traditionnel. Il a également convenu avec l’avocat des défenderesses que les deux emblèmes – l’ancien et le nouveau – comportent deux animaux, un symbole circulaire dans le centre, une couronne sur le dessus et une bannière dans le bas.

 

[348]       Lorsqu’on examine les emblèmes ornant les paquets de Marlboro d’ITL de 1996 et de 2001 et le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM, on doit conclure qu’ils ont certaines similitudes au chapitre des couleurs utilisées et des animaux représentés. Ils sont toutefois différents à d’autres égards. Sur le paquet d’ITL, l’emblème est enchâssé dans un carré rouge, la devise « veni, vidi, vici » est remplacée par une bannière sans aucun texte et il n’y a pas de couronne ni de cercle rouge entre les deux animaux tenant les lettres PM. Vu ces différences, je ne suis pas convaincu que l’on peut considérer que l’emblème des défenderesses a une similitude importante avec celui des demanderesses. On peut tout aussi bien considérer qu’il s’agit d’une version modernisée de l’ancien emblème. Quoi qu’il en soit, pour conclure que les deux emblèmes se ressemblent trop, il faudrait considérer que l’emblème est une partie suffisamment importante de l’habillage du paquet des demanderesses pour constituer une contrefaçon de cet habillage en raison uniquement de sa similitude. Aucun des experts n’a témoigné en ce sens. L’emblème est tout au plus l’une des six caractéristiques principales du paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM. 

 

[349]       Les trois dernières caractéristiques du paquet de Marlboro américaines de PM peuvent être passées en revue rapidement. Premièrement, les parties conviennent que la bulle oblongue de couleur blanche superposée au toit rouge sur le paquet de Marlboro de PM ne figure pas sur les paquets des défenderesses. Deuxièmement, elles conviennent également que la bande rouge au bas du paquet de Marlboro de PM, considérée par les trois experts comme un élément graphique important donnant une base et du corps au paquet, n’apparaît pas sur les paquets des défenderesses. Troisièmement, elles s’entendent sur le fait que la mention [traduction] « cigarettes de catégorie A » ornant le paquet de Marlboro de PM ne se trouve pas sur les paquets des défenderesses.

 

[350]       À la lumière de ce qui précède, je ne peux considérer que les paquets de 1996 et de 2001 des défenderesses ont une similitude suffisante avec le paquet des demanderesses pour conclure qu’ils violent le droit d’auteur de celles‑ci. D’ailleurs, le propre expert des demanderesses, M. Candib, était d’avis que le paquet de 1996 des défenderesses n’avait pas une similitude suffisante avec le paquet de Marlboro de Philip Morris pour être considéré comme une copie.

 

[351]       Il est révélateur également que, dans leur propre document promotionnel destiné aux détaillants à l’occasion du lancement de leur produit sans nom, les demanderesses aient décrit l’habillage du paquet de 2001 des défenderesses comme étant [traduction] « très différent » de la nouvelle marque Rooftop de RBH (voir, ci-dessus, au paragraphe 64). Ce document aurait été approuvé à la fois par le service du marketing et par le service juridique de RBH (voir le contre‑interrogatoire de M. Guile, aux pages 483 et 484). Invité à commenter cette caractérisation du paquet de 2001 d’ITL lors de son contre‑interrogatoire, M. Robert a convenu qu’il était effectivement très différent du paquet de Rooftop. 

 

[352]       Enfin, le paragraphe 41(1) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit une prescription de trois ans pour les recours civils, que la Cour doit appliquer lorsqu’une partie l’invoque (paragraphe 41(2)). En l’espèce, la prescription a été invoquée dans la deuxième défense et demande reconventionnelle nouvellement modifiée des défenderesses, datée du 10 mars 2010.

Prescription

 

 

41. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le tribunal saisi d’un recours en violation ne peut accorder de réparations que si :

 

a) le demandeur engage des procédures dans les trois ans qui suivent le moment où la violation a eu lieu, s’il avait connaissance de la violation au moment où elle a eu lieu ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment;

 

b) le demandeur engage des procédures dans les trois ans qui suivent le moment où il a pris connaissance de la violation ou le moment où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait pris connaissance, s’il n’en avait pas connaissance au moment où elle a eu lieu ou s’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment.

 

Restriction

 

(2) Le tribunal ne fait jouer la prescription visée aux alinéas (1)a) ou b) qu’à l’égard de la partie qui l’a invoquée.

Limitation period for civil remedies

 

41. (1) Subject to subsection (2), a court may not award a remedy in relation to an infringement unless

 

 

(a) in the case where the plaintiff knew, or could reasonably have been expected to know, of the infringement at the time it occurred, the proceedings for infringement are commenced within three years after the infringement occurred; or

 

(b) in the case where the plaintiff did not know, and could not reasonably have been expected to know, of the infringement at the time it occurred, the proceedings for infringement are commenced within three years after the time when the plaintiff first knew, or could reasonably have been expected to know, of the infringement.

 

Restriction

 

(2) The court shall apply the limitation period set out in paragraph (1)(a) or (b) only in respect of a party who pleads a limitation period.

 

 

 

[353]       Les demanderesses ont modifié leur déclaration afin d’y inclure la violation du droit d’auteur, le 8 janvier 2008. La prescription empêcherait donc l’octroi de réparations relativement aux violations survenues avant le 8 janvier 2005. Il est juste de supposer que les demanderesses connaissaient ou auraient dû raisonnablement connaître les paquets de Marlboro de 1996 et de 2001 d’ITL avant 2005. Quoi qu’il en soit, le contre‑interrogatoire de Thomas Garguilo a révélé que les demanderesses connaissaient les paquets de Marlboro des défenderesses rendus publics en 1996 et en 2001 plus de trois ans avant le 8 janvier 2008, lorsqu’elles ont modifié leur déclaration. Il se pourrait bien que, comme il l’a mentionné, M. Garguilo ne se soit pas rendu compte que le paquet de 2001, considéré isolément et sans tenir compte du contexte des paquets de 1996 ou de 2007, faisait partie d’une série de changements progressifs. Or, chaque paquet doit être apprécié indépendamment des autres pour savoir s’il y a eu violation du droit d’auteur, et un continuum n’est pas nécessaire à cet égard. Pour cette raison, et à cause de la prescription, les demanderesses ne peuvent pas invoquer une violation du droit d’auteur, à tout le moins en ce qui concerne le paquet de 1996.

 

[354]       L’avocat des demanderesses prétendait que chaque acte de reproduction des habillages contestés constituait une violation. Étant donné que l’habillage du paquet de 2001 qui est contesté a été reproduit jusqu’en 2007, toutes les reproductions contrefaites depuis le 8 janvier 2005 ne seraient donc pas interdites en raison de l’expiration du délai de prescription. Bien qu’intéressant, cet argument n’est pas totalement convaincant. Il repose sur l’hypothèse que chaque nouveau paquet imprimé constituait une violation continue ou un nouvel acte de violation. On pourrait cependant prétendre avec autant de force que c’est l’habillage du paquet qui constitue la violation et que chaque reproduction de cet habillage sur les paquets ne représente pas un « acte » séparé ni même un « acte » continu de violation. Cette question n’a pas été débattue à fond par les parties et, en l’absence de précédents clairs sur le sujet, il est préférable de ne pas tirer une conclusion définitive sur ce point, car il n’est pas réellement nécessaire de le faire pour régler la présente affaire.

 

[355]       Si les paquets de 1996 et de 2001 des défenderesses ne peuvent pas être considérés comme ayant une similitude importante avec le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM, qu’en est‑il du paquet de Marlboro de 2007 d’ITL? Ressemble‑t‑il trop au paquet de Marlboro des demanderesses? Comme une grande partie des arguments des demanderesses concernaient ce paquet, il convient d’en traiter séparément.

 

[356]       L’avocat des demanderesses a soutenu que le paquet de Marlboro de 2007 d’ITL comportait d’autres changements importants par rapport aux paquets de 1996 et de 2001. Premièrement, la couleur de l’arrière‑plan n’était plus beige, mais argent. Le mot « Marlboro » était écrit en noir plutôt qu’en marron et était davantage condensé. Une ombre portée de couleur argent était ajoutée au mot « Marlboro » afin de le faire ressortir davantage. Selon l’avocat, ces modifications apportées au mot « Marlboro » ont fait en sorte que celui‑ci ressemble beaucoup au mot « Marlboro » figurant dans l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro.

 

[357]       L’emblème a aussi été modifié afin d’y ajouter une feuille d’érable de couleur rouge au centre. Les couleurs de l’emblème ont aussi été changées; alors qu’il était placé à l’intérieur d’un sceau carré de couleur rouge dont les coins étaient arrondis et, depuis 1981, que les figures étaient de couleur or, il était maintenant argent et une feuille d’érable rouge se trouvait au centre. L’emblème a été placé à dessein au centre sous le mot « Marlboro », de sorte qu’il a fallu espacer différemment les lettres afin qu’il donne l’impression d’être situé dans l’axe central.

 

[358]       Enfin, on a fait valoir que le choix des couleurs n’était pas anodin. D’abord, la couleur argent de l’arrière‑plan est l’une des trois seules couleurs utilisées sur les produits Rooftop à compter de 2006. Ensuite, le mélange de rouge et de noir de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro (emblème rouge, mot écrit en noir, ligne inférieure rouge) a aussi été reproduit sur le paquet de cigarettes Marlboro canadiennes d’ITL de 2007 (emblème rouge, mot écrit en noir, mot « Canadian » écrit en rouge).

 

[359]       En premier lieu, je ne suis pas convaincu qu’il est pertinent de faire une comparaison entre un paquet/habillage Rooftop de RBH de couleur argent et l’habillage du paquet de 2007 des défenderesses. La seule œuvre dont la contrefaçon est alléguée est l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro de Philip Morris. En fait, aucun des experts des demanderesses ne mentionne dans son rapport l’utilisation de la couleur argent par celles‑ci.

 

[360]       En deuxième lieu, je me permettrai de dire que l’emblème de 2007 est encore plus différent de l’emblème des demanderesses que l’emblème ornant les paquets de 1996 et de 2001 des défenderesses. L’emblème de 2007 des défenderesses est constitué essentiellement d’une feuille d’érable rouge placée dans un carré argent, ce qui est très différent de l’emblème des demanderesses, lequel est formé d’un ovale rouge contenant les lettres « PM » et entouré d’animaux de couleur or sans aucune bordure. On ne peut certainement pas reprocher aux défenderesses de se servir d’une feuille d’érable pour envoyer le message que leurs cigarettes sont canadiennes. À l’exception du fait qu’ils ont un centre de couleur rouge, les emblèmes des demanderesses et des défenderesses sont totalement différents.

 

[361]       M. Watt a laissé entendre que le mot « Canadian » figurant sur le paquet de 2007 des défenderesses est semblable à la bande rouge qui orne le paquet des demanderesses. Or, outre la couleur rouge, il n’y a aucune similitude. En outre, le mot « Canadian » n’entoure pas le paquet comme le fait la bande rouge et ne sert pas de plancher à un toit rouge inexistant.

 

[362]       Étant donné que le paquet de 2007, à l’instar de ceux de 1996 et de 2001, ne possède pas la plupart des caractéristiques du paquet Marlboro américain de PM, je conclus également que le paquet de Marlboro d’ITL de 2007 n’a pas une similitude importante avec le paquet des demanderesses et ne constitue pas une imitation déguisée de celui‑ci. Non seulement les deux paquets n’ont pas les mêmes éléments les plus importants, mais l’impression générale qui s’en dégage ne permet pas de conclure que l’un est la copie de l’autre. Si ce n’était de l’utilisation du même mot « Marlboro », une simple comparaison des deux paquets mènerait inévitablement à la conclusion que la ressemblance entre les deux est très faible et qu’ils ont très peu de choses en commun.

 

[363]       La preuve par sondage des demanderesses étaye aussi la conclusion selon laquelle le paquet des défenderesses ne viole pas le droit d’auteur des demanderesses sur leur paquet. Les paquets de 2001 et de 2007 des défenderesses ont fait l’objet d’un sondage effectué par l’expert en sondages des demanderesses, M. Klein. Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Klein a convenu que les résultats démontraient que, chaque fois qu’un fumeur associait le paquet des défenderesses et la marque des demanderesses, c’était uniquement en raison du nom « Marlboro ». Il est également intéressant de noter qu’un plus grand nombre de répondants ont fait un lien entre le paquet de 2001 des défenderesses et le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM qu’entre le paquet de 2007 des défenderesses et le paquet de cigarettes Marlboro américaines de PM.

 

[364]       Les résultats indiquaient également que, chaque fois qu’un fumeur établissait un lien entre le paquet des défenderesses et une autre marque en raison des éléments graphiques de ce paquet, il ne s’agissait jamais de la marque Marlboro de Philip Morris. En d’autres termes, aucun des 387 fumeurs à qui le paquet de 2001 ou de 2007 des défenderesses a été présenté ne semble associer le produit des défenderesses et celui des demanderesses en raison des éléments graphiques de chacun.

 

[365]       M. Klein a aussi effectué un sondage auprès de fumeurs concernant le produit Rooftop des demanderesses. Environ 25 % des 389 fumeurs sondés ont fait un lien entre ce produit et le produit Marlboro de Philip Morris. M.  Klein a souligné que, dans la mesure où les fumeurs associaient les deux produits en raison des éléments graphiques ornant le paquet de Philip Morris, ces éléments n’étaient pas présents sur les paquets de 2001 et de 2007 des défenderesses. En fait, aucun des répondants n’a fait un lien entre le produit Rooftop et les produits des défenderesses.

 

[366]       Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, je conviens avec les défenderesses que leurs paquets de Marlboro (1996, 2001 et 2007) n’ont pas une similitude importante avec le paquet des demanderesses et ne violent pas les droits de celles‑ci. En conséquence, il serait inutile que la Cour examine le deuxième élément qui doit être démontré pour qu’il y ait violation du droit d’auteur, à savoir l’existence d’un lien de causalité entre l’œuvre protégée par le droit d’auteur et l’œuvre qui serait contrefaite. Je dois cependant dire quelques mots à ce sujet, car les parties en ont traité dans leur argumentation.

 

[367]       Même si je concluais qu’il existe une similitude importante entre les paquets de 2001 et de 2007 des défenderesses et le paquet de Marlboro de Philip Morris, la preuve n’établit pas un lien de causalité qui permettrait de considérer que le paquet de Philip Morris a inspiré les modifications apportées aux paquets des défenderesses en 2001 et en 2007. Comme je l’ai mentionné précédemment, une allégation de violation du droit d’auteur peut être réfutée par une preuve de création indépendante, laquelle constitue un moyen de défense absolu à cette allégation. En l’espèce, selon de nombreux témoignages entendus au procès, les nouveaux habillages des paquets de 2001 et de 2007 des défenderesses étaient le produit d’un talent, d’un jugement et d’un travail indépendants, et non des copies du paquet de Marlboro de Philip Morris. En fait, la preuve indiquait que les chefs de marque internes et les agences de graphisme ont pris des mesures concrètes pour différencier l’habillage de ces paquets du paquet de Marlboro des demanderesses.

 

[368]       En ce qui concerne le paquet de 2001 des défenderesses, M. Richard Frasier, le chef de la marque Marlboro d’ITL à l’époque, et Mme Jennifer De Vito, la présidente de l’agence de graphisme responsable du paquet de 2001, ont déclaré dans leur témoignage :

V.                que le renouvellement de l’image du produit était motivé par la modification apportée à la législation canadienne, qui exigeait dorénavant que les fabricants de cigarettes laissent un espace plus grand sur les paquets pour les avertissements sanitaires;

W.               qu’Axion Design a été chargée de rafraîchir et d’actualiser l’apparence du paquet de 1996, tout en veillant à ce que les clients d’ITL reconnaissent le produit;

X.                qu’ITL n’a donné à Axion Design aucune instruction particulière à propos des couleurs, des polices de caractères ou de l’emplacement de l’emblème sur le nouveau paquet.

 

[369]       Si M. Frasier et Mme De Vito connaissaient l’habillage du paquet de Marlboro de Philip Morris, rien n’indique qu’ils ont tenté de le copier. Bien au contraire, ils ont déclaré dans leur témoignage qu’ils avaient pris des mesures particulières pour différencier le paquet de 2001 du paquet de Marlboro de Philip Morris.

 

[370]       Quant à l’habillage du paquet de 2007 des défenderesses, M. Louis‑Philippe Pelletier (le chef de la marque Marlboro d’ITL à l’époque) et M. Olivier Chevillot (un membre de l’agence de graphisme chargée de la conception du paquet de 2007) ont affirmé devant la Cour que le renouvellement de la marque visait à mettre en évidence son aspect canadien, à accroître son prestige, à moderniser l’emballage et à lui donner une apparence plus moderne. M. Chevillot a aussi déclaré que son agence n’avait reçu aucune instruction particulière de la part d’ITL en ce qui a trait à l’apparence du nouveau paquet, ni en ce qui concerne les couleurs, la police de caractères ou l’emplacement des éléments graphiques, comme l’emblème.

 

[371]       Même si M. Pelletier et M. Chevillot connaissaient l’habillage du paquet de Marlboro de Philip Morris, rien n’indique qu’ils ont essayé de le copier ou de copier l’un de ses éléments. En fait, ils ont déclaré dans leur témoignage qu’eux aussi avaient pris des mesures pour différencier le paquet de 2007 du paquet de Marlboro de Philip Morris. Leur contre‑interrogatoire n’a révélé aucune raison de douter de leur sincérité.

 

[372]       Le fait que les demanderesses n’ont pas été en mesure d’établir un lien de causalité entre le paquet des défenderesses et leur propre paquet est une autre raison de conclure que leur allégation de violation du droit d’auteur doit être rejetée.

 

VII.     Conclusion

[373]       En conséquence, pour tous les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis que les demanderesses ont droit à un jugement déclarant que leur emploi des marques de commerce figuratives Rooftop en liaison avec des cigarettes ne porte pas atteinte aux droits que les défenderesses peuvent avoir en vertu de la Loi sur les marques de commerce à l’égard de l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no LMCDF55988. Par conséquent, la demande reconventionnelle des défenderesses, qui visait à obtenir un jugement déclarant que la vente, la distribution et la publicité au Canada des cigarettes sans nom (« Rooftop ») (dans leurs versions de couleur rouge, or et argent) des demanderesses constitue une violation des droits des défenderesses à l’égard de la marque de commerce déposée MARLBORO (LMCDF55988), est rejetée, tout comme leur demande reconventionnelle visant à obtenir de la Cour qu’elle déclare invalides les enregistrements nos LMC252082, LMC252083, LMC254670, LMC274442, LMC465532 et LMC670898 des demanderesses. Enfin, je conclus également que les défenderesses n’ont pas violé le droit d’auteur de la demanderesse PMPSA sur son habillage au toit rouge du paquet de Marlboro et n’ont pas contrevenu à l’accord conclu en 1952. 

 

[374]       Les deux parties doivent présenter des observations écrites relativement aux dépens dans les 30 jours suivant le prononcé des présents motifs et ordonnance.


JUGEMENT

             LA COUR STATUE que :

  1. Les demanderesses ont droit à un jugement déclarant que leur emploi des marques de commerce figuratives ROOFTOP en liaison avec des cigarettes ne porte pas atteinte aux droits que les défenderesses peuvent avoir en vertu de la Loi sur les marques de commerce à l’égard de l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no LMCDF55988.
  2. La demande reconventionnelle des défenderesses, qui visait à obtenir un jugement déclarant que la vente, la distribution et la publicité au Canada des cigarettes sans nom (« Rooftop ») (dans leurs versions de couleur rouge, or et argent) des demanderesses constitue une violation des droits de la défenderesse Marlboro Canada à l’égard de la marque de commerce déposée Marlboro (LMCDF55988), est rejetée, tout comme leur demande reconventionnelle visant à obtenir de la Cour qu’elle déclare invalides les enregistrements nos LMC252082, LMC252083, LMC254670, LMC274442, LMC465532 et LMC670898 des demanderesses.
  3. Les paquets de Marlboro de 1996, 2001 et 2007 des défenderesses n’ont pas violé le droit d’auteur de la demanderesse PMPSA sur son habillage au toit rouge du paquet de Marlboro, ni l’accord conclu en 1952.
  4. Les avocats doivent présenter des observations écrites relativement aux dépens, dans les 30 jours suivant le prononcé des présents motifs et jugement.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


ANNEXE A – Paquets de cigarettes Rooftop Red, Rooftop Gold et Rooftop Silver

 

 

 

    [traduction]         Avertissement

                                    La cigarette nuit aux bébés

L’utilisation du tabac pendant la grossesse freine la croissance du bébé pendant la grossesse. Il est possible que ces petits bébés ne rattrapent pas leur perte de croissance après la naissance et les risques de maladies infantiles, de déficiences et de mort sont accrus. Santé Canada

 

 

Ne nous empoisonnez pas

Avertissement : la fumée secondaire contient du monoxyde de carbone, de l’ammoniaque, du formaldéhyde, du benzo(a)pyrène et des nitrosamines. Ces produits chimiques peuvent nuire à vos enfants. Santé Canada

 

 

Avertissement

Chaque année, l’équivalent d’une petite ville meurt en raison de l’utilisation du tabac

Meurtres : 510

Alcool : 1900

Accidents de voiture : 2900

Suicides : 3900

Estimations au Canada


 

ANNEXE B – Enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[traduction] No d’enregistrement : TMA670,898

                        Date d’enregistrement : 23 août 2006

Date de dépôt : 25 mai 2005

Marchandise : (1) Cigarettes

Déclaration d’utilisation déposée le 28 juillet 2006

 

 

La couleur est dite faire partie de la marque de commerce. L’arrière-plan de l’image est argenté et des motifs triangulaires noirs y sont apposés. L’ovale blanc ne porte aucune couleur. L’emblème [illisible] est de couleur or, les lettres PM sont blanches sur un arrière-plan [illisible] et les mots VENI VIDI VICI sont en blanc.


 

ANNEXE C – Chronologie des modifications apportées aux paquets

 

[traduction]             1955 : nouvelle conception de l’emballage

                        Emballage d’origine utilisé tant par PM que par ITL

                        [en bleu] PM jusqu’à 1955

                        [en rouge] ITL jusqu’à 1970

                        Nouvelles conceptions de l’emballage


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1784-06

 

INTITULÉ :                                      PHILIP MORRIS PRODUCTS S.A. ET AL. c. MALBORO CANADA LIMITÉE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :          Du 18 au 21 janvier

                                                            Du 25 au 28 janvier

                                                            Du 1er au 3 février

                                                            Les 9 et 10 février

                                                            Le 22 mars

                                                            Du 6 au 9 avril

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                             Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 8 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Kelly Gill

Scott Jolliffe

James Buchan

James Blonde

Selena Kim

 

  POUR LES DEMANDERESSES

Francois Guay

Genevieve Prevost

Steven B. Garland                                                                                 

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling, Lafleur, Henderson, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario) 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDERESSES

 



[1] Il y a lieu de noter ce qui suit pour mieux comprendre les présents motifs : a)  « Marlboro » (entre guillemets) désigne le mot lui‑même, qu’il soit prononcé ou écrit; b) MARLBORO (en lettres majuscules) désigne le mot en tant que marque de commerce déposée; c) Marlboro (où seul le M est en lettre majuscule) désigne le mot employé comme adjectif ou comme nom, comme dans [traduction] « Le magasin vend des cigarettes Marlboro » ou [traduction] « Le magasin vend des Marlboros ». Les mêmes règles s’appliquent aux termes « Rooftop »/ROOFTOP/Rooftop et aux autres marques de cigarettes qui sont mentionnées dans ces motifs.

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