Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101109

Dossier : IMM-6029-09

Référence : 2010 CF 1119

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2010

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE O'KEEFE

 

ENTRE :

JOSUE MANRIQUE CHAVARRO

FEBE CONTRERAS CHITIVA

KEVIN JOSUE MANRIQUE CONTRERAS

FEBE NATALIA MANRIQUE CONTRERAS

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada (la Commission), datée du 9 novembre 2009, dans laquelle la Commission a déclaré que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Cette décision se fonde sur la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale manquait de crédibilité et n’avait pas de raison de craindre d’être persécutée en Colombie. La Commission a également conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Colombie.

 

[2]               Les demandeurs demandent que la décision de la Commission soit annulée et que la demande soit renvoyée pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

Contexte

 

[3]               Febe Contreras Chivata (la demanderesse principale), son mari et ses deux enfants (les autres demandeurs) sont des citoyens colombiens. Les incidents ayant donné lieu à sa demande d’asile se sont produits il y a un certain temps. La demanderesse principale plaide qu’en raison des activités d’enseignement religieux qu’elle a exercées de 1999 à 2001, elle est devenue une ennemie des forces révolutionnaires connues sous le nom de Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC) et que sa famille et elle ont été menacés et persécutés par ces derniers jusqu'à ce qu’ils quittent la Colombie. Dans le cadre de son enseignement religieux, la demanderesse principale disait à ses élèves de rejeter les FARC.

 

[4]               La demanderesse principale soutient que le 29 octobre 1999, alors qu’elle sortait d’une école à Bogota, deux hommes se sont approchés d’elle et se sont identifiés comme membres des FARC. Ils lui ont dit d’arrêter de prêcher le christianisme aux jeunes des environs, car elle nuisait ainsi à leurs efforts de recrutement. Un des hommes l’a menacée d’une arme à feu et lui a dit que sa famille serait tuée si elle désobéissait à leurs ordres.

 

[5]               Le 15 mai 2000, alors qu’elle se trouvait dans une autre école, la demanderesse principale a été approchée par la mère d’un des élèves, qui lui a dit que les guérilleros avaient pris son fils. Elle a retrouvé l’enfant et l’a convaincu d’abandonner les guérilleros. Le 25 juillet 2000, des membres des FARC ont retrouvé la demanderesse principale et lui ont téléphoné pour lui dire qu’elle n’avait pas obéi aux ordres et qu’ils allaient tuer sa famille. Le 20 novembre 2000, des voisins lui ont dit que deux hommes à motocyclette avaient fait le tour du quartier à sa recherche. Les demandeurs sont partis le même jour pour aller habiter avec la belle-sœur de la demanderesse principale avant de louer un nouvel appartement surveillé dans un autre secteur de Bogotá.

 

[6]               En 2001, la demanderesse a changé d’emploi et a commencé à travailler dans une autre école. Cependant, le 12 mars 2001, elle a reçu un autre téléphone de menaces d’un membre des FARC, qui a dit savoir où elle habitait et qui a menacé de les tuer, elle et sa famille.

 

[7]               Le 22 mars 2001, les demandeurs ont fui aux É.-U., où ils ont demandé asile. Les demandeurs soutiennent que la demande n’a jamais été entendue convenablement en raison d’erreurs survenues lors de la production des documents.

 

[8]               Le 6 août 2008, les demandeurs et leur fils né aux É.-U. sont entrés au Canada, où ils ont présenté une demande d’asile.

 

La décision de la Commission

 

[9]               La Commission n’a pas cru le récit de la demanderesse principale et n’a pas cru non plus qu’elle avait une crainte subjective d’être persécutée en Colombie. La Commission a souligné le grand nombre d’incohérences et d’invraisemblances dans l’histoire de la demanderesse.

 

[10]           Premièrement, la Commission a noté que la demanderesse principale avait expliqué qu’elle craignait pour sa vie à partir de sa première rencontre avec les FARC en octobre 1999 et qu’elle avait cessé de parler contre eux à l’école. Cela n’était pas compatible avec son récit selon lequel la mère d’un étudiant était venue la voir en 2000, alors qu’elle enseignait dans une nouvelle école, parce qu’elle savait que la demanderesse était contre les FARC. La Commission a jugé qu’il était improbable que les élèves de l’ancienne école aient informé ceux de la nouvelle école, et par le fait même la mère de l’élève en question. En revanche, si la demanderesse principale avait fait part de son opposition aux FARC à la nouvelle école, cela aurait été incompatible avec la peur qu’elle disait éprouver. Quelle que soit la réalité, la crédibilité de la demanderesse principale a été affectée.

 

[11]           En ce qui concerne l’élève qu’elle a convaincu de quitter les FARC, la Commission s’est demandée comment les FARC ont su qu’elle était responsable. La Commission a également estimé que le récit de la demanderesse principale était contradictoire parce qu’elle a déclaré avoir pris les menaces des FARC au sérieux et avoir obéi à leur ordre, mais qu’elle a ensuite témoigné qu’elle désobéissait à leur ordre du simple fait qu’elle avait continué à enseigner à l’école. Le fait de continuer à enseigner à cette école était également incompatible avec la crainte qu’elle dit avoir ressentie dans la mesure où elle considérait qu’elle désobéissait en continuant d’enseigner. Compte tenu de la réputation de brutalité des FARC, la Commission a également conclu qu’il n’était pas du tout vraisemblable qu’elle ait reçu un avertissement et qu’il était tout à fait invraisemblable que les FARC se soient contentés de la rappeler en juillet 2000 pour réitérer leur menace.

 

[12]           Enfin, le fait qu’elle ait témoigné avoir continué à travailler à cette école jusqu’à la fin de l’année, malgré la menace de mort qu’elle dit avoir reçue en septembre 2000, a également affecté sa crédibilité. La menace de mort qu’elle a reçue au téléphone alors qu’elle enseignait à la nouvelle école en 2001 était la quatrième menace directe de ce genre. La Commission a de nouveau conclu qu’il n’était pas vraisemblable que les FARC soient aussi cléments envers une ennemie présumée qui, selon le témoignage de la demanderesse, ignorait constamment leurs ordres de cesser de nuire à leurs efforts de recrutement.

 

[13]           De plus, la Commission a conclu après l’examen de la preuve documentaire que l’influence des FARC en Colombie avait été considérablement limitée au cours des dernières années et que sa famille aurait pu s’établir à Santa Marta ou Cartegena, dans le département de Magdelena, au nord, où les FARC n’ont commis aucune attaque et aucun enlèvement en 2008. Cela correspondait à une PRI du point de vue de la Commission, parce qu’il n’était pas déraisonnable de demander aux demandeurs de s’établir là-bas.

 

Questions en litige

 

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         Les conclusions de la Commission sur les questions de la crédibilité et de la crainte subjective sont-elles erronées?

            3.         La conclusion de la Commission quant à la PRI était-elle déraisonnable?

 

Les arguments écrits des demandeurs

 

[15]           Les demandeurs font valoir que les conclusions de la Commission sur les questions de la crédibilité et de la crainte subjective sont gravement entachées par des conclusions de fait erronées. Ils ajoutent que la Commission n’a pas porté ses préoccupations à l’attention de la demanderesse principale et qu’elle n’a pas motivé adéquatement sa décision.

 

[16]           Premièrement, le témoignage de la demanderesse principale était entièrement compatible avec la crainte qu’elle dit avoir ressentie. La Commission a commis une erreur en affirmant que la demanderesse principale avait ignoré les ordres des FARC de manière répétée.

 

[17]           Deuxièmement, la Commission a commis une erreur en sous-entendant que le témoignage de la demanderesse principale était absolument invraisemblable. Dans son témoignage sur la façon dont la mère de l’élève a su la retrouver, elle a expliqué que malgré qu’elle enseignait dans une nouvelle école où elle n’avait jamais parlé contre les FARC, il était probable que des élèves de cette nouvelle école aient eu connaissance de ses opinions par l’entremise d’élèves de l’ancienne école. Aucune preuve n’a été présentée pour contredire cette possibilité et par conséquent, celle-ci aurait dû être acceptée. De plus, la Commission n’a pas expliqué adéquatement comment ses agissements concernant l’appel de menace de juillet 2000 étaient incompatibles avec le fait d’avoir une crainte subjective. De plus, aucune préoccupation à l’égard de cette incompatibilité n’a été portée à l’attention de la demanderesse principale au cours de l’audience. Les demandeurs font également valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle les FARC ont une réputation de brutalité n’est pas fondée sur la preuve dont elle disposait (voir le dossier de la demande, pages 145 à 147).

 

[18]           Enfin, la Commission a commis une erreur concernant les commentaires qu’elle a émis sur la réputation de brutalité des FARC, car la Commission n’a pas précisé de quel document, le cas échéant, cette information a été tirée. La Commission s’est effectivement fondée largement sur le fait qu’il est peu probable que les FARC aient donné autant d’avertissements.

 

[19]           La Commission a commis une erreur dans son analyse concernant la PRI parce qu’elle n’a pas demandé précisément à la demanderesse principale pourquoi il aurait été déraisonnable de déménager à Santa Marta et n’a pas considéré certaines preuves documentaires selon lesquelles ces régions faisaient l’objet de nouvelles menaces ne provenant pas des FARC. De plus, l’analyse par la Commission de la raisonnabilité de la solution de rechange ne portait que sur les emplois des demandeurs et sur leur aptitude à trouver du travail.

 

Arguments écrits de l’intimé

 

[20]           L’intimé rejette l’assertion des demandeurs selon laquelle la Commission n’avait d’autre choix que d’accepter la véracité du récit de la demanderesse principale à moins qu’il ne soit contredit par une preuve objective. Il existe une présomption de véracité du témoignage sous serment, mais cette présomption est réfutable et les membres de la Commission peuvent fonder leurs conclusions à l’égard de la crédibilité et de la plausibilité sur le bon sens. La Commission a clairement exprimé ses préoccupations concernant les incompatibilités et les invraisemblances devant la demanderesse principale au cours de l’audience. Conséquemment, la question de l’équité procédurale n’est pas en cause. En soulevant ce type d’erreurs substantielles quant aux conclusions sur la crédibilité et la plausibilité, les demandeurs invitent la Cour à examiner la décision à la loupe, ce qui n’est pas approprié. De plus, aucune des erreurs alléguées n’est de nature à permettre l’intervention de la Cour si l’on considère la raisonnabilité de la décision dans son ensemble. Prise globalement, la décision concernant la crédibilité était fondée et raisonnable.

 

[21]           En ce qui concerne la PRI, la Commission avait toute latitude pour conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer, avec preuves à l’appui, qu’il existait des conditions mettant en jeu la vie et la sécurité d’un demandeur qui se rendrait ou résiderait temporairement dans la région correspondant à la PRI. Les arguments des demandeurs se résument à demander à la Cour de réexaminer la preuve et de rendre une nouvelle décision quant au caractère raisonnable de la PRI.

 

Analyse et décision

 

Le fardeau des demandeurs

 

[22]           Les demandeurs cherchent à faire annuler la conclusion finale de la Commission et à renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Comme la décision de la Commission se fondait sur la conclusion de crédibilité et sur la conclusion de PRI, elle demeure valide même si l’une des deux des conclusions est invalidée. Les demandeurs doivent donc réfuter les deux conclusions séparément pour faire annuler la décision (voir Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au paragraphe 14).

 

[23]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Il est bien établi que les conclusions de la Commission qui sont déterminantes pour les demandes d’asile sont des conclusions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle suivant la norme de la raisonnabilité (voir Kaleja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 252, au paragraphe 19, Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), [1993] A.C.F. n796, au paragraphe 3). Le tribunal de révision se demande dès lors si la décision possède les attributs de la raisonnabilité, qui tiennent principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour considère également la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[24]           Les conclusions de fait, notamment en ce qui concerne la crédibilité, fondamentales pour les conclusions de la Commission portant sur des questions essentielles ne peuvent être modifiées par un tribunal de révision que dans le cas où la Commission a tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose (voir l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, voir également Diabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1772, au paragraphe 3). On reconnaît ainsi l’expertise de la Commission et le fait qu’elle est beaucoup mieux placée qu’un tribunal de révision pour apprécier la crédibilité et la plausibilité du récit d’un demandeur d’asile, ainsi que la preuve factuelle dont elle dispose.

 

[25]           Les questions d’équité procédurale s’apprécient à la lumière de la norme de la décision correcte.

 

[26]           Question 2

            Les conclusions de la Commission sur les questions de la crédibilité et de la crainte subjective sont-elles erronées?

            À mon avis, la Commission a fondé sa conclusion quant au manque de crédibilité de la demanderesse principale sur une incohérence présente tout au long de son témoignage.

 

[27]           Essentiellement, la demanderesse principale a expliqué que sa crainte d’être persécutée s’expliquait par les menaces de mort que sa famille et elle ont reçues de la part des FARC. La demanderesse principale a estimé, peut-être à juste titre, qu’elle n’avait pas besoin de donner de détails sur les dangers associés aux FARC dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), et elle s’est plutôt fiée à leur notoriété. Elle a expliqué avoir craint avec raison d’être persécutée dès la première menace qu’elle a reçue en octobre 1999. Elle a déclaré avoir obéi aux ordres liés à ces menaces. Dans les faits, son obéissance semble démontrer qu’elle éprouvait une crainte subjective, mais ses agissements et les événements qui ont suivi contredisent cette explication, comme l’a conclu la Commission.

 

[28]           L’aspect le plus important est que la demanderesse principale a continué à recevoir des menaces de mort, lesquelles donnent à penser, explicitement ou implicitement, qu’elle n’avait pas obéi aux ordres liés aux menaces qu’elle avait reçues. Elle s’appuie sur ces menaces pour démontrer qu’elle faisait face à un danger croissant. Cependant, j’estime qu’il était fort raisonnable pour la Commission de soulever le caractère contradictoire de son argument. C’est sur la base de motifs rationnels que la Commission a conclu qu’elle avait soit inventé ou grandement exagéré ses interactions avec les FARC, soit continué à désobéir aux menaces sérieuses, agissant ainsi en contradiction avec la déclaration selon laquelle elle craignait d’être persécutée.

 

[29]            Les demandeurs soutiennent que les conclusions d’invraisemblance ne peuvent être tirées que dans les cas les plus évidents et que la présente affaire ne permettait pas de tirer une telle conclusion (voir Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131). Dans cette affaire, le juge Francis Muldoon a affirmé ce qui suit :

7     Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur…

 

 

[30]           Bien qu’il ressorte de cet extrait que la Commission ne peut tirer de conclusions d’invraisemblance à partir de généralisations non fondées sur des renseignements précis, il ne change pas la norme de contrôle des conclusions de fait de la Commission. Celle-ci a compétence pour apprécier la preuve et tirer des conclusions sur la crédibilité en se fondant sur le bon sens (voir Byaje c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 90, au paragraphe 21), dans la mesure où elle ne tire pas ces conclusions de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose.

 

[31]           La décision Valtchev, précitée, a été considérée par le juge Yves de Montigny dans Awoh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l‘Immigration), 2006 CF 945. Il est loisible à la Commission de s’en remettre au bon sens, à son expertise et à son expérience pour tirer des conclusions d’invraisemblance, à condition qu’elle ne s’appuie pas sur des généralisations fondées sur un manque de renseignements (paragraphe 20).

 

[32]           En pratique, une conclusion d’invraisemblance ne constitue qu’un élément ou un raisonnement sur lequel se fonde une conclusion générale portant que le demandeur manque de crédibilité ou de fiabilité. La Commission est autorisée à tirer ces conclusions sur la base de la raison et du bon sens (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.)).

 

[33]           En l’espèce, la conclusion de la Commission concernant le fait qu’il est tout simplement invraisemblable que les FARC lancent des avertissements, encore moins à cinq reprises, semble être fondée sur des suppositions ou des généralisations concernant la brutalité des FARC. Cependant, ces généralisations ne constituent pas une erreur dans les circonstances pour les motifs suivants. Premièrement, la conclusion fondée sur le caractère invraisemblable s’appuyait principalement sur de nombreuses incohérences décelées dans le récit de la demanderesse principale, puis, accessoirement, sur les généralisations concernant les FARC. Deuxièmement, les généralisations ne contredisaient pas la position de la demanderesse principale. Les commentaires que la demanderesse principale a faits au cours de l’examen de la question de la PRI corroboraient également la brutalité des FARC et le fait qu’elle serait tuée à son retour au pays. Par conséquent, il n’y pas eu d’atteinte à l’équité procédurale.

 

[34]           Après examen général de la décision de la Commission, j’estime que la Cour ne doit pas intervenir à l’égard de la conclusion portant sur la crédibilité et qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission d’expliquer les incohérences et de s’appuyer sur elles pour décider que la demanderesse principale n’a pas démontré qu’elle éprouvait une crainte subjective.

 

[35]           L’argument des demandeurs selon lequel la Commission n’a pas porté la question des incohérences à leur attention n’est pas fondé. Les transcriptions montrent que la Commission a eu de nombreux échanges à l’audience avec la demanderesse principale afin qu’elle fournisse des explications sur des incohérences manifestes, des contradictions ou des aspects douteux de son récit. La demanderesse principale, qui était représentée, avait été convenablement avisée des préoccupations de la Commission.

 

[36]           De la même manière, aucune question réelle n’a été soulevée en l’espèce concernant le caractère adéquat des motifs. Ces derniers étaient plus qu’adéquats pour expliquer aux demandeurs le fondement de la décision. J’ajouterais que l’appréciation de la crédibilité n’est pas une science exacte. Le devoir de la Commission se limite à démontrer que sa conclusion était fondée sur un ou plusieurs motifs objectifs.

 

[37]           Question 3

            La conclusion de la Commission quant à la PRI était-elle déraisonnable?

            Je dois rejeter les arguments des demandeurs concernant la PRI.

 

[38]           Lorsque la possibilité d’un refuge intérieur est soulevée, il incombe au demandeur de prouver l’une des deux choses suivantes pour la faire rejeter. Le demandeur doit soit :

            1.         montrer que selon la prépondérance des probabilités, il existe une possibilité sérieuse d’être persécuté dans la région de la PRI proposée,

            2.         montrer que dans toutes les circonstances, il serait objectivement déraisonnable pour les demandeurs de se réfugier dans cette région.

(voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (C.A.) (QL)).

 

[39]           La Commission a soulevé la possibilité que le département de Magdelena, situé au nord, puisse servir de PRI où les demandeurs pourraient aller habiter. La Commission n’a pas fait cette proposition à la légère; elle s’est fondée sur une preuve documentaire faisant état de l’affaiblissement important des FARC au cours des dernières années, plus précisément au nord, et sur le fait que le département de Magdelena n’a été le lieu d’aucun incident attribuable aux FARC en 2008.

 

[40]           À cette étape-ci, il appartient aux demandeurs de démontrer le caractère déraisonnable de la PRI. Le critère du caractère déraisonnable est difficile à remplir. Il ne faut rien de moins que des preuves réelles et concrètes de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs (voir Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.), au paragraphe 15).

 

[41]           La seule réponse de la demanderesse principale concerne le premier volet du critère relatif à la PRI. Elle a fait valoir que les FARC étaient partout dans le pays et qu’ils la tueraient dès qu’elle y reviendrait. Elle a déclaré que les FARC tiennent des listes noires et qu’ils allaient déployer des efforts pour la retrouver et la tuer parce qu’elle représente une cible importante pour eux. Elle n’a présenté aucune preuve documentaire ou objective pour appuyer ses propos. Ce seul fait empêchait la Commission d’accueillir son argument.

 

[42]           Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve concernant les difficultés qu’un déménagement dans le département de Magdelena aurait imposées. Par conséquent, la Commission n’avait pas à tirer de conclusions favorables à cet égard. Ces commentaires ne constituent pas une erreur susceptible d’entraîner le contrôle de la décision et dans tous les cas, ils étaient raisonnables.

 

[43]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[44]           Aucune des parties n’a manifesté l’intention de soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

[45]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6029-09

 

INTITULÉ :                                       JOSUE MANRIQUE CHAVARRO

                                                            FEBE CONTRERAS CHITIVA

                                                            KEVIN JOSUE MANRIQUE CONTRERAS

                                                            FEBE NATALIA MANRIQUE CONTRERAS

 

                                                            - et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Bossin

 

POUR LES DEMANDEURS

Helene Robertson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clinique juridique communautaire Ottawa Centre

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.