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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101108

Dossier : IMM-739-10

Référence : 2010 CF 1101

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2010

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

CHANG WOO LIM

KYUNGSUN BAE

HYEOK JUN LIM

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Vue d’ensemble

 

 

[1]               M. Chang Woo Lim, sa conjointe, Mme Kyungsun Bae, et leur fils, Hyeok Jun Lim, ont quitté la Corée du Sud pour venir au Canada en 2005. Ils ont demandé l’asile en invoquant le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle que Mme Bae aurait subis de la part de son employeur en Corée du Sud.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de Mme Bae parce qu’il estimait qu’elle n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État en Corée du Sud.  Mme Bae soutient que l’analyse de la question de la protection de l’État faite par la Commission était incomplète. En particulier, elle fait valoir que la Commission ne s’est reportée qu’à des sources théoriques de protection – la législation, les programmes et les bonnes intentions de l’État – et ne s’est pas demandé si les autorités sud-coréennes pouvaient réellement la protéger. Elle estime que la conclusion de la Commission était donc déraisonnable et me demande d’infirmer la décision et d’ordonner à un nouveau tribunal de la Commission de réexaminer sa demande.

 

[3]               À mon avis, il n’existe aucun motif me permettant d’infirmer la décision de la Commission. La conclusion de la Commission relativement à la protection de l’État était raisonnable compte tenu des éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

 

II.     Le contexte factuel

 

[4]               Mme Bae a expliqué dans son témoignage que son employeur l’avait droguée et agressée sexuellement après une fête de bureau en 2004. Elle n’en avait fait part à personne parce qu’elle avait honte et craignait de perdre son emploi. En plus, elle avait l’impression que la police ne ferait rien pour la protéger. Son employeur a continué à la harceler au travail.

 

[5]               Après avoir découvert qu’elle était tombée enceinte à la suite de l’agression sexuelle, elle a obtenu une mutation de son poste à Séoul à un autre bureau de l’entreprise, à Daegu. Son employeur l’y a suivie et, en la menaçant de montrer des photos révélatrices qu’il avait prises d’elle, l’a contrainte à avoir des relations sexuelles avec lui.

 

[6]               Mme Bae a quitté la Corée du Sud en 2005. Elle prétend que le harcèlement et les agressions vont se poursuivre si elle retourne dans son pays.

 

III.   L'analyse de la protection de l’État par la Commission

 

[7]               La Commission était d’avis que la version des faits donnée par Mme Bae était, pour l’essentiel, crédible. La seule interrogation tenait à la protection que pouvait lui offrir l’État en Corée du Sud.

 

[8]               Mme Bae a expliqué qu’il lui aurait été très difficile de raconter à qui que ce soit ce qui s’était passé. Elle n’en avait même pas parlé à son mari jusqu’à ce qu’elle constate qu’elle était enceinte. Elle craignait, si elle allait porter plainte à la police, d’être considérée comme une femme de mœurs légères et de subir le rejet social en conséquence; elle pensait perdre ses amis et sacrifier sa vie sociale. En outre, elle ne faisait pas confiance à la police. Quand, une fois, elle s’était fait voler son portefeuille, elle l’avait signalé à la police, qui avait retrouvé le voleur. Cependant, la famille du suspect lui avait téléphoné pour discuter d’un arrangement possible. Mme Bae estimait que les policiers n’avait pas respecté sa vie privée en dévoilant son identité et son numéro de téléphone.

 

[9]               La Commission a constaté l’existence de lois sanctionnant l’agression sexuelle et le harcèlement sexuel en Corée du Sud. Le ministère de l’Égalité entre les hommes et les femmes a le mandat de lutter contre la violence familiale et les crimes sexuels et il est chargé d’établir des centres de counseling et des refuges. Les victimes reçoivent de l’aide pour surmonter le traumatisme psychologique et exercer des recours juridiques. Les policiers suivent régulièrement des formations pour savoir comment intervenir en cas de violence sexuelle ou familiale; des policières sont spécialement affectées à ces dossiers.

 

[10]           Après avoir pris connaissance des raisons invoquées par Mme Bae pour ne pas avoir demandé la protection de l’État et examiné les ressources offertes aux personnes qui se trouvent dans la même situation qu’elle, la Commission a conclu que Mme Bae avait peut-être des motifs personnels de ne pas demander la protection de l’État, mais que sa conduite n’était pas objectivement raisonnable. La description que Mme Bae avait donnée de son expérience antérieure avec la police au sujet du vol de son portefeuille n’établissait pas un fondement raisonnable qui justifiait de ne pas demander la protection de l’État – la famille du voleur avait pu la retracer à partir des pièces d’identité qui se trouvaient dans son portefeuille. Son témoignage ne montrait pas que l’État était incapable de la protéger.

 

IV.  La conclusion tirée par la Commission était-elle raisonnable?

 

[11]           Mme Bae soutient, essentiellement, que l’analyse de la Commission était superficielle parce que la Commission ne s’était pas demandé si les mesures qu’elle décrivait se traduisaient par une protection réelle et adéquate pour les victimes d’agressions sexuelles. Elle m’a renvoyé à des preuves documentaires appuyant sa position que la Commission n’avait pas mentionnées. Ces documents indiquent que les services médicaux offerts aux victimes d’agressions sexuelles sont peut-être inadéquats et que les peines infligées aux agresseurs sont généralement peu sévères.

 

[12]           Mme Bae s’est fondée plus particulièrement sur un rapport intitulé Intimate Partner Violence and State Protection in South Korea (Violence du conjoint et protection offerte par l’État en Corée du Sud). L’auteur, le professeur Clifton Emery, conclut que l'intervention des policiers lorsqu'il s'agit de violence familiale est inadéquate et qu’il y a un écart important entre la teneur des dispositions légales visant à freiner la violence conjugale et l’action réelle de l’État. Globalement, il y aurait de [traduction] « nombreuses lacunes graves actuellement dans l’application de la loi en cas de violence familiale en Corée du Sud ».

 

[13]           Mme Bae affirme que les conclusions du rapport Emery, même si elles sont limitées à la question de la violence familiale, peuvent fort bien être extrapolées à l’agression sexuelle. Je concède qu’il peut y avoir des facteurs communs. En particulier, les attitudes culturelles ou sociales envers les victimes de violence familiale et les victimes d'agression sexuelle peuvent être semblables. Dans les deux cas, ces attitudes peuvent décourager les victimes à se réclamer de la protection de l’État. Cependant, si le traitement des victimes de violence familiale en Corée du Sud illustrait, comme le soutient Mme Bae, l’incapacité générale de l’État de protéger les victimes d’agressions sexuelles, je me serais attendu à voir des preuves documentaires à l’appui de cette prétention. Mme Bae n’a pu m’en présenter aucune.

 

[14]           Un réfugié est une personne qui craint avec raison d’être persécutée et qui ne peut, du fait de cette crainte, se réclamer de la protection de l’État. En l’espèce, ce n’est pas la crainte d’être persécutée qui a empêché Mme Bae de demander la protection de l’État, c’est la crainte de subir l’opprobre social. Bien que sa réticence soit compréhensible, elle n’était pas raisonnable dans les circonstances. Comme l’a déclaré la Commission, « [i]l ne peut être conclu qu’un État a omis d’offrir sa protection lorsqu’un demandeur d’asile ne l’a pas demandée ». En d’autres termes, si la victime ne signale pas le crime commis contre elle, les efforts déployés par l’État en vue de la protéger ne peuvent que demeurer théoriques.

 

[15]           En fin de compte, la question est de savoir si la crainte de persécution de Mme Bae était fondée. À la lumière de la preuve documentaire montrant les ressources mises à la disposition des victimes d’agressions sexuelles en Corée du Sud, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demande d’asile de Mme Bae n’était pas fondée

 

V.     Conclusion et décision

 

[16]           La décision de la Commission, soit que Mme Bae n’avait pas justifié sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve montrant qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en Corée du Sud, était raisonnable, car elle appartient aux issues acceptables et peut se justifier au regard des faits et du droit. Je devrai donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-739-10

 

INTITULÉ :                                       LIM et al. c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            Le juge O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEE & COMPANY

Défense et représentation en immigration

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général adjoint du Canada

Toronto (Toronto)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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