Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101108

Dossier : IMM-726-10

Référence : 2010 CF 1105

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

JOSE NOE RENDON OCHOA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Rendon Ochoa demande le contrôle judiciaire et l’annulation de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a refusé de lui reconnaître qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. M. Ochoa affirme que la décision était déraisonnable. Je suis d’accord.

 

[2]               À l’audience, la Commission a rendu une décision défavorable oralement et a communiqué par la suite sept pages de motifs écrits révisés. Le demandeur avait admis qu’il ne pouvait se prévaloir de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et, par conséquent, seul l’article 97 a fait l’objet de la décision.

 

[3]               La Commission a rejeté la demande de protection du demandeur parce qu’il n’était pas parvenu à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. Elle a tiré plusieurs conclusions défavorables relativement à la crédibilité de la version des faits donnée par le demandeur, conclusions qui ont justifié sa décision au sujet de la protection de l’État.

 

[4]               La Commission a à maintes reprises tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité du demandeur qui étaient à la fois déraisonnables et non étayées par les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

 

[5]               Un des motifs cités par la Commission pour conclure que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et n’était pas crédible avait trait au fait que ses agresseurs portaient ou non des cagoules. Une évaluation raisonnable du dossier et du témoignage du demandeur montre clairement que, la première fois où il a été abordé par des membres des FARC, le 11 juin 2002, les agresseurs portaient des cagoules, mais pas la deuxième, le 12 juin 2002. La preuve à cet égard est la suivante :

·                    Dans sa déclaration à la police, le demandeur affirme que ses agresseurs, la première fois, portaient des cagoules. Dans sa description de la deuxième rencontre, il ne mentionne pas de cagoules. Le policier qui a pris sa déposition lui a demandé de lui préciser s’il pouvait reconnaître les personnes en question, et le demandeur a dit, selon la réponse transcrite : [traduction] « Je ne sais pas qui c’était parce qu’ils ne portaient pas de cagoules. »

·                    Dans l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur a affirmé que les agresseurs portaient des cagoules la première fois. Il ne mentionne pas de cagoules à propos de la deuxième rencontre.

·                  À l’audition de sa demande d’asile, le demandeur a dit que les agresseurs portaient des cagoules la première fois, mais pas la deuxième. Il a expliqué au commissaire que c’était ce qu’il avait dit à la police, et que c’était ce qui était inscrit dans le rapport de police. Quand le commissaire lui a demandé de se reporter aux termes tirés de sa déposition où il disait [traduction] « [j]e ne sais pas qui c’était parce qu’ils ne portaient pas de cagoules », le demandeur a convenu avec le commissaire qu’il devait s’agir d’une faute de transcription.

 

[6]               Il était déraisonnable pour la Commission de conclure que cette preuve était, « au pire, contradictoire, ou au mieux équivoque ». L’énoncé figurant dans le rapport de police [traduction] « [j]e ne sais pas qui c’était parce qu’ils ne portaient pas de cagoules », n’a pas de sens et résulte clairement d’une faute de transcription de la part du policier. Est aussi déraisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur aurait dû corriger l’erreur et donner des renseignements aux policiers sur l’identité de ses agresseurs, parce qu’il est clair, quand on lit la transcription de l’audience, que, jusque-là, le demandeur n’avait jamais remarqué la faute qui y avait été commise. En outre, le demandeur a déclaré clairement à l’audience que, même si les agresseurs ne portaient pas de cagoules la deuxième fois, il ne pouvait pas les identifier de façon précise :

 

[traduction]  

Q.        Avez-vous essayé de les regarder afin de pouvoir les identifier plus tard pour la police?

R.         Oui, mais c’était difficile, parce que, comme je viens de l’expliquer, j’avais l’habitude de transférer pas mal de gens différents chaque jour, alors c’était vraiment difficile pour moi d’identifier qui que ce soit en particulier.

Q.        Non, je me demande simplement si, durant la demi-heure en question, sachant que ces gens n’étaient pas des habitués et que vous vouliez aller à la police après, vous avez essayé de les regarder attentivement.

R.         Non, je me sentais intimidé. J’étais très nerveux. Je pense qu’ils ne m’ont pas laissé garder une image précise de ces gens. J’avais très peur. Je pourrais dire s’ils étaient grands, petits ou blancs, mais je ne pourrais pas les identifier avec précision.

 

 

[7]               Sur la foi du témoignage du demandeur, il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’il avait omis de donner des informations importantes quand il a fait sa déposition à la police. L’ambiguïté qui existe est attribuable à une faute de transcription évidente de la part du policier.

 

[8]               Les conclusions du commissaire au sujet du témoignage du demandeur sur les menaces constantes dont il était l'objet étaient aussi déraisonnables. Le commissaire a écarté la menace de mort écrite en disant qu’elle ne constituait pas une preuve crédible étant donné qu’elle ne contenait ni adresse, ni signature, ni sceau ou dispositif de sécurité. Le commissaire ne cite aucune source selon laquelle une lettre de menace de mort doit répondre à ces critères et, franchement, le simple bon sens nous empêche de croire qu’une menace de mort émanant d’une organisation terroriste porterait une signature ou un dispositif de sécurité quelconque. Je n’accepte pas non plus le rejet de cette lettre par la Commission au motif qu’elle ne contenait aucune preuve de la façon dont elle avait été transmise, parce que la sœur du demandeur a précisé dans sa déclaration faite sous serment qu’elle avait trouvé la lettre dans la boîte aux lettres près de la porte d’en avant de sa maison.

 

[9]               La décision de la Commission de rejeter les déclarations faites sous serment du cousin, de la sœur et d’un ancien collègue de travail du demandeur était aussi déraisonnable. Afin d’expliquer pourquoi il n’accorde pas à ces documents une grande force probante, le commissaire ne donne aucune raison autre que le fait qu’ils émanaient de membres de la famille et d’amis du demandeur et que, par conséquent, ils n’étaient pas indépendants . Dans l’arrêt Ray c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 731, le juge Teitelbaum a énoncé clairement au paragraphe 39, relativement à une demande d’ERAR, que l’existence de liens avec le demandeur ne constituait pas en soi un motif valable justifiant d’accorder peu de poids à des éléments de preuve :

Je reconnais avec le demandeur que l’agente d’ERAR a eu tort d’accorder peu de valeur probante aux lettres au motif que les lettres vont dans le sens de l’intérêt personnel du demandeur. Le simple fait que les lettres aient été écrites par des membres de la famille du demandeur ne constitue pas, sans autre preuve de déloyauté ou autre conduite répréhensible de la part des proches concernés, une raison suffisante pour n’accorder que peu de valeur à leurs lettres.

 

[10]           La sœur, le cousin et le collègue du demandeur sont des gens qui le connaissent et qui sont au courant de la situation qu’il vivait en Colombie. Ils sont très bien placés pour témoigner et, de fait, ils sont les seuls à pouvoir donner les détails que renferment leurs déclarations. Si la Commission accorde peu de valeur à cette preuve, elle doit en donner des raisons dans ses motifs et ne pas se contenter de mentionner qu’elle émane de membres de la famille ou d’amis du demandeur.

 

[11]           Quand le défendeur déclare que la police était prête à faire enquête, mais n’a pas pu le faire à cause d’un problème d’identification, il a probablement raison; cependant, il est clair que la décision de la Commission se fondait sur le fait que le demandeur n’avait pas suffisamment aidé la police et ne s’était pas réclamé comme il se doit de la protection de l’État. Les multiples conclusions déraisonnables du commissaire entourant la tentative faite par le demandeur en vue d’obtenir la protection de l’État rendent l’ensemble de la décision de la Commission déraisonnable.

 

[12]           L’examen superficiel effectué par la Commission quant à l’amélioration de la situation sur le plan de la sécurité en Colombie ne rend pas la décision valide. Les rapports sur la situation du pays auraient été plus pertinents si le demandeur n’avait pas tenté d’obtenir la protection de l’État et s'il avait invoqué l’effondrement complet de l’appareil étatique. Ce n’était pas le cas du demandeur. Il a demandé la protection de l’État, s’est efforcé d’obtenir cette protection en engageant un avocat pour qu’il saisisse la police nationale de son dossier puis s’est caché pendant cinq mois avant de quitter le pays. La question à trancher ici est de savoir si le demandeur a relaté des faits qu’il a vécus personnellement dans le passé, où l’État n’a pu lui accorder sa protection. Les conclusions de la Commission à cet égard, et en ce qui concerne les menaces constantes qui visaient le demandeur, étaient déraisonnables.

 

[13]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Aucune question n’est certifiée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-726-10

 

INTITULÉ :                                       JOSE NOE RENDON OCHOA

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMEMENT :                             Le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SHARMA HARSANYI       

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.