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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101108

Dossier : IMM-675-10

Référence : 2010 CF 1077

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

ROSE HERVIE CYRIAQUE

YVES-ANDREE LORY CYRIAQUE

(ALIAS YVES-ANDRÉE CRIAQUE)

ET ROSERLIE ANGIE CYRIAQUE

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire interjetée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision de la Section de la protection des réfugiés (la Commission) datée du 14 janvier 2010, aux termes de laquelle le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personnes à protéger a été refusé à Rose Hervie Cyriaque (la demanderesse), Yves-Andree Lory Cyriaque et Roserlie Angie Cyriaque (les demanderesses mineures).

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs suivants.

 

[3]               La demanderesse, une citoyenne âgée de 30 ans d’Haïti, est la mère des deux demanderesses mineures, lesquelles sont l’une et l’autre citoyennes des États-Unis (les É.‑U.).

 

[4]               En novembre 2001, elle s’est installée aux É.‑U. Durant sa présence dans ce pays, la demanderesse principale n’a pas présenté de demande d’asile. Elle allègue que Lavalas a cambriolé sa demeure en Haïti après son départ et a battu son frère Marc. Elle soutient que les partisans de Lavalas recherchaient ses documents et notes portant sur les réunions de Lavalas auxquelles elle avait assisté au cours des ans.

 

[5]               Le 12 novembre 2007, les demanderesses sont entrées au Canada et ont présenté des demandes d’asile. Cependant, à l’audience, l’avocat des demanderesses mineures a retiré leur demande d’asile.

 

[6]               La Commission a conclu que le facteur déterminant était que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle était en butte à la persécution en Haïti. La Commission a conclu que la crainte qu’elle alléguait concernait des éléments criminels et qu’elle était à ce titre exposée aux mêmes risques qui pesaient généralement sur les autres individus en Haïti ou provenant d’Haïti.

 

[7]               En prenant sa décision, la Commission a considéré la directive no 4 (Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe).

 

[8]               La Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que rien ne démontrait que la crainte subjective de la demanderesse reposait sur son sexe. De plus, la demanderesse n'avait nullement expliqué pourquoi les partisans de Lavalas s’intéresseraient encore à elle, dans la mesure où, en vérité, ils auraient été la cause des incidents qu’elle leur impute.

 

[9]               Les demanderesses invoquent la décision Dezameau c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 559, dans laquelle le juge Pinard écrit ce qui suit aux paragraphes 19 et 20 :

19     Étant donné que la demanderesse a fait valoir qu’elle craignait, en tant que femme, d’être victime de viol en Haïti, l’on s’attend à ce que la Commission ait pris en considération la preuve relative à son appartenance à un groupe social particulier, à savoir les femmes d’Haïti ou, plus particulièrement, les femmes haïtiennes qui retournent en Haïti après un séjour à l’étranger. L’omission d’examiner ainsi la preuve constitue une erreur susceptible de révision : Bastien c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 982. Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, paragraphe 70, la Cour suprême du Canada a reconnu explicitement que le sexe peut constituer le fondement d’un « groupe social ».

 

20     Dans la décision Bastien, précitée, la Cour a infirmé une décision de la Commission au motif que le commissaire avait omis d’examiner la demande d’asile de la demanderesse à la lumière de son appartenance à un groupe particulier, à savoir « sa condition de femme haïtienne et [...] le fait qu’elle était une Haïtienne qui reviendrait de l’étranger ». La Commission avait mis un terme à son analyse après avoir déterminé que l’allégation de persécution passée de la demanderesse n’était pas crédible. La Cour a analysé les motifs de la Commission dans les termes suivants :

 

[11] Étant donné que les faits suivants ne sont pas contestés : Mme Bastien est en fait une Haïtienne, si elle retournait en Haïti elle reviendrait de l’étranger; ici, la question que la Commission devait se poser dans son analyse n’était pas de savoir si le récit de Mme Bastien sur sa persécution passée était crédible.

 

[12] Les questions que la Commission aurait dû plutôt se poser relativement à cet aspect de la demande de Mme Bastien étaient de savoir s’il existait une preuve documentaire ou d’autres types de preuve dont la Commission pouvait prendre connaissance sur l’existence d’une persécution généralisée en Haïti envers les femmes. De plus, la Commission aurait dû examiner si, en général, les femmes en Haïti de même que celles qui reviennent en Haïti de l’étranger constituent des groupes sociaux particuliers.

 

 

[10]           La considération de la preuve par la Commission est une question de fait qui appelle une norme de contrôle commandant la retenue judiciaire (Villicana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1205, 357 F.T.R. 139, aux paragraphes 35 à 39). Lorsque la question est de savoir si la preuve orale et documentaire révèle un risque personnalisé ou un risque généralisé, alors la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité, car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (De Parada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 845, [2009] A.C.F. no 1021 (QL), au paragraphe 19). En conséquence, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] CSC 190, au paragraphe 47).  

 

[11]            La demanderesse en l’espèce fonde sa demande d’asile sur deux motifs : premièrement, elle allègue qu’elle craint la persécution en raison de ses convictions politiques ou convictions qu'on lui attribue. Deuxièmement, elle allègue qu’elle craint la persécution en raison de son appartenance au groupe social des femmes haïtiennes ou à titre de femme haïtienne venant de l’étranger.

 

[12]           En ce qui concerne les opinions politiques de la demanderesse, j’estime qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que, sur le fondement de la preuve, le préjudice craint ne résulte pas d’une conviction politique, mais qu’il est plutôt de nature criminelle. Les motifs de la Commission étant l’intervalle de temps (9 années) entre le premier incident et la deuxième série d’incidents, qui consistaient davantage en harcèlement qu’en persécution, ainsi que le fait que rien ne démontrait que les partisans locaux de Lavalas s’intéresseraient encore à elle après tout ce temps.

 

[13]           En ce qui concerne la crainte de la demanderesse à titre de femme haïtienne ou de femme haïtienne retournant en Haïti, la Commission a fait référence à Cius c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1, et à Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, 70 Imm. L.R. (3d) 128, et a conclu que dans le cas présent rien ne démontrait que sa crainte subjective reposait sur son sexe. Sa crainte concernait des bandes criminelles dont elle redoutait les attaques.

 

[14]           Après avoir pris connaissance de la transcription, la Cour est d’avis qu’il était loisible à la Commission de parvenir à une telle conclusion.

 

[15]           En conséquence, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[16]           La demanderesse a proposé la certification de la question suivante :

[traduction]


L'hypothèse selon laquelle le viol n’est pas un crime reposant sur l’identité sexuelle et reflétant les inégalités sexuelles peut-elle s’appliquer dans l'abstrait, sans égard à la preuve démontrant le contraire en ce qui a trait aux conditions dans le pays de nationalité de la revendicatrice d’asile?

 

 

[17]           Le défendeur s’oppose à cette question parce que la revendication dans le cas présent ne concerne pas le viol, mais les convictions politiques. Je suis d’accord.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-675-10

 

INTITULÉ :                                       ROSE HERVIE CYRIAQUE

YVES-ANDREE LORY CYRIAQUE (ALIAS YVES-ANDREE CRIAQUE) ET ROSERLIE ANGIE CYRIAQUE

 

c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jason Currie

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis

Windsor (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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