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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20101105

Dossier : T-229-10

Référence : 2010 CF 1096

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

NAUTILUS PLUS INC.

demanderesse

 

et

 

 

CENTRES STOP INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En 2005, la demanderesse, Nautilus Plus Inc., a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce STOP DIÈTE.  L’emploi projeté est le suivant : « programme de nutrition, notamment recommandations nutritionnelles pour gens actifs ». Elle s’est désistée du droit à l’usage exclusif du mot « diète » en dehors de la marque de commerce.

 

[2]               Centres Stop Inc. s’est opposée à la demande d’enregistrement. Le membre de la commission des oppositions, par les pouvoirs qui lui ont été délégués par le registraire des marques de commerce (ci‑après « le registraire »), a conclu que les marques de commerces non-enregistrées STOP POIDS et STOP WEIGHT de Centres Stop était déjà employées et a rejeté la demande de Nautilus Plus au motif qu’il existait une probabilité de confusion entre STOP DIÈTE et les marques de commerce susmentionnées. Ce faisant, les autres motifs d’opposition soulevés par Centres Stop ont été rejetés ou n’ont pas été pris en considération par le registraire.

 

[3]               Cette décision est portée en appel devant cette Cour. En vertu de l’article 56(5) de la Loi sur les marques de commerce, de nouveaux éléments de preuve, qui ne se trouvaient pas devant le décideur, ont été présentés à la Cour.

 

[4]               Cet appel doit être analysé en deux volets. En premier lieu, il faut se pencher sur la raisonnabilité de la décision du registraire. En second lieu, il faut déterminer si les nouveaux éléments de preuve auraient eu un effet sur la décision rendue par le registraire.

 

[5]               La position de Centres Stop dans cet appel est ambiguë et insatisfaisante. Après avoir déposé de nouveaux éléments de preuve pour soutenir la décision du registraire quant à l’emploi des marques de commerce STOP POIDS et STOP WEIGHT, l’avocate de la défenderesse a statué, par une lettre au registraire de notre Cour, que Centres Stop « ne produira pas de dossier ni de mémoire dans le cadre de la présente demande ». Elle ajoute que « le Registraire des marques de commerce n’a pas commis d’erreur dans sa décision […] et la preuve déposée par Nautilus Plus en appel n’aurait pas d’impact substantiel sur la décision de Première instance. Par contre, conséquemment la norme applicable […] est la norme de la décision raisonnable ».

 

[6]               La règle 310 des Règles des Cours fédérales requiert que le défendeur signifie et dépose un dossier, comprenant notamment un mémoire des faits et du droit. La position prise par Centres Stop était unilatérale, sans autorisation de la Cour, ce qui entraînera des conséquences. Bien que la Cour ait autorisé Centres Stop à être entendue lors de l’audience, je ne prendrai pas en considération les motifs d’opposition originalement soulevés par Centres Stop et qui ont été rejetés ou qui n’ont pas été considérés par le registraire.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[7]               En l’absence de nouveaux éléments de preuve, la norme de contrôle en appel est celle de la décision raisonnable. Comme le mentionne le juge Binnie dans Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, aux paragraphes 36 et 37 :

36     […] à l’égard de la décision de la Commission, comme la Cour l’a souligné dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 200 :

 

[TRADUCTION] À mon avis, il faut attribuer beaucoup de poids à la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l’a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited c. The Registrar of Trade Marks et al [ [1951] 2 D.L.R. 7, p. 13] :

 

... le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu’à décharger le juge qui entend l’appel de cette décision de l’obligation de trancher la question en tenant dûment compte des circonstances de l’espèce.

 

37     Cela signifie en pratique que la décision du registraire ou de la Commission [TRADUCTION] “ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces [page795] instances décisionnelles” : McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), p. 210, conf. par [1992] A.C.F. no 70 (QL) (C.A.). […]

 

[8]               En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve, le juge Binnie ajoute au même paragraphe que :

L’admission d’un nouvel élément de preuve pourrait évidemment (selon sa nature) affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission. Toutefois, le pouvoir dont dispose le juge des requêtes d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent : Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., [1977] 1 R.C.S. 517, p. 527-528.

 

Dans ce cas, si la preuve supplémentaire est pertinente, la Cour doit réexaminer la décision à la lumière de toute la preuve, nouvelle et ancienne, et en venir à sa propre conclusion. Dans l’affaire Shell Canada Ltée c. P.T. Sari Incofood Corp., 2008 CAF 279, 380 N.R. 317, le juge Marc Noël a indiqué au paragraph 22 que :

En ce qui a trait à la première question, la norme de preuve, le juge de la Cour fédérale devait décider si la preuve nouvelle qui lui avait été soumise aurait eu un effet concret sur les conclusions de fait de la registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (arrêt John Labatt Ltée, précité). Dans l’affirmative, le juge de la Cour fédérale devait réévaluer la décision de la registraire à la lumière de l’ensemble de la preuve et tirer sa propre conclusion (Accessoires d’autos Nordiques Inc. c. Société Canadian Tire Limitée, 2007 CAF 367, 62 C.P.R. (4th) 436 (au paragraphe 30)):

 

Comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, [2006] A.C.F. no 1968, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont déposés et qu’ils sont importants pour la décision finale, la Cour fédérale n’est pas limitée à trouver une erreur dans la décision faisant l’objet de la révision. La Cour peut tirer ses propres conclusions en fonction du dossier devant elle, qui comprend les éléments de preuve présentés au registraire de même que les nouveaux éléments de preuve. Dans ce contexte, la Cour est évidemment appelée à prendre la décision correcte, mais elle ne révise pas la décision du registraire selon la norme de la décision correcte.

 

La décision John Labatt Ltée fait référence à Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180.

 

LA DÉCISION EN APPEL

 

[9]               Le registraire a résumé les six motifs d’opposition de Centres Stop de la manière suivante :

1.      La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux exigences de l’article 30(a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (« Loi ») en ce que les Services ne sont pas décrits dans les termes ordinaires du commerce.

2.      La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux exigences de l’article 30(1) de la Loi en ce que la Requérante ne pouvait se déclarer satisfaite qu’elle puisse employer la Marque puisqu’elle savait que la Marque n’était pas distinctive en raison de l’emploi par l’Opposante de marques et de noms commerciaux similaires à la Marque tel qu’il appert des allégués contenus dans cette déclaration d’opposition.

3.      La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car à la date de production de la demande, la Marque portait à confusion avec les marques de l’Opposante incluant CENTRES STOP, STOP POIDS et STOP APPETIT employées antérieurement au Canada par l’Opposante.

4.      La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car à la date de production de la demande, la Marque portait à confusion avec la marque de commerce CENTRES STOP pour laquelle une demande d’enregistrement produite le 30 juin 2005 était pendante au moment de la production de la présente demande d’enregistrement.

5.      La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car à la date de production de la demande, la Marque portait à confusion avec les noms commerciaux CENTRES STOP et STOP CENTRES employés précédemment par l’Opposante ou autres personnes au Canada.

6.      La Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi en ce qu’elle ne se distingue pas ou n’est pas apte à distinguer les services de la Requérante des marchandises et services de l’Opposante, considérant l’emploi antérieur des marques de l’Opposante mentionnées précédemment.

 

[10]           Le premier motif d’opposition fondé sur l’article 30a) de la Loi a été rejeté par le registraire, car Centres Stop n’a produit aucune preuve pour supporter ce motif. Aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé en appel. Cette question est donc réglée.

 

[11]           Le registraire a accueilli les troisième et sixième motifs d’opposition. Ce faisant, il a considéré qu’il n’était pas nécessaire de se pencher sur les deuxième, quatrième et cinquième motifs et a rejeté la demande d’enregistrement de la marque de commerce, en vertu de l’article 38(8) de la Loi.

 

[12]           Le raisonnement du registraire, ainsi que son analyse détaillée du dossier, démontrent sa maîtrise du sujet, de la Loi et de la jurisprudence applicable. Conformément à la décision de la Cour suprême dans Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la décision du registraire était transparente et appartenait aux issues possibles acceptables à la lumière du fait et du droit.

 

[13]           Dans sa décision, le registraire a d’abord déduit que la nature du commerce des deux parties était la même. Puis, il a affirmé que le degré de ressemblance entre les marques de commerce était le facteur le plus important pour déterminer la probabilité de confusion, la première portion de la marque de commerce étant souvent considérée comme la plus importante. Il a conclu que les marques de commerce en question possédaient un caractère distinctif inhérent faible.

 

[14]           Les paragraphes 31, 37, 45 et 48 des motifs du registraire sont particulièrement instructifs. Ils se lisent comme suit :

[31]      La Marque possède un degré de caractère distinctif inhérent très faible. La combinaison des mots STOP et DIETE est hautement suggestive des Services. Il en est de même pour les marques de commerces STOP POIDS et STOP WEIGHT de l’Opposante. En effet la Marque suggère un arrêt des habitudes alimentaires en adhérant à une diète tandis que les marques STOP POIDS et STOP WEIGHT suggèrent un arrêt de l’augmentation du poids.

 

[37]      La Requérante a plaidé que le sens des marques en litige est différent. La combinaison des mots STOP et POIDS suggère un arrêt de l’augmentation du poids d’une personne. Ce processus est associé chez le consommateur moyen à un arrêt d’un état de fait qui est « mal ». Pour employer son expression, il s’agirait d’arrêter le mal. Or la Marque, selon la Requérante, ne suggère rien de mauvais. Je ne peux abonder dans le sens de la Requérante. Le mot « STOP » signifie arrêt. Lorsqu’il est juxtaposé au mot « POIDS » ou sa version anglaise « WEIGHT » l’idée suggérée est d’arrêter de gagner du poids. Je conviens que la combinaison des mots « STOP » et « DIETE » peut paraître à prime abord étrange mais l’idée d’une diète est de réduire ou maintenir son poids. Je conclus que dans son ensemble l’idée suggérée par les marques est semblable et qu’elles se ressemblent également du point de vue visuel et phonétique par la présence du mot STOP.

 

[45]      Je conclus que la Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités que la Marque ne porterait pas à confusion avec les marques STOP POIDS et STOP WEIGHT de l’Opposante. En effet la Marque a un faible caractère distinctif inhérent; les Services sont de même nature que les services offerts par l’Opposante en liaison avec ses marques de commerce; la Marque ressemble auxdites marques de l’Opposante et cette dernière a démontré l’emploi d’une famille de marques de commerce débutant par le mot STOP en liaison avec des services de même nature que les Services. Je maintiens donc le troisième motif d’opposition.

 

[48]      La Requérante n’a pas présenté d’arguments se rapportant spécifiquement à ce motif d’opposition. Elle a plaidé absence de confusion entre les marques de l’Opposante et la Marque. J’ai déjà conclu qu’il existe une probabilité de confusion entre la marque de commerce STOP POIDS et la Marque. Dans les circonstances je me dois de maintenir le dernier motif d’opposition et déclarer que la Marque n’est pas distinctive ou n’est pas apte à distinguer les Services des services offerts par l’Opposante en liaison avec sa marque de commerce STOP POIDS.

 

[15]           En ce qui concerne la preuve d’emploi des marques de commerce, le registraire fait fi de la preuve par ouï-dire au sujet des tirages de plusieurs magazines. Cependant, il conclut qu’il y avait suffisamment de preuve pour établir l’emploi antérieur continu des marques de commerce STOP POIDS et STOP WEIGHT. À cet égard, je suis d’avis que le registraire est arrivé à une conclusion raisonnable. Je n’analyserai donc pas les nouveaux éléments de preuve présentés dans cet appel par Centres Stop.

 

[16]           Dans sa décision, le registraire se base sur les articles 6(2) et (5) de la Loi qui stipulent que :

6. (2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

6. (2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

[17]           Le registraire était en droit de tirer les conclusions de faits auxquelles il est arrivé et d’en conclure, à la lumière de la Loi et de la jurisprudence, qu’il existait une probabilité de confusion entre les marques de commerce. Toutefois, cela ne signifie aucunement qu’il aurait été nécessairement déraisonnable que ce dernier arrive à des conclusions de faits différentes.

 

[18]           Pour établir la différence entre les marques de commerce, Nautilus Plus s’appuie grandement sur le fait que STOP DIÈTE est une marque nominale, alors que STOP POIDS et STOP WEIGHT sont à la fois des marques nominales et graphiques. Elle soutient donc que le registraire a conclu de manière erronée que l’emploi de la version graphique des marques STOP POIDS et STOP WEIGHT était l’équivalent de leur marque nominale lorsqu’il s’agit d’apprécier la probabilité de confusion entre les marques de commerce.

 

[19]           À mon avis, la preuve documentaire n’étaye pas ces observations. En effet, il n’existe aucune obligation de la part de Centres Stop de toujours utiliser ses marques de commerce sous leur forme graphique comme le démontre certains dépliants de promotion produits en preuve devant le registraire, qui ne comportaient pas de design graphique. De plus, si la publicité pour ces services était faite de bouche-à-oreille, la question du design graphique des marques de commerce n’est pas pertinente. Je souscris à l’opinion du registraire que cette différence n’est pas un facteur de distinction entre les marques de commerce.

 

[20]           De même, la preuve ne corrobore pas les allégations de Nautilus Plus que le registraire a erronément rejeté la preuve de l’état du registre produite par la demanderesse en notant que les enregistrements cités couvrent des marchandises très spécifiques « souvent reliées au domaine médical ». La norme de contrôle de la décision raisonnable appelle à la retenue du juge qui revoit la décision initiale. Comme l’a mentionné le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 80 :

En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation.  Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut-être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue.  La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

 

[21]           Au paragraphe 45 de la décision du registraire, précitée, ce dernier affirme que Centres Stop avait démontré l’usage d’une famille de marques de commerce utilisant le mot « stop ». Ceci pourrait ou non être le cas, mais ce n’est pas un facteur déterminant étant donné que la prémisse à la base de ce paragraphe était la confusion entre les marques de commerce STOP DIÈTE et STOP POIDS.

 

LES NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE

 

[22]           Pour appuyer son argument que les idées suggérées par les marques de commerce sont totalement différentes, Nautilus Plus introduit plusieurs définitions du terme « diète », mot qui aurait une signification différente de celle que lui a donnée le registraire. Des extraits des annuaires Pages Jaunes sont aussi présentés pour démontrer que la publicité de Centres Stop est dirigée à une clientèle complètement différente de celle de Nautilus Plus.

 

La signification de STOP DIÈTE

 

 

[23]           Une définition du dictionnaire du terme « stop », mais non du terme « diète » avait été fournie au registraire. À cet égard, un certain nombre de définitions du terme « diète » m’a été présenté.

 

[24]           Le Grand Robert de la Langue française, 2e édition, Paris, 1988, définit le terme « stop » comme étant un « commandement ou cri d’arrêt », cette définition provenant de l’anglais. Cette définition se trouvait devant le registraire lorsqu’il a rendu sa décision.

 

[25]           Selon le Concise Canadian Oxford Dictionary, Oxford University Press Canada, 2005, le terme « stop » a une multitude de significations dans la langue anglaise, notamment « check or impede the operation or onward movement of (a person or thing) ». Ce mot est réputé venir de l’allemand et peut être retracé au latin populaire.

 

[26]           Nautilus Plus soutient que si le registraire avait eu la définition du mot « diète » devant lui lorsqu’il a rendu sa décision, il en serait venu à une conclusion différente. Je retrouve devant moi une série de définitions tirées de différentes éditions du Nouveau Petit Robert et du Petit Larousse, tous deux publiés en France, ainsi qu’une définition du Multidictionnaire de la langue française, publié à Montréal en 2005 et ainsi plus pertinent à notre cause. Ce dernier définit le terme « diète » comme étant un « régime alimentaire prescrit par un médecin. Une diète liquide. Une diète pauvre en sel, riche en fer. Ne pas confondre avec régime amaigrissant ».

 

[27]           Selon Nautilus Plus, si cette preuve avait été présentée au registraire, il n’aurait pas conclu au paragraphe 37 que « le mot “stop” signifie arrêt. Lorsqu’il est juxtaposé au mot “poids” ou sa version anglaise “weight” l’idée suggérée est d’arrêter de gagner du poids ». À mon avis, cette nouvelle preuve, sous la forme de définitions de dictionnaire, n’est pas matérielle et n’aurait eu aucun effet sur la décision du registraire.

 

[28]           Le registraire a aussi conclu qu’il existait une possibilité de confusion entre les marques de commerce STOP DIÈTE et STOP WEIGHT, c’est-à-dire la version anglaise de la marque de commerce de Centres Stop. Cette question fait entrer en jeu des questions de bilinguisme et de différence d’interprétation selon la langue parlée.

 

[29]           La probabilité de confusion est mesurée selon la clientèle potentielle des services en question. Le test est celui du « consommateur occasionnel plutôt pressé », comme le mentionne la Cour suprême dans Mattel, précité, aux paragraphes 56 et suivants. Cette personne n’est ni impulsive, ni négligente ou distraite, sans pour autant être très instruite ou un expert en la matière. Il faut accorder une certaine confiance aux consommateurs moyens. À cet égard, le juge Binnie mentionne au paragraphe 58 de Mattel que :

[…] Dans certains marchés, il conviendra de présumer le bilinguisme fonctionnel de cette personne. […] Or, si ces consommateurs occasionnels ordinaires plutôt pressés sont susceptibles de se méprendre sur l’origine des marchandises ou des services, le critère prévu par la loi est rempli.

 

[30]           De même, la signification de mots de base est dérivée de leur utilisation dans le langage courant et peut changer au cours du temps. La langue n’est pas imposée par une force supérieure. Le mot précède le dictionnaire. Bien que mentionné en hommage à la langue anglaise, ce que j’ai dit dans la cause Vibe Ventures LLC c. 3681441 Canada Inc., 2005 CF 1650, 45 C.P.R. (4th) 17, au paragraphe 35 s’applique également à la langue française : « le génie de la langue anglaise est tel qu’un mot peut avoir un sens différent à des époques différentes et en des lieux différents ».

 

[31]           Je ne suis pas convaincu que le Multidictionnaire reflète la réalité québécoise et la similitude entre les mots anglais et français. Plusieurs autres dictionnaires français définissent le terme « diète ». Par exemple, le Petit Larousse Illustré, 2004, définit ce terme comme étant « 1. Régime à base de certains aliments dans un but hygiénique ou thérapeutique. 2. Abstention momentanée, totale ou partielle, d’aliments, pour raison de santé ».

 

[32]           En anglais, le Concise Canadian Oxford Dictionary, précité, définit le terme « diet » comme étant « 1. the kinds of food that a person or animal habitually eats. 2. a special course of food to which a person is restricted, esp. for medical reasons or to control weight », ce qui est très similaire à la définition du Petit Larousse.

 

[33]           À cet égard, il était tout à fait plausible pour le registraire de considérer que le terme « diète », dans ce contexte, faisant référence à un régime alimentaire basé sur une réduction de calories. Le concept sous-jacent est celui « d’arrêter de vous imposer des diètes, ca ne fonctionne pas ». Logiquement, « diète » ne peut pas, combinée avec le mot « stop », signifier « arrêter de manger »!

 

[34]           Pour conclure sur cette question, je ne considère pas que la nouvelle preuve soit matérielle. Par contre, si je me trompe, je suis d’avis qu’il existe une probabilité de confusion, à la lumière de la preuve qui se trouve devant moi, et avec égards, je fais miens le raisonnement et les conclusions du registraire.

 

Les annuaires des Pages Jaunes

 

[35]           Je suis du même avis en ce qui concerne les extraits des annuaires des Pages Jaunes. L’argument est basé sur le fait que Nautilus Plus et Centres Stop ont une clientèle complètement différente. Par contre, aucune preuve n’est présentée pour établir la corrélation entre les publicités dans certaines sections des Pages Jaunes et les résultats réels, ni pour démontrer que les personnes qui fréquentent les clubs de santé ne consulteront pas également la section de l’annuaire des Pages Jaunes portant sur les cliniques médicales. Le fait est que les marques de commerce STOP DIÈTE d’une part et STOP POIDS et STOP WEIGHT d’autre part font toutes deux référence à des questions nutritionnelles.

 

[36]           De même, Centres Stop a utilisé une multitude de méthodes pour faire connaître ses services aux yeux de la clientèle potentielle. Outre l’annuaire des Pages Jaunes, plusieurs circulaires ont été distribuées et des annonces publicitaires ont été placées dans des journaux et magazines francophones et anglophones, certaines n’utilisant pas la marque de commerce sous sa forme graphique.

 

[37]           Que ce soit pour perdre (ou prendre) du poids pour des questions esthétiques ou pour changer ses habitudes alimentaires pour des raisons de santé ou pour adhérer à un régime de forme physique, la décision de commencer une diète consiste tout simplement en l’adoption d’un nouveau mode de vie. Selon moi, la distinction présentée par Nautilus Plus au sujet de la clientèle potentielle à laquelle s’adresse chacune des marques de commerce est simplement trop subtile. Je suis d’avis que même si la nouvelle preuve était matérielle, ce qu’elle n’est pas, il y aurait une probabilité de confusion en vertu des articles 6(2)c) et d) de la Loi.

 

[38]           Selon moi, il était raisonnable pour le registraire de conclure qu’il y avait une possibilité de confusion entre les marques de commerce. Même si la nouvelle preuve avait été matérielle, je suis également d’avis que le critère est rempli et qu’il est arrivé à une conclusion raisonnable.


DÉPENS

 

[39]           Bien que les dépens suivent normalement le sort de la cause, la Cour possède un pouvoir discrétionnaire à cet égard. Centres Stop aurait dû soit déposer un mémoire des faits et du droit, soit demander une ordonnance à la Cour l’exonérant de cette obligation. Les dépens ne lui seront donc pas accordés.


ORDONNANCE

            PAR LES MOTIFS EXPOSÉS;

LA COUR ORDONNE que :

1.      L’appel de la décision du Registraire des marques de commerce, en date du 18 décembre 2009, qui a refusé la demande 1,263,601, est rejeté.

2.      Aucuns dépens ne soient adjugés.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-229-10

 

INTITULÉ :                                       NAUTILUS PLUS INC. c. CENTRES STOP INC.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 octobre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barry Gamache

 

POUR LA DEMANDERESSE

Chloé Latulippe

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robic, S.E.N.C.R.L.

Montréal (QC)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Fasken Martineau DuMoulin

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (QC)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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