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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

 


Date : 20101105

Dossier : IMM-5427-10

Référence : 2010 CF 1095

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

XXXX

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PHELAN

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) qui conteste la décision du 16 septembre 2010 par laquelle un commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le commissaire) a ordonné la mise en liberté sous condition de la défenderesse.

 

[2]               Selon le commissaire, le ministre n’avait pas fait des « efforts valables » pour vérifier l’identité de la défenderesse. C’est, semble-t-il, la première fois que la Cour est appelée à se pencher sur l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La décision rendue par le juge Barnes dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c XXXX, 2010 CF 112 (concernant un défendeur différent) porte sur l’alinéa 58(1)c).

 

[3]               L’identité de la défenderesse est protégée par ordonnance de la Cour.

 

II.        LES FAITS

[4]               La défenderesse est arrivée au Canada le 13 août 2010 à bord du MS Sun Sea, en compagnie de 491 autres personnes, qui, toutes, ont été initialement détenues aux fins de vérification de leur identité et de leur admissibilité au Canada. La défenderesse était accompagnée de trois enfants qu’elle allègue être les siens.

 

[5]               La défenderesse n’avait aucune pièce d’identité, ni en ce qui la concerne, ni en ce qui concerne les enfants. Elle affirme que son passeport lui avait été retiré par l’« agent » qui avait organisé le voyage, et qu’elle avait laissé ses autres pièces d’identité au Sri Lanka.

 

[6]               La défenderesse a fait l’objet de trois examens des motifs de détention. L’examen qui doit suivre dans les 48 heures a eu lieu le 18 août 2010; celui qui doit avoir lieu dans les sept jours a eu lieu le 25 août 2010, et l’examen prévu après 30 jours s’est déroulé le 16 septembre 2010.

 

[7]               La défenderesse a été maintenue en détention après les deux premiers examens des motifs de sa détention étant donné que son identité n’avait pas été établie. À l’issue de l’audience du 16 septembre, le commissaire ayant conclu que le ministre n’avait pas fait des « efforts valables » pour établir l’identité de la défenderesse, a mis celle-ci en liberté sous condition, dont celle de se présenter une fois par mois à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC).

 

[8]               La décision visée par le présent contrôle a été rendue par un commissaire qui, malgré l’homonymie, ne doit pas être confondu avec le juge en l’espèce. Il s’agit du commissaire Michael McPhalen.

 

[9]               Dans ses observations, le commissaire a critiqué à plusieurs reprises la manière dont le ministre avait procédé. Voici ce qu’il lui reprochait :

a)         la défenderesse avait, à l’égard du ministre/ASFC, fait preuve d’un esprit de collaboration raisonnable;

b)         bien que la défenderesse ait rempli un formulaire dans lequel elle indiquait l’adresse de sa mère, et bien qu’elle se soit présentée à deux entrevues, ce n’est que le 8 septembre que l’ASFC a pris connaissance de l’adresse en question, et lorsqu’a eu lieu l’audience (16 septembre) l’Agence n’avait pas encore écrit à la mère qui, pourtant est censée être en possession des pièces d’identité de la défenderesse;

c)         l’ASFC a essayé de communiquer avec le frère de la défenderesse au Sri Lanka (celui qui a le téléphone), mais en vain, peut-être parce qu’il allait partir s’établir en France;

d)         certes, la défenderesse n’avait pas les coordonnées d’un autre frère, à Toronto, mais l’ASFC n’a fait aucun effort pour communiquer avec lui;

e)         l’avocat du ministre n’a pu dire au commissaire à quelle date il y avait eu une communication avec l’UNHCR (vraisemblablement pour confirmer que la défenderesse était bien, comme elle l’affirmait, passé par un camp de réfugiés).

 

[10]           Ayant conclu que le ministre n’avait pas pris des mesures raisonnables afin de vérifier l’identité de la défenderesse, le commissaire a ordonné sa mise en liberté aux conditions suivantes :

a)         se présenter à l’ASFC le deuxième lundi de chaque mois;

b)         signaler en personne tout changement d’adresse;

c)         collaborer avec l’ASFC afin d’obtenir ses pièces d’identité.

 

[11]           Le commissaire a reconnu les circonstances difficiles auxquelles devait faire face le ministre compte tenu de l’afflux soudain et massif d’immigrants inconnus. Il a également reconnu que le cas de la défenderesse soulevait des problèmes particuliers étant donné qu’elle n’avait pas la moindre pièce d’identité.

 

[12]           Malgré la décision du commissaire, la défenderesse n’a pas été mise en liberté. La juge Bédard a suspendu sa mise en liberté en attendant que soit tranchée la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           La décision du commissaire repose sur l’article 58 de la LIPR, lequel dispose :

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

 

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

 

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée, mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

 

 

 

 (2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

 

 

 

 

 (3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

 

 

 

[Gras ajouté]

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

(a) they are a danger to the public;

 

 

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

 

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

 

 

 

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

 

 

 (2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

 (3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.

 

[Emphasis added]

 

[14]           Avant d’ordonner la mise en liberté, la Commission est tenue de prendre en compte l’article 247 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés :

247. (1) Pour l’application de l’alinéa 244c), les critères sont les suivants :

 

a) la collaboration de l’intéressé, à savoir s’il a justifié de son identité, s’il a aidé le ministère à obtenir cette justification, s’il a communiqué des renseignements détaillés sur son itinéraire, sur ses date et lieu de naissance et sur le nom de ses parents ou s’il a rempli une demande de titres de voyage;

 

 

 

b) dans le cas du demandeur d’asile, la possibilité d’obtenir des renseignements sur son identité sans avoir à divulguer de renseignements personnels aux représentants du gouvernement du pays dont il a la nationalité ou, s’il n’a pas de nationalité, du pays de sa résidence habituelle;

 

 

 

c) la destruction, par l’étranger, de ses pièces d’identité ou de ses titres de voyage, ou l’utilisation de documents frauduleux afin de tromper le ministère, et les circonstances dans lesquelles il s’est livré à ces agissements;

 

d) la communication, par l’étranger, de renseignements contradictoires quant à son identité pendant le traitement d’une demande le concernant par le ministère;

 

e) l’existence de documents contredisant les renseignements fournis par l’étranger quant à son identité.

 

 

 (2) La prise en considération du critère prévu à l’alinéa (1)a) ne peut avoir d’incidence défavorable à l’égard des mineurs visés à l’article 249.

 

247. (1) For the purposes of paragraph 244(c), the factors are the following:

 

(a) the foreign national's cooperation in providing evidence of their identity, or assisting the Department in obtaining evidence of their identity, in providing the date and place of their birth as well as the names of their mother and father or providing detailed information on the itinerary they followed in travelling to Canada or in completing an application for a travel document;

 

(b) in the case of a foreign national who makes a claim for refugee protection, the possibility of obtaining identity documents or information without divulging personal information to government officials of their country of nationality or, if there is no country of nationality, their country of former habitual residence;

 

(c) the destruction of identity or travel documents, or the use of fraudulent documents in order to mislead the Department, and the circumstances under which the foreign national acted;

 

 

(d) the provision of contradictory information with respect to identity at the time of an application to the Department; and

 

 

(e) the existence of documents that contradict information provided by the foreign national with respect to their identity.

 

 (2) Consideration of the factors set out in paragraph (1)(a) shall not have an adverse impact with respect to minor children referred to in section 249.

 

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

(1)        Le commissaire a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la question de savoir si le ministre avait, conformément à l’alinéa 58(1)d) de la LIPR, « fait des efforts valables » afin d’établir l’identité de la défenderesse?

(2)        Le commissaire a-t-il commis une erreur en ne prenant pas en considération d’autres motifs de détention?

(3)        Le commissaire a-t-il eu tort d’imposer des conditions à la mise en liberté de la défenderesse?

 


IV.       ANALYSE

A.        Questions préliminaires

[16]           Selon la défenderesse, le mémoire du demandeur fait état d’éléments de preuve qui n’ont pas été produits devant le commissaire. La défenderesse n’a pas clairement indiqué de quels éléments il s’agissait, mais deux points méritent d’être relevés.

 

[17]           Le premier est que le ministre avait en fait écrit à la mère de la défenderesse au moins un jour avant la tenue de l’audience, et sept jours après avoir eu connaissance de son adresse. Lors de l’audience du 16 septembre, l’avocat du ministre n’était pas au courant de ce fait.

 

[18]           Manifestement, on ne saurait reprocher au commissaire de ne pas en avoir tenu compte. Or, il s’agit néanmoins d’un facteur essentiel qui, selon le commissaire, montrait bien que le ministre n’avait pas fait des « efforts valables ». Cette situation témoigne également de la nature « à la va-vite » des examens des motifs de détention où tout se passe en temps réel pour les intéressés. Cela fait ressortir combien il faut se montrer prudent lorsqu’on critique les fonctionnaires du ministre, et avant de conclure à l’absence d’efforts valables.

 

[19]           Le second point est que le ministre avait bien communiqué avec l’UNHCR pour vérifier si la défenderesse avait séjourné dans un camp de réfugiés, ce qui aurait aidé à établir son identité. Il s’agit selon toute vraisemblance de la procédure habituelle, sauf qu’en l’occurrence la défenderesse n’avait pas séjourné dans un camp administré par l’UNHCR, détail qu’ignorait le ministre.

 

[20]           Ce renseignement est important pour le raisonnement sur lequel repose la décision du commissaire. Compte tenu des circonstances particulières entourant le déroulement des examens des motifs de détention, il convient, pour les raisons exposées au paragraphe 18, de l’admettre.

 

B.        La norme de contrôle

[21]           Selon le demandeur, les questions soulevées en l’espèce sont des questions de droit et de compétence. Dans la mesure où elles portent sur le critère juridique applicable et à ses éléments constitutifs, le demandeur a raison de faire valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c XXXX, 2010 CF 112 (Ocean Lady); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2004 CF 1634).

 

[22]           Toutefois, certains aspects concernant l’interprétation et l’application de l’alinéa 58(1)d) constituent des questions mixtes de droit et de fait. Une telle d’analyse relève de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

C.        Première question : Erreur dans l’interprétation et l’application de l’alinéa 58(1)d)

[23]           En droit de l’immigration, l’identité constitue un préalable indispensable. C’est sur l’identité que reposent les questions telles que l’admissibilité au Canada, les critères qui permettent de reconnaître la qualité de réfugié et l’évaluation du besoin de protection. C’est en outre un élément essentiel de toute appréciation d’un éventuel danger pour la sécurité publique, d’une menace à la sécurité ou des chances de voir l’intéressé se soustraire aux contrôles officiels pour ne citer que quelques-uns des points dont l’identité est un élément essentiel.

 

[24]           C’est à tort que le commissaire n’a pas reconnu que c’est d’abord et toujours au demandeur d’asile qu’il appartient d’établir son identité. Le ministre est tenu de faire des efforts valables en ce sens. La preuve n’incombe entièrement ni à l’une, ni à l’autre des parties, et ni l’une ni l’autre ne peut se contenter de ne rien faire.

 

[25]           La Cour est informée que bien que la demanderesse se soit trouvée en détention, elle avait la possibilité de correspondre par la poste, de faire des appels téléphoniques interurbains et de demander à des membres de la communauté tamoule canadienne de l’aider à communiquer avec des amis ou des membres de sa famille. Elle avait, en outre, la possibilité de recourir aux services d’un conseil.

 

[26]           Dans son évaluation des efforts du ministre, le commissaire n’a guère tenu compte des efforts de la demanderesse, se contentant de souligner qu’elle avait coopéré avec l’ASFC en nommant comme personnes-contacts, sa mère et ses frères.

 

[27]           Dans une certaine mesure, pour apprécier s’il y a eu des « efforts valables », il faut aussi prendre en compte les efforts du demandeur d’asile. Ces efforts dépassent la simple obligation de ne pas entraver l’action officielle et de collaborer avec les autorités. Le commissaire doit se livrer à une évaluation qualitative des efforts des deux parties.

 

[28]           Dans le jugement Ocean Lady, précité, le juge Barnes a décidé que, dans l’examen de la question des « mesures voulues » prévues à l’alinéa 58(1)c), il faut se demander s’il existe un lien rationnel entre les mesures prises et l’objet de l’enquête quant à l’admissibilité du demandeur d’asile (qui doit éventuellement permettre de découvrir des preuves pertinentes) et aussi se demander si le ministre a agi de bonne foi.

 

[29]           Ces deux critères constituent par ailleurs un bon point de départ pour l’analyse fondée sur l’alinéa 58(1)d). Le terme « efforts valables » qui figure à l’alinéa 58(1)d) implique un éventail de mesures plus larges que l’expression « mesures voulues », mais le cadre d’analyse demeure essentiellement le même.

 

[30]           En l’espèce le commissaire n’a pas répondu à la question de savoir s’il existait un lien rationnel entre ce que le ministre avait fait, ce qu’il faisait ou ce qu’il entendait faire, et l’objet même de la disposition, c’est-à-dire si les mesures pouvaient permettre de découvrir certains éléments de preuve.

 

[31]           Fait plus important encore que l’argument avancé par le demandeur, lequel soutient que le commissaire a transféré au ministre le fardeau de prouver l’identité de la demandeure d’asile, le commissaire en réalité n’a pas examiné les questions et preuves pertinentes. L’article 58 impose des obligations aux deux parties et ce qu’une partie fait influence la capacité de l’autre partie, en l’occurrence le ministre, de remplir ses obligations. Le commissaire n’a pas pris en considération la réciprocité de cette obligation juridique.

 

[32]           Non seulement le commissaire n’a-t-il, dans son analyse des « efforts valables » pas pris en compte des questions pertinentes, mais il s’en est tenu à ce qui aurait dû, d’après lui, être fait plutôt que sur l « caractère raisonnable » de ce qui avait été fait ou de ce qu’il était prévu de faire. Les cours d’appel ont eu l’occasion de rappeler aux juridictions de première instance que la cour qui est appelée à dire si une décision est raisonnable, ne doit pas substituer à la décision en cause son opinion sur ce qu’elle aurait fait. C’est justement le type d’erreur que le commissaire a commis.

 

[33]           Le commissaire a également tiré des conclusions déraisonnables et manifestement erronées. La conclusion concernant le fait que personne n’aurait communiqué avec la mère de la défenderesse, sans que la défenderesse y soit pour quelque chose, est inexacte sur le plan factuel.

 

[34]           Lors de son examen des efforts engagés par le ministre, le commissaire, tout en reconnaissant l’absence de la moindre pièce d’identité, n’a tenu aucun compte du comportement de la défenderesse, et de son incidence sur les efforts du demandeur.

 

[35]           Consciente qu’elle arrivait au Canada où vivait un de ses frères, la défenderesse a seulement indiqué qu’il se trouvait à Toronto, sans plus de précisions quant aux moyens d’entrer en communication avec lui. Pour ce qui est de sa mère, elle n’a fait que préciser la région où elle vivait. Elle a par ailleurs laissé entendre à l’ASFC que son contact le plus utile était son frère au Sri Lanka qui avait le téléphone. Après que l’ASFC eut fait plusieurs efforts pour communiquer avec le frère, la défenderesse a fait savoir qu’il avait peut-être fini par s’installer en France comme il avait prévu de le faire, possibilité dont elle était au courant, mais dont elle n’avait pas fait part.

 

[36]           La défenderesse ayant elle-même indiqué à l’ASFC où pouvaient se trouver ses pièces d’identité, il était déraisonnable de ne pas tenir compte de l’incidence que les précisions données sur ce point par la défenderesse pourraient avoir sur l’action des fonctionnaires du ministre, et l’orientation de leurs efforts.

 

D.        Deuxième question° : L’absence de prise en considération d’autres motifs

[37]           Le demandeur fait valoir que le commissaire n’a pas pris en considération d’autres motifs de détention. Citons, parmi ceux-ci, le risque de fuite, le risque de mesures coercitives de la part des passeurs et le risque de perdre toute trace de la défenderesse si elle entrait dans la clandestinité.

 

[38]           Ces autres motifs de détention n’ont pas été débattus devant le commissaire; on ne saurait donc lui reprocher de ne pas les avoir pris en considération dans les motifs de sa décision.

 

[39]           Il s’agit, pourtant, de facteurs qui pourraient à bon droit être pris en compte pour fixer les conditions de mise en liberté.

 

E.         Troisième question° : Les conditions de mise en liberté

[40]           La question des conditions dont a été assortie la mise en liberté, à supposer que celle-ci se justifiait en droit (ce qui n’est pas le cas) doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, mais il convient de faire preuve de retenue envers le commissaire qui, en ce domaine, dispose d’un large pouvoir discrétionnaire.

 

[41]           D’après la preuve au dossier, l’identité de la défenderesse n’a toujours pas été établie; le navire et sa cargaison humaine faisaient partie d’un trafic de personnes lié à la criminalité organisée; le frère de la défenderesse, qu’il soit au Sri Lanka ou en France, avait les moyens d’assumer les frais du voyage de la défenderesse; la défenderesse n’avait aucune pièce d’identité, ni pour elle-même ni pour les enfants qui l’accompagnaient et dont elle prétend qu’ils sont les siens.

 

[42]           Le commissaire a reconnu avoir beaucoup hésité à ordonner la mise en liberté de la défenderesse. Cela dit, il n’a assorti cette mise en liberté que de conditions très peu astreignantes.

 

[43]           Il convient, pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, de se demander si cette décision paraît équilibrée compte tenu des faits, de la réponse à la question de savoir si les conditions dont était assortie la mise en liberté paraissent disproportionnées par rapport aux faiblesses de la thèse défendue par la défenderesse, et des risques que comporte la mise en liberté d’une personne dont l’identité n’a pas pu être établie.

 

[44]           C’est à tort que le commissaire n’a pas pris en compte ces intérêts opposés et, en conséquence, il a tiré une conclusion déraisonnable. La mise en liberté d’une personne et de trois enfants, dont l’identité respective n’a pas pu être établie, assortie de la seule condition de se présenter aux autorités une fois par mois, n’appartient pas aux issues possibles acceptables dans les circonstances.


 

V.        CONCLUSION

[45]           En accueillant la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour est bien consciente de l’immense pression propre au milieu dans lequel toutes les parties, dont les commissaires, s’affairent, des ressources limitées, des contraintes avec lesquelles les gens doivent composer et du fait que leur patience est mise à rude épreuve.

 

[46]           Cela dit, pour l’ensemble des motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[47]           Avant que la Cour ne rende officiellement son ordonnance, les parties disposent d’un délai de sept (7) jours pour présenter leurs observations sur la question de savoir si des questions doivent être certifiées.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 5 novembre 2010

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5427-10

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            et

 

                                                            XXXX

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DEMANDEUR

Douglas Cannon

Kamaljit Lehal

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Lehal & Co.

Avocats

Delta (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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