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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20101103

Dossier : IMM-1487-10

Référence : 2010 CF 1081

Montréal (Québec), le 3 novembre 2010

En présence de madame le juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

KAJENTHIRAN JEYAMOHAN

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la LIPR), d’un avis du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration rendu en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR et daté du 17 février 2010, selon lequel le demandeur devrait quitter le Canada au motif qu’il constitue un danger pour le public canadien.

 

 

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur est de nationalité sri lankaise, d’origine tamoule.

 

[3]               En 1997, il est arrêté par les militaires, et arrêté et détenu par la police pendant 2 jours. Pour cette raison, il quitte le Sri Lanka à l’âge de 16 ans.  

 

[4]               Il arrive à Vancouver le 27 mai 1998 et revendique le statut de réfugié.

 

[5]               Le 4 décembre 1998, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) fait droit à sa demande d’asile et lui accorde la protection demandée.

 

[6]               Le 28 mai 1999, il obtient le statut de résident permanent à Montréal.

 

[7]               Le 28 juillet 2003, il est trouvé coupable de voies de fait et est condamné à une sentence d’emprisonnement.

 

[8]               Le 9 octobre 2003, en raison de son infraction criminelle, il devient l’objet d’un rapport d’inadmissibilité en vertu de l’article 44 de la LIPR.

 

[9]               Le 8 février 2005, une mesure de renvoi est émise contre lui. Le demandeur en fait appel auprès de la Section d’appel d’immigration (la SAI).

 

[10]           Le 12 juin 2006, il est trouvé coupable de vol, d’avoir proférer des menaces, et de

possession frauduleuse d’une carte de crédit. Il est condamné à une autre sentence d’emprisonnement.

 

[11]           Le 7 août 2006, en raison de ces nouveaux crimes, il devient l’objet d’un second rapport d’inadmissibilité en vertu de l’article 44 de la LIPR.

 

[12]           Le 20 octobre 2006, une deuxième mesure de renvoi est émise contre lui, de même qu’un mandat en vertu de l’article 59 de la LIPR.

 

[13]           Le 28 septembre 2006, il est trouvé coupable de voies de fait causant des lésions corporelles.

 

[14]           Le 2 novembre 2006, il devient l’objet d’un autre rapport d’inadmissibilité en vertu de l’article 44 de la LIPR.

 

[15]           Le 9 février 2007, après qu’il ait purgé sa peine de prison pour ses infractions criminelles, le demandeur est arrêté et détenu par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

 

[16]           Le 12 février 2007, l’appel de sa mesure de renvoi auprès de la SAI est rejeté au motif que cette dernière n’a pas compétence pour entendre l’affaire.

 

[17]           Le 26 septembre 2007, le demandeur est libéré du centre de détention de l’ASFC avec conditions dont se rapporter à l’ASFC deux fois par mois.

 

[18]           Le 26 mai 2008, un autre rapport est émis en vertu de l’article 44(1) de la LIPR parce qu’il a été trouvé coupable de deux bris de son ordre de probation.

 

[19]           Le 15 juillet 2008, un autre rapport est émis contre le demandeur en vertu de l’article 44(1) de la LIPR pour avoir été condamné, le 17 janvier 2008, pour des infractions relatives aux agents de la paix en contravention à l’article 129a) du Code criminel.

 

[20]           Le 12 janvier 2009, le demandeur est trouvé coupable de vol qualifié, fabrication ou falsification de carte de crédit, port d’armes dans un dessein dangereux, déguisement dans un dessein criminel ainsi que deux défauts de se conformer à son ordonnance de probation. Il est condamné à 24 mois de prison.

 

[21]           Le demandeur purge présentement la peine relative aux dernières infractions commises.

 

[22]           Le 17 février 2010, la déléguée du Ministre émet un avis en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public canadien pour motifs de grande criminalité.

 

[23]           Puisque le demandeur ne conteste pas l’évaluation du danger, la seule question consiste à déterminer si la déléguée du Ministre a commis une erreur dans son évaluation du risque que court le demandeur s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

Position du demandeur :

[24]           Le demandeur soutient que la déléguée du Ministre a conclu déraisonnablement et sans considération pour les éléments de preuve dont elle disposait qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit arrêté, détenu, persécuté ou subisse de mauvais traitements aux mains des autorités sri lankaises advenant son retour dans son pays d’origine.

 

[25]           En effet, le demandeur a déjà été détenu par les autorités sri lankaises et bien qu’éloignées dans le temps, ces périodes de détention démontrent que ce dernier représente une personne d’intérêt pour les autorités du pays.

 

[26]           Contrairement à ce qu’affirme la déléguée, la preuve documentaire indiquerait que les personnes déportées sont soumises à un contrôle spécial par les autorités nationales dès leur retour au pays. Le demandeur sera donc soumis à un contrôle plus poussé dès son retour au Sri Lanka et devra expliquer les raisons pour lesquelles il s’est vu octroyé le statut de réfugié au Canada.

 

[27]            Il existerait aussi un risque important que le demandeur soit détenu après interrogatoire initial, soit en raison de la découverte de ses détentions précédentes par les autorités sri lankaises, soit en raison du fait qu’il est un jeune Tamoul provenant du nord du Sri Lanka.

 

[28]           Ainsi, la conclusion de la déléguée du Ministre selon laquelle elle est satisfaite, selon la balance des probabilités, qu’il est peu probable que le demandeur soit arbitrairement détenu après son arrivée est déraisonnable.

 

Position du défendeur :

[29]           Le défendeur soutient que les conclusions du rapport sont raisonnables, appuyées sur la preuve au dossier et que la décision ne contient aucune erreur de fait ou de droit.

 

[30]           La déléguée du Ministre a effectué une analyse exhaustive du risque auquel pourrait être exposé le demandeur si ce dernier était renvoyé de même que de la preuve documentaire relative au traitement des demandeurs d’asile sri lankais retournant dans leur pays d’origine.

 

[31]           Elle s’est appuyée sur la preuve documentaire au dossier pour conclure que la police sri lankaise ne garde des informations sur les personnes arrêtées que pour une période de cinq ans.

 

[32]           Elle a également tenu compte des arrestations et la brève détention du demandeur en 1997 et 1998 et d’autre part, le demandeur n’a fourni aucune preuve qu’il était actuellement recherché par les autorités sri lankaises.

 

[33]           L’avis de danger de la déléguée du Ministre possède les qualités de justification, de transparence et d’intelligibilité nécessaires pour que l’intervention de la Cour ne soit pas requise.

 

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[34]           La norme de contrôle qui s’applique à une question d’évaluation de la preuve par un décideur administratif s’avère celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39; Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 344.

 

[35]           Ainsi, la Cour ne substituera pas sa décision à celle de la déléguée du Ministre que si elle est convaincue qu’elle a tiré des conclusions abusives ou arbitraires sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait et que si la décision ne fait pas partie des issues possibles et acceptables compte tenu des faits et du droit (Dunsmuir (précité)).

 

ANALYSE

[36]           L’alinéa 115(2)a) de la LIPR stipule :

Principe du non-refoulement

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Principle of Non-refoulement

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

 

 

 

Exceptions

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

(…)

Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(…)

 

[37]           Dans l’arrêt Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 18, une fois qu’il est déterminé qu’une personne protégée est interdite de territoire pour grande criminalité et qu’elle est un danger pour le public, la Cour d’appel fédérale a proposé un cadre d’analyse pour le délégué afin qu’il rende son avis de danger en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR:

(…) Par contre, si le délégué estime que la personne constitue un danger pour le public, il doit alors évaluer si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée. À cette étape-ci, le délégué doit se prononcer sur la gravité du danger qu’entraîne la présence de la personne en question, dans le but de mettre en balance le risque et, apparemment, les autres circonstances d’ordre humanitaire, avec la gravité du danger que cette personne constituerait pour le public dans le cas où celle-ci demeurerait au Canada.

 

[38]           Dans l’arrêt Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 355, le juge Blanchard conclut que le critère de base pour déterminer si le refoulement est possible est de se demander s’il expose le demandeur à un risque sérieux de torture. Ce risque doit être individualisé et présent et doit être évalué en fonction de critères qui dépassent de « simples hypothèses » ou « soupçons »:

Si le risque n'est pas démontré, il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse étant donné que le demandeur n'a pas droit à la protection fournie par le paragraphe 115(1) de la LIPR 

(au para. 36).

 

[39]           Dans sa décision, la déléguée du Ministre fait spécifiquement mention de l’affidavit du demandeur et des préoccupations du demandeur à l’effet qu’il risque d’être arrêté et détenu arbitrairement s’il devait retourné au Sri Lanka, et ce, en raison des soupçons qui pesaient contre lui avant son départ du Canada et de son arrestation en 1997 et brève détention en 1998 et du fait que les autorités sri lankaises auraient pu garder de l’information à ce sujet.

 

[40]           Néanmoins, la déléguée conclut qu’il est peu probable que les autorités aient gardé de l’information sur ces détentions :

As police records are only kept for 5 years, there is unlikely to be any record of his brief arrest (2 days) in 1998 by Colombo police. And as, according to his PIF, he was never arrested by the SIS, it is unlikely that authorities would have a record of his brief encounter with the Sri Lankan military in 1997. It is also highly unlikely that authorities would have any record on his kidnapping by LTTE in 1995 or his forced labour for the LTTE in 1997 (Avis de danger à la page 25).

 

[41]           Il ressort aussi clairement de la décision que la déléguée était au courant que le demandeur risquait de subir un contrôle particulier des autorités sri lankaises advenant son retour au pays, mais qu’elle est d’avis que ce contrôle ne mènerait pas à des recherches plus poussées ou que s’il était arrêté et/ou détenu, il serait gardé pour une période prolongée:

There is nothing before me to indicate that Mr. Jeyamohan is a high profile member of the LTTE, in fact he appears to have had no connection to the group over the course of his entire adult life, there is little reason to suppose he would be arrested on suspicion of being a member and if arrested and/or detained he would be kept for any length of time.

 

[42]           De plus, à la lumière de la preuve documentaire au dossier, elle note d’une part que les cours de justice sri lankaises, assurent une surveillance réelle de l’exercice du pouvoir par les autorités et d’autre part que, bien que certains cas de torture en prison ont été rapportés, il existe des mesures en place permettant de prévenir ces abus.

 

[43]           Elle prend aussi en considération les tatous et cicatrices du demandeur qui pourraient attirer l’attention des autorités sri lankaises, mais explique que les cicatrices sont apparues au Canada, ce que le demandeur pourra expliquer aux autorités sri lankaises. Il pourra aussi, à cet égard, fournir des preuves de ces examens médicaux au Canada.

 

[44]           Enfin, la déléguée est d’avis que rien ne la laisse croire que les autorités de l’ASFC partageront des informations avec les autorités sri lankaises quant aux activités criminelles du demandeur au Canada. Ainsi, elle ne croit pas que celui-ci soit traité avec plus de méfiance par les autorités sri lankaises.

 

[45]           Quant au fait que le demandeur pourrait être victime de mauvais traitements parce qu’il provient du nord du pays, la déléguée mentionne que ce dernier n’a pas à se rendre dans cette partie du Sri Lanka, mais peut décider de rester à Colombo.

 

[46]           Finalement, en s’appuyant sur une preuve documentaire récente au dossier, la déléguée a reconnu que les jeunes hommes d’origine tamoule peuvent faire l’objet de discrimination, mais elle conclut que cette discrimination n’atteint pas le niveau suffisant pour équivaloir à de la persécution.

 

[47]           En résumé, la déléguée s’appuyant sur la preuve au dossier, a procédé à une analyse détaillée de la crainte personnalisée du demandeur pour conclure que le risque auquel ce dernier pourrait faire face advenant son retour n’équivaut pas à plus qu’une simple possibilité et que selon la balance des probabilités, il est peu probable qu’il soit confronté à un risque personnalisé à sa vie, à des traitements cruels ou inusités  ou à un risque de torture.

 

[48]           La jurisprudence est claire à l’effet que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la déléguée et ne pas substituer sa propre appréciation des faits :

Comme l’affirmait la Cour d’appel fédérale :

(…) Compte tenu de l’arrêt Suresh, et de l’arrêt Dunsmuir qui est plus récent, je suis d’accord avec le juge Kelen pour dire qu’il y a lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions de fait du délégué (Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au para. 32).

 

[49]           En l’espèce, la conclusion de la déléguée fait partie des conclusions acceptables compte tenu des faits et du droit et il ne revient pas à la Cour d’y substituer ses propres conclusions.

 

[50]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

La demande du contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1487-10

 

INTITULÉ :                                       KAJENTHIRAN JEYAMOHAN c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clemente Monterosso

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec) 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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