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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101103

Dossier : IMM‑1129‑10

Référence : 2010 CF 1080

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2010

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

ALIA ROBINA

SHABIR SYED SHANAWAR

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une décision, en date du 16 février 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés – au sens de la Convention – ni des personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. La Commission a conclu que la demanderesse principale, Alia Robina (la demanderesse) n’était pas crédible. Elle n’a pas cru aux éléments essentiels de son récit.

 

[2]               Voici les motifs du jugement rendu oralement à Montréal, le 13 octobre 2010, dans lequel j’ai accueilli la demande de contrôle judiciaire et ai conclu que la Commission avait commis des erreurs qui justifiaient l’intervention de la Cour.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse est une mère monoparentale divorcée de 44 ans. Son fils, Shabir Syed Shanawar, a 15 ans. Ils sont tous les deux citoyens du Pakistan. Ils sont arrivés au Canada le 14 juillet 2007 et ont demandé l’asile à leur arrivée. La demande du fils était fondée sur celle de sa mère.

 

 

[4]               Les allégations de la demanderesse sont les suivantes.

 

[5]               La demanderesse travaillait comme médecin dans une clinique de Gujrat, au Pakistan. Le 30 mai 2007, le nazim local (un administrateur municipal) est venu inspecter la clinique. N’étant pas satisfait des résultats de son inspection, il a demandé à la demanderesse de se rendre à son bureau le lendemain pour discuter des améliorations possibles.

 

[6]               Lorsque la demanderesse s’est rendue au bureau du nazim, le 31 mai 2007, ce dernier a tenté de l’agresser sexuellement. Elle a réussi à s’échapper. Elle a informé sa supérieure hiérarchique de l’incident, et celle‑ci lui a vivement conseillé de ne pas en parler, ajoutant qu’elle tenterait de régler le problème. La supérieure a apparemment parlé au nazim, car le lendemain (le 1er juin 2007), le nazim a appelé la demanderesse et l’a menacée de « se venger ».

 

[7]               Elle s’est rendue à la police le lendemain (le 2 juin 2007) afin de déposer une plainte contre le nazim. Toutefois, les policiers ont été impolis envers elle et ils lui ont dit qu’ils n’accepteraient pas sa plainte à moins qu’elle se soumette à un examen médical. La demanderesse a expliqué qu’un examen médical n’était pas nécessaire, puisqu’elle avait réussi à échapper à l’agression sexuelle du nazim. La police a malgré tout refusé sa plainte. Peu de temps après, le nazim a de nouveau appelé la demanderesse et l’a menacée de lui arracher ses vêtements en public.

 

[8]               Le 20 juin 2007, la demanderesse a été invitée à se présenter devant une commission d’enquête interne, laquelle a été constituée à la clinique où elle travaillait afin d’enquêter sur des accusations de détournement de fonds qui auraient été déposées contre elle. L’enquête portait sur un vol d’environ 500 000 roupies qui s’était produit à la clinique entre octobre 2006 et juin 2007.

 

[9]               Le 22 juin 2007, la demanderesse a comparu devant la commission d’enquête et a découvert que le nazim faisait partie du tribunal. Elle s’est alors opposée à la procédure en faisant valoir que le nazim n’était pas neutre. Finalement, l’audience a été suspendue et remise au lendemain. Bouleversée et effrayée par la situation, la demanderesse a présenté une demande de congé de maladie à la clinique et n’a pas comparu le lendemain pour la suite de la procédure.

 

[10]           Le 24 juin 2007, le nazim, accompagné de ses acolytes, s’est rendu chez la demanderesse et a dit à sa mère (la demanderesse n’était pas à la maison) que la demanderesse serait déshonorée publiquement et agressée sexuellement en raison des accusations qu’elle avait portées contre lui. Les policiers se sont également rendus chez la demanderesse plus tard ce même soir et ont parlé à sa mère. La demanderesse affirme qu’ils l’ont qualifiée d’« importante criminelle » et qu’ils ont dit qu’elle devait se présenter au poste de police.

 

[11]           À un certain moment au cours de cette période, le nazim est allé au poste de police et s’est plaint d’avoir été diffamé par la demanderesse.

 

[12]           La demanderesse s’est enfuie et s’est cachée dans la famille de sa cousine à Lahore. Le 27 juin 2007, le mari de sa cousine a communiqué avec un avocat afin de savoir pourquoi la police la recherchait. Les policiers ont dit à l’avocat qu’ils recherchaient la demanderesse en raison des allégations qu’elle avait faites contre le nazim.

 

[13]           Avant de quitter le Pakistan, alors qu’elle était à Lahore dans la famille de sa cousine, la demanderesse a appris que le nazim et la police la recherchaient encore. Elle a également appris qu’un religieux sunnite de son village l’avait dénoncée au cours de son sermon, la traitant de fraudeuse et affirmant qu’elle devrait être punie pour sa malhonnêteté.

 

[14]           La demanderesse a quitté le Pakistan avec son fils le 12 juillet 2007. Ils sont arrivés au Canada le 14 juillet 2007, et ont demandé l’asile. La demanderesse a affirmé qu’elle craignait d’être persécutée par la police pakistanaise, le nazim local (et ses acolytes), ainsi que le religieux sunnite de son village.

 

[15]           Après son arrivée au Canada, la demanderesse a appris que le nazim et ses hommes s’étaient rendus chez sa cousine au début du mois d’août 2007. Ils auraient cherché à savoir où elle se trouvait.

 

La décision contrôlée

 

[16]           La Commission a fondé sa décision de rejeter la requête de la demanderesse sur l’évaluation qu’elle a faite de la crédibilité de cette dernière. La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible quant à certains éléments essentiels de sa demande.

 

[17]           La Commission a commencé son analyse de la crédibilité en faisant remarquer que la demanderesse avait indiqué, lors de l’audience, qu’elle craignait « les poursuites judiciaires » liées aux « fausses » accusations de détournement de fonds. Lorsqu’on lui a demandé si elle connaissait la différence entre les « poursuites judiciaires » et la « persécution », la demanderesse a répondu par l’affirmative et qu’elle pensait que les poursuites judiciaires entraîneraient sa persécution, puisqu’elle serait « certainement emprisonnée [par la police] et soumise à la torture ». Il est difficile de comprendre pourquoi la Commission a commencé ainsi son analyse de la crédibilité et l’on ne sait pas si elle s’est fondée sur cette distinction entre les « poursuites judiciaires » et la « persécution » pour tirer une conclusion défavorable à cet égard.

 

[18]           À part ce qui précède, la Commission a rendu des conclusions défavorables sur la crédibilité de la demanderesse à l’égard de six aspects différents du récit fait par celle‑ci :

 

a)      La Commission n’a pas compris pourquoi la demanderesse n’avait pas obtenu de sa supérieure à la clinique une lettre confirmant que la demanderesse s’était d’abord plainte auprès d’elle de la tentative d’agression du nazim. La Commission a conclu que son explication à cet égard était invraisemblable.

 

b)      La Commission a jugé invraisemblable que, devant des allégations criminelles potentiellement graves (c.‑à‑d. le détournement de fonds allégué), la demanderesse n’ait pas demandé un avis juridique;

 

c)      La Commission n’a pas compris pourquoi la police n’a enregistré aucun premier rapport d’information (PRI) faisant état de la prétendue plainte pour diffamation déposée par le nazim contre la demanderesse. La Commission n’a pas été satisfaite de l’explication fournie par la demanderesse à cet égard et a également conclu à l’invraisemblance de l’explication donnée par son avocat;

 

d)     La Commission a conclu que l’explication de la demanderesse principale quant à l’absence de documentation indépendante (p.ex. une copie de la procédure de la commission d’enquête, une copie de la lettre de suspension, une copie de sa demande de congé de maladie) visant à corroborer son récit concernant les fausses accusations de détournement de fonds n’était pas plausible;

 

e)      La Commission a également relevé qu’il n’y avait pas de PRI corroborant le fait que la demanderesse principale avait porté plainte à la police en ce qui concerne le harcèlement sexuel que lui aurait fait subir le nazim. La Commission semble n’avoir accordé aucun poids à l’explication de la demanderesse à cet égard;

 

f)       La Commission a conclu que les explications de la demanderesse en ce qui concerne une demande précédente de visa étaient contradictoires.

 

 

[19]           La Commission a conclu comme suit :

 

[17]      La demandeure d’asile principale n’avait aucun document officiel ou indépendant pour corroborer les éléments essentiels de son affirmation. Elle n’avait aucun PRI pour corroborer le fait qu’elle a porté plainte auprès de la police. Elle n’avait aucun PRI pour corroborer le fait que le nazim a porté plainte à la police concernant la prétendue plainte (diffamatoire) portée par elle. Elle n’avait aucun document relativement à la commission d’enquête ni aucun document pour corroborer le fait qu’elle avait signalé à sa supérieure la tentative d’agression sexuelle du nazim à son endroit. Puisqu’il s’agit d’une préoccupation importante en matière de vraisemblance, l’absence de document indépendant corroborant les éléments essentiels du récit de la demandeure d’asile principale entraîne une conclusion défavorable quant à la crédibilité générale de la demandeure d’asile principale.

 

 

Question

 

[20]           La présente demande soulève la question de savoir si l’évaluation faite par la Commission, concernant la crédibilité de la demanderesse, était raisonnable.

 

Norme de contrôle

 

[21]           Il est de jurisprudence constante qu’en matière d’évaluation de la preuve et de la crédibilité, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53; Ndam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 513, [2010] ACF no 637, au paragraphe 4; Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 798, [2009] ACF no 933, au paragraphe 7. « Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent “l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits” doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Siad c Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608, au paragraphe 24). La Cour ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du décideur, même si une autre issue lui paraît préférable, et il ne lui appartient pas de réévaluer la preuve. Le rôle de la Cour lors du contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable a été défini dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 :

[. . .] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse?

 

[22]           La demanderesse soutient que les conclusions défavorables de la Commission concernant sa crédibilité étaient déraisonnables. Elle fait valoir que les conclusions de la Commission quant au caractère vraisemblable de certains événements démontraient un manque de compréhension de la situation du pays et du contexte dans lequel lesdits événements se sont produits. La demanderesse soutient en outre que la Commission n’a pas examiné la documentation pertinente concernant le traitement des professionnelles qui travaillent au Pakistan et qui sont harcelées sur leur lieu de travail. Elle fait valoir que la Commission a adopté une façon de penser occidentale tout au long de son analyse.

 

[23]           Le défendeur, d’autre part, fait valoir que les conclusions de la Commission en matière de vraisemblance et de crédibilité étaient raisonnables eu égard à la preuve, d’autant plus que la demanderesse n’a fourni aucun document corroborant ses déclarations. Selon lui, la demanderesse est simplement en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par la Commission et la Cour ne devrait donc pas intervenir en substituant son opinion à celle de la Commission.

 

[24]           Bien que l’on doive faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation que la Commission a faite de la preuve et de son appréciation de la crédibilité de la demanderesse, je suis néanmoins d’avis, après avoir examiné la transcription de l’audience et la preuve documentaire concernant la situation du pays, que l’évaluation de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse était déraisonnable.

 

[25]           Dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, 208 FTR 267, la Cour a invité la Commission à faire preuve de prudence lorsqu’elle se prononce sur la vraisemblance des faits, car des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le demandeur. Au paragraphe 7, le juge Muldoon a indiqué :

 

[7]        Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

 

 

[26]           Le même principe a été appliqué par le juge Martineau dans la décision R.K.L. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43, aux par. 9 et 12 :

 

[9]        Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n’est pas crédible à cause d’invraisemblances contenues dans la preuve qu’il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites » : voir Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) (Aguebor); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL) (C.A.); Kanyai, précitée, au paragr. 10.

 

[. . .]

 

[12]      En outre, la Commission ne devrait pas s’empresser d’appliquer une logique et un raisonnement nord‑américains à la conduite du revendicateur. Il faut tenir compte de l’âge, des antécédents culturels et des expériences sociales du revendicateur : voir Rahnema c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 1431, au paragr. 20 (QL) (1re inst.); El‑Naem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 185 (QL) (1re inst.). De plus, un manque de cohérence dans le témoignage du revendicateur devrait être considéré à la lumière de l’état psychologique de ce dernier, en particulier lorsque cet état est étayé par des documents médicaux : voir Reyes c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 282 (QL) (C.A.); Sanghera c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 73 F.T.R. 155; Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 34 (QL) (1re inst.).

 

 

[27]           Dans la décision Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, [2004] ACF no 1149, le juge Mosley a insisté pour que la Commission soit tenue d’expliquer les motifs sous‑tendant ses conclusions d’invraisemblance. Au paragraphe 15, il écrit :

 

[15]      Il est évident que les conclusions sur la vraisemblance sont assujetties au même critère de retenue que les conclusions sur la crédibilité, soit la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Cependant, comme la Cour l’a souligné dans Valtchev, les conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions. Il convient de conserver à l’esprit les mises en garde exposées dans Valtchev et dans Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 F.T.R. 303, lors de la révision des conclusions sur la vraisemblance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           En l’espèce, la Commission a conclu à plusieurs invraisemblances fondamentales. Le fondement logique de ces conclusions, cependant, n’est pas clair. En outre, celles‑ci semblent avoir été tirées sans tenir compte du contexte culturel dans lequel les faits s’étaient produits et sans égard à la preuve concernant la façon dont les femmes sont traitées au Pakistan.

 

[29]           Compte tenu de la situation de la demanderesse et du contexte culturel, j’estime que la description des événements faite par la demanderesse ne déborde pas le cadre du raisonnable. Après avoir examiné la transcription du témoignage de la demanderesse, je ne vois aucun fondement sur lequel appuyer les conclusions d’invraisemblance tirées par la Commission.

 

Absence d’une lettre de la part de l’ancienne superviseure de la demanderesse

 

[30]           La Commission n’a pas compris les raisons pour lesquelles la demanderesse n’avait pas pu obtenir de son ancienne superviseure à la clinique une lettre corroborant son récit. Elle a estimé que son explication à cet égard était invraisemblable.

 

[31]           La demanderesse a fourni les explications suivantes lors de son témoignage :

[traduction]

Q.-      Avez‑vous pensé à demander à cette femme, qui n’est pas un membre de votre famille, de corroborer votre histoire, pour les faits dont elle a une connaissance directe, selon vos déclarations, ou votre avocat vous a‑t‑il conseillé en ce sens?

 

R.-       Monsieur, je ne peux pas lui demander, parce que si je lui demande une lettre, de toute façon elle va le dire à l’administration du district et aux mêmes personnes, et ma mère, et ma sœur sont toujours là; ces personnes vont leur causer des problèmes. Donc, je ne peux pas lui demander. Monsieur, si je pouvais […]

 

Q.-      Je ne comprends pas. Vous êtes au Canada et vous demandez à cette femme, qui est une autre femme qui exerce une fonction laïque comme vous‑même, pourquoi elle ne vous fournirait pas une lettre disant, oui, telle personne est venue me voir et m’a dit que telle personne a fait ceci.

 

R.-       Je ne pense pas.

 

L’AVOCAT (à la demanderesse)

 

Q.-      Pourquoi pensez‑vous qu’elle ne vous fournirait pas de lettre? Voilà la question.

 

R.-       Ils sont sous le contrôle, et elle n’aurait pas aimé s’opposer aux représentants de l’administration du district. Elle ne voudrait pas avoir d’ennuis à cause de moi, parce que je suis déjà partie de la clinique. Je ne pense pas qu’elle le ferait […]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à la demanderesse)

 

Q.-      Mais comment quelqu’un le saurait‑il? À moins de dire elle‑même aux représentants de l’administration du district qu’elle vous a envoyé une lettre, comment pourraient‑ils le savoir?

 

R.-       Non, monsieur, c’est officiel. Ils le sauront.

 

 

[32]           La conclusion de la Commission, en ce qui concerne les explications de la demanderesse, se lit comme suit :

 

[12]      [. . .] À la question de savoir la façon dont les responsables de district pourraient savoir que son ancienne patronne, la lieutenant‑colonel retraitée, lui a envoyé une lettre confirmant les éléments de son récit, la demandeure d’asile principale a répondu qu’[traduction] « ils l’apprendraient ». J’estime que cette explication est invraisemblable et que la crédibilité de la demandeure d’asile principale est amoindrie.

 

[33]           Cette conclusion est déraisonnable pour plusieurs raisons. Premièrement, la Commission cite hors contexte l’explication offerte par la demanderesse. Deuxièmement, la Commission n’explique pas pourquoi elle estime que l’explication de la demanderesse est invraisemblable. Troisièmement, l’explication de la demanderesse est, en fait, tout à fait plausible. Elle est compatible avec son allégation précédente selon laquelle, quand elle s’est plainte auprès de sa superviseure au sujet de la tentative d’agression, le nazim a été informé et l’a menacée le lendemain. La Commission s’est concentrée sur l’invraisemblance du fait que le nazim soit mis au courant de la lettre dans l’hypothèse où la superviseure agirait dans le meilleur intérêt de la demanderesse et enverrait la lettre sans le dire à personne. Le raisonnement de la Commission à cet égard présente des lacunes et, par conséquent, je conclus que son rejet de l’explication de la demanderesse est déraisonnable.

 

Défaut de la demanderesse de retenir les services d’un avocat

 

[34]           La Commission a également tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité de la demanderesse parce que celle‑ci n’a pas demandé d’avis juridique avant de comparaître devant la commission d’enquête concernant les allégations de détournement de fonds.

 

[35]           La demanderesse a fait appel à un avocat le 27 juin 2009, peu après avoir comparu devant la commission d’enquête et peu après que le nazim et la police soient allés chez sa mère. Au cours de son témoignage, elle a expliqué les raisons pour lesquelles elle n’a pas demandé d’avis juridique plus tôt :

[traduction]

. . .

 

Q.-       Aviez‑vous un avocat?

 

R.-       Non, monsieur.

 

Q.-      Nous ne -- nous ne sommes pas censés avoir un avocat à ce stade, parce que j’étais soupçonnée. Aucune décision me concernant n’avait été prise.

 

Q.-       Donc, vous étiez soupçonnée, pas accusée à ce moment‑là.

 

R.-       Oui, monsieur.

 

. . .

 

Q.-       Donc, vous avez été accusée de détournement de fonds.

 

R.-       Oui, monsieur.

 

Q.-       Maintenant racontez‑moi comment l’audience se déroule.

 

R.-       Alors, monsieur, quand on m’a fait part des inculpations que vous avez faites […]

 

Q.-       Les accusations.

 

R.-       Oui, désolée. Alors j’ai dit que je n’avais pas détourné de fonds des caisses de la clinique. Ma conscience est tranquille à 100 pour cent. Mais même alors, j’étais prête à répondre à toutes les questions posées par la commission d’enquête et à expliquer ma situation.

 

Q.-       D’accord. Alors que s’est‑il passé?

 

R.-       Alors Chaudhry Mazahar Nat [le nazim] a dit, « Nous avons la preuve que vous avez détourné des fonds. »

 

Q.-       Et quelle était cette preuve?

 

R.-       Monsieur, ils ne m’ont montré aucune preuve. Alors j’ai dit : « Puis‑je voir ces preuves? »

 

Q.-       D’accord. Et ensuite?

 

R.-       Alors ils ont dit nous devons vous poser quelques questions auparavant. Alors j’ai dit : « Je suis prête à répondre aux questions, toutes celles que cette respectueuse commission d’enquête voudra me poser. Mais je ne veux pas répondre aux questions en présence de cette personne. » Je l’ai pointé du doigt, car, monsieur, je pensais que ce n’était pas une enquête neutre. Je savais qu’ils se moquaient de moi, parce que je m’étais plainte de lui et ils voulaient me faire peur, ou — Alors j’ai dit : « Je vais répondre à vos questions, mais pas en présence de cette personne. Je veux une enquête neutre, et je veux le chef de l’administration du district, ou le chef de mon — ou, quelqu’un qui vienne de mon bureau principal pour assister à l’enquête. » Parce que c’est une enquête totalement partiale, j’étais sûre que ce n’était pas neutre.

 

Q.-       Avez‑vous engagé un avocat?

 

R.-       Non, monsieur, je n’ai pas engagé d’avocat.

 

Q.-       Pourquoi pas?

 

R.-       Monsieur, je n’étais pas censée engager un avocat, parce qu’il n’y avait pas de dossier ouvert contre moi, ou aucune décision me concernant n’avait été prise. Je n’étais donc pas — les commissions d’enquête, elles travaillent comme ça. Nous ne sommes pas censés avoir un avocat pendant l’enquête.

 

Q.-      Donc, vous avez refusé de répondre aux questions parce que, quel est son nom, faisait partie du tribunal, c’est ça?

 

R.-       Oui, monsieur, il faisait partie du tribunal.

 

Q.-       Et alors la séance a été levée?

 

R.-       Monsieur, ils ont dit vous n’avez pas le droit de vous opposer à la présence d’un membre de la commission d’enquête.

 

Q.-       Et alors — avez‑vous donc répondu à des questions?

 

R.-       Non, monsieur. J’ai dit que j’avais le droit parce que c’était contre moi, donc, j’avais le droit de demander une enquête neutre.

 

Q.-       Et puis qu’est‑il arrivé?

 

R.-       Monsieur, ensuite c’était l’heure de la prière, donc ils ont dit nous devons contrôler le témoin pour d’autres personnes, donc, allez vous asseoir dehors.

 

[Sic tout au long de la citation]

. . .

 

 

[36]           La Commission a conclu que les explications de la demanderesse étaient invraisemblables. Elle écrit :

 

[13]      […] À la question de savoir ce qui s’était passé la journée de l’enquête, la demandeure d’asile principale a répondu que les membres du tribunal avaient lu les accusations portées contre elle, qu’elle avait nié avoir fait quoi que ce soit de mal, mais qu’elle était prête à répondre à leurs questions. Elle a affirmé qu’elle avait été accusée d’avoir volé environ 500 000 roupies entre octobre 2006 et juin 2007. Le nazim, l’un des membres du tribunal, a affirmé qu’ils avaient une preuve démontrant qu’elle avait détourné des fonds, mais ils ne lui ont pas fourni cette preuve. La demandeure d’asile principale s’est vu demander si elle avait retenu les services d’un avocat. Elle a répondu par la négative, ajoutant qu’elle n’était pas autorisée à retenir les services d’un avocat lors d’une enquête. Même si la demandeure d’asile principale n’était pas autorisée à retenir les services d’un conseil dans le cadre de cette enquête, affirmation que j’estime quelque peu douteuse, j’estime invraisemblable le fait qu’elle n’ait pas au moins demandé un avis juridique, étant donné que des allégations de nature criminelle potentiellement graves étaient portées contre elle. Par conséquent, sa crédibilité est amoindrie.

 

 

[37]           La conclusion de la Commission à cet égard est déraisonnable. Je ne vois rien d’invraisemblable dans l’explication fournie par la demanderesse à propos des raisons pour lesquelles elle n’avait pas demandé d’avis juridique avant de comparaître devant la commission d’enquête. De plus, je ne comprends pas pourquoi la Commission doutait de l’affirmations de la demanderesse selon laquelle elle n’était pas autorisée à être accompagnée par un avocat devant la commission d’enquête.

 

[38]           D’abord, très peu de temps s’est écoulé entre le moment où la demanderesse a reçu l’avis d’enquête (20 juin 2007) et celui où elle a été appelée à comparaître devant la commission d’enquête (le 22 juin 2007). Deuxièmement, ce n’est que lorsque la demanderesse a comparu devant la commission d’enquête qu’on lui a fourni les détails des accusations portées contre elle. Troisièmement, elle ne savait pas que le nazim faisait partie de la commission d’enquête jusqu’à sa comparution devant celle‑ci. Quatrièmement, elle ne faisait l’objet d’aucune allégation criminelle à ce moment‑là; les allégations la concernant étaient seulement examinées par un comité interne. Rien n’indique que, le 22 juin 2007, la demanderesse était au courant de la possibilité que des accusations criminelles soient portées contre elle. Cinquièmement, elle a déclaré que sa conscience était tranquille à 100 pour cent et qu’elle était prête à répondre à toutes les questions. Elle croyait n’avoir rien à craindre, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que le nazim faisait partie du tribunal. Sixièmement, sa description de l’audience devant la commission d’enquête démontre qu’elle était en mesure d’agir sans avocat.

 

[39]           Quoi qu’il en soit, la demanderesse a communiqué avec un avocat, par le truchement du mari de sa cousine, quand elle a compris que les choses s’aggravaient (c.‑à‑d. quand elle a compris que : le nazim faisait partie de la commission d’enquête, que le nazim s’était rendu chez ses parents et avait menacé de la déshonorer publiquement et de l’agresser sexuellement, et que la police s’était rendue chez ses parents et l’avait qualifiée d’« importante criminelle »).

 

[40]           La conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission sur ce point était déraisonnable.

 

Absence d’un PRI pour corroborer la plainte du nazim contre la demanderesse

 

[41]           La Commission n’a pas été convaincue par les explications fournies quant aux raisons pour lesquelles le nazim n’avait pas déposé de plainte à la police contre la demanderesse. La Commission a écrit ce qui suit dans ses motifs :

 

[15]      À la question de savoir si le nazim était allé voir la police pour porter plainte contre elle relativement aux fausses accusations que la demandeure d’asile principale aurait portées contre lui, la demandeure d’asile principale a répondu par l’affirmative. À la question de savoir si un PRI avait été rédigé relativement à la plainte portée contre elle par le nazim, la demandeure d’asile principale a répondu par la négative, ajoutant que les policiers essayaient simplement de faire en sorte que le nazim soit content et ils [traduction] « s’amusaient, voulant prouver qu’il n’avait rien fait de mal et que c’est moi qui avais fait quelque chose de mal ». Une fois de plus, la question de savoir la raison pour laquelle aucun PRI n’avait été rédigé a été posée, et la conseil de la demandeure d’asile principale a indiqué que la police ne faisait probablement que harceler la demandeure d’asile principale pour qu’elle garde le silence et que, si un PRI avait été rédigé, cela aurait attiré davantage l’attention du public, ce que le nazim voulait éviter. En soi, cette explication est vraisemblable. Toutefois, compte tenu de l’existence d’une commission d’enquête, des menaces du nazim d’humilier la demandeure d’asile principale publiquement et du fait que le clergé local sunnite a attaqué publiquement la demandeure d’asile principale relativement aux fausses déclarations qu’elle aurait faites, j’estime invraisemblable le fait que le nazim n’ait pas voulu déposer de PRI afin d’éviter d’attirer l’attention du public. Par conséquent, l’absence d’un PRI rédigé relativement à la prétendue plainte portée par le nazim du fait que la demandeure d’asile principale a dit du mal de lui n’a pas été expliquée de manière satisfaisante. Sa crédibilité est davantage amoindrie.

 

 

[42]           La série de questions posées par la Commission à cet égard découle de l’une des lettres présentées par l’avocat de la demanderesse au Pakistan. Pour faciliter la compréhension du contexte dans lequel les questions sont posées, je vais reproduire cette lettre :

 

[traduction]

À QUI DE DROIT

 

À la demande verbale du Dr Robina Alia, je présente une mise à jour de sa situation juridique actuelle au Pakistan.

 

Depuis le 8 décembre 2007, il n’y a pas eu de progrès dans son dossier. La plainte déposée contre elle est toujours en instance auprès des autorités de police. De nouvelles mesures contre elle seront probablement prises lors de son arrestation.

 

Le plaignant dans l’affaire la concernant, Choudhry Mazhar Nat, est toujours actif dans la région et a beaucoup d’influence sur la police locale.

 

Par conséquent son retour au Pakistan serait dangereux pour sa vie et sa liberté.

 

 

[43]           Afin de comprendre mes conclusions concernant les constatations de la Commission, il est utile de considérer aussi les extraits suivants de la transcription de l’audience, qui placent en contexte les réponses données par la demanderesse à l’égard de l’absence d’un PRI :

[traduction]

. . .

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à la demanderesse)

 

Q.-      Oui, mais qu’est‑ce que cela — « le plaignant dans l’affaire la concernant », mais il n’a pas — a‑t‑il porté plainte officielle contre vous?

 

R.-       Monsieur, il s’était plaint que j’avais détourné des fonds. Je n’ai pas ni PRI ni document juridique —

 

Q.-      Désolé, encore une fois, vous anticipez. « Le plaignant, dans l’affaire la concernant, Chaudhry Mazahar Nat » —

 

R.-       Oui, monsieur.

 

Q.-      D’accord. A‑t‑il déposé une plainte officielle contre vous auprès de la police?

 

R.-       Monsieur, sa plainte concernait le fait que je lançais de fausses accusations de harcèlement sexuel contre lui.

 

Q.-      Est‑ce qu’il a déposé une plainte au sujet de ces fausses accusations que vous avez faites à la police?

 

R.-       Oui. Monsieur, je ne sais pas exactement, parce que je n’avais pas de — je n’ai pas de preuve documentaire, mais je pense qu’il s’est plaint. C’est pourquoi il a envoyé la police chez moi.

 

L’AVOCAT (au Président)

 

Q.-      Officiellement, il n’y a rien. Je pense que c’est tout — nous essayons de lire entre les lignes et de comprendre ce qui s’est passé. Donc, officiellement, il n’y a pas de PRI, mais compte tenu du type particulier de société concernée et de ce qui s’est passé, on a l’impression qu’il est derrière tout cela, derrière tous les problèmes auxquels la demanderesse a été confrontée. Donc, je pense que c’est cela, « le plaignant ». C’est lui le plaignant.

 

R.-       Je vois, mais —

 

Q.-      C’est lui le plaignant. C’est lui qui a créé tous ces troubles à la demanderesse.

 

R.-       Mais le —

 

Q.-       Donc, il n’y a rien d’officiel.

 

R.-       Mais l’avocat utilise des mots officiels, « le plaignant ».

 

Q.-      Eh bien, nous supposons que c’est lui le plaignant. Chacun sait que c’est lui le plaignant.

 

R.-       « La plainte contre elle est toujours en instance, auprès des autorités de police. D’autres mesures seront probablement prises lors de son arrestation. » Je veux dire qu’il n’y a pas de mandat d’arrêt contre elle.

 

LA DEMANDERESSE (au Président)

 

Q.-      Non, mais, monsieur, s’ils pouvaient me trouver, ils peuvent m’arrêter et ils peuvent —

 

R.-       Mais il n’y a pas d’accusations formelles contre vous.

 

Q.-      Monsieur, ils font cela. Monsieur, selon le système de justice, ils n’ont pas besoin d’un PRI contre moi pour m’arrêter. Ils pourraient m’arrêter. C’est le mandataire du gouvernement, ils travaillent avec ces politiciens, ils veulent leur faire plaisir. Ils travaillent avec cette administration. Donc, ils pourraient déposer une plainte contre moi à tout moment. Ce n’est pas difficile pour eux.

 

R.-       Pourquoi la police n’a pas — avez‑vous une idée de la raison pour laquelle la police ne rédigerait pas de PRI contre vous sur la base de la plainte du nazim?

 

Q.-      Monsieur, à mon avis, tout ce qu’ils ont fait, c’était à cause de ce Chaudhry Mazahar Nat. Ils voulaient me harceler. Ils voulaient que je reste tranquille ou — monsieur, ils voulaient juste s’amuser et ils m’ont causé des problèmes. Et ils voulaient — parce qu’ils voulaient prouver qu’il n’est pas une mauvaise personne, c’est moi qui suis mauvaise. Quoi qu’il soit arrivé, c’est moi qui étais responsable de cela, lui, il n’a rien fait. Parce que, il est un homme politique puissant, donc —

 

R.-       Oui, exactement. Alors pourquoi ne pas — pourquoi ils n’ont pas rédigé un PRI contre vous pour vous condamner après?

 

Q.-       Monsieur, ils —

 

R.-       Je ne comprends pas pourquoi la police — je peux comprendre ce que vous dites, pourquoi ils n’auraient pas rédigé un PRI sur la base de votre plainte contre le nazim. Il est puissant et vous êtes juste une femme. Mais quand il arrive et dit qu’elle lance de fausses accusations contre moi, je ne comprends pas pourquoi la police, sur la base de sa plainte contre vous, pourquoi ils n’auraient pas rédigé un PRI.

 

Q.-       Monsieur, ils ne l’ont pas fait.

 

R.-       Je sais qu’ils ne l’ont pas fait. Mais pourquoi? Il n’est pas une femme faible. C’est un homme politique puissant. Il porte plainte contre vous.

 

L’AVOCAT (au Président)

 

Q.-      Puis‑je intervenir? Je sais que je vais aborder cela lors de mes observations, c’est juste que cela oblige la demanderesse à fournir une opinion, et que nous devons donc imaginer pourquoi il ferait ceci et ne ferait pas cela. Et je comprends que la Commission doit évaluer la plausibilité, et c’est en effet la façon de le faire. C’est juste qu’il y a beaucoup de possibilités —

 

Q.-      Pourriez‑vous penser à une façon différente de présenter les choses?

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à la demanderesse)

 

Q.-      Oh, je demande un avis, ce n’est pas une question. Vous n’avez aucune connaissance directe. Mais ça me paraît invraisemblable.

 

R.-       Oui, monsieur.

 

Q.-      Que si une personne puissante — selon votre témoignage, si un nazim local puissant porte plainte contre vous à la police, qui est sous son contrôle, qu’elle ne rédige pas de PRI.

 

R.-       Oui, monsieur.

 

L’AVOCAT (au Président)

 

Q.-       En fait, j’ai une opinion à ce sujet.

 

R.-       Et vous allez me la dire.

 

Q.-       Oui.

 

R.-       Mais —

 

Q.-      Voulez‑vous me la dire maintenant, ou dans vos observations — parce que j’ai presque fini.

 

R.-       Oui. Pour moi — eh bien, la manière — cette affaire est en cours depuis un certain temps.

 

Q.-       Mais, nous n’avons commencé qu’à 9h00 —

 

R.-       Non, non, je veux dire l’affaire de la demanderesse.

 

Q.-       Ah.

 

R.-       L’affaire de la demanderesse, cela fait deux ans qu’elle est au Canada, et elle a effectivement témoigné, qu’elle a cherché à savoir, pendant ce temps, ce qui s’était passé dans son pays d’origine la concernant. La façon dont je comprends les faits est — et encore une fois, ce ne sont que des conjectures, et mon opinion est aussi valable que celle de n’importe qui d’autre. Mais c’est, comme la demanderesse a expliqué, que les policiers l’ont harcelée afin de l’intimider, de lui dire de garder le silence, de lui dire de disparaître, de lui dire de laisser tomber ce qu’elle tentait d’accomplir, peu importe quoi, en se plaignant du nazim. Si un PRI avait été enregistré, alors cela aurait fait plus de publicité, plus de gens auraient été au courant. Les tribunaux auraient été saisis. Et je ne pense pas que le nazim veuille que les gens le sachent. Donc, je pense que c’est pour cette raison qu’il n’a pas voulu que cela devienne officiel et qu’on saisisse les tribunaux. Cela n’aurait fait que rendre l’affaire plus visible et la collectivité l’aurait su. C’est mon avis. Mais, la raison pour laquelle il utilise la police, c’est clairement à fins d’intimidation. Clairement afin d’intimider, de harceler, de faire peur, d’effrayer; et c’est sur la droite ligne de ce que la demanderesse a témoigné tout à l’heure, que ces allégations de détournement de fonds —

 

Q.-      D’accord, j’ai compris. C’est une explication plausible des raisons pour lesquelles il n’y a pas eu de PRI formel, parce que ces documents sont publics. Il y en a un au bureau de police, un à la cour, et il y en a une autre copie quelque part ailleurs.

 

. . .

 

[44]           Le raisonnement de la Commission et sa conclusion à cet égard me préoccupent vivement. Premièrement, la demanderesse a déclaré très franchement qu’elle ne savait pas si le nazim avait déposé une plainte officielle ni si un PRI avait été rédigé. Les explications fournies par la demanderesse relevaient donc de la pure conjecture. La Commission a demandé à la demanderesse de fournir une opinion; celle‑ci a répondu en indiquant ce qui, à son avis, aurait pu expliquer l’absence d’un PRI. J’estime déraisonnable que la Commission ait tiré une conclusion défavorable concernant sa crédibilité dans ce contexte. La Commission a demandé l’avis de la demanderesse après que celle‑ci ait indiqué qu’elle n’était pas au courant de la raison pour laquelle une tierce partie, à savoir la police, n’avait pas rédigé de PRI. Je ne comprends pas non plus pourquoi la Commission a conclu que l’opinion fournie n’était pas plausible. En outre, il était tout à fait déraisonnable de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité de la demanderesse à partir d’un avis fourni par l’avocat de la demanderesse au sujet duquel celle‑ci n’avait pas son mot à dire.

 

Explications de la demanderesse pour ne pas avoir de documentation indépendante corroborant les accusations de détournement de fonds.

 

[45]           La Commission a estimé non satisfaisante l’explication de la demanderesse concernant les raisons pour lesquelles elle n’a pas été en mesure d’obtenir des preuves documentaires corroborant le fait qu’elle avait été accusée de détournement de fonds. La Commission a conclu comme suit :

 

[16]      La demandeure d’asile principale s’est vu demander si elle avait des documents officiels ou indépendants pour corroborer son récit au sujet des fausses accusations de détournement de fonds et de la commission d’enquête, telle qu’une copie du dossier de la procédure de la commission. Elle a répondu qu’ils avaient refusé de lui remettre les documents en question. À la question de savoir si elle avait une copie de la lettre de suspension, elle a répondu par la négative, ajoutant qu’elle n’en avait pas reçu. Elle s’est ensuite vu demander si elle avait une copie de sa demande de congé de maladie, et elle a répondu par la négative. La demandeure d’asile principale s’est vu demander d’expliquer les démarches qu’elle avait entreprises pour obtenir les documents corroborant son récit selon lequel elle a été faussement accusée de détournement de fonds. Elle a répondu qu’elle avait communiqué avec [traduction] « eux » (les employés du bureau administratif de l’hôpital) pour leur demander des documents, mais qu’ils ne les lui ont pas envoyés. La demandeure d’asile principale a affirmé que, lorsqu’elle a téléphoné en septembre 2007, Aslam, un responsable de l’hôpital, lui avait dit qu’aucune décision n’avait été prise encore dans son cas, mais qu’elle devait se présenter de nouveau devant la commission d’enquête et qu’elle obtiendrait alors des preuves de l’enquête. À la question de savoir la raison pour laquelle les employés de l’hôpital avaient refusé de lui fournir une preuve selon laquelle elle était soupçonnée d’avoir détourné des fonds, la demandeure d’asile principale a répondu qu’ils ne voulaient pas s’opposer aux représentants de l’administration du district et aux politiciens locaux, notamment le nazim. Je ne comprends pas ce qui explique le fait de fournir de tels documents constituerait de quelque façon que ce soit une opposition aux représentants du district. L’explication de la demandeure d’asile principale est invraisemblable. Sa crédibilité est amoindrie.

 

[46]           Je considère que la conclusion de la Commission à cet égard est déraisonnable. Premièrement, la Commission n’a pas expliqué de manière adéquate sa conclusion d’invraisemblance. Deuxièmement, elle a tiré sa conclusion sans apparemment tenir compte du contexte dans lequel ont été formulées les « fausses accusations de détournement de fonds » et sans apparemment comprendre le contexte culturel. De plus, je conclus que l’explication de la demanderesse présente un certain degré de cohérence : la position adoptée par l’employé de l’hôpital, qu’elle avait contacté dans le but de lui demander de la documentation corroborant les faits, est conforme à l’allégation de la demanderesse selon laquelle la commission d’enquête avait refusé de lui fournir les « preuves » du détournement allégué.

 

Absence d’un PRI corroborant la plainte déposée par la demanderesse à la police contre le nazim

 

[47]           La Commission a noté qu’il n’y avait pas de PRI corroborant le fait que la demanderesse principale avait porté plainte pour agression sexuelle à la police. Tirer une conclusion sur la crédibilité à partir de cet élément ne tient pas compte du témoignage de la demanderesse principale selon lequel la police avait refusé de porter plainte contre le nazim. Ainsi, cette conclusion est également déraisonnable.

 

Contradiction dans l’explication de la demanderesse en ce qui concerne sa demande de visa antérieure

 

[48]           Avant les événements décrits ci‑dessus, la demanderesse et son fils avaient présenté une demande de visa canadien temporaire depuis le Pakistan. La demanderesse a expliqué qu’elle avait prévu rendre visite à son frère au Canada. Cette demande a été rejetée en mars 2007. Les autorités ont exprimé les commentaires suivants au sujet de la demande rejetée : [traduction] « relevés bancaires personnels présentant des fonds généralement bas ou limités et dans lesquels on remarque des dépôts successifs inhabituels à l’approche de la date d’émission des relevés bancaires ».

 

[49]           La Commission a conclu que la crédibilité de la demanderesse était « minée » à la suite des explications contradictoires qu’elle a données concernant les [traduction] « dépôts [bancaires] inhabituels successifs » mentionnés par les fonctionnaires dans le cadre de la demande de visa. Il semble y avoir une contradiction entre la réponse qu’elle a donnée à la Commission au sujet de ces dépôts (c’est‑à‑dire qu’il n’y avait pas des dépôts inhabituels) et la réponse qu’elle a donnée plus tard aux questions de son avocat (c.‑à‑d. qu’elle avait effectué des dépôts sur le compte parce que ses amis lui avaient remboursé de l’argent qu’ils lui devaient). Toutefois, étant donné que cette contradiction n’était pas liée aux éléments fondamentaux de la demande d’asile des demandeurs, et compte tenu des erreurs commises par la Commission en ce qui concerne ses conclusions d’invraisemblance, cette incohérence n’est pas suffisante pour que la décision générale de la Commission concernant la crédibilité soit considérée comme étant raisonnable.

 

[50]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à une nouvelle audience et rende une nouvelle décision. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à une nouvelle audience et rende une nouvelle décision.

 

 

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

                                                                                                                      


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1129‑10

 

INTITULÉ :                                      ALIA ROBINA ET AL. c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           La juge Marie‑Josée Bédard

 

DATE :                                              Le 3 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LES DEMANDEURS

Marjolaine Breton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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