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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101026

Dossier : IMM-818-09

Référence : 2010 CF 1050

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

LAURENT KAMEDA KADJO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente est une demande présentée par Laurent Kameda Kadjo en vue de faire annuler une décision d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) défavorable rendue le 23 décembre 2008.

 

I.                    Le contexte

[2]               En juillet 2004, M. Kadjo est arrivé au Canada depuis Côte d’Ivoire. Il a présenté une demande d’asile fondée sur des allégations selon lesquelles il fait l’objet de persécution politique de la part du gouvernement et des forces rebelles.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (la CISR) a rejeté la demande d’asile de M. Kadjo dans une décision rendue le 2 novembre 2005. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour le 22 mars 2006. 

 

[4]               La CISR n’a pas cru M. Kadjo et elle a relevé de nombreux problèmes dans la preuve du demandeur. Elle a notamment soulevé les points suivants :

·                    une importante contradiction entre l’estimation de M. Kadjo quant au nombre de personnes tuées au cours de manifestations politiques en Côte d’Ivoire en 2004 et l’estimation qui figure dans les rapports documentaires (selon M. Kadjo, 11 000 personnes ont été tuées tandis que, selon la preuve documentaire, ce nombre s’élève à environ à quelques centaines de personnes tuées ou blessées);

·                    M. Kadjo n’a présenté aucune preuve à l’appui des prétendus décès de son père et de son frère;

·                    M. Kadjo n’a pas corroboré sa prétendue critique du gouvernement diffusée à la radio et n’a pas fait mention de cet événement dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) ou pendant son entrevue d’immigration;

·                    les différentes versions fournies par M. Kadjo au sujet des agressions et de la torture dont il a été victime de la part des soldats rebelles;

·                    l’absence de preuve physique de torture.

 

[5]               La CISR a conclu que M. Kadjo avait inventé ses allégations de persécution et elle a rejeté sa demande pour ces raisons.

 

[6]               À l’appui de sa demande d’ERAR, M. Kadjo a invoqué les mêmes allégations de risque que celles qui avaient été rejetées par la CISR. La majorité des éléments de preuve qui ont été présentés à l’agente d’ERAR (l’agente), l’ont été sous forme d’affidavit et la CISR n’aurait pas bien compris ou elle ne se serait pas bien souvenue de ces éléments de preuve. De plus, selon M. Kadjo, cette preuve se prêtait à une interprétation différente plus favorable. 

 

[7]               Le seul élément de preuve tout à fait nouveau présenté à l’agente était des lettres émanant d’un ami et d’une nièce en Côte d’Ivoire qui mentionnaient que les autorités étaient toujours à la recherche de M. Kadjo en raison des activités d’opposition auxquelles il avait participé en 2004. L’agente a répondu de la manière suivante à ces arguments :

[traduction] Il est important de se rappeler que le processus d’ERAR n’est pas un contrôle des décisions de la SPR. Le demandeur a exercé son droit d’appel devant la Cour fédérale et la décision de la SPR a été maintenue.

 

Une lettre, datée du 12 juillet, prétendument écrite par sa nièce qui mentionnait que la police était à sa recherche (M. Kadjo) afin de l’arrêter et de le torturer. Elle décrivait également la situation en Côte d’Ivoire. J’accorde peu de valeur probante à ce document. Le fait qu’elle dise « Je veux t’avertir que, selon une source crédible, on te recherche activement au pays [...] pour t’emprisonner et te torturer » (sic) est insuffisant pour rétablir la crédibilité du demandeur. Elle dit que cette source crédible est Damas Oponou, de la police financière. La SPR n’a pas cru que M. Kadjo avait témoigné à la radio, car il ne l’avait pas mentionné dans sa demande d’asile initiale. Cette preuve intéressée ne permet pas de rétablir sa crédibilité. M. Kadjo a dit qu’il a quitté la Côte d’Ivoire en juillet 2004. Cette lettre date du 12 septembre 2006, plus d’un an après la décision de la SPR. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il avait été incapable d’obtenir ce type d’information avant. Il allègue qu’il a eu des difficultés à communiquer avec les membres de sa famille, mais l’auteur de la lettre ne mentionne pas à quel moment la source crédible a fait mention d’un mandat d’arrestation ou de motifs d’arrestation. Bien qu’il s’agisse de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a), je ne suis pas convaincue que les renseignements qui figurent dans la lettre sont suffisants pour infirmer les conclusions de la SPR.

 

Il en va de même pour une lettre datée du 6 juillet 2006. L’auteur, Kouadio Kouaho, mentionne également que M. Kadjo est recherché par la police pour avoir dénoncé le gouvernement en 2004. Ma conclusion à l’égard de la valeur probante de cette lettre est la même que celle concernant la lettre de sa nièce. Il s’agit d’une preuve intéressée et elle est insuffisante pour infirmer le jugement de la SPR selon lequel cette histoire est fabriquée. Je souligne aussi que les originaux des documents n’ont pas été déposés.

 

Enfin, j’ai examiné les affidavits joints à la demande. Ces documents répètent l’essentiel des faits qui ont été présentés à la SPR, ainsi que des clarifications et des critiques du tribunal. Il ne s’agit pas de nouveaux éléments de preuve.

 

[Les notes en bas de page ont été retirées.]

 

II.         Les questions en litige

[8]               L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lors de son évaluation de la « nouvelle preuve » présentée au nom de M. Kadjo en vertu de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (la Loi)?

 

[9]               L’agente a-t-elle manqué à son obligation d’équité en n’accédant pas à la demande de M. Kadjo qu’une audience soit tenue en vertu de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, (DORS/2002-227) (le Règlement)?

 

III.       Analyse

[10]           On a fait valoir au nom de M. Kadjo que l’agente a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les deux affidavits ne constituaient pas une [traduction] « nouvelle preuve » au sens de l’alinéa 113a) de la Loi. On a également soutenu que l’agente devait tenir compte de cette preuve dans la mesure où elle avait trait aux conclusions relatives à la crédibilité et aux contradictions relevées par la CISR ou clarifiait sa preuve présentée à la CISR. 

 

[11]           Les arguments de M. Kadjo dénotent une incompréhension fondamentale de la portée de l’alinéa 113a) de la Loi. Il est faux de croire qu’un agent d’ERAR a le droit d’examiner à nouveau la preuve qui a été ou aurait pu être présentée à la CISR.

 

[12]           J’accepte le point soulevé par Mme Jones-Prus selon lequel la juge Karen Sharlow, dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] C.A.F. no 1632, a laissé la porte ouverte à la possibilité qu’un agent d’ERAR examine une preuve nouvelle, crédible et pertinente qui réfute une conclusion de fait tirée par la CISR. Cependant, selon moi, l’arrêt Raza ne mentionne pas que dans le cadre du processus d’ERAR, on puisse procéder à un nouvel examen de la preuve déjà soumise à la CISR ou qui aurait dû lui être soumise, mais qui ne l’a pas été. Un ERAR n’est pas un appel d’une décision de la CISR et ne donne pas la possibilité de prétendre que la CISR a mal interprété la preuve dont elle disposait. La juge Sharlow a clairement énoncé dans l’arrêt Raza que la question dont elle était saisie consistait à savoir si le demandeur d’ERAR « peut soumettre à l’agent d’ERAR des éléments qui n’avaient pas été présentés à la Section de la protection des réfugiés ». Elle soutient aussi qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un réexamen d’une décision défavorable quant à une demande d’asile (voir paragraphe 12). Les rationalisations faites après coup au sujet de la preuve présentée à la CISR ne peuvent prises en compte par un agent d’ERAR : voir la décision Latifi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, [2006] C.F. no 1738. 

 

[13]           La plupart des observations de M. Kadjo faites à l’agente contestaient de nouvelles plaidoiries de sa demande d’asile. Par exemple, il a allégué que la décision de la CISR était manifestement déraisonnable et que ses explications à la CISR n’auraient pas dû être rejetées. Il a également dit à l’agente que la CISR avait commis de nombreuses erreurs dans l’évaluation de la preuve. Un exemple de cette plainte se trouve dans l’extrait suivant de l’observation faite par l’avocat de M. Kadjo à l’agente : 

[traduction] De même, comme il a été souligné, le tribunal a contesté le témoignage du demandeur selon lequel « 11 000 personnes » ont été tuées au cours de ce massacre. Le témoignage du demandeur n’était pas compatible avec la preuve documentaire : le rapport du Département d’État des États-Unis indique que « plus de 100 personnes » ont été tuées; Amnistie Internationale cite des sources qui estiment qu’il y a eu « environ de 350 à 500 victimes ». En raison de cette divergence, le tribunal a conclu que le témoignage du demandeur était « une exagération grotesque mettant en doute sa crédibilité ».

 

Le fait que ses chiffres soient si erronés, soutient-on, résulte d’une erreur plutôt que d’une intention d’induire la Commission en erreur. Le tribunal aurait dû se demander ce que le demandeur espérait gagner en formulant une « exagération grotesque » si facilement démentie. La seule interprétation raisonnable de sa preuve,

soutient-on, c’est que M. Kadjo, un homme qui n’a pas beaucoup de scolarité, s’est trompé dans ses chiffres. Selon le demandeur, on ne pouvait tirer raisonnablement une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de cette erreur et que la conclusion contraire de la Commission est manifestement déraisonnable.

 

 

[14]           Il est rare qu’un agent d’ERAR révise des conclusions de fait tirées par la CISR, et il est d’autant plus rare qu’il révise une décision de la CISR qui a été confirmée en contrôle judiciaire :  voir la décision Quiroga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1306, 153 A.C.W.S. (3d) 192, aux paragraphes 12 et 13. Il y a peut-être quelques situations où une conclusion de fait importante tirée par la CISR peut s’avérer par la suite erronée à la suite de la présentation de nouveaux éléments de preuve irréfutables qui n’ont pas pu être présentés plus tôt. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Je ne discerne aucune erreur susceptible de contrôle dans la façon dont l’agente a traité la preuve. En effet, la décision de l’agente fait état de son pouvoir limité d’examiner les conclusions de fait et les conclusions quant à la crédibilité tirées par la CISR.

 

L’équité

[15]           M. Kadjo se plaint aussi que le refus de l’agente d’accéder à sa demande d’audience constituait un manque à l’obligation d’équité. Il soutient que, dans sa demande d’ERAR, sa crédibilité était directement en question et il aurait dû donc avoir la possibilité de se racheter et de traiter de ses nouveaux éléments de preuve. 

 

[16]           Je ne suis pas convaincu que la tenue d’une audience est nécessaire dans un cas comme celui en l’espèce où le demandeur d’ERAR a été jugé peu crédible par la CISR et où l’agente d’ERAR tire la même conclusion dans le contexte du même exposé sur les risques. L’agente d’ERAR ne fait pas une évaluation indépendante de la crédibilité et, en fait, en l’absence de nouveaux éléments de preuve, l’agente d’ERAR n’est pas autorisée à le faire.

 

[17]           On a fait valoir pour le compte de M. Kadjo que, comme l’agente a accepté les lettres de l’ami et de la nièce à titre de nouveaux éléments de preuve, le demandeur avait donc droit à une audience en vue de dissiper les réserves de l’agente au sujet de la fiabilité de cette preuve. Je ne suis pas de cet avis.

 

[18]           L’agente a examiné ces lettres et a conclu qu’elles avaient peu de valeur probante. L’agente a expliqué pourquoi elle n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve. L’affidavit de Mme Shen qui a été présenté à l’agente à titre de nouvel élément de preuve n’est qu’un récit, fabriqué à partir de ouï-dire, du présumé témoignage de M. Kadjo à la CISR, y compris une question que la CISR aurait omis de discuter avec le demandeur. L’affidavit de M. Kadjo est une critique similaire de la décision de la CISR, différente dans la mesure où il comporte une lettre émanant de sa nièce et une lettre émanant d’un ami. La raison qu’il a invoquée quant à savoir pourquoi il n’avait pas obtenu ces lettres plus tôt était que [traduction] « il [lui] était très difficile de communiquer avec quelqu’un qui habite dans le sud ».

 

[19]           Ces lettres me font que reprendre en partie le récit de ce que M. Kadjo a vécu en Côte d’Ivoire et le seul nouveau renseignement contenu dans celles-ci indiquait que, depuis son départ du pays, les autorités sont toujours à la recherche de M. Kadjo dans l’objectif déclaré de l’arrêter et de le torturer. M. Kadjo n’était pas en position de discuter de la fiabilité de cette preuve, car il n’était pas au courant des renseignements qu’elle comportait. Dans le contexte d’une demande d’ERAR, la tenue d’une audience n’est permise que si les conditions énoncées à l’article 167 sont satisfaites et que s’il y « l’existence d’éléments de preuve […] qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur […] ». Il doit s’agir d’éléments de preuve que le demandeur est en mesure de traiter, ce qui est rarement le cas lorsque de nouveaux renseignements émanent d’une tierce partie, et qui comportent des questions qui ne peuvent être directement attestées par le demandeur. Dans ce contexte, le défaut de tenir une audience n’est pas un manque à l’obligation d’équité et l’agente n’était pas tenue d’expliquer pourquoi une audience n’a pas été tenue. 

 

IV.       Conclusion

[20]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Aucune des parties n’a proposé une question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-818-09

 

INTITULÉ :                                       KADJO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 26 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melissa Jones-Prus et

Carole Dahan

 

POUR LE DEMANDEUR

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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