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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101027

Dossier : IMM-506-10

Référence : 2010 CF 1054

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2010

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

RATNARAJAH SINNAMMAH

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Le contexte

 

[1]               Mme Sinnammah Ratnarajah vit au Canada avec sa fille et ses petits-enfants depuis 2002. En 1998, elle a quitté le Sri Lanka, puis elle a vécu en Inde pendant quatre ans avant de venir au Canada. Elle a 68 ans.

 

[2]               Mme Ratnarajah a demandé l’asile au Canada en raison de sa crainte des Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande; la Cour lui a ensuite refusé l’autorisation de demander le contrôle judiciaire. Mme Ratnarajah a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et a demandé d’être exemptée, pour des motifs d’ordre humanitaire (demande CH), de l’exigence habituelle voulant que les demandeurs d’asile présentent leur demande de l’extérieur du Canada.

 

[3]               Un agent d’immigration a examiné la demande d’ERAR et la demande CH et a ensuite rejeté les deux demandes. Mme Ratnarajah est retournée au Sri Lanka après le rejet de sa demande de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Comme Mme Ratnarajah a quitté le Canada, sa demande est devenue théorique (Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 663). Sa demande CH ne l’est pas.

 

[4]               L’agent a rejeté la demande CH parce que Mme Ratnarajah n’a pas démontré qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait présenter une demande de résidence permanente depuis le Sri Lanka au lieu du Canada. La demande de Mme Ratnarajah portait principalement sur la terrible situation qui règne actuellement au Sri Lanka, notamment pour les personnes d’origine tamoule du nord du Sri Lanka comme elle, qu’elle serait exposée à de sérieuses difficultés si elle était obligée d’y retourner.

 

[5]               Mme Ratnarajah soutient que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants qui militent en sa faveur et que, pour cette raison, l’agent a tiré une conclusion déraisonnable. Elle me demande d’infirmer la décision de l’agent et d’ordonner que sa demande soit examinée par un autre agent.

 

[6]               Je souscris à l’affirmation que l’agent n’a pas tenu compte d’importants éléments de preuve et a rendu une décision déraisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               L’unique question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

 

II.     La décision de l’agent

 

[8]               Comme il a déjà été mentionné, la demande CH de Mme Ratnarajah portait principalement sur sa prétention selon laquelle elle serait exposée à de sérieuses difficultés au Sri Lanka en raison de la situation déplorable qui y règne, surtout pour les Tamouls du Nord. Elle a aussi prétendu qu’une femme âgée perçue comme étant relativement fortunée serait exposée à un risque plus important d’extorsion, d’enlèvement ou autres actes criminels.

 

[9]               Après avoir examiné la preuve étayant sa demande d’asile et la décision défavorable de la CISR, l’agent a renvoyé à la preuve documentaire relative aux violations des droits de la personne et au Sri Lanka et au climat de violence qui y règne. Selon l’agent, la preuve révélait que les problèmes au Sri Lanka touchaient soit l’ensemble de la population, soit des personnes qui ne sont pas dans la même situation que Mme Ratnarajah.

 

[10]           L’agent a ensuite relevé certains endroits où la situation s’est récemment améliorée au Sri Lanka :

 

            •           aucun enlèvement, disparition ou meurtre à Jaffna;

 

            •           les couvre-feux sont moins stricts;

 

•           davantage de policiers allaient être embauchés, surtout des policiers issus des groupes minoritaires musulmans et tamouls;

 

•           quiconque détient une carte d’identité peut maintenant habiter à Jaffna;

 

•           les Tamouls ont été libérés des camps de réfugiés et ont reçu de l’aide financière.

 

 

[11]           L’agent a conclu que la demande CH de Mme Ratnarajah n’était pas étayée par une preuve démontrant qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner au Sri Lanka.

 

III.   La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

 

[12]           Mme Ratnarajah allègue que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants. Elle renvoie en particulier à un rapport daté d’avril 2009 émanant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) dans lequel figurent les affirmations suivantes :

[traduction] 

 

•           Les violations des droits des femmes et des enfants, notamment, dans les zones de conflit et dans les endroits où il y a des déplacements importants, constituent un problème important.

 

•           Des arrestations et des détentions à grande échelle de Tamouls, dans l’ensemble du pays, ont été rapportées.

 

•           Le gouvernement a fait l’objet de nombreuses critiques en raison du nombre important de Tamouls qui ont été arrêtés et détenus, notamment, à la suite de renseignements recueillis lors séances d’enregistrement et lors d’interrogatoires à des barrages et à des points de contrôle routiers dressés autour de la capitale.

 

•           Des enlèvements de citoyens ont également été signalés à Colombo et dans la Province de l’Ouest. Les cas signalés concernent principalement des Tamouls, notamment des jeunes Tamouls.

 

•           De sérieuses violations des droits de la personne sont encore commises au Sri Lanka par de nombreux agents au Sri Lanka [qui] ont tous participé à de nombreux enlèvements, à des disparitions, à des meurtres, à des extorsions et à des recrutements forcés.

 

 

[13]           Le ministre soutient que les allégations de Mme Ratnarajah appellent, en fait, à une nouvelle évaluation de la preuve dont disposait l’agent. En outre, le ministre souligne que l’agent était manifestement au courant du rapport du HCNUR puisqu’il était mentionné dans la décision d’ERAR.

 

[14]           À mon avis, le rapport du HCNUR fait état de situations susceptibles de créer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à Mme Ratnarajah. De toute évidence, ce n’est pas toute la preuve documentaire, comme l’a conclu l’agent, qui porte uniquement sur la population du Sri Lanka en général et sur des personnes dont la situation diffère de celle de Mme Ratnarajah. L’agent devait à tout le moins renvoyer à une preuve qui contredisait cette conclusion et expliquer pourquoi l’autre preuve était plus pertinente et plus convaincante.

 

[15]           Il est vrai, comme le mentionne le ministre, que l’agent était au courant de l’existence du rapport du HCNUR. Cependant, l’agent a tout simplement mentionné que le rapport n’était pas contraignant et il n’a fait aucune mention de son contenu. Bien que le rapport n’était pas contraignant, il constituait une preuve importante que l’agent aurait dû prendre en compte.

 

[16]           Je conclus que la décision de l’agent était déraisonnable puisqu’il n’a pas tenu compte d’une preuve importante étayant la demande CH de Mme Ratnarajah.

 

IV.  Conclusion et dispositif

 

[17]           L’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants qui allaient à l’encontre de sa conclusion principale. Je conclus que la décision de l’agent était déraisonnable puisqu’elle n’appartient pas aux issues possibles, acceptables au regard des faits et du droit. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’un nouvel examen de la demande CH de Mme Ratnarajah par un autre agent. Aucune des parties n’a proposé une question de portée générale à certifier et aucune n’est certifiée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

2.                  aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-506-10

 

INTITULÉ :                                       SINNAMMAH c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 27 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Grice

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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