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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20101021

Dossier : T-1544-09


Référence : 2010 CF 1028

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

MICHAEL AARON SPIDEL

demandeur

et

 

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défenseur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Michael Aaron Spidel, le demandeur, est incarcéré à l’établissement Ferndale (Ferndale), à Mission (Colombie-Britannique). Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision prise par un responsable de l’administration pénitentiaire, qui l’oblige à faire un choix entre deux emplois rémunérés, conformément à une politique de cet établissement selon laquelle aucun détenu ne peut occuper plus d’un poste rémunéré.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               En janvier 2009, le Comité des détenus de Ferndale a créé le nouveau poste de secrétaire-trésorier. Auparavant, ce Comité était formé de deux postes. Le troisième poste a été approuvé par le directeur de Ferndale.

 

[3]               À l’époque, le demandeur exerçait les fonctions de commis au développement social, qui était un poste rémunéré à Ferndale.

 

[4]               En juillet 2009, le demandeur a été élu par acclamation au nouveau poste de secrétaire-trésorier.

 

[5]               Le poste de secrétaire-trésorier tombait sous le coup de la directive du commissaire no 83, laquelle prescrit que tous les postes de cette nature doivent être occupés à temps plein et rémunérés comme tel.

 

[6]               Peu après avoir été élu secrétaire-trésorier du Comité, le demandeur a été informé qu’il ne pouvait pas occuper en même temps deux postes rémunérés à temps plein et qu’il devait faire un choix entre son emploi de commis au développement social et son nouveau poste de secrétaire-trésorier du Comité des détenus.

 

[7]               Le 2 septembre 2009, le demandeur a déposé un formulaire de présentation d’un grief par un délinquant (premier palier) (le grief au premier palier). Il a fait savoir par la suite que ce grief allait être mis en suspens en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il a déposée avant de recevoir une réponse à son grief initial.

 

[8]               Le présent litige a été l’objet de plusieurs requêtes que le demandeur a déposées - cinq en tout - mais sans succès.

 

[9]               Le demandeur soutient qu’il ne cherche pas à obtenir le double de la rémunération des détenus pour les deux postes qu’il occupe, car le Règlement, fait-il valoir, interdit cette [traduction] « double rémunération ». Il affirme de plus qu’il ne conteste pas les politiques, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou son Règlement d'application (le Règlement). Il est donc difficile de savoir pour quel motif juridique précis le demandeur dit que la décision est ultra vires.

 

[10]           Le présent contrôle judiciaire soulève deux questions :

a)         si la Cour doit entendre le contrôle judiciaire, même si le demandeur n’a pas épuisé les recours que prévoit le processus de règlement des griefs;

b)         si la décision est déraisonnable ou par ailleurs non fondée.

 

[11]           Compte tenu de sa décision sur la première question, la Cour s’abstiendra de faire des commentaires sur le bien-fondé de la seconde question.

 

III.       ANALYSE

[12]           Aucune norme de contrôle ne s’applique à la première question. La Cour est tenue de prendre en considération les facteurs pertinents et de tirer une conclusion raisonnable sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour pour ce qui est d’entendre une demande de contrôle judiciaire lorsqu’il existe un autre recours approprié est soumis à la question de savoir s’il y a des circonstances exceptionnelles qui pourraient obliger par ailleurs la Cour à entendre une affaire malgré l’existence d’un recours subsidiaire approprié (Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352, et McMaster c. Canada (Procureur général), 2008 CF 647, aux par. 23 et 27).

 

[13]           Le demandeur invoque un certain nombre d’arguments, pas toujours faciles à suivre, pour établir l’existence de circonstances exceptionnelles. Au nombre de ces arguments figurent celui selon lequel l’issue du processus de règlement des griefs est certaine puisque c’est le directeur de Ferndale qui a établi la politique interdisant le cumul de deux postes rémunérés, que le processus de règlement des griefs de l’établissement comporte des retards systémiques et que le grief en question a été traité de manière inadéquate et aurait dû être étudié à un niveau de priorité supérieur.

 

[14]           Le demandeur soutient que le Règlement autorise le traitement d’un contrôle judiciaire avant que le processus interne de règlement des griefs ait été épuisé, et il invoque à cet effet le paragraphe 81(1) du Règlement, qui prévoit la suspension du processus de règlement des griefs quand un détenu sollicite un recours subsidiaire. Cet argument a été expressément rejeté par la juge Dawson dans l’arrêt McMaster, précité, aux paragraphes 32 et 33, et je souscris à cette conclusion.

32     Le paragraphe 81(1) entraîne la suspension de la procédure de règlement des griefs pendant qu’un détenu se prévaut d’un autre recours. Cette suspension prévue par le Règlement ne peut agir pour éliminer ou restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Cour en matière de contrôle judiciaire. De même, la Cour suprême n’a rien fait de plus que reconnaître que l’existence de la procédure de règlement des griefs n’empêchait pas un détenu de se prévaloir d’un recours juridique. La cour n’a pas modifié la jurisprudence existante concernant la manière qu’une cour de révision traiterait une demande de contrôle judiciaire lorsque des procédures de grief existantes ne sont pas suivies.

 

33     La décision Giesbrecht, précitée, appuie cette interprétation du paragraphe 81(1). Voici ce que le juge Rothstein y a écrit au paragraphe 13 :

     En l’espèce, c’est le dépôt de la demande de contrôle judiciaire qui a empêché le grief de suivre son cours en raison du paragraphe 81(1). Toutefois, la Cour a une emprise sur la demande de contrôle judiciaire, alors qu’elle n’avait aucun pouvoir sur la procédure devant la Commission canadienne des droits de la personne dans l’affaire Hutton. Il serait anormal qu’un demandeur puisse, en déposant une demande de contrôle judiciaire, s’arroger le pouvoir de décider si une procédure de règlement de griefs constitue une autre voie de recours appropriée. C’est à la Cour qu’appartient cette décision. Le contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire et la Cour ne peut être empêchée de décider qu’il existe une autre voie de recours appropriée simplement parce qu’un demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 81(1) du Règlement ne vise pas à permettre de déroger au pouvoir discrétionnaire de la Cour à cet égard. Il s’agit simplement d’un sursis légal de la procédure de règlement des griefs lorsqu’une autre procédure est engagée afin d’éviter que plusieurs instances se déroulent en même temps relativement à la même affaire. Le paragraphe 81(1) ne fait pas obstacle à la procédure de règlement des griefs si la Cour conclut qu’il s’agit d’une autre voie de recours appropriée et qu’elle rejette la demande de contrôle judiciaire. L’argument du demandeur ne peut donc être retenu.

 

[15]           Dans la décision Gates c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1058, j’ai expliqué ce qui suit :

26     À mon avis, la Cour ne devrait pas intervenir à la légère dans la procédure de plainte. Il existe des raisons solides, de principe et légales, pour exiger des détenus qu’ils emploient cette procédure. Seules des circonstances contraignantes, par exemple un préjudice physique ou mental réel ou une nette insuffisance de la procédure, peuvent justifier qu’on mette de côté la procédure de plainte (il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des circonstances justifiant l’abandon de la procédure habituelle).

27     Comme l’a reconnu l’arrêt May c. Ferndale Institution, [2005] 3 R.C.S. 809, la procédure de plainte n’est pas un code législatif complet. Bien qu’il ne s’agisse pas de questions de liberté comme dans l’arrêt Ferndale, la Cour est saisie de questions de santé, qui sont des questions graves. En outre, les faits établis sur les températures froides dans l’UDT ne sont pas fondamentalement contestés, ce qui accrédite les préoccupations de santé reliées aux températures froides.

28     Comme je l’ai souligné précédemment, l’article 81 prévoit expressément qu’un détenu puisse utiliser des recours judiciaires autres que les procédures internes. Cet article est en conformité avec l’économie du Règlement, qui veut qu’en présence de questions de fond urgentes et d’une inadaptation manifeste des procédures internes, la Cour soit habilitée à examiner la question des mesures de réparation.

 

[16]           Il doit donc y avoir des circonstances convaincantes ou exceptionnelles avant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour écarter le processus de règlement des griefs, et cela n’est pas le cas en l’espèce.

 

[17]           En général, le processus de règlement des griefs a été considéré approprié (voir Giesbrecht c. Canada (1998), 148 F.T.R. 81 (1re inst.), et Ewert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 971).

 

[18]           Il n’existe aucune preuve que l’issue du processus de règlement du grief du demandeur est certaine, pas plus qu’il n’y a lieu de croire que le grief ne sera pas examiné équitablement. Quoi qu'il en soit, ces prétentions ne sont pas des « circonstances exceptionnelles » qui obligent la Cour à intervenir à ce stade-ci du processus.

 

[19]           En ce qui concerne les doléances du demandeur au sujet des retards systémiques, il vaut la peine de mentionner que rien ne donne à penser que son propre grief a été indûment retardé. Tout retard a été causé par sa demande de contrôle judiciaire, une mesure qui a pour effet de suspendre le processus de règlement des griefs. Il est donc impossible à ce stade-ci de se plaindre d’un retard systémique quand il n’existe aucun retard.

 

[20]           Quant aux arguments du demandeur selon lesquels son grief a été contrecarré, qu’il n’a pas été transmis convenablement vers le haut de la chaîne hiérarchique et que, d’une certaine façon, son cas est lié à celui d’un autre détenu, un certain McDougal, il est difficile de voir avec clarté en quoi ces arguments sont pertinents. Si le grief est traité de manière inappropriée, cela peut être rectifié au sein même du processus ou lors d’un contrôle ultérieur.

 

[21]           La Cour est incapable de trouver des circonstances exceptionnelles qui puissent justifier que l’on s’écarte de la règle générale selon laquelle un demandeur doit épuiser tous les recours que lui offre le processus de règlement des griefs avant de s’adresser à la Cour.

 

[22]           En fait, vu la nature de la présente affaire, il serait préférable que la Cour dispose éventuellement du dossier du processus complet lors d'un contrôle judiciaire.

 

[23]           La Cour ayant conclu déjà qu’elle n’a pas à entendre l'affaire à ce stade-ci, elle ne fera donc aucun commentaire sur le bien-fondé du grief du demandeur.

 

[24]           Il a été brièvement question des dépens devant la Cour. Dans les circonstances, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

 

IV.       CONCLUSION

[25]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée; le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’issue du processus de règlement des griefs est préservé.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée; le droit de déposer une demande de contrôle judiciaire à l’issue du processus de règlement des griefs est préservé.

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

                                                                                             

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1544-09

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MICHAEL AARON SPIDEL

 

                                                            c.

 

                                                            CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

                                                            (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 OCTOBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 OCTOBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Aaron Spidel

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Sarah Stanton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LE DEMANDEUR

 

 


POUR SON PROPRE COMPTE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENSEUR

 

 

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