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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101022

Dossier : IMM-6367-09

Référence : 2010 CF 1037

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2010

En présence de Monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

ONYINYECHI ONYEMAECHI OHAKA

 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Onyinyechi Onyemaechi Ohaka est citoyenne du Nigéria. Elle est arrivée au Canada en 2005 munie d’un visa de visiteur. Elle soutient que si elle retourne au Nigéria, ses filles courraient le risque de subir la mutilation génitale féminine (MGF). Elle s’est fondée sur cette crainte et d’autres considérations pour demander la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire (CH), en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 (la LIPR). 

 

[2]               En octobre 2009, l’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR), S. Neufeld, a rejeté la demande CH de la demanderesse.

 

[3]               La demanderesse demande l’annulation de la décision de l’agente aux motifs que cette dernière :

 

                                                               i.      a mal compris la preuve;

 

                                                             ii.      n’a pas analysé correctement l’intérêt supérieur des enfants;

 

                                                            iii.      n’a pas pris adéquatement en compte le degré d’établissement de la demanderesse au Canada.

 

[4]               Pour les raisons suivantes, la présente est acceptée.

 

I.         Résumé des faits

[5]               Mme Ohaka et son fils sont arrivés au Canada en avril 2005, munis de visas de visiteurs. Lorsqu’elle est arrivée, Mme Ohaka était enceinte de jumelles. Ces dernières sont nées au Canada, leur père étant resté au Nigéria, semble-t-il dans l’État d’Anambra, où vit leur tribu Igbo.

 

[6]               Peu de temps après la naissance, l’ex-époux de Mme Ohaka a commencé à communiquer avec elle et à lui demander de retourner les filles au Nigéria afin qu’elles soient excisées comme le veut la coutume de leur tribu Igbo. Comme la MGF est brutale et pourrait mettre en danger la vie des filles, elle a présenté une demande d’asile largement fondée sur sa crainte que ses filles subissent la MGF si elles étaient renvoyées au Nigéria. Cette demande d’asile a été rejetée, tout comme sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[7]               Mme Ohaka  a déposé une demande CH en avril 2007, demande qu’elle a mise à jour en mai et juin 2009. Elle a aussi demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) en septembre 2007, qui a été rejeté par l’agente Neufeld approximativement au même moment où elle a rejeté la demande CH de Mme Ohaka. 

 

II.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[8]               L’agente a commencé l’évaluation de la demande CH de Mme Ohaka en faisant état des prétendus risques et difficultés auxquelles cette dernière et ses filles seraient exposées si elles étaient renvoyées au Nigéria. L’agente a accepté l’argument selon lequel la famille de l’ex-mari de Mme Ohaka allait demander à ce que les filles de cette dernière subissent la MGF, mais a souligné que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle-même avait été soumise à cette pratique. L’agente a de plus souligné que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) a conclu que les craintes de Mme Ohaka, concernant d’éventuels mauvais traitements et une possible MGF de la part de son époux et de la famille de ce dernier. De plus, l’agente a cité un rapport de l’Agence frontalière du Royaume-Uni intitulé Female Genital Mutilation (La mutilation génitale féminine). Ce rapport indique que La MGF est interdite dans l’État d’Edo, qu’elle a, à tort, mentionné comme étant l’État d’origine de Mme Ohaka. En outre, elle a souligné que Mme Ohaka, qui est dentiste de formation et qui est très instruite, n’avait pas fourni assez de renseignements pour indiquer qu’elle ne serait pas en mesure de protéger ses filles de la MGF si elles étaient renvoyées au Nigéria.

 

[9]               L’agente a aussi rejeté l’argument de Mme Ohaka selon lequel elle serait exposée à un risque de préjudice à cause de son appartenance au mouvement pour la réalisation de l’État souverain du Biafra, (le MASSOB). À cet égard, l’agente a estimé que Mme Ohaka n’avait produit aucun élément de preuve indiquant qu’elle était personnellement engagée dans le MASSOB à tel point qu’elle serait harcelée par les autorités nigérianes si elle retournait au Nigéria.

 

[10]           Quant aux éventuelles difficultés auxquelles Mme Ohaka et ses filles pourraient être exposées si les liens familiaux ou personnels étaient rompus, l’agente a simplement souligné ce qui suit :

         i.            les filles de Mme Ohaka ont une double citoyenneté : canadienne et nigériane. Elles ont donc le droit de demeurer au Canada ou de retourner au Nigéria, selon ce que décidera leur mère;

       ii.            Mme Ohaka n’a pas fourni assez de renseignements pour indiquer que l’un ou l’autre scénario engendrerait des difficultés.

 

[11]           L’agente a également conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve démontrant que Mme Ohaka et ses filles subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elles devaient rompre les liens avec leurs amis ou autres au Canada.

 

[12]           En examinant l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a cité ce qu’elle avait déjà déclaré et a souligné que les deux parents étaient instruits à titre de médecins au Nigéria. Elle a aussi déclaré que peu de renseignements indiquant que ces derniers ne seraient pas en mesure de payer les frais scolaires de leurs enfants au Nigéria avaient été fournis. L’agente a de plus souligné que, selon un rapport du Département d’État des États-Unis, les filles et les garçons ont accès aux soins de santé offerts par le gouvernement. L’agente s’est fondée sur ce qui précède pour conclure que les enfants ne seraient pas susceptibles d’avoir des difficultés s’ils étaient renvoyés au Nigéria. Elle a aussi mentionné que n’importe quelle difficulté serait neutralisée par le fait que les enfants seraient réunis à leur père.

 

[13]           L’agente s’est aussi fondée sur ce qui précède pour conclure que Mme Ohaka n’a pas démontré que (i) les difficultés auxquelles Mme Ohaka et ses enfants seraient exposés relativement à leur retour au Nigéria et que (ii) le fait de devoir présenter leur demande de résidence au Canada à partir du Nigéria constitueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

III.      La norme de contrôle

[14]           Les questions soulevés par Mme Ohaka sont contrôlables selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51-56). En bref, la décision rejetant la demande CH sera confirmée à moins qu’elle n’appartienne pas aux    « issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

IV.       Analyse

A.     L’agente a-t-elle commis une erreur en comprenant mal les éléments de preuve?

 

[15]             Mme Ohaka allègue que l’agente de l’ERAR, en rejetant l’argument selon lequel ses filles seraient exposées au risque de MGF, a commis une erreur contrôlable parce que (i) l’agente a affirmé à tort que Mme Ohaka faisait partie de la tribu Edo et qu’elle retournerait dans l’État d’Edo où la MGF est interdite, plutôt que dans l’État d’Anambra où il est prouvé que la pratique de la MGF est encore très courante et parce que (ii) l’agente s’est livrée à des conjectures en estimant que Mme Ohaka serait en mesure d’empêcher son ex-mari et sa famille de soumettre ses filles à la MGF. Je souscris à cette opinion.

 

[16]           Les éléments de preuve présentés à l’agente indiquent clairement que Mme Ohaka et son ex‑époux sont membres de la tribu Igbo, qui vit dans l’État d’Anambra. De plus, le rapport du Département d’État des États-Unis cité par l’agente énonce que la MGF est beaucoup plus pratiquée dans la région sud [du pays] chez les Yoruba et les Igbo. Ce rapport n’a pas mentionné Anambra dans la liste d’États qui ont interdit la MGF. De plus, ce rapport mentionnait que le gouvernement fédéral avait condamné publiquement la MGF, mais n’avait entrepris aucune action sur le plan juridique pour enrayer cette pratique. Une autre preuve documentaire a montré que l’incidence de la MGF dans les États du sud où la tribu Igbo vit était estimée à un pourcentage aussi élevé que 95 %.

 

[17]           Le défendeur allègue que la mention de la tribu Edo et de l’État d’Edo par l’agente n’était pas déterminante et soutient que l’agente fait fi d’éléments de preuve importants. Le défendeur estime aussi que l’agente a rejeté l’argument de Mme Ohaka quant à la MGF parce qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle-même, membre de la tribu Igbo, avait subi personnellement la MGF. Je ne suis pas de cet avis.

 

[18]           Je suis convaincu que la mauvaise compréhension apparente, de la part de l’agente, des éléments de preuve relatifs à l’État d’origine de Mme Ohaka et à la mesure dans laquelle la MGF continue à être pratiquée dans cet État, particulièrement dans la tribu Igbo dont Mme Ohaka est membre, pourrait avoir joué un rôle important dans l’analyse de l’agente quant à la nature des difficultés que les filles de Mme Ohaka pourraient connaître si elles devaient retourner au Nigéria avec leur mère.

 

[19]           Il aurait été raisonnable de la part de l’agente d’en venir aux conclusions qu’elle a tirées si (i) elle avait évalué le risque de MGF dans l’État d’Anambra et dans la tribu Igbo, (ii) elle avait examiné la preuve documentaire concernant ce risque spécifique (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] A.C.F. no 1425, paragraphe 17 (1re inst.)), (iii) elle avait examiné plus en détail la capacité de Mme Ohaka à résister à toute tentative que son ex-époux et sa famille pourraient faire pour soumettre ses filles à la MGF et (iv) elle avait fait une évaluation plus significative de la nature des difficultés que les filles de Mme Ohaka pourraient faire face si cette dernière les laissait au Canada, où semble-t-il, elle n’a pas de famille. Toutefois, le fait que l’agente n’ait pas fait cela a rendu sa décision déraisonnable.

 

[20]           Vu la conclusion à laquelle j’en arrive, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par Mme Ohaka.

 

V.        Conclusion

[21]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[22]           Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

 

                                                                                                « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6367-09

 

INTITULÉ :                                       OHAKA c. LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)      

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 octobre 2010    

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 octobre 2010    

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Onyinyechi Onyemaechi Ohaka

LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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