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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20101025

Dossier : IMM-1396-10

 

Référence : 2010 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

ENTRE :

ZEF SHPATI

demandeur

et

 

Le ministre de la sécurité publique

et de la protection civile

 

défendeur

 

Dossiers : IMM-6518-09

IMM-6522-09

 

ET ENTRE :

ZEF SHPATI

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

Motifs de l’ordonnance

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Zef Shpati avait presque tout. Il a passé les 25 premières années de sa vie interné dans un camp de travail en Albanie. En 1991, il s’est évadé vers ce qui était alors la Yougoslavie. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré qu’il était une personne relevant de sa compétence. Il a obtenu des documents de voyage pour se rendre aux États-Unis. Il s’est installé au Michigan avec son épouse et ses enfants et est devenu un résident permanent de ce pays. Ses parents et son frère sont venus vivre dans le même quartier.

 

[2]               Plusieurs années plus tard, il a fait une chose très stupide. Il a utilisé la carte de résident permanent (la carte verte) de son épouse pour faire venir l’épouse de son frère aux États-Unis. Il a été pris en défaut et expulsé en Albanie en 2005. Il a immédiatement fait demi-tour et est venu au Canada, où il a présenté sans succès une demande d’asile.

 

[3]               Il a alors sollicité un examen des risques avant renvoi (ERAR) et demandé l’autorisation de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (HC). Ses demandes ont été rejetées. À ce moment-là, il était prêt à être renvoyé du Canada. Selon l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), un tel étranger est tenu de quitter immédiatement le territoire du Canada. Sinon, la mesure de renvoi « [doit] être appliquée dès que les circonstances le permettent ».

 

[4]               Il a immédiatement déposé à la Cour des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre des deux décisions. Pendant que ces demandes d’autorisation étaient en instance, un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada a cherché à le renvoyer en Albanie. M. Shpati a demandé que son renvoi soit reporté jusqu’à l’issue des deux demandes. L’agent a refusé. Ce refus a donné lieu à la présentation d’une troisième demande à la Cour, soit une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision. Il a également présenté à la Cour une demande de sursis à la mesure de renvoi jusqu’à l’issue des trois contrôles judiciaires.

 

[5]               En mars de cette année, j’ai accordé un sursis jusqu’à l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi. J’ai rejeté les requêtes présentées dans le cadre des demandes d’ERAR et CH, puisqu’elles étaient alors théoriques. Mes motifs sont publiés dans Shpati c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 367.

 

[6]               Par la suite, j’ai accordé une autorisation à l’égard des trois demandes. Les contrôles judiciaires ont été entendus ensemble.

 

LE SURSIS À LA MESURE DE RENVOI

[7]               Les motifs pour lesquels j’ai accordé un sursis à la mesure de renvoi à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent d’exécution de ne pas reporter l’exécution de la mesure sont pleinement énoncés dans ma décision antérieure. Qu’il me suffise de dire que l’opinion de l’agent, indiquant que, si M. Shpati obtenait une décision d’ERAR favorable, il serait en mesure de revenir au Canada, a soulevé une question sérieuse en ce que l’opinion n’a pas pris en compte l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 171, 82 Imm. L.R. (3d) 167. Cet arrêt permet d’affirmer que seules les personnes physiquement présentes au Canada ont droit à un ERAR. Même si une personne est renvoyée du Canada involontairement, l’ERAR devient quand même théorique. Le préjudice irréparable était que l’agent avait examiné le risque auquel pouvait être exposé M. Shpati s’il retournait en Albanie, un examen qu’il n’avait pas la compétence de réaliser. Il s’en est suivi que la prépondérance des inconvénients favorisait M. Shpati. Pour le ministre, les inconvénients sont que, si M. Shpati ne réussit pas au bout du compte à obtenir une décision favorable à l’égard de sa demande d’ERAR ou à l’égard de sa demande CH, il demeurera au Canada pendant une courte période au‑delà de la date de renvoi prévue à l’origine. Cela ne se compare pas avec la menace à la vie de M. Shpati.

 

L’Autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire

[8]               Une personne n’a pas automatiquement le droit de demander un contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue en vertu de la LIPR. L’article 72 de la Loi prévoit qu’il faut tout d’abord obtenir une autorisation et, à moins de directives contraires du juge, il est statué sur la demande « à bref délai et selon la procédure sommaire ». La pratique est telle que la décision est rendue sans tenir d’audience et sans fournir de motifs, qu’il s’agisse d’accueillir ou de rejeter la demande d’autorisation.

 

[9]               L’autorisation doit être accordée si la cause est raisonnablement défendable, ce qui est assurément une norme inférieure à celle de la prépondérance des probabilités. L’arrêt clé est celui de la Cour d’appel fédérale dans Bains c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1990), 109 N.R. 239, 47 Admin. L.R. 317. J’ai tenté d’énoncer ma compréhension du processus dans Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1007, 333 F.T.R. 288.

 

[10]           Afin de donner à un demandeur une occasion équitable de faire valoir sa cause et au défendeur, habituellement le ministre, une occasion équitable d’y répondre, les Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés prévoient des délais pour le dépôt d’affidavits et le dépôt des mémoires écrits des faits et du droit. Il est utile de souligner que, sauf ordonnance contraire, le contre-interrogatoire des auteurs d’affidavits n’est pas permis avant que l’autorisation soit accordée.

 

[11]           Une fois que l’autorisation est accordée, l’audience doit avoir lieu dans les 90 jours. L’ordonnance habituelle qui accorde l’autorisation, à l’instar des ordonnances dans ces cas, demande au tribunal concerné de fournir des copies de son dossier aux parties et à la cour, indique que le demandeur et le défendeur peuvent tous deux déposer d’autres affidavits, que le contre‑interrogatoire des auteurs d’affidavits est permis, et que le demandeur et le défendeur peuvent déposer d’autres mémoires d’arguments.

 

LE Contrôle judiciaire de la décision d’ERAR

[12]           La demande d’asile de M. Shpati a été rejetée, car la situation du pays avait assurément changé en Albanie au cours des 15 années de son absence. Sa crédibilité était douteuse en ce qu’on a cru qu’il tentait d’embellir un différend foncier avec sa famille. On a conclu qu’il pouvait se prévaloir de la protection de l’État et d’une possibilité de refuge intérieur.

 

[13]           Le critère en trois volets utilisé pour se prononcer sur la question de savoir si une injonction interlocutoire ou une suspension de procédure devrait être accordée ne s’applique pas au contrôle judiciaire de la décision d’ERAR, pas plus qu’à celui de la décision CH et au refus d’accorder une suspension administrative. La question est de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion déraisonnable, l’une ou l’autre ou les deux ayant donné lieu à une décision déraisonnable. Compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, les questions de droit sont habituellement examinées selon la norme de la décision correcte, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait sont examinées selon la norme de la raisonnabilité. Bien que certains décideurs fassent l’objet de déférence lorsqu’ils interprètent leur loi constitutive ou les lois qui y sont étroitement liées, cela n’a jamais été le cas à l’égard de ceux qui administrent la LIPR.

 

[14]           L’ERAR se limite à la présentation de nouveaux éléments de preuve, c’est-à-dire, conformément à l’article 113 de la LIPR, à des éléments de preuve « survenus depuis le rejet ou qui n’étaient pas alors normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il [le demandeur d’asile] les ait présentés au moment du rejet ». Ces nouveaux éléments de preuve doivent être des éléments de preuve qui donnent lieu à une crainte fondée d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR ou d’être exposé au risque d’être soumis à la torture, ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités selon l’article 97.

 

[15]           À première vue, il est possible de soutenir que M. Shpati a présenté de nouveaux éléments de preuve sous forme de lettres selon lesquelles les communistes destitués étaient toujours puissants et le recherchaient toujours pour lui causer un préjudice. Un assassinat a aussi été mentionné.

 

[16]           Cependant, ayant été saisi d’arguments complets et eu l’occasion de réfléchir, je suis convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, la décision de l’agent était raisonnable et devrait être maintenue. Les renseignements fournis étaient extrêmement vagues. L’agent était justifié d’accorder peu de poids aux documents et d’estimer que les allégations de M. Shpati relevaient de la conjecture. Il n’avait pas réfuté avec succès la présomption de la protection de l’État au moyen des nouveaux éléments de preuve.

 

LE Contrôle judiciaire de la demande CH

[17]           Selon la règle habituelle, une personne doit présenter une demande de visa de résident permanent à l’extérieur du Canada. Cependant, l’article 25 de la LIPR, tel qu’il était libellé, prévoit que le ministre peut étudier le cas d’un étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la Loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des autres critères applicables, s’il estime que des considérations CH le justifient « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » ou s’il estime que « l’intérêt public le justifie ».

 

[18]           Le décideur est appelé à apprécier l’établissement du demandeur au regard de sa vie dans son pays d’origine, combiné à une prédiction quant à la question de savoir si une demande de statut de résident permanent depuis l’extérieur du Canada, ce qui est la règle, constituerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Même si des préoccupations en matière de persécution et de risque ne répondent pas aux articles 96 et 97 de la LIPR, elles peuvent être quand même pertinentes dans une demande CH comportant des allégations de risque (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 177, 321 D.L.R. (4th) 111.

 

[19]           Je conclus que la décision de l’agente (pas le même agent qui s’est prononcé sur la demande d’ERAR) est, selon le libellé de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, « abusive ou arbitraire ».

 

[20]           Au cours des cinq années pendant lesquelles M. Shpati a été au Canada, et même avant lorsqu’il a tenté d’entrer au Canada en qualité de visiteur en 2001, son récit a été cohérent et tous les décideurs, à l’exception de l’agente CH, l’ont accepté.

 

[21]           L’épouse de M. Shpati est également albanaise. Cependant, elle est maintenant une citoyenne des États-Unis, de même que ses trois enfants. Les parents de M. Shpati et, fait intéressant, son frère et sa belle-soeur qui est là clandestinement, résident près de chez l’épouse de M. Shpati. M. Shpati est le seul pourvoyeur pour son épouse et ses enfants. Une rivière, la rivière Detroit, traverse leur vie. Ils vivent à une distance de 30 kilomètres les uns de l’autre. La famille se déplace de Canton Township, au Michigan, les fins de semaines et les jours fériés et habite avec lui à Windsor. Il est en communication constante avec les membres de sa famille. En effet, la facture de téléphone produite indique deux appels téléphoniques par jour.

 

[22]           L’agente a conclu qu’il n’avait pas présenté de documents à l’appui de la proposition selon laquelle il avait été un résident permanent des États-Unis. Cependant, une copie de sa carte de résident permanent était déjà versée au dossier. Elle a également conclu qu’aucun élément de preuve n’indiquait que son épouse et ses enfants étaient des résidents permanents des États-Unis et encore moins des citoyens et qu’aucun élément de preuve ne montrait que sa famille lui avait régulièrement rendu visite au Canada. L’agente n’était pas convaincue que sa réinstallation en Albanie aurait une incidence défavorable importante sur les enfants ou la famille dans son ensemble qui constituerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[23]           Des lettres des avocats remontant à 2006 contiennent plusieurs déclarations concernant la situation de M. Shpati. La décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 74 Imm. L.R. (3d) 306, a statué qu’il y avait des cas dans lesquels les déclarations d’avocats peuvent être considérées comme des éléments de preuve. En l’espèce, outre les déclarations des avocats, il y en avait d’autres, plus récentes, de la part d’un consultant en immigration. Étant donné que la situation familiale de M. Shpati avait toujours été acceptée sans susciter de questions, il aurait dû être informé que l’agente voulait plus de précisions. Certaines personnes ne sont jamais satisfaites, et ce qui peut satisfaire certaines personnes peut ne pas en satisfaire d’autres. L’acceptation antérieure de son récit a fait que les conseillers de M. Shpati ont tout naturellement supposé qu’il serait accepté à nouveau. Il ne s’agit pas ici d’un cas d’insuffisance de preuve. Il s’agit d’une affaire de crédibilité. En effet, si l’agente était préoccupée par la crédibilité de M. Shpati, elle aurait dû tenir une audience comme le prescrit l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[24]           Compte tenu de l’importance de cette décision pour M. Shpati, ainsi que pour son épouse et ses enfants, et compte tenu de l’intérêt public en ce qui a trait à la réunification des familles, il était tout à fait inapproprié que l’agente choisisse de ne pas croire M. Shpati. Si elle avait des préoccupations, la justice naturelle commandait qu’elle dût les exprimer et lui donner une occasion d’y répondre. M. Shpati occupe en ce moment un bon emploi à Windsor. Il n’y a eu aucune analyse de la situation des emplois en Albanie, du produit intérieur brut de ce pays en comparaison de celui du Canada et de la mesure dans laquelle il serait en mesure de subvenir aux besoins de sa famille tout en vivant en Albanie.

 

[25]           Si l’agente doutait que l’épouse de M. Shpati fût également réfugiée au sens de la Convention et qu’il fût réticent à retourner en Albanie, ce doute aurait dû être soulevé afin de pouvoir y répondre.

 

[26]           L’agente n’indique même pas que, si M. Shpati présentait une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada, il obtiendrait une décision favorable. À l’heure actuelle, nous sommes en présence d’une situation comparable à celle où plusieurs personnes font le trajet entre leur travail et leur résidence sur une base hebdomadaire. Ce bannissement vers l’Albanie ne tenait certainement pas compte de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[27]           L’enfance n’est pas éternelle. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la juge L’Heureux-Dubé a fait remarquer au paragraphe 15 que les décisions CH avaient des conséquences capitales sur l’avenir des personnes même si elles sont séparées d’un seul parent seulement. Au paragraphe 66, elle a ajouté que le législateur considérait qu’il était important que les familles demeurent unies. La rivière qui traverse la vie des Shpati signifie que leur situation est loin d’être parfaite, mais elle vaut beaucoup mieux que celle qui est préconisée. Je conclus que la décision est déraisonnable.

 

[28]           Bien que j’aie principalement mis l’accent sur la situation de M. Shpati au Canada, avec son épouse et ses enfants à charge tout près, mais en mesure de lui rendre visite régulièrement, l’agente a également mentionné les préoccupations de M. Shpati selon lesquelles il subirait de grandes difficultés émotionnelles et psychologiques s’il était tenu de retourner en Albanie. Elle a simplement conclu que, compte tenu de ses antécédents en matière d’emploi, il serait en mesure de se réinstaller en Albanie. Le fait est qu’il ne s’est jamais établi en Albanie. Il n’y avait absolument aucune analyse de la question de savoir si le retour dans un pays d’où il s’est évadé, parce qu’il avait vécu toute sa vie dans un camp de travail, constituait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Les répercussions de retourner à un endroit où il a changé de nom pour cacher son identité catholique n’ont aucunement été prises en compte. Un énoncé de fait combiné à une conclusion, mais sans analyse, ne constitue pas des motifs et est un manquement à l’équité procédurale (R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, et North c. West Region Child and Family Services Inc., 2007 CAF 96, 362 N.R. 83).

 

Le contrôle judiciaire du refus de reporter le renvoi

[29]           Le souci que j’avais que M. Shpati était sur le point d’être envoyé par un agent qui n’avait aucune formation à l’égard de ces questions, à un endroit où il pourrait subir un préjudice irréparable est maintenant dissipé. Si l’agent s’en était remis au processus judiciaire, M. Shpati se trouverait exactement dans la même situation que celle dans laquelle il est à l’heure actuelle. Le contrôle judiciaire de son ERAR a été rejeté. Le contrôle judiciaire de la décision CH a été accueilli. Le sursis interlocutoire que j’ai accordé est maintenant terminé. Il a le droit à une nouvelle décision au sujet de sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada.

 

[30]           Une demande CH ne donne pas automatiquement lieu à une suspension administrative en attendant l’issue de ce qui sera, en l’espèce, un examen de novo. L’Agence des services frontaliers du Canada pourrait, nonobstant le fait que le contrôle judiciaire a été accordé, adopter de nouveau la position selon laquelle « les circonstances [...] permettent », au sens de l’article 48 de la LIPR, de renvoyer M. Shpati maintenant. Si, au bout du compte, M. Shpati avait gain de cause dans le réexamen de sa demande CH, même s’il était renvoyé maintenant, il serait autorisé, comme le prévoit la jurisprudence actuelle, à revenir au Canada (Shchelkanov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 76 F.T.R. 151, et Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261).

 

[31]           La question qui se soulève naturellement est de savoir si ce contrôle judiciaire particulier est maintenant devenu théorique, compte tenu du fait que le contrôle judiciaire de l’ERAR a été rejeté. Il est assurément inutile de recourir à la mesure de redressement habituelle consistant à renvoyer l’affaire à un autre argent pour nouvelle décision. Il ne s’ensuit toutefois pas que le contrôle judiciaire lui-même est devenu théorique. Selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, une des mesures que peut prononcer la Cour est de déclarer nul ou d’infirmer toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte, sans prononcer une autre ordonnance. Il existe toujours un litige actuel entre les parties. M. Shpati est toujours en état d’être renvoyé, mais il désire demeurer au Canada en attendant la nouvelle décision quant à sa demande CH (Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, 309 D.L.R. (4th) 411).

 

[32]           Ma préoccupation en ce qui concerne l’ERAR était que, comme je le comprends, l’effet de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Perez, précité, est tel que, si M. Shpati est renvoyé, il perd tout droit qu’il pourrait avoir de revenir, à moins que la Cour ne décide d’entendre une affaire qui est devenue théorique. Bien qu’il soit loisible au ministre d’accorder un sursis temporaire pendant l’examen de la demande CH, il n’y a à ce moment-ci aucune indication que ce sera le cas pendant que l’affaire de M. Shpati fera l’objet d’un réexamen (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, article 233).

 

[33]           En présence d’une requête en sursis présentée de façon urgente, le juge des requêtes a rarement l’occasion d’examiner le bien-fondé d’une affaire de façon significative, particulièrement en ce qui a trait à des questions de fait contestées. La Cour suprême ne s’attend pas à ce que le juge des requêtes soit dans une position de tirer des conclusions aussi capitales (Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311). De plus, au moment où la requête est entendue, le dossier est incomplet. Je me réfère à la décision du juge Pelletier dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682, dans laquelle il a déclaré ce qui suit au paragraphe 45 :

En l’instance, la mesure dont on demande de différer l’exécution est une mesure que le ministre a l’obligation d’exécuter selon la Loi. La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. Cette justification doit se trouver dans la Loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l’autoriser à ne pas respecter l’article 48 de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, ainsi que l’obligation de s’y conformer, il y a lieu de faire grand état à l’encontre de l’octroi d’un report de la disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d’une obligation imposée par la Loi. Pour ce motif, je serais plutôt d’avis qu’en l’absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne ne peut justifier un report, parce qu’il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[34]           En l’espèce, contrairement à Wang, la demande CH de M. Shpati a également soulevé une menace à la sécurité de la personne. Bien qu’il ait été conclu dans sa demande d’asile et dans son ERAR qu’il n’était pas fondé de craindre d’être persécuté et qu’il n’était pas une personne à protéger du fait qu’il était exposé au risque d’être soumis à la torture, ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, les mêmes éléments peuvent très bien constituer des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[35]           La présente affaire est également différente de Wang en ce que, dans cette affaire, la demande présentée à l’agent d’exécution était de différer le renvoi jusqu’à ce que la décision CH soit rendue. Cela a naturellement exigé que le juge qui entendait la requête en sursis examine attentivement le bien-fondé, puisque, si la requête interlocutoire était accueillie, elle trancherait dans les faits sur le fond de l’affaire. En l’espèce, les décisions d’ERAR et CH ont déjà été rendues. Ainsi, la demande concerne un délai de report beaucoup plus court, soit jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée, et si elle est accueillie, jusqu’à ce que le contrôle judiciaire soit tranché.

 

[36]           Dans les circonstances, j’estime que la question n’est pas théorique. Les conséquences de l’arrêt Perez, précité, ont soulevé de graves préoccupations et donné lieu à un traitement inégal des requêtes en sursis. Des sursis ont été accordés en s’appuyant sur les conséquences de l’arrêt Perez. Des sursis ont été refusés, car Shpati se distinguait selon les faits. Des sursis ont été refusés sans aucune mention de Perez ou de Shpati.

 

[37]           Dans Dhurmu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM-1610-10, et dans Dhurmu c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, IMM-1759-10, le juge Phelan a accordé des sursis fondés sur des préoccupations semblables à celles que j’ai exprimées dans Shpati. Le juge Hughes a fait de même dans Gjokaj c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et dans Gjokaj c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, IMM‑1726-10 et IMM-2002-10.

 

[38]           Le juge Mosley a fait une distinction d’avec Shpati dans Sansores c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM-2532-10, au motif que l’agent d’exécution n’avait pas tenté d’apprécier les risques (ce qui, comme je l’ai statué au paragraphe 43 de Shpati, était nettement au‑delà du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 48 de la LIPR). Le juge de Montigny a également refusé d’accorder un sursis dans Cui c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑4159‑10, et dans Cui c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, IMM‑4206‑10. Il a souligné que Shpati était circonscrit par les faits particuliers qui sous-tendaient cette affaire.

 

[39]           Dans Therqaj c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑3598‑10, le juge Zinn a mentionné Shpati, mais n’a pas reconnu que la demande de contrôle judiciaire théorique d’une décision d’ERAR défavorable entraînait automatiquement un préjudice irréparable.

 

[40]           Finalement, dans Karthikeyan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑1602‑10, et dans Idyamat c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑2740‑10, les juges Crampton et Boivin ont rejeté les requêtes en sursis. Les ordonnances motivées n’indiquent aucunement s’ils se sont reportés à Perez et à Shpati.

 

[41]           Il me semble que la Cour, les avocats et ceux qui administrent la LIPR tireraient avantage de la sagesse de la Cour d’appel fédérale dans ces affaires.

 

[42]           S’appuyant sur ce que j’ai dit dans la première décision Shpati, les deux parties se sont élevées contre le paragraphe 45 qui est rédigé comme suit :

Bien qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision défavorable quant à l’ERAR ne donne pas automatiquement lieu à l’octroi d’un sursis, j’estime difficile d’admettre que le législateur ait entendu que « dès que les circonstances le permettent », un agent d’exécution, qui n’a pas acquis une formation en la matière, puisse priver un demandeur du recours même qu’il lui avait accordé.

 

Je demeure fortement de cet avis, mais j’insiste sur le fait que l’arrêt Perez ne visait pas le refus d’un agent d’exécution de différer le renvoi. L’arrêt Perez concernait une décision de la Cour de ne pas accorder un sursis.

 

[43]           S’appuyant sur la décision Wang, précitée, et sur l’arrêt Baron, précité, M. Shpati indique que l’agent d’exécution est tenu de vérifier si les demandes sous-jacentes de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions d’ERAR et CH défavorables, comportant des allégations de risque, ont été présentées de bonne foi et en temps opportun. Si c’est le cas, une suspension administrative devrait être accordée, puisque la décision concernant la question de savoir si une autorisation sera accordée ou non sera rendue au cours des prochains mois. Le ministre souligne cependant, à juste titre à mon avis, qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en temps opportun lorsqu’une personne est déjà en état d’être renvoyée n’entraîne pas automatiquement une suspension.

 

[44]           Les deux parties soulignent toutefois que la situation pourrait changer après un ERAR défavorable, ou une décision CH défavorable, ce qui pourrait donner lieu à de nouvelles demandes administratives. Dans de tels cas, les agents CH et d’ERAR saisis de ces nouvelles demandes ne seraient pas en mesure de prendre une décision rapide avant le renvoi prévu, et ainsi, il n’y aurait pas de décision sous-jacente en fonction de laquelle un sursis à la mesure de renvoi pourrait être accordé ou refusé par la Cour, à moins qu’une demande de report n’ait été présentée à l’agent d’exécution et qu’il l’ait rejetée. Je suis d’accord avec cette proposition et je crois l’avoir mentionnée au paragraphe 47 de mes motifs antérieurs. Il est certainement bien établi que l’agent dispose du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 48 de la LIPR de fixer le moment d’un renvoi en tenant compte de l’aptitude à voyager, de la fin de l’année scolaire, du remboursement d’un dépôt de location, de questions médicales et de la question de savoir si une décision CH aurait dû déjà être rendue, mis à part les retards bureaucratiques.

 

[45]           Ce que je dis toutefois, c’est qu’un agent d’exécution n’a pas reçu le pouvoir de se prononcer sur des décisions déjà rendues à l’égard de demandes d’ERAR ou CH comportant des éléments de risque. Pas plus qu’il n’est en mesure de se prononcer sur la question de savoir si un demandeur aura gain cause à l’égard d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déjà déposée. Je reconnais que l’agent est compétent pour reporter un renvoi au motif que la Cour rendra une décision sous peu. Il est toutefois également loisible à l’agent de refuser, laissant au demandeur le soin de solliciter un sursis à un juge de la Cour.

 

[46]           Comme je l’ai déjà mentionné dans ma décision antérieure dans Shpati, il se peut que, dans l’arrêt Perez, la Cour d’appel fédérale se soit confinée à l’affaire dont elle était saisie, soit le rejet d’une requête en sursis par un juge de la Cour fédérale, non le refus d’un agent d’exécution de reporter le renvoi en raison du processus judiciaire.

 

[47]           Sans égard au fait qu’il pourrait être possible de faire une distinction avec l’arrêt Perez, cela ne me semble pas le cas à première vue. En conséquence, le contrôle judiciaire devrait être accueilli, puisque l’agent d’exécution a commis une erreur de droit en déclarant que, si M. Shpati obtenait une décision d’ERAR favorable, il aurait le droit de revenir au Canada. Toutefois, la mesure de redressement, puisqu’il a droit à une nouvelle décision CH, est simplement une déclaration à cette fin, sans plus.

 

LES QUESTIONS certifiées

[48]           À la fin de l’audience, j’ai déclaré que j’étais enclin à rejeter le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’ERAR et à accueillir celui à l’encontre de la décision CH. La seule indication que j’ai donnée à l’égard de la décision de ne pas reporter le renvoi était ma préoccupation selon laquelle il pouvait y avoir un aspect théorique. Les parties ont été invitées à formuler des questions à certifier en conséquence.

 

[49]           Aucune partie n’a proposé de question dans le dossier IMM‑6522‑09, la décision CH. Aucune ne sera certifiée.

 

[50]           Dans le dossier IMM‑6518‑09, la décision d’ERAR, M. Shpati a proposé deux questions. La première est formulée comme suit :

[traduction]

 

Lorsque les documents nouvellement obtenus corroborent, confirment ou clarifient un risque allégué qui a été présenté auparavant lors de l’audience concernant la demande d’asile, l’agent d’ERAR est-il tenu de considérer ces éléments de preuve comme étant « nouveaux » aux fins de l’analyse d’ERAR?

 

[51]           La deuxième question se rapporte plutôt au rôle de l’agent d’exécution et sera examinée dans ce contexte.

 

[52]           À mon avis, les « nouveaux » éléments de preuve présentés par M. Shpati n’étaient pas, pour les motifs énoncés, du tout des « nouveaux » éléments de preuve et ils n’étaieraient pas l’accueil d’un appel. Je refuse de la certifier.

 

[53]           En ce qui a trait au dossier IMM‑1396‑10, le refus de l’agent d’exécution de reporter le renvoi, trois questions sont proposées, une par M. Shpati et deux par le ministre.

 

[54]           La deuxième question de M. Shpati est rédigée comme suit :

[traduction]

 

Lorsqu’un demandeur a devant la Cour un litige en instance concernant un ERAR, ce litige en instance exige-t-il qu’il soit autorisé à demeurer au Canada jusqu’à sa conclusion, compte tenu de l’article 72 de la LIPR, du paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation, de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et du Guide PP3 du défendeur, sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande de sursis à la mesure de renvoi?

 

[55]           Le ministre a proposé deux questions à titre subsidiaire :

[traduction]

 

Lorsqu’un étranger fait l’objet d’une décision d’ERAR défavorable, a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision d’ERAR, mais qu’il continue de faire valoir la même allégation de risque dans une demande de report de renvoi, un agent d’exécution a-t-il le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi selon ce seul motif ou un sursis judiciaire s’appuyant sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’ERAR devrait-il être sollicité auprès de la Cour fédérale?

 

Et :

 

[traduction]

 

Le caractère potentiellement théorique du litige d’un demandeur visant la décision d’ERAR lors de son renvoi justifie-t-il de reporter le renvoi en attendant l’issue de ce même litige?

 

[56]           Ma décision est définitive, sans appel à la Cour d’appel fédérale, à moins que, conformément à l’article 74 de la LIPR, je certifie qu’il existe une question grave de portée générale.

 

[57]           Dans l’arrêt Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4, la Cour d’appel fédérale était d’avis que :

a.       la question doit transcender les intérêts des parties au litige et aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale;

 

b.      la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel;

 

c.       le processus de certification ne doit pas être assimilé aux jugements déclaratoires à l’égard des questions qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée, ni être assimilé au processus de renvoi.

 

[58]           Dans l’arrêt Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, 318 N.R. 365, la Cour d’appel fédérale a ajouté que, si le juge de première instance décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier.

 

[59]           Plus récemment dans l’arrêt Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, le juge Pelletier, s’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, a ajouté qu’une question grave de portée générale doit découler des questions en litige dans l’affaire, et non des motifs du juge.

 

[60]           Dans l’arrêt Varela, précité, j’ai certifié un certain nombre de questions. Je les ai certifiées nonobstant le fait que j’étais à l’aise avec mes propres motifs. Cela aurait-il été différent si j’avais exprimé un doute? Dans son ouvrage intitulé The Discipline of Law, Oxford University Press, 1979, Lord Denning cite Sir George Jessel comme ayant déclaré ce qui suit : [traduction] « Je peux avoir tort et j’ai parfois tort, mais je ne doute jamais. » La question n’est pas le degré de vigueur dont fait preuve le juge de première instance à l’égard de ses opinions, mais plutôt celle de savoir s’il est suffisamment ouvert pour se rendre compte qu’il peut y avoir un autre point de vue.

 

[61]           Néanmoins, guidé par l’arrêt Zazai, je n’ai même pas traité de la Loi d’interprétation et je ne certifierai donc pas une question qui s’y rapporte.

 

[62]           Essentiellement, l’autre question de M. Shpati indique que l’arrêt Perez est erroné. Puisque le ministre est le seul appelant possible, cette question ne serait pas déterminante quant à l’appel selon Liyanagamage, précité. Toutefois, selon Varela, précité, et selon des décisions antérieures, si une autre question est certifiée, il est loisible à la Cour d’appel fédéral d’examiner toutes les questions pertinentes.

 

[63]           Il ne m’appartient pas de dire que l’arrêt Perez est erroné. Il appartient à la Cour d’appel fédérale de décider la mesure dans laquelle elle est disposée à revenir sur ses propres décisions. La Cour d’appel fédérale a adopté la position selon laquelle elle ne devrait pas, en qualité de cour d’appel intermédiaire, s’écarter d’une décision rendue par une formation antérieure simplement parce qu’elle estime que la première affaire a été mal tranchée. La Cour suprême serait normalement le forum indiqué sur ce faire. L’arrêt clé est Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4th) 149, fondé dans une très grande mesure sur son arrêt antérieur dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274. La Cour d’appel fédérale n’infirmera pas la décision d’une autre formation sauf si la décision antérieure était manifestement erronée.

 

[64]           Ainsi, dans l’arrêt Kremikovtzi Trade c. Phoenix Bulk Carriers Ltd., 2006 CAF 1, [2006] 3 R.C.F. 475, le président de la formation avait un point de vue différent de celui de l’arrêt antérieur de la Cour d’appel fédérale dans Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le), [2001] 2 C.F. 551, mais ne voulait pas s’en écarter. Il reste que la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel, et la Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi subséquent : Phoenix Bulk Carriers Ltd. c. Kremikovtzi Trade, 2007 CSC 13, [2007] 1 R.C.S. 588, au paragraphe 3 de ces motifs, la Cour suprême a déclaré ce qui suit à l’unanimité :

[…] Que la Cour d’appel fédérale ait été fondée ou non d’appliquer la règle qui l’a amenée à accueillir l’appel, elle a eu tort de conclure que l’exigence du par. 43(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, n’était pas respectée en l’espèce.

 

 

[65]           Ni Miller ni Widmont, précités, n’ont renvoyé à des arrêts antérieurs de la Cour d’appel fédérale dans Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1980] A.C.F. no 321 (QL), uniquement publié officiellement des années plus tard : [1984] 1 C.F. 211, et dans Miida Electronics, Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et ITO -- International Terminal Operators Ltd, [1982] 1 C.F. 406.

 

[66]           Dans Domestic Converters, les juges Pratte et Le Dain ont conclu que le droit maritime canadien n’englobait pas une réclamation contre un agent de transit pour la perte d’une cargaison après le déchargement d’un navire, mais avant la livraison. Le troisième membre de la formation, le juge suppléant Lalonde, a rejeté la réclamation contre l’agent de transit sur le fond et s’est ainsi délibérément abstenu de se prononcer sur la compétence.

 

[67]           À peine quelques mois plus tard, la même question a été soulevée dans Miida. Le juge Pratte a réitéré que la Cour fédérale n’était pas compétente à l’égard du transitaire. Le juge Le Dain a déclaré : « Pour ce qui est de la question de la compétence, j’estime maintenant que j’ai eu tort dans la décision que j’ai rendue dans l’affaire Domestic Converters ». Cette fois, le juge suppléant Lalonde a examiné la question de compétence et en est arrivé à la même conclusion que le juge Le Dain. Cette conclusion est celle qui a prévalu au bout du compte en Cour suprême (ITO ‑ International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752 (le Buenos Aires Maru)).

 

[68]           On pourrait difficilement dire que la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Domestic Converters était « manifestement erronée », mais elle a toutefois été infirmée par la même formation qui l’avait tranchée, à deux membres contre un.

 

[69]           Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles les deux questions qu’il a présentées sont graves, de portée générale, qu’elles visent l’étendue de la compétence des agents d’exécution et qu’elles appuieraient un appel. Je ne vois aucune raison de ne pas certifier les deux.

 

[70]           M’appuyant sur mon interprétation de Baron, précité, j’estime qu’il existe toujours un litige actuel, la question n’est donc pas théorique. J’en serais arrivé à l’opinion contraire si le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision CH avait été rejeté.

 

RÉSUMÉ

[71]           Le contrôle judiciaire de la décision d’ERAR, IMM-6518-09, est rejeté. Le contrôle judiciaire de la décision CH, IMM-6522-09, est accueilli. Il n’y a aucune question à certifier dans ces deux dossiers.

 

[72]           Le contrôle judiciaire de la décision rendue dans le dossier IMM-1396-10, c’est-à-dire la décision par laquelle l’agent d’exécution a refusé de reporter le renvoi, est accueilli. Les deux questions proposées par le ministre sont certifiées.

 

[73]           Une copie des présents motifs doit être versée dans chacun des dossiers.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 25 octobre 2010

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1396-10

 

Intitulé :                                       ZEF SHPATI c. Le ministre de la sécurité publique et de la protection civile

 

Et LES DOSSIERS :                        IMM-6518-09

                                                            IMM-6522-09

 

Intitulé :                                       ZEP SHPATI c. Le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

lieu DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 septembre 2010

 

Motifs de l’ordonnance :  le juge HARRINGTON

 

DATE des motifs :                      le 25 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONs :

 

Joel Etienne

Dov Maieriovitz

 

Pour le demandeur

John Provart

Nicole Rahaman

Pour leS défendeurS

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

 

Gertler Etienne, LLP

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour leS défendeurS

 

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